Ils avaient survécu à cent kilomètres à l’arrière d’une remorque, un pervers, une attaque de serpent, une marche dans le désert, un creep dans une ville quasi-fantôme, et désormais, la civilisation leur tendait à nouveau les bras. Arrivés à Surat, ils avaient ensuite récupérer leur chère et tendre autoroute A2 en passant par Roma. D’après leur carte, deux tiers du trajet étaient désormais derrière eux, et Kelly n’en était pas peu fière. Quelque chose lui disait que leur équipe de tournage, elle aussi, espérait que leurs mésaventures touchaient à leur fin. Combien de fois avaient-ils tous manqué de finir en chair à pâté ? Désormais, ils n’étaient plus qu’à moins de trois heures de leur objectif. Ils n’étaient que jeudi après-midi, et ils n’avaient quasiment rien dépensé en dehors de quelques bouteilles d’eau, paquets de biscuits et cafés à emporter pour se donner du courage. Ils devaient avoir un peu moins de vingt dollars en poche. Malheureusement, ce n’était pas assez pour un taxi en ligne droite jusqu’à Charleville. Kelly et Loan étaient donc de retour à l’étape recherche de véhicule. Tout ce que l’australienne espérait, c’était de ne plus tomber sur elle ne savait quel psychopathe qui irait à nouveau les perdre dans le désert. Le long de l’A2, ils marchaient d’un pas tranquille. “Tu crois que d’autres équipes sont déjà arrivées ?” demanda-t-elle à son binôme en regardant ses pieds. Certains avaient sûrement eu plus de chance qu’eux. Après tout, sans leur mésaventure à Glenmorgan, ils seraient probablement déjà à Charleville. Alors il n’était pas impossible que d’autres soient en train de se prélasser près de l’arrivée. Lee laissait au brun le soin de lever le pouce. Quelqu’un finirait bien par s’arrêter. Elle en doutait au début de la semaine, désormais elle pouvait l’affirmer : quelqu’un finirait bien par s’arrêter. Cela pourrait prendre dix minutes ou une heure. Et en pendant cela, elle se sentait déjà bien plus aguerrie qu’à leur départ de Brisbane.

Enfin, un véhicule se gara sur le bas côté. Kelly fronça les sourcils en découvrant, droit devant, un immense party bus visiblement bien rempli. La portière s’ouvrit, laissant la musique électronique cracher ses basses à l’extérieur du véhicule. Plusieurs femmes leur faisait signe. Ce ne fut qu’une fois à leur niveau, en détaillant leur tenues, que la sommelière comprit que la joyeuse troupe était en route pour un enterrement de vie de jeune fille. Et surtout, qu’elles avaient commencé à boire en début d’après-midi. “Saluuuuuuuuuuuut vouuus !” qu’elles lançaient joyeusement. “C’est quoi votre émission ?” demanda l’une d’elles en indiquant l’équipe de tournage qui les escortait. “Race of Australia. On doit aller à Charleville.” Et elles se mirent à rire, ou à crier, ou les deux -leur euphorie était particulièrement déstabilisante, mais un brin divertissante. “Oooooooh moi je viens de Charleville ! - Trop énoooorme le hasard ! -Graaaave !” qu’elles piaillaient entre elles. “Est-ce que vous nous emmèneriez ?” se risqua à demander Kelly qui n’était pas contre une arrivée en fanfare à leur destination. Les jeunes femmes, elles, paraissaient surtout intéressées par les caméras et l’idée de passer à la télévision. “Ouiiiiii, venez, ça sera coooool ! - Graaaaaaave ! - On a des shooooots !” Lee et Loan échangèrent un regard. Ils avaient mérité de boire à l’oeil, définitivement.

Je m’étais inscrit à cette émission pour vivre un véritable challenge.
Autant dire que pour le moment, je ne suis pas déçu.

L’aventure avait si bien commencer pour nous que je m’étais presque reposé sur mes lauriers, certains que tout irait bien pour le reste de notre chemin jusqu’à Charleville. C’était sans compter sur tous les dingues que l’on a pu croiser dès la sortie de Miles. À croire qu’il y avait une concentration juste à cet endroit-là et qu’ils c’étaient tous donner rendez-vous pour croiser notre chemin. D’abord un pervers, puis un creep homophobe et probablement dépeceur de crocodile à ces heures perdues. Tout un panel riche en frayeur et coup de sang.

Heureusement, nous avons fini par retrouver notre chemin et voilà que seulement une centaine de kilomètres nous séparaient désormais de la ligne d’arrivée pour cette première semaine. Notre détour dans la cambrousse nous a clairement fait perdre du temps, mais je reste optimiste sur le fait que l’on n'arrivera pas les derniers. Je veux encore y croire. Je n’ai pas mangé une chenille – encore vivante, j’en reste persuader – pour rien. Je refuse de me résoudre à cela pour le moment. « Tu crois que d’autres équipes sont déjà arrivées ? » Je hausse les épaules, mon pouce tendu vers la route, en attente d’une âme charitable pour nous. « Je sais pas. Peut-être une ou deux. Les plus chanceux. » Je refuse de croire que nous avons été les seuls à se perdre, à vivre des trucs invraisemblables. Dois bien avoir des plus malchanceux que nous dans le tas, non ? J’ose vraiment l’espérer. Je me suis pris au jeu au fil des heures et des kilomètres et je n’ai pas vraiment envie de quitter l’aventure demain soir. Bien au contraire. « Faut pas baisser les bras. » que je lance à la brunette à mes côtés, mon éternel sourire plaquer sur les lèvres.

On doit bien avoir marché cinq kilomètres lorsque je me fais sortir de mes pensées par le bruit d’un véhicule qui freine à nos côtés. Enfin… Un minibus pour être précis. Emplie de jeunes femmes qui se mettent toute à piailler en même temps dès l’instant où la porte en accordéon s’ouvre sous nos yeux. Une fois encore, Kelly se charge du petit discours d’introduction. Un rire m’échappe lorsque je réalise ce qui est en train de se passer sous nos yeux. Un enterrement de vie de jeune fille qui se dirige tout droit vers Charleville. Du pain béni. « Merci mesdemoiselles. » Et peut-être que j’use de mon plus beau sourire envers l’une d’entre elle, juste pour faire bonne impression. « En plus, il est mignon. » que j’entends l’une d’entre elles railler auprès de ses amis. « Venez on va vous donner à boire, puis on a des gâteaux. – Et surtout de la musiiiiiiique ! » La seconde d’après, la musique bat son plein dans l’habitacle. « Plus sympa que nos derniers chauffeurs. » que je plaisante auprès de Kelly qui se retrouve déjà avec une coupe de champagne à la main.

Épuisé par nos heures de marche, je me laisse lourdement tomber sur l’une des banquettes et soupire de bonheur lorsque je sens la tension se relâcher dans mes jambes. « Mesdemoiselles, vous nous sauvez la vie ! » que j’annonce de manière théâtrale tout en me redressant quelque peu. « Alors, qui est la jeune mariée. » Et déjà elle se plante devant moi, le regard un peu brumeux, et une magnifique couronne sur la tête. Elle nous regarde avec Kelly avant de sourire telle une enfant. « Vous faites l’émission en couple ? » On échange un regard avec de rire de bon cœur. « Pas du tout. » Je trinque avec Kelly. « On se connaissait même pas y a encore trois jours. » « Wahouuuu, mais c’est trop dingue – vous avez fait beaucoup de kilomètres ? – mais vous venez d’où en fait ? – ON VA PASSER A LA TELE ? » Les questions fusent et je perds un peu pieds autour d’autant de femmes qui semblent être monté sur ressort. Kelly sort moi de là.

@kelly ward @may glitters

C’est avec un certain enthousiasme que la grande brune monta dans le bus, gobée entière par la musique et les lumières qui animaient l’intérieur calfeutré aux multiples banquettes. Mini-bar et boule à facettes donnaient la touche finale à cette boîte de nuit sur roues. On y trouvait mille goodies à l’effigie de la future mariée. Son troupeau de copines ne manquait pas d’apprécier la compagnie d’un bel homme à bord, faisant doucement sourire Kelly. “T’as une touche, je crois.” elle lui souffla tout bas. Tant qu’il ne tentait pas sa chance devant les caméras avec la star du jour, ils n’avaient pas l’air de risquer quoi que ce soit d’autre qu’un petit coup dans le nez. Les demoiselles ne semblaient pas avoir une bouteille de blanc au frais, cependant le champagne était de mise -oh, Lee pouvait s’en contenter, volontiers, merci. Ayant déposé ses affaires dans un coin du bus, elle sirotait la coupe tant méritée après toutes leurs péripéties. S’ils perdaient cette étape, elle et Loan, au moins auraient-ils passé les derniers moments sur la route en célébrant leur bout d’aventure ensemble. Etalé sur une banquette et écrasé sous les questions des demoiselles euphoriques, son binôme lui lançait un regard d’appel à l’aide ; Lee se contenta de lever son verre et de trinquer de loin, lui souhaitant bonne chance, car elle comptait bien l’admirer se débrouiller tout seul dans cette mare de jeunes femmes éméchées. Parker était à côté d’elle, caméra au poing, filmant la scène. “Je suppose que vous avez pas le droit de boire pendant le job ?” lui glissa Kelly, prête à lui tendre un verre ; elle pouvait garder le secret s’il souhaitait prendre une gorgée ou deux. Mais il demeura professionnel et refusa. Quant à la tranquillité de la sommelière, elle fut de courte de durée ; après avoir épuisé Loan avec leurs questions, certaines se tournaient vers elle. “C’est quoi ton nom déjàààà ? - Kelly. -J’adooooooore, trop mim’s !” Trop quoi ? Etait-elle déjà trop vieille pour comprendre leur langage ? Sans qu’elle n’ait son mot à dire, l’une des demoiselles d’honneur lui lança un t-shirt aux mêmes motifs ridicules que les leurs, le visage de la mariée découpé grossièrement sur un fond fushia, du glitter collé à la truelle par dessus. “Tiens, pour faire partie de la teaaaam. C’était le t-shirt pour Roxanne mais elle nous a plantés. C’est du XXL parce que c’est une grosse vache. - Elle a préféré réviser ses exams. - Quelle idée, duh. - Ouais, duh, en plus on l’avait invitée par politesse.. - Fuck Roxy. - Graaaaaaave !” Lee souriait poliment -et nerveusement- ne se voyant pas refuser le cadeau et l’invitation à revêtir l’uniforme du jour. Tant qu’on ne lui ordonnait pas d’enfiler le tutu qui allait avec et qu’elle arboraient toutes fièrement, la brune prenait sur elle le ridicule de la chose. Elle enfila donc le t-shirt par dessus ses vêtements ; celui-ci était si grand qu’il lui arrivait à mi-cuisses, lui faisant presque une robe. “C’est saillant, n’est-ce pas ?” demanda-t-elle avec sarcasme à Loan, tournant sur elle-même à la manière d’un petit défilé avant de se laisser tomber à côté de lui sur la banquette. “Arrête d’être trop charmant ou elles voudront te payer pour un strip-tease.” eut-elle à peine le temps de lui chuchoter -autant que l’on peut chuchoter quoi que ce soit avec une musique aussi forte. Les demoiselles d’honneur se jetèrent littéralement sur eux, à moitié intentionnellement, à moitié déséquilibrées par l’alcool et la houle du bus. L’une d’elles était armée d’une son smartphone, caméra avant prête à mitrailler. “Selfiiiiiiiiiiiiie !”

En quelques secondes, nous étions passés dans une autre dimension.

Dans ce minibus, tout est rose, tout est paillettes, tout est girly. La bande de copine est tout simplement surexcitée, probablement déjà bien pompette et terriblement décider à faire la fête comme il se doit. «T’as une touche, je crois. » me lance ma coéquipière alors qu'une des jeunes femmes ne cesse de me fixer, un énorme sourire aux lèvres. Il va être intéressant ce dernier trajet jusqu'à Charleville. Il se pourrait que l'on arrive en fanfare et je dois avouer que j'ai hâte de voir la tête des autres candidats.

On se retrouve avec un verre de champagne à la main, une musique assourdissante qui me fait marquer le tempo du bout du pied. Les filles sont déchaînées, elles posent question sur question sans jamais s'essouffler, en tournant dans tous les sens avant d'hurler des paroles de chanson dans le vent. La tête que tire Kelly lorsque la horde de jeune femme s'intéresse finalement à elle me tire un rire franc. Vraiment on aura tout vécu en cette première semaine. Encore quelques minutes et Kelly se retrouve affubler d'un tee-shirt mille fois trop grand, saupoudré de paillette d'un rose flashy qui jure sur sa peau parfaitement hâlée. « Loaaaaaaaan met ça toi. » et me voilà assorti d'un magnifique boa à plumes. « C’est saillant, n’est-ce pas ? » mes yeux se relèvent sur Kelly qui en tournoyant sur elle-même semble bien s'amuser de la situation. [color=#000000]« C'est de touuuuuute beauté ma chérie. » que je m'exclame en exagérant grandement et en utilisant ma voix la plus aiguë. « Tu penses quoi de mon boa ? Je devrais l'accorder avec un tutu, non ? » cela fait du bien de pouvoir plaisanter de bon coeur. Cela change de nos dernières aventures dans la brousse. « Arrête d'être trop charmant où elles voudront te payer pour un strip-tease. » Un nouveau rire alors que je me penche vers la brunette. « Encore dix minutes et elles vont me demander de le faire, le strip-tease. » Elles s’en seraient capable notre petite bande de bimbo surexcités. Je pique deux muffins sur le plateau posé non loin de là et en tends un à Kelly. « Autant en profiter pleinement! »

Une dizaine de selfie plus tard, l'une des jeunes femmes jette son dévolu sur Parker. On fait signe au caméraman en riant et se moquant un peu de lui. Elle danse de manière lascive tout autour de lui avant de coller son visage à la caméra. « Les fiiiiiiiilles on va passer dans l'émission. » Et comme un cri de ralliement elles hurlent toutes en même temps. « Wouhouuuuuuuuuuu » Je sursaute presque et me cache à moitié derrière Kelly, alors que l'une d'entre elles reviennent à la charge. Elle s'installe à califourchon sur mes cuisses et deviens un brin trop entreprenante. Je ne sais pas quoi faire de mes mains et suis incapable de reculer plus, bloquer par le siège. « Euhm... » Du bout des doigts je touche son épaule pour qu'elle recule un peu. « Excuse moi, mais... » Je la repousse un brin plus vivement sans être agressif. Mal m'en prends. « Ahahahaa il veut pas de toiiiiii Steph. - La loooooose » La jeune femme semble déçue et je tente de me rattraper. « Non c'est pas, mais euh... » Et voilà que je jette un regard à Kelly qui semble tellement amusé par la situation. « Je préfère les hommes, sorry love. » Et un nouveau hurlement de la part de la future mariée cette fois. « Haaaaan t'es gay ? Trooop bien j'ai toujours rêvé d'avoir un meilleur ami gayyyy. » Parce qu'il est vrai qu'on est le meilleur accessoire de mode. Je rigole pour la forme, mais préfère vider ma coupe de champagne.

Elle flottait dans ce t-shirt, et elle en riait. Et ce rire de bon coeur faisait s’envoler toutes leurs précédents déboires loin de son esprit. Ils étaient au milieu d’une horde de mean girls tout craché, mais ce n’était pas pire que tout le reste. Puis, il y avait du champagne, de la musique, de la joie. Loan se prenait au jeu dans la légèreté. « Tu penses quoi de mon boa ? Je devrais l'accorder avec un tutu, non ? » Il n’avait pas peur du ridicule, pas même devant les caméras. Le troupeau de demoiselles d’honneur non plus, à les voir tourner autour de Parker comme des vautours. "Guuurl, tu m'ôtes les mots de la bouche." répondit Kelly en perchant sa voix un peu plus haut, singeant la gestuelle d’une de ces Housewives que l’on pouvait voir dans ces téléréalités des coins obscurs des chaînes câblées. En se moquant gentiment des jeunes filles qui les avaient pris en stop, un peu, aussi. La plupart avait dépassé le stade d’être simplement éméchées. C’était à se demander dans quel état elles arriveraient à Charleville, et surtout, ce qu’elles comptaient y faire si elles n’arrivaient plus à marcher droit. Ce n’était pas leurs oignons, alors Kelly se contentait de profiter du moment en prenant une bien belle bouchée de son muffin.

Assailli par les demoiselles, Loan se retrouvait de plus en plus embarrassé par leur désinhibition. L'insistance de l’une d’elles en particulier le poussa à justifier son rejet d’un ; « Je préfère les hommes, sorry love. » Kelly ouvrit de grands yeux ronds. Elle savait que certaines femmes prétendaient parfois être homosexuelles afin de dissuader les prétendants trop collants, mais jamais n’avait-elle vu un homme opter pour cette stratégie. Cela lui parut diablement efficace, bien que l’attention soit désormais portée sur la prétendue homosexualité de Loan. "Belle esquive." lui dit-elle tout bas, persuadée que ce qu’il avait dit n’était pas la vérité. Mais si une personne sur cette planète n’avait pas le moindre gaydar, c’était bien Kelly.

"Shoooots !" lança la future mariée en déboulant au milieu du bus avec un plateau débordant de petites gorgées de vodka -dont la moitié s’était déjà renversée à cause du mouvement du véhicule. Toutes les filles se jetèrent sur un verre sans la moindre hésitation, sauf la sommelière, dubitative. "Il est un peu tôt pour ça, non ?" Mais semblaient-elles vraiment à ce détail près ? Pas vraiment. En revanche, Lee ne serait pas étonnée que la plus petit de la bande finisse avec la tête dans les toilettes avant qu’ils arrivent à destination. "Allez Kelly ! Fais pas ta coincée ! C'est mon enterrement de vie de jeune fille, alors je commande, et je t'ordonne de boire." Cette répartie était digne d’une enfant de sept ans, songea la brune tandis qu’elle prenait finalement le dernier shot du plateau. "Si sa majesté insiste." fit-elle avant de gober la vodka en se pinçant le nez dans l’espoir de moins sentir l’alcool lui brûler la gorge -ce qui fonctionna plutôt bien, mais ne pouvait amortir l’ivresse qui lui monterait à la tête plus tard. "Whaouuuuuuu !" avait hurlé toute la troupe, fière et satisfaite de leur plus récente recrue. Kelly, elle, grimaçait encore un peu malgré son sourire. Tout ceci était si loin de ses habitudes, à des années de sa zone de confort, et elle adorait se voir pousser ses limites de la sorte. Dans les baffles du bus, la voix de Taylor Swift se mit à résonner, provoquant instantanément l’hystérie générale. "Oh j'adoooooore cette chanson ! -Moi aussiiiiiiiiii ! -Graaaaave !" Et les voilà à chanter à tue tête.

Cause the players gonna play, play, play
And the haters gonna hate, hate, hate
Baby I'm just gonna shake, shake, shake

Elle se déchaîne complètement la bande de mean girls. Rien ne les arrête, pas même les caméras. Bien au contraire, c’est comme si elles étaient subitement entrées dans un concours malsain à celle qui passera le plus de fois devant la caméra de Parker. Je viens de voir la mariée poussée une de ses prétendues amies pour pouvoir rester dans le champ de la caméra. Définitivement un monde à part. Et bien entendu, elles essaient de nous faire entrer dans leur petite bande. « Guuurl, tu m'ôtes les mots de la bouche. » Je suis surpris du ton utilisé, mais heureux de la voir lâcher du lest un peu. Si j’avais pu la trouver froide et distante les premiers jours, désormais je réalise que Kelly est bien plus que ce qu’elle laisse paraître et j’ai hâte de la voir se lâcher encore un peu plus, que ce soit avec notre nouvelle bande de copine ou plus loin dans l’aventure.

« Belle esquive. » Mon rire se bloque dans le fond de ma gorge alors que je tourne la tête vers Kelly. Je pensais qu’elle avait compris lors de notre nuit chez Grincheux, mais il faut croire qu’elle ne prend cela que pour une immense blague de ma part. C’est vrai que l’esquive aurait pu être parfaite, désormais les filles ne cherchent plus à monter sur mes cuisses ou à me lancer leur regard le plus sexy qui soit – tenter soit-il que je tombe soudainement sous leur charme. Mais rien de tout cela n’est une esquive. Un homme m’attend à Brisbane et je compte bien ne pas cacher tout cela pendant cinq semaines. Ne voulant pas gâcher l’ambiance générale, je préfère hausser les épaules, lancer mon plus beau sourire à Kelly et accepter les shots que nous ramène la future mariée. « Cheers to us. » Je fais claquer mon verre contre celui de la brunette. « Et cette aventure de folie. » Et un shot.

Trois plus tard, me voilà debout au milieu de la horde de filles à hurler les paroles de la chanson de Taylor Swift tout en me déhanchant comme un idiot. J’ai envie de m’amuser, de profiter de cet instant un peu hors du temps au milieu de cette aventure. J’ai toujours aimé danser et le ridicule ne me fait pas peur. Je m’en donne à cœur joie et viens attraper la main de Kelly pour l’entraîner avec moi. « Je paierai Parker pour qu’il ne diffuse pas ça, si tu veux. » que je plaisante un peu alors que la chanson change – pour une autre de miss blondie, bien entendu - et que les shots défilent à nouveau entre nous. Je voudrais profiter pleinement du moment, mais quelque chose au fond me taraude encore un peu. Je ne voudrais pas partir du mauvais pied avec Kelly, mais ça me semble important. Je ne veux pas faire semblant, ça n’a jamais été mon genre. Le moment semble inapproprié, mais je me dis qu’au pire, elle aura toute la liberté de m’ignorer sans que ce soit trop visible. Surtout, personne ne pourra entendre avec ce bruit ambiant. Alors, je me rapproche un peu de la jeune femme pour qu’elle soit la seule à m’entendre, le plus possible avec ce bruit ambiant. « Je veux pas te mentir Kelly. » que je commence, un peu hésitant. « Mais c’était pas une esquive. » Je me recule et hausse un peu les épaules. Espérant simplement qu’elle va enregistrer l’information et faire comme si de rien était. « Kellyyyyyyyyyyyyyyy chérie faut que tu danses. » Et déjà Steph, Amelia ou Erin je sais plus trop l’entraîne à nouveau sur la mini piste de danse improviser au milieu du bus.

Charleville n’est plus qu’à une cinquantaine de kilomètres.

en exclu: Loan qui danse:

Kelly n'avait pas autant dansé depuis la fête des anciens élèves de l'université, et cela faisait déjà un an et demi qu'Hassan et elle s'étaient défoulés sur la piste -sans même avoir à boire des shots. Autrement dit, gigoter, sauter, se tortiller de partout tout en chantant totalement faux du Taylor Swift, cela était loin de ses habitudes. Mais il y avait des manières bien plus déplaisantes de sortir de sa zone de confort, comme son équipe avait déjà pu en faire l'expérience depuis le début de la semaine. Elle s'amusait comme une folle, désormais membre à part entière de celles qui s'étaient baptisées les sassy queens. Pour une raison que la brune ignorait, les demoiselles d'honneur regardaient toutes Loan avec un large sourire à chaque fois qu'elles lançaient ce cri de guerre (ou de fête). Il songeait à s'arranger avec Parker pour que leur moment de débauche n'apparaisse pas à la télévision. "Tu plaisantes ? Je paierais pour voir la tête de mes voisins quand ils verront ça !" lui répondit-elle en hurlant par dessus la musique -bien plus fort que nécessaire en réalité, mais ce niveau de décibels ne lui était pas familier. Ses parents, elle n'y pensait pas ; jamais de la vie seraient-ils surpris à regarder pareille émission, c'était à peine si la télévision dans le salon ne servait pas que de décoration. Mais son voisinage, en revanche, avait d'elle cette image d'éternelle jeune première au jardin trop bien entretenu et aux cookies à se damner. Lee avait hâte d'être perçue comme une personne plus complexe que cette façade.

Un coup de fatigue lui tape sur le coin du crâne. Kelly partait en quête d'un verre d'eau afin de temporiser les dégâts de l'alcool lorsque Loan revint à la charge avec une mine déconfite. Sur les vocalises de Katy Perry, l'australienne l'entendait à peine -et lire sur les lèvres n'était pas un de ses talents. De ce qu'elle entendait, très vaguement, il y avait un problème. Kelly secouait la tête, l'air de comprendre alors qu'il n'en était rien. La musique était si forte, et les syllabes sortant de la bouche de Loan complètement déformés. "Mais non elles sont pas excessives !" elle répondit en lui tapant l'épaule. Certes, elles étaient très enthousiastes, les demoiselles d'honneur, mais elles n'étaient pas méchantes.

"J'vais me marier, t'sais ?" Moment confidence sur une banquette entre Portia et Kelly, toutes deux ayant les pieds fatigués de danser et l'alcool commençant à sérieusement faire tourner le bus dans un rond point sans sortie. "Mon Jeremy, il est paaaarfait. Il est beau, il est trader… - Profites en tant que ça dure." Quelle ironie, songeait la sommelière, de poursuivre cette aventure supposée l'aider à surmonter son divorce au milieu d'un enterrement de vie de jeune fille. "T'as un hubby Kelly ? -Nan. Plus maintenant. -Awwwwn… Qu'est-ce qu'il s'est passé ?" Elle haussa les épaules. Mentionner le déclic qu'avait déclenché la découverte de sa stérilité était bien trop intime. "Mweh, la vie. Et puis j'ai découvert qu'en fait il était gay, et ça c'était pas cool. -Oooh, bummer…" À entendre Portia, ce n'était presque pas si grave que ça. Kelly, elle, ne réalisait pas qu'elle avait lâché ce secret si bien gardé à une inconnue devant les caméras. Oh et puis, tant pis pour Chad. Fuck Chad. Grave.

C’est comme une pause dans l’aventure. Une bulle hors du temps.
Ce n’est plus Kelly et Loan, aventuriers de l’émission ‘Race of Australia’, mais Kelly et Loan, membre honoraire des sassy queens.

Tenue de fête, shots à la main, voilà que l’on se retrouve à se déhancher au milieu de la piste, bercer par le mouvement du bus et par les vibrations de la musique que crachent des enceintes de basses qualités. Mais on se fiche bien de tout cela lorsque l’on vit dans le moment. « Tu plaisantes ? Je paierais pour voir la tête de mes voisins quand ils verront ça ! » Elle m’étonne plus que jamais, Kelly alors qu’elle semble s’amuser comme une petite folle à se déhancher en face de moi. C’est un personnage complexe Kelly. Une façade qui cache une multitude de facettes toutes plus intéressante les unes que les autres. « Tu continues à m’étonner Kelly. » que je plaisante alors que le rythme de la musique se fait plus endiabler et que l’on oublie bien les conversations pour se déhancher comme si les caméras n’existaient même plus. On s’amuse comme des adolescents et ça fait du bien. Tout simplement.

Je ne voulais pas gâcher la fête, mais depuis le départ, j’ai la sensation que Kelly ne comprend pas ce que j’aimerais lui dire. Mal à l’aise avec l’idée de lui cacher quelque chose, je tente de lui dire de manière un peu moins subtile. Je n’ai pas forcément envie d’exposer ma sexualité devant les caméras, mais j’ai comme la sensation que c’est une information que Kelly devrait connaître. C’est idiot, mais je voudrais juste lui faire savoir. L’endroit n’est pas idéal, la musique n’aide pas à se comprendre. « Mais non elles sont pas excessives ! » Un rire nerveux m’échappe et je lève les yeux au ciel. Elle n’a pas entendu. Ou elle préfère ne pas entendre. Je ne sais plus vraiment. Je hausse les épaules, peut-être que ce n’est pas si important que cela au final. « Oui, tu as raison ! » que j’approuve un peu bêtement avant de me faire happer par une demoiselle d’honneur complètement déchaînée.

On m’entraîne dans une énième danse, un karaoké quelque peu improviser puis un jeu qui implique un peu trop de shots de vodka. Du coin de l’œil, j’aperçois Kelly en pleine discussion avec la future mariée. Au fur et à mesure des minutes, elle perd de plus en plus son sourire ce qui me fait froncer les sourcils. Je lui laisse l’espace, tente de suivre la conversation qui se déroule autour de moi avant de me diriger vers le chauffeur. « On est bientôt à Charleville ? » « Dans cinq minutes, mais j’vais pas vraiment dans le centre. Je peux vous poser le plus près possible. » Je hoche la tête et remercie l’homme avant d’aller retrouver ma coéquipière qui est de nouveau seule. « Hey sassy girl. » que je plaisante en me laissant tomber à ses côtés. « Tu as l’air triste. » La musique est bien moins forte et on peut de nouveau s’entendre discuter, ce qui n’est pas si désagréable que cela. Je crois que la petite fête est déjà bien fatiguée. « On arrive dans cinq minutes, il va nous déposer au plus près du centre-ville. On finira à pied. »

Et quelques minutes, plus tard, il est temps de dire adieu à nos copines de trajet. « NOOOOOOOOON vous restez, on a décidé, hein les filles ? – Ouais vous restez ! – On veut pas que Loan s’en aille. » Je rigole et vais prendre la future mariée dans mes bras. « Je te souhaite tout plein de bonheur. » « On se reverra, hein ? » Je hoche la tête même si je suis persuadé que cela n’arrivera jamais. Je récupère mon sac à dos alors que le bus commence à ralentir laissant Kelly dire au revoir à nos amies. Je réalise que tout tangue un peu trop et que le reste du trajet risque d’être assez drôle. « Kellyyyyy on a une course à finir. »

Et on descend du bus éméchés comme jamais, un sourire aux lèvres et des souvenirs pleins la tête. « Alors, prête pour notre arrivée? » Je pouffe tout seul dans mon coin. « Je crois que j'ai la tête qui tourne, juste un peu. »

Portia avait vanté son mariage à venir durant ce qui avait semblé être une éternité. Kelly, avant son divorce, adorait les mariages. La célébration de l’amour dans sa plus belle forme d’engagement, c’était tout ce dont une romantique dans son genre avait besoin pour alimenter sa passion des contes de fées. Mais il n’y avait pas de ‘ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants” pour elle. « Tu as l’air triste. » fit remarquer Loan en venant à la rescousse de la sommelière noyée dans ses pensées. Immédiatement, elle afficha un large sourire ; c’était, à ses yeux, le meilleur moyen de faire fuir la peine et les mauvaises idées qui pouvaient polluer sa tête et faire retomber l’ambiance. Le déni, pur et simple. “Triste ? Oh, non, pas du tout. T’en fais pas !” Cependant, même si elle appréciait grandement la compagnie des demoiselles d’honneur, mettre pied à terre et marcher un peu à l’air frais ne leur ferait pas de mal. Ils étaient si proches de la ligne d’arrivée de cette première étape.

Les aurevoirs étaient déchirants. En peu de temps, Kelly s’était attachée à ces jeunes femmes ; l’alcool rendait les amitiés si fluides. Quant à elles, elles étaient aussi peinées de laisser partir le duo que leur caméraman. Les embrassades étaient longues et à la stabilité relative. « Kellyyyyy on a une course à finir. » rappela Loan à l’ordre. Rapidement, Lee jeta son sac sur son dos. “Byyyyyyye sassy queens ! Amusez-vous bien au mariage !” lançait-elle une dernière fois avant de sortir du bus.

“Oh, la vache.” Le choc était brutal. Le soleil lui brûlait la rétine ; elle avait totalement oublié que non, il n’avaient pas fait la fête en soirée mais au beau milieu de l’après-midi. Les fenêtres calfeutrées du véhicule leur avait donné cette illusion d’une nuit tombée avant l’heure. Kelly enfila ses lunettes de soleil. Est-ce que la ville était pentue, ou est-ce que sa vision était troublée ? « Je crois que j'ai la tête qui tourne, juste un peu. » Loan n’en menait pas large non plus, ce qui la rassurait, dans un sens. “J’ai des acouphènes et… oups.” En voulant mettre un pied devant l’autre -la base de toute marche, n’est-ce pas- l’australienne manqua de trébucher sur le bord du trottoir et de s’étaler au milieu de la rue. C’eut été fâcheux.

Il y avait un plan de la ville non loin d’eux. Le panneau était grand, mais les textes ridiculement petits. Les yeux plissés à l’excès, Kelly tentait de trouver leur itinéraire. “Alors, l’hôtel de ville… c’est sur Edward Street.” Et alors que son doigt suivait le chemin le plus rapide entre la gommette rouge qui indiquait leur position et le petit monument placé dans le centre-ville, elle nota un détail qui devint, subitement, d’une importance cruciale ; “Pourquoi toutes les rues ont des noms d’hommes ? C’est tellement… tellement… pas bien !” qu’elle s’offusquait avec la répartie d’une enfant de sept ans. Pourtant, le féminisme était bien bas dans la liste des causes auxquelles Lee accordait la moindre importance. Remettre en cause le patriarcat ne lui avait jamais traversé l’esprit ; en revanche, on lui avait rabâché fort souvent qu’une femme devait être soumise à son époux, ça oui. Enfin, Loan et elle se mirent en chemin. En quelques pas, Kelly avait déjà oublié par où ils devaient passer afin d’atteindre leur destination. “Attends, c’est quoi ça ? Watson Street ? Euh, je crois qu’on devait aller à gauche sur Parry puis.. ou non, à droite, et… Oh, un chien !” Le carlin qui passait par là acheva ses capacités d’attention. Il était absolument vital qu’elle s’acroupisse pour lui dorloter la frimousse.

« Oh, la vache. » Le cri du cœur. Sorti du bus, le retour à la réalité est bien plus violent qu’anticiper. On a clairement perdu la notion du temps le temps de notre trajet/petite fête improviser et l’alcool n’a pas aidé. J’ai la sensation d’avoir des hauts le cœur et les reflets du soleil sur le bitume m’arrache la rétine. « Je sais plus si c’est le cinquième ou sixième shot qui était de trop. » que je commente en venant poser ma main en visière sur mon front. Nous voilà donc à Charleville. On doit se rendre où déjà ? L’hôtel ? Oh non l’hôtel de ville ! « J’ai des acouphènes et… oups. » Kelly manque de trébucher sur du vent et je tends le bras en vain car, je suis bien trop loin pour l’attendre. Nos rires s’élèvent dans la rue plutôt vide. « Faut pas, tu tombes. » Ma langue manque quelques mots et cela me fait rire, alors que je ne cesse de tourner sur moi-même pour tenter de trouver la bonne direction. Ce n’est clairement pas malin lorsque mes yeux commencent à se croiser. « On va où ? » demandais-je alors dépiter.

« Alors, l’hôtel de ville… c’est sur Edward Street. » Je hoche la tête et fronce les sourcils avec force comme si cela allait graver le nom de la rue dans ma mémoire. « Pourquoi toutes les rues ont des noms d’hommes ? C’est tellement… tellement… pas bien ! » J’arque un sourcil alors que mon regard vide croise celui de Kelly. Sa question est pleine de sens. Les hommes ne devraient pas avoir le monopole des noms de rue, c’est un peu nul. Puis c’est joli un nom de femme. « Bah, je sais pas. » que je finis par admettre en haussant les épaules et penchant la tête sur le côté. « J’ai rien fait, je te jure. » Comme si elle m’accusait pour les dénominations des rues en Australie.

Quelques pas plus tard, on semble errer dans la ville sans but précis, alors que c’est loin d’être le cas. « Attends, c’est quoi ça ? Watson Street ? Euh, je crois qu’on devait aller à gauche sur Parry puis.. ou non, à droite, et… Oh, un chien ! » Je tourne sur moi-même et trouve Kelly en train de grattouiller la tête d’un petit carlin qui semble au summum du bonheur. « Il est mignon ! » que j’affirme avant de me redresser. « Eeeeeh ça peut être notre mascotte ! » Comme si c’était le moment de se chercher une mascotte. Mon regard se pose sur Parker qui semble se mordre la lèvre jusqu’au sang pour ne pas exploser de rire face à notre attitude. « Kelly.. Kelly… Keeeeellyyyyyy. » J’attire à nouveau l’attention de ma coéquipière qui se redresse non sans chavirer quelque peu. Se serait si idiot d’arriver en retard pour une mascotte. « Madame. » je lève la main comme si je m’adressais à un serveur. « Madameee. » que j’insiste alors que la personne se retourne et que… « Oh Monsieur alors. » J’hausse à nouveau les épaules et lui lance mon plus beau sourire. « Vous savez, c’est où l’hôtel de ville ? » Il semble se méfier, mais finit par nous indiquer la bonne direction. J’attrape Kelly par le bras et nous lance sur l’avenue, l’air déterminé. « On va gagner, je suis sûr ! » C’est bien la confiance en soi. Non ?

Le propriétaire du chien n’avait pas vraiment son mot à dire, Kelly avait la ferme intention de le papouiller. Elle s’amusait avec la peau élastique du carlin ; la tendre en arrière pour lui faire arborer un grand sourire, la ramener sur ses yeux comme deux gros sourcils contrits. Et il se laissait faire, le quadrupède, ravi de se faire une nouvelle amie momentanée. « Eeeeeh ça peut être notre mascotte ! » proposait Loan avec un enthousiasme exacerbé. Oh oui, et ils auraient pu s’en faire des t-shirts, et des casquettes, et des tatouages assortis et… Une foule d’idées pires les unes que les autres qui, fort heureusement, avaient toutes les chances d’être oubliées dès qu’ils seraient de nouveau sobres. “Mon téléphone me manque tellement, là, tout de suite.” souffla Kelly, dépitée. Elle aurait volontiers pris un selfie avec le fier toutou et son binôme. Tous les souvenirs en image qu’elle ne pouvait pas prendre de ce voyage était ce qui la frustrait le plus. Les paysages et les personnes qu’ils rencontraient méritaient tant d’être immortalisés. Et ils ne pouvaient pas dépenser leurs sous dans une chose aussi futile qu’un Kodak.

Rappelée à l’ordre pour la seconde fois en dix minutes, Lee se redressa, dit au revoir au chien, et se laissa entraîner par Loan dans la bonne direction. Charleville n’était pas immense, l’hôtel de ville ne devait pas être bien loin. « On va gagner, je suis sûr ! » se motivait la jeune homme tandis que l’autre moitié du binôme traînait sérieusement la patte. “Tout ce que je veux gagner, c’est un lit.” Toutes ces péripéties l’avaient vidée. Elle se sentait capable de dormir pendant deux jours d’affilée à la seconde où sa tête rencontrerait un oreiller. Et elle avait faim aussi. L’alcool lui avait ouvert l’appétit, et elle n’avait pas pensé à voler quelques muffins du party bus avant d’en descendre.

Et puis, il se dressa devant eux, le fameux bâtiment. Une équipe de la production était présente, dont une caméra supplémentaire afin de témoigner de leur arrivée. Quelques applaudissements, de rigueur, félicitaient les concurrents d’être parvenus à atteindre leur objectif dans les temps. “On y est ! On a réussi, Loan !” s’extasiait Kelly en lâchant son sac à dos par terre avant de prendre son coéquipier dans ses bras en sautillant. De mémoire, jamais n’avait-elle été aussi fière d’un accomplissement personnel, de quelque chose qu’elle avait fait pour elle seule. Et elle s’était déjà tant prouvé à elle-même que la victoire n’en était que plus savoureuse.

« Mon téléphone me manque tellement, là, tout de suite. » qu’elle soupire Kelly alors que ses doigts ne cessent de glisser dans le pelage du petit Carlin. Ce dernier semble tout simplement au paradis alors que son propriétaire ne cesse de nous lancer des regards surpris. Je tente de m’excuser avec un sourire alors que Kelly ne cesse de s’amuser avec le petit chien. C’est touchant de la voir aussi gaga du petit animal, mais on a encore une étape a terminé et nous n’avons jamais été aussi proche du but. J’assume complètement mon rôle de party pooper.

Malgré le fait que mes pensées soient plus qu’embrumé par les vapeurs de l’alcool, je reste déterminé que nous avons encore toutes nos chances de se qualifier. La route semble s’éterniser sous nos pieds et la fatigue commence à gagner chaque partie de mon corps. « Tout ce que je veux gagner, c’est un lit. » L’idée est tout ce qu’il y a de plus alléchante. « Et une douche. » Oh oui. Une longue douche chaude. Ce serait parfait. Je ne pense même plus à la faim, mais simplement à un certain confort de base qui nous a cruellement manquer ces derniers jours.

Et soudainement, au détour d’une rue, l’hôtel de ville. Une petite équipe de la production nous attend ce qui me donne la motivation de terminer les derniers mètres dans un pas bien plus assuré et bien plus dynamique. « On y est ! On a réussi, Loan ! » Et on se tombe dans les bras. Tout simplement. On a réussi. On a terminé la première semaine, on est entier et on est arrivé ici en travaillant main dans la main. « On l’a fait ! » que je m’exclame alors que mes bras se resserrent autour de la silhouette de la brunette. Je suis fière de nous. Je ne pensais pas en arriver là en débutant lundi. C’était un simple pari avec moi-même et voilà que l’on vient de franchir la première étape avec brio. « J’en reviens pas. » Notre accolade s’éternise jusqu’à ce qu’un membre de la production se racle la gorge près de nous. « On va vous emmener à l’hôtel maintenant. »

Tout s’est fait très rapidement, mais nous voilà installés dans une chambre simple. « Il faudra partager le lit. » que je remarque alors que l’on pose nos affaires dans un coin. Je prévois déjà de dormir au-dessus de la couette pour la laisser le plus à l’aise possible. Je tente de retenir un bâillement avant que mon regard tombe sur Kelly qui semble encore plus fatiguée que moi. « Va te doucher. » que je lui intime. Avant qu’elle ne s’endorme tout habillée sur le lit. « On a réussi. » que je lui rappelle alors que nos regards se croisent.

@kelly ward

« On va vous emmener à l’hôtel maintenant. » Oui, pitié, avant que Kelly ne décide de s’asseoir sur les marches de la mairie et d’y reposer ses yeux pour huit heures d’affilée. C’était à peine si ses jambes parvenaient à la conduire jusqu’à sa chambre -qui était finalement leur chambre. La chaîne ne pouvait-elle vraiment pas s’offrir une chambre par candidat ? Oh, et puis, peu importait tant que le matelas était décent et la douche en état de marche. Il n’y avait qu’un seul grand lit -forcément-  et elle n’y prêta pas attention une seule seconde. La seule chose qui tournait en boucle dans son esprit embrumé c’était qu’ils y étaient, enfin. « Il faudra partager le lit. » notait Loan. La brune, elle, avait vaguement balancé son sac au pied de celui-ci avant de se laisser tomber sur les draps, tête dans le tissu et bras mous le long du corps, rebondissant légèrement à l'atterrissage. Après les palettes et le clic-clac miteux, tout ce confort détendit instantanément tous ses muscles jusqu’aux fibres de son âme. « Va te doucher. » qu’elle entendit vaguement Loan lui conseiller. Elle ne bougea pas d’un cil, la tête enfoncée dans un oreiller à s’en priver d’oxygène. “Oui, oui, je vais juste me poser, là, un petit instant…” Elle baillait aux corneilles dans le coussin. Impossible de l’en déloger. Elle ne s’en sentait ni la force, ni le courage. En une poignée de secondes, Lee avait commencé à fusionner avec le lit, molle et immobile. Et elle sombrait déjà, lentement mais sûrement. « On a réussi. » lui glissait Loan. Elle ne savait pas pour lui, mais pour elle, c’était un grand accomplissement. D’autres avaient l’habitude, l’envie de ce genre de conditions de voyage, le caractère qui allait avec ce mode de vie ; Kelly, elle, poussait ses limites à chaque minute de l’aventure. Elle était fière, oui, mais avant tout chose ; elle comptait bien dormir comme une souche.

L’arrivée dans la chambre d’hôtel sonne, officiellement, la fin de notre première semaine d’aventure. Libération de la course aux kilomètres, de l’autostop et des nuits dans des endroits assez douteux. On peut prendre le temps de respirer le temps de deux jours. Recharger les batteries avant de repartir de plus belle – ou non. La chambre n’est pas très grande, mais possède tout le confort nécessaire pour que l’on puisse se reposer un peu. Il n’y a qu’un seul lit, mais ce dernier est assez grand pour que l’on puisse y dormir sans trop avoir à se monter dessus. Ce sera parfait pour ce week-end de relâche bien mérité. C’est le sourire aux lèvres que je vois Kelly s’effondrer contre le matelas qui, à première vue, semble bien confortable. Je m’installe dans le fauteuil pour retirer mes chaussures – libération ultime après ces heures de marche. De ma place, je vois Kelly qui sombre de plus en plus. « Oui, oui, je vais juste me poser, là, un petit instant… » Un rire doux m’échappe alors que je la vois lutter pour ne pas sombrer dans la seconde qui suit. Je ne veux rien lui imposer, mais elle m’as tellement parler de vouloir prendre une douche que ce serait idiot de ne pas faire cela avant de sombrer pour la nuit. Je m’active un peu dans la chambre pour justement ne pas suivre le même chemin que Kelly. Je me permets de passer aux toilettes et reviens dans la chambre le sourire aux lèvres. « La douche est immense, on va pouvoir en profiter à fond. » que je lui dis alors que je me penche pour chercher une tenue plus propre dans mon sac à dos. « Tu y vas en première alors ? » que je demande tandis que je me batte pour faire sortir un tee-shirt de mon sac. Aucune réponse. Lorsque je relève la tête, je comprends pourquoi. Elle a déjà sombré, Kelly. Je souris un peu. « Bonne nuit Kelly. » que je murmure doucement avant d’aller me glisser sous la douche. Je me détends complètement sous le jet d’eau chaude pendant une vingtaine de minutes, avant de me changer, d’enfiler un tee-shirt et d’aller me coucher auprès de ma coéquipière. Et je sombre à mon tour dans un sommeil sans rêve.

@kelly ward