Je rejoins mon père chez lui ce soir. J’ai un appartement à côté, mais je passe bien plus de temps chez lui de toute manière. “Papa t’es là ?” Je ne parle pas fort et je le cherche du regard dans tout le grand salon en bas. Je vois que la terrasse est ouverte et je souris, je sais déjà où je vais le trouver. J’avance et je me retrouve assise à côté de lui alors qu’il travaille encore sur des compositions. Il m’a appris à jouer de pleins d’instruments depuis que je suis en âge de tenir une guitare sur mes genoux. J’ai grandi qu’avec lui, il n’y a jamais eu personne d’autre dans notre vie de famille et ça me va bien comme ça. J’ai l’impression qu’il est heureux et c’est ce qui compte le plus pour moi. Je l’écoute jouer pendant de longues minutes en posant mon menton sur son épaule. “C’est une nouvelle compo ?” J’adore déjà l’écouter, je pourrais passer des heures à l’observer jouer le même musique. Il est passionné et c’est beau à voir, il m’a transmis l’amour de la musique, et je ne le remercierai jamais assez pour ça.  


J’attrape ma guitare qui n’est jamais bien loin puisqu’on joue souvent dans le salon ou sur la terrasse et j’essaie de l’accompagner en lisant son brouillon. Je pense qu’à part lui et moi personne ne pourrait réussir à déchiffrer ce qu’il griffonne sur ses papiers. J’étais venue pour lui parler d’un dossier, d’un artiste, mais ça attendra. Même si on doit rester plusieurs heures assis là ça me va, je vis pour ce genre de moment. J’enchaine les accords et je ris quand on se trompe. Je ne sais pas combien de temps on joue mais je m’amuse, et je finis par poser l’instrument à côté de moi quand j’ai du mal à sentir le bout de mes doigts. “Je suis passée au refuge tout à l’heure, j’ai aidé à sauver une portée de chiots abandonnés.” Je souris, parce que ma deuxième passion c’est les animaux, et j’aime pouvoir combiner toutes les choses que j’aimes. 

Elle a les yeux brillants quand il hoche de la tête de la positive et qu'elle la découvre, sa nouvelle composition. Elle est si heureuse Molly, elle est solaire, son sourire est tellement communicatif que malgré toutes les merdes qu'il a cumulées dans la journée jamais il ne verrait le moindre nuage noir se brandir au-dessus de leurs têtes à tous les deux.

C'est eux deux contre le monde de toute façon, depuis toujours. D'aussi loin qu'il se souvienne Jack, entre les roadtrips au Canada et ceux en Australie, il a bien pu croiser des dizaines de centaines de visages mais le profil de Molly reste toujours celui qu'il cherche lorsqu'il a besoin de se sentir à la maison. Ava et ses problèmes sont bien loins d'eux maintenant, ils ont tout fait pour elle y'a des années de ça et ont fini par se retrouver chassés de son quotidien à elle quand elle a cru qu'une Molly adolescente et qu'un Jack à peine adulte n'étaient là que pour comploter contre elle et ses addictions. Ils ont multipliées les deuxièmes chances au point d'en inventer de nouvelles catégories, n'ont jamais même été capables de la convaincre de leurs bonnes intentions, on tout fait et tout dit avant qu'elle ne les jette dehors pour s'enfiler un nouveau fix. À ce jour, ils ne savent même pas si elle est encore en vie.

Et de ce tabou qui leur serre le coeur à deux, ils tentent tout de même d'évoluer, de grandir un peu mieux chaque jour. Lui, il compose et il crée, elle, elle soigne et elle panse. Elle sauve des chiots abandonnés et il est fier d'elle, si fier d'elle dans toute sa générosité. Il multiplie les paroles quand elle gratte la guitare, ils sont un duo et ils ne le forcent même pas, le vivent seulement.

« Il y en a un pour nous, un chiot? » qu'il demande, le sourire aux lèvres et le thé qu'il lui sert exactement comme elle l'aime. Il la connait par coeur sa fille, a vu chacun des moments importants de sa vie, les a enregistrés sans jamais penser à les effacer même s'il y en a une infinité. « J'ai pas d'idées de noms par contre, c'est le comble. » lui qui est si créatif ailleurs, lui qui cède d'un rire et d'un autre.

La guitare que je gratte alors qu’il écrit, qu’il invente de nouvelles paroles dans la foulée. C’est notre routine, c’est nous depuis des années. Depuis que je sais tenir une guitare et qu’il sait écrire des mots. On a tout vécu ensemble, et j’ai beau avoir presque atteint les 30 ans je passe plus de temps chez lui que chez moi. On se demanderait presque pourquoi j’ai un appartement d’ailleurs. J’y dors, de temps en temps, mais, même quand j’ai des animaux à ramener pour les sauver je les emmène ici. Il s’en occupe aussi bien que moi, et il a toujours été incapable de dire non Jack. On est pareil, et il n’a même pas eu besoin de forcer pour qu’on ait exactement le même caractère. Je n’ai pas besoin de parler, je me cale à ma place et on s’occupe. On va sûrement rester comme ça pendant des heures, on ne mangera peut-être même pas à cause de l’inspiration.

“Mais tu me connais trop bien.” Je ne peux même pas lui faire de surprise tant il me connait par coeur. Il n’a pas vu le carton avec les chiots tout juste assez grand pour courir partout et se cogner contre les murs. Il y en a 3. Alors je me lève pour les sortir du carton et les laisser courir de partout. “C’est toi qui trouve toujours les meilleurs prénoms.” Il a toujours eu bien plus d’imagination que moi quand il s’agissait de trouver des prénoms originaux à toutes les bêtes à poils qui restaient dans cette maison. “On a qu’à choisir un thème, genre saga, ou étoiles…” Je réfléchis en regardant justement les étoiles à ce moment là. J’attrape le thé, qui est parfait comme toujours. J’en bois la moitié et lui laisse l’autre, comme je l’ai toujours fait. Je gratte rapidement les cordes de ma guitare, on va devoir leur trouver des prénoms, et je cherche juste un thème qui l’inspire.

Dééééééés:

“Mais tu me connais trop bien.” malgré le nombre de fois où elle réitère de telles paroles, il ne s'en lassera probablement jamais Jack. Lui, il passe le plus clair de son temps à décrypter ses filles, à tout faire pour apprendre à les connaître sur le bout des doigts. Il s'en est fait un devoir, de créer une famille avec elles envers et contre tout, de tout mettre en place pour devenir une équipe qui survivra au monde entier de front, encore et toujours, éternellement.

Les chiots eux, ont déjà leur place parmi eux sans qu'il n'ait même eu besoin de la moindre seconde pour y réfléchir. C'est acté. “C’est toi qui trouve toujours les meilleurs prénoms.” qu'elle raille, moqueuse et faussement dépitée, quand il s'étire par-dessus la table basse pour lui ébouriffer les cheveux comme il le fait depuis qu'elle est haute comme trois pommes. Il lui tire la langue même, père de pacotille, avant de reprendre sa place la guitare sur les cuisses, regard heureux en permanence. La vie est douce, la vie est belle de nos jours.

“On a qu’à choisir un thème, genre saga, ou étoiles…”
« Ta chanson préférée du moment? On part de là. »

Elles changent tout le temps, les musiques favorites de Molly. Alors il lui donne carte blanche, et il s'occupe lui de gratter les cordes de sa classique en passant de Phil Collins à David Bowie sans que personne ne s'en étonne. « Lui il est à moi, ne négocie pas. » le voilà totalement charmé par le plus maladroit du trio de chiots. Celui qui est venu se lover en titubant contre ses jambes croisées en tailleur. Celui qui morve sur son jeans taché et qui redemande des caresses en redressant son museau doublé de ses yeux éternellement fermés. « Ellie va craquer pour le rouquin. » qu'il anticipe déjà, Epstein père, sachant que des deux soeurs, autant l'une que l'autre cédera son favori sans chigner.

Je me suis placée à côté de mon père de la manière la plus naturelle qui soit. J’aime être là, au milieu des centaines de coussins et de la tasse de thé que je n’arriverai pas à boire tant qu’il sera trop chaud et que je laisserai sur la table assez longtemps pour qu’il devienne glacé et imbuvable. Je joue quelques notes de guitare en harmonie avec Jack. Il manque Ellie pour que les accords soient parfaits. Je ne sais pas où elle est ce soir, et on la laisse faire sa vie avec toute la liberté qu’elle mérite. Les chiots courent partout et je suis attendrie par la scène. Je réfléchis en jouant les accords des musiques que j’aime. J’écoute souvent les même musiques en boucle, élevée au rock et aux classiques de la musique des années où mon père était jeune. “Highway to hell c’est trop long comme prénom, Bohemian Rhapsody aussi… J’arrive toujours pas à les jouer correctement d’ailleurs.” Mais ce n’est pas grave, j’ai encore tout le temps de travailler tout ça comme je le veux. “OOOH sinon on pourrait les appeler High ? Bo ? Borhap ? Rhapso ? Hell ? Certains peuvent paraître un peu trash pour des chiots non ?” Mais ça me fait beaucoup rire de m’imaginer les appeler comme ça. “A toi.” On doit décider ensemble, comme on le fait toujours.

“Tu sais très bien qu’on va garder les trois il n’y a pas assez d’animaux dans cette maison.” Je ne sais pas pourquoi je ne garde pas tous ceux que je ramène ici d’ailleurs. Je ne négocie pas, il sera autant à lui qu’à moi parce que je sais qu’il s’en occupera comme le papa gâteau qu’il est et qu’il sera toujours. “Je parie qu’elle craque pour le blanc qui a les yeux de deux couleurs différente. Ils vont faire des batailles de regard qui vont durer des heures.” On a rien à parier, mais ça m’amuse de savoir qui connaît le mieux les petites réactions d’Ellie. Je joue de manière distraite et la fausse note arrive. “Tu vois ! C’est toujours là que je me plante.” Et le chiot fonce tout droit dans la guitare de Jack. “Ok il t’a clairement choisi celui là.” Et je pouffe de rire en secouant la tête.

“Highway to hell c’est trop long comme prénom, Bohemian Rhapsody aussi… J’arrive toujours pas à les jouer correctement d’ailleurs.” « T'es rendue où? » parce que lui il est rendu au point exact où il laisse son attention quitter les bébés pour filer sur les doigts de sa gamine. Il anticipe, les lui place, retravaille les cordes comme le père bienveillant qu'il a toujours été envers et contre tout. On lui a affublé l'air d'être un incapable et on a surveillé chacun de ses faits et encore plus de ses gestes sans jamais s'attendre à ce qu'il soit laissé à avoir le bénéfice du doute. Aujourd'hui pourtant, il leur a tous prouvé à des dizaines de reprises qu'il était fait pour ça. “OOOH sinon on pourrait les appeler High ? Bo ? Borhap ? Rhapso ? Hell ? Certains peuvent paraître un peu trash pour des chiots non ?” elle s'emporte Molly, elle est adorable avec ses yeux brillants et les fossettes qui creusent ses joues. Il ne pourrait pas être plus fier d'elle qu'en ce moment même si la scène n'a rien de bien différent de leurs habitudes. “A toi.”

« Do. »
« Ré. »
« Mi. »
« Fa. »
« Sol. »
« La. »
« Si. »

Au fur et à mesure de ses mots qu'il les pointait les uns les autres et recommence la fois d'après dans le sens inverse, finissant hilare de sa connerie tout juste après. Elle a dit à toi et il a pris ses aises, vieux quarantenaire au coeur aussi abîmé par le temps qu'heureux de là où il se trouve maintenant. Elle voudra pas, ils sont trop cons ses noms, trop faciles. Mais qu'importe quand il se suffit à lui-même, lui ébouriffant les cheveux au passage.

“Tu sais très bien qu’on va garder les trois il n’y a pas assez d’animaux dans cette maison.” ça, c'est vrai. Pas assez d'animaux das cette maison selon elle, et pas assez de plantes dans cette baraque selon lui. “Je parie qu’elle craque pour le blanc qui a les yeux de deux couleurs différente. Ils vont faire des batailles de regard qui vont durer des heures.” le rire qu'il laisse échapper de ses lèvres est franc, honnête. Elles ont appris à se connaître les filles, à s'apprivoiser, à vivre ensemble. Elles sont incroyables ses gamines, elles sont ses amazones, ses plus beaux trésors. L'une est partie sillonner l'Asie le sac au dos, l'autre reste dans les parages avant d'avoir envie d'être ailleurs. Ils sont des globe-trotters les Epstein, ils le seront toujours.

“Tu vois ! C’est toujours là que je me plante.”
“Ok il t’a clairement choisi celui là.”

Sa tête arrête d'être parsemée d'idées et d'inspiration, de souvenirs qu'il enregistre au fur et à mesure qu'ils peuvent bien se produire. Se rapprochant de Molly, il s'investit dans l'enseignement comme s'il l'avait toujours fait, s'amusant à reprendre le morceau d'un sens et de l'autre, jusqu'à ce qu'elle se sente un peu plus à l'aise.

« Y'a une tournée - » qu'il commence, entre deux gammes. « - en Amérique. Tout le continent. » tout va au compte-goutte, alors qu'il sait qu'elle sait autant que lui ce dont il s'agit. « Je partirais 1 an. »

Bien sûr qu’il s’intéresse mon père à où j’en suis. Ca doit faire 100 fois qu’il me montre la même reprise mais il pourrait me la montrer 100 nouvelles fois avec toute la patience du monde. On a le temps d’oublier les chiots une minutes ou deux avant que l’un d’entre eux ne s’écrase contre la guitare de Jack. Je propose des noms mais ne m’arrête sur aucun, compte sur Jack pour prendre une décision mais il n’en a apparemment pas envie ce soir. Il me fait rire en donnant ses idées et je secoue la tête, toujours à moitié concentrée sur ma guitare et les notes que je ne sais pas encore jouer. “On a qu’à les combiner.” Ce n’est pas une mauvaise idée au fond, mais on a pas assez de chiots pour utiliser toutes les notes seules. “Domi, Réfa et Lasi ?” Je pouffe de rire et hausse les épaules, on ne les appelera jamais par leurs prénoms de toute manière. “Il nous manque une note quand même.” J’aurais dû ramener un chiot de plus pour que le compte soit bon.

Il a une annonce à faire Jack, et il ne passe pas par quatre chemins. On joue, il me montre et me remontre jusqu’à ce que mes doigts soient habitués à jouer le même enchaînement de notes. Je vais finir par y arriver avec son aide, je finis toujours par arriver à tout grâce à lui. Il parle de tournée et je ne croise pas son regard, pas encore. Je pince légèrement les lèvres, je déteste le savoir loin, et je ne pourrai pas survivre sans lui à mes côtés pendant 1 an. Ca n’est même pas imaginable. Je réussis la reprise, enfin, et c’est à ce moment là que je m’autorise un coup d’oeil vers mon père. “Tu pars tout seul ?” Parce qu’il sait qu’il suffit qu’il me dise que je peux partir avec lui pour que je me mette à réfléchir à ce qui va aller dans ma valise. “On peut pas rester loin 1 an.” J’ai toujours été honnête, et une très mauvaise menteuse. Personne ne le sait mieux que celui qui m’a élevé seul pendant près de 30 ans. Et je ne m’imagine pas ne pas le voir tous les jours.

Les chiots font leur vie de parts et d'autres de la pièce, et Jack lui, fait ébauche de ce que sera son quotidien à lui pour les prochains douze mois à venir. “Tu pars tout seul ?” la voix de Molly se casse, il y déteste les trémolos qu'il entend et pas seulement parce qu'il les préfère lorsqu'elle chante des balades crève-coeur. Ici, c'est l'inquiétude et la panique qui le font flipper, pauvre père trop attaché. « J'ai pas bouclé les détails encore. » il a eu l'offre, il y pense encore ou du moins, c'est ce qu'il dit. Dans sa tête comme dans son coeur, la proposition est déjà tant acceptée qu'il a des fourmis dans les jambes d'excitation. Partir, ça a toujours été dans sa nature au final.

“On peut pas rester loin 1 an.” « T'es une grande fille Molly, t'as plus besoin de quelqu'un pour te forcer à te brosser les dents avant d'aller dormir. » qu'il rigole, lui embrassant le front et l'ébouriffant au passage. Ils ont passé tant d'années côte à côte, ils ont tout vu et tout vécu. Elle a sa vie à Brisbane, son boulot, ses rêves ; il a veillé au grain pendant des années pour qu'elle ne manque de rien pendant que lui, égoïstement, manquait ce qui se passait hors de sa maison. Il ne regrette pas mais il y pense, forcémement.

« Si je pars un an, si on part un an - » le voilà qui parle avec des si, mais qui évite le conditionnel. Au final, sa décision est prise et il ne sait juste pas comment l'apporter sans que ça ne sonne qu'un bref et plein d'espoir au revoir. Bien sûr que non, ce ne sont pas des adieux. « - tout va être mis sur pause, ici. » il en veut pas qu'elle abandonne sa vie parce que lui a envie de voir ailleurs. Il ne veut pas qu'elle sacrifie quoi que ce soit parce que lui, enfin, arrête de le faire. « Ça te fait pas peur? » Jack a confiance, Jack est en paix. Mais Molly, elle, comment est-ce qu'elle le voit?

Je ne pensais pas qu’il allait me dire une chose pareille. Je ne l’imagine pas partir loin, ou seulement partir sans moi. « J'ai pas bouclé les détails encore. » Il ne sait pas s’il part seul, et il ne me demande pas si je veux venir avec lui, pourtant je n’imagine pas une seule seconde l’abandonner pendant un an. On a besoin l’un de l’autre, et je sais d’avance que je ne tiendrai pas une année entière en ne le voyant que par appels visios. "Ça doit être bouclé pour quand ?” Je m’inquiète, mais je tente de ne rien laisser paraître.

Je n’arrive pas à jouer la comédie, ni à mentir. Je parle, les mots sortent sans que je ne puisse calculer quoi que ce soit. « T'es une grande fille Molly, t'as plus besoin de quelqu'un pour te forcer à te brosser les dents avant d'aller dormir. » Il sait que ça va bien plus loin que ça. Il est la personne la plus importante de ma vie, et je n’ai pas envie que ça change. “J’ai peut-être pas envie d’être une grande fille.” Je hausse les épaules, j’ai réellement l’impression d’être une enfant quand je tente d’imiter sa voix dans mes derniers mots. “Tu veux partir seul ?” Il sait que je ne forcerai jamais les choses, que s’il a besoin d’espace et d’un moment pour se concentrer seulement sur sa musique, je le laisserai faire.

« Si je pars un an, si on part un an - » Je souris un peu et je regarde mes pieds, j’attends la suite. Il prend des pincettes, et je lui laisse tout le temps du monde pour s’exprimer. « - tout va être mis sur pause, ici. » Je hoche la tête, je sais ce que ça représente. Mais, la seule chose qui me retient à Brisbane, c’est mon père, et je ne suis pas sûre qu’il en soit conscient. « Ça te fait pas peur? » Je souris et je me tourne vers lui. “Depuis quand ça me fait peur de sillonner les routes ?” J’ai presque envie d’hurler de joie et de commencer à préparer mes valises. “Je suis comme toi…” Et ça peut être terrifiant de voir à quel point on se ressemble tous les deux. “Je déteste la routine !” Je lui fais un clin d’oeil, il sait qu’on ne sera jamais capable de rester séparé trop longtemps. “Je vais gérer, et je suis certaine qu’il y a des tas d’animaux qui vont avoir besoin de moi sur la route.” Il n’a pas à s’inquiéter pour moi, je sais exactement ce que je veux.

Entendre la panique et l’émotion dans le ton de Molly suffit à ce que Jack se sente comme une merde d’avoir pensé à partir sans l’inclure dès le départ dans les préparatifs. "Ça doit être bouclé pour quand ?” « Quelques jours encore, c’est pas pressant. » il diminue, il est évasif, il essaie de voir au détour d’un coup d’œil vers les iris de sa fille s’il n’arrive pas à trouver un argument qui la motiverait à rester, à se construire une véritable vie pour elle, ici. C’est ça, qu’il craint : qu’elle passe à côté de son quotidien et de son chemin à elle bien trop accroché au sien à lui.  “J’ai peut-être pas envie d’être une grande fille.” et lui il a envie qu’elle le soit, qu’elle arrête d’avoir peur, qu’elle prenne son envol. À son âge il s’était déjà tiré de chez ses parents, il ne comptait que sur lui. “Tu veux partir seul ?” ne le méprenez pas, être si proche de Molly est probablement une de ses plus grandes réussites, mais il s’en voudrait dans cette vie et dans les suivantes s’il lui servait d’alibi, d’excuse et de justification pour ne pas aller voir ailleurs ce qu’elle pourrait bien y trouver. « Ça ferait changement, non? »

Jack soupire, accorde sa guitare, sent Molly qui s’agite à ses côtés probablement à même de relever toutes les raisons, les tenants et les aboutissants de la situation. “Depuis quand ça me fait peur de sillonner les routes ?” - “Je suis comme toi… Je déteste la routine !”- “Je vais gérer, et je suis certaine qu’il y a des tas d’animaux qui vont avoir besoin de moi sur la route.” nous y voilà. Jack cède, parce qu’il ne sait fait que ça lorsqu’il s’agit de faire plaisir à sa fille. « On pourra pas tous les garder dans le van. » à qui ment-il, Epstein qui sera le premier à cacher des chiots dans les poches de ses chemises à carreaux rien que pour s’assurer qu’aucun rescapé ne manque d’un toit, de bouffe et d’un peu de réconfort sous sa tutelle. « Faudra faire des choix. » personne ne le prend au sérieux, pas même lui, quand dans un rire il casse sa plastique d’adulte responsable pour laisser à ses fossettes le rôle de donner sa réponse.

« Un jour, tu t’en lasseras. » c’est de ça qu’il a peur, c'est ça qu'il souffle, une minute ou une heure plus tard, dès lorsqu’ils ont fini de jouer, qu’ils en sont à laver les tasses et théière dans l’évier.