Elle essaie encore de comprendre ce qui lui est passé par la tête, quand elle a rempli ce foutu formulaire censé l’envoyer au bout du pays, elle qui en revenait à peine une semaine avant. L’excursion au bout du Bush australien avec Jada avait été tout ce qu’elle avait voulu et espéré : une bouffée d’air, un éloignement (forcé et contraint) de tous les problèmes auxquels elle n’arrivait toujours pas à faire face, et une clarté et un recul certains sur ceux-ci (à savoir : tout était pourri, par sa faute majoritairement, et faire table rase n’était pas une option). Quelle envie la prenait donc de repartir à nouveau ? Pour être franche, ceci étant, elle n’avait pas pensé une seule seconde que sa candidature serait retenue. D’abord, parce qu’elle était infirme, ensuite, parce qu’elle avait mis deux minutes à la rédiger et avait fait tomber des miettes de burger grasses sur l’envoi postal.

C’était sûrement le karma, en fin de compte, qui l’envoyait ici. Il est tôt quand Grace se pointe sur les lieux du tournage, clope au bec pour calmer sa nervosité. Rapide état des lieux : une scène de tournage somme toute classique, sans les accessoires voulus dans un cadre immobile et avec une plus grande liberté de mouvements pour les caméras et les micros. Bref, toute confuse soit-elle devant cette aventure qu’elle s’apprête à commencer, elle retrouve quand même un certain élan de familiarité face aux lieux : c’est son job, plus ou moins, sauf que cette fois c’est elle qu’on filme.
Outre l’équipe de tournage, bien occupée et lui prêtant à peine attention, ne se tient qu’un grand dadais blond, bras ballants. Un peu comme elle, et tout de suite elle se sent un élan de familiarité avec lui. “Tu participes toi aussi ?” qu’elle lance en direction du garçon, se rapprochant de lui et levant une main en guise de salut. “Grace, au fait. Je sais absolument pas ce que je fous là.” Autant être franche, quitte à se disqualifier à ses yeux comme ennemie redoutable : de toute façon, si ce n'était pas son franc-parler, ce serait son bras qui le ferait pour elle.

@Kane Williamson

C’est le jour J. Je regarde les gens un peu autour de moi me disant qu’ils peuvent tous être un binôme potentiel. J’aime plutôt la règle du partenaire inconnu. C’est toujours le duo le plus drôle dans ce jeu là, mais j’aurai trop kiffé pouvoir faire ça avec genre ma soeur ou encore mieux, mon frère. Genre un mix entre « Perdu de vue » et « Amazing Race ». Je suis bien stupide de toujours croire qu’il va revenir comme une fleure un jour. Je l’aime malgré tout. Je le déteste tout autant je crois. Mais c’est pas le moment de penser à ça. Je suis vite distrait par ce qu’il se passe autour. On est sur un tournage d’émission quand même. Pas un truc genre Love Island mais ça reste une émission. Ca va passer à la télé. J’ai prévenu toute ma famille bien sûr. Je ne saurais rien de leurs encouragements parce qu’on est coupé de tout pendant le temps de la course. Notre victoire ne se compte pas sur des votes par téléphone non plus.

“Tu participes toi aussi ?” Je tourne la tête vers la personne qui m’a adresser la parole et j’hoche la tête. « Ouais. J’ai une tête d’aventurier? D'habitude on me dit j'ai une tête de surfeur. » Ca me fait sourire de dire ça. “Grace, au fait. Je sais absolument pas ce que je fous là.” Elle me fait rire. Je lui fais un signe de la main en retour. « Kane. T’as sûrement envie de sortir de la ville, faire des nouvelles rencontres, aller dormir chez des inconnus et peut être bien gagner beaucoup d’argent. » Moi ça me motive beaucoup. L’argent surtout. J’ai beaucoup d’idées de ce que je peux en faire. Je ne suis déjà pas en reste sur mon compte en banque mais ce que j’ai en tête va coûter cher et je ne dis pas non pour plus. Je risque juste de pleurer quand mes grosses dépenses seront enfin là et que mon compte va diminuer en flèche.

Spoiler:

“Aaaaah, surfeur, ça le fait, aussi. Guitariste, même. T’es guitariste ?” C’est fou comme la pression rend loquace. Elle en oublie presque de se présenter, ajoutant à son prénom la marque de son désarroi : ce qu’elle fout ici ? Elle cherche encore. Une simple impulsion, à la base, et si la motivation est claire (soit l’envie de se tirer le plus loin possible, le plus vite possible), elle se demande encore comment elle peut avoir les boules de le faire : ça signifie abandonner pas mal de choses, au final, pour pas longtemps certes, mais le lâcher prise est quelque chose avec quoi elle a très souvent bataillé. C'est une honte, quelque part, surtout, parce que la possibilité d'échapper à tout ça est bien réelle et que les gens qu'elle laisse en plan ne l'ont pas. Non, pas sûr que Lola apprécie - et d'un autre côté, elle ne le saura pas, vu qu'elle a balancé son portable dans un coin de son appart en signe de déni avant de se barrer.

« Kane. T’as sûrement envie de sortir de la ville, faire des nouvelles rencontres, aller dormir chez des inconnus et peut être bien gagner beaucoup d’argent. »

Kane. L’aventurier slash surfeur slash potentiellement guitariste s’appelle Kane, et lui ne semble pas sentir une once du stress dans lequel Grace baigne en ce moment-même. Par ailleurs, il semble bien plus calé sur ce que lui fait là : “C’est tes motivations, ça ?” Elle lui jette un regard taquin. C’est très louable, ces motivations, d’ailleurs, que ce soit l’argent ou l’envie de découverte - l’argent, surtout. “J’admets, je dirais pas non à une telle somme. Aucune idée de ce que j’en ferais, mais c’est le genre de trucs auxquels tu trouves toujours une utilité.” Un sourire joue sur ses lippes. “C’est surtout pour quitter la ville, je crois. Ca devient un peu étouffant, en ce moment. J’ai besoin de partir là où personne me connaît.” C’est beaucoup d’un coup, mais elle sent le besoin de confier sa culpabilité à quelqu’un. Dommage, Kane, tu tombes au mauvais moment. “T’as déjà fait ça, toi ? Des circuits comme ça ? Ou des trucs à la télé ?”

“Aaaaah, surfeur, ça le fait, aussi. Guitariste, même. T’es guitariste ?” J’hoche la tête. Comment elle l’a senti ? Elle a du flaire. C’est drôle et flippant à la fois. Moi j’ai aucune idée si elle joue de quoi que ce soit. Je l’imagine plutôt bien avec un masque un tuba et des palmes. Je sais pas pourquoi, c’est juste une image que j’ai eu.

“C’est tes motivations, ça ?” J’y réfléchis du coup. Est-ce que c’est ça aussi pour moi ? Sûrement quelque part. Si j’y ai pensé si facilement. J’hausse une épaule, pas trop convaincu moi même de ma propre réponse, mais le sourire sur mes lèvres prouve que j’y accorde pas tant d’importance au fond. Je ne réponds pas vraiment, j’en sais rien. “J’admets, je dirais pas non à une telle somme. Aucune idée de ce que j’en ferais, mais…” Aucune idée ? Moi j’ai plein d’idées de ce que je ferai avec plein d’argent. “C’est surtout pour quitter la ville, je crois. Ca devient un peu étouffant, en ce moment. J’ai besoin de partir là où personne me connaît.” Je comprends tout à fait ce qu’elle veut dire par là. “T’as déjà fait ça, toi ? Des circuits comme ça ? Ou des trucs à la télé ?”

« A la télé non. Mais j’ai fait pas mal de voyages, partir six mois loin de tout. » J’en reviens tout juste d’ailleurs. L’unique raison de mon retour c’est que je me suis planté dans mon visa et je n’essayerai même pas une seule seconde de tenter un truc illégal pour rester plus longtemps en Angleterre. Mentir c’est pas mon fort quand c’est des trucs si important comme des papiers administratifs. Je suis pompier quand même, si je commence à frauder ça va pas le faire du tout, peut être même que je pourrais plus bosser. Ca m’étonnerait pas. « Là personne va nous connaître mais tout le monde va nous voir. Je sais pas trop si ça va vraiment avoir l’effet escompté. A moins que tu prévois de saboter les caméras de ceux qui vont te suivre. » Ca me fait beaucoup rire d’imaginer ça. Ca n’aurait aucun sens parce que pour l’instant ils nous ont juste donné $5. « Je serai là pour dire que tu fais parti de la règle du binôme invisible. Celui qu’on voit juste à la fin s’il a gagné, sinon, on le voit pas. »

C’est très con, de faire ça sur un coup de tête, parce que la préparation qu'il y a derrière est relativement impressionnante. Il ne s'agit pas juste de partir pour cinq semaines avec ses cliques et ses claques et de faire son petit bonhomme de chemin, non plus ; non, ça implique de savoir gérer ses journées avec cinq dollars par jour, d'épauler un partenaire totalement inconnu et potentiellement extrêmement désagréable style Gregory Morton, mais aussi et surtout de supporter le poids de la pression sans craquer sur celui-ci ou sur les cameramen. D'ailleurs, supporter des cameramen en permanence pendant aussi longtemps, c’est un des trucs auxquels elle n’a pas du tout pensé avant : comment ça se passe, ce genre de trucs ? Est-ce qu'ils vous filment pendant votre sommeil ? Est-ce qu'ils sont capables de déformer tout ce que vous dites pour rajouter du drama ? Pour une chieuse politisée et beauf comme Grace, ce serait bien l'aubaine si on capturait des moments d’elle en pleine envolée lyrique contre les flics ou quelque classe politique que ce soit (à moins qu'on ne préfère simplement la montrer rigolant bêtement sur une plaisanterie des plus beaufs portant sur le sexe, le handicap ou la mort).

« Là personne va nous connaître mais tout le monde va nous voir. Je sais pas trop si ça va vraiment avoir l’effet escompté. A moins que tu prévois de saboter les caméras de ceux qui vont te suivre. »

Et Kane continue à soulever des points pas cons : impossible d'avoir une quelconque intimité ou espérer se cacher, dans ce genre d'émissions. Elle ne verrait personne, certes, mais pour autant tout le monde la verrait : sa famille, ses proches, les gens qu'elle détestait au boulot et probablement Lola qui se demandait où elle partait pendant si longtemps qui justifiait qu'elle abandonne son portable. “Le répète pas, mais c’est exactement ce que je prévois de faire”, glisse-t-elle avec un grand sourire à sa remarque sur les cameramen. Kane concourt ensuite sur sa possible position dans l'aventure : “On risque de me voir beaucoup à la fin, alors”, retourne-t-elle, haussant les sourcils pour faire passer la plaisanterie. Elle est loin d'être sûre de gagner ; ses handicaps, bien que légers, ne sont pas rien et son endurance est loin d'être au beau fixe. Et surtout, elle aime trop attirer l'attention pour imaginer rester invisible pendant les semaines à venir. Sa stratégie a toujours été de faire le plus de bruit possible pour distraire plutôt que de rester discrète et avancer tranquillement...ce qui n'est pas forcément judicieux, parce qu’à bien y réfléchir, son handicap facilement perceptible pourrait très facilement être tourné à son avantage. “Je dis ça, mais je pense pas être là pour gagner. C’est pas vraiment mon but, et réussir m'attire pas tant que ça.” Pour une fois. “T’as l'air super confiant, en tout cas. T’as pas peur que ce soit la merde, avec les cameramen collés à nous pendant aussi longtemps ?”

“Le répète pas, mais c’est exactement ce que je prévois de faire” Je fais mine de fermer mes lèvres à clé. Elle entre dans ma vanne pas drôle et par extension je me sens vraiment très drôle. Du coup je l’aime bien Grace. J’ai rencontré personne d’autre qui participe mais je sais déjà que j’aimerai faire la course avec elle.  “On risque de me voir beaucoup à la fin, alors” Elle veut quand même gagner et heureusement. On vient pas à une émission pareille sans avoir envie de finir sur le haut du podium. Ca confirme que je voudrais vraiment bien être mis en duo avec elle. “Je dis ça, mais je pense pas être là pour gagner. ” Quoi ? “ C’est pas vraiment mon but, et réussir m'attire pas tant que ça.” Hein ? “T’as l'air super confiant, en tout cas. T’as pas peur que ce soit la merde, avec les cameramen collés à nous pendant aussi longtemps ?”

« Je te crois pas quand tu dis tu veux pas gagner. » Je réponds pas à la suite de son speech parce que je suis loin d’être confiant. J’ai juste l’air confiant. « Sinon t’as pas besoin de ce jeu pour partir avec ton sac à dos et $5 en poche par jour, nan ? » Merde. Peut être qu’elle est à $5 près. Je sais pas du tout, je ne la connais pas du tout. « Mais je comprends que l’émission soit un peu comme un contrat. Enfin je veux dire, tu voulais partir mais t’as pas pris le temps et comme t’es inscrit t’es obligé de partir maintenant. » Je marque une courte pause avant de reprendre. « J’ai retrouvé une amie y’a quelques semaines et… hmmm… Ca m’embête un peu de partir aussitôt mais j’étais inscrit et bref… Ouais. Maintenant j’espère au moins gagner pour que ça ait pas été du temps perdu que j’aurai pu passer avec elle. » J’hausse une épaule. Je parle trop. Je le sais. Du coup je me tais là. Elle va vite partir de l’autre côté parce que je l’ai ennuyé avec mes histoires. C’était plus drôle quand on parlait de binôme invisible et de casser du matériel de l’équipe de tournage.

C’est qu'elle ne ment pas, en plus, la bougresse : elle n’a vraiment pas l’intention particulière de gagner. Du moins, ça serait sympathique de finir sur le podium, de toute évidence, mais elle ne compte pas non plus se ruiner la santé et se coller un deuxième AVC à cause de la pression pour ça. 10 000 balles c’est sympa, mais s'il faut que tout passe dans les frais d'hôpitaux et de thérapie, c’est tout de suite moins alléchant. Non : son but, c’est vraiment de se reconnecter à son amour de toujours, le voyage ; et par la même occasion de fuir un peu son quotidien dans lequel elle ne se retrouve plus. C’est injuste pour ses proches, qui ont, sinon besoin d'elle, au moins envie de la voir sans qu'elle ne les fasse se sentir comme des poids qu'il faut fuir de toute urgence, mais Grace, elle a toujours été comme ça. À tout envoyer promener dès que les choses ne lui convenaient plus. Ce qu'elle considérait souvent honteusement comme de la lâcheté, mais qui était aussi une tendance très pratique et parfois salvatrice au lâcher-prise et à l’auto-préservation. Kane, cela dit, n’a pas l'air de la croire, et elle comprend : sorti de la bouche d'une inconnue, comme ça, ça fait vraiment phrase de merde qui vise à se disqualifier face à ses adversaires pour mieux leur foutre dans le cul après. Si elle avait été plus calculatrice et moins flemmarde sur l’élaboration de stratégies, elle aurait sûrement pondu un truc comme ça, mais pour l'heure, ça ne lui ressemble absolument pas.

« Je te crois pas quand tu dis tu veux pas gagner. Sinon t’as pas besoin de ce jeu pour partir avec ton sac à dos et $5 en poche par jour, nan ? »

Voilà, c’est exactement la réponse qu'elle imaginait de la part du surfeur blond, et qui pourrait l'en blâmer ? “C’est pas faux, mais en même temps, qui ferait ça volontairement ?” Pas elle, en tout cas. Peut-être elle il y a dix ans, dans la fleur de la jeunesse et sans peur de rien. Aujourd'hui, rescapée d’un AVC, les sols froids sur lesquels dormir et les arrières de pick-up avec un mec louche dedans ne la tentent plus autant. “Je trouve que c’est une façon de se forcer à découvrir ce qu'on est capables de faire, aussi.” Kane enchaîne et parle de contrat, elle acquiesce : c’est exactement ça. Non seulement ça vous oblige légalement, mais en plus il n'y a aucune raison ni façon de se défiler. Pas moyen de prendre sa carte bancaire pour se payer un hotel, par exemple. C’est aussi ça que Grace cherche : la contrainte, sinon elle sait pertinemment qu'elle ne sera pas capable d'aller au bout de son idée. Le grand blond finit par avouer qu'il vient un peu à reculons, pour sa part, devant lâcher une amie peu après leurs retrouvailles. C’est plus fort que Grace : “Une amie, ça devrait pas lui poser de problèmes.” Son binôme allait vite la jeter par la fenêtre, qui qu'il soit.

“Je suis partie pour fuir quelqu'un, personnellement. Je dirais que ton amie a de la chance que tu penses à elle comme ça.”

Elle hausse les épaules à son tour, un peu démunie par son propre aveu : elle n’aime pas se montrer sous cet angle, mais elle a été injuste envers Lola et elle a terriblement besoin que quelqu'un la lynche pour ça. “Enfin, j’ai fui plusieurs personnes, en vérité. Ou peut-être tout le monde. Tu vois le genre.” C’est difficile de voir, pour le coup. “Hé, les retrouvailles n'en seront que meilleures. Surtout si tu te ramènes avec un paquet de fric, non ?”

“C’est pas faux, mais en même temps, qui ferait ça volontairement ?” Moi je le ferai. Suffit juste qu’un de mes potes me mette au défi et qu’il soit partant lui aussi pour le faire. Ca serait fun. Surtout que je bosse pas. Mais du coup ce serait quand même beaucoup plus flexible comme histoire. Y’a très peu de chance qu’on finisse là où on aurait éventuellement prévu au départ. C’est aussi ce qui fait parti du fun. De cette façon là aussi je pourrais découvrir ce dont je suis capable comme Grace le dit. Je suis jamais trop friand de partir sans savoir où je vais dormir à l’avance. J’aime prévoir un minimum. Là je sais que je ne serai pas seul et qu’en plus on a une tente à disposition pour dormir si jamais on est à la rue. Ca me suffit comme bouée de sauvetage. Ca me rassure. Faut pas oublier la faune australienne dans tout ça. On va passer dans des endroits assez paumé. La belle étoile c’est drôle quand on est au bord de la mer, pas dans le désert. “Une amie, ça devrait pas lui poser de problèmes.” Une amie. Ouais j’ai dit ça parce que c’est une amie c’est sûr. Notre relation est trop compliqué alors je reste sur un terme qui est correct. “Je suis partie pour fuir quelqu'un, personnellement. Je dirais que ton amie a de la chance que tu penses à elle comme ça.” Justement si je pense à elle comme ça c’est parce que je l’aime comme bien plus qu’une simple amie. Je suis un peu à l’opposé de Grace là. Je ne cherche pas à la fuire, au contraire. “Enfin, j’ai fui plusieurs personnes, en vérité. Ou peut-être tout le monde. Tu vois le genre.” J’hoche la tête. « Je vois tout à fait le genre. » Parce que j’ai fait la même en décembre dernier. “Hé, les retrouvailles n'en seront que meilleures. Surtout si tu te ramènes avec un paquet de fric, non ?”

« Ouais… C’est vrai. » Parce que même si elle a trouvé quelqu’un d’autre pendant ces quelques semaines, peut être que l’argent sera à mon avantage ? J’ai tellement pas d’estime de moi que je me rabaisserai à ce genre de chose pour que Charlie me choisisse moi plutôt que quelqu’un d’autre. Je suis pathétique. Je sais. Je me soigne. J’essaie. Je crois. Oui. « Tu vas continuer le tour du pays si jamais t’es éliminé prématurément ? » Son but c’est de s’échapper de sa vie quotidienne, je trouverai ça juste très logique qu’elle continue malgré tout. Elle sera déjà loin de Brisbane, c’est facile de prendre un autre bus pour la direction opposé au lieu de se faire rapatrier par l’émission. « Je te conseillerai de rejoindre la côte pour continuer. La vue est tellement belle… » Souvenirs souvenirs…

Plus elle y pense et plus elle se rend compte combien ses motifs de départ sont lâches : ce n’est nullement pour retrouver sa passion d’antan ou se prouver capable de repartir seule à des lieues de chez elle. Tout, ça elle l’a déjà fait en Islande avec Lola, puis dans le bush avec Jada. Si elle veut être honnête, c’est simplement une question de fuite. Elle ne supporte plus Brisbane - ou peut-être est-ce Brisbane qui ne la supporte plus, elle. Trop de problèmes à régler, trop de choses auxquelles penser, trop de gens qui attendaient d’elle plus que ce qu’elle n’était capable d’offrir. Alors honnête, elle l’est, avec Kane. C’est la première fois qu’elle formule ses pensées comme ça, face à un parfait inconnu de surcroît, et s’entendre la désespère davantage encore - vite, repasser au sujet précédent, c’est-à-dire l’amie que Kane a l’impression d’abandonner. « Ouais… C’est vrai. » Le ton du grand blond est ébranlé, perturbé presque, ses yeux sont perdus au loin sans que Grace ne puisse les capter et, rien que comme ça, elle se met à culpabiliser : peut-être qu’elle aurait mieux fait de se taire. Qu’est-ce qu’on dit, dans ce genre de cas ? T’inquiète, l’argent ne fait pas tout ? Au pire, tu trouveras quelqu’un d’autre ? Elle ne connait ni le garçon ni l’intéressée et toute conjecture semble de trop. Alors elle se contente de garder le silence, interdite.

« Tu vas continuer le tour du pays si jamais t’es éliminé prématurément ? »

C’est Kane, qui relance, son regard pétillant duquel a disparu toute trace de tristesse. Il lui conseille la côte, visiblement soucieux d’oublier le sujet précédent : elle obtempère immédiatement, sans demander son reste. “J’y ai pas pensé, mais ouais, ça me tenterait franchement.” Et tant pis, si elle n’avait pas de portable, que personne ne savait où elle était ? C’était des choses qu’elle verrait plus tard. Des détails à régler sur le coup. Pas envie de s’embarrasser avec l’AVC, là, maintenant. “Je suis déjà passée plusieurs fois dans le bush, mais je refuserais pas un plus long tour. De toute façon, j’ai mes cinq semaines de libre, autant en profiter à fond.” Reculer le plus possible le retour, quoi qu’il en coûte. “Hé, tu sais quoi, si ton binôme et le mien sont éliminés suffisamment tôt, on n’a qu’à se retrouver et se faire un contre-ROA. Peut-être même qu’on arrivera au bout de la course avant le reste.” Sourire taquin pour compenser : voilà, le sujet précédent est définitivement enterré.

“T’as beaucoup fait la côte, alors ? T’as beaucoup voyagé, en général ? Hors Australie, hein.”

“J’y ai pas pensé, mais ouais, ça me tenterait franchement.” J’aime bien filer des idées aux gens, surtout quand elles sont bonnes. Visiblement j’ai vu juste avec celle là et je me sens tout fier. “J’ai mes cinq semaines de libre, autant en profiter à fond.” Je capte par là qu’elle a vraiment personne qu’elle a envie de voir dans sa routine à Brisbane. Personne qui passe avant son envie d’évasion et moi j’ai Charlie qui est bloqué dans mes pensées. Faut vraiment que je prenne de la distance avant de souffrir de nouveau. J’étais tellement plein de bonnes résolutions depuis décembre mais mon retour prématuré à un peu changer la donne. J’essaie vraiment de pas tout gâcher. Peut être que je devrais faire pareil que Grace si jamais je suis éliminé. J’aurai mon téléphone portable avec moi. Possibilité de rester en contact avec Charlie malgré la distance. “Hé, tu sais quoi, si ton binôme et le mien sont éliminés suffisamment tôt, on n’a qu’à se retrouver et se faire un contre-ROA. Peut-être même qu’on arrivera au bout de la course avant le reste.” C’est comme si elle avait lu dans mes pensées. Un large sourire se forme sur mes lèvres.

« C’est tentant… » Je dis pas oui. Je dis pas non. Je sais pas où j’en serai dans ma tête si jamais je me fais éliminer. Y’a moyen que je veuille continuer de voir du pays. Cinq semaines loin de Charlie c’est rien quand je suis déjà parti six mois. J’ai survécu. Ca s’est plutôt très bien passé. Je peux vivre sans elle. C’est ça que ça veut dire. Ca me fait du bien de le réaliser une fois de plus. “T’as beaucoup fait la côte, alors ? T’as beaucoup voyagé, en général ? Hors Australie, hein.”

« Pas tant que ça hors Australie. J’ai juste été en Angleterre. » C’est pas fou. Mais j’avais pas l’argent que mon père m’a débloqué l’année dernière pour faire des folies. « J’aime beaucoup l’Angleterre. J’y ai passé six mois là. Je suis revenu y’a quelques semaines et je réfléchis déjà à quand je pourrais y retourner. Enfin… Ce sera en fonction du visa qu’ils m’accordent. C’est chiant les papiers. » Je fronce le nez, j’ai vraiment l’air d’un gosse à qui on a retiré son jouet. « Comme j’ai beaucoup fait l’Australie j’avais jamais trop réalisé qu’on pouvait être limité dans le temps ailleurs. » Et puis je reprends le fil de ses questions. « J’ai fait le tour par la côte en van quand j’avais 20 ans. C’était génial. Et puis j’ai des amis qui sont dans un groupe de musique, j’ai été avec eux sur certaines de leurs tournées quand ils jouaient encore dans des bled paumés. » Ca me fait rire. « Maintenant ils font le Riverstage et Melbourne Arena, tout va bien dans leur vie. » Et je suis très fier aussi. « The Amity Affliction, tu connais? » Au cas où. Si elle dit oui, je risque de mettre un genou à terre et de faire ma première en demande en mariage de la course. « Peut être que je devrais les suivre sur une tournée en Europe la prochaine fois... T'as été dans quels pays toi?»

« Pas tant que ça hors Australie. J’ai juste été en Angleterre. » L’Angleterre. Pas un de ses pays préférés, mais certainement le terreau de son politisme et de son militantisme actuels. L’endroit où elle s’attendait bêtement à pleurer Jessian et où, à la place, elle a rencontré Jada, son groupe d’amis, leurs idéaux révolutionnaires et presque anarchistes et leur liberté totale vis-à-vis d’un monde duquel elle avait appris à faire partie sans se poser de questions. La Londres de la révolution des 60s était peut-être loin derrière mais Grace y avait trouvé la saveur restée, malgré le temps passé, aux côtés de ce petit groupe d’amis solidaires et soudés. Qu’elle soit retombée sur Jada après aussi longtemps relèverait du miracle, si elles n’avaient pas convenu de se serrer les coudes sur Brisbane, six ans après ; elles s’étaient alors retrouvées, vidées de leur fibre révolutionnaire, un peu tannées par le temps et le système, nostalgiques d’un monde si proche et si lointain tout à la fois. “T’as aimé ?” répond-elle juste, trop absorbée par les souvenirs - elle s’efforce de se recentrer quand le jeune homme poursuit et de fait, son sourire s’élargit. “Je connais pas du tout. Mais ça doit être dingue. Tu me rappelleras le nom, quand j’aurais accès à internet ?” Un sourire joue sur ses lippes : elle adore toujours découvrir de la musique, quelle qu’elle soit. Surtout en connaissant le contexte et la genèse d’un groupe. “Ca m’a fait un peu pareil, en fait, mais en Ecosse. J’ai trouvé un vieux CD d’un groupe local là-bas, j’étais complètement fan, et j’ai recroisé un des membres à Brisbane. Le hasard complet, je te jure, mais ça ajoute une dimension incroyable à la musique, quand tu connais un peu la personne qui l’a créée.”

Il lui retourne la question sur les voyages, ensuite, et elle doit se forcer à compartimenter pour ne pas trop déborder : “En Europe, j’ai fait l’Angleterre, aussi. Londres, surtout, mais j’ai bougé un peu. L’Ecosse, l’Italie, la Grèce, la Finlande ; bref, assez classique. L’Islande, plus récemment, aussi...” Un souvenir plus proche des autres, plus piquant aussi. “J’ai poussé jusqu’à la Moldavie, que je te recommande d’ailleurs, si jamais, c’est vraiment un coin incroyable. J’aurais bien voulu faire plus de l’Europe de l’Est, mais c’était compliqué niveau visas.” Elle hausse les épaules, résignée et déçue en retard. “En Asie, j’ai pu faire que la Chine, la Mongolie et le Tibet, en-dehors de deux-trois plages au sud-est pour mon ancien boulot. Et en Amérique Latine, j’ai fait le Honduras, surtout.” Elle sourit, comme repue et satisfaite : elle a son petit compte de pays, finalement, et se le rappeler à haute voix la rassasie à nouveau de ses envies de dépaysement. “T’as une bucket list, Kane ? Genre, les cinq trucs que tu voudrais faire avant de mourir.” Elle réfléchit un peu, regarde autour d’elle pour jauger l’avancée des préparatifs, puis ajoute : “Les cinq trucs que tu voudrais faire pendant la course, aussi.”

“Je connais pas du tout. Mais ça doit être dingue. Tu me rappelleras le nom, quand j’aurais accès à internet ?” Souvent les gens disent ça par politesse et ils vont jamais écouter après. J’hoche la tête mais si jamais elle me relance pas là dessus je pense pas que je lui redonnerai le nom. C’est de la politesse. Oui c’est sûr c’est ça. Mais elle enchaîne avec une histoire lié à la musique aussi et ça me plaît vraiment beaucoup. Peut être qu’elle est vraiment intéressée.  “Ca ajoute une dimension incroyable à la musique, quand tu connais un peu la personne qui l’a créée.” « Complètement. » Ca change tout. J’ai une pensée pour Joel, j’ai une pensée pour John. Genre dans quelle monde j’aurai cru que j’aurai en mutual sur instagram John fucking Floreani. Et si j’aime autant Amity Affliction c’est parce qu’ils sont mes amis avant tout. Grace lance tous les pays qu’elle a visité je suis sur le cul. Sa liste ne s’arrête pas, je l’écoute, impressionné qu’elle ait vu autant de la surface de la Terre. J’ai vraiment aucune idée du monde extérieur à côté d’elle avec mes deux petits pays à mon tableau de chasse. “En Asie, j’ai pu faire que la Chine, la Mongolie et le Tibet… ” Que Elle a dit que. “en-dehors de deux-trois plages au sud-est pour mon ancien boulot. ”

« Ah oui ça fait pas beaucoup. » Je plaisante gentiment. J’ai juste fait une escale à Singapour quand je suis allé en Europe. Cet aéroport c’est tout ce que j’ai vu de l’Asie. Je vais bien me passer de lui dire ce détail, c’est ridicule à côté de son palmarès.  “T’as une bucket list, Kane ? Genre, les cinq trucs que tu voudrais faire avant de mourir.” J’hoche la tête. Les buckets listes c’est clairement mon dada. “Les cinq trucs que tu voudrais faire pendant la course, aussi.”

« Hmmmm… Dans la vie j’aimerai bien me marier et avoir des enfants. Enfin, au moins un ce sera déjà beau. » Je suis peut être un mouton de la société à vouloir suivre le schéma des standards blablabla. Je m’en fou, c’est vraiment un de mes rêves, si j’arrive à ça, je serai heureux. « J’aimerai sortir un album. Genre un vrai disque que je pourrais avoir dans mes mains. » Pas juste des chansons sur internet. Un truc palpable. « Et je sais pas trop le reste, faudrait j’y réfléchisse plus mais pour aller jusqu’à cinq je voudrais écrire une chanson avec John Floreani - c'est le chanteur de Trophy Eyes - je voudrais voir Bring Me The Horizon à Sheffield ou Londres, je vais pas être trop difficile, en UK quoi. » Je compte sur mes doigts pour voir combien ça fait, quatre. Encore un truc. « Et puis hmmm voyons. Holding Absence aussi et Boston Manor. Bon j’ai été trop loin. Mais ouais, je les ai jamais vu et j’arrête pas de les écouter en ce moment. D’ailleurs ça va être bien triste la course sans mon Spotify. » J’essaie de pas y penser. Je sais pas pourquoi j’ai dit ça à voix haute d’ailleurs. « Mais bon, c’est pas grave. Pour la course j’ai pas pensé en fait. Un truc que je voudrais c’est pas être éliminé au premier tour. Gagner aussi. Mais j’ai pas trop réfléchit à ça. Et toi ? J’ai l’impression t’as une liste toute prête déjà. »

« Hmmmm… Dans la vie j’aimerai bien me marier et avoir des enfants. Enfin, au moins un ce sera déjà beau. » Il lui sort ça d’emblée, grand homme romantique qu’il semble être, bardé d’idéaux qu’elle ne peut toucher que de très loin. Grace, elle, n’a jamais eu vraiment cette impulsion de se poser, d’avoir une relation stable avec un jardin, un golden retriever et des gamins. Elle y a brièvement pensé, avec Alex - trop brièvement pour être concrétisé, cela dit, puisque la jeune femme s’appliquait à chasser ses velléités de concrétiser leur relation d’un revers de main craintif. Aujourd’hui, cela dit, les idées de se poser, de mettre de l’ordre dans sa vie pour une relation et, plus loin, un enfant, sont si lointaines qu’elle n’est même pas sûre qu’elles soient désirables. Elle se sent un peu désireuse du grand blond, lui qui semble si sûr de ce qu’il veut - avec son amie, avec son propre futur. Il rempile : un album, écrire des chansons avec des artistes, aller voir des concerts spécifiques. “Pareil. Je crois que ce qui va me manquer le plus, c’est mes clopes et ma musique.” Et son chat, un peu. Jordan, beaucoup. Lola, sûrement.

La question sur la bucket list la fait s’interroger sur la sienne. Grace, elle a jamais été du genre à se marquer des objectifs comme ça. Sa personnalité impulsive l’a toujours guidée vers des coins suffisamment improbables pour qu’elle se garde d’écrire quelque part d’aller les faire exprès. Si son tempérament en exaspère plus d’un, elle apprécie la spontanéité de son quotidien, son incapacité à rester en place et à être sage - ça lui fait des tonnes d’histoires à raconter, et surtout ses plus belles rencontres. Alors elle répond, honnêtement : “Nan, j’en ai pas non plus, en vérité. C’est pas mon genre de prévoir des trucs, et de toute façon, peut-être que dans trois jours mon binôme et moi on sera toujours bloqués ici, ou alors partis à Townsville… Trop programmer, ça sert à rien.” Elle conclut d’un haussement d’épaules. “Et j’ai pas envie de me faire chier avec trop d’objectifs, genre gagner, ou être deuxième. Lance pas d’autodafé contre moi, hein, mais je suis vraiment plus venue pour m’amuser que pour être vainqueure.” (En plus elle a déjà gagné dating queen, il faut laisser de la place pour tout le monde.) La jeune femme le jauge, regard tentateur, tandis qu’autour d’eux le bruit du début de tournage se fait : “Mais si t’as envie qu’on se lance des défis, j’ai quelques idées te concernant.”

“Pareil. Je crois que ce qui va me manquer le plus, c’est mes clopes et ma musique.” Je fume pas régulièrement mais je suis content parce qu’elle met la musique au même niveau que la drogue. C’est clairement une addiction en ce qui me concerne. Mais une qui fait du bien, une qui tue pas.  “Nan, j’en ai pas non plus, en vérité.” C’est drôle qu’elle pense à me poser cette question quand de son côté elle n’en a pas l’utilité. Ou peut être qu’elle n’a pas envie de se dévoiler autant que moi je viens de le faire. Je sais que je parle trop. Je sais aussi que j’ai rien dit d’extra ordinaire. Elle n’a pas trop bronché aux noms des groupes que j’ai annoncé, dommage. J’aurai aimé qu’elle se mette à chanter une de leurs chansons avec moi. Ca aurait été beau. Elle serait devenu ma BFF de la course instantanément. Je la rejoins sur “trop programmer ça sert à rien. ” Il faut programmer juste ce qu’il faut. Assez pour avoir la paix de l’esprit et savoir qu’on a un point de chute quelque part. Mais là n’est pas la question parce qu’ici on a rien pour prévoir quoi que ce soit. Elle va être servi dans l’art de rien programmer.  “Et j’ai pas envie de me faire chier avec trop d’objectifs. C’est une bonne façon de ne pas être déçu et je la rejoins complètement là dessus.

« C’est mieux je suis d’accord. »
“Mais si t’as envie qu’on se lance des défis, j’ai quelques idées te concernant.”

Je lève un sourcil en l’entendant. Je suis amusé et intrigué. « Des défis ? Genre au pluriel ? Un déjà je suis pas sûr… Mais dis moi ce que t’as en tête et… Je t’en file un aussi en retour, c’est plus juste comme ça. » Ah la justice. C’est quelque chose de très important pour moi. Y’a rien de pire que l’injustice dans ce monde. Je suis déjà en train de me creuser les méninges pour lui en trouver un aussi mais comme j’ai aucune idée de quel genre de défi elle fait mention, mais j'ai une petite idée alors je lance la mienne. « Tu te débrouilles pour te faire filmer en faisant genre t'as trouvé un animal mort sur le bas côté de la route et que tu as apporté ton avis médical dessus après un simple coup d'oeil, genre l'état du corps était tel qu'on peut d'office remarquer une fibrose endocardique du ventricule gauche.  » Je ris de ma propre connerie. Je me trouve hilarant.

C’est très con, ce besoin de se lancer des défis de merde alors que l’aventure tout entière en est déjà un sacré gros, de défi, mais Grace ressent l’envie d’avoir d’autres objectifs, juste au cas où. Parce qu’après tout, elle est presque sûre de ne pas gagner, avec ses handicaps relativement légers mais déjà significatifs, et son ego digérerait mal le fait d’être éliminée en premier : elle a besoin d’une victoire, quelque part, toute futile soit celle-ci. Un défi en représente l’opportunité parfaite : elle n’a aucun problème à s’embarrasser devant les caméras, si besoin est, du moment qu’elle a la sensation d’avoir accompli quelque chose. Et ce que Kane lui propose va exactement dans cette veine-là : « Tu te débrouilles pour te faire filmer en faisant genre t'as trouvé un animal mort sur le bas côté de la route et que tu as apporté ton avis médical dessus après un simple coup d'oeil, genre l'état du corps était tel qu'on peut d'office remarquer une fibrose endocardique du ventricule gauche.  » Elle le rejoint dans son rire, impressionnée par l’idée autant qu’emballée à la perspective de la réaliser. “Au top. Le premier opossum que je trouve dans les poubelles que j’ai l’habitude de fouiller, je lui examine le ventricule gauche.” Et si Kane ne l’en pense pas capable, c’est qu’il peut aller se moucher.

“Toi en revanche…” Elle se tapote le menton, fait signe qu’elle réfléchit : “Puisque t’adores la musique, je veux que tu chantes un chanson paillarde devant caméra, petite danse qui va avec. Je te laisse le choix de la chanson, de toute façon elles sont toutes beaufs.” Il a été trop gentil avec elle, à lui d’en payer le prix. “T’as le droit de me pourrir avec un autre défi si tu réussis celui-là.” Parce que sa street cred devant l’écran risque de drôlement en pâtir, le pauvre ; mais tant pis, c’est le jeu.
Derrière eux, l’équipe continue de s’agiter et enfin, les participants sont appelés à se rassembler. “Bon, bah bonne chance à toi, Kane.” Elle le gratifie d’une tape amicale sur l’épaule, grand sourire aux lèvres. “On se revoit en fin de semaine à la ligne d’arrivée. C’était cool de te croiser.”