Les patients étaient bien plus nombreux que d’habitude, la faute à plusieurs urgences imprévues arrivées en catastrophe au cabinet. Autant dire que le blond n’a pas arrêté de travailler toute la journée sans pause, passant d’un patient à un autre, d’une histoire de petite fille qui entre au collège au chat du voisin qui a encore mangé les fraises du jardin. Il a rivalisé de patience et de sourires aussi francs que fatigués avant, d’enfin, arriver au bout de la journée bien plus tard que prévu. Il a laissé Martin fermer le cabinet pour une fois, ayant ainsi décidé que cela serait une partie de la dette qu’il a à éponger envers lui. Swann a de toute façon bien de meilleures choses à s’occuper ce soir, raison pour laquelle ses doigts tapotent avec nervosité le volant de sa voiture sur le trajet le menant à Dreamworld. Le soleil se couche peu à peu et il se contente finalement d’occulter sa fatigue en se tapotant les joues. Il n’a pas le temps d’être fatigué et il en a encore moins l’envie lorsque la jeune Lucia apparaît face à lui, toujours égale à elle même et rayonnante dans ce style d’une autre vie. « Je suis contente de te voir ! » Si elle s’arrête à distance raisonnable de lui (un pas, c’est bien), le blond n’en fait pas autant et gomme l’espace entre eux pour venir déposer un baiser sur sa joue. Il ne le fait pas lorsqu’ils vont courir ensemble puisque le contexte est différent mais aujourd’hui il s’agit d’une entrevue purement récréative alors cela lui semble naturel. “Saluut. Désolé, j’ai fait au mieux, on a pris du retard au travail.” Au mieux, c’est à dire qu’il a trouvé des bracelets fluorescent dans le premier magasin venu pour tenter de coller au mieux dans le thème, à défaut d’avoir eu le temps de se changer. Au moins il a les poignets colorés et le plus beau collier luisant qui soit, maintenant. Il profite même de la pause avant les réjouissances pour faire passer un des bracelets de son poignet à celui de Lucia, pour au moins les accorder. Après tout, il n’a même aucune idée de si oui ou non ces choses là datent des années 90. “Ca te va bien. Le bracelet. Et le reste.” Il l’observe une dernière fois de haut en bas avant de sourire niaisement, imbécile heureux qu’il est.

« T’es déjà venu ? Si t’es jamais venu faut absolument qu’on commence par la grande roue. Non ! Faut absolument qu’on commence par prendre à manger pour grignoter pendant la grande roue parce que ça va assez lentement. » Il ouvre la bouche pour tenter d’en placer une mais la jeune femme est bien plus vive que lui, il faut croire. Il a encore bien des progrès à faire de ce côté là. Il le savait, pourtant, qu’il aurait dû s’entraîner auprès du moulin à paroles que représente déjà Ginny. Pourtant, c’est promis, il n’est même pas vexé d’une quelconque manière que ce soit et au contraire il s’amuse du flot de paroles qu’elle est capable de débiter sans jamais respirer. Il en est de même quand elle court et c’est réellement impressionnant. « Non, en fait, faut attendre qu’il fasse nuit pour la grande roue je dis n’importe quoi. On peut commencer par les auto tamponneuses. Ou le grand huit. Ou le tir à l’arc mais ça veut dire qu’il faudra qu’on se trimballe une peluche géante parce que je ne pars pas tant qu’on a pas gagné une peluche géante. » Si elle ne semblait pas avoir prévenu d’aucune manière que ce soit la suite de la soirée, Swann se rend peu à peu compte qu’il ne s’agissait que d’une stratégie de politesse. Il sourit encore un peu plus devant Lucia qui semble finalement avoir tout prévu dans les moindres détails sans que cela ne le dérange d’aucune manière. Bien au contraire, finalement il apprécie que les choses soient cadrées et qu’ils ne manquent pas d’idées d’attractions et autres nourritures à tester. « T'aimes les sensations fortes ? » “J’adore ça.” « Tu veux faire quoi ? » “Manger.” Qui aurait pu en douter ?

“On peut commencer léger en prenant des crêpes. Ou des gaufres. Et après on pourra prendre des pommes d’amour. Et après des churros. Et enfin on digère avec de la barbapapa.” Elle gère les manèges et lui il gère la nourriture, heureux d’être à la fête foraine là où tout se résume au sucre et donc à ce que Lucia semble apprécier le plus en ce monde. Il a cru comprendre qu’elle ne jurait que par ça et il est donc heureux de ne pas pouvoir commettre d'impair ici. “On mange avant la queue pour le grand huit. Après on prend les pommes d’amour et on peut faire le tir à l’arc et après, même qu’on peut prendre les churros ET la barbapapa et on va dans la grande roue avec le super gros nounours qu’on aura gagné.” Il est parfait, le plan. Il rayonne de mille feux dans son esprit et si jamais vous lui posez la question : oui, il en est exceptionnellement fier. “C’est okay ? Tu la veux à quoi, ta crêpe ? Ou ta gaufre, hein.” Lui il prendra nutella, supplément nutella, ajout nutella et peut être même chantilly. En somme, il prend toujours ce qu’il y a de plus calorique puisqu’à ses yeux il n’y a que ça de vrai. Entre temps, il n’a jamais arrêté de sourire et s’est arrêté au beau milieu de l’allée, là où il l’a trouvé, sans jamais oser bouger ailleurs de peur de la perdre dans la foule déjà bien trop compacte. “Ça me fait plaisir de te voir aussi.” Il prend enfin le temps de le lui préciser alors qu’en face c’est la première chose qu’elle lui avait dite.

Les bijoux fluorescent sont désormais parfaitement positionnés et c’est sûrement le reflet du rose autour du poignet de Lucia qui donne à ses joues ce teint rosé qui lui va si bien ; quoi d’autre ? Ce n’est qu’une raison supplémentaire pour Swann de sourire, même si à vrai dire il n’a jamais cessé de le faire depuis qu’il a quitté le travail. Il est d’autant plus heureux qu’elle semble le suivre dans son idée de montagnes russes et pour le gamin en manque de sensations fortes qu’il représente, il n’y a sûrement pas de meilleure nouvelle - sauf l’annonce d’un repas imminent, oui, d’accord. « Je comprends pas que t’aies pas encore ouvert un restaurant. Ou un food truck qui vend des burger, des frites, des milkshake et des cafés à la cannelle. » Bien que l’idée le fasse sourire et rejoigne les mille tentatives de son aîné pour qu’ils se lancent là dedans, Swann reste pourtant catégorique à ce sujet : vendre de la nourriture ne sauve pas les gens. Il a besoin de se sentir profondément utile à la communauté pour se sentir vivre, sinon il ne devient rapidement plus que l’ombre de lui même. Lucia ne sait pas tout ça et elle n’a pas besoin d’être mise au courant, il se contente donc de rire à ses côtés alors que leurs pas les mènent peu à peu vers le stand de nourriture. Il n’ouvrira sans doute jamais le sien, certes, mais rien ne l’empêche d’être le plus heureux des hommes dès qu’il commande chez d’autres. « J’aime pas la barbapapa. » Un monde s’effondre et il ne sait clairement plus où se mettre, ouvrant et fermant la bouche sans ne savoir quoi dire ni comment réagir. C’est comme s’il avait appris sa mort imminente, mais dix fois pire encore. Un poil dramatiques, les McGrath ? Mais non, voyons. « Non je plaisante, c’est parfait dans cet ordre là. » Rapidement, il respire bien mieux et reprend des couleurs. Si jamais elle n’aimait réellement pas la barbapapa, cela aurait mis à mal tout le plan de la soirée qu’il avait préparé avec minutie sans en avoir l’air. Les portions de nourriture ont été rigoureusement calculées tout comme les heures dédiées pour manger chacune d’elles et les attractions à insérer entre deux passages au stand de nourriture. Avant toute chose, il souhaite passer une bonne soirée et à défaut d’être certain de savoir comment s’y prendre, il jongle avec ses souvenirs du lycée et les adapte à sa nouvelle condition d’adulte responsable.

Avant toutes choses, répondre aux questions existentielles de Lucia fait partie de ses priorités. « Elle sera grosse comment cette peluche ? Leah sera jalouse ? » Armé de son plus grand sourire de vainqueur (qui n’a même pas encore commencé à jouer), il écarte ses bras au maximum pour mimer la soit disant taille de la peluche. “Leah sera hypeeeer jalouse.” Leah s’en moquera sûrement puisque Leah n’a pas eu le droit au plus beau des portraits dans la description de sa colocation mais Lucia le sait sûrement mieux que lui, il se contente donc de jouer le jeu avec joie. “Par contre j’imagine que tu vas devoir acheter un nouveau lit. King size, au moins.” Parce que la peluche dormira avec elle, bien sûr, ce n’est pas négociable. Elle sera de toute façon bien trop parfaite pour être laissée de côté.

Dans la file d’attente, on grogne des gestes trop amples de Swann et on lève les yeux au ciel devant la niaiserie dont ils dégoulinent mais aucun ne s’en rend compte et aucun ne se calme pour autant, bien au contraire même. Elle prépare son menu en avant et lui ne peut qu’approuver tant de gourmandise. Après tout, ce ne seront que des raisons supplémentaires pour faire un tour plus long avec Rex la prochaine fois qu’ils se verront. « Le grand huit, y’a des loopings ? » “Yeeep. T’as jamais testé ? Tu vas voir, c’est génial.” Ils n’ont pas la même vision de génial mais Swann n’arrive pas à s’en rendre compte - aveuglé par la double dose de chantilly ou par les yeux de la brune qui passent de terrifiés à brillants, on ne sait pas trop. “On peut aller manger dans la file et laisser passer les gens avant qu’on termine. Comme ça on pourra se mettre sur les premiers sièges !” Technique de McGrath en manque de sensation forte, le manque se ferait presque ressentir s’il ne ressemblait pas à un gamin surexcité avant son premier jour d’école. Il ne sait plus où donner de la tête, pour une fois que la soirée n’a l’air d’avoir aucune ombre avec elle et que tout se passe pour le mieux à bien des niveaux. Lucia est belle et resplendissante, elle sourit tout le temps alors elle doit aller bien. La fête foraine est juste assez remplie pour tourner sans qu’ils soient serrés les uns contre les autres et par dessus tout : aucun manque de nourriture n’est à prévoir. En somme, c’est le rêve.

Ils ont dû laisser passer à peu près un millier de personnes avant eux le temps qu’il finissent leur gaufre mais le jeu en vaut assurément la chandelle et aucun des regards noir qu’on a pu leur lancer n’assombrira leur journée. Bien au contraire, ils s’amusent de l’accoutrement de chacun puisque personne ne semble avoir respecté le thème de la soirée à part eux. Ils semblent tout droit venus d’un portail temporel et s’il avait eu plus ou moins dix heures devant lui, il aurait fait l’analogie avec tous les épisodes de Doctor Who qu’il connaît - c’est à dire tous. Fourbe, il en profite pour montrer du doigt une curiosité inexistante dans le simple but de détourner l’attention de la brune et de lui dérober une bouchée de sa gaufre sans crier gare. “Le serveur a mis la double dose de chantilly pour toi, je l’ai vu. Tu devrais lui demander son numéro, il avait l’air sympa.” Et c’est sûr qu’il trouve Lucia sympa, lui aussi. Swann ne voyait que ça. Allez savoir pourquoi ça l’intéressait soudainement tant.

“Prête ?” Question rhétorique, il est trop tard pour reculer. Ils sont au premier rang de l’attraction, ils ont encore du nutella au coin des lèvres et si les yeux de Swann brillent d’excitation, on dira que ceux de Lucia brillent à cause de poussières. Les harnais de sécurité les empêchent presque de respirer mais fort heureusement pas de lever les yeux au ciel et pour le blond c’est tout ce qui compte. Pour lui, cela a tout du Paradis si ce n’est le nom. Les ongles de Lucia se frayant un passage jusqu’à son sang ne sont que le dernier indice dont il avait enfin besoin pour comprendre que non, tout le monde n’est pas aussi à l’aise que lui sur ce genre de manège et il replace les bras le long de son corps tout en tentant de garder ses doigts liés à ceux de la jeune femme pour la rassurer. Désolé de ne rien pouvoir faire d’autre avant que le manège ne s’arrête, il se promet pourtant de faire de son mieux une fois qu’ils auront posé pieds sur la terre ferme. “Lucia je suis désolé.” Il se dit qu’elle aurait dû enfoncer ses ongles un peu plus loin dans sa chair pour qu’au moins il ait autant mal qu’elle était mal à l’aise, mais il n’a pas encore appris que tous les sentiments ne peuvent pas se traduire physiquement. Il garde ses doigts liés à ceux de la jeune femme tout en continuant à garder un œil sur elle le temps qu’ils s’éloignent de l’attraction mécanique et de la foule pour simplement retrouver un brin d’air marin, de calme et d’intimité. “Je voulais pas que tu te sentes … comme ça. Je ne pensais pas à mal.” comme ça parce qu’il se garde bien de poser des mots sur l’état dans lequel elle est. La brune sait bien mieux que lui ce qu’elle ressent, ses mots sont donc inutiles et à défaut il esquisse un demi sourire peiné avant d’entrouvrir ses bras pour lui laisser le droit de venir se blottir contre lui, si jamais elle en a besoin, si jamais elle en a envie ou encore si jamais elle a froid. Elle pourrait avoir toutes les raisons du monde ou même aucune qu’il aurait tout de même ouvert ses bras pour la serrer contre lui, se voulant présence rassurante maintenant qu’il sait avoir fait un pas de travers. “C’était nul de toute façon cette attraction. On pouvait même pas manger. La grande roue sera bien mieux.” Ils en feront mille tours et tout ira mieux. "... Ou pas ? Ça te va la grande roue ?"

Contre elle, lui aussi se sent mieux. « Mais c’est gentil de faire semblant. » Bien que tout son corps semble désormais fonctionner au ralenti, il lui répond pourtant du tac au tac. “Je fais pas semblant.” Il aurait pu, il aurait laissé couler, il l’aurait laissée passer d’elle même à autre chose sans avoir à lui répondre quoi que ce soit et il sait qu’elle ne lui en aurait pas voulu. Swann ressent pourtant le besoin de clarifier les choses parce que s’il y a bien une chose qu’il aimerait ne jamais faire face à elle, c’est jouer la comédie. Il ne fait pas semblant aujourd’hui tout comme ça n’a jamais été le cas à un quelconque moment et il espère aussi naïvement que sincèrement que tout continuera ainsi. Elle n’est pas une trouillarde et lui n’est pas un usurpateur. Quand il l’aura compris, il pourra commencer à les définir autrement que par des négations.

Sa main se détache de celle de Lucia simplement pour venir se poser sur ses yeux alors qu’il devient paradoxalement les siens, observant les machines à sa place, anticipant quelle peluche elle voudra en extraire. « J’ai pas bien pris le temps de regarder toutes les peluches alors je suis sûûûûre qu’il y en a au moins une qui te ressemble. » Il rigole par automatisme, ses yeux noisette perdus entre une araignée et un on-ne-sait-trop-quoi qui ressemble à quelque chose qui serait passé sous les roues d’un véhicule. Bien qu’il sache pertinemment que ce n’est pas ce à quoi Lucia pensait, la comparaison le laisse aussi rêveur que amusé. Finalement il lui concède la vue de nouveau, laissant ses mains retomber le long de son corps. C’est promis, il arrête de l’embêter à partir de maintenant. « Laquelle alors ? A la base je voulais le koala là bas dans le fond, mais je suis curieuse. Selon toi, quelle peluche te ressemble le plus ? » Elle prend en charge les commandes de la machine et lui se pose à côté, ses coudes posés sur la barrière, tout son corps appuyé dessus simplement pour observer d’un peu plus près l'amas de peluches en tout genre. Les pinces ne semblent en faire qu’à leur tête sans que cela n’étonne personne, il s’amuse de l’acharnement dont elle fait preuve pour se faire écouter. “Un kangourou ça aurait été cool, je ne bougeais qu’en faisant des bonds quand j’étais petit.” Hyperactif, vous dîtes ? Besoin d’exercice constant, vous pensez ? A peine. Swann se déplaçait d’un étage à l’autre en s’amusant sans cesse dans les escaliers ; il courant sans jamais s’arrêter ni même prendre conscience que non, il n’était décemment pas possible de passer ses journées à courir, peu importe qu’il rêve de faire un marathon ou non. “Mais je ressemble pas à un kangourou, en tout cas j’espère pas. Un koala c’est cool aussi. Team K.” Elle aurait pu dire qu’il ressemblait à une limace qu’il aurait été le premier à approuver ses dires, bien trop désireux qu’elle attrape une peluche qui lui plaise plutôt que tout ne tourne autour que de sa petite personne. Il sera heureux si elle l’est et il le sera d’autant plus si elle arrive à réellement attraper quoi que ce soit alors que l’anglais prend un plaisir fou à l’embêter. Il cesse pourtant chacun de ses gestes dès qu’elle attrape un animal, lequel est encore de dos. Ils auront la surprise de savoir ce qu’elle a gagné dès lors qu’il sortira du toboggan et sera prêt à être serré très fort entre les bras de la jeune femme et et … - “Ah.” Il pince ses lèvres, garde un visage mi choqué mi on-ne-sait-quoi. Ultimement, il éclate de nouveau de rire, aussi peu sérieux que cela puisse être possible. “T’as trouvé mon nouveau demi-frère.” Il a des frères et sœurs du côté McGrath de la famille mais après tout personne ne lui a dit qu’il était le seul Osborne dans toute cette histoire. Il n’est d’ailleurs pas à une surprise près. “Joli coup, Lu.” Et enfin il la congratule, parce qu’à sa place et avoir la chance qu’il a, il n’aurait jamais rien pu attraper.

Posant la tête de l’animal contre la sienne, il tente de reproduire la même tête de l’émeu. Plus ou moins. Il a simplement l’air d’être un débile, en somme. “Regarde, y’a un air de ressemblance, là.” Il ne veut pas qu’elle se sente mal et il ne veut pas faire toute une histoire de quoi que ce soit alors qu’il ne voit là qu’une occasion de plus de rire de bon coeur. “T’avais raison.” Son sourire est grand et véritable, il en a à peu près rien à faire de savoir son pourcentage de similitude avec l’horrible émeu en peluche. Au moins, c’est un souvenir dont elle ne risque pas d’oublier la provenance. “Tu dois le baptiser, ça aussi c’est la tradition.” Un émeu qui porte le nom de Swan aurait été cocasse mais il compte sur son imagination pour lui trouver un bien plus joli nom qui lui siéra davantage.

“Détour au stand de nourriture, et après on emmène Swann Junior sur la grande roue.” Le plan. Il suit le plan. Pour une fois dans sa vie, il se tient à ce qu’il a dit comme si toute sa vie en dépendait. La nourriture, puis la grande roue. Elle n’a pas le vertige alors cette fois-ci tout ira bien, il se le promet à lui même. Il attend même sagement dans la file pour avoir une de ces barbapapas qui sont en réalité des oeuvres d’art, pas moins. “J’essayerai d’attraper une peluche sur le retour, sinon je doute qu’on arrive à tout rentrer sur une seule banquette dans le manège.” Il manque les churros, il ne risque pas de l’oublier.

Il n’est qu’un sombre imbécile, Swann, mais un imbécile heureux. Jusqu’à quelques années en arrière encore il enchaînait les relations sans ne jamais s’en lasser ou, justement, en s’en lassant bien trop vite à chaque fois. Les femmes arrivaient dans son lit les unes à la suite des autres et lui visitait d’autres draps à la même fréquence sans que cela ne lui ressemble pourtant aucunement. Il avait besoin d’être entouré, le temps d’une soirée, le temps d’une nuit. Il avait besoin de se sentir proche de quelqu’un et d’avoir la possibilité de s’en défaire tout aussi rapidement pour ne pas avoir à s’engager un peu trop vite, un peu trop fort. Il a mené ce train de vie pendant des dizaines d’années sans ne jamais penser à le reconsidérer mais avec Lucia pourtant tout est si différent. Il prend son temps, non seulement pour la respecter elle mais lui aussi avec. Le blond ne veut rien brusquer et rien briser non plus, il cherche à trouver le parfait équilibre entre eux pour qu’ils puissent avancer ensemble à partir de là. Lucia est belle et intelligente, elle est douce et attentionnée et elle répond à son baiser comme il l’avait espéré. Sur le sommet de la grande roue, ils n’en ont désormais plus rien à faire de la vue et lui se contente de rigoler mentalement du vent qui vient épaissir encore un peu plus la fausse crinière de fauve de la jeune femme.

Son front contre le sien, il ne peut s’empêcher de caresser doucement ses joues maintenant qu’il sait en avoir le droit et qu’il peut avoir cette proximité avec elle qu’il s’est surpris tant de fois à espérer. « Tu veux bien recommencer ? » L’anglais rigole avant de venir l’embrasser de nouveau, tant parce qu’il en a envie que parce qu’elle vient de le lui demande avec sa voix fluette. Il sent leur nacelle entamer leur descente et voudrais avoir les compétences suffisantes pour les figer dans le temps, fort peu désireux de devoir un jour avoir à poser les pieds sur Terre de nouveau et se retrouver tout penaud face à elle. “C’est bien parce que c’est toi, hein.” Il se moque et rigole de nouveau, désormais bien trop insouciant du monde qui les entoure alors que justement il n’en a plus rien à faire de rien. Sa main se loge dans le chevelure de la brune dont il garde la tête posée contre son épaule, ils en reviennent à leur position initiale comme si rien n’avait changé alors que justement, tout a changé. Il a un sourire bien plus franc et bien plus grand que jamais, déjà. « Et du coup tu t’es coupé c’est quoi que tu voulais faire depuis quelques temps ? » Tout a l’air tellement plus simple entre eux désormais et au rire de Lucia répond celui du jeune homme, comme s’il n’y avait rien de plus naturel en ce monde. “Il faut que je te montre encore ? Parce que si y’a vraimeeent besoin, je peux me dévouer.” Sa main l’amène un peu plus près contre lui encore, il y ajoute un baiser sur sa tempe pour lui prouver son affection pour la jeune femme, comme s’il en avait encore besoin. « Tu veux qu’on refasse un tour ? Il a pas bien vu... » Affichant une mine désolée face au désespoir de l’émeu, le blond finit par demander un tour supplémentaire dès que leur nacelle se pose en bas de la grande roue. Personne d’autre qu’eux ne fait de toute façon la queue, trouvant sûrement ce manège totalement dépassé. “J’avais pas fini ma barbapapa par ta faute, de toute façon.” Il ne l’a pas touché depuis qu’ils sont entrés et pour une fois il ne ment pas réellement - il faut seulement omettre la partie où c’est lui qui a dérobé toute l’attention de la jeune femme sans même une once de remords. “Je suis désolé, Matt sera affreux quand il va comprendre qu’il avait raison … pour nous deux.” Il est désolé mais il sourit quand même, lui qui sait très bien que le ‘affreux’ de Matt correspond à un état d’extase qui n’a rien à voir avec les jours où Ariane se sentirait peut être de bonne humeur. La rousse lui en a déjà bien assez fait baver pour une vie et il sait que leur frère ne tenterait jamais de les séparer, lui qui se contentera de lancer des clins d’oeils à tout va dès qu’il croisera l’un ou l’autre. Il avait vu l’évidence là où même Swann ne voulait pas y croire et s’enfermait dans sa bulle par choix. Aujourd’hui au moins, la vérité est rétablie. “Mais on est pas obligés de lui en parler, de toute façon. Ni à personne d’autre. On peut juste … prendre notre temps, si tu veux.” Loin de lui l’idée de vouloir cacher sa proximité naissante avec la jeune femme mais il ne veut pas non plus la brusquer puisque son monde est bien plus tumultueux qu’il n’y paraît et il craint encore et toujours de la faire fuir. La voir s’éloigner serait en réalité le dernier de ses souhaits.