L’art contemporain n’avait jamais été sa tasse de thé. La tête penchée, la flûte de champagne flottante entre ses doigts distraits, Jamie tentait de donner du sens aux grandes projections de peinture ocre sur l’imposant travail de Dale Harding -l’une des récentes acquisitions du musée. Mécènes, employés et amateurs d’arts influents s’étaient attroupés dans les salles du QAGOMA afin de célébrer des oeuvres telles que celle-ci, ou encore les faces anonymes des collages encombrés d’Helen Johnson qui s’ajoutaient à la collection déjà impressionnante et prestigieuse. L’anglais avait surtout vu une occasion de rappeler à quelques pairs que le scandale n’avait pas mis un terme définitif à son existence. Il était présent au bras de sa femme, offrant une image de couple plus soudé qu’ils ne l’étaient dans l’intimité et faisant presque d’elle l’héroïne qui ne lui avait pas encore jeté les papiers du divorce à la figure. Il ne saurait dire s’il s’était imposé à Joanne lorsque celle-ci avait mentionné la soirée la semaine précédente, et il ne s’était pas demandé si elle souhaitait être aperçue en sa compagnie lors d’un événement sur son lieu de travail ; il avait simplement décrété qu’ils iraient ensemble, et elle n’avait pas refusé. Cependant le silence était lourd autour de lui, et après une longue demi-heure sur place, à se sentir encombrant pour Joanne, il finit par réaliser qu’elle n’avait sûrement jamais eu l’intention de venir avec lui -et qu’elle se serait mieux portée en son absence. Il lâcha un soupir. L’oeuvre sous ses yeux n’avait définitivement aucun intérêt. S’il fallait boire à cela ce soir, alors il s'exécutera volontiers ; peut-être que les bulles aideraient à donner du sens à tout ceci -la toile, comme tout le reste.
Faisant volte face, il préféra observer les invités. A la recherche de Joanne, son regard croisa celui de Simon, le directeur du musée, fuyant au moindre contact. Si c’était en partie leur bonne entente qui avait permis à sa femme d’obtenir le poste de conservatrice dans l’établissement, elle semblait désormais inexistante. Ils s’étaient vaguement salués, cordialement, à l’arrivée du couple Keynes. Depuis, l’homme se donnait bien du mal pour nier la présence du mari de son employée. Bizarrement, il ne s’en émeuvait pas. Jamie retrouva la silhouette de Joanne dans un cercle de collègues. Les écouter parler de leurs professions différentes et donner un aperçu de la vie qui se cache derrière chaque mur du musée devait être fascinant, mais pas plus que la rapidité avec laquelle tous se tairaient s’il apparaissait. Il s’abstint donc de la rejoindre. L’embarraissait-il, Joanne ? Aurait-il dû avoir la jugeote de ne pas venir ? Aurait-elle été accompagnée de quelqu’un d’autre si tel était le cas ? Rhett peut-être, ou Hassan. Qu’importe. Il faisait de son mieux pour elle. Il essayait vraiment. Et si son influence auprès de Simon s’accordait désormais au passé, Jamie était prêt à mettre son orgueil de côté afin de lui offrir le plus net des cirages de pompes afin qu’il accepte d’offrir au projet de doctorat de Joanne tout le soutien que celui-ci mérite. Et le nombre de personnes au nom desquelles le Keynes était prêt à faire une chose pareille ne se comptait sur les doigts que d’une seule main.
Le second nom sur la liste venait de passer les portes du musée. Figé dans la surprise, Jamie sentit le champagne crépiter au fond de sa gorge et chatouiller son nez, le faisant soudainement tousser à pleins poumons. Hayden était présente, et si la presse n’avait pas encore informé Joanne de son retour sur le sol australien, elle ne passerait pas à côté cette fois-ci. Et l’homme au bras de la comédienne devait-il lui servir de sac à main ? C’était sans importance. Le calvaire futur de l’anglais lui apparut comme un cheval surgissant de l’horizon, violent et implacable. Sa dernière conversation avec Hayden l’avait troublé et touché bien plus qu’il n’avait souhaité l’admettre face à celle-ci sur le moment. Son départ de la demeure des Keynes avait sonné comme un adieu. Le QAGOMA était le pire des théâtres que le destin puisse sélectionner pour les maintenir sur le même chemin. S’il avait pu fuir à toutes jambes, Jamie l’aurait fait. Au lieu de cela, et contre tout bon sens, il fonça en direction d’Hayden. “Bonsoir.” souffla-t-il, à l’intention de la comédienne et de son cavalier d’un regard rebondissant rapidement de l’un à l’autre -avant de se focaliser entièrement sur la brune. Soudainement, il se sentit si petit. L’exacte même sensation qu’elle lui avait laissé en claquant la porte de la maison quelques semaines auparavant. Petit et quelconque. Stupide et seul. Son regard gris lui portait la froide indifférence des inconnus. “Je… Je ne vais pas t’importuner longtemps. Je voulais simplement te dire que je suis désolé de la manière dont s’est terminée notre dernière conversation.” Il ne pouvait pas laisser les choses en l’état ; ne méritaient-ils pas mieux ? Lâcher prise était certainement la meilleure des solutions et s’ignorer toute la soirée aurait été tellement plus judicieux. Mais le gâchis que ces retrouvailles lui inspirait étaient capable de le tenir éveillé la nuit. Les regrets s’ajoutaient les uns aux autres, et tout autour de lui menaçait perpétuellement de s’écrouler. Pouvait-il réparer quoi que soit ? Qu'espérait-il qu'elle dise ? Oh, s'il le savait. Pouvait-il seulement espérer qu’elle ne le détesterait pas, s’il s’excusait ? Après tout, revenir et demander pardon, c’était d’ors et déjà bien plus que ce qu’il avait été capable de faire, trois ans auparavant.
Spoiler:
Feel free de faire bien moins long J'ai lancé Hayden mais il n'y a aucune obligation niveau ordre de passage bien sûr Ah, et :
Le trajet jusqu’au musée avait été tendu, l’atmosphère alourdie par des non-dits et des remarques qu’Hayden ne parvenait pas à formuler correctement. Elle n’avait pas eu l’occasion de revoir Keith depuis son entretien avec Jamie, entraînant une impossibilité toute identique de confronter son meilleur ami aux détails que Danika lui avait récemment fourni aux sujets de leurs retrouvailles. La comédienne ignorait également la raison pour laquelle il avait souhaité lui parler, mais elle n’était pas certaine qu’il s’agisse du meilleur des moments pour aborder les nombreux sujets de discorde qui semblaient perdurer entre eux. La comédienne avait préféré se murer dans un silence relatif, abhorrant son rôle de poupée des glaces que Keith n’avait que très rarement eu l’occasion de subir. Elle avait perçu ses tentatives pour détendre l’atmosphère, s’était forcée à lui sourire faussement lorsque la situation s’y prêtait, mais Hayden ne parvenait pas à se détacher du pressentiment que cette soirée était une très mauvaise idée depuis le début. Mais après tout, il s’agissait de sa propre initiative, et la comédienne avait tellement insisté auprès de Keith qu’il n’était désormais plus question de reculer. « Je suis contente que tu sois là. Et tu es très élégant, ce soir. » Hayden n’avait consenti à ouvrir la bouche seulement lorsqu’il était devenu temps de le remercier de sa présence, consciente des efforts qu’il prodiguait pour s’obliger à l’accompagner à un vernissage dont il n’avait cure. Malgré les points d’interrogation qui s’accumulaient au-dessus de sa tête, la jeune femme ne put empêcher la vague de gratitude qui déferla dans son esprit lorsque les regards se posèrent sur eux. Dans le domaine des émotions contradictoires, ces derniers jours ne l’avaient pas épargné, et Hayden savait qu’elle n’aurait pas été capable d’affronter le gratin brisbanais avec autant d’assurance si Keith n’avait pas été là pour l’épauler.
L’apparition soudaine de Jamie n’avait fait que confirmer ses inquiétudes. La jeune femme avait fait appel à tout le self-control qu’il puisse exister pour s’empêcher de se raidir brusquement, se concentrant sur la chaleur dégagée par le bras de son meilleur ami autour de sa taille pour s’empêcher de tituber sous le coup de la surprise. Mais le répit fut de courte durée, et le baiser déposé sur sa tempe sonna comme le glas d’un nouveau moment douloureux à passer. Sans la présence de Keith à ses côtés, Hayden se sentit soudainement très seule. Elle aurait aimé avoir eu le temps de protester, avait même tenté de resserrer légèrement sa prise sur son bras, mais le jeune homme avait déjà filé entre ses doigts sans qu’elle ne puisse le retenir. La comédienne avait passé des jours entiers à se préparer à l’évidence même de sortir complètement Jamie de sa vie, à faire en sorte d’enterrer pleinement des sentiments vieillis et poussiéreux qu’elle savait dorénavant indésirables. Dans cette optique, la perspective de le recroiser au détour d’un quelconque gala ne lui avait jamais effleuré l’esprit, et la déstabilisante sensation de plonger une nouvelle fois dans l’inconnu et dans une situation qu’elle ne maîtrisait pas faute de préparation mentale au préalable la percuta de plein fouet. Hayden s’efforça de ne rien laissait paraître, mais son cerveau était rempli de questions tourbillonnantes. Elle s’interrogea sur la véritable raison de sa présence dans un tel endroit, pour commencer ; Jamie n’occupait plus vraiment la place d’invité d’honneur dans n’importe lequel de ces rassemblements où se côtoyaient les plus grands noms du milieu artistique, et Hayden doutait qu’un carton d’invitation à son nom n’ait été édité ce soir. Son instinct acheva de faire le lien avec Joanne qui, la comédienne le comprenait maintenant, n’était sans doute pas très loin. Que Jamie prenne le risque de lui adresser la parole dans ces conditions relevait de l’exploit, et venait corroborer la sincérité avancée de ses propos. Pourtant, ce n’était pas particulièrement flatteur, ni même réjouissant. Hayden craignait des complications supplémentaires pour un résultat inexistant, elle qui avait sincèrement fait en sorte que son retour à Brisbane soit le plus discret possible et que rien ne puisse l’associer à Jamie, soucieuse de respecter son engagement initial, que Joanne n’apprenne jamais son passage au domicile familial. « Tu as de la chance. Il ne bat pas en retraite si facilement, d’habitude. » La comédienne adressa un vague signe de la tête vers Keith qui venait de s’éloigner, surprise de la facilité avec laquelle elle réussissait à feindre l’indifférence la plus totale quand son cœur, lui, battait la chamade. Elle était lasse de devoir sans cesse se sentir désolée, fatiguée d’entendre Jamie lui débiter des excuses pour une relation qui, selon elle, n’avait jamais été une erreur. Elle détestait la manière dont il réussissait à la faire culpabiliser vis-à-vis d’un attachement qui la rendait aussi démunie qu’impuissante, ne parvenant pas à comprendre ce qu’il souhaitait qu’elle fasse, au juste. Son départ pour Londres avait visiblement été un déchirement, mais son retour n’avait pour autant pas sonné comme la réparation qu’elle avait si ardemment désirée. Vouloir reprendre contact avec Jamie avait été un fiasco mais là encore, alors qu’Hayden était persuadée de s’être astreinte à ce qu’il y avait de mieux pour que chacun puisse continuer à évoluer de son côté en limitant les dégâts, il était de retour, le cœur visible et les regrets exprimés pleinement. Et si cette situation avait toujours échappé à la pleine compréhension de la comédienne, cette dernière se retrouvait soudainement incapable de cerner ce que l’ancien rédacteur en chef désirait vraiment – si tant est que lui-même en avait seulement une quelconque idée, bien évidemment. « C’est drôle. Tu passes ton temps à être désolé, mais je ne ressens aucun soulagement pour autant. » L’honnêteté froide d’Hayden sonnait comme un constat plus qu’un reproche, tant l’impasse dans laquelle ils semblaient se trouver ne lui permettait pas d’entrevoir suffisamment l’attitude qu’elle aurait préféré que Jamie adopte, lors de leurs retrouvailles. Ce qui était certain, c’est que la sensation d’avoir été une indésirable était tenace, laissant des traces plus profondes que la comédienne ne l’aurait souhaité. « Si tout ça n’est qu’un moyen de t’assurer que je garderai le silence en obtenant mon pardon, alors considère-le comme acquis. Je vais tenir ma promesse, et Joanne n’apprendra jamais rien de notre discussion. Tu peux retourner le cœur léger auprès de tout ce que j’ai menacé en prenant la décision de te revoir, ce serait bien trop bête de ruiner tous tes efforts ce soir. » Hayden ne parvenait pas à soutenir son regard, persuadée que Jamie parviendrait à lire dans ses yeux toute la douleur que son rejet avait éveillé en elle. La comédienne préférait tenter vainement de donner le change, feignant de chercher désespérément le signe d’un retour imminent de Keith. Il était dorénavant son seul espoir pour l’aider à retrouver un semblant d’oxygène, elle qui avait la sensation d’étouffer sous le coup d’une proximité dangereuse. Pourquoi donc n’avait-elle pas accepté l’option plage et coucher de soleil dès le début ?
L'attente était certainement le plus difficile. Les lettres pour la demande de financement du doctorat que Joanne avait en tête avaient été envoyées depuis quelques temps déjà, après de très nombreuses relectures et l'approbation répétée de Marius. Et tout ce que Joanne pouvait faire avant de s'attaquer à ce projet plus qu'ambition était de poursuivre ses activités habituelles, autant à l'université qu'au musée. Et en plus de ses devoirs de conservation, Joanne avait pour rôle aussi de faire bonne figure lors des vernissages d'artistes pour lesquels elle n'était absolument pas familière et pour qui il lui devait parfois de forcer à s'y intéresser pour comprendre un tant soit peu l'aura qui dégageait de chacune de ses oeuvres. L'on pourrait penser que c'était un comble, qu'une personne n'ayant que très peu d'intérêt pour l'art contemporain travaille dans un endroit aussi prestigieux que le QAGOMA. Mais celui-ci comportait sa galerie d'art historique et c'était celui auquel la petite blonde était affiliée. Quand Jamie avait eu vent du vernissage, il s'était imposé sans même que Joanne ne lui ai donné son avis. A vrai dire, lui poser la question ne lui avait pas véritablement traversé l'esprit, ce dernier étant occupé à songer à son doctorat et à la dernière conversation qu'elle avait eu avec son époux. Envisager le divorce, ou non. Elle mentirait si elle disait qu'elle n'y avait pas songé. Mais y penser lui retourner complètement l'estomac. Pour elle, c'était comme rompre un serment, une promesse. Car même si le beau brun semblait tenir à ce que l'illusion du couple parfait se tienne durant cette soirée, la réalité n'en était que très différente. Ce n'était pas les sentiments qui posaient problème. Joanne l'aimait toujours profondément, sinon elle ne serait plus là depuis un moment. Mais elle ignorait quelle genre de vie les attendrait dans les semaines à venir, tout en sachant qu'ils s'étaient imposés cette sorte d'ultimatum qu'était la fin des travaux de la supposée maison de leurs rêves. L'échéance approchait à grand pas et elle n'était pas plus décidée que la veille. Peut-être bien que cette soirée allait changer la donne. Du moins c'était ce qu'elle essayait de se dire durant le trajet menant au QAGOMA. Peut-être verrait-elle un éclat dans son regard qui lui confirmerait ou non la volonté de lui accorder une chance. Il lui manquait. Leurs discussions plaisantes, leurs longs débats pour choisir le type de parquet qui allait recouvrir une pièce particulière de la maison, leurs étreintes, leurs sourires et leurs regards échangés entre deux couches changées. Toutes ces petites choses qui rendaient le quotidien agréable et paisible. Elle avait oublié ce que c'était, de ressentir ces petits bonheurs là. La belle conservatrice remerciait le ciel d'avoir transmis à l'homme la création du champagne, boisson qu'elle avait toujours su savourer durant les grandes occasions et qu'elle savait apprécier dignement. Sa première coupe s'était d'ailleurs vidée un petit peu trop rapidement alors qu'elle discutait avec ses collègues, Jamie s'était retiré, à peut-être essayé de prendre goût aux supposés oeuvres mis en avant le temps de cette soirée. Elle espérait surtout qu'il n'y ait pas de dérapage, que personne ne vienne le provoquer ou ne mette en avant les dernières révélations à son sujet. Elle jetait parfois un oeil juste pour s'assurer qu'il soit toujours là, jusqu'à ce qu'il ait fini par sortir de son champ de vision. Elle discutait tranquillement avec ses collègues alors qu'un homme vint l'aborder. L'une de ses collègues fit à Joanne un sourire plutôt suggestif avant de s'éloigner intentionnellement d'elle. "Pourquoi pas." dit-elle en acceptant très volontiers, et avec un adorable sourire, la coupe bien pleine de champagne qu'on lui offrait poliment. Elle partait du principe qu'elle ne conduirait pas ce soir. Toujours peu habituée à être accostée par des inconnus (alors que c'était loin d'être la première fois), Joanne esquissait un sourire nerveux alors qu'il faisait semblant de s'intéresser à l'oeuvre à côté de laquelle elle se trouvait. Il était charmant, c'est sûr. Mais le pauvre ignorait que faire comme premier geste une baise-main à la petite blonde n'était vraiment pas la meilleure approche à faire. En effet, elle ne se sentait absolument pas à l'aise lorsque quelqu'un qu'elle ne connaissait pas initiait un contact physique. Elle restait une femme réservée. Sans paraître impolie non plus, elle se fit comprendre en retirant sa main de la sienne d'un geste quasi aérien, suivi d'un sourire plus qu'embarrassé. "Joanne. Joanne Keynes. Enchantée." lui répondit-elle malgré tout de sa voix naturellement douce, avec un sourire sincère. "Et concernant l'artiste, je le connais grâce aux acquisitions du musée et de ce que m'en disent mes collègues, mais ce n'est pas vraiment le domaine dans lequel je suis spécialisée." admit-elle avec un sourire plus sympathique. Il suffisait que Joanne parle d'art pour qu'elle se sente plus dans son élément. "Si ce n'est pas vraiment votre tasse de thé, qu'est-ce qui vous amène à cette soirée en particulier ? Vous êtes mécène, ou vous vous intéressez à d'autres types d'oeuvres d'art ?" Un léger rire marquait le visage de la jeune femme, curieuse de connaître les véritables raisons de la présence du brun par ici. "Je ne sais pas ce que vous sous-entendez vraiment pas spéciale. L'art moderne et contemporain sont encore un peu un mystère pour moi, mais je fais de mon mieux pour tenter de le comprendre et..." La conversation aurait pu suivre son cours de façon plutôt sympathique si le regard de Joanne n'avait pas glissé par-dessus l'épaule de son interlocuteur et qu'elle reconnaissait très aisément la silhouette de son mari. Celui-ci discutait avec femme, une brune. Sur le coup, Joanne ne l'avait pas reconnue. Cela lui semblait tellement improbable qu'il puisse s'agir d'elle qu'elle s'était en premier temps dit à quel point elle pouvait ressembler physiquement à Hayden. Elle les observait pendant une fraction de secondes, ayant totalement perdu le fil de la phrase qu'elle était en train de dire, jusqu'à ce qu'elle réalises qu'il s'agissait bien d'elle. Il lui était impossible de pouvoir poser des mots sur tout ce qu'elle pouvait ressentir. Rien de très positif quoi qu'il en soit. "Ce n'est pas possible." souffla-t-elle tout bas, se rendant subitement compte que cette soirée allait être bien moins agréable qu'elle ne pouvait l'espérer. Aussi une multitude de questions venait se bousculer dans son esprit, devenant ainsi encore plus encombré qu'il ne l'était déjà. Elle bouillonnait de l'intérieur, sa jalousie maladive la rattrapait soudainement de plein fouet. Espérant attenué ces sensations bien désagréables, Joanne but une grande gorgée de son champagne avant de retrouver le regard du prénommé Keith. "Excusez-moi, j'ai vu..." Que pouvait-elle bien lui dire, alors qu'elle était elle-même encore chamboulée et remontée par cette vision. Elle plaçait une mèche de cheveux derrière son oreille d'un geste nerveux. "Quelqu'un." Même si elle avait initialement eu l'envie et la motivation de reprendre la conversation où elle s'était arrêtée et tenter de faire comme si de rien n'était, les yeux de bleus de Joanne s'étaient spontanément glissés vers son mari à nouveau. Lorsqu'elle croisait son regard, elle lui transmettait ce mélange de colère et d'incompréhension, de tristesse et de déception. Etait-ce pour ça qu'il avait tellement insisté pour venir ? Etait-ce parce qu'il savait qu'elle serait là ?
Spoiler:
oui j'ai totalement bousillé mon ordre habituel de réponses mais j'ai vraiment trop hâte de voir ce que ça va donner
Son regard se posa sur la main tendue de l’homme qui accompagnait Hayden, forçant une poignée de main que Jamie n’avait jamais eu l’intention d’engager ou d’accorder. Sourcils froncés, visage fermé, l’anglais garda ses bras le long de son corps et refusa tacitement le contact physique. Le cavalier de la comédienne semblait déterminé à faire mauvaise impression tandis que le Keynes l’avait poliment salué puis soigneusement ignoré. La chevalerie avec laquelle il prit la parole -ou plutôt, s'accapara l’espace sonore- hérissa le poil d’un Jamie dont la vulnérabilité momentanée était un véritable champ de mine pour le moindre affront qu’il recevrait. « Bonsoir Monsieur Keynes. Le temps est relatif, sachez-le. Vous l’avez déjà trop importuné quand vous avez sciemment refusé de faire demi-tour après l’avoir salué. » Détaillant le brun de bas en haut avec un rejet à peine voilé, l’anglais demeura silencieux quelques secondes, se demandant pour qui diable l’homme pouvait bien se prendre pour adresser la parole à qui que ce soit de la sorte. Ils ne se connaissaient ni d’Adam, ni d’Eve, et pareilles remarques étaient particulièrement mal venues de la part d’une personne qui n’avait pas pris la peine de décliner son identité dans un premier temps. Quant à s’imposer dans une conversation qui était, de toute évidence, particulièrement privée, faisait de ce type l’un des êtres les plus rustres qu’il avait été donné à Jamie de croiser dans ce genre d’occasions -et Dieu savait que les bancs de requins qu’il côtoyait depuis l’enfance n’étaient pas peuplés d’enfants de choeur. “La seconde chose relative actuellement est ma patience envers les bien pensants qui prennent la parole lorsque rien ne leur a été demandé.” rétorqua Jamie, le ton froid et monocorde de celui qui n’a guère plus de salive à gaspiller à refaire l’éducation de cet ignorant. Encore une fois, il le toisa. Un cowboy dans un costume de gentleman ; quel gâchis de tissu. L’homme quitta finalement le bras d’Hayden, pour le plus grand bonheur de tous. Le baiser qu’il déposa sur la tempe de la jeune femme arracha un frisson de dégoût à Jamie. Il ne savait ce qui le contrariait le plus ; lui, cette marque d’affection entre eux, ou le fait que la comédienne avait opté pour le silence face à l’assaut gratuit de son cavalier envers lui. “Tu es au courant que les animaux de compagnie ne sont pas autorisés, n’est-ce pas ?” fit le brun dans un soupir, indiquant son chien de garde d'un signe de tête. Elle pouvait si facilement trouver mieux comme compagnie pour cette soirée que le Keynes ne comprenait pas pourquoi Hayden perdait son temps avec un homme de ce genre. « Tu as de la chance. Il ne bat pas en retraite si facilement, d’habitude. » Jamie leva les yeux au ciel. “Parce qu’à ses yeux pomper l’air est un sport ?” Lui n’avait pas l’intention de s’enfoncer dans un concours de rhétorique ; si l’adversaire en valait la peine, il l’aurait pris en considération, mais le cowboy ressemblait comme deux gouttes d’eau à une dramatique perte de temps. Il effaçait son existence de son esprit en un claquement de doigts.
La parenthèse distractive clôturée, Jamie réalisa qu’il valait certainement mieux qu’il prenne congé d’Hayden. Il avait dit ce qu’il tenait à lui dire et faute de savoir quelle réaction attendre de sa part, puisqu’il n’avait pas la prétention d’en attendre une de toute manière, il ne souhaitait pas l’importuner plus longtemps -comme il l’avait déjà dit. « C’est drôle. Tu passes ton temps à être désolé, mais je ne ressens aucun soulagement pour autant. » fit remarquer la comédienne. Et lui non plus ne se sentait jamais vraiment mieux. Sûrement parce que les excuses étaient plus pour sa conscience que pour lui-même ou pour elle. C’était pour cocher la case, dire qu’il avait fait ce qu’il fallait. Bien entendu, ses paroles n’en étaient pas moins sincères. Mais ce dont ils avaient besoin, c’était de bien plus que de simples paroles à la volée un soir de cocktail. Sauf que Jamie n’avait rien d’autre à donner. “J’essaye de faire au mieux.” murmura-t-il. Être désolée n’était pas suffisant pour elle, et qu’Hayden justifie son départ, trois ans plus tôt, ne l’était pas pour lui. La situation semblait dans une impasse, un sac de noeuds qu’ils ne parvenaient pas à démêler. « Si tout ça n’est qu’un moyen de t’assurer que je garderai le silence en obtenant mon pardon, alors considère-le comme acquis. Je vais tenir ma promesse, et Joanne n’apprendra jamais rien de notre discussion. Tu peux retourner le cœur léger auprès de tout ce que j’ai menacé en prenant la décision de te revoir, ce serait bien trop bête de ruiner tous tes efforts ce soir. » C’était pourtant pour le risque qu’il prenait à venant lui parler alors qu’ils se trouvaient dans la même pièce que Joanne qu’Hayden pouvait accorder plus de crédit aux paroles et aux intentions du brun. La mesquinerie dont elle l’accusait lui serra le coeur. Il voulait croire qu’elle n’en pensait pas un mot, mais il n’en était pas assez sûr pour ne pas prendre l’offense. Vexé, il se raidit, les poings serrés. “Hayden, ce n’était absolument pas mon intention.” Jamie n’avait pas l’intention de mentir à Joanne, et si elle découvrait leur précédente rencontre, il comptait bien faire preuve d’honnêteté. Il n’avait plus rien à cacher et n’allait pas se lancer dans le cycle infernal des mensonges au moment où il tentait de sortir la tête de l’eau. Il n’y avait donc pas de secret à garder, aucune attente de sa part envers Hayden. Rien d’autre que l’espoir qu’elle cesse de le détester, de fuir son regard. La première fois qu’elle lui avait tourné le dos était bien assez douloureuse pour que Jamie fasse tout son possible pour ne pas subir cette sensation une seconde fois. “Je t’en prie…” Dans un souffle, il posa sa main sur son bras. Le contact le grisa un instant où il oublia ce qu’il avait l’intention d’ajouter. En sentant son coeur s’emballer, entre la nostalgie et la peur du rejet, il rompit finalement ce court touché. Les mots lui revinrent aussi vite. “Je… Je veux simplement éviter qu’on s’inflige tous des douleurs inutiles.” Que Hayden ravive ses sentiments, que la jalousie de Joanne s’éveille, que la torture de Jamie reprenne de plus belle pendant que les tabloïds tournaient le couteau dans la plaie ; ils avaient déjà connu cela, ils étaient passés par là. Ils avaient assez longtemps arpenté cette route pour ne plus vouloir y retourner. S’il s’imposait de ne pas côtoyer la comédienne, c’était pour le mieux, pour le bien de tous. Comme elle était partie pour l’Angleterre au nom du bien commun. “Arrête d’essayer de prétendre que tu ne sais pas que je tiens à toi.” ajouta Jamie tout bas. Il ne pouvait empêcher la jeune femme de se construire le scénario le moins douloureux pour digérer la situation, mais il n’était pas question qu’il la laisse le faire passer pour cette personne indifférente qui la rejetait sans regrets.
Si Hayden ne s’était évidemment jamais attendue à un coup de foudre amical entre Jamie et Keith, leur court échange lui arracha une grimace. Elle pouvait aisément comprendre l’animosité qui agitait son meilleur ami, mais il lui était difficile de justifier une telle rancœur visiblement sans fondements de la part de Jamie. Sa loyauté piquée à vif, la comédienne ne put retenir un pincement de lèvres agacé, persuadée que l’ancien rédacteur en chef se trompait de victime. Keith n’y était pas allé de main morte, le constat était indéniable, mais son comportement n’avait pas surpris Hayden le moins du monde, et il lui semblait qu’aucune de ses remarques antérieures, bien que faussement polies, ne soient en mesure de justifier un quelconque manque de respect. « Il défend ce qui compte pour lui, tout simplement. Je suis certaine que ça, tu es en mesure de le comprendre. » Le sous-entendu était lourd de sens, mais la jeune femme n’ajouta rien pour autant. Ce n’était ni le lieu, ni l’endroit, ni le bon combat. La conversation avait d’ailleurs dévié naturellement, et Hayden se retrouvait à écouter sans vraiment entendre, tiraillée entre une envie de fuir et un besoin mordant d’honnêteté. Le contact de la main de Jamie sur son bras lui fit l’effet d’une décharge électrique et, pendant un instant, interdite, Hayden fixa l’endroit où le contact physique venait d’avoir lieu, comme si elle s’attendait à y déceler une quelconque trace de brûlure. Doucement, son regard s’accrocha de nouveau à celui du brun. La comédienne était fatiguée de se chercher des excuses sans jamais parvenir à les trouver totalement. C’était un véritable supplice, de dissimuler ses sentiments à une personne pour laquelle elle n’avait eu aucun secret pendant des années. Encore plus éreintant de tenter sans relâche de les cacher à soi-même. La vérité était qu’Hayden ne savait pas réellement ce qu’elle pouvait ajouter dans l’espoir de démêler le sac de nœuds qu’était devenu leur situation. Elle connaissait suffisamment Jamie pour ressentir sa sincérité, mais elle ne mentait pas en affirmant que ses excuses et ses justifications pourtant sensées ne la soulageait aucunement. La jeune femme avait besoin de bien plus que de simples mots, le constat lui semblait clair dorénavant, mais une quelconque issue positive lui paraissait hors de propos, et Hayden se sentait prisonnière d’une mauvaise comédie romantique qui, cette fois-ci, ne connaîtrait probablement pas de fin heureuse. L’évocation de douleurs inutiles acheva de la ramener précipitamment sur terre, et un soupir las lui échappa sans qu’elle ne tente de le retenir. La comédienne n’avait plus rien à perdre, désormais, et elle décida de rendre les armes, tant pour s’assurer de s’extraire de ce maudit gala le cœur léger que pour s’assurer que plus jamais l’ancien rédacteur en chef ne puisse lui reprocher de prétendre quoique ce soit, ni de déguiser ses pensées véritables. « Je te crois. » Pour son envie de faire le maximum pour que tout se passe bien, pour son affection envers la comédienne qui n’était pas tout à fait évaporée malgré les trois années écoulées. Il était plus simple de se convaincre du contraire, mais Hayden n’était pas du genre à se complaire dans les solutions de facilité si elles incluaient essentiellement d’avoir recours à de la poudre aux yeux. « Je te dois des excuses pour avoir fait preuve d’autant de naïveté, Jamie. » Même dans une situation émotionnellement compliquée, la comédienne n’avait pas à rougir de sa capacité à synthétiser sa pensée. Ce qu’elle avait à dire se bousculait dans sa tête sous forme de bribes, mais Hayden parvenait aisément à les rassembler jusqu’à former un discours cohérent, fidèle à sa réputation d’un contrôle parfait de tout instant. Elle n’avait de toute manière jamais eu vraiment besoin de réfléchir très longtemps, lorsqu’il s’agissait d’être sincère. Le plus gros du travail avait toujours consisté à se convaincre de laisser tomber le masque. « Je t’assure que je n’avais aucune mauvaise intention, en revenant à Brisbane. Je pensais sincèrement et sans doute un peu égoïstement que tu avais besoin de mon aide, rien de plus. Mais j’avais tort, car finalement, tu t’en es sorti sans moi pendant trois ans, et tu continueras à le faire pendant des années encore. J’en suis certaine, et ça malgré tout ce que j’ai pu te dire la dernière fois. » L’aveu lui coûtait et lui serra la gorge, mais il s’agissait de la pure vérité, de celles que l’on ne veut pas entendre et que l’on a du mal à accepter. Bien que Jamie semblait avoir accumulé les erreurs ces derniers temps, il conservait une femme aimante à ses côtés et des enfants qui le rendait fier, Hayden n’en avait jamais douté. C’était bien plus que tous les rêves de mariage et de famille à fonder savamment dissimulés que la comédienne doutait désormais de parvenir à atteindre un jour. Il était dorénavant devenu tellement plus simple de prétendre qu’ils n’avaient jamais existé. « Je pensais avoir réussi à faire la même chose. En un sens, j’ai avancé aussi de mon côté, prétendre le contraire serait mentir. Mais pour autant… » La jeune femme baissa la voix, déclinant ses prochaines paroles dans un murmure, comme si elle craignait que le monde s’effondre subitement à leur entente. « Quand je te regarde, je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qui aurait pu se passer, si j’avais tenu bon un peu plus longtemps. Tu comprends maintenant, pourquoi c’était plus facile de prétendre que plus rien ne nous liait vraiment ? » Le souffle rendu court par une course intérieure purement métaphorique, Hayden n’ajouta plus rien. Elle se sentait déjà bien suffisamment à nue pour en rajouter. Aucun regret ne pointait à l’horizon, cependant ; cette fois-ci, Jamie ne pourrait plus prétendre ne pas comprendre les sentiments contradictoires qui agitaient la comédienne.
Un peu plus tard dans la soirée, lorsque toute cette cacophonie serait provisoirement retombée, la jeune femme se posera la question de savoir si l’arrivée inopinée de Joanne et de Keith avait sonné le glas de leur conversation ou leur sauvetage momentané d’un moment inconfortable à venir. Mais sur l’instant, la comédienne s’était figée l’espace d’un instant, retrouvant rapidement ses esprits au contact de son meilleur ami. Déterminée à ne rien laisser paraître quant à un agacement mêlé à une incompréhension qui menaçait de se transformer en colère pure, Hayden se contenta d’adresser un regard lourd de sens à l’ancien lieutenant, n’adhérant aucunement à son discours teinté de faux hasard et d’une manipulation certaine. La comédienne ignora les piques mais s’empressa de les conserver dans un coin de sa mémoire ; Keith ne s’en sortirait pas aussi facilement, promesse était faite. « Bonsoir, Joanne. » La jeune femme lui adressa un bref signe de la tête, redéposant son verre de champagne sur le premier plateau qui passa près d’elle, jetant un coup d’œil à Jamie qu’elle craignait de voir sortir de ses gonds à tout instant. Elle connaissait son tempérament, et Hayden n’avait pas besoin de don de voyance pour comprendre que la frustration accumulée ces derniers temps suffiraient largement à faire voler en éclats ses derniers instincts de retenue. La comédienne savait que trop bien à quel point il devenait difficile de se taire, lorsque l’on considérait n’avoir plus grand-chose à perdre. « Keith, je crois que tu devrais profiter de tes leçons nouvellement acquises sur l’art contemporain pour m’en apprendre un peu plus sur les œuvres exposées ce soir. Je crains que dans ce domaine, tu n’aies pas grand-chose à leur apporter. » Mais l’instinct ne trompait pas, et Hayden connaissait suffisamment son meilleur ami pour savoir qu’il ne bougerait pas d’un pouce, bien trop heureux d’enfin confronter un Jamie qui ne se laisserait certainement pas mener à la baguette de la sorte. Sa tentative de congé était bien plus pour épargner Joanne qu’elle-même, mais l’étincelle Weddington venait de raviver un feu qui ne demandait plus qu’à se propager.
Il semblerait que les galas, soirées inauguratrices et autres vernissages soient devenus les décors parfaits pour les pièces dramatiques qui soient. Le champagne qui coulait à flot dénouait les langues à force d'être consommé, les projecteurs rivés sur les quatre protagonistes tandis que les figurants semblaient être véritablement admiratifs des oeuvres mis en avant lors de cette soirée. Naïve comme elle était, Joanne pensait réellement avoir trouvé refuge l'espace de quelques instants en faisant la connaissance de Keith. Un homme doté d'un certain charme qui, en dehors de sa maladresse d'avoir tenté le baise-main avec elle, semblait gentil et intéressé par l'art bien qu'il ne semblait pas fin connaisseur. "Je m'intéresse à des tableaux bien plus... anciens que ce qui est exposé ce soir. Je suis en charge de la galerie d'art historique international de ce musée." Un poste qu'elle portait toujours avec beaucoup de fierté. Le dire à haute voix la faisait toujours beaucoup sourire tant elle s'y retrouvait ici. "Mais ma période favorite est la Renaissance Italienne." Il valait mieux pour Keith de ne pas poser trop de questions à ce sujet, car sinon il aurait le droit à de longues d'explications d'une Joanne fascinée par son domaine. Ca ne courait pas les coins de rue, des personnes aussi passionnées par son métier, mais la petite blonde faisait belle et bien partie de cette catégorie de personnes. Sinon elle ne se serait jamais lancée dans les démarches nécessaires pour faire un doctorat. "Je ne dirais pas que les mécènes ont un style si particulier au point d'en faire des stéréotypes." Du moins, pas aussi corsé que le Français avec son béret et sa baguette. "Leur style et leur allure ont tout ce qu'il y a de plus divers. De celui qui ne fait ça que par intérêt que celui qui est vraiment intéressé par le sujet, de celui qui ne compte plus les zéros derrière le chiffre de leur compte banque aux salaires bien plus modestes qui tiennent tout de même à mettre un peu de leur patte à l'édifice." Mais le voilà qu'il parlait de loyauté, ce pourquoi Joanne supposait qu'il n'était que pour soutenir une personne qui voulait probablement être présente à cette soirée organisée par le QAGOMA. Le regard de Keith était rivé ailleurs l'espace de quelques secondes. La blonde aurait juré voir sa mâchoire se serrer. Jusqu'à ce que son regard se détourne également vers Jamie et Hayden. Son coeur se serrait, à les voir discuter ensemble. Que pouvaient-ils bien se dire ? Si l'on pouvait être sûr de quelque chose, c'était bien qu'une pointe de jalousie faisait déjà un petit peu de place dans son esprit soudainement bien embrouillé. Elle simula un sourire auprès de Keith. "On peut dire ça comme ça, oui." Un fantôme que Joanne aurait préféré oublié. Son retour rassurait peut-être Jamie, mais certainement pas sa femme. Celle-ci se souvenait de la période où il avait été incapable de pouvoir trancher entre elles. S'il avait pu les avoir toutes les deux, il aurait été certainement un homme très comblé. Seulement, en terme de relation amoureuse, Joanne n'était vraiment pas encline à partager. Elle se laissa aisément bernée par le prétendu intérêt de Keith pour l'exposition lorsqu'il lui suggéra de la lui faire visiter. Jusqu'à ce qu'il révèle alors un peu plus de son identité. Bouche bée, Joanne le dévisagea alors avec des yeux ronds, ne sachant que répondre. Totalement déroutée, elle le regardait rejoindre le bras de la belle brune. La conservatrice ignorait elle-même quelle mouché l'avait piqué pour qu'elle le suive malgré tout. Son visage était marqué par de l'incompréhension face à la situation. Quelles étaient les possibilités pour que Keith, proche d'Hayden, s'adresse hasardeusement à l'épouse de Jamie Keynes. Etait-ce une simple coïncidence, ou une stratégie finement montée ? Quoi qu'il en soit, le résultat était là : quatre personnes à se regarder en chien de faïence. Quoi que l'un d'entre eux semblait plutôt jubiler de la situation. Plaçant sans gêne son bras autour de la taille de la comédienne, il arborait un sourire glorieux et fier. En le voyant ainsi, Joanne le trouvait particulièrement malveillant, avec une drôle d'envie que de devoir faire tourner une situation au vinaigre. Le bras autour d'Hayden montrait à quel point il tenait à marquer son territoire auprès de Jamie. Et l'air de rien, il revenait à parler d'art. "Bonsoir, Hayden." répondit-elle tout aussi poliment, en lui adressant un regard plutôt. Hayden l'avait toujours impressionnée, ce n'était un secret pour personne. "J'ignorais que tu étais de retour à Brisbane." Sa voix n'était ni accusatrice, ni amère. Elle était neutre, ne faisant là qu'un constat. "Tu le savais ?" demanda-t-elle à Jamie, toujours d'un ton calme. Il ne méritait certainement pas qu'on lui reproche la simple présence de la brune. Pas après les efforts qu'il faisait pour tenter de sauver leur couple. En revanche, Keith semblait tout à fait partant pour mettre le feu aux poudres. "Je doute que vous vous y intéressiez réellement." fit-elle ensuite remarquer à Keith avec un regard particulièrement déçu. La désillusion était plutôt brutale. Elle se sentait bien sotte, d'avoir cru en son intérêt et sa sympathie. Il semblait aimer provoquer. Mettre du sel sur des plaies qui n'avaient peut-être pas encore fini de cicatriser. Joanne doutait que Jamie et Keith puissent s'entendre. La petite blonde trempait régulièrement les lèvres dans sa coupe de champagne dans l'espoir d'y noyer un malaise plus que palpable. Tout le monde semblait se jaugeait pour savoir quoi dire, ne pas faire de faux pas, sauf Keith, peut-être. Joanne avait plus d'une raison pour ne pas totalement vriller, bien qu'elle en serait tout à fait capable selon la direction que prendrait le reste de la soirée. Elle ne voulait pas que ses collègues soient témoins d'un fiasco, elle qui se donnait autant de mal pour ne rien laisser transparaître quand elle allait au travail tous les jours. Keith jouait la carte de la provocation. Peut-être qu'il connaissait le tempérament de feu de Jamie, qu'il cherchait à le mettre hors de lui. Mais dans quel intérêt ? Il fut un temps où un simple contact de la main pouvait l'apaiser. Elle ignorait si c'était toujours le cas mais elle voulait tenter le coup. Un geste discret au niveau de son dos quelques petites secondes, pas pour se la montrer, pas pour faire comme Keith le faisait avec Hayden. Elle désirait juste échanger un regard avec son mari, accompagné d'un sourire timide. Un de ces regards qui voulait lui assurer que tout allait bien se passer. Qu'il ne fallait pas qu'il réponde –physiquement, du moins– aux provocations de l'autre brun. Cela allait dans leur intérêt à tous, et plus particulièrement pour celui de Jamie. C'était l'une des choses qui l'inquiétait le plus à ce moment précis. La tension était palpable, étouffante. La présence d'Hayden la mettait toujours autant mal à l'aise, ce pourquoi elle devait aussi gérer ses propres émotions et c'était bien ce qu'il y avait de plus difficile à faire. La brune avait cette capacité à faire perdre à Joanne totalement ses moyens même sans qu'elle ait à dire quoi que ce soit. Pour preuve, il lui avait suffi de ne dire qu'un bonsoir des plus classiques à la petite blonde pour que l'esprit de celle-ci se pose déjà mille et une questions et avec elles des doutes, encore plus nombreux.
Le masque tombait en un claquement de doigts, le musée rempli de donateurs et mécènes se laissant oublier, englouti dans son brouhaha de conversations inintelligibles. En une seconde, un toucher, un regard, même fuyants, une bulle s’était formée. Un aparté de mots soufflés à voix basse, de lourds regrets, d’espoirs vains. Le coeur de Jamie était serré, douloureux. La liste des choses qu’il souhaitait dire était bien trop longue, et son courage trop petit. Il était fatigué, usé, mais s’il devait être honnête avec lui-même, se trouver dans la même pièce que Hayden suffisait à provoquer les douleurs inutiles qu’il mentionnait plus tôt. Il portait la marque, le tatouage, que la comédienne avait gravé en lui trois ans plus tôt ; trois années qui n’avaient pas suffi à faire d’elle une connaissance d’une autre vie. Et il n’était pas certain, l’anglais, de s’en être si bien sorti sans elle tout ce temps. Souvent doutait-il de ses capacités à être le capitaine de son existence tant ses décisions le menait dans le mur. Si Hayden avait été là, aurait-elle été sa raison, sa conscience ? « Quand je te regarde, je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qui aurait pu se passer, si j’avais tenu bon un peu plus longtemps. Tu comprends maintenant, pourquoi c’était plus facile de prétendre que plus rien ne nous liait vraiment ? » La gorge du brun l'étouffait doucement. Elle savait mettre en mots ce qu’il n’osait dire, ce qu’il se permettait à peine de penser. Ce tiraillement entre le passé, le présent, et tous les futurs possibles. La torture des “et si” qui façonnaient d’une nouvelle manière leurs vies ; la sienne, celle de Joanne, celle d’Hayden. Ce n’était pas nouveau pour lui qui, jeune homme, n’avait cessé de regarder par dessus son épaule vers ses drames familiaux, à se demander s’il aurait pu empêcher son frère de mourir, et tout ce qui aurait changé s’il était là. C’était en lui, cette angoisse constante, et peut-être la raison de tous ses piètres choix. “Je le sais, parce que…” j’essayais de prétendre la même chose. Sa voix disparue au moment où la silhouette de Keith se greffa à la comédienne. Il persistait à mettre sa main sur sa hanche, et dans un langage commun de lion à lion, Jamie ne lisait que trop bien dans les intentions du cavalier de la jeune femme. C’était un jeu auquel il ne jouerait pas. « Devine quoi Hayden, j’ai rencontré l’épouse de Jamie par le plus grand des hasards ! » Les yeux de Jamie s’arrondirent, puis se posèrent sur Joanne qui accompagnait en effet l’intrus. La belle blonde tombait des nues face à ces retrouvailles inopinées. “Il t’importune ?” lui demanda son mari. Car si Keith ne saurait inspirer la moindre jalousie au Keynes de part un comportement déplorable, il n’était pas question qu’il laisse passer la moindre offense auprès de sa famille au nom d’il ne savait quelle vendetta que celui-ci menait sans raison. "Tu le savais ?" demanda Joanne, d’un calme de poupée de cire à donner froid dans le dos. Si une chose était certaine, c’était que la manière dont elle prenait la nouvelle en apparence, en public, serait du tout au tout en comparaison avec le cadre privé. Jamie savait à quoi s’attendre ; il ne comptait plus le nombre de fois où ce genre de crises avait secoué le toit de leur maison. "Oui, admit-il. Nous avons déjà eu l'occasion de discuter." L’anglais restait évasif, mais il n’avait pas l’intention d’insulter l’intelligence de sa femme ou la précision avec laquelle celle-ci le connaissait en prétendant être aussi surpris qu’elle face au retour d’Hayden. Il n’avait seulement pas l’audace de confesser que leur précédente discussion avait eu lieu dans leur foyer. « Et si nous discutions à quatre, je crois qu’il y a des choses à dire non ? » lança Keith, ne recevant pour seule réponse de son opposant un regard réprobateur et un incisif ; "Rien qui vous concerne." L’anglais ne savait toujours pas pour qui cet homme se prenait, à planer au-dessus de la situation avec un avis bien à lui à propos de personnes et d’événement dont il ne savait rien mais dont il semblait prétendre avoir le droit d’y mettre un pied. L'insolence nécessaire à pareil étalage de bien-pensance outrait le brun. Et la manière dont Hayden laissait son impertinence impunie désappointait Jamie. Ne valaient-ils pas tous mieux que ce genre d’interventions irrévérencieuses ? Ne méritaient-ils pas mieux, elle, lui et Joanne ? Tandis que Keith continuait à se pavaner et manquait profondément de respect au labeur et à la passion de la conservatrice en l’utilisant comme prétexte pour ses manipulations pathétiques, Jamie bouillait de l’intérieur. « Joanne était en train de m’expliquer qu’elle tentait de comprendre l’art contemporain quand elle vous a croisé du regard… Je me disais que c’était intéressant d’en parler ensemble non ? Je suis persuadé que le sujet te passionnera Hayden. » Ce que l'indécence de cet homme méritait n’était autre qu’une initiation au cubisme sur son visage. "Qu'est-ce que vous cherchez à faire, au juste ?" demanda Jamie. Car il ne comptait pas jouer à ce petit jeu, ou le laisser continuer à parler aux femmes présentes comme si elles n’étaient que des pions dans le cadre de son grand numéro de cirque. Il était ridicule et se faisait de plus en plus méprisant. Mais quel était son but ? Insulter tout le monde ici présent ? Provoquer gratuitement, pousser les limites de la patience de chacun ? Se le permettait-il en s’appuyant sur le laxisme d’Hayden, soumise aux caprices de son cavalier comme Jamie ne l’avait jamais vue ? Qu’attendait-il de Jamie ? Ou est-ce que l’une des grandes blessures des trois autres personnes ici présentes l’amusait au point de mettre du sel sur les plaies ? « Keith, je crois que tu devrais profiter de tes leçons nouvellement acquises sur l’art contemporain pour m’en apprendre un peu plus sur les œuvres exposées ce soir. Je crains que dans ce domaine, tu n’aies pas grand-chose à leur apporter. » Elle préférait prendre la fuite, Hayden. Le regard de Jamie se posa sur le brun, non sans un écoeurement évident. “Oui, Keith. Allez donc vous pavaner ailleurs. Et essayez de ne pas embarrasser votre cavalière plus que vous ne le faites déjà. Ou vous-même." Puis il glissa sur la comédienne, emprunt de déception et d’incompréhension. "Tu vaux mieux que ça." Mais sûrement le savait-elle.
Pour quiconque observait la scène d’un œil extérieur, Hayden devait paraître bien détachée du véritable vaudeville qui se déroulait devant ses yeux. En réalité, elle sentait la situation lui glisser entre les doigts peu à peu, bien qu’il fût malgré tout hors de question de faire preuve d’un tel aveu de faiblesse. Son regard dansait d’un protagoniste à l’autre, reconnaissant aisément la méfiance dans le regard de Joanne, le défi dans celui de Keith et, bien plus douloureusement, la déception qui émanait de Jamie. Sa tentative achoppée de s’exprimer auprès de la comédienne avait visiblement entamé sa patience, mais elle savait pertinemment qu’il s’agissait du comportement de son meilleur ami qui ne faisait qu’enfoncer le clou plus profondément encore. Hayden elle-même s’était soudainement sentie dépossédée de ce qu’elle savait être le seul moment où elle avait pu rassembler suffisamment de courage pour faire preuve d’une honnêteté la plus totale avec Jamie, et comprendre qu’une telle occasion de jouer ce face à face ne se reproduirait sans doute jamais lui laissa un goût amer. Si elle avait toujours pu expliquer, voire justifier les faits et gestes de Keith par le passé, n’hésitant pas à prendre sa défense lorsque, parfois, il était résolument en tort, la comédienne se retrouvait pourtant aussi démunie face à de telles paroles que le restant de ses interlocuteurs. Hayden avait toujours détesté que quiconque puisse s’octroyer le pouvoir de prendre une quelconque décision à sa place, et l’ancien lieutenant ne pouvait définitivement pas ignorer que toute cette tragédie lui avait laissé suffisamment de blessures pour ne pas les considérer comme des pions sur un échiquier. Prise de court, la comédienne n’eut aucunement l’occasion de répliquer à l’échange qui prit rapidement place entre Jamie et son épouse, et l’inquiétude teintée de jalousie qu’elle sentait poindre dans le ton de sa voix et dans les regards échangés la conforta dans l’idée qu’il ne valait mieux pas s’étendre sur le sujet pour le moment. Elle releva discrètement l’intention de Jamie d’être totalement honnête avec Joanne, et se contenta de hocher poliment la tête en signe d’accord lorsqu’il fut exprimé qu’ils avaient eu l’occasion de se croiser au préalable. La suite de cette discussion ne la concernait nullement, mais Hayden devina aisément que dans l’intimité de la fin de soirée, ce détail finirait par être longuement débattu.
La dernière remarque de Jamie claqua dans l’air, sortant soudainement la comédienne de sa torpeur. La certitude que Keith avait largement dépassé les limites du respect en piétinant des années de cicatrisations douloureuses avait doucement creusé son sillon dans son esprit, mais l’entendre de la bouche de l’ancien rédacteur en chef qui ne prodiguait aucun effort pour dissimuler sa désillusion acheva de la percuter de plein fouet. Elle ouvrit la bouche pour s’exprimer, mais se retrouva de nouveau coupée par son meilleur ami qui, visiblement, n’était pas décidé à rendre les armes sans égratigner au mieux l’ensemble de ses adversaires – et celle qui, pourtant, était supposée être son alliée. Les paroles de Keith se muèrent en un bourdonnement désagréable à ses oreilles, et Hayden se demanda pour la troisième fois de la soirée qui était au juste l’individu qui se trouvait en face d’elle. Son comportement et ses paroles ne formaient aucune cohérence dans son esprit, et la comédienne avait la sensation de se retrouver en compagnie d’un parfait inconnu. Elle n’avait jamais vu son meilleur ami se comporter de la sorte, et si les remarques au sujet des erreurs d’Hayden par le passé étaient toujours restées suffisamment bon enfant jusqu’à maintenant, il lui sembla désormais que chacune de ses remarques déplacées étaient teintées d’une cruauté qu’elle n’avait jusqu’alors jamais entendu sortir de sa bouche auparavant. Se sentant prise au piège, ne parvenant plus à cacher que la situation échappait à sa compréhension la plus pure, la comédienne se dégagea du bras de Keith, déchiffrant un peu tard que ce qu’elle avait pris pour une marque de soutien n’était qu’un moyen supplémentaire de venir marquer son territoire. Et jamais, jamais personne ne s’était servie d’elle pour remporter un combat de coqs auparavant. « Tu as fini de t’amuser ? » La voix emplie de colère froide ne tremblait pas. Elle ne pouvait plus accepter d’entendre un seul discours sur les prétendues infidélités de Jamie ; pas de la bouche de Keith, qui savait pertinemment à quel point elle avait pu souffrir de les entendre par le passé. Pas en face de Joanne qu'elle savait fragile et que si sa propension à s'accrocher à ce qui lui semblait être de la fumée lui échappait, cela avait au moins le mérite de prouver sa ténacité. Car avancer un tel mensonge revenait à la cataloguer en une briseuse de ménage sans foi ni loi, et Hayden était bien trop fatiguée pour continuer d’accepter que quiconque continue à danser sur le cadavre d’une relation qui avait été bien plus qu’une simple passade dont elle devrait avoir honte. Venant de Keith, la trahison était d’autant plus mordante. « Je ne sais pas à quoi tu joues ce soir, mais j’espère que tu as conscience d’avoir largement dépassé les limites. Présente-leur des excuses. » Hayden, elle, ne s’était pas éloignée. Elle attendait patiemment à l’endroit où l’ancien lieutenant venait de la quitter pour quelques mètres seulement, lui signifiant d’un regard que son petit jeu prenait fin ici et maintenant. « Et ne t’inquiètes pas pour celles que je mérite ; je ne suis définitivement pas prête à les entendre ce soir. » En amitié comme en amour, la comédienne ne s’était auparavant jamais sentie aussi stupide d’avoir cru bon s’embarrasser de sentiments. Et l’appel de Londres, quant à lui, en profita pour redoubler d’une ardeur certaine.
Ce n'était pas faute d'espérer qu'il ne serait plus aussi secret. Aux yeux de son épouse, Jamie avait toutes les cartes en main pour prouver sa bonne foi et sa volonté de sauver leur couple et leur famille. Elle aurait bien voulu lui demander de lui promettre de ne plus rien lui cacher, préférant jouer cartes sur table et savoir plus ou moins à quoi s'attendre plutôt que d'être prise sur le fait accompli. Mais il semblerait que mentir par omission était la stratégie adoptée par Jamie quant au retour d'Hayden sur le sol australien. Keith s'immisça théâtralement et peu poliment dans la conversation des deux bruns. Malgré la tension régnante au sein du couple, Jamie tint à s'assurer que la compagnie d'Hayden n'ait pas dérangé son épouse outre mesure. "Il m'a fait croire qu'il était intéressé par le vernissage." Et qu'il était quelqu'un de gentil, abordable, prêt à écouter les explications d'une vraie passionnée. Elle secoua négativement la tête, se sentant bien bête de s'être faite dupée à ce point. "Et je me suis faite avoir." Certains savaient bien tirer profit de sa naïveté, certains estimaient l'utiliser pour son bien, d'autres pouvaient en abuser bien plus s'ils le voulaient. Au-delà de l'attitude déplorable de Keith, c'était surtout la présence d'Hayden qui la laissait interdite. Le sentiment d'être à nouveau face à son némésis inonda l'esprit de la jeune femme en un simple regard. Elle savait qu'Hayden faisait chavirer le coeur de Jamie, elle savait qu'elle représentait tout ce que Joanne n'était pas. Au moins Jamie n'avait-il pas eu l'affront de totalement mentir à son épouse, mais celle-ci n'était pas dupe. "Je suppose que c'était totalement optionnel de m'informer de son retour." lui répondit-elle en calmement, lui adressant un regard froid. Ce n'était pas comme s'ils avaient un passif commun tous les trois, qu'il y avait encore des squelettes dans le placard. Keith en rajouta une couche, jugeant qu'il s'agissait du bon lieu et du bon moment pour percer l'abcès. Jamie lui coupa court ses espoirs en lui rappelant qu'il n'était en rien mêlé au triangle amoureux que Joanne, Hayden et lui avaient formé. La petite blonde dévisagea Keith lorsqu'il prétendait faire de belles intentions par le biais de la conservatrice et de ses connaissances (limitées malgré tout) en art contemporain. A croire qu'il le faisait exprès. Irrité, Jamie cherchait à savoir ce qu'il cherchait vraiment à faire, tandis qu'Hayden restait dubitative face au comportement de son ami. Même elle ne semblait pas y comprendre grand chose, surtout avec un retournement tout aussi inattendu que dénué de sens. "Alors pourquoi êtes-vous venu me parler ?" lui demanda-t-elle, restant aussi calme qu'elle le pouvait, alors qu'elle était bien agacé par l'ensemble de la situation. "Vous vous présentez à moi, vous tentiez de me faire du charme, pour finalement m'attirer jusqu'ici ?" Tous les éléments étaient là pour faire croire que toute cette mascarade était plus que préméditée. Les lèvres pincées, Joanne tentait de contrôler au mieux ses émotions. Il disait penser qu'il n'y avait plus aucune raison de croire qu'il y avait encore quelques tensions au sein du trio. "Eh bien, vous vous trompiez." fit-elle remarquer. Du moins, pour une Joanne face à une Hayden aussi rayonnante qu'elle pouvait l'être, c'était bel et bien le cas. Encore beaucoup trop d'inconnus dans une supposée équation où Keith pointait du doigt de façon vicieuse ce qui n'allait pas. "Et je vous interdis d'insulter Jamie." A ce stade, et vu l'image qu'il donnait de lui-même, Keith semblait se décrire lui-même. Il devenait agressif, provocateur, comme s'il cherchait à semer la zizanie alors que ce n'était ni le bon lieu, ni le bon moment. Pas quand les projets professionnels de Joanne étaient encore en discussion. Il semblait avoir un masque différent pour chaque personne: possessif avec Hayden, agressif avec Jamie, et mielleux au possible avec Joanne. Le ton de sa voix changeait radicalement lorsqu'il passait du brun à la petite blonde. Celle-ci en fut décontenancé. "Je suis désolée, mais j'ai bien du mal à vous croire." répondit-elle calmement. Surpris qu'il puisse s'agir d'un proche d'Hayden, Jamie lui fit remarquer sa déception. Encore une fois, Keith ne râtait pas l'occasion pour soulever cette phrase et faire appel à l'hypocrisie. "Il n'a jamais été infidèle." rétorquait Joanne. Là n'était pas le centre du problèmes, et même si Joanne avait la fâcheuse tendance à se montrer jalouse même envers les relations que Jamie avait pu avoir lorsqu'ils n'étaient pas ensemble, elle savait qu'il se montrait particulièrement loyal envers sa famille. "Vous me considérez comme dommage collatéral ?" Joanne n'avait certes pas beaucoup confiance en elle, mais la résumer uniquement à un dommage collatéral était plutôt insultant.Mais par son simple commentaire, Keith ne manquait pas de soulever qu'il y avait un temps où Jamie n'avait pas su choisir et Hayden et Joanne et ce souvenir ravivait des douleurs que Joanne avait enfin réussi à oublier. "Ce n'est certainement pas à vous de dire ou de décider quand est-ce que nous allons avoir une conversation, ou même si nous devrions en avoir une. Ca ne vous concerne pas." Hayden le fit rapidement remettre les pieds sur Terre avec un ton glacial. Joanne l'avait regardée parlée avec un air presque reconnaissant. Elle ne s'attendait certainement pas à ce qu'elle aille dans son sens et ne cherche pas à faire davantage de vagues. Par la même occasion, Joanne saisit une nouvelle flûte de champagne qui était posé sur le plateau d'un des serveurs qui passait juste à côté d'elle. Elle en avait bien besoin. Attendre avec impatience l'approbation de ses supérieurs générait déjà suffisamment de stress, tout comme l'instabilité de son couple avec Jamie. Indéniablement, Hayden s'ajoutait sur la balance et n'arrangeait rien du tout. Joanne était déjà persuadée qu'elle était revenu pour Jamie, ignorant cependant la raison précise. Sinon, pourquoi aurait-elle pris la peine de revenir à Brisbane alors qu'elle n'avait qu'à poursuivre sa carrière brillante à Londres ? Du moins, des quelques échos qu'elle avait pu avoir, Joanne avait supposé que la brune réussissait suffisamment dans sa vie pour avoir l'idée saugrenue de revenir dans l'autre bout du monde. Et Jamie, avait-il encore des sentiments pour elle ? Des dizaines de questions se bousculaient dans sa tête, mais ce n'était pas vraiment le bon endroit pour en discuter. Trop de risque d'éclats de voix et de larmes. Elle les avait vu parlé, elle avait entraperçu leur proximité physique; largement de quoi ruminer. Fermant les yeux quelques secondes, Joanne prit une profonde inspiration dans l'espoir de se détendre un petit peu. "Qu'est-ce qui t'amène à Brisbane, Hayden ?" finit-elle par demander avec un ton aimable, sans aucune accusation. Peut-être qu'elle était de retour car elle avait une opportunité professionnelle qu'elle ne pouvait pas manquer. Peut-être qu'elle revenait uniquement pour Jamie. Au lieu de se regarder en chien de faïence jusqu'à ce que le temps ne passe, autant parler de banalités. L'on n'apprécierait pas qu'une des employées du musée quitte de si tôt un tel événement, pourtant ce n'était pas l'envie qui manquait. Elle voulait des explications de la part de Jamie, s'éloigner des provocations constantes de Keith et du charme inévitable d'Hayden, qui dénuait totalement Joanne de sa confiance en elle. Elle observait ensuite Jamie quelques secondes. S'il la savait de retour, était-ce pour elle qu'il désirait tant venir au vernissage ? Plongée dans le doute, Joanne ne savait que penser. "Ca fait combien de temps que tu es revenue ?" Histoire qu'elle se fasse une petite idée du nombre de fois où Jamie et elle avaient déjà eu l'occasion de discuter, et depuis combien de temps, accessoirement, son cher et tendre lui avait caché ce fait là. Dans tous les cas, elle n'avait l'impression que d'être pour une idiote depuis le début de la soirée.
Le regard bleu de Joanne faisait d’elle un livre ouvert aux yeux d’un Jamie qui avait appris, avec les années, à lire en elle selon son éclat. Car il pouvait s’illuminer et arracher un sourire à n’importe qui, aussi bien que son iris était capable d’une froideur implacable -et c’était cette lueur-là que l’anglais redoutait plus que tout. Il avait déçu son épouse plusieurs fois, il savait comment cela se concrétisait, et ce fut exactement ce qu’il vit en elle lorsqu’il admit avoir revu Hayden avant le soir en question. "Je suppose que c'était totalement optionnel de m'informer de son retour." rétorquait-elle, et bien que son mari voulait croire qu’elle était plus contrariée par le comportement de Keith que par ses cachoteries, il avait également conscience qu’une conversation déplaisante se profilait une fois de retour chez eux. “Disons que les prédispositions n’étaient jamais bonnes et que celles-ci le sont encore moins.” En somme, le moment était fort mal choisi pour lui faire une scène. Son honnêteté méritait mieux que ce genre d’embarras, notamment devant un homme qui s’était visiblement en tête de lui nuire. Le plus perturbant fut de le voir soudainement nier du tout au tout ; les sourires mesquins et le ton mielleux de ses paroles sournoises avant disparu en un claquement de doigts au profit d’une moue de chien battu dès lors que le couple Keynes perçait à jour ses manoeuvres manipulatrices. Visiblement, l’homme n’en avait pas assez dans le pantalon pour assumer jusqu’au bout ses intentions et préférait virer de bord en prétextant que celles-ci étaient le fruit de l’imagination de l’anglais. Mais il n’avait pas rêvé ses accents d’ironie et de provocation, il l’avait vu mettre de l’huile sur le feu intentionnellement. Et voyant que les flammes n’attaquaient que lui, il retournait sa veste. Plus d’une fois, Jamie serra les dents. Il se ravalait toutes les insultes qui lui passaient par la tête et lui brûlaient les lèvres. Face à pareil cas, un véritable sociopathe d’après le brun, il était inutile de se battre ; Keith changerait de ton et d’histoire à chaque fois dans le seul espoir d’avoir le beau rôle. Personne n’était dupe. « Quel magnifique conseil, osait-il à nouveau intervenir tandis que Jamie s’apprêtait à les laisser aux conversations que l’homme s’imaginait pouvoir exiger d’Hayden. Venant de votre part, je ne suis pas sûr qu’il vaille grand-chose… Je peux juste vous certifier qu’elle vaut bien mieux que d’être un second choix dans la vie d’un mari infidèle… A vous de vous situer. » Le regard de l’anglais se planta dans celui de la comédienne. Etaient-ce là le genre de mensonges dont elle berçait son entourage ? Qu’elle avait été son amante ? Que leur histoire avait eu lieu dans le dos de Joanne ? Parmi le bon nombre d’erreurs qu’il avait commises ces dernières années, jamais n’avait-il fait l’affront à l’une des deux femmes de les tromper. Au moins Joanne le savait. “Il n'a jamais été infidèle." rétorquait-elle à sa place, pendant que lui demeurait muet. S’il savait à quoi s’en tenir au sujet du cavalier d’Hayden, le comportement de celle-ci, en revanche, était un mystère. Déçu, il n’en attendait plus rien -et ce fût sûrement pour cette raison que son intervention tardive dans la joute verbale le surprit autant qu’elle le réconforta. « Je ne sais pas à quoi tu joues ce soir, mais j’espère que tu as conscience d’avoir largement dépassé les limites. Présente-leur des excuses. Et ne t’inquiètes pas pour celles que je mérite ; je ne suis définitivement pas prête à les entendre ce soir. » Keith venait de perdre tout crédit, et s’il l’avait pu, Jamie aurait ri. “Ne vous fatiguez pas, fit-il, non pas qu’il eut la naïveté de croire que l’homme accepterait pareil coup dans son orgueil. Vous avez fait tous les dégâts que vous vouliez faire et des excuses forcées ne changeront rien à ça. Espérez juste que nos chemins ne se recroisent jamais.” La menace était à peine voilée. Si le cadre lui avait permis de jouer des poings pour apprendre à Keith quelle était sa place, nul doute que l’échange aurait dépassé les seuls mots depuis longtemps. Comme il l’avait prévenu, sa patience connaissait de fines frontières, de faibles limites. Il ne laissait pas les problèmes lui voler son temps et son énergie aussi longtemps. "Qu'est-ce qui t'amène à Brisbane, Hayden ? Ca fait combien de temps que tu es revenue ?" lançait Joanne, sûrement pour assainir l’atmosphère, l’air devenu frelaté par les manigances. Néanmoins, il était clair que ni Jamie ni Hayden n’avaient envie que cette dernière réponde à ces questions, ce pourquoi l’anglais se tourna vers sa femme avant que la comédienne ne puisse articuler le moindre mot pouvant les incriminer -ni le moindre mensonge au potentiel effet boule de neige. “Joanne, je crois qu’il vaut mieux que nous partions, simplement. Nous prétexterons que tu étais fatiguée ou pas dans ton assiette.” Elle ne l’était plus vraiment depuis qu’elle avait vu Hayden dans la salle de toute manière. Pouvaient-ils chacun aller de leur côté, s’éviter et prétendre passer du bon temps malgré tout ? C’était une comédie à laquelle le Keynes ne souhaitait pas se prêter. “Rentrons à la maison.” suggérait-il, avec cette pointe de fermeté dans la voix qui laissait supposer qu’en réalité, Joanne n’avait pas vraiment le choix. Quitte à avancer le moment des explications de plusieurs heures, Jamie préférait tourner les talons et quitter le musée. Personne, ici présent, n’était prêt à une plus longue cohabitation dans le même espace.
Les doutes de Joanne s’étaient immiscés dans la conversation sans qu’Hayden ne soit en mesure de faire quoique ce soit pour les empêcher, ni même les limiter. La comédienne n’avait jamais prévu de discuter des raisons de son retour avec elle, en premier lieu, et la surprise qu’elle avait ressenti en entendant Keith décider de cette option à sa place avait rapidement laissé place à une colère froide. L’ancien lieutenant n’ignorait aucun détail du lourd passif qui les liaient tous les trois, et Hayden n’était pas assez naïve pour croire qu’il ne tentait pas de jouer sur les doutes de Joanne pour mettre le feu aux poudres. Car la femme de Jamie avait bien évidemment toutes les raisons de se méfier du retour de la comédienne en Australie, et cette dernière devait bien avouer qu’elle avait presque raison sur toute la ligne. Pour autant, il n’avait jamais été question d’en faire l’étalage, ni même de se montrer à la vue de tous pour retourner le couteau dans la plaie. Hayden estimait que son entretien avec Jamie avait clôt un chapitre et, bien qu’elle ne fût pas satisfaite de cette fin ouverte sans réponses aux questions qui la tourmentait toujours, elle n’avait jamais eu en tête de pousser le vice jusqu’à foncer dans le mur qui s’offrait à elle. La réaction du jeune homme à sa tentative maladroite d’explications avait été suffisamment claire pour qu’Hayden comprenne qu’il ne souhaitait nullement renouer avec de quelconques sentiments enfouis et, bien qu’un tel constat la peinât, les choses auraient pu s’arrêter là. Elles auraient dû s’arrêter là, si seulement Keith n’avait pas cru bon retourner sa veste et faire voler en éclats des années de tentatives de deuil et d’essais de politesse exacerbée pour que les antagonistes puissent demeurer dans la même pièce sans que l’atmosphère devienne tout à fait écrasante. La comédienne eu soudainement énormément de peine pour Joanne qui tentait tant bien que mal de donner le change, et commença à imaginer des réponses honnêtes qui ne déclencheraient pas un énième scandale qui, Hayden le savait, aurait trop fait plaisir à un Keith jubilant à ses côtés. Mais au même instant, Jamie la coupa dans son opportunité de répondre aux questions faussement désintéressées de Joanne, et la comédienne ne sut pas immédiatement si elle devait le remercier intérieurement ou se sentir blessée de voir qu’il ne lui faisait visiblement pas suffisamment confiance pour la laisser prendre le risque d’aggraver les choses. Considérant que l’entièreté de cette soirée représentait d’ores et déjà un fiasco sans précédent et qu’il était inutile d’ajouter du sel sur les blessures, Hayden ne dit rien de plus, se contentant d’adresser un sourire poli à Joanne, comme pour appuyer les dires de Jamie. Ce dernier semblait suffisamment dans de beaux draps pour avoir omis de prévenir sa femme du retour de la comédienne à Brisbane ; le reproche qui lui avait été adressé avait été à peine dissimulé.
Les choses auraient dû s’arrêter là, donc, mais c’était sans compter sur Keith qui, lui, n’avait aucune intention de laisser les choses à l’état de simple joute verbale. Le bouquet final se déroula comme dans un rêve, tant et si bien qu’Hayden en ressortit persuadée que la scène continuerait à se jouer derrière ses paupières bien après que le gala ne s’achève. Dans ses derniers retranchements, et pliant sous le coup d’une humiliation que la jeune femme ne regrettait nullement de lui faire subir tant l’égo du professeur menaçait d’englober la pièce entière, Keith acheva de sortir de ses gonds, oscillant entre menaces et tentatives de blesser Hayden, sans se soucier une seconde que cette dernière fut bien trop détachée de ce qui tenait plus d’un parfait inconnu que de son meilleur ami pour s’en soucier pleinement. Elle en était à s’interroger sur la signification d’un tel changement de comportement, quand la ligne rouge fut franchie. Horrifiée, la jeune femme ne parvint pas à détacher ses yeux des fines gouttelettes d’alcool qui se répandaient sur le sol, ne parvenant pas très bien à saisir comment ils avaient pu en arriver là. Mais Hayden, vive d’esprit, n’eut pas le loisir de s’étendre bien longtemps sur le sujet : les regards extérieurs devenaient indiscrets tandis que les murmures autour d’eux grossissaient déjà, et elle savait qu’il ne s’agissait que d’une question de temps avant que quiconque n’ait l’idée de filmer la scène et de la faire atterrir sur les réseaux sociaux. Elle pensa à Jamie qui peinait à se remettre de son erreur impardonnable, à Joanne dont elle n’avait certes jamais compris l’acharnement au sujet de son couple mais qui n’avait rien demandé, et à sa propre carrière qui l’attendait à l’autre bout du monde et qui n’avait souffert d’aucun remous jusqu’alors. Pour autant, le pouls battant, Hayden n’hésita pas une seconde et imita parfaitement le geste effectué par Keith quelques secondes plus tôt, se saisissant du même verre d’alcool qui termina sa course au visage de l’ancien lieutenant. C’était donc ça, le genre de moment que l’on lisait dans les livres, ceux-là même qu’elle interprétait si souvent sur les planches. Cet instant où tout bascule, et où l’on sait qu’au fond, plus rien ne sera jamais pareil. Ces dates charnières où il était hors de question de prendre le temps de laisser l’adrénaline quitter ses veines, de peur de croiser dans un regard tout ce qui était perdu à jamais, et tout ce qui finirait irrémédiablement par nous manquer un jour ou l’autre. « C’est pour te remettre les idées en place. » Le contact des clés de voiture dans sa main avait réveillé la parole d’Hayden, qui s’était exprimée d’une voix blanche. Pour la première fois depuis le début de la soirée, la comédienne était d’accord avec Keith sur un point : toute cette situation lui avait déclenché une nausée certaine, et il était hors de question qu’elle s’impose cette farce plus longtemps. La comédienne envoya les clés achever de se noyer dans le fond de whisky qui n’avait pas éclaboussé le visage de son meilleur ami, flottant provisoirement à la surface, avant de se noyer en même temps que leur amitié. « Je rentre. Mais sans toi. » Elle reposa le verre sur le plateau porté par un serveur médusé, avant de se tourner brièvement vers le couple Keynes. « Je suis sincèrement désolée pour tout ce qui vient de se passer. N’hésite pas à me faire parvenir la note du pressing, Jamie. En vous souhaitant une meilleure fin de soirée que son début. » La sincérité désabusée dont faisait preuve Hayden ne trompait personne. Ce soir-là, la comédienne ne tourna pas seulement les talons sur une amitié, un ancien amant ou une femme qui aurait pu être une amie proche, dans une autre vie. Non, ce soir-là, Hayden fit ses adieux à bien plus grand ; un monde dont elle avait mis autant de temps à créer qu’à se convaincre qu’elle pouvait en tenir les rennes et auquel elle venait d’assister, impuissante, à l’effondrement.