Il n'était pas censé être en ville et elle ne l'aurait pas remarqué, d'ordinaire. Elle ne l'aurait pas suivi des yeux durant une longue poignée de secondes et elle ne lui aurait certainement pas sourit non plus. Elle n'aurait probablement même pas daigné dégager son regard d'une mèche noisette qui s'y est perdue. Dédiée devant ses prunelles qui le sont toutes autant quand elle le repère à l'autre bout d'un comptoir par-dessus lequel sa silhouette s'est allongée le temps de tenter d'attraper l'attention du barman.

Les hauts-parleurs crachent les mêmes notes répétitives et sa nuque est bouillante à Chloe, après qu'elle qui se soit précédemment faufilée entre les danseurs pendant de longues minutes. Elle qui sent sa respiration retrouver un rythme normal malgré son sang qui bouille encore dans ses veines. Elle souffle l'australienne, dérobe ses yeux de ceux du musicien en tournée qui n'a rien d'être en tournée, elle sourit aussi. La commissure de ses lèvres qui se retrousse, les fossettes qui se creusent et les joues qui rosissent. Il l'a autant vue qu'elle l'a remarqué, mais elle n'ira pas plus vers lui autant qu'elle sait qu'il ne fera pas un geste vers elle. Elle se contentera de l'observer à distance, de s'amuser de leurs mensonges qui reviennent les narguer. Elle avait bien dit qu'elle ne vivait pas ici et lui non plus, mais apparemment ni l'un ni l'une ne sont de braves gens honnêtes. Cohen qui s'en balance, Cohen qui se demande même, ce soir, qui elle veut être. Elle inventera de nouveaux mensonges si l'occasion se présente. Déjà, elle en jubile.

De l'autre bout du bar, le barman vient finalement se poster devant elle. Elle l'a bien vu, qui servait le brun, brun à qui elle dédie ses prunelles une ultime et dernière fois qu'elle croit. « La même chose que lui. » ses yeux l'ont lâché mais son index l'a impoliment pointé. Chloe qui s'autorise une brève curiosité, qui attend de voir ce qu'on va lui servir comme si c'était lui-même qui le lui avait amené.

Je suis dans un bar encore ce soir. Toujours les même bars quand je ne chante pas, toujours la même routine, les même clients et c’est sur la seule chose que je me concentre. Les sachets et les billets s’échangent jusqu’à ce que je décide d’aller me poser au bar. Je regarde mes doigts, je compte discrètement les gains de ma soirée. Ca fait quelques jours que je dors peu, que je passe mes nuits avec des femmes différentes ou les yeux fixés sur le plafond de ma chambre. J’ai envie de déménager, d’avoir mon appartement à moi, loin de tous les souvenirs qu’il y a ici. J’en ai marre, j’ai besoin de changer, j’ai besoin de nouveau.

Il est pas nouveau ce regard que je croise, ce sourire qui naît sur mon visage quand je vois qu’elle aussi elle m’a vu. Elle ne devait pas être là, elle n’était pas censée être à Brisbane plus de quelques jours, quelques heures. Mais là, on est quelques semaines après cette soirée que je n’oublie pas finalement. Cette soirée qui est restée dans un coin de mon esprit. Je la regarde, mais je ne m’approche pas. Moi non plus je suis pas censé être en ville, je devais être parti depuis quelques temps en tournée. Je me souviens des mensonges que je lui avais dit. Ca me fait rire, on se retrouve face à face, aussi menteur l’un que l’autre et ça m’amuse. Elle ne fera pas de crise, pas de scandale parce que j’ai utilisé un mensonge pour l’avoir elle le temps d’une nuit. Parce qu’elle a fait la même chose en face.

Elle est seule et je le suis aussi, mais je ne bouge pas, je commande un verre sans même lâcher son regard. Une bière, rien de très original et je la vois parler au serveur en me pointant du doigt. Elle compte se servir de lui comme pigeon voyageur ? Pourquoi pas après tout, ça peut être amusant. On aurait pu faire ça par texto mais je n’ai pas son numéro. Pourquoi je l’aurais pris ? On avait dit que c’était une seule fois, ça devait être une seule fois. Mais le destin en a décidé autrement. Le barman revient vers moi et vérifie mon verre. “Dites lui que c’est moi qui offre” Un clin d’oeil envoyé à la brune qui est encore au même endroit de l’autre côté du bar. Je finirai par la rejoindre, ou elle le fera, mais pour l’instant, on peut juste voir lequel des deux tiendra le plus longtemps loin de l’autre.

Elle aurait facilement pu lever du nez lorsqu'on lui sert une bière elle qui préfère mille fois mieux le vin. Elle aurait dû, logiquement, être honnête ou du moins se donner l'impression de l'être. Quand la bouteille glisse sous son nez et qu'on lui dit que ça vient de lui. Mais ce soir elle aime la bière, Chloe. Ce soir, elle aime la rousse ambrée qu'on lui a payée, qu'elle porte à ses lèvres en laissant de côté son froncement de sourcils habituel pour simplement goûter, pour voir au-delà de ce à quoi elle est habituée. Les notes sont amères et grattent sur sa langue, elle goûte bien plus pour en découvrir sur elle que pour apprendre à le connaître lui, l'artiste.

Le musicien devant lequel un petit groupe vient de s'attrouper. Ils masquent sa silhouette et elle grogne presque Cohen, s'en voulant de suite de se hausser sur la pointe des pieds pour tenter de le repérer derrière la barricade humaine qui s'est formée devant lui. Mais c'est peine perdue, il est trop loin et elle est trop petite, ses yeux roulent et son soupir se casse sur sa langue. La bière essuie le refus qu'elle s'imagine toute seule, quand elle ne pourra pas cheers avec lui à distance et quand vaut mieux, vaut vraiment mieux.

Elle fait volteface l'australienne, se pose dos contre le comptoir, coudes de chaque côté de sa silhouette. Ses prunelles glacées scrutent un bar qui ironiquement commence à la lasser. Son sourire en coin la trahit, bien sûr qu'elle se rappelle d'une multitude de détails de leur nuit. Et quand elle détourne les yeux en se rendant compte de sa connerie à anticiper qu'il soit encore caché derrière son troupeau de fans ou d'amis, elle sait pas, elle sait plus, elle veut pas savoir de toute façon ; le voilà qui est encore là, en solo désormais.

À son intention elle redresse sa bouteille, l'arque vers l'avant de quelques millimètres comme si elle allait faire tinter le verre de la sienne à elle sur le verre de la sienne à lui. « Il a laissé un bon pourboire, au moins? » qu'elle demande au barman qui lave un verre depuis de longues secondes derrière elle. Une question banale pour le reste du monde à laquelle il répond d'un haussement d'épaules désabusé ; une question dramatiquement importante pour elle qui ne demande jamais rien, sur rien ni personne.

Je bouge toujours pas, elle non plus. Ca ne m’étonne pas, on est du même genre et je commence à le comprendre depuis que j’ai compris qu’elle aussi elle pouvait être considérée comme une menteuse professionnelle. J’y avais cru à toute cette histoire de soeur. Surtout parce que je m’en fichais en réalité, elle aurait pu me dire n’importe quoi que je l’aurais suivi dans cet appartement. Je ne lui en veux pas et elle ne m’en voudra pas non plus de ne pas être en tournée à l’autre bout du monde. J’ai fait une tournée en Australie déjà, et on ne peut pas dire que ça fasse partie de mes meilleurs souvenirs. Mais je ne pense pas à ça ce soir, je ne ressasse pas quand mes yeux sont posés sur elle et la bière que le barman lui ramène. Le type a déjà l’air d’en avoir marre d’être utilisé comme porteur de message entre les deux cons qui veulent pas se rapprocher même s’ils en meurent d’envie.

Le contact visuel est perdu quand un groupe d’inconnu vient se poster devant moi. Des gens qui connaissent mon prénom, qui me connaissent moi. Je n’ai pas encore l’habitude que des gens connaissent mon visage et ma musique. Plus le temps avance plus je me dis que ça risque d’être mauvais pour le business que je sois connu. Mais je m’en fiche, je continue de faire les deux choses qui me plaisent le plus dans la vie et je le ferai le plus longtemps possible. Mais j’ai perdu Chloe des yeux, je ne la cherche pas vraiment quand on me pose des questions sur mes chansons. Je grogne, je réponds vite et je ris une ou deux fois pour faire bien. J’espère qu’ils vont se tirer pour que je puisse reprendre cette conversation à travers le barman et la bouteille de bière. Une conversation sans mots qui pourraient en dire long, mais qui ne veut rien dire puisque je la connais autant qu’elle me connait, c’est à dire pas du tout. Je ne la connais pas assez pour voir la lueur amusée dans ses yeux, le sourire en coin qui me rappelle la nuit qu’on a passé ensemble. Je le connais pas, et pourtant, je le vois tout ça.

Elle a le dos tourné quand je suis de nouveau seul. Ca ne m’empêche pas de la détailler, de l’observer, de me souvenir de chacun des points de sa nuque qui la font frissonner. Ces points qu’elle m’avait indiqué de ses mains, ces secrets qu’elle avait dévoilé parce que c’était une seule rencontre, une seule fois, une seule nuit. J’attends qu’elle se retourne, qu’elle revienne dans mon regard parce que c’est ce qu’elle va finir par faire. Il n’y a plus personne pour nous déranger maintenant, il y a juste ces quelques mètres de distance qu’on garde parce que ce serait dangereux de se rapprocher, parce que c’est certainement tout sauf une bonne idée. Mais depuis quand je suis un adepte des bonnes idées ? Je tends ma bouteille vers elle pour ce cheers à distance qu’elle a l’air de réclamer. Elle aurait pu se rapprocher pour pouvoir le faire en direct mais apparemment elle a décidé d’elle aussi se faire désirer. Pourtant je la connais la suite, je sens qu’on y échappera pas. Mais il fait nuit, il fait sombre, et on a le droit de s’amuser dans ces moments là.

Je lâche la bière quand elle lâche mon regard et qu’elle tourne la tête. J’ai pas craqué, j’ai juste envie de jouer. Je trouverai un autre mensonge, une autre raison pour laquelle j’ai disparu quelques seconde pour réapparaître derrière elle et attraper sa main pour l’emmener ailleurs. Un nouveau coin sombre, isolé, parce que c’est là-bas qu’on ment le mieux. Quand elle ne peut pas lire la lueur dans mes yeux et que je ne peux pas voir la sienne. “Je laisse jamais de pourboire.” Et j’offre rarement les bières aussi.

“Je laisse jamais de pourboire.”

Elle fronce du nez à nouveau Chloe, quand il répond à sa question pour elle, quand il réduit la distance et gomme les quelques miettes de mètres qu'il y avait entre eux deux. C'était la distance de sécurité qu'elle gardait confortablement, elle qui ne fait pas dans les deuxièmes fois, elle qui ne répète jamais la scène de la veille le lendemain. Il l'entraîne ailleurs et elle le suit pourtant, la bouteille ancrée dans sa paume et le regard du barman qui les suit une seconde une seule lui qui ne doit pas s'étonner autant de la scène que l'australienne. Pourquoi est-ce qu'il veut lui parler et pourquoi est-ce qu'elle veut l'entendre reste un mystère dans lequel elle se complait en ne disant rien, absolument rien. Elle a gagné un jeu qu'elle jouait sans même en connaître les règles, quand c'est lui qui s'est avancé et qu'elle n'a même pas eu besoin de lever le petit doigt.

Ses doigts eux, de toute façon, sont investis d'une autre mission alors qu'elle tente de se défaire de son emprise rien que pour qu'il referme instinctivement sa main un peu plus autour d'elle. Alors il ne laisse pas de pourboire, alors il est égoïste, alors il est radin. Alors elle aligne les détails comme s'ils allaient lui en dire autant sur lui qu'elle ne veut pas savoir. Elle n'a pas besoin de se dresser un portrait parce qu'elle ne le croit pas, pourtant elle s'en amuse en se demande quel personnage il choisira d'être ce soir et surtout quel personnage elle choisirait d'être ce soir, elle.

« Je bois jamais de bière. » un personnage qui apparemment dévoile une carte bien plus franche que le reste. Elle sent le mur d'un couloir plongé dans la pénombre qui se tient derrière elle, y prend appui de la plus naturelle des façons. La bouteille qu'elle porte à ses lèvres maintenant, l'air de défi qui vient avec. S'il sait qu'elle dit vrai ou s'il croit qu'elle ment lui importe peu, quand déjà elle se fait croire de la plus fourbe des façons qu'elle gagne encore. Elle gagnera s'il l'embrasse avant qu'elle ne le fasse. Depuis quand veut-elle être embrassée par lui à nouveau, de toute façon?

C’est moi qui ai bougé, c’est moi qui ai attrapé ses doigts en premier, c’est moi qui ai payé la bière, c’est moi qui ai fait beaucoup de choses pour réduire la distance de sécurité qu’on s’était imposé sans même vraiment le réalisé. J’aurais peut-être dû continuer de trinquer à distance, enchaîner les boissons différentes en attendant que ce soit elle qui craque parce qu’elle aurait été trop alcoolisé. Elle tente de se dégager sans même y mettre une once de motivation, ma main reste entourée autour de son poignet. Mes doigts ne se sont pas enlacés aux siens, peut-être plus tard.

Le coin est isolé, comment c’est possible de se trouver un coin aussi isolé dans un bar ? Je ne m’en plains pas, bien au contraire, je finis même pas espérer que personne ne connait ce coin et ce passage. Mes yeux ne la lâchent pas elle même si je m’éloigne pour poser mon dos sur le mur en face d’elle. J’ai lâché son poignet mais la brûlure de sa peau contre la mienne reste ancrée quelques minutes sur le bout de mes doigts. Je ne la vois pas bien, il fait vraiment sombre, mais je devine ses traits et ses courbes sous les filets de lumière qui nous parviennent de la piste de danse.

Elle boit une gorgée de sa bière en m’affirmant qu’elle ne boit jamais de bières. “Les habitudes son lassantes.” J’ai pas pris ma bière, alors mes mains se placent à l’intérieur des poches de mon jean. Poche encore remplies de quelques sachets que je n’ai pas vendu et que je ne vendrai pas ce soir. J’ai trouvé une occupation bien plus intéressante. Mon sourire s’étire au coin de mes lèvres parce que je la vois sa mimique qui me dit qu’elle n’aime pas vraiment la bière. Pourquoi elle boit si elle n’aime pas ? C’est peut-être un rôle, un nouveau qu’elle va jouer ce soir quand moi je suis en train de peaufiner le mien dans ma tête. “Tu peux me la donner si tu veux pas la boire.” Mon regard provocateur, mon sourire taquin que je renvois vers elle sans même tendre mon bras jusqu’à la bière. Je ne craquerai pas deux fois. Elle a l’occasion de partir, de s’éloigner si elle pense que je suis trop lassant. On avait dit pas de deuxième fois, on avait dit qu’on oublierait, on avait dit que ça ne durait qu’une nuit. Mais on pourrait dire que finalement, ça ne durerait que deux nuits.

“Les habitudes son lassantes.” elles le sont, ils le savent parfaitement. Elles le seraient ici et maintenant, s'ils jouaient au même jeu que la dernière fois ; mais ça n'y ressemble pas, pas du tout, quand il est appuyé sur le mur face à elle, quand aucun contact n'est caché dans la pénombre. Ils n'en sont pas à s'embrasser contre le mur des toilettes, chic, ni à peine à se gérer dans le placard des vestiaires entre deux cintres et quinze autres qui attaquaient leurs côtes, archi-chic. Non, là, il n'y a rien d'habituel, quand elle porte sa bière à ses lèvres sans quitter ses prunelles d'océan des siennes, quand elle parle bien plus que la dernière fois. Ses lèvres à ce moment-là, elles ne servaient absolument pas à ça.

“Tu peux me la donner si tu veux pas la boire.”
« J'ai jamais dit que je la voulais pas. »

Elle prend une gorgée, sans sourciller, bien trop appliquée à lui montrer qu'elle ne partage pas, qu'elle ne partage plus. La dernière fois elle avait partagé des bribes de secrets, des baisers à égarer ça et là de plein gré. Ce soir par contre, elle se veut muette, mutine, elle jauge sans rien ajouter de plus, elle n'en a pas envie et prétextera que ça la lasse, de se dévoiler. Même rien que des miettes, juste des miettes à portée.  

« T'es attendu. » qu'elle ajoutera, une longue minute plus tard à fixer sa mâchoire parfaite et sa plastique qui va avec. Une silhouette et une autre qui errent, qui ont repéré le musicien - en est-il vraiment un finalement? - à vouloir attirer son attention, attention que Chloe gobe toute entière pour son bien égoïste plaisir. « Tu pars ou tu restes? » qu'elle demande, l'ingénue, les lueurs des projecteurs de la nuit qui déculpent ses traits fins, qui font briller ses prunelles. On part, ou on reste?

Je reste dans un coin, elle est de l’autre. On a trouvé un coin isolé et pourtant on reste bavard. On parle peu, mais bien plus que la dernière fois. La dernière fois qui devait être la seule et unique. Celle qui devait être oublié au levé du soleil, celle qui devait être juste un coup de plus comment les autres. Mais cette soirée n’a rien d’une soirée comme les autres quand on se cherche depuis de longues minutes maintenant. Mais je garde la distance de sécurité, celle que j’ai envie de réduire dès qu’elle me dit qu’elle ne me donnera pas sa bière. “Moi je la veux aussi.” Mon sourcil se hausse, j’en ai déjà fini une au bar avant de la rejoindre, je pourrais très bien finir la sienne. J’attrape son poignet et la ramène vers moi sans prendre la bière. Pas encore.

On se fixe, on se jauge, et beaucoup de mots qu’on ne comprend pas encore passent à travers nos yeux alors qu’il y a encore une petite distance entre nous. Je fronce les sourcils, est ce que je suis attendue ? Pourquoi ça l’intéresse ? Je sais très bien pourquoi. Et moi aussi j’ai prévu de ne pas la lâcher ce soir. Ce sera juste une deuxième nuit qu’on oubliera le lendemain. “Non. Toi ?” Même si elle l’est elle va déroger à ses plans parce qu’elle va partir avec moi. Mes doigts errent sur sa hanche qui est à ma portée quand elle me demande si je reste ou si je pars. “On part.” Et j’attrape sa main pour sortir de là. Je ne sais pas où on va, mais on s’éloigne à deux.

On avance dans les rues de Brisbane alors que je n’ai pas lâché sa main. “Chez ta soeur ?” Mes prunelles brillent de malice. Est ce que c’est vraiment chez sa soeur ? Je m’en fiche. Je sais qu’elle m’a menti comme je l’ai fait, alors je ne dirai rien. Je ne vais pas la taquiner sur des points qu’elle peut utiliser contre moi.

Ses yeux suivent ceux du brun, lui qui laisse son attention dériver vers la bouteille. Bouteille autour de laquelle elle resserre instinctivement ses paumes dès l'instant où il mentionne un “Moi je la veux aussi.”, où son sourire n'en finit plus de grandir. « Trop tard. Dommage. » elle a l'air d'une gamine la seconde d'après Chloe, quand elle cale le goulot contre ses lèvres et gobe jusqu'à la dernière gorgée d'une bière qu'elle n'apprécie même pas. Sa paume libre essuie son menton, elle grade ses prunelles braquées tout du long, les perles bleutées de Jet qu'elle n'a pas encore décidé de lâcher.

Elle décide de tout ce soir Cohen, ou du moins c'est ce qu'elle croit quand elle décide qu'il a un duo de silhouettes dans l'ombre qui l'attend, et que ce sera bel et bien plus logique qu'il y aille. Qu'il rejoigne son public, qu'elle enregistre à nouveau sa mâchoire de proche, de si proche, avant qu'il ne se dérobe. “Non. Toi ?” mais il reste, et évidemment elle reste elle aussi. Son visage se redresse, sa nuque s'allonge, elle le toise et elle patiente, son sourire mutin répondant bien avant elle. « Pas à ce que je sache. » elle est passée maître dans l'art de nier qui que ce soit hors de son périmètre l'australienne. Un monde entier pourrait l'attendre de l'autre côté des portes mitoyennes du bar qu'elle n'y penserait pas, qu'elle n'y penserait plus. Elle vit sa vie à la seconde, et cette seconde-là, elle est toute à lui. “On part.” apparemment qu'il lui consacre cette seconde-là à elle aussi.

“Chez ta soeur ?” les rues de Brisbane se ressemblent toutes, la brise est pareille entre les immeubles et les dédales des trottoirs sur lesquels ils se pourchassent sans se lâcher les doigts. Égoïste, avide, elle éclate de rire, elle l'attire d'un sens pour mieux le repousser de l'autre. La seconde d'après elle l'entraîne dans une ruelle, elle souffle un « Non. » catégorique contre sa peau, ses lèvres desquelles elle garde une poignée de millimètres de distance sans que son souffle à lui n'ait de barrières pour se casser sur son souffle à elle. « Pourquoi tu m'as pas embrassée encore? » c'est pas elle qui le fera, qu'il n'attende pas. C'est pas elle qui le fera, ce soir en tout cas.

On respire mieux, on s’entend mieux même si on ne parle pas. On a pas besoin de beaucoup de mot, son impulsion à suffi pour qu’on s’éloigne du monde pour retrouver le notre juste le temps d’une nuit. Personne l’attend et elle n’est pas occupée, on aurait été au même endroit et dans le même état même si quelqu’un l’avait attendu ailleurs. On va pas calculer, pas réfléchir ou se poser de question. Parce que là c’est amusant, là je souris quand je l’entends rire elle quand elle joue. Tout n’est qu’un jeu, le jeu d’une nuit ou deux. Mais pas plus, on s’y tiendra cette fois. Et puis, qui me dit que je la recroiserai vraiment un jour ? Ce soir, c’est juste le hasard. Elle était au bon endroit au bon moment, rien de plus, rien de moins.

Ma main ne lâche pas la sienne, et pourtant mes lèvres n’ont pas rejoint les siennes. On doit garder la distance de sécurité non ? Mais on se retrouve de nouveau contre un mur et mes mains passent dans son dos à elle. Bon d’accord il n’y a plus de distance quand ses lèvres sont à seulement quelques millimètres. Nos souffles se mélangent, nos yeux se cherchent encore et encore. Pas chez sa soeur et je grogne, elle n’aime pas la routine, les habitudes la brune. On a passé une seule nuit ensemble, et pourtant des fois j’ai l’impression de me voir quand je l’entends ou que je la regarde. C’est perturbant, mais ce soir, j’ai toujours pas envie d’y penser. “Pourquoi toi tu l’as pas fait ?” Elle est joueuse et moi aussi, elle est capable de lutter et moi aussi. Oh que ça peut durer longtemps Chloe. Mes lèvres s’éloignent des siennes pour passer dans son cou. Parce que je me souviens de ce point juste là, et celui juste ici. Mon souffle se casse sur sa peau, mes lèvres s’y posent plusieurs fois sans jamais craquer quand je reviens à quelques millimètres des siennes. Il pourrait y avoir du monde autour, il n’y a qu’elle que je verrais. Au moins pour ce soir.