Le RP prend place en Juin 2010 à Brisbane. Kane a 21 ans. Il vient de terminer son road trip d'Australie y'a quelques semaines.
Deux petits jours que j’ai emménagé dans cet appart’ avec ces gars. Deux jours aussi où je suis rentré chez mes parents pour manger. J’ai fait des courses mais y’a rien qui me tentait et puis je sais pas, j’ai eu envie de rentrer voir mes parents. Personne ne le sait. J’ai fait genre j’ai passé la nuit chez une copine wink wink. Comme ça j’ai l’air d’un gars qui sait emballer alors que pas du tout. Y’a bien eu quelques filles pendant le roadtrip mais elles sont venues à moi. J’ai rien eu à faire. Je pense que le type blond, paramédic qui fait le tour de l’Australie ça fait kiffer. J’avais même pas apporté mon uniforme avec moi donc faut croire que tout le monde voit sur mon visage que je sais pas mentir.
Ce soir mes parents sont chez des amis. C’est vendredi soir. Alors je suis resté chez moi. Chez moi. Ca fait bizarre de dire ça. C’est la première fois que j’ai un chez moi. Un endroit où si je suis dans ma chambre, y’a personne qui entre sans frapper. Un endroit où je peux me masturber sans craindre d’être pris sur le fait. Alors me voilà en train de faire bouillir de l’eau dans la cuisine. Je vais me faire des pâtes. J’entends la porte d’entrée s’ouvrir. Je tends l’oreille. Je jette des coups d’oeil vers la porte de la cuisine. Personne. Je prends le paquet de pâtes pour voir combien de temps il va falloir que je les fasse cuire. C’est à ce moment là que Byron entre dans la cuisine. On s’est croisé une fois très rapidement le jour de mon emménagement.
« Hey… J’allais me faire des pâtes tu veux j’en mette plus pour qu’on partage ? » Je n’y vois pas d’inconvénient et je sais pas, ça me fait peut être un peu bizarre de prendre mon premier repas de jeune adulte apparemment responsable, seul. Je suis bien trop habitué à manger en famille dans le salon avec tout le monde. Peut être bien que j’ai besoin d’un peu plus de temps pour m’habituer à la vie en colocation. Je suis sûr que les autres ont des autres moyens de fonctionnement mais j’ai vu tellement personne depuis. L’autre gars qui vit ici bosse comme un fou et c’est sûrement pour ça que c’est tranquille même si c’est pas grand. On est jamais là en même temps.
Service terminé. Il me tarde de rentrer chez moi. Chez moi. Je peux le dire. De manière concrète. Depuis quelques jours, j’ai pris mon envol. J’ai mon ‘chez moi’. J’ai quitté ma famille d’accueil. J’ai pris mon indépendance. À vingt ans, ce n’est pas une chose aisée. Surtout après mon lâcher-prise à l’université. Les études classiques ne sont pas faites pour moi. Je suis dans l’action. Saut à bras ouverts dans les arcanes du monde du travail. Et toutes ses difficultés. Découverte du monde diabolique de la cuisine, où les coups bas son monnaie courante. Je tiens le coup. Même si ce n’est pas toujours évident. Je m’emporte facilement. Je ne me laisse pas marcher sur les pieds. Je sors les griffes lorsqu’il le faut. Je fais mes armes dans le métier.
Malgré mes problèmes d’ordre professionnel,je suis heureux d’avoir trouvé un logement, pas trop cher, pour commencer à construire ma vie. Une colocation. Entre mecs. Je ne suis pas seul dans l’aventure. Livré à moi-même. À mes yeux, il s’agissait de la meilleure solution. Pour ne pas que le changement soit trop brusque, intense. Outre les avantages pécuniaires, ce mode de vie doit me pousser dans mes retranchements. Voir de nouvelles têtes. Être obligé de les voir, me force à sortir de mon mutisme, de mon silence, de ma solitude… De découvrir la sociabilité.
Me voilà à quelques encâblures de mon nouveau chez moi. Mon téléphone sonne. Je regarde. Le père de ma famille d’accueil. Toujours là. Même si j’ai décidé de m’éloigner volontairement. Il s’inquiète. Je réponds. Il m’interroge sur mes premiers jours de colocation, mon adaptation : « Pour l’instant, tout se passe bien. Je n’ai pas encore eu l’occasion de partager des moments de convivialité avec mes co-lo-ca-taires ». Je prononce ce dernier mot de manière saccadée. Tellement étrange. Je réfléchis quelques instants. Ai-je réellement voulu partager des moments avec mes colocataires ? Ne me servent-ils pas simplement de placebo. Sentir du mouvement. Entendre du bruit. Ne pas me sentir seul ? Et entrer dans ma routine. « J’ai peur… De ne rien trouver à dire ! À partager avec eux ! ». Je respire profondément. J’écoute les conseils avisés de mon père d’adoption. Je dois me jeter à l’eau. Aller vers eux. M’intéresser à eux. Apprendre à les connaître. Partager. « S’ils ne veulent pas ? ». Il me rappelle le concept de colocation. Cohabitation. Il partage avec moi un ressenti. Il croit que je m’emprisonne, que je refuse de m’ouvrir aux autres. Que je ne suis peut être pas prêt pour une colocation. Que je suis parti sur un coup de tête. Juste pour être indépendant. Me sentir libre. Je me mordille la lèvre inférieure. Je réfléchis. A-t-il tort ? Peut-être pas. Il est certainement la personne qui me connaît le mieux. « Je vais faire des efforts ! ». Je sors du bus. J’arrive devant mon immeuble. « Promis ! ». Silence. « J’arrive chez moi. Je te laisse ». Digicode. La porte s’ouvre.
Je glisse la clef dans la serrure. J’ouvre la porte. Je n’entends aucun bruit. Personne. Tranquillité. Je vais pouvoir me poser. Je fais une halte dans la cuisine. Et je vois Kane. Je reste impassible. Je regarde ce qu’il fait. Il s’apprête à cuisiner. Des pâtes. Il me propose de partager avec lui. Je reste silencieux. Je dois m’ouvrir aux autres. Faire des efforts. Maladroitement, je réponds : « Salut… Oui… Ok ! ». Je suis crispé. Je ne sais pas quoi faire et reste dans l’encadrement de la porte. Les bras ballants. Je ne sais pas trop quoi lui dire. Je ne le connais pas. Il s’appelle Kane. C’est tout. Je n’ai rien imprimé d’autres, de sa vie. Le silence devient pesant. Je le brise. « Il doit rester de la sauce tomate dans le frigo ! ». Sauce tomate maison. Que j’avais faite la veille. J’ouvre le frigo. Je sors une casserole. Je fais un petit sourire. Je ne sais pas quoi faire d’autre. Bien trop empoté. « Tu… tu… Tu as passé une bonne journée ? » Dis-je machinalement. J’essaie de m’intéresser. Je crois que c’est ce qu’il faut faire pour se sociabiliser.
Le RP prend place en Juin 2010 à Brisbane. Kane a 21 ans. Il vient de terminer son road trip d'Australie y'a quelques semaines.
« Salut… Oui… Ok ! » Il a pas l’air très sûr de lui. Un timide dans la coloc. Peut être que ça me rassure. Je suis pas totalement timide mais ouais, aux premiers abords j’ai un peu de mal avec les gens. Je préfère rester de mon côté mais là, c’est différent. On va vivre ensemble.
« Cool. » Ca commence bien. Il aurait pu me dire non et aller faire sa vie. Nope. On va partager un repas. Des chances que ce soit un peu gênant mais on va devoir s’habituer l’un à l’autre un minimum. « Il doit rester de la sauce tomate dans le frigo ! ». J’hoche la tête alors que je suis en train de mettre tout mon paquet de pâtes dans l’eau. Je sais jamais dosé de toute façon, mais là on est deux. Du coup quoi qu’il arrive, il en faut beaucoup. « Tu… tu… Tu as passé une bonne journée ? » J’hoche la tête alors que je vais ouvrir le frigo pour voir la sauce tomate en question.
« Ouais bonne journée et toi ? Elle est à toi la sauce tomate ? » Je la sors en même temps que le beurre parce que moi je vais agrémenter mes pâtes simplement. J’ai aussi du fromage que je vais mettre dedans. Y’aura même plus de fromage que de pâtes mais j’ai le droit de faire ce que je veux, je suis chez moi. Je vais regarder et faire attention aux pâtes qui sont dans l’eau après avoir tout sorti.
« C’est Byron c’est ça? Moi c'est Kane. Le proprio m’a dit les prénoms mais je suis pas totalement sûr de quel prénom va à qui. » Je me mordille la lèvre. « Tu rentres du boulot ? Tu fais quoi comme travail ? » Il a l’air jeune comme moi. Peut être qu’il est étudiant, j’ai absolument aucune idée, j’espère qu’il va m’en dire un peu plus afin de voir quel genre de personne il est. Ce serait fun qu’on devienne potes et pas juste deux personnes qui vivent sous le même toit. « T’habites ici depuis longtemps ? » Que je dis en tournant les pâtes dans la casserole.
Dernière édition par Kane Williamson le Jeu 25 Juin 2020 - 18:09, édité 1 fois
Il verse les pâtes dans la casserole. Tout le paquet. De cinq cents gramme. « Ben dis donc, tu as les crocs ! ». J’espère qu’il gère la cuisson. Al dente. Il semble avoir passé une bonne journée. Tant mieux. En retour, il fait preuve d’amabilité, me demandant comment était la mienne. « Fatigante ! Gros rush pour midi ! Mais la vague est passée. Il me tarde d’aller me pieuter ! ». Il m’interroge sur la sauce tomate. Bien sûr qu’elle est à moi. C’est moi qui l’ai faite hier. Elle n’est pas industrielle. Je sais ce que sont les bonnes choses. « Je ne savais pas quoi manger hier… Et des pâtes au beurre, ce n’est pas pour moi ! » Je l’ai vu sortir le beurre. Pauvre âme. Toute une éducation culinaire à refaire. Du coup, j’ai très peur pour les pâtes… Qu’il les fasse trop cuire. Qu’elles soient immangeables. Et qu’elles gâchent ma sauce tomate... Déjà, il risque de ne pas l’apprécier à sa juste valeur s’il la souille de beurre. Mais passons, je ne vais émettre de jugement sans le connaître. Je poursuis mes explications : « Du coup, j’ai préparé ma propre sauce tomate ! ». Il n’y a rien de transcendant, ce n’est pas non plus de la grande gastronomie.
« Oui je m’appelle Byron ! ». S’il a une bonne mémoire. Il a une chance sur deux. Il a tiré le bon numéro. Kane. Il me demande ce que je fais comme travail. « Je suis cuisinier ». Entre autres. Principalement. Maintenant, il a d’autant plus la pression pour les pâtes, s’ils les loupe. Ou pas. « Je suis content que tu cuisines ce soir ! » Si faire des pâtes, c’est de la cuisine. Je tente un petit sourire. Histoire de ne pas paraître désagréable. Nous allons devoir cohabiter ensemble. Autant arrondir les angles. « Et toi, tu fais quoi dans la vie ? » S’il travaille. Je ne suis pas certain que cela soit sa priorité. Mais il faut que je cesse d’imaginer des faits qui sont probablement faux. Je dois m’ouvrir au monde, aux autres, à mes colocataires. Une petite voix dans ma tête me répète ‘Sois sociable’. Tandis qu’il mélange les pâtes, afin qu’elle n’accroche pas au fond de la casserole, il me demande depuis combien de temps je suis ici, dans la coloc, je présume. « Guère plus que toi. À peine trois petites semaines. J’avais besoin, envie, de prendre mon indépendance ». Silence. « Rencontrer de nouvelles personnes et partager de bons moments ! ». Mais pour l’instant, ce n’est pas trop le cas. Je ne mets pas forcément toutes les chances de mon côté. Je vais changer. Je le dois. Je l’ai promis à mon père d’adoption. « Tu veux boire un truc ? » Il doit bien y avoir quelque chose dans le frigo. Une bière. Ou deux. Ça serait préférable. Peut-être qu’il ne boit pas. Qu’il ne boit plus. Que c’est un ancien alcoolique. À vingt ans quand même ? Ça serait louche. J’ouvre le frigo et je regarde tout en l’interrogeant « Et toi, du coup, qu’est ce qui t’amène fraîchement à Brisbane... » Et du coup, dans cette colocation.
Le RP prend place en Juin 2010 à Brisbane. Kane a 21 ans. Il vient de terminer son road trip d'Australie y'a quelques semaines.
« Ben dis donc, tu as les crocs ! » Hein ? Quoi ? C’est pas bien ? On est deux à manger quand même. Il me fait peur du coup, je me suis trompé ? Y’en aura vraiment tant que ça ? Mais c’est pas grave, au pire j’en ai pour plus tard ce soir dans la nuit ou pour demain je sais pas. On verra. Lui a eu une grosse journée, il risque de bien dormir avec toutes les pâtes qu’il va pouvoir manger. « Du coup, j’ai préparé ma propre sauce tomate ! ». Ok le gars il fait ses propres sauces tomates. Il est clairement plus doué que moi avec mon beurre. Il me confirme son prénom avant de me dire son métier. « Je suis cuisinier ». Ah. Je me sens trop con d’un coup. Je devrais sûrement le laisser au fourneau. « Je suis content que tu cuisines ce soir ! » Ah. Ok. Heureusement que je fais que des pâtes. Pas beaucoup de chance que je me plante. Enfin j’espère. « J’ai la pression maintenant. » J’espère qu’il m’en voudra pas si c’est pas top. Je ne suis pas cuisinier du tout. « Et toi, tu fais quoi dans la vie ? »
« Je suis ambulancier. Rien à voir. Du coup tu m’en voudras pas si je loupe les pâtes hein. » Que je dis sur le ton de la plaisanterie mais en étant sérieux en même temps. Ce serait dommage de partir du mauvais pied juste à cause d’une histoire de pâtes. Je fais gaffe à bien remuer pour pas que ça colle. Ca sera au moins ça déjà. Il n’est pas là depuis longtemps non plus dans la coloc. C’est limite si on est arrivé en même temps. « Rencontrer de nouvelles personnes et partager de bons moments ! ». J’ai l’impression qu’il sort des phrases toutes faites qu’il a appris par coeur au cas où cette question lui serait posé. Ca fait bizarre. « Tu veux boire un truc ? » « Généralement je bois de l’eau quand je mange… » Parce que j’essaie quand même de rester un minimum en bonne santé. Je bois déjà beaucoup pour mon propre bien quand je sors avec mes potes. J’essaie de pas entrer dans l’excès. « Et toi, du coup, qu’est ce qui t’amène fraîchement à Brisbane... »
« Oh ben comme toi en fait. Envie de prendre mon indépendance. Je suis d’ici j’ai juste bougé de chez mes parents à chez moi. » Ca me fait encore bien bizarre de dire « chez moi » mais je kiffe. « J’ai fait les annonces et voilà j’ai trouvé ici pas trop cher bien placé. C’est cool. » Pour l’instant. On va voir si ça dure. Je goûte une pâtes avant de vider le tout dans la passoire. Je mets une partie des pâtes dans un saladier que j’ai sorti pour moi. J’en cherche un autre pour Byron qui va les agrémenter différemment de moi. « Tu fais quoi comme horaires de boulot du coup ? T’es à temps plein ? Tu bosses dans quel resto ? » Pour voir si on va beaucoup se voir ou pas.
Je lui annonce que je suis cuisinier. Ce mot agit comme un électrochoc chez mon colocataire. Je suis jeune. Je n’ai sans doute pas la tête de l’emploi. Je perçois de la tension, devant la casserole bouillonnante. Avec une cuillère en bois, il mélange les pâtes, pour ne pas qu’elles collent. « Tu as la pression… Oui et non… Si tu les fais ‘al dente’, tout ira bien ! ». Donc oui, il a la pression. Sauf s’il a un doctorat ès pâtes. Je resterais compréhensif si les pâtes ne sont pas assez fermes, trop cuites, difficilement digestes. Dans tous les cas, la sauce tomate confectionnée la veille rattrapera le niveau, quel qu’il soit. Je ne peux pas jeter la pierre à l’ambulancier qu’il est. Il est peut-être doué pour d’autres choses, pour lesquelles, moi-même, je suis une bille. « Disons que, si elles ne sont pas bonnes, je survivrais ! » Ça reste des pâtes. Mais il faudra que je lui donne quelques cours, le cas échéant.
Il me demande si je suis dans la colocation depuis longtemps. Guère plus que lui. Je lui dis que j’avais envie d’indépendance. C’est la réalité. Que je désirais rencontrer de nouvelles personnes, partager des moments agréables. C’est vrai. Mais, jusqu’à maintenant, je ne m’en donne pas les moyens. J’aime ma solitude, mon asociabilité. M’ouvrir aux autres est un combat du quotidien. Même dans mon métier. Je sais ce que je suis. Je sais ce que je vaux.Je préfère être en tête à tête avec mes couteaux, qu’avec mes coéquipiers. Et ce caractère ne plaît pas à tout le monde. Espérons, pour moi, pour les autres, que cette expérience de colocation agisse positivement sur moi. J’y travaille. Actuellement. Je tente ma chance avec Kane. Je propose de boire un verre. J’ouvre le réfrigérateur. Deux bières semblent nous appeler, pour les décapsuler. Partager justement un moment de convivialité. Mauvaise pioche. Il referme la porte à ma proposition, et moi celle du frigo. Il boit de l’eau quand il mange. C’est tellement surfait. Et une bière, ça n’a jamais tué personne. Même avec des pâtes. Du coup, j’ouvre un placard et j’attrape deux verres. Et le pichet d’eau. Légèrement dépité. J’ai fait un effort. Ça n’a pas payé. Tant pis pour moi. Je survivrais.
Il ne boit pas d’alcool mais, à mon image, ce dernier veut goûter à la liberté de ne plus avoir de comptes à rendre à ses parents. Et il est vrai, que nous sommes chanceux, le logement est agréable, bien situé dans la ville. Avec un loyer très attractif, nous avons tous les deux, à quelques semaines d’intervalle, été séduits et saisi l’opportunité. « Nous avons beaucoup de chance effectivement ! ». Les pâtes semblent être cuites. Il en goûte une. Selon ses papilles, la cuisson est satisfaisante. Il déverse le contenu de la casserole dans la passoire. Quelques secondes. Puis il fait la partition. Un saladier pour lui, un second pour moi. Ainsi, nous pourrions les agrémenter selon nos goûts respectifs. S’il préfère le beurre, c’est son choix.
J’attrape la sauce tomate, que je verse abondamment sur mes pâtes. J’y ajoute du fromage râpé. Je mélange. Le verdict de la cuisson des pâtes se rapproche. A-t-il bien géré la cuisson ? Ou s’est-il lamentablement planté ? Je n’ai pas le temps de savourer la première bouchée, qu’il se pose des questions sur mon emploi du temps. « Pour l’instant, je fais mes armes, je travaille à temps partiel dans plusieurs restaurants… Je fais quelques extras aussi… Ici ou là ». Silence. « Du coup, mes horaires sont très irréguliers et très flexible ! D’où l’attractivité de cette colocation et de son loyer vraiment peu cher ! » Et si la raison de mon installation ici, n’était que pécuniaire ? Non. Je dois me convaincre du contraire. Que si je suis ici, c’est pour découvrir les autres, d’autres univers, partager le mien. « Et toi, comme ambulancier, au niveau des horaires, tu dois être parfois amener à travailler de jour, comme de nuit ? Non ? » Je ne me mouille pas trop dans mes questions. Je n’ose aller plus loin que de lui retourner ses questions. En attendant, je me concentre sur mon saladier dont je mélange le contenu. Les effluves de la sauce tomate titillent mon odorat. « Tu fais quoi de ton temps libre ? » A part préparer des pâtes au beurre en buvant de l’eau. Je suis mauvaise langue.
Le RP prend place en Juin 2010 à Brisbane. Kane a 21 ans. Il vient de terminer son road trip d'Australie y'a quelques semaines.
« Tu as la pression… Oui et non… Si tu les fais ‘al dente’, tout ira bien ! ». Ah. Il se rend compte le gars qu’il me met la pression en connaissance de cause cette fois ? J’espère qu’il plaisante mais quand même, vu que je ne le connais pas du tout encore, j’ai du mal à trop saisir son humour. Car oui, je mise tout là dessus. Il est pas si cruel quand même ? Si. Le gars est cuisinier il doit forcément être du genre à remarquer tout ce qui ne va pas dans les cuisines de tout le monde. Du coup je ferme un peu mon clapet au sujet de nos pâtes et je commence les prières pour qu’elles soient al dente comme il les veut. Comment je passe du gars qui propose un truc gentil à celui qui est sur la ligne de mire s’il fait un faux pas. « Disons que, si elles ne sont pas bonnes, je survivrais ! » Ah. Bon. J’ai envie de le croire. J’ai envie d’oublier ce petit retournement de cerveau qu’il vient de me faire. Mais du coup, première impression je sais pas quoi penser de lui.
Je m’installe à la table pour manger après avoir mis du beurre dans mes pâtes. J’ai aussi chopé le sel et je commence par boire une gorgée de mon verre d’eau. « Pour l’instant, je fais mes armes, je travaille à temps partiel dans plusieurs restaurants… Je fais quelques extras aussi… Ici ou là ». Je comprends bien que lui même ne sait pas ses propres horaires. Une chose est sûre, je risque de pas le voir beaucoup s’il bosse dans autant de resto différent.
« Et toi, comme ambulancier, au niveau des horaires, tu dois être parfois amener à travailler de jour, comme de nuit ? Non ? » « Ouais, j’ai aussi pas mal de jours de congés donc ça va. C’est vraiment un super job. »
J’aime ce que je fais et je ne m’imagine pas faire quoi que ce soit d’autre. En plus les gens sont cool. Mon équipe actuelle est parfaite. Je passe pas mal de temps au boulot même si je suis off. Je me sens bien là bas. C’est comme une deuxième maison et puis ça me donne loisir à côtoyer plus l’autre équipe. Pas du tout parce que y’a une collègue qui me plaît beaucoup et à qui je n’arrive pas à décrocher un seul mot. « Tu fais quoi de ton temps libre ? »
« Ca dépend. J’ai pas mal de potes dans le coin. Ma famille… » Je suis pensif deux secondes avant de reprendre la parole. « Je pense j’irai manger chez mes parents assez souvent. Je suis pas encore bien habitué à avoir mon chez moi et puis ma mère fait toujours très bien à manger. » Un léger sourire se forme sur mes lèvres. J’ai pas peur d’avouer que je vais rentrer chez moi parce que j’ai pas encore totalement pris mon envol. « Mais ouais je vais souvent voir des concerts avec mes amis ou bien je passe mon temps à la caserne aussi. Ta famille est dans le coin ? D’après ce que tu m’as dit j’ai l’impression que tu vas passer ton temps libre à dormir. » Et je mange une première bouchée de mes pâtes qui sont très bien pour moi, mais certainement pas assez pour lui.
Il est ambulancier. Les horaires sont fluctuants. S’il est de garde. Ou non. Il semble satisfait de son travail. D’autant plus s’il a beaucoup de jours de congés. Nous avons un emploi du temps tellement atypique, entre lui et moi, c’est presque une chance que nous nous soyons croisés et que nous puissions partager un instant de convivialité. Une plâtrée de pâtes. Je lui ai mis un peu la pression. Le verdict est là. Il a fait la partition. Dans deux saladiers. Pâtes au beurre et fromage versus pâtes sauce tomate fromage...Est-ce réellement un combat équitable ? Je ne crois pas. Ma sauce tomate est une vraie tuerie. Les goûts et les couleurs. S’il a des goûts douteux, je n’y peux rien. Il est assez dégourdi pour faire des pâtes, c’est largement suffisant pour moi, là. Je verse le reste de la sauce tomate sur les pâtes. Je saupoudre le tout d’une bonne quantité de fromage et je mélange. L’odeur est exquise. Il me tarde de me délecter. Mais, avant toute chose, je tente de meubler le silence qui s’installe. Je l’interroge sur ses passe-temps. Peut-être avons nous des accointances qui pourraient, éventuellement, nous rapprocher. Et il commence à me parler de ses potes et de sa famille. Il est à côté de la plaque.Ce n’est pas ce que je lui demande… Je reste impassible. J’attends la suite. Il n’a pas fini sa logorrhée. Il me prévient qu’il retournera souvent chez ses parents, pour manger. Ceci explique cela, surtout si sa mère est un cordon bleu. C’est un assisté. Il ne maîtrise que la cuisson des pâtes. Je fais un petit sourire. Je tente d’être compatissant. Mais je n’en pense pas moins. Il n’a pas coupé le cordon. « Rien ne vaut la cuisine de sa mère ! » Je crois. Je ne sais pas. Ma mère était la professionnelle des surgelés et des poissons panés… Que je trouve infectes maintenant. Adepte du ‘moins j’en fais, mieux je me porte’. Je ne lui dois rien. Surtout sur le plan culinaire. Zéro pointé. D’ailleurs, il s’intéresse à ma famille. Il veut savoir si elle se trouve à Brisbane. « Mon parrain habite à Brisbane ! » Ma mère aussi. En prison. « Mon ancienne famille d’accueil aussi ! » C’est dit. Et mon père ? Je l’ignore. Il est peut-être mort. Probablement. Tout du moins dans mon esprit. « Tu écoutes quoi comme musique ? » En substance, il va voir quels types de concert. Peut-être que nous avons quelques goûts musicaux similaires. Ou pas. Je n’aime pas les concerts. Trop de brassage. Trop de monde. Quand je vois les gens les bras en l’air, esquichés comme des sardines, j’en encore moins envie de m’y rendre.
Et là, je reçois un coup de massue. Il en est venu à la conclusion que je dors lorsque je ne travaille pas. « Non ! » J’ai quand même une vie, en dehors du boulot, même si mon côté asocial ne le laisse pas paraître. « Je fais de la boxe ! » Du footing, de la natation aussi. « Et je suis investi dans une association ! » Silence. Si son inquiétude c’est de savoir si je serais dans ses pattes, je préfère le rassurer de suite. En parlant des pattes. Où en sont les pâtes. Mon colocataire en a déjà savouré une bouchée. J’en fais de même. La sauce tomate est excellente. Surtout avec le fromage fondu. Je le sais déjà. Les pâtes, quant à elles, sont pas trop mal. Il a bien géré la cuisson. J’ai la sensation qu’il attend un avis. Peut-être que, dans le fonds, il en a rien à foutre ? « Je suis au regret de te dire, qu’elle sont plutôt bonnes ! » Je ne vais pas non plus lui faire une holà. « Tu pourras en refaire ! » J’essaie d’être encourageant. J’enfourne une nouvelle bouchée. Délicieuse.
Le RP prend place en Juin 2010 à Brisbane. Kane a 21 ans. Il vient de terminer son road trip d'Australie y'a quelques semaines.
« Rien ne vaut la cuisine de sa mère ! » Ca c’est clair. Quand elle sait bien faire à manger surtout. Après on s’habitue à tout je pense. Mais oui, ma mère fait très bien à manger et elle connait tout ce que je préfère. Elle aime me faire plaisir alors je vais en profiter un petit peu oui. « Mon parrain habite à Brisbane ! » Je comprends par là qu’il n’a pas d’autre famille que lui dans le coin. « Mon ancienne famille d’accueil aussi ! » Ah. Si finalement. Mais comme il parle de famille d’accueil, j’ai pas trop envie d’aller sur ce sujet. Ca semble délicat et on est loin d’être déjà à y aller de nos confessions tous les deux.
« Tu écoutes quoi comme musique ? » Ah voilà un sujet que j’aime. Je vais essayer de pas aller trop dans le détail parce que je vais le saouler à notre première rencontre. C’est pas un bon plan. « Plutôt du rock, pop punk. Je suis fan d’Avril Lavigne, Mayday Parade, Fall Out Boy, You Me At Six, Paramore… Si tu connais. Y’a Amity Affliction aussi mais ils sont un peu plus violent. » Et il a une tête de premier de la classe. Je l’imagine pas écouter du métal. Heureusement je ne fais pas cette réflexion à voix haute parce qu’il a l’air de s’indigner quand avec une de mes assomption.« Je fais de la boxe ! » Ola. Je vais faire attention à ce que je dis maintenant si je sais qu’il sait mettre des droites. Je m’en suis déjà pris et j’ai pas pour envie que ça se reproduis dans ma vie. « Et je suis investi dans une association ! » Une association? Il en dit pas plus là dessus c’est étrange. Est-ce qu’il vaut mieux que je ne pose pas de question? Pas envie qu’il me mette un coup si je dis un truc qui va pas. Je suis en train de cogiter beaucoup trop je sais mais c’est comme ça que je suis. « Je suis au regret de te dire, qu’elle sont plutôt bonnes ! » Je sors de mes réflexions et me remets à manger du coup aussi pour pas qu’il pense que y’a un blanc ou quoi. « Tu pourras en refaire ! » Est-ce que c’est un piège ? Je préfère pas continuer sur mes talents culinaires qui je le sais son inexistant. Mais un silence serait gênant là.
« C’est quoi ton association ? Moi je suis pas dans une assoc’ mais j’aide des amis dans un groupe de musique. Ben Amity Affliction en fait… » Que j’ai nommé un peu plus tôt. « … Ils commencent à être de plus en plus connu et bientôt ils auront un merch guy officiel plutôt que moi quand ils tournent dans le pays. » J’essaie de les suivre le plus possible depuis le début mais c’est pas toujours possible. Je suis toujours très fier. « En fait ça a rien à voir avec une assoc mais je sais pas pourquoi j’avais envie de dire ça et bref… voilà. Content que tu aimes mes pâtes. » Je suis un petit peu écarlate parce que je suis tout à fait conscient d’être ridicule là. D’ailleurs je mange en redoublant d’effort. La bouche pleine je vais pas pouvoir dire de conneries comme ça hein ? On sait jamais. Ouais on sait jamais.
Je ne sais pas si ce fut une bonne idée de le pousser à embrayer sur la musique. Il énumère des artistes. Je hoche poliment de la tête. En toute franchise, à part Avril Lavigne, les autres ne me parlent pas. Peut-être Paramore ? Je ne sais pas. Sans attendre les chansons, je ne peux me prononcer. L’ignorance se lit sur mon visage. Difficile pour moi de rebondir. Ma culture musicale est assez lacunaire. Elle se limite aux grands groupes, connus et reconnus de tous… Les Beatles, Queen, The Who, Linkin Park. Pour un féru de musique, comme il semble l’être, je dois être un ovni. J’assume son inculture. Et je préfère prendre la mouche, lorsqu’il insinue que je n’ai pas vie. Que je passe mon temps libre à dormir. Non, un cuisinier peut gérer son temps autrement, même s’il est vrai que parfois je suis sur les rotules, je fais autre chose que dormir. Je mets les points sur les ‘i’ en annonçant que je fais de la boxe. Ça a toujours un certain effet. Le risque, même minime, de recevoir une droite bien placée dans la mâchoire calme les gens. Sauf s’il s’agit de gros durs. Auquel cas, il faut plus que des mots pour les calmer.
J’enchéris. Je ne fais pas que de la boxe. Je suis investi au sein d’une association. Je reste évasif. Lorsque j’ai glissé dans la conversation que mon parrain, mais surtout ma famille d’accueil, habitent Brisbane, j’ai senti un malaise dans ses yeux. Le jeune homme n’est pas dupe. Il a une once d’intelligence. Famille d’accueil ne signifie pas ‘enfance joyeuse, glorieuse, heureuse’. Loin de là. Et dans mon malheur, j’ai eu énormément de chance. Je n’ai connu qu’une seule famille d’accueil. Ouverte et altruiste. Grâce à elle, j’ai trouvé la force de m’investir dans le monde associatif. Pour me reconstruire et, par la même occasion, pour aider les autres.
Je tente un compliment. Réel. Vrai. Même si, dès le départ, j’ai eu de sérieux doutes sur ses capacités à faire des pâtes. Cuites. Digestes. Ses pâtes sont bonnes. Je lui conseille de retenter l’expérience quand il le souhaite. Face à mes compliments. Aucune réaction de sa part. Il mange ses pâtes. Simplement.
Il me demande dans quelle association j’œuvre. Petit moment de solitude. Après l’allusion à ma famille d’accueil. Je n’ai guère envie d’enfoncer le clou et de dévoiler plus encore de ma vie privée. Il n’aurait aucune difficulté à comprendre pourquoi je suis investi dans cette association. Finalement, il m’enlève une épine du pied. Temporairement. Il m’explique qu’il aide un groupe d’amis musiciens. Il me parle de ‘Merch guy officiel’. J’écarquille les yeux. Je ne comprends pas. Je tente ma chance, sans être sûr de viser dans le mille : « Tu es leur manager quoi ! » Ou pas. Je suis dans le flou total. « Ou peut-être que non ! ». Je ne peux pas l’accuser d’être éméché, il n’a pas bu une goutte d’alcool. Dans tous les cas ses propos sont peu clairs. Je suis dubitatif. Mais il passe rapidement à autre chose. Il admet que ça n’a rien à voir avec une association. Effectivement. Point positif, il finit par accepter mon compliment sur ses pâtes. Mieux vaut tard que jamais.
Pour ma part, je n’ai toujours pas répondu à sa question, son interrogation sur le type d’association dans laquelle je travaille comme bénévole. Je me délecte d’une bouchée de pâtes. Je bois un verre d’eau. Et je tente une réponse : « Je suis investi dans une association qui vient en aide aux enfants en détresse... » Derrière la détresse peuvent se cacher, hélas, de multiples facettes. Je n’ai pas envie de focaliser mon action sur les enfants battus. « C’est parfois compliqué… Mais c’est très enrichissant... » En vrai, c’est très compliqué. Ça réveille, pour moi, de douloureux souvenirs. Je suis tendu. Je me concentre de nouveau sur mon saladier de pâtes.
Le RP prend place en Juin 2010 à Brisbane. Kane a 21 ans. Il vient de terminer son road trip d'Australie y'a quelques semaines.
Il connait rien de tout les noms que je lui donne. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure mais c’est aussi une situation que j’ai déjà vécu mille fois. Je suis habitué, mais ça ne veut pas dire que ça rend le moment moins gênant parce que je suis déjà écarlate, y’a rien pour aider. « Tu es leur manager quoi ! » Je fais non de la tête. « Ou peut-être que non ! ». « Non je suis juste leur larbin en fait. » Je dis ça sur le ton de la plaisanterie mais c’est vrai. Je fais les trucs qu’ils veulent pas faire ou ont pas le temps de faire qui n’est que secondaire. Ça les arrange bien quand je suis sur une tournée avec eux cela dit et moi j’adore aussi. Ça me change de contexte et je suis qu’avec des gens qui me comprennent totalement.
Y’a un silence avant qu’il reprenne la parole, mais bon, en même temps, on est en train de manger. On peut pas tout faire. Moi je me garde bien la bouche pleine parce que j’essaie de me retenir de dire d’autres conneries plus grosses que moi. On a atteint le quota de malaise pour cette première rencontre avec mon coloc. « Je suis investi dans une association qui vient en aide aux enfants en détresse... » Ah. Ca fait du sens avec son information juste avant. La famille d’accueil. « C’est parfois compliqué… Mais c’est très enrichissant... » Je suis sûr qu’il sait déjà tout ce qu’il y a à savoir sur le sujet. « Ca a l’air intéressant ouais. C’est toujours bien de savoir qu’on est utile à quelque chose. » Je dis ça comme ça et je sais bien que c’est le pourquoi je suis devenu ambulancier mais je ne réalise pas à cette époque là à quel point j’avais ce besoin d’aider les gens. Mon frère. « Qu’on change la vie de quelqu’un. » Parce que oui, parfois c’est plus que juste être utile. On se rend pas compte parce que de l’extérieur ça n’a pas l’air, mais pour quelqu’un qui est dans une merde noire, ça fait toute la différence. Je pars un peu dans mes pensées alors que je continue de manger mes pâtes. Au final on est pas si différent lui et moi, sauf qu’il sait bien mieux faire la cuisine. Ca devrait bien se passer cette coloc. Enfin, je crois. J’espère.