Après une semaine entière à littéralement courir du matin au soir cette journée de relâche apparaissait comme du pain béni, et ce peu importe qu’ils soient tous entassés à Charleville, plus ou moins trois mille âmes et surtout beaucoup, beaucoup de poussière. Le genre d'endroit dans lequel on ne naissait que pour rêver d'en partir. Bien que Love lui ait rapidement semblé être un perfect match en terme de partenaire, l’un et l’autre avaient décidé de vaquer à leurs occupations chacun de leur côté pour se donner un peu d’air après cinq jours à ne pas se quitter d’une semelle. Malgré tout, une partie de lui ne pouvait s’empêcher de songer à l’éventualité qu’ils n’aient pas d’autres occasions de faire de la route ensemble, dans l’éventualité où leur week-end devait s’achever sur un billet de retour direction Brisbane. Au fond chaque équipe devait se dire que les chances étaient minces, que ce serait tout de même trop bête, que cela arriverait à n’importe qui sauf à eux … Mais il y en avait pourtant bien deux qu’on mettrait dans un avion le surlendemain pour un retour anticipé à la case départ.

Le repas de midi englouti, Tommy était allé se dégourdir un peu les jambes en solitaire, trop peu habitué à devoir converser sans cesse avec quelqu’un et à n’avoir aucun moment seul. Il n’avait jamais été très bavard par nature, et se faisait littéralement violence depuis le début de la semaine malgré le brin de malaise que lui provoquait la présence des caméras. Tant de choses auxquelles il n’avait pas suffisamment pensé lorsqu’il avait décidé de s’inscrire sur un coup de tête à cette émission. Il avait également sous-estimé à quel point le temps lui durerait de sa fille … Si l’on mettait de côté les deux années passées derrière des barreaux à l’autre bout du globe, c’était la première fois que Moïra et lui étaient séparés aussi longtemps, et s’il s’attendait bien sûr à ce qu’elle lui manque il n’avait en revanche pas mesuré à quel point. Et puis il s’inquiétait, sans cesse dans la peur d’avoir fait une erreur en la confiant à Marius … Son intuition lui disait qu’il n’y avait pas de raison de paniquer, mais malgré tout une petite voix dans un coin de sa tête se faisait un plaisir de lui rappeler sournoisement ce qui s’était passé la dernière fois qu’il avait cru pouvoir faire confiance à son frère.

Le soleil venait de disparaître derrière le toit des habitants d’en face lorsqu’il était rentré, accueilli sur le patio par cette même paire d’yeux qu’il avait plusieurs fois surpris en train de le scruter à la dérobée depuis la veille. Il n’avait pas retenu le nom de celle à qui ces yeux appartenaient, tout juste croyait-il se souvenir qu’elle formait une équipe avec le vieux un peu bizarre dont il n’avait pas plus retenu le nom là encore. Il n’excluait pas entièrement la possibilité de simplement se faire des idées, peut-être s’agissait-il d’une coïncidence et peut-être les yeux de cette femme ne s’arrêtait pas plus sur lui que sur quelqu’un d’autre, mais malgré tout quelque chose le dérangeait, sans qu’il ne parvienne à expliquer quoi exactement. Et d’ordinaire Tommy aurait laissé couler, il aurait enfoncé sa nuque dans ses épaules et il aurait passé son chemin en espérant se faire oublier, parce qu’il ne demandait jamais mieux que cela : qu’on l’oublie … Mais poussé par une intuition quelconque il avait pris le taureau par les cornes, traversé le patio à une allure artificiellement tranquille, et était finalement venu se planter devant l’inconnue pour lui tendre une main et se présenter « Tommy. » Ne lui restait plus maintenant qu’à espérer qu’elle ne jugerait pas sa main avec dédain et prendrait au moins la peine de lui retourner la politesse. Il avait suffisamment rougi durant la semaine pour estimer avoir atteint son quota de situations gênantes.

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Tommy Warren. Elle avait beau faire de son mieux pour l’éviter, son regard finissait toujours par se poser sur cette même silhouette. Une silhouette étrangement familière car elle n’était pas sans lui rappeler celle de son frère ainé. Quand le week-end précédent Marius lui avait appris la participation de son frangin à la même émission qu’elle, Colleen en était restée bouche bée. Quelles étaient les chances que cela puisse se produire ? Nul besoin d’être un génie en probabilités pour le deviner : elles étaient très faibles. Mais il ne s’était pas trompé : il était bien présent. Et si le premier jour elle avait été si absorbée par le lancement de l’émission qu’elle ne lui avait pas prêté la moindre attention, à présent elle ne pouvait plus vraiment faire autrement. Depuis que le groupe s’était réuni la veille au soir elle n’avait eu de cesse de lui jeter des regards en biais, croisant parfois le sien et s’empressant alors de détourner les yeux, son embarras colorant automatiquement ses joues. La vérité était qu’elle préférait rester éloignée de lui. Ce qui ne devrait pas être si difficile que ça dans la mesure où elle était à peu près certaine qu’il ne savait pas qui elle était quand elle, de son côté, connaissait parfaitement son identité. Marius lui en avait brossé un portrait peu flatteur. Tommy était le frère qui s’était enfui avec l’amour de sa vie, l’épousant dans la foulée et lui faisant un enfant. Bien sûr, tout ça s’était produit avant qu’il ne se retrouve derrière les barreaux et soit contraint de laisser la garde de sa fille à son frère... Un portrait peu flatteur, c’était effectivement le moins que l’on puisse dire. Pourtant à chaque fois que ses yeux, attirés comme deux aimants vers les siens, croisait son regard clair, elle n’arrivait pas à déceler chez lui cette aura malfaisante qu’elle lui avait prêtée. En apparence, Tommy n’avait rien du démon personnifié. Il avait même l’air plutôt banal.

Heureusement pour elle, il avait pris la poudre d’escampette après le déjeuner. Elle ne savait pas vraiment où il était parti mais peu lui importait en réalité ; elle était ravie de ce répit qu’il lui offrait sans le savoir. Profitant de son absence, elle était partie s’aérer l’esprit pour faire le point. La première semaine de compétition n’avait pas été des plus reposantes, bien au contraire ; l’aventure avait démarré sur les chapeaux de roue pour le binôme qu’elle formait avec Jack. Ils s’étaient perdus, avaient fait de mauvaises rencontres, perdu l’épreuve d’immunité, puis retrouvé non sans peine leur itinéraire avec la conviction qu’ils étaient arrivés à destination parmi les derniers. Pourtant, Colleen était persuadée qu’ils avaient leurs chances. Optimiste, elle pensait qu’un certain équilibre régnait au sein du binôme et que l’expérience de l’un et l’organisation de l’autre pouvaient être complémentaires. Leurs adversaires semblaient redoutables mais tout n’était peut-être pas perdu d’avance pour eux. Du moins l’espérait-elle.

En rentrant, elle s’installa dans le patio et observa quelques candidats à quelques mètres de là. Elle n’avait pas encore eu l’opportunité de tous les rencontrer mais elle avait l’impression qu’il y avait de sacrés énergumènes dans le lot. Ses yeux observaient le groupe quand un mouvement en périphérie de son regard attira son attention. Il se posa sur Tommy, qui manifestement rentrait de sa balade. Cette fois-ci, le regard du jeune homme accrocha le sien et elle perçut sa curiosité. Elle tenta de se dérober à son attention, en vain : il s’arrêta pile devant elle et lui tendit la main pour se présenter. Les joues de la jeune femme s’empourprèrent et elle fut tentée de lui dire qu’elle connaissait déjà son prénom mais s’en abstint. Elle se releva du fauteuil néanmoins et saisit sa main délicatement pour la serrer dans la sienne. « Colleen » Fit-elle simplement. Elle hésita un instant, ne sachant pas comment justifier la curiosité qui l’avait poussée à le suivre du regard depuis la veille au soir, puis décida finalement d’opter pour la vérité. Ou plutôt une partie de la vérité. « Je suis désolée si je t’ai donné l’impression de t’épier toute la journée mais… Tu me rappelles quelqu’un. C’est très perturbant pour être honnête ». Et d’aussi près la ressemblance était d’autant plus frappante, si bien que Colleen en était encore plus troublée. Elle s’éclaircit la voix. « Comment se passent les choses pour toi, Tommy ? Tu es en binôme avec… ». Elle s’interrompit, fronça les sourcils et sonda sa mémoire. « ... Love, c’est bien ça ? ». Love. Bien sûr que sa partenaire était prénommée Love. Parce qu’on n’en était plus à une ironie du sort près, n’est-ce pas ?

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Pour un peu, la brune lui aurait filé entre les doigts sans demander son reste et probablement que si tel avait été le cas Tommy n’aurait pas trouvé le courage supplémentaire pour tenter une seconde approche. Il avait bien plus l’habitude de subir le malaise que de le provoquer, et s’il avait tenté au mieux de rester impassible lorsque sa main tendue avait été accueillie par un profil rougissant il n’en menait pourtant pas large tandis qu’elle consentait enfin à lui rendre la pareille. « Colleen. » Semblant prise d’une hésitation aussitôt qu’elle avait récupéré sa main, ses lèvres s’étaient pincées juste le temps pour elle de se décider à ajouter « Je suis désolée si je t’ai donné l’impression de t’épier toute la journée mais … Tu me rappelles quelqu’un. C’est très perturbant pour être honnête. » levant ainsi le voile sur une partie du mystère dont Tommy l’entourait. Malgré un brin de surprise il s’était somme toute accommodé rapidement de cette justification, n’ayant pas véritablement de raison d’en douter et se fendant alors simplement d’un « Pas quelqu’un de mauvais, j’espère ? » amusé et seulement à demi sérieux. Un ange était passé, et finalement elle s’était éclaircie la gorge comme pour retrouver une contenance qu’il ne l’avait pourtant pas vue perdre, entreprenant de le questionner sur celle avec qui il faisait route depuis maintenant six jours. « Comment se passent les choses pour toi, Tommy ? Tu es en binôme avec … Love, c’est bien ça ? » Acquiesçant dans la seconde, la mention de son équipière lui avait arraché un sourire tranquille « Love, c’est bien ça. » Il ne s’étonnait pas vraiment que l’on retienne sans mal le prénom de la jeune femme, tant il vous restait forcément en tête. « J’évite de lui dire parce qu’elle l’a probablement entendu des millions de fois, mais … elle porte bien son nom. C’est une chouette fille. » Pour ce qu’il avait pu en voir en l’espace de six jours en tout cas, mais six jours presque en tête-à-tête – n’oublions pas Bob le caméraman – c’était plus qu’on en apprenait dans un cadre normal. « Et toi tu es avec … » Le vieux hippie ? C’était le seul descriptif qui lui venait de nature à l’identifier du premier coup, mais refusant de s’y risquer le brun s’était contenté d’ajouter « … je suis désolé, je ne m’en souviens plus. J’ai une mauvaise mémoire pour ce qui est des prénoms. » sans que cela soit même un mensonge. Il retenait les visages bien plus facilement que les noms qui s’y associaient. « C’est un accent britannique, ce que j’entends ? » Il espérait qu’elle ne le trouverait pas trop présomptueux d’oser poser la question, et avait tente au mieux d’adopter un ton qui ne lui donnerait pas l’air de demander pour de mauvaises raisons.

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La même mâchoire. Le même regard clair. Le même front. Deux profils différents, mais de près il était aisé de reconnaître les similitudes entre l’aîné et le cadet. Colleen était troublée. Si le visage de Marius n’avait jamais été très loin de ses pensées depuis le début de l’aventure, il était désormais omniprésent dans son esprit, car elle était tout simplement incapable de poser son regard sur Tommy sans avoir une pensée pour lui. Pourtant cette ressemblance physique n’était pas la seule cause de sa confusion persistante. Après les confidences de Marius, elle pouvait difficilement appréhender l’aventurier de Race of Australia en toute objectivité. Son jugement était biaisé et à chaque fois qu’elle l’observait à la dérobée – sans se montrer très discrète d’ailleurs – elle ne pouvait s’empêcher de se demander comment cet homme pouvait être à l’origine des maux de Marius. Il n’avait pourtant pas l’air si malintentionné, ni même cruel. Alors comment associer la description faite par Marius à ce mystérieux candidat d’apparence somme toute assez commune ?

Colleen savait qu’elle devait se justifier. Elle ne pouvait prétendre que le hasard l’avait poussée à s’intéresser à lui. Parce que bâtir un mensonge était parfois plus difficile que d’énoncer la simple vérité – et aussi parce qu’elle n’était pas une fabulatrice née – elle choisit d’en dévoiler une partie. Tommy ne parut pas plus étonné que ça, et accepta sa justification sans la contester. Un mince sourire se dessina sur ses lèvres et le regard de la jeune femme s’attarda un instant sur celui-ci, saisie une fois de plus par sa ressemblance avec Marius – et par le manque de ce dernier que cela générait inévitablement chez elle. Son cœur se serra et elle secoua la tête. « Non, pas quelqu’un de mauvais. Je dirais même que c’est tout le contraire ». Marius était sans conteste sa plus belle rencontre à Brisbane, même si une partie d’elle s’efforçait toujours de taire cette vérité pour en ignorer les conséquences.

S’engageant sur un terrain moins glissant, Colleen s’enquit de son début d’aventure et mentionna son binôme, Love. Une équipe qui fonctionnait très bien à en croire la réaction de Tommy. L’équipe en charge du casting de l’émission semblait avoir fait des merveilles lors de la constitution des binômes d’inconnus – à l’exception peut-être de l’équipe Ivy/Martin. Elle-même était ravie de la personne qui lui avait été attribuée. D’autant plus que cela lui avait permis d’éviter le pire scénario possible, à savoir d’être associée à Tommy. L’éventualité de ce binôme avait suffi à durcir le regard de Marius lorsqu’ils l’avaient évoquée avant son départ. Colleen n’osait même pas imaginer sa réaction si la production avait décidé de les unir. « Avec Jack, oui » Répondit-elle alors que Tommy semblait éprouver des difficultés à se remémorer le prénom du doyen de l’aventure. « Il est cool et pas prise de tête. Je craignais de tomber sur un fort tempérament, et même si à sa façon il n’en manque pas, Jack est une force tranquille ».

Il l’interrogea sur l’accent qu’il avait décelé dans le timbre de sa voix, et ce fut au tour de la jeune femme de sourire. « Exact, je suis Anglaise. Ça ne fait pas très longtemps que je vis en Australie. Cette émission est quelque part l’opportunité rêvée pour moi de découvrir le pays… En tout cas, c’est ce que ma fille s’est dit quand elle a envoyé ma candidature à la production ». Elle sonda ses yeux clairs, et espéra que sa future question ne serait pas trop indiscrète. « Et toi, tu t’es inscrit pour une raison particulière ? ».

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Il n’aurait pas su bien dire ce qui du regard qu’elle posait sur lui ou du brin de gêne palpable dans les mots qu’elle lui adressait mettait Tommy le plus mal à l’aise face à la candidate. Mais il n’était pas totalement dupe et connaissait aussi sa propre tendance à voir de la méfiance et de la persécution là où il n’y en avait pas – il tentait de travailler dessus, à défaut de s’en débarrasser – aussi préférait-il laisser à la dénommée Colleen le bénéfice du doute. Son « Non, pas quelqu’un de mauvais. Je dirais même que c’est tout le contraire. » néanmoins l’avait troublé, et s’il n’avait pas osé questionner plus loin à ce sujet c’était sans doute parce qu’il s’agissait du genre de phrase songeuse qu’il aurait parfaitement pu prononcer … en pensant à Alice. Et Tommy n’avait pas envie d’y penser, pas maintenant, pas autrement qu’à l’abri des regards et de l’objectif avisé de la caméra de Bob – pardon, de Jimmy. Il n’avait de toute façon pas eu à noyer le poisson lui-même puisque la brune s’en était chargée, dérivant vers le binôme qu’on leur avait attribué sans que le Warren n’ait encore décidé si la production de l’émission avait choisi en son âme et conscience ou si les points communs que Love et lui s’étaient trouvés n’étaient que le fruit d’un heureux hasard. « Avec Jack, oui. » avait-elle alors confirmé quant à l’identité de son propre acolyte. « Il est cool et pas prise de tête. Je craignais de tomber sur un fort tempérament, et même si à sa façon il n’en manque pas, Jack est une force tranquille. » La production avait peut-être bel et bien fait son travail correctement, en somme. Et pour avoir croisé beaucoup moins sympathique en cours de semaine, Tommy savait qu’il avait échappé au pire. « Tant mieux. » À l’entendre, sa réponse lui semblait un brin maladroite, mais en tentant vainement de se raccrocher aux branches en ajoutant « Enfin tant mieux pour toi, je veux dire. Pour votre binôme, quoi … enfin, tu vois. » il n’avait fait que s’enfoncer un peu plus, et s’était finalement raclé la gorge pour s’empêcher de continuer et tenter de retrouver un semblant de contenance.

Dans une tentative un peu maladroite de changer de conversation, Tommy avait finalement pointé dans la direction de l’accent qu’il croyait déceler dans la voix de son interlocutrice, espérant simplement qu’elle ne prendrait pas cela pour de la curiosité mal placée et se détendant un peu lorsqu’elle avait répondu « Exact, je suis Anglaise. Ça ne fait pas très longtemps que je vis en Australie. » avec un sourire. « Cette émission est quelque part l’opportunité rêvée pour moi de découvrir le pays … En tout cas, c’est ce que ma fille s’est dit quand elle a envoyé ma candidature à la production. » Souriant à son tour à cette dernière mention, amusé, il avait hoché la tête d’un air tranquille avant de commenter « Elle a l’air d’avoir de la suite dans les idées. Quel âge elle a ? » C’était plus fort que lui, le sujet des enfants finissait toujours par obtenir son intérêt, mais plus particulièrement en ces temps où sa propre progéniture commençait déjà lui manquer. Cela ne faisait que six jours, à d’autres cela semblait peu, mais c’était déjà une éternité pour lui qui n’en avait plus été séparé plus de quarante-huit heures depuis son retour du Canada. « Et toi, tu t’es inscrit pour une raison particulière ? » Ayant retenu la leçon de ses premiers échanges avec Love, quand bien même cette dernière ne l’avait pas jugé pour sa réponse, il s’était cette fois-ci abstenu de présenter l’intérêt pécuniaire comme principale source de motivation et avait préféré répondre « J’avais besoin de m’aérer un peu, je suppose. Prendre un peu le large. » sans qu’il ne s’agisse pour autant d’un mensonge éhonté. Il avait besoin de s’éloigner de cet environnement de travail toxique, pour commencer, et peut-être aussi de faire quelque chose d’un peu irréfléchi … pour une fois. « Et puis, je suis né dans ce pays et malgré tout je n’en connais pratiquement rien. » Cela semblait un peu bête, un peu dommage, et pour cela il avait haussé doucement les épaules.

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« Oui, je vois ce que tu veux dire » Répondit Colleen en étudiant la réaction de Tommy avec une curiosité palpable. Ses joues n’étaient pas tout à fait rouges d’embarras, mais la confusion qui peignait l’expression de son visage n’était pas sans rappeler à l’Anglaise celle qui apparaissait instantanément sur les traits de Marius quand il tentait de se justifier. C’était plus fort qu’elle : à chaque sourire, à chaque regard, elle voyait en Tommy son frère aîné. Elle avait beau tenter d’effacer son image de son esprit pour se concentrer uniquement sur l’aventurier qui lui faisait face, rien n’y faisait. Le souvenir de Marius revenait à la charge inévitablement à chaque fois.

Elle savait qu’elle n’avait pas vraiment de raison d’éviter de mentionner Marius en présence de Tommy. Elle n’avait rien fait de mal, après tout. Rien ne justifiait véritablement son silence. Toutefois, ne pas parler de lui leur permettrait à chacun de faire sa propre opinion de l’autre – même si de son côté elle ne pouvait pas prétendre partir sans préjugés. De plus elle rechignait à l’idée de devoir s’attarder sur la nature de sa relation avec le professeur d’histoire des arts, alors qu’elle-même était incapable de mettre des mots dessus. Et puis, elle ne pourrait jamais être totalement honnête avec lui. Marius lui avait accordé sa confiance en lui confiant toute son histoire, et elle n’avait pas l’intention de la bafouer en répétant ses dires à Tommy. Aussi lui faudrait-il redoubler de vigilance et Colleen n’était pas certaine d’en être capable, elle qui était rarement à l’aise avec le fait de devoir dissimuler la vérité. Voilà pourquoi elle avait tant craint se retrouver en binôme avec Tommy. Voilà pourquoi elle s’était tenue à l’écart de lui depuis la veille, même si son regard n’avait cessé de suivre le moindre de ses déplacements. Voilà pourquoi elle avait l’impression désagréable de marcher sur des œufs alors qu’elle lui parlait, choisissant ses mots avec précaution pour éviter de gaffer.

S’en tenir à parler de Race of Australia était, en ce sens, un choix plutôt raisonnable. Et c’était justement celui qu’elle avait fait en l’interrogeant sur son binôme avec Love. Curieux, Tommy s’était alors intéressé à cet accent qu’il avait cru déceler dans sa voix. Colleen lui expliqua son arrivée tardive en Australie et l’opportunité de découvrir davantage le pays par le biais de l’émission. Une opportunité dont Lou était à l’initiative. Comme d’habitude, cette dernière avait pris les choses en main sans lui demander son avis. Colleen savait que sa fille avait agi dans son intérêt et si sa première réaction avait été de la maudire, avec du recul elle avait l’honnêteté d’admettre qu’elle avait eu raison. Quand Tommy lui demanda l’âge de sa fille, elle répondit : « Dix-huit ans. Elle a fêté son anniversaire lundi dernier, et avec le lancement de l’émission je n’ai malheureusement pas pu en profiter ». Le regret passa furtivement dans son regard clair. Même si elle n’y était pour rien, le fait d’avoir manqué pour la première fois de sa vie l’anniversaire de Lou n’en était pas moins douloureux. « Je compte me rattraper en rentrant » Ajouta-t-elle avec un sourire un peu triste. Elle l’interrogea sur ses motivations à rejoindre le casting de Race of Australia mais il resta assez évasif. Ce qu’elle comprenait. Elle était une étrangère à ses yeux, il n’était pas étonnant qu’il ne préfère pas s’étendre sur un sujet aussi personnel. Alors elle acquiesça. Et esquissa un sourire compatissant. « Je comprends. Et puis, découvrir le pays dans ces conditions n’est pas franchement désagréable ». Elle désigna l’hôtel dans son dos d’un air entendu. Bien sûr la course ne se résumait pas à se détendre à l’hôtel, mais la production prenait soin d’eux. « Je me suis vite prise au jeu de la course. Par contre j’ai toujours un peu de mal avec les caméras ».

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L’idée que Colleen ait été inscrite contre son gré à cette course amusait un brin Tommy, en ce qu’elle lui rappelait une aventure similaire arrivée entre sa fille et lui deux ans auparavant. Du haut de leurs neuf ans, Moïra et la fille de Norah – du moins le brun soupçonnait fortement qu’elles aient été de mèche – avaient Dieu sait comment réussi la bêtise de l’inscrire sur un site de rencontres et de lui dégoter un rencard avec une inconnue. L’histoire ne s’était pas si mal terminée, puisqu’à défaut d’avoir la moindre envie de se lancer dans une relation amoureuse le brun s’était au moins fait une connaissance qui depuis était devenue une amie … Mais Moïra s’en était sortie avec une discussion sérieuse sur les dangers d’internet, et son père avait été bon pour renforcer le contrôle parental de tout l’électronique de la maison. Il n’avait pas eu le cœur à la réprimander trop sévèrement malgré tout, inquiété par les signaux qu’il aurait pu envoyer pour laisser penser à sa fille qu’il tenait à elle de se préoccuper de l’état de sa vie sentimentale. La comparaison avec la mésaventure de Colleen s’arrêtait néanmoins dans la forme, d’autant plus lorsque Tommy avait questionné sur l’âge de sa fille « Dix-huit ans. Elle a fêté son anniversaire lundi dernier, et avec le lancement de l’émission je n’ai malheureusement pas pu en profiter. » Elle semblait s’en désoler un peu, et si elle s’était empressée d’ajouter « Je compte me rattraper en rentrant. » peut-être pour se redonner une contenance, cela n’avait pas empêché Tommy de lui offrir un sourire compatissant avant de lui assurer « Je suis certain qu’elle ne t’en tiendra pas rigueur. Après tout c’est elle qui t’a inscrite, elle devait plutôt être ravie que tu sois sélectionnée. » Pour cette raison, il y avait plutôt fort à parier que l’adolescente se contenterait de voir sa mère rentrer au bercail le plus tard possible.

Lui retournant d’ailleurs la question de la participation, Tommy s’était volontairement montré vague sur les motivations qui l’avaient amené ici. Il ne faisait généralement pas bon admettre que l’on n’avait besoin d’argent, quand bien même le brun estimait ne pas avoir à rougir de vouloir saisir la moindre chance de pouvoir payer à Moïra les études qui lui plairaient lorsqu’elle serait en âge d’en faire … Mais le besoin de s’aérer un peu l’esprit n’était pas un mensonge non plus au fond, de même que sa méconnaissance d’un pays qui l’avait pourtant vu naître. « Je comprends. Et puis, découvrir le pays dans ces conditions n’est pas franchement désagréable. » Elle marquait un point, quand bien même il ne divulguerait pas que de l’autre côté de la chambre qu’il partageait avec Love, lui dormait à même le sol pour ne pas la forcer à partager un lit, la simple idée semblant l’avoir plongée dans un mélange entre embarras et véritable angoisse lorsqu’ils avaient investis la chambre la veille au soir. « Je me suis vite prise au jeu de la course. Par contre j’ai toujours un peu de mal avec les caméras. » avait finalement repris Colleen, et retroussant son nez en une moue un peu chagrine il s’était vu dans l’obligation de confirmer à son tour « C’est un peu déroutant oui … Mais surtout dans les moments creux, je trouve. Quand on n’est pris dans la course, la lecture des panneaux, la recherche d’une voiture, on finit par ne plus y faire attention … Je suis très mauvais à l’exercice de débrief de fin de journée en revanche. » Passant une main sur sa nuque d’un air gêné, il n’avait pas besoin de forcer beaucoup pour que l’on devine qu’il n’était pas du genre à l’aise devant un objectif. Il était même rare qu’il se laisse prendre en photo sans broncher, alors être filmé à longueur de journées c’était bien au-delà de sa zone de confort. « Et je me demande bien comment on peut condenser cinq jours entiers de périple pour combien, huit équipes, neuf ? Le tout en un seul épisode … » À se demander ce qu’il resterait réellement de leurs péripéties au bout du compte, et ce qu’en verraient ceux qu’ils avaient laissés derrière eux à Brisbane. Mais le mieux était peut-être de ne pas encore y penser.

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Même si elle prenait des pincettes avec Tommy et demeurait irrémédiablement sur ses gardes, la conversation n’en était pas moins plaisante pour autant. Le sujet restait assez commun pour lui permettre de ne pas commettre d’impair, et elle s’était sentie rassurée quand il n’avait pas remis en question la justification qu’elle lui avait apportée à propos de ses coups d’œil intempestifs depuis la veille au soir – bien que ladite justification comportât une part de vérité. C’en devenait presque simple de s’adresser à lui, finalement. S’il lui avait semblé de nature assez discrète et solitaire, il était quand même venu engager la conversation avec elle, sans doute guidé par sa curiosité. Et quelque part elle lui en était reconnaissante car elle aurait bien été en peine de s’adresser à lui la première. Or ne s’agissait-il pas d’une occasion en or pour faire connaissance avec le frère cadet de Marius ? De tenter de se faire sa propre opinion à son sujet ? Colleen n’en aurait sans doute jamais eu l’occasion s’ils ne s’étaient pas tous les deux inscrit à Race of Australia en même temps. Et même si sa relation avait évolué avec Marius, la rencontre inéluctable avec Tommy aurait été délicate. Elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il aurait immédiatement porté un œil critique sur elle. Exactement de la même manière qu’elle lorsqu’elle lui avait coulé des regards curieux à plusieurs reprises, tentant d’associer la version de Tommy décrite par Marius à la réalité.

Le sujet de Lou vint sur le tapis, rappelant à Colleen qu’elle avait manqué le dix-huitième anniversaire de sa fille unique. Le plus important, et le seul qu’elle n’avait pas pu célébrer avec elle depuis sa naissance. L’ironie. Elle savait bien qu’elle ne lui en tiendrait pas rigueur, Lou étant à l’origine de son inscription à l’émission. Néanmoins le cœur de Colleen ne pouvait que se serrer à l’idée d’avoir pour la première fois de sa vie fait passer ses priorités personnelles avant sa fille. « Tu as raison. Elle était ravie que j’accepte de passer le casting quand ma candidature a été retenue… Je pense qu’elle s’imaginait que je me dégonflerais. Alors j’espère la rendre fière et éviter de me faire éliminer d’entrée de jeu ». Car il s’agissait là de l’objectif qu’elle s’était fixé : si elle n’avait pas l’ambition nécessaire pour penser qu’elle pourrait aller loin dans la course, elle voulait au moins atteindre la deuxième semaine d’aventure.

Colleen confia à Tommy sa difficulté à faire fi des caméras qui l’avaient accompagnée tout au long de la première semaine. L’aventure en elle-même était passionnante, la seule chose qu’elle regrettait était son tournage et sa future retransmission à la télévision. Souhaitant se concentrer exclusivement sur la course elle n’avait pas encore songé aux conséquences de cette diffusion, mais elle était persuadée qu’elle aurait un impact sur sa vie d’après. Tommy partageait son malaise, visiblement. Ce devait être le lot des gens discrets, ceux qui détestent être sous le feu des projecteurs. « Je compatis, le debrief de fin de journée m’a donné du fil à retordre aussi au début. Heureusement que je peux compter sur Jack pour me mettre à l’aise avant que les caméras ne se mettent à tourner… ». Sa complicité dans le jeu avec Jack faisait effectivement des merveilles, à bien des niveaux. Tommy lui confia qu’il n’avait pas la moindre idée de la façon dont seraient sélectionnés les passages pour condenser une semaine de jeu en deux heures d’émission environ, et elle haussa des épaules. « J’imagine qu’ils feront le tri dans les binômes, donneront la priorité aux fortes têtes et à ceux qui iront le plus loin dans l’aventure. S’ils n’accordent pas beaucoup de temps d’écran à mon binôme, j’avoue que je ne m’en plaindrais pas » Avoua-t-elle avec un sourire. « Tu n'es même pas impatient que ta fi- ta famille » Bafouilla-t-elle, se rattrapant de justesse en se rappelant qu’elle n’était pas supposée connaître l’existence de Moïra dans la vie de Tommy « découvre tes aventures à l’écran ? »

@Tommy Warren

Cela ne voulait bien entendu rien dire, et la comparaison s’arrêtait sans doute ici d’autant plus que plusieurs années séparaient la fille de Colleen de la sienne, mais pourtant Tommy ne pouvait s’empêcher de s’imaginer à quoi pouvait bien ressembler la jeune fille, quel était son caractère, et qu’en serait-il de celui de Moïra lorsqu’elle aurait le même âge. Il aurait aimé pouvoir dire qu’il avait encore le temps avant d’en être là, mais il peinait déjà à comprendre comment sa fille pouvait déjà avoir onze ans alors que l’époque où elle s’asseyait encore sur ses genou en trimbalant sur lapin en peluche lui semblait encore si proche … Parait-il que plus les années passaient plus le temps filait à toute allure. De quoi s’angoisser si l’on n’y prêtait pas un peu attention. « Tu as raison. Elle était ravie que j’accepte de passer le casting quand ma candidature a été retenue … Je pense qu’elle s’imaginait que je me dégonflerais. » lui avait en tout cas confié la brune à propos de sa progéniture, avant d’ajouter « Alors j’espère la rendre fière et éviter de me faire éliminer d’entrée de jeu. » et d’arracher au Warren un léger éclat de rire et un signe affirmatif de la tête « Je crois qu’on en est tous là, malheureusement. » Bien que le chèque promis aux gagnants avait de quoi faire tourner la tête, Tommy préférait ne pas se faire trop d’illusion et s’en tenir à la perspective que cette course lui aurait au moins permis de voir du paysage, de rencontrer quelques personnes sympathiques et d’avoir pu décrocher un temps des angoisses que lui provoquait sa situation professionnelle tendue … En revanche, comme probablement tous les autres candidats il espérait bien de pas être celui qui monterait le premier dans l’avion du retour. Ne serait-ce que par égo. « Enfin, on verra bien demain soir … Il n’y a plus grand-chose qu’on puisse faire maintenant, de toute façon. » Le classement était déjà décidé, et leur sort de candidat déjà scellé.

Echangeant un peu plus en détails sur les tenants et aboutissants de l’émission, tous les deux semblaient au moins être tombés d’accord sur la sensation peu agréable qu’était celle de se retrouver du « mauvais » côté de l’objectif d’une caméra. Ni elle ni lui ne semblaient avoir le tempérament adéquat pour la célébrité et la mise en lumière, mais pour Tommy il ne s’agissait pas là d’un défaut. « Je compatis, le debrief de fin de journée m’a donné du fil à retordre aussi au début. Heureusement que je peux compter sur Jack pour me mettre à l’aise avant que les caméras ne se mettent à tourner … » A nouveau il avait offert un sourire, quelque part c’était probablement une chance pour elle et un atout pour la suite, mais bien que sa propre coéquipière ne soit pas du même acabit le brun ne s’en désolait pas. « Love est quelqu’un d’assez discret elle aussi, alors ce n’est pas toujours facile pour nous deux … Je pense que le monteur aura envie de s’arracher les cheveux avec nous. » Mais l’idée l’amusait, au demeurant. Il y avait de toute façon fort à parier qu’avec autant de candidats à aborder en si peu de temps, leur temps d’écran à tous serait relativement réduit. « J’imagine qu’ils feront le tri dans les binômes, donneront la priorité aux fortes têtes et à ceux qui iront le plus loin dans l’aventure. S’ils n’accordent pas beaucoup de temps d’écran à mon binôme, j’avoue que je ne m’en plaindrais pas. » Haussant les épaules, Tommy avait indiqué d’un signe de la main qu’il partageait cette façon de penser.

Marquant une brève pause, Colleen avait fini par questionner à nouveau « Tu n'es même pas impatient que ta fi- ta famille … découvre tes aventures à l’écran ? » Le lapsus plus ou moins évident lui faisant arquer légèrement un sourcil, le brun avait secoué la tête « Plus inquiet qu’impatient, si je dois être honnête … Particulièrement en ce qui concerne ma fille, en effet. » Il mettait l’erreur sur le fait que Colleen avait parlé de la sienne juste avant, et puisqu’évoquer Moïra n’était jamais quelque chose qu’il faisait de mauvaise grâce il n’avait de toute façon pas hésité longtemps avant d’ajouter avec un nouveau sourire « Elle est plus jeune que la tienne, elle vient tout juste d’avoir onze ans. J’avoue avoir un peu culpabilisé de la laisser le temps que je serai ici … Même si je sais qu’elle est entre de bonnes mains. » Il pouvait reprocher bien des choses à Marius, mais il avait une confiance aveugle dans le fait que Moïra serait mieux chez lui que chez n’importe qui d’autre.

@COLLEEN SAINSBURY

Tommy avait raison : leur destin dans l’aventure était d’ores et déjà scellé. La semaine s’était achevée la veille et le classement ne serait quant à lui révélé que le lendemain. Colleen ne se faisait pas d’illusions quant à une éventuelle victoire, son binôme ayant vécu tellement de péripéties au cours des cinq premiers jours qu’il y avait vraiment très peu de chance pour eux de décrocher la première place, voire un classement sur le podium. Elle ne s’en faisait pas pour la suite cependant, car elle savait que si elle passait cette première étape cruciale elle se raccrocherait à cette satisfaction, peu importe ce que l’aventure devait lui réserver. Jack et elle étaient tous les deux sur la même longueur d’onde : peu compétiteurs, ils profitaient de cette aventure pour découvrir le pays et faire des rencontres. L’élimination n’apparaissait pas sous la forme d’une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Peut-être même que s’ils étaient éliminés d’entrée de jeu ils décideraient de poursuivre l’aventure de leur côté, sans la présence angoissante des caméras braquées sur eux à longueur de journée. Pour l’heure ils n’avaient pas encore songé à cette éventualité, mais Colleen se sentait suffisamment à l’aise avec son binôme pour envisager cette option.

Au fil de leur conversation, Tommy lui apparaissait sous un nouvel jour. Elle l’appréhendait toujours avec une nervosité qui n’était pas étrangère aux confessions de Marius à son sujet, mais parvenait toutefois à faire la part des choses en ne se laissant pas influencer par les préjugés qu’elles avaient provoqués. Ils se trouvaient même des points en commun. Comme elle, Tommy n’était pas de ceux qui appréciaient la présence continue des caméras ou les debriefings de fin de journée réalisés dans le but de recueillir leurs impressions. De son côté Colleen pouvait compter sur la présence de Jack pour la distraire, lui qui était bien plus à l’aise avec les caméras qu’elle ne l’était. Ce n’était pas tant qu’il les appréciait véritablement, mais sa bienveillance à son égard l’amenait régulièrement à prendre les choses en main pour lui éviter de devoir trop en faire. Et force était de constater que son bagout faisait des merveilles. Jack avait tout du candidat qui saurait se faire aimer du public. Le doyen de l’émission sans filtre, au sens de la répartie surprenant, à qui il arrivait toujours des aventures grotesques et hilarantes... Colleen était vraiment ravie de partager l’aventure avec un tel personnage. Leur binôme était sain et tout ce qu’il y avait de plus équilibré.

Tommy lui confia que contrairement à Jack, Love était quelqu’un d’assez discret et qu’il n’était donc facile ni pour l’un ni pour l’autre de s’exprimer en présence des caméras. Colleen lui offrit un sourire compatissant. « Je pense que le plus important dans ce genre d’aventure est de rester fidèle à soi-même » Avança-t-elle avec philosophie. « Prétendre être quelqu’un que l’on n’est pas est le meilleur moyen de s’y perdre en fin de compte. Et si vous ne donnez pas du grain à moudre aux monteurs, tant mieux, ça veut dire qu’ils ne s’attarderont pas trop sur vos images. Or d’après ce que tu me dis j’ai l’impression que ça vous arrangerait plutôt bien, Love et toi ». Elle le comprenait : cela l’arrangerait bien, elle aussi, si elle devait se contenter de jouer les personnages secondaires lors de la diffusion du programme télévisé.

De plus à plus à l’aise en présence du frère de Marius, Colleen en vint à déraper. Elle se rattrapa in extremis, mais pas suffisamment pour ne pas laisser comprendre à Tommy son intention initiale de parler de sa fille. Fille dont elle n’était pas supposée connaître l’existence. L’Anglaise s’asséna une gifle mentale phénoménale alors que la panique s’immisçait en elle en traître. Malgré tout, Tommy ne lui en tint pas rigueur et lui répondit qu’il était plus inquiet qu’impatient en réalité. Colleen sentit ses joues rougir davantage à l’évocation de Marius, bien qu’il ne fût pas nommé explicitement. Mal à l’aise, elle se mordit l’intérieur de la joue. Elle détestait le mensonge, or la perche était tendue et elle avait la désagréable impression que contourner le sujet reviendrait à mentir par omission. Pour autant elle n’avait aucune envie de révéler qu’elle connaissait Marius, certaine que cela provoquerait l’embarras de son interlocuteur… Voire, dans le pire des cas, son antipathie. Avait-elle seulement le choix cependant ? Si – et ce si était suffisant pour nouer sa gorge d’anxiété – elle faisait fi de ses réticences et commençait à fréquenter Marius comme leurs derniers échanges le laissait présager, viendrait inéluctablement le moment de sa rencontre avec Tommy. Le moment où il découvrirait le pot aux roses. Son mensonge éhonté.

Elle n’était pas prête à courir le risque. Alors elle fronça les sourcils, pinça les lèvres, prit une profonde inspiration et posa son regard troublé sur lui. « Il y a quelque chose que je dois t’avouer ». Elle détourna le regard un instant, chercha ses mots puis braqua de nouveau ses yeux clairs sur lui. « La personne à qui tu me fais penser… Je suis désolée, j’aurais probablement dû commencer par là. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ce n’est pas comme si j’avais des raisons de te le cacher en plus ». Quoiqu’en y réfléchissant bien… « Marius. Tu me fais penser à Marius » Lâcha-t-elle dans un souffle, mettant un terme définitif au suspense. Elle déglutit péniblement. « Je l’ai vu la veille de mon départ pour le tournage et quand je lui ai annoncé que je participais à l’émission, il m’a parlé de toi. Il m’a dit que son frère se lançait dans la même aventure ».

@Tommy Warren

La remarque de Colleen sur l’importance de rester soi-même avait laissé Tommy un brin songeur, car si le conseil semblait partir d’une bonne intention le brun doutait que l’appliquer soit aussi simple qu’il y paraissait … Pas dans son cas, du moins. Être lui-même consistait principalement à raser les murs en espérant se faire oublier, et dans un cadre tel que celui dans lequel ils baignaient depuis une semaine cela ressemblait à une mauvaise idée, tant pour lui que pour sa coéquipière. Pour autant, le brun avait acquiescé d’un bref signe de tête lorsque Colleen avait ajouté « Or d’après ce que tu me dis j’ai l’impression que ça vous arrangerait plutôt bien, Love et toi. » et espérait en effet que Love et lui se tiendraient au plus loin des travers qui allaient généralement de pair avec la notion de télé-réalité … Mais pour avoir croisé quelques spécimens bien plus hauts en couleurs au cours de la semaine, les velléités de scénarisation de la production auraient probablement largement de quoi faire ailleurs, et il ne s’en plaignait pas. Peu importe les raisons qui l’avaient poussé à s’inscrire à cette course, Tommy n’était assurément pas là pour le fugace instant de notoriété qui motivait certains.

Mais quel besoin de scénarisation au fond, quand le hasard posait lui-même les bases rocambolesques d’un vaudeville dans lequel Tommy hériterait à nouveau du mauvais rôle ? Son sourire et sa tranquillité s’étaient fanés à l’instant où la jeune femme avait admis « Il y a quelque chose que je dois t’avouer. » les lèvres se pinçant et le regard fuyant tout à coup celui qu’il lui renvoyait. « La personne à qui tu me fais penser … Je suis désolée, j’aurais probablement dû commencer par là. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ce n’est pas comme si j’avais des raisons de te le cacher en plus. » Commencer par où, lui cacher quoi, tant de questions qui se bousculaient maintenant toutes en même temps dans son esprit, mais court-circuitaient sa capacité à en formuler ne serait-ce qu’une seule à voix haute, au point qu’il n’ait été capable que d’un « Je suis pas certain de te suivre … » maladroit avant qu’elle ne lui révèle enfin le pot aux roses. « Marius. Tu me fais penser à Marius. » Il ne l’aurait pas parié, mais la mention de son frère était parvenue à lui coller un brin de chair de poule, en plus du sursaut qu’avait fait son cœur dans sa poitrine et du pas en arrière que lui avait dicté son instinct. « Je l’ai vu la veille de mon départ pour le tournage et quand je lui ai annoncé que je participais à l’émission, il m’a parlé de toi. Il m’a dit que son frère se lançait dans la même aventure. » Évidemment.

Colleen avait-elle eu droit à la même légère grimace de dédain lorsqu’elle avait mentionné l’émission, elle ? Sans doute pas. Mais c’eut été trop beau, que Tommy puisse enfin se satisfaire d’un projet ou d’une décision – aussi irréfléchie puisse-t-elle être – sans que la comparaison avec son aîné ne trouve une raison d’être faite, encore. Il y avait eu la course à l’intérêt de leurs parents, puis celle à leur fierté, il y avait eu l’amour d’Alice, puis celui de Moïra, il y avait eu la réussite professionnelle de l’un et les déboires judiciaires de l’autre, et même sa participation ridicule à cette émission stupide, il fallait que Marius y soit lié d’une façon ou d’une autre. « Je vois. » Au bref ricanement qui venait nerveusement de lui échapper s’était ajouté un sourire amer, et enfonçant les mains dans les poches de son jean Tommy avait commenté « J’imagine que mon frère n’a pas tari d’éloges à mon sujet. » avec un brin de sarcasme. C’eut été de bonne guerre, cependant … Lui non plus n’épargnait pas Marius lorsqu’il en dressait le portrait à autrui. Tout était toujours une question de point de vue. « Et si j’étais pas venu t’aborder ? Tu comptais me le dire ou bien … ? » Ou bien comptait-elle continuer de le jauger du coin de l’œil avec une discrétion plus que relative ? Il essayait de ne pas s’agacer, mais la surprise n’était pas plaisante, et il en venait à douter de la sincérité de la sympathie dont Colleen avait fait preuve quelques instants plus tôt.

@COLLEEN SAINSBURY

Colleen avait lâché la bombe, les hostilités étaient lancées. Incapable de prétendre plus longtemps qu’elle ne le connaissait ni d’Eve ni d’Adam, elle avait cédé à son honnêteté et révélé à Tommy qu’elle savait parfaitement qui il était. Il lui reprocherait peut-être de ne pas avoir été sincère avec lui dès le début de la conversation, mais Colleen n’avait pu s’y résoudre. L’histoire des deux frères que lui avait contée Marius était bien trop complexe pour lui permettre de glisser cette information en toute innocence au détour de leur conversation – entre l’histoire de son accent britannique et les anecdotes sur l’aventure, par exemple. D’un autre côté, l’Anglaise détestait le mensonge et s’évertuait à faire preuve d’honnêteté dans n’importe quelle situation. C’était plus fort qu’elle, elle aurait eu l’impression de se trahir elle-même si elle avait maintenu l’illusion plus longtemps. D’aucuns y verraient un signe de faiblesse, pour Colleen il s’agissait plutôt d’une force. Sa sincérité était ce qui lui permettait de dormir sur ses deux oreilles la nuit et de croiser son reflet au petit matin sans une once de culpabilité. Elle n’était pas parfaite mais il s’agissait là d’un point sur lequel elle n’était pas prête à transiger, même s’il aurait été probablement plus confortable pour elle de continuer à mentir par omission.

L’annonce fit pâlir Tommy. Elle vit son regard se voiler de méfiance, son sourire s’effacer. Si quelque part Colleen pouvait regretter ce regain d’honnêteté, elle se sentait néanmoins libérée d’un poids. Comme si depuis le début de leur conversation elle n’avait pas pu être tout à fait elle-même, comme si elle faisait enfin tomber le masque et pouvait s’adresser à lui sans craindre de commettre une maladresse. Jusqu’à preuve du contraire le frère cadet ne connaissait pas la nature de la relation qui la liait à Marius et ne pouvait se douter des révélations qu’il lui avait faites à son sujet. Le professeur d’histoire des arts était suffisamment réservé et pudique en temps normal pour se garder de dévoiler les secrets de famille au premier venu. Tommy n’avait donc aucune raison de penser qu’elle connaissait tout un pan de son histoire personnelle… Du moins l’espérait-elle.

Colleen décela une forme de détresse ou de souffrance dans le regard clair de son interlocuteur et passé le moment de soulagement que lui avait procuré sa révélation, elle se sentit soudain très mal à l’aise. Elle percevait déjà dans le langage corporel du brun qu’il n’avait qu’une envie : fuir cette conversation à tout prix. Pourtant il resta à sa place. Enfonça ses mains dans les poches de son jeans. Ricana, même. Elle ouvrit la bouche pour lui présenter une nouvelle fois ses excuses, mais il l’interrompit en évoquant son frère. Marius, qu’il soupçonnait d’avoir tenu un discours peu élogieux à son sujet. Colleen fronça les sourcils. Elle ne se souvenait plus précisément des termes que Marius avait employés, mais ce dont elle était convaincue en revanche était qu’il n’avait jamais manqué de respect à Tommy. Il lui avait simplement dit qu’ils ne s’étaient jamais entendus et que les choses ne s’étaient guère arrangées en vieillissant, en particulier quand Tommy était tombé amoureux d’Alice et qu’ils s’étaient tous les deux enfuis au Canada. A aucun moment Marius n’avait critiqué explicitement le comportement de son frère, au contraire elle se souvenait assez clairement qu’il avait exprimés bon nombre de remords par la suite, quand il avait empêché Tommy de voir sa fille.

Elle secoua la tête. « Je sais que vos rapports ont toujours été tendus, mais contrairement à ce que tu sembles penser Marius ne t’a pas présenté comme étant le Diable en personne » Admit-elle, le regard grave. Dans cette histoire familiale, Colleen était persuadée que les torts étaient partagés et son rôle n’était certainement pas de départager les deux frères. Elle savait que Marius portait encore les stigmates de leur conflit, qu’il ne s’était toujours pas remis du vol de son amour de jeunesse, ou de son décès. Pour autant elle n’avait aucune envie de jeter la pierre à Tommy. Elle ne pouvait qu’imaginer la souffrance qu’il avait endurée lui aussi – et qu’il continuait probablement d’éprouver. Même quand il lui reprocha de ne pas avoir été totalement transparente avec lui dès le départ, elle fut incapable de le blâmer. « Je ne sais pas. Je ne vais pas te mentir en prétendant que je serais venue de moi-même, parce que la vérité est que je n’en sais strictement rien ». Elle n’aurait sans doute pas pu lui échapper encore très longtemps, mais serait-elle toutefois parvenue à réunir une dose suffisante de courage pour pouvoir se lancer ? Elle n’en avait pas la moindre idée. « Ecoute je suis sincèrement désolée, Tommy. Vraiment. J’aurais dû commencer par ça quand tu es venu te présenter. Mais ce n’est pas parce que je connais bien ton frère et que vous ne vous entendez pas que ça signifie obligatoirement que nous devons nous éviter tout au long de l’aventure. Ce n’est pas ce que je souhaite ». Contrairement à Marius, pensa-t-elle, qui préférerait sans doute qu’ils gardent leurs distances tous les deux.

@Tommy Warren

Ils ne l’avaient jamais réellement compris, le reste des Warren, qu’avec ou sans Alice Tommy aurait probablement fini par mettre les voiles d’une manière ou d’une autre, voyant dans la fuite loin de Brisbane son unique manière de se soustraire à la comparaison permanente que les parents avaient instauré entre leurs enfants. À l’exception de Beth peut-être, qui depuis son retour avait appris à mettre de l’eau dans son vin et semblait plus prompte à écouter même ce qu’elle n’aimait pas entendre, dans une tentative sans doute désespérée de se plier aux états d’âmes des uns et des autres dans l’espoir de trouver comment les réunir. Mais elle n’y parviendrait probablement pas, et derrière l’appât hasardeux du gain et le brin de panique insufflé par ce dont il avait été témoin à son travail, sans doute y’avait-il dans sa participation à Race of Australia une volonté inconsciente de se soustraire une fois encore aux codes et aux opinions du reste des Warren. Alors que Marius se retrouve lié à cette histoire de fous, même de la plus indirecte des façons, laissait dans la bouche de Tommy un goût amer et faisait ressortir la méfiance et les autres travers qui se manifestaient chaque fois que l’ombre de son aîné revenait planer au-dessus de ses épaules. « Je sais que vos rapports ont toujours été tendus, mais contrairement à ce que tu sembles penser Marius ne t’a pas présenté comme étant le Diable en personne. » lui avait pourtant assuré Colleen d’un ton sérieux, mais bien que le brun n’ait pas eu le cœur à le contredire tout dans les expressions de son visage trahissait qu’il n’en croyait pas un mot.

Mais cette révélation, aussi déplaisante était-elle, apportait forcément son lot de questionnements, plus ou moins légitimes. Que Tommy n’ait jamais entendu parler de Colleen auparavant n’était pas une surprise puisque son frère et lui n’avaient pas d’assez bonnes relations pour côtoyer les mêmes amis – et en était-elle d’ailleurs une, ou était-ce autre chose ? Il n’osait pas demander, certain en revanche que si elle se révélait être plus que cela, ce n’en serait qu’une raison supplémentaire pour que Marius ne l’ait jamais mentionnée. Et malgré tout l’aîné des Warren avait fait le choix de révéler à Colleen la présence de son cabochard de petit frère dans la compétition, lorsqu’il aurait simplement pu tenir sa langue et espérer que le pot aux roses ne soit jamais découvert par les deux concernés. S’il l’avait fait en espérant que la jeune femme saurait garder cela pour elle, il serait donc déçu. « Je ne sais pas. Je ne vais pas te mentir en prétendant que je serais venue de moi-même, parce que la vérité est que je n’en sais strictement rien. » Si pour se dévoiler l’honnêteté n’était pas venue d’office, Tommy devait au moins lui reconnaître qu’elle se rattrapait plutôt bien. Sur le reste en revanche, il était forcé de se montrer un peu plus dubitatif … « Écoute je suis sincèrement désolée, Tommy. Vraiment. J’aurais dû commencer par ça quand tu es venu te présenter. Mais ce n’est pas parce que je connais bien ton frère et que vous ne vous entendez pas que ça signifie obligatoirement que nous devons nous éviter tout au long de l’aventure. Ce n’est pas ce que je souhaite. » Il ne doutait pas que la proposition parte d’un bon sentiment, mais un bon sentiment n’en faisait pas pour autant une bonne idée, et étirant un sourire un peu amer il avait secoué la tête « Mais c’est très certainement ce que lui souhaiterait. » Mais le savait-elle seulement, ce qui s’était produit la dernière fois qu’il avait sympathisé avec une connaissance de Marius, et de quoi cela aurait l’air aux yeux de ce dernier ?

Laissant échapper un soupir, le brun avait semblé considérer la situation quelques instants, insatisfait quant au fait de devoir surveiller jusqu’à ses fréquentations pendant la course afin de ne pas froisser l’ego de son aîné … Parce qu’il le saurait, peu importe le moyen, mais il saurait, et Tommy avait même sa petite idée sur la façon dont il s’y prendrait. « Il te l’a dit, qu’ils se connaissaient la présentatrice et lui ? » Et si à ce sujet il aurait tenu à lui de tenir sa langue, et bien tant pis. « Ils sont amis, ça fait un paquet d’années. » Et là encore cela n’en faisait pas pour autant quelqu’un que Tommy connaissait lui-même, il entendait parfois parler de May mais cela n’en faisait pas beaucoup moins une inconnue. Une énième inconnue à l’opinion probablement biaisée à son sujet, car Marius n’avait jamais eu son pareil pour faire pleurer dans les chaumières en racontant la manière supposément abjecte dont son frère l’avait privé de la nièce dont il s’était si bien occupé, en oubliant probablement de mentionner ce qui en avait motivé la décision. « Si elle nous voit ensemble, tu peux être certaine que ça remontera aux oreilles de Marius. » Et l’idée de devoir se justifier sur ses fréquentations à son retour, quand bien même il estimait n’avoir rien à se reprocher, n’emballait pas Tommy.

@COLLEEN SAINSBURY

Tommy avait raison, Marius souhaitait très certainement que leurs chemins ne se croisent jamais dans l’aventure. La veille de son départ, quand elle lui avait annoncé à la dernière minute sa participation à l’émission, il s’était braqué à la seule perspective qu’elle y rencontre son frère. Colleen ne l’avait encore jamais vu dans cet état auparavant et elle n’était parvenue à masquer son trouble face à une telle réaction. Puis elle avait compris. Marqué au fer rouge par son passé, Marius craignait une nouvelle fois se faire voler la vedette par son cadet. Craignait qu’elle puisse s’amouracher de lui et mettre les voiles dans la foulée. Aux yeux de Colleen, cela n’avait aucun sens. Il lui avait confié son histoire, conté ses regrets, révélé ses blessures… Comment pouvait-il ne serait-ce qu’un seul instant imaginer qu’elle puisse agir de la sorte ? Comment pouvait-il concevoir qu’elle soit capable d’affronter son reflet dans un miroir après avoir trompé sa confiance de la pire des manières ? C’était insensé. Pourtant ces craintes révélaient bien la profondeur du mal-être de Marius, sa difficulté à accorder sa confiance et sa faculté à toujours imaginer les pires scénarios. Colleen était consciente qu’elle avait tout intérêt à demeurer sur ses gardes pour ne pas le froisser, d’un autre côté elle n’était pas prête à s’interdire de discuter avec qui que ce soit sous prétexte que cela pourrait compliquer les choses entre eux. Elle n’avait pas la moindre intention de se voir poser des restrictions, pas même par Marius. Elle était droite dans ses bottes, n’avait absolument rien à se reprocher et s’il s’avérait au bout du compte que Marius était incapable de faire la part des choses, alors elle n’aurait d’autre choix que de renoncer à lui. Même si cela lui coûterait énormément.

Elle planta son regard déterminé dans le sien et secoua la tête. « Je sais que c’est ce qu’il souhaite. Je sais que ça l’effraie, aussi ». L’admettre revenait à avouer qu’elle connaissait une partie de leur histoire. Cela revenait également à sous-entendre qu’elle représentait bien plus aux yeux de Marius qu’une simple connaissance. « Et ne t’y méprends pas : je n’ai pas la moindre envie de le blesser. Seulement… ». Elle laissa un soupir lui échapper. « … Je n’ai pas non plus envie de passer mon temps à t’éviter. Je n’ai rien à me reprocher. Alors j’ose espérer qu’il me fait confiance malgré tout ». Elle en doutait sincèrement, dans ce domaine surtout, mais que pouvait-elle faire d’autre ? Eviter Tommy comme la peste sous prétexte qu’il était le frère de Marius ? Ce serait sans doute plus sage de sa part, mais elle refusait de se laisser dicter sa conduite.

Tommy évoqua alors la présentatrice de l’émission, May. Colleen savait qu’elle était une très bonne amie de Marius car il lui en avait parlé, mais elle n’avait pas encore eu l’opportunité de faire sa connaissance. Elle-même ne lui avait pas adressé un seul regard, ce qui l’amenait à penser qu’elle ne savait pas qui elle était. Tommy semblait persuadé que May ne se gênerait pas pour rapporter à Marius leurs moindres faits et gestes, ce qui fit rouler les yeux de Colleen. Alors comme ça, même quand les caméras ne tournaient pas les candidats étaient épiés en permanence ? C’était de la folie, l’Anglaise en venait presque à regretter son quotidien Londonien dénué de drame tant cette possibilité la consternait. « Il me l’a dit » Confirma-t-elle, en réponse à sa première question. « Ecoute, si tu préfères qu’on en reste là pour éviter les complications avec ton frère alors tant pis, c’est ton choix et je l’accepte. Mais si tu changes d’avis, tu sais aussi où me trouver ». Un sourire attristé étira ses lèvres. « Bon courage pour la suite de l’aventure, Tommy. J’espère que Love et toi irez loin ».

@Tommy Warren

Ça n’avait pas l’air comme ça, c’était peut-être la largeur d’épaules ou le fait de s’être inscrit à une émission de télévision, allez savoir, mais il n’y avait aucun art dans lequel Tommy excelle plus que celui de vouloir se faire oublier, et ce genre de capacité souvent vous faisait déployer des trésors d’anticipation concernant les réactions d’autrui. En cela il n’avait donc pas besoin d’une confirmation de Marius pour avoir la certitude que ce dernier n’approuverait pas qu’une quelconque cordialité ne s’instaure entre son cadet et l’une de ses amies. N’était-elle que cela d’ailleurs, une amie ? Tommy ne se serait jamais risqué à poser la question, mais sans le savoir Colleen y avait répondu en affirmant « Je sais que c’est ce qu’il souhaite. Je sais que ça l’effraie, aussi. » car si elle n’avait été qu’une simple amie, son frère ne se serait peut-être pas donné la peine de verbaliser la chose auprès d’elle. Tu vois, semblait dire le regard du brun tandis qu’il haussait les épaules avec pessimisme. « Et ne t’y méprends pas : je n’ai pas la moindre envie de le blesser. Seulement … » Seulement quoi ? « … Je n’ai pas non plus envie de passer mon temps à t’éviter. Je n’ai rien à me reprocher. Alors j’ose espérer qu’il me fait confiance malgré tout. » Il y avait une certaine forme de naïveté dans sa remarque, assez en tout cas pour arracher à Tommy un sourire amer, résigné, et pour lui faire secouer la tête au moment de rectifier « Ce n’est pas à toi qu’il ne fait pas confiance. » avec lassitude. Elle n’était pas le problème, c’était lui, il était l’oiseau de mauvais augure venant mettre la pagaille dans la tranquillité de Marius, et la vérité ? Il n’avait plus l’énergie de chercher à prouver le contraire tant la bataille semblait perdue d’avance. Preuve en était encore que Marius avait fait part de ses inquiétudes à Colleen mais ne lui en avait rien dit, à lui, avec peut-être l’espoir que la jeune femme tiendrait sa langue et que le pot aux roses ne serait découvert que bien plus tard, quand chacun serait rentré chez soi. « Il me l’a dit. » lui avait en tout cas confié la jeune femme, lorsque Tommy avait pointé du doigt la possibilité que le simple fait d’être vus en train de discuter tous les deux puisse remonter aux oreilles de son frère par le biais de May. Autre raison, selon lui, de ne pas tenter le diable. « Écoute, si tu préfères qu’on en reste là pour éviter les complications avec ton frère alors tant pis, c’est ton choix et je l’accepte. Mais si tu changes d’avis, tu sais aussi où me trouver. » Lui paraissait plus abrupte qu’elle ne l’était en réalité, la dernière remarque avait fait baisser la tête à Tommy, qui aurait aimé pouvoir la contredire tout en ayant l’impression de ne pas pouvoir se le permettre. « Il s’agit pas seulement de mon frère, c’est … c’est plus compliqué que ça. Si ça se passe mal entre lui et moi c’est ma fille qui trinquera, et j’ai pas envie de ça. » Mais Colleen avait raison, cela restait son choix – et il ne changerait probablement pas d’avis, peu importe que la britannique lui ait fait l’effet d’être quelqu’un de sympathique. Et c’était son choix à elle que de sourire avec résignation, et de s’en tenir à un « Bon courage pour la suite de l’aventure, Tommy. J’espère que Love et toi irez loin. » qui clôturait la discussion. La nuque s’enfonçant dans ses épaules aussi vite que ses mains avaient retrouvé les poches de son jean, le brun s’était alors fendu d’un « Merci … pareil pour toi et Jack. » mal à l’aise, et le regard fuyant presque aussitôt il ne s’était pas attardé plus longtemps, jetant malgré lui un œil aux alentours pour s’assurer que la discussion n’avait pas fait de témoin discutable.

@COLLEEN SAINSBURY