« “Masquerade! Paper faces on parade . . . Masquerade! Hide your face, so the world will never find you! Masquerade! Every face a different shade . . . Masquerade! Look around - there's another mask behind you!”»
Aujourd'hui, elle en apprendrait plus. Il le fallait. Je dois tirer tout ça au clair, se dit Heïana alors qu'elle se préparait à partir de chez elle. Encore dans sa chambre à cet instant, elle sortit d'un tiroir de son bureau une photographie, qu'elle avait retrouvé quelques jours plus tôt. La brune ne serait jamais retombée dessus, si elle n'avait pas décidé de mettre leur ancienne maison - villa serait plus précise - familiale en location, et qu'elle n'était donc pas allée inspecter les lieux une fois la femme de ménage passée. Plus le temps laissait couler l'eau dans sa clepsydre, et plus Heïana réfléchissait d'ailleurs à passer la gestion des biens immobiliers qui leur appartenaient, à Moana et elle, à un professionnel. Mine de rien, cela lui bouffait un temps monstre, et si les premières années elle avait tenu à gérer ce que leurs parents leur avaient légué, maintenant la jeune femme se sentait prête à lâcher prise. En tout cas, elle ne regretta pas de ne pas avoir encore laissé la main à quelqu'un d'autre lorsqu'elle trouva ce fameux cliché. Encadré dans un pourtour de bois, il se trouvait dans le bureau paternel, en haut d'une étagère. Curieuse de voir cette photographie qu'elle n'avait jamais remarqué jusque-là, la métisse l'avait attrapé du bout des doigts, sur la pointe des pieds. Peut-être ne l'aurait-elle pas fait, si elle avait su ce qu'elle y trouverait. Ou bien l'inverse. En tout cas, il était trop tard pour y penser.
L'homme se trouvant en compagnie de son père sur la photo, Heïana l'avait tout de suite reconnu, et fait le lien. Elle eut l'impression de se prendre une baffe magistrale, à ce moment-là. Mitchell Strange. Un homme que ses parents lui avaient présenté comme un associé ponctuel, alors qu'elle était adolescente. La franco-australienne n'avait du le croiser que trois ou quatre fois en cinq ans, lorsque son père et lui s'enfermaient dans cette même pièce pour parler affaire. Une angoisse sourde, une appréhension monstre et un questionnement fou broyèrent le coeur de la Polynésienne, lorsqu'elle reconnut le personnage sur l'image. Elle eut l'impression de suffoquer, ses entrailles semblaient s'agiter furieusement en elle. Son cerveau lui sembla vriller, et ses doigts trembler. Tout simplement pour une raison: elle l'avait revu, dans un bar, il y a un an de ça, alors qu'elle était en quête de reprise de repères à leur retour à Brisbane. Elle ne l'avait pas reconnu; lui, pour sûr, avait bien compris qui elle était. Cela ne pouvait être qu'une certitude, maintenant que cette affreuse et inquiétante vérité bourdonnait dans la tête de la maïeuticienne: Mitchell s'était présenté à elle sous une fausse identité; il avait prétendu se nommer Alex. Il lui avait probablement menti sur la suite de leur conversation, ou dit seulement des pseudos-vérités. D'ailleurs, si elle ne doutait pas qu'il ait investi dans l'immobilier, Heïana se rappelait que lorsqu'elle était encore lycéenne, il possédait avant tout un restaurant, dans lequel ses parents les avaient amenées, elle et Moana, manger une fois. En fait, son père lui, y allait souvent seul, parfois avec sa femme, toujours pour parler "affaires".
Quand elle fut rentrée chez elle après cette découverte, la brune se mit en tête de retrouver le restaurant proprement dit; il s'agissait de la meilleure piste dont elle disposait, après tout. Ses recherches ne mirent pas trop longtemps à aboutir; quelques clics sur internet, et sa curiosité était assouvie. Le Club. Très clairement, elle ne comptait pas en rester là. Son intuition lui soufflait - comme ce même soir où elle avait retrouvé Mitchell en fait, mais elle l'avait fait taire, amadouée subtilement par l'homme - qu'il ne s'était clairement pas présenté sous une fausse identité par hasard. Heïana allait devoir la jouer fine, car elle ne savait absolument pas dans quoi elle s'embarquait; elle ne pouvait que ce dire que l'affaire était bien trop louche pour qu'elle vienne taper du poing sur la table en réclamant des explications. De plus, elle irait seule. Hors de question d'impliquer qui que ce soit, et surtout pas Moana. Elle lui en parlerait lorsqu'elle en saurait un peu plus, qu'elle en aurait compris un peu plus.
Finalement, une occasion de rêve survint, alors que la jeune femme scrollait sur la page Facebook du restaurant. Celui-ci proposait une initiation à de bonnes recettes de type bistrot, ainsi qu'une dégustation de vin, avec notamment présence du patron pendant ce temps, tout cela pour la modique somme de soixante dollars par personne. Voilà qui était parfait. D'autant plus qu'il n'y avait pas besoin de s'inscrire; ce serait premier arrivé, premier servi. Elle aurait donc l'occasion de croiser Mitchell, voire même de lui parler. La brune ne savait pas du tout comment s'y prendre, mais pour sûr, elle voulait se débarrasser de cette lourdeur lui pesant dans l'estomac.
Aujourd'hui, donc, était venu ce qu'elle espérait être un moment de vérité. Moana partie en examen à la fac, la jeune femme avait donc champ libre, sans avoir à justifier son absence de quelque manière que ce soit. Habillée simplement, jean, petites baskets et chemise crop-top, elle partit en direction du restaurant, la photographie traîtresse glissée dans une poche de son pantalon. Ayant pris les devants, elle fut parmi les premiers arrivés pour le cours. Un serveur les accueillit et les fit entrer dans le restaurant. Il empocha les inscriptions tarifées, et leur demanda de patienter en leur offrant un apéritif, le temps que les chefs et gérants viennent les saluer et les prendre en main. Une petite coupe de pétillant à la main, Heïana regardait autour d'elle, curieuse. La décoration avait un peu évolué depuis son dernier passage, mais rien de bien incroyable ne semblait vouloir se dévoiler... Pour l'instant.
(c) DΛNDELION
Dernière édition par Heïana Brook le Jeu 6 Aoû 2020 - 14:37, édité 1 fois
En se levant ce matin, Mitchell ne pensait pas qu’il allait devoir faire face à une vérité. Tout au long de sa vie il avait semé des mensonges, il avait menti à de nombreuses personne et était arrivé à un stade ou il ne pouvait plus énuméré ce qu’il avait raconté. Pourtant, chaque mensonge avait été prononcé pour une raison, principalement pour se protéger ou pour protéger son entreprise, mais surtout pour protéger ses actes définis d’atroce. Le mensonge faisait parti de sa vie, c’était devenu normal et il avait apprit à vivre avec. Il se regardait dans le miroir, il observait son reflet, un reflet qu’il ne reconnaissait plus. Était-ce Alex, l’homme qui avait mal tourné par amour ? Ou étais-ce Mitchell le truand qui comptait plus d’ennemie que d’amis ? Il secouait la tête, il se posait réellement la question sur son identité, ou du moins l’identité qui devait motivé sa façon d’être, mais la seule chose qu’il retenait c’était que peu importe le rôle qu’il jouait, la solitude le berçait, de jour en jour. Il comptait sur personne, mise à part son frère, son acolyte de toujours ou Raelyn qui s’éloignait de jour en jour à cause son idylle. Il était seul, tout n'était que stratégie, tout était comme une comédie et il devait jouer, maintenir le rôle qu’il occupait et ce sans faillir, sans se laisser berner par un jolie sourire, comme autrefois. Les erreurs avaient tendance à se répéter pour Mitchell, alors qu’il échappait tout juste au jeu de l’amour, il faisait face à la journaliste qui occupait son esprit de plus en plus, ayant conscience qu’il ne devait pas se faire avoir, pas encore sous peine cette fois-ci de perdre son empire. “Tu parles d’une vie de rêve !” Qu’il lançait à son propre reflet avant de lui tourner le dos et de retourner à ses occupations. Ce soir allait avoir un lieu un événement qui ne touchait en rien à la pègre, un évènement que Mitchell appelait un retour à la normale. Du vin, une initiation à la cuisine Américaine et tout ça en compagnie de son frère Alec. Tout le monde pouvait venir, pour apprendre, faire connaissance, un événement qui permettait à l'américain d’élargir la clientèle du restaurant. Il laissait toujours son frère gérer, mais y faisait toujours un saut pour discuter avec la clientèle. C’était son truc et il devait en profiter.
Il réduisait la taille de sa barbe qui devenait bien trop volumineuse et ajustait sa coiffure avant de vêtir une tenue plus ou moins élégante sans être trop sophistiqué avant de rejoindre le restaurant en fin d’après-midi. Passant quelques instant à vérifier si tout était prêt. Il trinquait avec son frère pour lancer les festivités et rejoignait la salle pour y accueillir les clients qui devaient déjà attendre. Comme à son habitude Mitchell prit la parole en premier. Observant chaque visage les uns après les autre, il s’arrêta sur un visage familier. Heïana. Que venait-elle faire ici ? Était-ce le hasard ? Il se posait la question et se rappelait en même temps que la dernière fois qu’il avait croisé son chemin, aucun danger n’était apparent. “Bonsoir à tous, bienvenue dans notre restaurant.” Qu’il commençait avec le sourire. “Ce soir nous vous offrons la possibilité de découvrir nos racines, la cuisine Américaine. Mon frère se fera un plaisir de vous dévoiler quelques uns de ses secrets (...) Je vous souhaite de passer une bonne soirée et n’hésitez pas à venir me voir si vous avez la moindre question.” Il levait son verre vers la petite foule et rejoignait le bar où il prit place afin d’avoir une meilleure vue sur la salle.
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Les deux patrons du restaurants ne se firent pas attendre. A peine les inscrits à cet après-midi découverte avaient-ils trinqué entre eux que Mitchell Strange et celui qui devait être son frère, Alec, entrèrent. La brune avait fait ses quelques recherches, qui ne se résumaient pas à une vraie investigation, mais juste assez pour savoir que si celui qui avait mentit était le boss des lieux, son frère cadet était son associé et le chef en cuisine. Il était même assez connu en tant que cuisinier, de ce que la maïeuticienne avait pu en voir sur les réseaux sociaux. De nombreuses photos prises dans ce restaurant témoignaient de la qualité de ses plats. La jeune femme observa les frères. Étaient-ils tous les deux de mèche dans l'étrange secret qu'Heïana ne parvenait même pas vraiment encore à appréhender ? Peut-être. En fonction de comment évolueraient les choses, il faudrait qu'elle tente de lui tirer les vers du nez. Lorsque le regard du patron croisa le sien, la Tahitienne lui accorda un sourire affable, cachant aussi bien que ses parents avaient pu lui apprendre (après tout, ils avaient espéré, à une époque, la voir chef d'entreprise, politicienne ou diplomate) ses véritables sentiments. Elle but une gorgée de champagne alors même qu'elle détournait les yeux pour s'intéresser aux autres participants à la soirée, l'une d'elle notamment venant de la saluer. Tant mieux, cela permettait de sauvegarder les apparences; la sociabilité naturelle de la métisse serait un atout pour cela ce soir, à ne pas en douter. Finalement, Mitchell parla et souhaita la bienvenue à tous. D'un geste commun, tous levèrent leurs verres pour le remercier, et bien débuter la soirée. L'homme se décala, et partit vers le bar, ce que la Tahitienne ne loupa pas. Autant certains n'iraient pas le voir de la soirée, autant ce ne serait pas le cas pour elle.
Mais comment la jouer fine ? Elle ne pouvait se permettre de dévoiler d'un seul coup à l'homme qu'elle avait très bien perçu son mensonge. Certains auraient considéré qu'il ne s'agissait que d'un détail, mais le coeur d'Heïana se serrait d'appréhension et d'une anxiété inexplicable à chaque fois qu'elle se rappelait que cet homme, qui avait bien connu ses parents et qu'elle avait même croisé quelques fois, lui avait sciemment menti sur son identité. Alors non, elle ne pouvait pas aller le voir et sauter vers l'inconnu. Hors de question de mettre les deux pieds dans le plat. Peut-être, si elle discutait avec lui, qu'au fur et à mesure de la discussion, elle introduirait son mensonge. Pourtant, ce ne serait pas sous une forme de reproche, sans quoi il risquerait de se braquer aussitôt. Non, l'héritière Brook devait se la jouer naïve, presque innocente... Comme elle l'était, un an plus tôt. Bien des choses avaient causé son évolution, entre-temps. Sans changer sa nature profonde, divers événements lui montraient que la vie, même lorsqu'on veut la prendre positivement, n'est pas rose, et que se méfier devient nécessité. Son agression au Candy Club, déjà. Voir Charlie, sympathique mais déboussolée gamine, jouer avec le coeur de Timothy, pour finalement le laisser seul avec deux enfants sur les bras. Simon Adams, dont le rapprochement envers elle ne pouvait être que dans un but clairement politicien. Son mariage raté avec Elwyn, qui avait mis à mal ses rêves d'adolescente, dont elle n'avait jamais trop décroché jusque-là car la brune n'avait pas eu de réelle expérience amoureuse auparavant. La disparition d'Abel de la circulation, alors qu'elle s'entendait de plus en plus avec lui. L'alcoolisme de Finnley, qui le détruisait lentement mais sûrement. Oh bien sûr, il existait mille merveilles ayant rendues l'année passée très belle, mais il n'empêchait. Enfin, la brune devenait un peu plus lucide, et moins crédule. Sa découverte du mensonge de Mitchell en avait été le point d'orgue.
Toute à ses réflexions, la Tahitienne prit quand même garde de suivre normalement le discours d'Alec, d'écouter les questions des autres et les réponses qu'il y formulait. Il proposa ensuite de scinder le groupe en deux : ceux qui voudraient mettre la main à la pâte avec lui, au fur et à mesure qu'il élaborait une recette et ceux qui voudraient simplement regarder. Avant cela, cependant, il proposa une "pause" d'une dizaine de minutes car cela faisait déjà bien une demie-heure qu'ils parlaient cuisine, ce qui lui laissait le temps aussi de ramener les ingrédients nécessaires à la recette du jour ici, au niveau de la cuisine ouverte sur la salle. Tous se dispersèrent alors en petits groupes, ici et là; certains sortirent même pour aller fumer. C'est ma chance, se dit la jeune femme. D'un pas tranquille, elle se rendit vers le bar, retrouver celui qui soulevait tant d'interrogations dans sa tête. Bonjour ! Je ne sais pas si vous vous rappelez, nous nous sommes croisés au Sixteen Antlers il y a... déjà près d'un an ! Comment allez-vous ? Elle lui accorda un sourire sympathique alors qu'elle s'asseyait sur l'un des hauts tabourets, face à lui. Pas besoin d'en dire plus pour l'instant; sa stratégie s'adapterait en fonction de celle de son adversaire. Elle avait déjà plusieurs coups d'avances, qui étaient autant d'hésitations : son faux nom, le fait qu'il lui ait dit travailler dans l'immobilier... Que de bottes secrètes qui pourraient soit l'avantager, soit la perdre. La partie d'échec était lancée, mais les masques restaient fixés.
Habituellement Mitchell n’hésitait pas à faire son numéro lors d’évènement de ce genre, en tant qu’homme d’affaire avant tout, il aimait se faire voir, mais aujourd’hui la discrétion était de mise. Méfiant, il avait campé quelques instants au bar avant d’être interpellé par quelques clients qui venaient le féliciter pour sa réussite ou pour lui soutirer quelques informations banale sur l’origine du restaurant, des conversation conventionnelle qui ne manquait pas de l’ennuyer, mais qu’il devait honorer pour garder l’image qu’il avait auprès des clients habitués du restaurant. Il jetait un oeil de temps à temps à Heiana, la fille d’un ancien partenaire qui se trouvait faire partie du groupe de client qui avait décidé de profiter de l'événement organisé dans le restaurant. Il ne savait pas si elle se souvenait de lui ou si elle était là pour une raison autre, mais il préférait garder un oeil sur elle au cas ou. Quand il posait son regard sur son visage, il ne pouvait s’empêcher de penser à son ancien associé, qui malheureusement n’avait suivi à la lettre ce que souhaitait Mitchell et qui avait péri dans un accident de voiture pour son efront à vouloir tourner le dos à L’Américain. La jeune femme était encore jeune à cette époque et visiblement elle ne se souvenait pas de Mitchell, ce qui avait fortement soulagé l’Américain qui se s’imaginait l’éloigner de son chemin, alors qu’elle était innocente. Il jetait un oeil au loin sur Alec qui était dans son élément et qui appréciait parler de sa passion, ce qui le fit sourire. Des fois il regrettait d’avoir embarqué son frère dans tout ça et pensait qu’il aurait dû l’écouter à l’époque lorsqu’il lui avait proposé de vivre de leur passion et non de la pègre. La cuisine c’était un don qu’il aimait exercer chaque jour et il méritait de réussir dans ce domaine. Il terminait son verre avant d’observer Heïana s’installer à côté de lui. Et merde, lui qui pensait passer incognito face à la brune, elle avait l’air de se rappeler de lui, malheureusement.
Il prit un air surpris en posant son regard sur elle et ne manqua de sourire. “Oui, bien sûr que je m’en souviens, comment aurais-je pu oublier un si beau regard que le vôtre !” Qu’il disait amicalement, ne manquant pas de lui faire un peu de charme. Sa specialité. “déjà un an ! le temps passe tellement vite. je vais très bien, merci et vous comment ça va ?” Demandait-il en retour. “Le monde est petit !” Il ne savait pas trop quelle stratégie abordé pour le moment, elle était venue l’aborder sans même qu’il s’y attende et il allait devoir improviser, surtout que la dernière fois il ne lui avait pas fait part de sa réelle identité et qu’aujourd’hui son nom était mis en avant. Elle allait sûrement lui faire la remarque et il se préparait déjà à lui répondre, mais en attendant il se contentait de sourire et de rester le plus amicale possible. “Vous avez apprécié le cour de cuisine ?” Qu’il demandait en lui donnant l’impression d’être intéressé alors qu’il pensait qu’à tourner la conversation autour d’aujourd’hui et non du passé.
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Mitchell avait l’air d’être un homme bien sous tous rapports, pourtant. Face au reste du monde, et notamment la clientèle du restaurant, il pouvait passer pour un professionnel courtois et sympathique, voire même pour un gentleman. D’une carrure peut-être un peu imposante, qui obligeait au respect, certes. Ce qui n’était pas plus mal en soi, pour le patron d’un bar ; on ne savait jamais sur quel type d’énergumène on pouvait tomber, et il fallait pouvoir gérer n’importe quel cas un peu difficile. Une grande ville comme Brisbane n’en était certainement pas dépourvue, alors sa musculature légèrement visible sous les manches de sa chemise n’en faisaient pas un type effrayant pour autant. Son regard était avenant, et le sourire qu’il accorda à Heïana lorsqu’elle s’approcha de lui n’était que politesse cordiale. Pourtant, l’affaire était trop grosse pour que ses airs charmeurs aient la moindre chance de duper à nouveau la demoiselle. Que quelqu’un se présentât sous une fausse identité à elle, d’autant plus un inconnu rencontré tard face à un verre d’alcool, pourquoi pas. Encore que, cela restait très exceptionnel, et assez étrange comme attitude, tout bien réfléchi. Mais bon ; on pouvait imaginer que cet état de fait pouvait être possible. Là où le bâton blessait tenait justement au fait que Mitchell (ou Alex, soi-disant) ne se trouvait pas être un parfait étranger pour la brune, bien que celle-ci ne l’ait pas reconnu, un an plus tôt. En tant qu’ancien collaborateur de ses parents, quel intérêt aurait-il eu à ne pas divulguer son vrai nom ? Vraiment, le cas de figure ne pouvait être ignoré. La prudence, intuitive, instinctive peut-être même, soufflait à Heïana de ne pas jouer franc jeu. Elle détestait donner dans l’hypocrisie et le mensonge, mais sans doute n’aurait-elle pas le choix. Il ne le lui avait pas permis de base, de toute façon.
Le tenancier du Club ne manqua pas de la flatter, ce à quoi la brune fit mine d’être sensible. Bien essayé. Elle laissa un sourire gêné lui échapper – merci maman pour les cours en « bonne société » donnés pendant son adolescence, et pourtant Ô Dieu qu’elle avait pu détester cela à l’époque – et répondit furtivement, dans un rire léger : Allons, je suis sûre que vous en avez vu d’autres. Une manière de le brosser dans le sens du poil lui aussi, plus délicate que lui dans le compliment ; bref, quelque chose qu’aurait pu dire Heïana dans un autre contexte, de manière bien plus sincère. L’important était de garder une part de naturel visible dans ses réactions, quoi que celles-ci fussent calculées au mot et à l’intonation près ; sans quoi, il serait évident qu’elle se travestissait. Eh oui, le temps file, confirma-t-elle en marquant son approbation d’une inclinaison de tête. Banalités nécessaires au développement d’une conversation qui devait conserver une apparence de normalité. Je vais bien ! La preuve, je trouve le temps de m’initier à la cuisine américaine. La Tahitienne haussa les épaules lorsqu’il déclara le monde petit, rappelant : Je travaille au St Vincent, alors ça ne fait pas si loin. L’information transmise n’était pas innocente, là non plus ; elle se doutait que, s’il était bien la personne à secrets qu’elle l’imaginait être, il avait bien retenu l’an passé qu’elle y officiait en temps que sage-femme. Ce, qu’il ne décidât de le lui montrer ou non ce soir. Sacré jeu de dupes. Et s’il se trouvait être plus honnête que ses doutes ne le croyaient, eh bien… Il n’y avait aucune prise de risque à divulguer ce genre de faits. En revanche, elle n’irait pas lui raconter qu’elle vivait ici même, à Toowong, et de surcroît avec sa cadette. A son bon souvenir, elle ne lui en avait pas parlé, au Sixteen Antlers ; alors aucun besoin de le souligner. La discussion divergeant sur le cours prodigué par Alec, la métisse répondit avec enthousiasme : Ça n’a été que la partie théorique pour l’instant, mais c’est déjà enrichissant. Vivement que l’on passe à la pratique. Son intérêt n’était pas feint, ou très peu, car ce qu’avait raconté le chef était des plus enrichissants pour une mordue de cuisine comme elle. Ce même son propre esprit était bien trop préoccupé pour bien emmagasiner les informations. Le chef est votre frère, c’est cela ? Si j’ai bien retenu, il s’appelle Alec, et vous … La joueuse venait d’abattre sa première carte, de toute la finesse dont elle pouvait faire preuve : elle laissait le champ libre à son interlocuteur pour se présenter, de la manière qu’il souhaiterait. Tirant la langue d’un air un peu gêné, elle ajouta : Je suis désolée, je ne me souviens pas de votre prénom. J’ai du mal à m’en rappeler, de manière générale.
Visiblement tout lui tombait dessus en ce moment, lui qui pensait ne plus croiser la route de la brune. Non pas qu'il avait quelque chose contre elle. Là n'était pas le problème, mais ce qu'elle pouvait savoir au sujet du passé entre son père et l'Américain pouvait lui causer beaucoup de tort. Il avait forcé une rencontre un an plus tôt pour s'assurer qu'elle ne savait rien et s'en était contenté à cela. Heïana n'était pas une menace à ses yeux et la menacer ou s'en prendre à elle ne faisait pas partie de ses plans à l'époque. Il se demandait si sa présence au restaurant était qu'un pur hasard ou s'il y avait vraiment une raison derrière cette visite. Il se la jouait amicale en attendant d'y voir plus clair et espérait réellement qu'il n'avait aucune raison d'avoir peur et que le hasard était bien la raison de sa présence. Le passé pouvait facilement refaire surface, il en avait conscience et avait déjà dû faire face à des fantômes du passé, mais souvent il réapparaissait parce qu'on le cherche et c'est ce qu'il pensait au sujet de la tahitienne.
Après s'être installé à côté d'elle avec le sourire, il posait ses premières cartes en s'intéressant au vif du sujet. Sa présence au restaurant. Se voulant sympathique tout au long, il lui demandait comment elle allait et la questionnait sur le cours de cuisine donné par Alec. Il riait à la première remarque qu'elle lui fit au sujet de son regard, un compliment qu'il avait laissé s'échapper, tout naturellement. La flatterie faisait partie de sa personne. «Il y en a sûrement eu, mais le votre est particulier !» Bon il aurait pu trouver moins bateau comme compliment, mais il ne pouvait pas nier que la jeune femme possédait un regard très agréable à regarder et pas que. «Pourtant en un an nous n'avons pas eu l'occasion de se croiser, il n'est peut-être pas si petit que ça finalement.» Qu'il disait avec un sourire en coin. Bien sûr, il savait ou la trouver si besoin et dans ses petits papiers ce n'était pas l'adresse de son lieu de travail qui y était écrit, oh non, c'était bien l'adresse de l'appartement qu'elle partageait avec sa petite sœur. Il n'aimait pas faire les choses à moitié et avait pris ses dispositions si la situation à son sujet devait évoluer. «Et comment se passe le boulot en cette période ? Ça ne doit pas être très facile.» qu'il disait afin de lui montrer qu'il l'avait écouté un an plus tôt et qu'il savait ce qu'elle faisait comme boulot. «Vous verrez Alec est très talentueux, vous allez en apprendre beaucoup !» Il vantait au passage les compétences de son frère avant de tomber sur un os. Bon, il avait peu de chance de s'en sortir face à cette question. Il lui avait mentit sur son identité et à présent il ne pouvait pas vraiment nier le fait d'être Mitchell Strange et non Alex, du moins officiellement. Ici personne ne connaissait ce Alex, mise à part Alec. Il pinça ses lèvres en la regardant avec un air de chien battu, espérant que son petit mensonge passera vitre à la trappe. «Oui c'est mon petit frère.» Qu'il disait pour commencer avant de très vite reprendre. «Et j'ai une petite confession à vous faire, je ne vous ai pas dit la vérité sur mon nom.» Son regard angélique était de mise alors qu'il poursuivait. C'était quitte ou double. Soit elle mettait le point sur qui il était, soit elle l'ignorait et sa passait crème. «Je m'appel Mitchell, Alex est un pseudonyme quand je sors, disons que je n'aime pas donné ma véritable identité par simple précaution.» il serrait les dents et se contentait de lui sourire. Il ne voulait pas en dire plus, pour le moment.
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La jolie brune passa sur l'énième compliment flatteur du patron du restaurant. Il s'agissait au moins du troisième en trois minutes de conversation, wow. Aucun doute que beaucoup devaient se laisser aller à son regard charmeur et à ses mots bien tournés. Un peu comme elle, un an plus tôt, qui n'aurait jamais imaginé que celui l'ayant abordée au détour d'un bar lui avait sciemment caché son identité... Raison de sa présence ici, d'ailleurs. Sacré pot-aux-roses lorsqu'elle l'avait compris. Si elle pouvait comprendre ne serait-ce qu'un peu mieux ses raisons, ou du moins récolter quelques indices sur cet étrange comportement, elle prendrait. Sans surprise, elle se sentait bien moins à l'aise depuis qu'il s'était assis à ses côtés, que dans la même situation en 2019. Heureusement que la brune savait se composer un visage et une attitude de façade. Dieu qu'elle détestait jouer les hypocrites, pourtant ! Cependant, son petit doigt lui soufflait que c'était ce qu'il y avait de mieux, alors...
Elle haussa les épaules face au sous-entendu de l'homme. Il est vrai qu'on a connu mieux, avoua-t-elle d'un air assez détaché. Autant Heïana adorait son métier, et n'hésitait pas à en retirer tout le positif possible, autant elle faisait au mieux pour garder les points les plus négatifs dans la stricte sphère professionnelle. Le port du masque obligatoire pour tous les soignants, personnels comme pour les patients, par exemple; on a beau dire, cela conservait un côté assez déshumanisant, notamment pour un événement aussi beau qu'une naissance. Une tâche sur le tableau souvent vite oubliée, et effacée, mais qui existait tout de même. Les visites restreintes autant que possibles, généralement au seul père. Les mille procédures ajoutées pour respecter les distanciations et les normes de sécurité comme faire se peut. Tout cela pouvait se révéler assez épuisant. Comme résumé à cette situation, la Tahitienne déclara : On fait au mieux pour accompagner les futurs parents, plus que jamais.
Elle sourit poliment lorsqu'Alex - ou plus exactement Mitchell - vanta les compétences de son frère. Heïana jeta d'ailleurs un regard de biais à celui-ci. Voilà quelques mois qu'ils se connaissaient, celui-ci venant participer au jardin collectif, notamment pour y faire pousser quelques plantes aromatiques qu'il réutilisait ensuite dans son restaurant. La jeune femme n'avait pas directement fait le lien, puis quand elle était tombée sur le site web de l'établissement suite à la découverte de la photo de Mitchell et de son père, elle était tombée des nues. Nouvelle surprise, Alec était le chef de ce restaurant en particulier, co-gérant... Elle n'avait jamais réalisé, jusque-là. Pas avant de mettre le doigt sur ce souci d'identité. Maintenant, tout semblait à la fois lié et malgré tout de plus en plus flou. Ce qui n'avait pas empêché la brune de ressentir un véritable pincement au coeur, car après tout, elle avait développé, à défaut d'amitié avec Alec, un lien très agréable. Ils conversaient volontiers l'un l'autre au jardin collectif, et s'envoyaient même quelques messages de temps à autres. D'ailleurs, ils arrivèrent enfin à ce point si crucial de leur discussion.
Mitchell avoua sa faute, et fit le choix de décliner sa véritable identité. En revanche, il éluda les raisons de cette manière de faire. Un véritable dilemme s'empara de la brune. Le mettre devant la révélation qu'elle avait connu quelques temps plus tôt ? Attaquer de manière frontale, donc. Ou bien essayer de pousser la discussion de manière un peu plus subtile ? La deuxième solution serait sans doute la plus prudente, et si elle ne manquait pas de courage, Heïana n'était ni téméraire, ni inconsciente. Elle haussa un sourcil étonné : Précaution de quoi ? Un petit rire surpris s'échappa d'entre ses lèvres. Excusez-moi, mais je n'aimerais pas avoir à me confronter à vous - oh que si - et être patron d'un restaurant ne me semble pas être l'activité la plus à risque qui soit... Elle baissa les yeux, feignant la gêne. Pardon, je suis sans doute indiscrète.
L'Américain a toujours su jouer de son charisme au quotidien, une quelconque facilité à avoir, une discussion avec une inconnue au comptoir d'un bar et un besoin maladif de tout contrôler. Il avait du mal à laisser faire le destin, surtout lorsque ça pouvait agir sur sa qualité de vie. En plongeant son regard dans celui de la jeune femme, il savait que se la mettre dans la poche était la meilleure façon d'en apprendre plus sur ses éventuels doutes au sujet de son défunt père. Il ne croyait pas vraiment au fameux dicton disant que le monde est petit et pour lui sa présence dans son cadre ne pouvait pas être une coïncidence. Un an, auparavant, il le pensa pourtant, mais aujourd'hui, ce n'était pas le cas. Elle savait quelque chose et il se devait de l'apprendre. Son approche s'était voulu amicale et le comportement de la brune n'était pas craintif. Il lui laissait le bénéfice du doute et poursuivait la conservation avec le sourire. «Le monde a bien changé malheureusement, je n'aurai jamais pensé vivre une telle mascarade !» Qu'il disait en faisant référence à la situation sanitaire que vivait le monde entier. Le port du masque était devenu presque normal, mais il n'arrivait pas à s'y faire. « Je n'imagine même pas l'état d'esprit des parents qui sont censés vivre le plus beau jour de leur vie ...» Il laissait un soupir s'échapper, un soupir qui se voulait presque théâtral, malgré lui.
Mitchell ignorait tout du fait qu'Héïana connaissait déjà son petit frère. Les deux frères ne se racontant pas forcement tout, et ce, depuis quelque temps déjà. Leur relation se dégradait de jour en jour et Mitchell ne se retenait pas d'agir seul la plupart du temps, surtout lorsque du sang s'ajoutait à l'équation. Il s'était lancé dans une spirale paranoïaque sans fin et personne ne pouvait l'en sortir, même pas son frère. La conversation se poursuivait avec le sourire, du moins jusqu'à que la question de sa véritable identité arriva sur la table. Bien sûr, il ne pouvait pas mentir d'avantage, bien qu'il ne s'agissait pas réellement d'un mensonge puisqu'il s'appelait véritablement Alex, mais c'était un autre sujet. Il confessait sa faute espérant voir enfin la motivation de la jeune femme. Il n'était pas crédule et était convaincu qu'elle savait quelque chose. Les questions qui fâchent ne tardèrent pas à arriver et cela ne manqua pas de le faire sourire d'avantage, mais de façon frustrée. S'il y avait une chose qu'il avait apprise dans ce milieu, c'était à répondre du tac au tac. Quiconque prenait le temps de réfléchir à ce qu'il allait dire était déjà coupable. «J'ai fait de la prison.» Qu'il disait calmement sans la quitter du regard, attentif au moindre signe qu'elle pourrait laisser paraître sur ses dires. «Et je vous avoue que j'ai toujours peur d'être jugé pour cela.» Il ne lui mentait pas vraiment, puis ne craignait pas de lui avoir donné ce genre d'information puisque quiconque voulait en savoir plus sur Mitchell Strange pouvait trouver cette information sur Internet en tapant simplement son nom. «Si ça peut vous rassurer, je n'ai pas commis de meurtre, ni aucun délit en réalité. C'était une erreur, j'ai été accusé à tort.» Précisait-il, ressortant cette fameuse histoire qu'il avait délivré à une journaliste des mois auparavant. « On est jamais trop prudent, n'est-ce pas ? »
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