La trotteuse de l'horloge sur le mur égraine ses secondes dont chaque mouvement paraît résonner dans mon crâne. Je suis présent mais en même temps absent, à écouter ce "tac, tac" régulier.

-Tiens donc, Flawkes! Vous êtes toujours là.

Je pose mon index sur la balle de 9 mm que je faisais rouler de gauche à droite sur le dossier ouvert, l'observant une fraction de seconde avant de lever les yeux vers le commissaire Parker, qui se trouve juste devant mon bureau. C'est un homme de grande taille, à la barbe bien taillée et au regard profondément accusateur.

-Je commençais à croire qu'on vous avait greffé au stand de tir...à part dépenser les cartouches de la brigade, vous n'avez rien fait de très productif ces derniers jours.

Je n'ai pas envie de rentrer dans les détails, de l'écouter. J'entends le son de sa voix autour de moi mais, inconsciemment, j'ai fermé les écoutilles, je ne comprends même pas ce qu'il me raconte. Mes retrouvailles avec Claire demeuraient ancrées dans ma mémoire, dans ma tête. Je ne m'attendais pas à ce que tout se passe comme sur des roulettes, mais là...j'avais été droit au carnage. J'avais eu peur de la retrouver, parce que je l'aimais, sincèrement, et maintenant...huit ans à croire qu'elle ressentait peut-être la même chose pour se rendre compte que ce n'était pas le cas, et en plus, elle ne voulait même plus me voir.

Laisser le temps...ce sont les mots qu'elle avait utilisés mais je n'en croyais rien. On ne pourrait rien récupérer, même en laissant le temps passer, au contraire...trop de distance s'était mise entre nous, et attendre ne ferait que figer nos retrouvailles sanglantes dans la glace.
Je devais faire mon deuil, deuil de mon premier véritable amour, deuil de la plus belle amitié que je n'aurais jamais...peu importait les détails, au final, j'avais merdé sur toute la ligne. Et ça, ça me minait, mais grave.

-C'est compris Flawkes?

J'acquiesce sans même savoir ce que Parker me veut. Il aime jouer les chefs autoritaires, grand bien lui fasse, au moins, en acceptant, il me foutrait certainement la paix. Je regarde sa silhouette s'éloigner, et, sans même ressentir quelque chose, je hausse les épaules. Brisbane me débecte déjà, j'aurais mieux fait de rester à Perth...au moins, là-bas, j'y avais mes habitudes. J'ouvre mon tiroir où se trouve mon arme de service. Je ramasse le chargeur pour y remettre la balle avec laquelle je jouais. Parker avait raison ; depuis cette rencontre au McDo, je passais beaucoup trop de temps au stand de tir. C'était ma façon à moi de me vider l'esprit, d'essayer d'oublier Claire et surtout, la connerie dont j'avais fait preuve.
De l'autre côté de la pièce, Kyle Dornan mange un donut, recouvert de sucre, le regard fixé sur son écran d'ordinateur...ce n'était certainement pas un rapport de police sur lequel il souriait comme ça, cet imbécile devait encore être occupé à mater des filles sur Facebook et à s'assurer un taux de glycémie olympique.
Je sursaute quand mon téléphone, tranquillement posé sur le bureau vibre. Ma surprise fait sursauter Dornan qui manque d'avaler de travers. Il a du sucre partout sur lui et se lève d'un coup, histoire d'en répandre partout.

-PUTAIN Jay ! Tu fais chier, j'en ai partout !

-Sorry vieux, j'ai été surpris. Je ne m'attendais pas à ce que cette merde se mette à vibrer.

Je n'attendais pas de messages. Et j'avais coupé les notifications, qu'est-ce que c'était encore ? Comme tout le reste, mon téléphone m'énervait.

Clary

Ces cinq lettres, je les vois apparaître au-dessus de l'écran, dans l'espace de notification. Le surnom que je donnais à Claire il y a encore huit ans...je ne l'avais jamais changé, et voir ce nom réapparaître, après ce qu'il s'était passé au fast food me remplit d'une part d'excitation, mais aussi, d'une appréhension sans borne. J'avais déjà plus ou moins réussi à me convaincre que je n'entendrais plus parler d'elle, alors, recevoir un texto me laissait perplexe.
Il était court, sans ambages, simplement une invitation à la retrouver à une terrasse en ville. J'allais répondre avant de me retrouver dans la même situation que ces huit dernières années ; qu'allais-je bien pouvoir dire ?
Pourquoi voulait-elle me voir ? Me parler ? Elle m'avait déjà tout dit...me démolir verbalement ? Il me semble que j'avais déjà eu mon compte la dernière fois. Je ne la connaissais pas sadique à ce point...devais-je y aller ?

-Hey, Dornan...t'es de service jusque quelle heure ? J'ai un service à te demander.

Le centre-ville de Brisbane était une merde de circulation, je détestais cet endroit, je détestais cette ville et tout ce qu'elle m'avait offerte jusqu'ici ; c'est à dire, pas grand-chose. Heureusement, ma bonne étoile, à défaut de m'avoir servi quelques jours plus tôt, se décide enfin à briller pour moi en m'offrant une place de parking pas trop loin de ma destination.
La foule est dense, les gens sont de sortie pour profiter du temps agréable. Je regarde ma montre distraitement, une magnifique Rolex Submariner de contrefaçon à 150 dollars qu'un de mes indics de Perth m'avait trouvé. Je l'aimais bien, mais le prix de l'original était une vaste blague, comment une montre pouvait-elle coûter aussi chère qu'une voiture ?
Je suis juste à l'heure, j'ai au moins réussi à ne pas être en retard, déjà que je ne suis pas dans ses bonnes grâces...il aurait pas fallu en remettre une couche. Mon coeur bat plus vite dans ma poitrine lorsque j'aperçois Claire, seule à une table. Elle m'attend déjà.

Allez, Jayden, calme-toi, calme-toi, ça ne peut pas plus mal se passer que la dernière fois. Tu ne sais pas faire pire.

Je me glisse entre différentes tables jusqu'à atteindre celle de Claire. Je n'entends presque plus que mon coeur qui bat, j'ai l'impression d'avoir couru un marathon, juste pour approcher de cette table.
Signe du malaise entre nous, j'hésite un instant, je ne sais pas comment la saluer.

-Hey, salut Claire...je...j'ai été étonné de recevoir ton message...comment tu...vas ?

J'aimerais dire qu'elle était rayonnante, pétillante et souriante comme elle l'était toujours dans mes souvenirs mais là, son expression...elle paraissait être en vrac, fracassée. De toute évidence, quelque chose n'allait pas, mais je n'étais vraiment, mais vraiment pas décidé à poser des questions. Notre dernière discussion m'avait bien fait comprendre que je n'étais pas en position de m'ingérer dans sa vie, et je comptais bien ne pas me faire prendre en défaut là-dessus.
Tel un vautour attiré par sa proie, le serveur me saute quasiment dessus avant même que je puisse toucher la chaise.

-Ah...ouais...euh, un verre d'eau, c'est bon merci.

Je laisse le serveur s'en aller alors que je m'assieds, sentant entre nous un certain malaise.

-Tu...voulais me voir ?

Je sens que je n'arrive pas à cesser de bouger ma jambe, je suis nerveux, encore plus que lorsque je suis en mission. Intérieurement, je me prépare déjà à passer un sale quart d'heure. Le visage de Claire ne me permettait pas de savoir si j'étais le problème ou si c'était autre chose. Discrètement, je respire profondément, pour essayer de rester le plus naturel possible, ravi que la foule ambiante fasse assez de bruits pour me donner l'illusion de camoufler mes expressions d'incertitude quant à ce qui allait se passer.

Entendre la voix de Claire me fout encore un électrochoc, me remémorant notre rencontre quelques jours auparavant. Cependant, j'avoue que je m'attendais à plus de méfiance et d'agressivité dans sa voix.
Elle paraît d'un calme que rien ne semble vraiment perturber, mais Clary, je la connais depuis que nous sommes haut comme trois pommes, même si les années se sont installées entre nous, je n'ai pas besoin de chercher bien loin pour me douter qu'intérieurement, elle n'est pas aussi sereine qu'elle ne le laisse paraître et surtout, qu'elle ne va pas très bien. Cependant, il en faudra plus pour me pousser à risquer de sortir de ma réserve et risquer de me prendre une remarque cinglante.

Le serveur réapparait, un peu comme s'il était super saiyen et venait de se téléporter juste à côté de moi. Le verre, il me le dépose devant moi avec l'amabilité réservée à ceux qui ne leur apporteront aucun bénéfice avec leur consommation. Je le regarde en haussant un sourcil alors que déjà, il vogue vers d'autres clients qui seront plus propices à ses affaires.

- Sérieusement ? Le service est quand même merdique aujourd'hui...sans parler que j'avais demandé un verre, pas une piscine olympique. Il y a moyen de noyer quelqu'un avec la quantité qu'il m'a tapé sous le nez.

Je prononce ces mots pour moi, en me taisant rapidement afin d'éviter que Claire ne les entende et ne m'en tienne peut-être rigueur. Claire commence à parler, je l'écoute, attentivement. Je ne lui montre pas mais son absence d'agressivité me laisse perplexe, je décide de demeurer prudent, et surtout impassible, même si ce qu'elle me dit me soulève le coeur, me touche et me donne envie de la prendre dans mes bras. Elle me tend la main, si elle savait à quel point je m'étais imaginé ne jamais la voir le faire.
Ma main droite effleure mon verre sur lequel la condensation de l'eau froide forme des coulées liquides. Je laisse quelques secondes s'écouler, comme si je réfléchissais, alors qu'en réalité, j'essayais de choisir les bons mots. Je n'ai pas voulu réagir pendant qu'elle parlait, par prudence, et politesse, les choses étaient déjà assez tendues avec Claire pour risquer d'encore dire quelque chose de travers, le moment était à l'apaisement, je ne comptais pas y aller contre.

-Beaucoup de choses ont été dites au McDo...tes mots m'ont fait très mal Claire...plus que tu ne peux l'imaginer. Moi aussi, j'ai bien réfléchi à tout ça...tout ce que tu m'as dit et reproché au McDo...pour la toute grande partie, c'était justifié. Même si je ne pouvais pas te parler comme je l'aurais voulu, j'aurais dû trouver un moyen quelconque...tu m'as fait mal, mais c'était à la hauteur de ce que je t'avais infligé...alors, sache que je ne t'en veux pas pour ça.

Nerveusement, je prends une gorgée d'eau, j'ai soudainement si soif. Brûlant entre excitation d'un sauvetage inespéré et entre le stress de prononcer les mauvais mots.

-Qu'on le veuille ou non, nous nous connaissons mieux que personne...nous avons grandi ensemble, vécu ensemble, pour mes parents, tu étais comme leur fille...je...je ne voulais pas balayer dix-huit années comme ça...même si, en t'écoutant, j'ai compris que je le méritais peut-être. Tu as rejeté mes tentatives d'aller vers toi sur ce parking, alors, pour être sincère, je ne m'attendais pas à ce que tu m'envoies un message. J'essayais même de me résoudre à l'inéluctable.

Je ne sais pas comment, mais je sens une tristesse en elle que je n'aime pas. Je mentirais si je niais ma curiosité sur ce qui avait pu se passer dans sa vie pour la pousser à réévaluer notre relation. C'était une aubaine pour moi, mais seulement pour moi...mais je n'avais pas l'intention de la questionner, je n'étais pas en droit de le faire.

-J'ignore pourquoi, tu as tout remis en perspective. Comme je te l'ai dit, je suis prêt à t'écouter quand tu en auras envie...mais là, tu me demandes si je veux recoller les morceaux entre nous ? Ai-je vraiment besoin de te répondre ? Tu connais déjà la réponse, du moins j'espère...

Contre ma hanche, je sens le holster de mon arme de service, j'esquisse un sourire en repensant à quel point j'avais été con la dernière fois. Jayden Flawkes, vingt-six ans de connerie...
Je lève mes yeux en direction de ceux de Claire, je souris doucement.

-Merci Clary...merci pour ton message...

J'aurais voulu trouver plus de mots, lui dire à quel point j'avais envie de repartir sur de bonnes bases, de faire de nous, un duo unique, au lien puissant, à l'amitié si forte que nos parents s'en étaient amusés. Mais je connaissais Claire, et Claire était intègre, sincère. Nous ne pouvions pas repartir sur des mensonges, et je ne le voulais pas. Notre reconstruction se passerait sur une amitié dénuée de mensonges, pavée de sincérité et de respect.
Autant mettre les choses à plat tout de suite alors...

-Mais...il serait normal que tu aies besoin de quelque chose pour prouver ma sincérité, je me trompe ?

Les tables autour de nous se remplissent au fur et à mesure que les gens commencent à sortir, Brisbane prenait lentement une nouvelle dimension.
Pour la première fois depuis huit ans, j'aperçois ce sourire, si doux, si chaleureux, que je lui connaissais si bien. Le visage de Claire se superpose une fraction de seconde à celui de l'adolescente de mes souvenirs. Je sens quelque chose en moi se réchauffer en le voyant...et c'est en l'observant là, discrètement, que je réalise à quel point ma meilleure amie m'avait manqué. Comment avais-je pu réussir à demeurer si longtemps sans elle...et en plus de réaliser cela, je comprends à quel point j'avais été cruel avec elle en lui imposant un silence radio pendant huit longues années.

«  Je sais ... Il y a des choses qui ont dépassé ma pensée mais je t'en voulais tellement de ce silence. J'ai eu l'impression d'être abandonnée, sans raison. «

Alors qu'elle prononce ces mots, je me souviens ; si Claire détestait une chose, c'était l'abandon...une tâche sur son passé, une blessure qui a laissé des cicatrices et que j'avais écorchées involontairement. J'avais été égoïste, c'était la vérité, en ne réalisant pas ce que je faisais endurer à la personne la plus importante pour moi. Je ne peux rien répondre à cela sans encore m'excuser, ce qu'elle finirait par me reprocher, de toujours m'excuser. Claire avait raison, le passé était le passé et s'excuser ne changerait rien du tout, seul compterait ce que je ferai ou dirai à l'avenir. Je ne pourrais jamais trouver les mots pour lui dire à quel point je lui suis reconnaissant de m'offrir une occasion de réparer le mal que j'ai fait...d'autant plus que je sais que moi, personnellement, je n'aurais pas su le faire...vraiment, Claire était une personne en or.

«  Je n'ai pas compris tes tentatives, j'ai l'impression que tu me reprochais ce que tu avais fait toi, ça a été la goutte de trop »

Je soupire doucement en l'entendant dire cela. Nous voulons reprendre depuis le début, en repartant sur des fondations saines, je dois pouvoir accepter ce qu'elle me dit, et avouer lorsque je suis en tort.

-Je sentais que je te perdais Claire, j'essayais de garder pied et tu me connais...je ne suis pas spécialement doué pour ça. Alors c'est vrai, je n'ai pas eu le courage d'assumer entièrement mes torts à ce moment-là...et il est fort probable que je me sois montré injuste envers toi.

Je détourne le regard. Je n'ai pas toujours facile à reconnaître quand je me trompe, c'est un de mes principaux défauts, je ne supporte pas de ne pas être à la hauteur. J'ai alors tendance à faire preuve de mauvaise foi, mais quand la personne en face de moi s'appelle Claire Michaelson, j'ai cette tendance à fuir le contact, à refuser le combat. C'était ainsi depuis notre enfance, depuis qu'elle était devenue la seule à pouvoir me stopper lors de mes accès de colère. Heureusement, elle ne s'attarde pas trop sur le sujet, levant une partie du voile sur les raisons qui l'ont poussées à reprendre contact avec moi.

«  Et bien ... Disons que se perdre en forêt et penser qu'on va se faire manger par un lapin tueur peut aider, beaucoup même. Et aussi ... un ami proche a eu un accident de moto ... Et tellement d'autres choses «

Je ne peux pas cacher une réaction de surprise en entendant ce qui semblait être une histoire rocambolesque à laquelle je ne comprenais pas grand-chose.

-Quoi ? perdue en forêt ? un lapin tueur ? Euh...j'avoue que tu m'as perdu là. Si c'est un vocabulaire militaire, je ne le connais pas.

Je demeure perplexe malgré mon sourire, cherchant un sens caché que je n'aurais pas compris, mais je ne m'en inquiète pas outre-mesure, elle a l'air d'aller bien, donc, c'était quelque chose dont elle n'avait peut-être pas envie de parler. Inutile d'insister pour entrer dans sa vie, le forcing n'était pas une solution dans ma position. N'avais-je pas promis de la laisser me parler quand l'envie lui prendrait ?
Je me permets néanmoins d'ajouter ;

-Sincèrement désolé d'apprendre pour ton ami...j'espère que ce n'est pas trop grave et qu'il s'en remettra vite...la moto, ça peut faire de sacrés dégâts...

Je lui accorde un sourire compatissant. Dans la vie, les choses sont déjà assez difficiles ainsi, alors, je lui souhaitais sincèrement de pouvoir retrouver son ami en un seul morceau au plus vite.

«  Comment ça ? Si je suis revenue vers toi, c'est car je veux qu'on récupère de la confiance l'un envers l'autre, que notre amitié renaisse mais te demander une preuve non ... Le temps, la communication feront les choses. Mais tu m'intrigues, tu pensais à quoi ? «

Cette fois, je souris plus franchement, elle vient de poser son coude sur la table, tête posée dans sa main, dans un geste qu'elle a depuis toute petite. Plus le temps passe et plus l'atmosphère se détend, me permettant de redécouvrir tous ces petits détails qui faisaient que Claire était Claire. J'aurais tellement pouvoir avoir la même innocence, mais mes habitudes d'antan, j'en ai perdu beaucoup, abandonné toutes traces qui permettraient à mes cibles de me retrouver. J'avais délaissé ma meilleure amie, ma famille et je m'étais rejeté moi-même, reniant ce qui avait été moins durant dix-huit ans.

-Oh...rien de spécial. En fait, j'étais prêt à entendre tes conditions, ou je ne sais pas, une idée loufoque que tu aurais voulu m'imposer...mais je te préviens, je ne fais pas le tour de Brisbane à poil en pleine heure de pointe. Malheureusement, je ne peux pas t'accorder cette faveur.

Je rigole, bois une gorgée d'eau et je sens cette autre nervosité en moi...concernant ce que j'avais pu laisser transparaître concernant la nuit du bal de promo. Je pourrais nier l'histoire mais je sais que ce que Claire veut, c'est la franchise. Si je comprends bien ce qu'elle veut, c'est reconstruire quelque chose, entre nous, alors, je lui dois au moins ça, de ne pas laisser ce tabou entre nous, un silence qui risquerait de nous miner alors que nous voulions repartir sur des bases solides. Parce que même si je ne lui ai pas avoué quoique ce soit, je ne sais pas jusqu'où j'ai laissé transparaître mes sentiments, et Claire est une fille futée, pas du genre à ne pas apercevoir des signaux qui brillent comme des phares dans la nuit.
Malgré ma volonté de prudence, je décide d'oser un pas en avant, en toute honnêteté, avec les risques que cela implique. Je sais que je repars un moment en terrain miné, mais je veux cette fois, m'assurer qu'il soit déminé une bonne fois pour toute, pour ne pas avoir de mauvaises surprises plus tard.

Bon...autant en finir tout de suite, histoire d'en être débarrassé une bonne fois pour toute.  

-Clary...je...je...

Les mots ne viennent pas. Je veux jouer carte sur table, être honnête avec elle pour lui expliquer, mais je n'arrive pas à éteindre les voyants rouges qui clignotent dans mon esprit. J'ai peur de faire une grosse connerie, de ranimer un feu de forêt. Je ne souhaitais pas jouer au pyromane, pas avec elle. Je fais un geste de la main, comme pour balayer ce que j'allais dire.

-Non, rien, oublie...j'allais encore dire une belle connerie...

Je me mords la lèvre, à cet instant, je me déteste, je me hais d'avoir peur de marcher dans une zone dangereuse, mais notre lien est trop fragile pour que j'accepte de prendre le risque d'aborder un sujet aussi sensible.

-Tiens, j'y pense, je songe un de ces jours passer à Toowomba voir mes parents. Ca te dirait de venir avec moi ? Je suis sûre qu'ils seraient heureux de te revoir. T'imagines bien ma mère, elle va être toute folle à l'idée de te revoir, elle t'adore.

Les vannes étaient ouvertes, les paroles s'écoulaient et Claire semblait garder sa bonne humeur, mieux, même, elle retrouvait toutes les couleurs que je lui avais connu pendant toutes ces années. L'espace d'un instant, j'avoue avoir même eu l'impression que nos huit années de séparation n'avaient jamais existé. Bien sûr, ce n'était qu'une impression, un moment fugace mais qui me fit réaliser que ce que nous avions bâti existait encore, certes, c'était un édifice qui avait besoin d'une remise à neuf, mais qui existait encore, là où je ne voyais que des ruines.
Cela faisait huit ans que je n'avais plus senti cette connexion, cette impression de bien être avec quelqu'un. A quel point m'étais-je perdu ?

En parlant de se perdre, je ne peux qu'esquisser un sourire en entendant Claire me raconter sa balade dans la forêt. C'était bien son genre de se perdre alors qu'elle ne faisait qu'une simple balade, et se retrouver sous un orage de surcroît...à croire que rien n'avait changé depuis l'époque où parfois, je la croyais avoir un abonnement avec la poisse.

-Ca ne m'étonne pas de toi...et un lapin tueur...ahahaha...t'as toujours trouvé des idées bizarres dans ces cas-là. Mais je suis vraiment content que tu t'en sois sortie en un seul morceau. Je crois que je n'aurais jamais pu me pardonner nos "retrouvailles" si j'avais appris que tu étais morte dans une forêt, dévorée par les écureuils...ou des lapins tueurs. Alors, désolé si ça a été une mauvaise expérience pour toi, mais, je dois remercier ta malchance de m'avoir donné la possibilité d'être là, aujourd'hui, à parler avec toi. Si tu veux, on ira un jour à la chasse au lapin tueur, histoire de lui montrer qui commande par ici. Ca te dit?

Je la taquinais mais j'étais sincèrement content que cette histoire se soit bien terminée et de l'opportunité que cette mésaventure avait créée pour moi. Si j'avais imaginé qu'elle n'allait pas fort bien lorsque j'étais arrivé à cette terrasse, je devais admettre que ça allait mieux, que nous semblions trouver un rythme de croisière qui devait nous rassurer tous les deux.

-«  Il est sorti d'affaires, du moins, physiquement mais il est pas bien du tout. J'ai peur qu'il fasse une connerie ... Il est mon binôme de musique. Je t'en avais parlé un peu après mon départ ... Avant que ... Enfin que les messages ne cessent. »

Oui, je me souvenais vaguement qu'elle m'en ait parlé dans ces messages, et je me rappelle avoir même pensé à cet instant qu'elle avait trouvé quelqu'un qui me remplacerait et qu'elle m'oublierait. C'était une simple jalousie, un sentiment d'angoisse et de peur qui m'avait presque poussé à répondre, à prendre des risques inconsidérés simplement parce que j'avais peur qu'elle ne m'oublie. Avec notre discussion, nos retrouvailles et maintenant, je prenais un peu de recul et réalisait à quel point tant de choses avaient été mal faites...c'était presque un miracle qu'on puisse encore se parler après tout cela.

-Je m'en souviens...tu m'en avais parlé, mais j'avoue avoir oublié son nom...mais s'il s'en est sorti physiquement, c'est déjà ça...après, si comme tu dis, c'est un bon ami, alors il ne fera pas de connerie. Parce que vous êtes un binôme musical et que tu es une personne adorable Claire, et personne sain d'esprit n'aurait envie de t'abandonner après t'avoir eu dans sa vie...oui, ceux qui t'ont abandonné sont des crétins et des idiots...

Et presque dans un murmure, j'ajoute :

-Et moi aussi...

Je relève la tête vers elle, un sourire sur les lèvres.

-Si tu as besoin de quoique ce soit pour t'aider à soutenir ton ami, tu peux me demander.

La conversation s'allège encore quand je l'entends rire doucement. Je lui ai dit refuser de faire le tour de Brisbane à poil en pleine heure de pointe mais je sais que si elle m'avait dit que notre amitié dépendait d'un défi dans le genre, j'aurais été capable de le faire...je tenais tellement à elle que j'en avais l'impression d'étouffer.
C'est à ce moment que j'ai failli aborder ce point délicat qui traînait quelque part entre nous. Je me lance, puis, je recule, devant une phrase inutile, qui briserait l'instant fragile, de nos retrouvailles (*).
Alors, avec une infinie tendresse, elle pose sa main sur la mienne, comme elle le faisait quand je ne me sentais pas bien.

«  Tu sais que tu peux tout me dire Jayden. Vraiment tout. Je veux qu'on se dise tout à partir de maintenant d'accord ? Enfin tout, t'as compris quoi «

Ces paroles, elles me font du bien, j'ai l'impression de retrouver ma meilleure amie, de retrouver une part importante de mon coeur. J'essaie de détourner la conversation avec une visite chez mes parents, ce qu'elle refuse à cause de son frère.

-D'accord, pas de soucis, de toute manière, tu seras toujours la bienvenue chez nous, tu le sais. A toute heure du jour ou de la nuit, que ce soit mes parents ou moi, tu trouveras toujours la porte ouverte pour toi.

Je laisse un silence flotter mais, la peau tiède de la main de Clary me pousse à parler, me rappelle que les choses ne s'amélioreront pas si je persiste à laisser cette ombre entre nous. Je retourne ma main pour attraper la sienne, la caressant doucement de mes doigts. Je prends une profonde respiration pour repousser l'appréhension qui nait en moi. Allez, il suffit de se lancer, de faire preuve d'honnêteté, afin que les choses soient claires, et que ma meilleure amie ne passe pas sa vie à se demander si je n'ai pas un but caché.

- Ecoute Claire...pour ne rien laisser pourrir entre nous...je dois te dire, pour être franc, que je persiste à penser, pour ma part, que la nuit du bal de promo n'était pas une erreur...peut-être à cette époque, y a-t-il eu, ou peut-être pas, quelque chose...peut-être que si je n'étais pas parti, toi et moi, nous aurions fini par ressentir la même chose...Quoiqu'il en soit, j'ai compris, là-bas, sur le parking, que si jamais il devait y avoir eu quelque chose entre nous, ces sentiments sont restés derrière, à nos dix-huit ans.

Je regarde par-delà la terrasse, deux filles qui marchent avec un mec qui tourne autour d'elle en faisant des figures avec sa trottinette. Je veux en terminer le plus vite possible avant qu'elle n'ait l'envie éventuelle de me balancer son soda à la figure. Plus les secondes défilaient et plus je regrettais d'avoir abordé ce sujet.

-Je n'ai pas besoin de te dire ce que je ressens pour toi, tu t'en doutes déjà. J'ai réfléchi ces derniers jours...ces sentiments, tu ne les partageras pas avec moi, du moins, pas de la même manière, alors, je me suis dit...que je devais les utiliser plus intelligemment.

Cette fois, je regarde directement Claire, sans ambages, sans détours, je veux capter son regard, m'y fixer pour qu'elle puisse ressentir ce que je veux lui dire.

-Après nos "retrouvailles", je n'espérais même plus que tu me tendes la main. Tu as rejeté mes tentatives d'aller vers toi et je cherchais à me résoudre à l'inéluctable. Cette fois, tu fais un pas vers moi, alors, laisse-moi te dire que, je ne ferai plus la même erreur. J'utiliserai tout ce que je ressens pour toi, afin que toi et moi, nous ressortions encore plus fort de tout ça. Je ne pourrais pas t'aimer comme un homme aime une femme, mais je peux t'aimer comme un frère aime sa soeur. Parce que, si dans ce monde, il y a une personne qui pourrait endosser ce rôle pour moi, ce serait toi.

A cet instant, j'espère avoir pu lui faire comprendre ma décision de ne pas laisser interférer mes sentiments et d'en faire une force, de les muer en une énergie qui créera entre nous un lien que je veillerai à rendre indestructible. Il n'était plus question pour moi de lutter contre ce qu'elle pourrait ressentir pour un autre. Je ne veux pas courir droit à un suicide relationnel, mais si je ne peux pas concourir sur ce terrain, je peux lui offrir autre chose, quelque chose de tellement important...Je voulais devenir pour elle ce qu'elle avait été pour moi durant mes vingt-six ans de vie ; un phare dans la nuit noire, une pensée à laquelle se raccrocher lorsque tout allait mal.
C'était l'ultime sommet auquel je pouvais aspirer, et cela représentait tout pour moi. Je voulais reprendre la place que j'avais occupé pendant ces dix-huit ans.

-Tu comprends ? Je te promets que désormais, je serai toujours là pour toi...si tu le veux.

Mon coeur bat la chamade alors que je pose cette dernière question. Je me sens comme un joueur de poker qui vient d'abattre son jeu, et qui attend de voir s'il gagne la partie ou bien s'il perd tout.

J'observe l'eau dans mon verre, fixement, comme si j'allais réussir à la faire bouger par ma simple pensée. Etre là, discuter tout simplement avec Claire me fait un bien fou, réveille en moi une sensation de bien-être que je n'avais plus connue depuis des années. C'est dingue comme on s'habitue vite à oublier de jolies choses pour les remplacer par d'autres qui nous satisfont alors qu'elles ne sont que de vagues copies de ce qu'on ressentait auparavant.
J'ai une réelle chance de retrouver ma meilleure amie et j'ai l'impression que l'horizon devant moi s'éclaircit tant ça me fait plaisir. J'essaie tant bien que mal de le cacher, je n'ai jamais être un livre ouvert pour Claire, car elle est celle qui peut lire en moi le plus facilement, et ça lui permet de deviner beaucoup de choses me concernant.
Je souris en l'entendant me dire qu'elle était certaine d'avoir risqué de se faire bouffer. Elle disait ça, mais Clary était tellement adorable que j'étais convaincu que ce foutu lapin tueur n'aurait pas pu se retenir de lui faire un énorme câlin.

-Pétillante comme tu es, je suis certain que ce lapin t'aurait regardé avec admiration. Tu ne t'es pas demandée s'il ne voulait pas faire de toi la divinité des lapins tueurs ? Te connaissant, tu aurais été capable de t'en faire une armée...tu te rappelles quand tu es entrée dans l'équipe des cheerleaders ? C'est un peu la même chose, ce n'était qu'une bande de sales garces et toi, tu as mis tout le monde d'accord en un claquement de doigts. Faut pas croire, t'es douée tu sais. Sa majesté Claire des lapins tueurs.

J'éclate de rire en l'imaginant sur un trône, entourée de lapins qui la vénèrent. Il y avait si longtemps que nous n'avions pas rigolé tous les deux ensembles que je sens mon coeur louper un battement. Bon sang, qu'est-ce qu'elle m'avait manqué.

La conversation dévie alors que j'ai l'occasion de lui expliquer un peu ce que je compte faire de mes sentiments. Je voulais vraiment qu'elle sache que je ne chercherais pas à interférer dans sa vie amoureuse, que je ne tenterai pas de coup foireux, parce qu'elle est ma meilleure amie, et parce que je l'adore, il m'est tout à fait normal de respecter son couple et l'homme qu'elle aime. Si elle se décide à me le présenter un jour, je ferai ce que je peux pour bien m'entendre avec lui, pour que le bonheur de Claire soit complet, pour qu'elle puisse avoir son amoureux et son meilleur ami dans le même camp, avec elle. Il resterait juste à voir comment lui m'accepterait.  

«  Je suis désolée sincèrement de t'avoir dit que c'était une erreur ... C'est juste que oui tu as bien compris que je n'ai pas pris ce moment comme toi ... Je t'ai toujours vu comme mon meilleur ami et non autre chose. Tu es beau, adorable et tout mais ça se contrôle pas j'ai envie de dire ! Et je te remercie vraiment de respecter ça ! Et puis ma première fois, c'était bien mieux avec toi qu'un type de l'équipe de Rugby.  Hm comme quoi rien n'est défini dans la vie et la preuve je suis là devant toi et on partage un ... bon moment oui on peut le dire c'est un bon moment »
«  Ha mais je t'attache à Brisbane hein, tu bouges plus et tu me laisses plus jamais ! J'ai besoin de mon meilleur moi »

Cette fois, je ne peux pas empêcher le sourire ému qui me barre les lèvres. Elle ne peut pas imaginer à quel point ses paroles me touchent et me font plaisir. En retour, je serre ses mains dans les miennes.

-Promis Claire, je ne te laisse plus, je serai toujours là pour toi, peu importe quand t'auras besoin...et j'aurais été déçu si t'avais vécu ta première fois avec cet enfoiré de Brad Harper, en effet. Mais surtout...merci, vraiment, merci d'être ma meilleure amie, tu es vraiment géniale...Claire. Je ne m'attendais pas à passer un aussi bon moment quand j'ai reçu ton message, te parler comme ça, ça réveille tellement de bons souvenirs...faut qu'on se fasse un ciné d'ailleurs, comme à l'époque, y a sûrement plein de chouettes trucs qui sont sortis dernièrement !

J'essaie de calmer un peu mon enthousiasme avant de prendre une expression plus neutre.

-Tu as l'air d'avoir eu des moments très difficiles ces derniers temps...Sache juste que si t'as besoin d'en parler, tu sais où me trouver. Je ne suis peut-être pas le mieux placé pour juger, mais je peux t'apporter un regard extérieur sur la situation si jamais tu en as besoin. En échange, je n'ai qu'un service à te demander. Je n'ai pas encore eu l'occasion de faire le tour des endroits branchés de Brisbane. Je compte sur toi pour me faire la visite du propriétaire à l'occasion.

Cette fois, mon visage affiche une expression de comploteur, plus taquine.

-Si j'ai bien su lire entre les lignes...ce Ash...hein ? Ce ne serait pas l'élu de ton coeur ? Tu devrais te voir...rien que la manière dont tu prononces son nom, on dirait que tu fonds comme une glace au soleil.

Je souris un peu plus en serrant ses mains doucement. J'ai l'impression de la sentir bouillonner rien qu'en imaginant ce qu'elle vit avec lui, ça lui donne un côté tellement craquant que je dois refreiner une envie de lui faire le plus énorme hug de la galaxie.

-Et je t'ai rarement entendue parler d'un de tes copains avec autant d'amour dans la voix...t'es clairement amoureuse toi. J'espère qu'il te le rend bien, parce que tu es une très belle personne, alors tu mérites de vivre une belle histoire. S'il te rend heureuse, alors je serai heureux moi aussi. Allez, dis-moi tout.

Je n'avais pas vraiment besoin de sa confirmation pour sentir que ce Ash qu'elle avait mentionné plus tôt était quelqu'un qui pouvait créer en elle toute une gamme d'émotions, positives ou négatives, faisant de lui quelqu'un d'important. Peut-être que j'aurais dû me sentir un peu triste et c'est vrai, je n'allais pas mentir en disant que je n'ai pas eu un pincement au coeur, mais surtout, j'avais décidé de m'effacer pour occuper une autre place dans sa vie, alors, j'étais surtout heureux qu'elle ait pu trouver quelqu'un qui la fasse vivre des émotions si fortes que ça s'entendait dans la manière qu'elle avait d'effleurer son prénom.
J'étais peut-être redevenu son meilleur ami, et c'est tout ce qui m'importait.  

Peut-être était-ce parce que tout semblait se dérouler comme si jamais rien ne s'était passé, mais le ciel me parut plus lumineux tout à coup, comme si le voile opaque qui collait au ciel depuis mon arrivée à Brisbane s'était déchiré. Certains étaient prêts à payer des sommes colossales pour espérer rajeunir, et moi, simple Australien moyen, je venais d'en découvrir la formule. Chaque mimique, chaque mouvement de tête, chaque sourire de Claire me rappelaient des souvenirs que je pensais avoir oublié. A quelques détails près, j'aurais pu nous resituer en 2012.  
Bordel que j'étais heureux.
Heureux de l'entendre rire alors qu'on se remémorait l'équipe de rugby de Toowoomba, là où j'avais fait mes plus beaux exploits...sportifs et extra-sportifs.

-Le pire, c'est que t'étais tellement douée comme cheerleader...je ne t'ai jamais parlé de tous les litres de testostérone que t'as fait couler dans le vestiaire, ahahaha. Tu étais vraiment incroyable quand tu dansais, on en a marqué des points grâce à toi...mais une chose est certaine, aucun de ces types ne te méritait. Ce n'étaient que des animaux, contrôlés par des instincts primaires qui n'auraient jamais pu comprendre la véritable beauté en toi...au-delà de ton physique. Et Brad Harper était...et est certainement encore...ce qu'il a toujours été...mais je me suis déjà demandé ce qu'il était devenu.

«  Brad est égal à beuuuurk ! Pareillement tu sais, je ne regrette pas du tout de t'avoir fait ce message. Tu es de nouveau le Jayden que j'ai connu et ça fait un bien fou.. »

Je souris, détourne même un peu la tête pour cacher à quel point elle me touche en disant cela.

-Tu sais, c'est seulement aujourd'hui, là maintenant, que je réalise à quel point tu m'as manqué, bien plus que tout ce que j'aurais pu imaginer. J'ai réussi, sans m'en rendre compte, à vivre dans un monde si sombre pendant si longtemps, que ton sourire, tes rires, c'est comme si je redécouvrais toutes ces choses que j'avais oubliées. Nous nous sommes à peine réconciliés et déjà, tu as un tel effet bénéfique sur moi...tu es vraiment incroyable Claire...je ne sais pas si je trouverai un jour quelque chose de plus précieux que notre amitié...

«  On va dire que la vie n'a pas été simple en effet mais c'est occupé de s'arranger. Enfin je fais tout pour du moins. Ah oui dans le lot, je ne travaille plus au McDo, je me suis fait virée pour un stupide retard. Et compte sur moi pour te faire visiter les meilleurs endroits! »

Je redeviens sérieux en entendant qu'elle a perdu son job. Elle me dit qu'elle me fera visiter les chouettes coins de Brisbane et je serre un peu plus ses doigts dans mes mains.

-Merde...un simple retard ? C'est dur là...t'as empoisonné personne que je sache, ce n'est pas une faute grave d'être en retard de cinq minutes, l'avenir du monde n'en dépendait pas non plus...Tu as toujours été brillante, alors, même si ça payait les factures, ça aurait été du gâchis de te voir faire ça encore pendant des années, finalement, c'est peut-être une opportunité pour toi. Tu sais déjà ce que tu vas faire ?...en tout cas, compte sur moi si t'as besoin d'aide ou de quelque chose, d'accord ? Je veux que tu n'aies pas d'hésitations, si t'as besoin de moi, je serai là, je peux t'aider.

«  Par où commencer ... Je l'ai rencontré via une amie un soir où je jouais du violon au Canvas. On a fait connaissance et nous sommes devenus amis. On s'est tournée autour pendant pas mal de temps avant d'enfin ouvrir nos coeurs. Le premier dont je suis tombée amoureuse ... Mais j'avais peur de sa réputation de tombeur et du coup, j'ai préféré cacher notre relation. Un soir, ça a été de trop ... Il est parti. Mon frère lui a dit des atrocités pendant que je n'étais pas là ... Ca aurait du s'arranger ... A la place j'ai passé un peu plus de 8 mois à pleurer son absence. Une petite voix me disait de garder confiance. Et elle avait raison, on s'est revu au parc ... Il était alors en couple ... Mais l'amour qu'il me portait était toujours présent. Donc malgré les complications, oui, nous sommes de nouveau ensemble et cette fois-ci hors de question que je le cache ... C'était une erreur la première fois et je la regrette amèrement. «

Je peux presque sentir les papillons dans son ventre grâce aux trémolos involontaires de sa voix. Si je pensais savoir ce qu'était une fille amoureuse, je venais d'en voir l'évolution supérieure, elle était limite accro, ce qui me fait sourire. L'histoire semble complexe et je lui suis reconnaissant de me la résumer pour me permettre d'avoir une vue d'ensemble sur la situation. On y découvre tous les éléments des films romantiques et le happy ending qui va avec. Certes, certaines choses sont plus tristes, notamment pour celle qui était en couple avec Ash au moment de ses retrouvailles avec Claire, mais c'était le lot de toute belle histoire. Si la fin est belle, elle ne l'est que parce que des personnages secondaires souffrent eux. Je souris en observant Clary, parfois je vois ses yeux qui s'élèvent, comme pour mieux visualiser ce qu'elle me raconte. Elle a toujours eu cette manière de raconter les histoires comme si elle les vivait en direct, elle avait une capacité à partager ses émotions qui était digne des écoles de théâtre.

-Tu sais, nous les mecs, nous sommes des êtres humains aussi, tout tombeur qu'on peut être, on finit par trouver quelqu'un qui va s'accaparer notre coeur. Certains chassent les filles comme on chasse le gibier, affichant un palmarès digne de champions olympiques, mais avant de s'en rendre compte, eux-mêmes deviennent des proies. Si Ash était un tombeur, alors, tu as dû capturer son coeur. Les coureurs ne tombent jamais deux fois dans les mêmes filets, en général...si c'est le cas, c'est que tu as gagné. Nous commettons tous des erreurs, mais malgré votre première relation et ce que ton frère a pu dire, vous vous êtes retrouvés. Il n'y a que ça qui compte. Si c'est l'homme que tu aimes, alors je suis content que tu aies pu t'attirer son amour en retour, surtout s'il était compliqué à accrocher. Tu peux être fière de toi, profite en pleinement. On ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve alors, croque la vie à pleines dents...enfin, je crois que ma grand-mère disait un truc du genre. Ahahahah
J'espère que j'aurai l'honneur de le rencontrer un jour...mais en tout cas, là, il te rend particulièrement heureuse...tant mieux. Et si jamais ça devait mal se passer, dis-le-moi, je t'aiderai à réparer ce qu'il y aura à réparer. J'irai le trouver pour le secouer en lui rappelant quelle personne magnifique il a la chance de pouvoir aimer.

Puis, j'entends la dernière phrase de Claire, ces mots qui me disent que moi aussi, je trouverai ma moitié un jour. Je soupire légèrement en faisant rapidement un retour en arrière sur ma vie sentimentale.

-Je l'espère Claire, vraiment...j'aimerai avoir cette chance, mais tu sais, quand j'étais à la police, à Perth, j'ai côtoyé des personnes toxiques, j'ai vécu au milieu de gens nocifs qui ont altérés beaucoup de choses chez moi. Et puis, tu connais ma personnalité n'est-ce pas ? Je me suis un peu assagi sur la colère...et j'ai cru, à un moment...connaître le grand amour. Ce n'est qu'en te revoyant là, sur ce parking, que j'ai réalisé à quel point c'était un amour tordu.

Je me demande un moment si je dois aborder l'affaire un peu plus en détails. J'hésite mais en face de moi, c'est Claire, ma meilleure amie, si je ne lui en parle pas, alors je n'en parlerai jamais à personne. Si quelqu'un peut l'entendre, c'est bien elle.

-Elle...elle s'appelait Elena...elle était comme moi, volcanique, impétueuse, fonceuse...elle était mariée à l'adrénaline et quand nous nous sommes trouvés...j'ai cru...j'y ai cru...Tu te souviens, quand j'ai sorti mon arme sur le parking, que tu as eu peur, c'est là que j'ai réalisé que ne pas avoir peur d'une arme était anormal. La première fois que...qu'elle et moi nous avons couché ensemble...j'étais attaché à une chaise, elle, à califourchon au-dessus de moi, le canon d'une arme chargée appuyé en permanence contre mon cou...elle était comme ça, à aimer jouer avec le feu, quitte à se recouvrir d'essence avant...

Et ce n'était pas le pire...mais ça, je n'allais pas le raconter à Claire. Je souris faiblement avant de lâcher la main droite de Clary pour pouvoir utiliser ma main gauche et pointer un endroit au milieu de ma poitrine.

-C'est ici, qu'elle m'a logé une balle quand elle a compris ce que j'étais...les médecins m'ont dit que dix centimètres plus à droite, je n'aurais même plus été là pour te parler...quant à ça...

Je désigne la cicatrice sur mon cou, cette balafre que ma meilleure amie avait déjà pu voir sur le parking de son ancien travail.

-Je la dois à son père quand il a compris que je n'étais pas autre chose qu'un flic. Lui aussi a manqué de peu d'en finir avec moi. Tu vois Claire...ma vie sentimentale n'est pas basée sur le romantisme "conventionnel"...pour être honnête, je ne peux même pas prétendre que faire l'amour avec un flingue sur la tête ne porte pas son lot d'excitation...mais ce n'est pas vraiment la conception classique de l'affection tu vois...A part me trouver une criminelle, je risque d'avoir du mal à rencontrer le grand amour.

J'éclate de rire devant ce constat qui finalement était bien loin de celui que j'avais pu espérer des années plus tôt, alors que j'étais encore adolescent.  

Oh punaise, je reconnais à cet instant avoir un mal de chien à me retenir de rire quand j'entends Claire me dire que Brad Harper, le capitaine de l'équipe de rugby, l'ivrogne notoire de la promo et prince des after qui finissent en orgies, a terminé comme pêcheur. C'est clairement à mille lieues de l'image du gendre idéal qu'il se donnait à l'époque, lui qui se voyait déjà au sommet des actualités sportives australiennes.

-Comme quoi, je ne suis pas le seul à avoir loupé ma carrière dans le rugby. Dans le fond, ce n'est pas plus mal, j'aurais eu du mal à voir l'équipe d'Australie se faire humilier au niveau international à cause d'un abruti comme lui. Il sprintait bien mais tactiquement, une table de ping pong devait avoir les mêmes compétences que lui. Cependant, beaucoup de filles le trouvait séduisant, mais bon, toi, t'étais trop intelligente pour lui, je suis certain qu'il n'aurait même pas été capable de te regarder dans les yeux sans loucher ailleurs, si tu vois ce que je veux dire. Il a toujours été un exemple de délicatesse...

«  Bien c'était pas 10 minutes ! C'était le lendemain de la forêt et j'étais tellement fatiguée que je me suis réveillée à 11h alors que je devais être au boulot à 8h. Mais en huit ans c'était mon premier retard. Enfin tout façon comme tu dis, c'est sûrement pas plus mal. Mon temps à cet endroit était révolu. Je trouverais bien autre chose. Merci de me proposer mais je t'assure qu'il vaut mieux pas me mettre une arme entre les mains. Tu sais comment je suis maladroite. J'irais me tuer toute seule rien qu'en salle de tir. »

-Ah oui...c'était trois heures, mais ça ne change rien au fait que c'est un peu abusif comme réaction. Surtout après ce que tu avais vécu la veille...seule en forêt, perdue...je trouve qu'ils auraient dû faire preuve d'un peu d'humanité quand même.

Je reste pensif un moment, laissant libre court à mon imagination. Dans mon esprit se déroule la scène de Claire, une arme à la main qui part en vrille dans une scène digne d'un western.

-Je ne pense pas que tu irais te tuer...mais je reconnais que tu arriverais à buter le mec à côté de toi malgré la plaque métallique qui vous séparerait. Tu arriverais encore à faire appliquer une théorie loufoque de balistique qui concluerait que tu avais plus de chance de te faire dévorer par une crevette de l'espace que de réussir ce tir, mais tu l'aurais fait. Tout compte fait, tu as peut-être raison, laisse tomber les armes, mais si jamais tu veux une place administrative, je peux toujours essayer de me renseigner.

Claire appelle le serveur pour une seconde tournée. Je vide le reste de ma piscine d'eau au moment où l'homme s'avance, l'air mauvais en me regardant. Il s'attend à ce que je fasse preuve de la même austérité que lors de la première commande. Pas de chance pour lui, j'avais été sage pour la première tournée en attendant de voir comment les choses se passeraient avec Claire, cette fois, je pouvais me détendre un peu, tout se déroulait au mieux.

-Vous pouvez me mettre une Foster ? ...Oui ? Et s'il vous plait, format normal d'accord ? Je n'ai pas l'intention de faire de la plongée en apnée dans mon verre. Merci.

Je sens que ma bonne humeur atteint un point rarement atteint ces huit dernières années et ça me fait vraiment du bien. Clary me dit qu'elle compte bien me présenter Ash. C'est une bonne chose, j'avoue que j'éprouvais une certaine curiosité à l'idée de rencontrer l'homme de sa vie.

«  Hmmm ... Oui tu as peut-être raison ! En tout cas, compte sur moi pour ne pas le lâcher ! Et bien sur que je compte te le présenter. J'espère que vous allez vous entendre. Ce serait parfait. »

Je souris à Claire, une expression la plus tendre possible sur mon visage.

-Sache que de mon côté, je ferai tout ce que je peux pour m'entendre avec lui.  J'aimerais vraiment aussi pouvoir m'entendre avec Ash, histoire qu'on puisse s'amuser tous les trois et partager de chouettes trucs, se faire des souvenirs tous ensemble, comme ça, on pourra s'en faire à deux, toi et moi, et aussi avec Ash. Je suis certain qu'on ferait une bonne équipe.

Plus qu'à croiser les doigts pour que Ash ait la même envie que moi. Et même s'il devait être désagréable, j'avais dit à Claire que je ferais ce que je pourrais pour m'entendre avec lui, et j'avais bien l'intention de le faire. Pouvoir m'entendre avec son amoureux serait certainement un beau cadeau que je lui ferai, et elle le méritait plus qu'un peu.
Alors je commence à lui raconter ce que je n'ai normalement pas vraiment le droit de lui raconter, une partie de ce que j'ai vécu avec Elena et le cartel.

«  Waaaw ... Désolée de te dire ça mais c'était hyper malsain comme truc. Et du coup, t'étais en couverture si j'ai bien compris ? Mais tu aurais pu te faire tuer »

La réaction de Claire dépasse tout ce que j'aurais pu imaginer. Elle a toujours eu le coeur sur la main avec les personnes qu'elle aimait. Clary l'a toujours été pour moi, si bien que je n'avais pas relevé à quel point sa gentillesse était rafraichissante. Jusqu'à présent, je ne lui avais pas dit ce que je faisais réellement parce que je ne voulais pas qu'elle s'inquiète et je ne veux pas qu'elle s'inquiète à l'avenir.

-Oui, j'ai infiltré ce...groupe pendant trois ans...trois ans à vivre, à respirer et manger avec eux...j'ai été amené à faire des trucs moches pour gagner leur confiance, je suis passé plusieurs fois tout près de me faire descendre, mais jamais aussi près que le jour où j'ai eu droit à ces souvenirs...A vrai dire, selon les statistiques, je n'aurais pas dû être là devant toi aujourd'hui. Mais bon, les statistiques et moi, on n'est pas copains, alors, elles ne pouvaient pas me tuer.

Je plisse les yeux alors que Claire se lève, je me demande pendant une seconde si j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas, je redoute une gifle avant qu'elle ne me prenne dans ses bras et se serre contre moi. Je peux sentir le parfum de ses cheveux, différent de celui de mes souvenirs, de ce jour de septembre, mais pourtant, tout aussi rassurant. J'hésite un moment avant de lui rendre son étreinte. Ce contact physique avec ma meilleure amie me ramène si violemment en arrière que je pense une seconde ne pas pouvoir retenir mes larmes de bonheur avant qu'elle n'en rajoute avec ces mots qui viennent s'écraser directement dans mon coeur.

«  Ne mets plus jamais ta vie en danger comme ça, promets le moi ! Je veux pas te perdre Jayden ! Je t'aime, t'es comme mon frère même plus ça. Tu es ma famille d'un autre sang »

Comment pourrais-je trouver la force de ne pas promettre ce qu'elle me demande ? Comment pourrais -je demeurer honnête alors que je sens tant de bonté et de bienveillance dans ses gestes, dans ses paroles. Je le tiens contre moi quelques secondes avant de la relâcher, avant que cela ne devienne trop gênant. Pourtant, si je suis à deux doigts de lui promettre ce qu'elle voudrait, simplement pour alléger son coeur, l'honnêteté que je veux entre nous m'oblige à me tempérer.

-Lana ne va pas aimer ce que je vais dire, mais à mes yeux, toi aussi, tu es comme ma famille Claire, mes parents t'adorent et tu as toujours été plus pour moi que le sera jamais ma soeur biologique. Ma véritable soeur, c'est toi Claire. Je crois que si tu avais été ma jumelle, on n'aurait même pas pu s'entendre mieux...Oui, tu es la jumelle que je n'ai jamais eue, Clary.  Je t'ai déjà perdue une fois, et je ne veux plus te perdre...jamais. Je te promets qu'on ne se perdra plus, que quoiqu'il arrive, je trouverai le moyen de te retrouver, même si je dois prendre des risques...malheureusement, pour ce qui est de me mettre en danger...c'est une part de mon boulot...à moins de demander ma mutation dans un autre service, je risque d'être amené à devoir recommencer des missions de ce type...j'aime l'adrénaline et tu sais, toute tordue et malsaine qu'était Elena...elle avait son charme...je crains de ne pas pouvoir te promettre de ne plus jamais être en danger...mais je te promets de tout faire pour ne pas te quitter. Jamais.

Je n'en dis pas plus, ne poursuivant pas plus loin mon raisonnement, mais j'étais convaincu d'une chose ; si notre amitié était la plus belle chose du monde à mes yeux, elle ne se terminerait pas avec ma mort, à cent ans, dans mon sommeil. J'étais un fonceur, un peu tête brûlée et les chances que tout se finisse tragiquement pour moi dépassaient toutes les autres, statistiquement parlant. Et même si j'aimais dire que je m'en battais des statistiques, je savais que je ne pourrais pas éternellement leur échapper.