”Je suis sûre qu’on peut trouver ça.” Il a l’air un peu plus à l’aise, et c’est un peu moins drôle donc je continue de le chercher. C’est comme ça que je cerne les gens, et lui, je l’ai déjà pas mal cerné. Mais il continue de m’amuser, alors on reste là. C’est toujours mieux que d’aller voir Martin, je n’en peux plus de le voir aujourd’hui. J’espère que ça ira mieux demain, sinon un des deux va finir par tuer l’autre et ce serait une mauvaise idée. “Tu m’as pas l’air de faire partie des bruns qui tirent la tronche. J’ai dû te voir sourire au moins, 2 fois depuis que tu m’as abordé.” J’aime bien ce mot, on verra si il tique dessus ou pas. On pourrait presque croire que je l’accuse d’être venu me draguer. Je hoche la tête en souriant, on verra s’il arrive vraiment à ne pas s’excuser.

“Qu’est ce que tu vois ?” Il va finir par faire une syncope sur sa chaise le pauvre. Mais j’adore le voir se décomposer comme ça, je ne sais pas si je lui plais. Je pars du principe que je plais à tout le monde donc je fais la même conclusion avec lui. Je tente toujours de capter son regard, et à chaque fois qu’il relève son regard je l’attrape. “Tu m’as très bien compris. Mais je peux toujours répéter si tu veux l’entendre encore une fois.” Je sais qu’il a compris, sinon il aurait pas bégayé de cette manière. J’ai l’impression qu’il va s’enfuir en courant, mais non, il reste là. “Qu’est ce que tu veux apprendre ?” Mon sourcil se hausse, je me demande de quoi il parle. De l’humour ? Certainement. Mais ça m’amuse de laisser planer le suspens, le doute. Il se détend encore un peu et croise mes yeux un peu plus longtemps cette fois, juste quand je ris de manière plus amusée qu’avant. “Ce serait bien dommage que je discute toute seule.” Et ma moue boudeuse prend le relais, jusqu’à ce qu’un sourire finisse par réapparaître.

Il secoue la tête en guise d’approbation ; bien-sûr qu’ils peuvent trouver une feuille et un stylo, ils sont encore dans la civilisation, pour l’instant tout va bien. Même s’il est permis d’en douter en vue du peu d’âmes qu’il a croisé lorsqu’il titubait dehors, il s’imagine sans peine que la production commence par les étapes les plus faciles et qu’arrivera un jour où ils auront réellement l’impression d’être perdu au milieu de nulle part. « Tu peux le faire, toi, t’as l’air de pouvoir obtenir ce que tu veux. » Il souligne alors que son regard se porte sur sa tasse de café entre les mains. « Je... je disais pas ça pour être méchant, excu-. » On a dit stop. Il se reprend en réalisant que cela peut sonner comme une accusation alors que ce n’est pas le but (ou peut-être un peu, mais il ne le reconnaît pas). « Il faut bien remplir les autres catégories. » Parce qu’elles sont importantes, les catégories. Ça aide à maintenir un certain ordre et un aspect sécurisant, Kieran tend à beaucoup se référer à celles qu’il se construit pour lui et mieux comprendre les choses qui l’entourent. Comme cette fille, qui appartient déjà à de nombreuses catégories qu’il n’énuméra pas à voix haute pour ne pas prendre le risque de la heurter. « Une fille plutôt sympa même si elle m’a arnaqué. » Il détaille, toujours gêné, parce qu’il a toujours peur de dire l’inverse de ce que les autres attendent. Peut-être qu’elle espérait une autre réponse et que sa précision ne lui conviendra pas, ce qui serait catastrophique pour Kieran. « Enfin, une fille sympa, je sais pas pourquoi j’ai dit « plutôt », c’est pas comme si j’hésitais ou si j’en doutais, t’as l’air complètement sympa et pas juste à cinquante pourcent sympa. » Et le voilà, qui s’enfonce, qui utilise à nouveau un vocabulaire des plus basiques, qui perd ses moyens alors qu’il a peur de l’avoir vexée. « Non, non, pas besoin. » Il marmonne rapidement, dans l’incompréhension la plus totale, perdu face aux agissements d’Ivy. « C’est pas une question à me poser, il y a beaucoup trop de choses sur la liste. » Il s’amuse, cette fois gêné comme chaque fois qu’il doit parler de lui, même indirectement. « J’ai pas dit que je devais pas utiliser le langage corporel. » Même s’il vient techniquement de rompre sa promesse... ATTENDEZ, QUOI ? « NON ! Non, c'est pas ce que je voulais dire, enfin, si, mais des signes, tu sais, des sourires... mais des sourires normaux, enfin, tu vois, bref. » Elles sont définitivement intéressantes, ses chaussures, ce soir, alors qu'il porte à nouveau le regard sur elles.

Je sais qu’on peut trouver une feuille et un crayon pour qu’il dessine. Il pourrait les demander, mais apparemment ce n’est pas dans ses projets. Lui ne sait pas obtenir ce qu’il veut apparemment, on est vraiment très très différent. C’est l’exemple typique de la personne que je n’aurais jamais rencontré en dehors de cette aventure. Il est étrange, et c’est certainement pour ça que je reste sur cette chaise et que je bois mon café bien plus lentement que je ne l’aurais fait en temps normal. Je joue avec lui, et il réagit à chaque fois. Mais, j’ai déjà gagné quelque chose, il arrête de s’excuser tout le temps. “Je prends ça comme un compliment.” Et j’en profite de capter son regard pour lui faire un clin d’oeil. “Donc faut te mettre dans quelle catégorie ?” Il s’en ait créé une pour lui ? Peut-être bien. En tout cas je suis curieuse et je compte bien avoir les réponses.

“Je t’ai pas vraiment arnaqué” Si je l’ai carrément arnaqué “Tu m’as juste prise pour quelqu’un d’autre” Et ça c’est totalement vrai. On a tout les deux cru que l’autre était un autre. C’est marrant comme situation, et ça m’a fait gagner un café. “T’as pas besoin de te justifier tout le temps non plus.” C’est juste des conseils. Je me demande pourquoi il est comme ça s’il n’a pas peur de moi. “Dommage parce que j’aurais bien répété que j’étais en train de te draguer.” Oh oups, je l’ai répété. “J’ai tout mon temps.” C’est faux techniquement, on ne devrait même pas être dehors. On devrait sûrement dormir pour faire face au lendemain. Il parle alors qu’il devait arrêter et mon sourcil se hausse quand il prononce une phrase plutôt très intéressante. Je penche la tête, il va se justifier, peut-être même s’excuser, je commence à comprendre comment il fonctionne. “Pourquoi t’aimes pas les autres types de langage corporel ?” Et il m’énerve à regarder ses chaussures quand je sais que je pourrais lire en une seconde ce qu’il pense en le regardant parce que j’ai toujours été bonne pour faire ça. “Si tu veux discuter en sourire faudrait déjà que t’arrives à tenir mon regard plus de 10 secondes.” Ca pourrait sonner comme un défi mais il n’a pas l’air d’être quelqu’un qui s’amuse à les relever, les défis.

« C’en est un. »  Il ne l’a peut-être pas formulé comme il le voulait, mais c’en est un, c’est une certitude. Il aimerait être de ceux qui parviennent à obtenir ce qu’ils veulent ; non pas dans une idée d’écraser les autres en se servant d’eux (car à ce stade-là, Kieran préfère manger des dizaines de cacahuètes jusqu’à ce que son allergie le tue plutôt qu’aller à l’encontre de ses principes) mais bien en étant seulement capable de prendre une décision qu’il ne regretterait pas. Pour s’éviter cela, Kieran a opté pour une autre option : ne prendre aucune décision, c’est sans risque. « Ben, les bruns qui ne tirent pas la tronche, c’est aussi une catégorie. » Il répond avec un léger sourire. Il y en a tellement d’autres dans lesquelles il aurait sa place, mais il préfère ne pas les mentionner. Ou presque. « Ah et ‘’offre des cafés aux concurrents’’. » Autrement sous-titrée catégorie dites des ‘’champions de l’année’’. « Oui, c’est vrai... » Qu’il se corrige par la suite après la réflexion d’Ivy. Si elle le dit, c’est qu’il n’y a pas eu d’arnaque. « Oh, d’accord. Je vais essayer. » Qu’il rétorque, notant mentalement à côté de « ne plus s’excuser », « ne plus se justifier ». Et probablement « ne plus rougir comme une tomate » lorsqu’elle insiste sur le fait qu’elle le drague. « Qu... donc, euh, tu étais... sérieuse ? » Qu’il balbutie nerveusement. Il n’a jamais su draguer Kieran, parce qu’il ne croit pas suffisamment en lui pour ça et parce qu’il a toujours peur qu’une maladresse de sa part change le ton de la conversation. C’est une pression supplémentaire sur ses épaules lorsqu’il parle avec autrui, comme Ivy vient d’en ajouter une sur ses épaules en une simple phrase. « Pourquoi tu... fais ça ? » Il questionne, un peu perdu, parce qu’il ne comprend pas exactement pourquoi elle aurait dans l’idée de le draguer ; à choisir, le serveur lui paraît une meilleure cible. Ce qui est certain, c’est qu’il a l’impression de s’enfoncer à chaque fois qu’il ouvre la bouche, raison pour laquelle il finit par envisager de se taire, purement et simplement. Il y a toujours d’autres moyens de communiquer, comme le langage corporel. Une notion qui fait double-sens et qu’il ne comprend que bien trop tard lorsqu’il essaie de se rattraper. « C’est pas, c’est pas que je les aime pas. » Si, en fait, c’est totalement le problème depuis quelques années, mais elle n’a pas à le savoir. « Mais je veux pas que tu penses, enfin que tu te dises que, enfin, tu vois. » Que tu penses des trucs par rapport aux choses que je t’ai dites suite à une méprise sur le sujet machin à partir de l’autre truc, là. « Mais, ça, je, j’y arri-. »Très bien. Non. Pas du tout. Il relève le regard, les joues plus roses, cherche celui d’Ivy, une seconde, deux secondes. C’est facile, il n’a qu’à juger ses yeux, qui sont très beau soit dit en passant. Trois, quatre secondes. Et ça commence à le gêner alors qu’il lutte contre l’envie de regarder ailleurs. Cinq, six. Faites que ça s’arrête rapidement, mais il ne veut pas qu’elle prenne l’avantage. Sept, huit. Pourquoi ça le dérange autant qu’elle prenne l’avantage ? Ce n’est pas comme s’il le laissait aux autres à contrecœur, d’ordinaire. Neuf, dix. Et il comprend mieux pourquoi il le fait, parce que c’est horrible d’essayer d’avoir du pouvoir face aux autres. Onze. C’était interminable et insupportable. « Bam, plus de dix secondes, tu vois. » Et il papillonne aussitôt le regard ailleurs, notamment sur l’horloge. « Oh, faut que je retourne chez mes hôtes sinon ils vont verrouiller la porte. » Non, pas du tout, mais ce n’est pas compliqué d’imaginer la scène dans sa tête pour se convaincre qu’elle peut devenir réelle et afficher un regard paniqué. « Tu as de beaux yeux et un joli sourire, Ivy, je serai ravi de discuter à travers eux la prochaine fois. » Non, il n’y compte pas, mais il y a peu de chances qu’ils se retrouvent vu qu’il sera sûrement éliminé en fin de semaine, il en est persuadé. Mais la phase est douce, une jolie conclusion, de quoi partir sans se fâcher – exactement ce qu’il recherche. « Bonne soirée, bonne nuit, bon courage pour supporter ton binôme, à bientôt. » Il conclut, un sourire sur les lèvres et le regard qui tient jusqu’à 4 secondes dans celui d’Ivy, ajoutant encore un « avec plaisir pour le café » histoire d’avoir coché tous les points de sympathie pour ne pas qu’elle se fâche face à son comportement. Mais la conversation lui échappe et il ne veut pas subir les conséquences de ce qu’elle va amener.

Il est amusant, un peu étrange, et carrément coincé. Mais j’apprécie assez cette conversation dont j’ai le contrôle absolu. Il n’est pas si difficile que ça à cerner même si je sens qu’il cache pas mal de choses. Je ne cherche pas plus loin, je ne pose pas le genre de questions qui feraient qu’il se dévoilerait. Ce n’est pas mon objectif ce soir, là je ne fais que m’amuser. Et chacune de ses réactions est amusante. Il suffit que je le regarde un peu trop longtemps, ou que je dise un bon mot bien placé pour qu’il soit gêné ou perdu. C’est si facile, et j’adore faire ça. Je pourrais y passer ma soirée. “J’espère que t’offre pas des cafés à tous tes concurrents.” Je me tourne vers lui un air faussement outré sur le visage. Pourquoi je lui dis que je le drague “Pourquoi je le ferais pas ?” Il a l’air d’avoir très peu confiance en lui, ça ne m’étonne pas ça non plus. Mais je continue de jouer.

Mon regard se fait encore plus intense quand lui a du mal à le tenir pendant 10 secondes, et que moi je pourrais rester comme ça pendant des heures. Mais il tient, il y arrive et ça m’étonnerait presque. “Bien joué, la prochaine fois tu tiendras 20.” Je sais que je vais le revoir, on va forcément se recroiser grâce à cette aventure. Il panique et je le regarde gigoter dans tous les sens alors que je bois mon café. Je lève les yeux au ciel, il en trouve des excuses et pourtant plusieurs fois il regarde de nouveau dans mes yeux qu’il évitait tant il y a seulement quelques minutes. “Merci !” Des jolies yeux, un joli sourire, il fait déjà des progrès le brun. “T’auras sûrement l’occasion de m’en offrir un autre !” Un clin d’oeil envoyé dans sa direction et je le laisse partir, en gardant le café entre mes mains quelques minutes avant de rentrer moi aussi.