Le week-end est là. La course est en pause. Ca fait du bien. Surtout qu’on a un hôtel à disposition et ça, je m’y attendais pas. Un motel plutôt. Un lit double pour Liam et moi. Le paradis. Je parle du confort bien sûr, pas de l’éventualité de me faire cuddle ce soir. J’ai un gros doute là dessus. Je suis vêtu d'un hoodie Amity Affliction noir, une casquette Deaf Havana rose sur la tête, toujours mes vans aux pieds. J’ai vu un téléphone publique disponible près de l’accueil et j’ai faussé compagnie à mon équipier. Autant profiter du temps libre chacun de notre côté histoire de pas se taper sur le système pour rien. Gardons tout notre sang froid pour quand la suite de l’aventure va reprendre. Voir des nouveaux visages. J’en vois passer quelques uns qui me donnent l’impression de faire partie de la course alors que je suis au téléphone avec ma mère. Oui je lui avais promis de lui donner des nouvelles dès que possible et j’ai pas pris le temps plus tôt.

« Oui oui je vais appeler mémé dans le weekend. T’es sûre qu’elle a bien les- » Je suis coupé dans ma phrase parce que Grace se trouve pile en face de moi et je m’y attendais pas du tout. « Kane ? » Ma mère qui prend peur parce que j'ai arrêté de parler. « Oh heu… Oui je… Est-ce que tu as changé les piles de son appareil auditif ? Si elle peut pas m’entendre ça sert à rien. Elle va voir un numéro inconnu elle va s’inquiéter. » Moi je m’inquièterai à sa place. On se ressemble beaucoup ma grand mère et moi. Elle vit seule et à son âge, j’ai pas envie de lui faire faire du mauvais sang pour rien si y’a sa routine qui est chamboulé. « Ok, oui oui je bois de l’eau. » Je roule des yeux en regardant Grace qui est toujours en face de moi. J’ai vraiment l’impression que ma mère réussi à me mettre la honte même à des centaines de kilomètres de là. « Moi aussi. Bisou. »

Je raccroche enfin et je fronce le nez en regardant ma concurrente en face de moi. « Ma mère t’embrasse. Enfin. Elle a dit de passer le bonjour aux autres. » Je ris un peu, c’est stupide mais c’est aussi vrai. Je me décale du téléphone parce que je suppose que si Grace est là, c'est pour l'utiliser.

@May Glitters @Grace Coughlin

Appeler Jordan : c’est tout ce à quoi elle arrive à penser depuis son arrivée au camp. A peine une semaine loin de chez elle et elle commence déjà à psychoter, on est loin de la grande aventurière sans peur et sans reproche qu’elle escomptait être...mais elle vivra avec. Ces dernières heures, les mêmes pensées la tenaillent sans cesse : est-ce qu’il a regardé les émissions, est-ce qu’il a vérifié si Kim Possible mangeait bien ses croquettes et ne foutait pas le bordel dans son appartement, est-ce qu’il a revu son plan cul sexy, est-ce que Lola lui a posé des questions… Elle aurait aimé ne pas s’en soucier, vraiment, mais ce qu’elle a laissé derrière elle commence à la rattraper, comme à chaque fois, et celle-ci, il n’est pas question de laisser Jordan se débrouiller par lui-même : elle l’a déjà suffisamment déserté à l’époque pour lui faire subir la même chose pendant une nouvelle période de passage à vide.
Elle a traqué la cabine téléphonique à l’accueil de l’hôtel avec ferveur dès son arrivée et, suite à une bonne douche, est redescendue illico pour se ruer dessus. « ...changé les piles de son appareil auditif ? Si elle peut pas m’entendre ça sert à rien. Elle va voir un numéro inconnu elle va s’inquiéter. » C’est sur Kane qu’elle tombe, lequel est ostensiblement gêné de la croiser ici et met promptement fin à l’appel.

« Ma mère t’embrasse. Enfin. Elle a dit de passer le bonjour aux autres. »

Grace rejoint le jeune homme dans son rire, soucieuse de l’aider à dissiper son malaise. “C’est gentil que ta mère t’appelle.” Ce n’est pas la sienne qui le ferait ; encore trop mal à l’aise avec ses responsabilités, peu sûre d’où elle devait mettre les pieds lorsque sa fille s’éloignait un peu trop. A tous les coups, elle avait complètement oublié l’émission. D'un coup, son envie d'appeler son meilleur ami pour se plaindre s'évanouit : elle n'a pas envie de penser à Brisbane, là, maintenant. Ni à grand-chose d'autre, d'ailleurs. Un soupir lui échappe, elle le coupe rapidement d’un sourire et enchaîne, ses yeux tombant sur le haut du grand blond : “Amity Affliction, hein ?” Aurait-elle ramené le sujet, si la conversation ne s’y était pas aussi bien prêtée avec ce blanc gênant ? Probablement pas. ”Tu comptes me faire écouter, alors, ou pas ?”

“C’est gentil que ta mère t’appelle.” Techniquement c’est moi qui l’ait appelé mais je ne vais pas faire dans le détail. Je préfère passer à autre chose de la conversation. Je me connais, je vais juste continuer de dire des trucs embarrassants sinon. Je dodeline de la tête avec un sourire un peu incertain sur les lèvres. Je donnais juste des nouvelles. Ca fait une semaine. “Amity Affliction, hein ?” Elle se souvient. Mon corps entier se fige un bref instant en la regardant. Je suis trop content d’entendre ces mots là sortir de ses lèvres. Je ne réalise pas que c’est parce que je porte un de leur hoodie. Dans tous les cas, c’est toujours un plaisir d’entendre le nom d’un de ses groupes préférés comme ça au détour d’un téléphone publique dans un hôtel. ”Tu comptes me faire écouter, alors, ou pas ?”

« Oh ouais ouais carrément ouais mais… » J’ai rien pour lui faire écouter. Toujours pas de téléphone, d’ordinateur, rien. « Je sais pas trop où te faire écouter. Y’a peut être un ordinateur en libre service quelque part. » Je me mordille la lèvre. « Ca rendra pas aussi bien si je chante. Surtout que je sais pas si je sais vraiment crier comme il faut. Je peux revisiter tout en version acoustic sinon. Oh. Ouais. Si y’a une guitare. Non non faut que tu écoutes les vraies versions. Mais en fait je suis sûr que tu as peut être déjà entendu. Ils passent beaucoup à la radio. Tu sais juste peut être pas que c’est eux. »

Du coup pour arrêter de parler autant seul - parce que j’ai volontairement pas laissé de temps pour qu’elle me coupe - je me mets à chanter un de leur plus grand tube qui passe à la radio depuis des années. C'est Pittsburgh. « It's like there's cancer in my blood, It's like there's water in my lungs… » Je m'arrête juste à ça parce que c'est très reconnaissable juste cette simple phrase et comme je suis du genre impatient, j’enchaîne. « Sinon y’a celle là qui est plus récente qui passe encore beaucoup beaucoup. » Je suis un fanboy mais aussi un ami fier du succès de ses amis. Je lui chante un tout petit bout de Drag The Lake. « You can drag the lake, but you won’t find meeeee… »

Outre Isaac, de toutes les têtes qu’elle a pu croiser sur le chemin, c’est Kane qui a le plus retenu son affection - peut-être pour l’aise qu’elle ressent à lui parler, ou peut-être parce que c’est le seul qu’elle croise hors cadre, quand aucune caméra ni aucun stress ne sont en jeu et ne risquent de parasiter et fausser l’échange. Quoi qu’il en soit, le grand blond lui fait l’effet d’un gars sensible et ancré, plein de passion et de bonne volonté, et l’envie de s’enquérir de son état après la première semaine dépasse pour l’instant celle de se réfugier auprès de Jordan. Après tout, c’est lui, le premier qu’elle a rencontré sur place : un état des lieux s’impose presque naturellement.
Or la première chose qui lui vient, c’est le groupe de musique qu’il a mentionné - principalement parce que c’est affiché sur son sweater et que la première chose qu’elle a envie de faire, c’est tout de même de s’échapper un peu. Pas envie de parler de la course, ou en tout cas pas encore : ce serait aussi devoir deviner qui est arrivé avant qui, qui va gagner face à qui et qui risque d’être éliminé, et elle ne veut pas se risquer sur un terrain glissant.

« Oh ouais ouais carrément ouais mais… Je sais pas trop où te faire écouter. Y’a peut être un ordinateur en libre service quelque part. »

Elle renchérit d’une moue dubitative : il y en a sûrement, tout aussi sûrement qu’il est déjà pris d’assaut par les candidats avides de donner des nouvelles à leurs potes ou par les autres clients de l’hôtel qui cherchent du tourisme à faire dans le coin. Ca ne semble pas décourager le jeune homme pour autant : il se met à chanter quelques paroles, pas assez pour qu’elle reconnaisse entièrement mais suffisamment pour que ça lui dise quelque chose de vague. “J’ai sûrement déjà entendu, oui”, avoue-t-elle finalement avec une moue un peu désolée de ne pas pouvoir confirmer à Kane qu’elle connaissait. C’est que quand on n’a plus de voiture, on n’a pas forcément l’occasion d’écouter la radio souvent. “J’aurais pas dû te donner les chansons paillardes en gage, en fait. J’suis sûre que t’en as fait une chanson de dingue”, ajoute-t-elle pour complimenter son chant. “Tu fais quoi, dans la vie ? Tu fais partie d’un groupe ? C’est pas possible que t’aies autant de talents sans t’être professionnalisé.”

Après avoir chanté le premier bout je vois bien dans ses yeux qu’elle reconnait pas. Alors je switch et je tente avec le dernier plus gros tube qui date de y’a déjà 2 ans maintenant. Doux Jésus que le temps passe vite. Je m’en étais pas rendu compte à ce point là. Mais je me souviens très bien de la sortie de l’album « Misery » en 2018 parce que j’étais justement en Angleterre à ce moment là. “J’ai sûrement déjà entendu, oui” Toujours pas convaincu mais en même temps je ne suis pas surpris. « C’est pas grave, ça me fait déjà bien plaisir que tu aies juste prononcé les mots ‘Amity Affliction’. » C’est vrai en plus. Je suis pathétique. Ca me rend heureux juste ça. Il m’en faut peu. J’ai su baissé mes attentes dans la vie très bas pour pas crever de toutes les déceptions que j’ai enchainé. “J’aurais pas dû te donner les chansons paillardes en gage, en fait. J’suis sûre que t’en as fait une chanson de dingue” Je fronce un peu le nez.

« J’ai casé ça en fin de journée, c’était pas très joli. Mais j’ai fait ça en sortant de la douche en serviette donc ça va remonter le niveau. » Je pense être quasi sûr d’être gardé au montage vu toute la chaire que j’ai laissé visible volontairement. J’ai même ma serviette qui a faillit tomber à cause de la danse ridicule que j’ai fait. “Tu fais quoi, dans la vie ? Tu fais partie d’un groupe ? C’est pas possible que t’aies autant de talents sans t’être professionnalisé.”

« Ow merci... Je tiens mon talent de mon père qui est prof de musique. J’ai baigné là dedans depuis que je suis tout petit. J’essaie doucement peut être de me lancer là dedans. Je sais pas encore si je le fais vraiment mais bref, je suis pompier et je fais de la musique par passion depuis aussi longtemps que je me souvienne. » On marche un peu au hasard dans l’enceinte de l’hôtel qui est privatisé pour l’émission. J’aime beaucoup parler avec Grace et moi aussi je veux en apprendre plus sur elle. « Tu fais quoi dans la vie toi ? Et c’est quelle musique qui va le plus te manquer pendant tout le jeu? » Je me souviens qu’elle avait dit ça, mais on n’avait rien nommé comme groupes ou chansons. Cette fois j’ai bien envie de pouvoir juger ses groupes favoris. Je rêve silencieusement qu’on en ait certains en commun.

« C’est pas grave, ça me fait déjà bien plaisir que tu aies juste prononcé les mots ‘Amity Affliction’. » Elle lui offre quand même un sourire d’excuses - il n’y a rien de pire que de parler de quelque chose qui nous emballe pour voir que l’autre ne répond absolument pas à votre enthousiasme. Et ça lui arrive souvent - avec la politique, avec la photo, et encore plus souvent quand les deux sont mêlés. Par dépit, elle retourne volontairement sur les gages qu’ils se sont donnés : Kane avoue avoir accompli le sien avec conscience et professionnalisme, et ça la fait marrer. “Dis-donc, Kane, t’es un homme de parole !” Elle, par contre, a de moins bonnes nouvelles à lui transmettre : “J’ai fait le mien, aussi. Mais on avait chopé de la drogue dans un groupe d’ados après un accident de bus, donc on était tous défoncés. Je sais donc pas si mon autopsie minutieuse d’un faux platypus va être prise très au sérieux.” Elle hausse les épaules, ostensiblement extrêmement déçue : “Pourtant, j’ai fait les mimes, et tout ! On aurait dit que je présentais la météo, je te jure.” Elle reproduit les gestes avec ses mains, soucieuse de prouver sa bonne foi. “La prochaine fois, je suppose.” Invitation détournée à lui en refoutre plein la gueule, si lui prend l’envie.

Ils passent aux talents musicaux de Kane, qu’elle remarque à haute voix : pour un pompier, il est plutôt calé. En guitare, en chant ; et en plus, il a les contacts. “Tu sais quoi ? J’ai un pote qui est producteur de musique. Il réussit super bien, en plus. Si t’as besoin de contacts avant que tout le monde se l’arrache, je te file son numéro”, propose-t-elle avec un clin d’oeil. C’est pas tous les jours qu’elle peut faire la pub de Jordan comme ça. “Je suis sûre que vous avez les mêmes goûts musicaux, en plus.” Après les réseaux sur LinkedIn et dans Blablacar, faites vos rencontres professionnelles dans le hall vide d’un hôtel au cours de Race of Australia. “Je saurais pas te donner ce qui va me manquer le plus. Sublime, c’est mon groupe préféré, je pense. J’aime beaucoup The Who, aussi, Alabama Shakes… Harry Nilsson, Leon Bridges, pour les chanteurs solos. Et j’en oublie sûrement plein, mais c’est tout ce qui me vient, là. J’aime bien la musique classique, aussi.” Une liste en désordre parfait, parce qu’elle ne catégorisait jamais rien. Ca se jouait plus à l’humeur qu’aux genres. “Et je suis photographe. De plateau. Tu sais, les gens qui font les affiches de promo pour les films ou les séries ? C’est mon job. Avant j’étais photographe documentaire. Ca me manquait, je suppose que c’est aussi pour ça que j’ai voulu me lancer dans l’aventure.” Instant silencieux, comme un deuil à sa carrière terminée. “T’as fait quoi en Angleterre, au fait ?”

On dirait qu’elle pensait pas que j’allais vraiment faire son gage. Je suis content de la surprendre comme ça. Dans le bon sens. “J’ai fait le mien, aussi. Mais on avait chopé de la drogue dans…” Oula. Je m’attendais pas à entendre ce mot là dans une de ses phrases. Donc ils ont chopé de la drogue pendant la course ? Et ça a été filmé ? Elle a pas l’air inquiète et c’est ce qui est le plus fun dans tout ça. Elle m’impression en vrai. Elle a l’air habitué dans un sens. Plein de chose que je sais pas sur elle et que je n’aurai pas soupçonné non plus. “Pourtant, j’ai fait les mimes, et tout ! On aurait dit que je présentais la météo, je te jure.” Elle me fait rire.« J’ai hâte de voir ça. » Je me retiens de lui dire que ma mère va enregistrer toutes les émissions. Je lui ai dit que ça servait à rien parce que je les aurai en replay sur le site de la chaîne mais elle a insisté.  “Tu sais quoi ? J’ai un pote qui est producteur de musique.” Excuse me what ? Je cligne plusieurs fois des yeux en essayant de traiter cette information qui est beaucoup trop énorme pour réaliser tout l’étendu de ses mots. “Je suis sûre que vous avez les mêmes goûts musicaux, en plus.” Je… What ? J’ai un peu plus d’espoirs qu’elle me donne des groupes que je connais dans ses favoris mais… Je connais de noms la plupart mais je n’écoute pas pour autant. J’ai trop rien à ajouter sur le sujet et je suis exactement dans la même position qu’elle un peu plus tôt.  

« Désolé je connais pas leurs chansons je vais pas pouvoir te servir de jukebox humain le temps de l’aventure. Ça aurait été avec plaisir sinon. » C’est très sincère. Quelqu’un qui aurait apprécié ma folie de pousser la chansonnette. Liam n’est pas très musique c’est dommage. Mais il gère la carte et la boussole alors c’est le plus important. Il est gentil aussi. “Et je suis photographe. De plateau.” Je connaissais pas et elle explique de quoi il s’agit en quelques mots. J’ai encore un peu de mal à visualiser mais je crois avoir compris. “T’as fait quoi en Angleterre, au fait ?”

« J’ai fui Brisbane. » Je le dis comme ça l’air de rien, le ton est à la plaisanterie mais c’est la vérité. « J’ai écrit de la musique avec des gens que j’ai rencontré, j’ai été voir des concerts que j’aurai jamais cru voir, j’ai fait des trucs que j’aurai jamais cru faire… » Je ne vais pas entrer dans le détail non plus parce que ça ne doit pas l’intéresser plus que ça. « Mais ouais j’avais besoin de changer d’air et ça m’a plutôt bien réussi enfin, j’ai envie de croire que je suis revenu différent. » Et avec de quoi faire deux albums sous le coude. Même trois. J’ai beaucoup écrit. De la qualité en plus. Me faut juste les couilles pour aller plus loin maintenant. « Comment il s’appelle ton pote ? Il est sur Brisbane ? » Je m’attends à trop rien en vérité mais elle a dit qu’il réussit plutôt pas mal donc, ça peut être bien d’avoir sa carte de visite dans mon portefeuille. Pas littéralement mais voilà quoi.

Elle capte le changement d’attitude chez Kane au moment où elle mentionne son fameux pote producteur de musique, et ça la réjouit de faire toucher comme ça - autant que de pouvoir faire de la pub à Jordan, bien que celui-ci n’en ait plus forcément besoin à son stade. Il a déjà du succès, Jordan, et il ne le doit qu’à lui-même. Kane ne répond pas, cela dit, enchaîne plutôt avec leurs musiques préférées et Grace n’insiste pas - qu’il aille à son rythme est tout à son honneur. « Désolé je connais pas leurs chansons je vais pas pouvoir te servir de jukebox humain le temps de l’aventure. Ça aurait été avec plaisir sinon. » Son air sincère et doux la fait rire, parce qu’il est vraiment désolé et que l’idée qu’il prenne ça à coeur la touche. “T’inquiète. Je m’en serais bien chargée moi-même, mais j’ai pas envie d’abîmer tes tympans alors que tu comptes te lancer dans la musique.” Son extrait à Isy dans le bus avait suffi à convaincre toute l’audience que la musique, valait mieux qu’elle l’écoute plutôt qu’elle la chante.

Elle en vient à l’Angleterre, curieuse, désireuse surtout de savoir si là aussi ils partageaient quelque chose sans le savoir - et décidément, ses périples avec Jada n’arrêtaient pas de revenir malgré la distance et l’éloignement volontaire. « J’ai fui Brisbane. » Sur ça, elle peut déjà le rejoindre - elle aussi, était partie en quête d’une fuite. Fuir ses responsabilités trop lourdes envers frère et soeur, fuir Claire, fuir des études qui ne lui convenaient pas. « Mais ouais j’avais besoin de changer d’air et ça m’a plutôt bien réussi enfin, j’ai envie de croire que je suis revenu différent. » Elle hoche la tête, encore une fois. Comme prévu, là non plus, ils ne sont pas si différents l’un de l’autre. “J’y suis allée, aussi, à une époque. Je fuyais aussi.” Kane va finir par croire que fuir, c’est tout ce qu’elle fait de ses journées. “J’ai appris plein de trucs, rencontré plein de gens. C’est là où la gamine bourge et inconsciente de Gold Coast a commencé à s’intéresser à la politique. Je crois que c’est là-bas que j’ai connu le plus gros tournant de ma vie.” Demi-sourire : impossible de penser la photographie autrement, depuis Jada, et sa carrière n’aurait certainement jamais bougé sans cet engagement. “Puis j’ai appris à prononcer des trucs avec l’accent posh aussi. Genre adénocarcinome. T’inquiète que c’est super utile.” Le ton est à la moquerie.

« Comment il s’appelle ton pote ? Il est sur Brisbane ? »

Le retour au sujet interpelle Grace, qui le regarde d’un air surpris auquel se mêle l’enchantement. “C’est vrai, ça t’intéresse ?” Juste histoire de vérifier, comme si c’était lui qui lui faisait une fleur et non l’inverse. “Jordan Fisher. Je sais pas si t’as entendu parler… Il a sorti une chanson qui s’appelle Without Fear, y a pas longtemps. Il en a une autre plus connue, Moment Passed. Mais encore une fois, j’vais pas risquer de te les chanter.” Nouveau rire. “Je te passe ses coordonnées quand on arrive, si tu veux.” Ca lui semble être le moins qu’elle puisse faire. “J’étais sur le point de l’appeler, je peux lui glisser ton nom”, suggère-t-elle. “T’as déjà des trucs en ligne ou pas du tout ?”

“T’inquiète. Je m’en serais bien chargée moi-même, mais…” Elle me fait trop délirer et elle a l’air de réellement prendre en compte mes émotions dans tout ça. Quelqu’un de bienveillant. Forcément ça me plaît. De même quand elle annonce qu’elle a fait la même chose que moi en allant en Angleterre il fut un temps. J’aime trop trouver des points communs avec des gens que je viens tout juste de rentrer. Ca fait une semaine. C’est quand même pas grand chose dans les 31 années de ma vie. J’en reviens toujours pas d’ailleurs que ce chiffre soit si élevé. Quand je pense que les gens de 30 ans quand j’étais jeune c’était pour moi des adultes, des vrais. Pas du tout des gars paumé qui ont toujours rien fait de concret dans leur vie. “J’ai appris plein de trucs, rencontré plein de gens…” Ok j’ai quand même fait pas mal de trucs parce que l’entendre dire ça me fait penser à tout ce que j’ai fait moi pendant mes voyages. Pourquoi je suis en train de me dire que je fais plus de choses qui me font grandir en dehors de Brisbane ? Je devrais rester loin peut être. Kevin. Est-ce que c’est aussi ce qui s’est passé pour lui ? “Puis j’ai appris à prononcer des trucs avec l’accent posh aussi.” Moi aussi j’ai appris des trucs avec l’accent posh pendant mon séjour là bas. On dirait que c’est un truc d’Australien qui fuit leur pays. « J’ai fait la même. » Qu’est ce qu’on est con.

Et puis je reviens sur un sujet beaucoup plus sérieux pour moi. Je sais pas si elle a dit tout ça pour faire joli mais je n’oublie jamais que toutes les rencontres que je fais peuvent m’aider à avancer. C’est comme ça qu’on se crée un réseau.  “Jordan Fisher. Je sais pas si t’as entendu parler…” Jordan Fisher. Jordan Fisher. Elle plaisante non ? C’est une blague ? Elle me dit tous les titres qu’il a sorti récemment, je n’en suis pas du tout inconnu.

“J’étais sur le point de l’appeler, je peux lui glisser ton nom”
« Oh my god. »
“T’as déjà des trucs en ligne ou pas du tout ?”

« Jordan Fisher comme Jordan Ash Fisher comme le producteur des deux derniers albums de Bring Me The Horizon? » Je pose toutes ces questions qui ne servent à rien parce que c’est déjà sûr qu’il s’agit de lui vu les chansons qu’elle a cité. Y’en a pas deux qui ont sorti ces titres là. Mon cerveau gère pas grand chose là. Je suis tellement choqué que ce soit un de ses amis. C’est vrai qu’il est de Brisbane. Je l’ai rencontré pendant la tournée de BMTH et Trophy Eyes en Avril 2019. Parce que comme le king que je suis (not) j’ai bu quelques verres avec John Floreani et une fois Jordan était là après un des shows. Je le follow sur les réseaux sociaux depuis très longtemps aussi.

« Je… On a déjà discuté ensemble, on a bu un verre il doit pas se rappeler de moi ça fait plus d’un an. » Et je suis clairement tout retourné par la nouvelle. « Hem je… J’ai rien en ligne encore non et… Je sais pas trop si j’oserai me lancer surtout pas avec lui. Il est beaucoup trop connu pour moi. » Pour moi c’est un king de chez king. Je suis choqué. « Merci pour le proposition mais je suis trop amateur pour lui faire perdre son temps. » J’ai aussi pas trop foi en moi tant que j’ai rien de concret. J’ai pas trop pris le temps de ce côté là depuis mon retour. J’ai beaucoup de chansons sous le coude mais j’en fais rien, je laisse ça inachevé parce que j’ai peur d’aller par là. C’est ça la vérité. Wow elle est pote avec Jordan Ash Fisher. Grace vient de passer au rang de superstar à mes yeux là.

« Je suis pote avec John Floreani. Enfin. On boit des verres ensemble des fois. » Je sais pas si elle connait le front man de Trophy Eyes qui est aussi ma personne favorite de cette planète. Je vais bien trop loin dans le terme pote mais il me follow back sur insta et on prend réellement des verres ensemble quand on se trouve dans la même ville. Donc.. ouais. J’aurai pu parler de mes amis dans Amity Affliction mais la conversation a déjà prouvé qu’elle ne les connaissait pas.  Wow elle est pote avec Jordan Ash Fisher. Je crois que je vais mettre un moment à traiter l’info. « J’ai juste dit ça pour faire du name dropping aussi et essayer d’être aussi cool que toi. » Elle est pote avec Jordan Ash Fisher. Elle allait lui téléphoner.

Spoiler:

Un oh my god s’échappe des lèvres de Kane mais Grace est déjà lancée dans ses explications et les poursuit sans qu’il ait besoin de demander. Elle n’est pas peu fière, d’étaler les succès de son meilleur ami, et après tout ce qu’il a enduré pour en arriver là, c’est la moindre des choses qu’elle l’encense. Un coup d’oeil au jeune homme suffit à lui confirmer qu’il le connaît effectivement, et qu’il n’est pas qu’un peu impressionné par le nom qu’elle vient de sortir. C’est assez nouveau, pour elle, et étrange, de se faire percevoir comme pote d’une célébrité, simplement parce qu’à ses yeux, Jordan est resté Jordan, l’ado couillon avec Zac Efron tatoué sur le cul, celui qu’elle a passé une nuit entière à embrasser sans que ça ne change quoi que ce soit entre eux. Ils sont trop soudés pour que sa célébrité à lui n’entache leur amitié d’une quelconque façon, et Grace ne l’a jamais vraiment ressenti non plus. “Oui, ce producteur-là”, confirme-t-elle quand même quand il reprend - elle aurait dû se douter qu’il connaîtrait Jordan s’il était fan de ce groupe-là. Pour elle qui n’a aucune idée de qui produit quoi, au demeurant, cette planète reste entièrement étrangère. « Je… On a déjà discuté ensemble, on a bu un verre il doit pas se rappeler de moi ça fait plus d’un an. » Elle hoche la tête, visiblement satisfaite : “Ca vous fait un point de départ, alors !” Elle se rend à peine compte que le pauvre Kane est en train de rétropédaler vitesse éclair, avant que lui-même ne le dise.

Il passe à John Floreani, la distrait un bref instant : “Celui qui a fait Echoes ? Et Cleveland, Oh ?” Son regard s’est distinctement allumé, avant qu’elle ne retrouve le sujet originel, sourcils froncés : “Kane, Kane, Kane.” Elle secoue la tête, style maman réprobatrice de ton style de vie, et le toise sévèrement. “T’es en train de me dire que le mec qui a tout plaqué pour partir en Angleterre a peur de parler à un producteur, là ?” Et Grace, quand il faut pousser les gens, est fine connaisseuse - malheureusement pour le grand blond. “C’est qu’une conversation. Ca n’engage à rien. Et je te promets qu’il est adorable. Et même si ça matche pas entre vous, je suis sûre qu’il aura des contacts à te donner.” Elle ne veut pas faire toute la conversation pour Jordan ni promettre des trucs auxquels elle ne connaît rien, mais elle a trop peur que Kane recule pour lâcher maintenant. “Ca coûte rien, si ? Au pire, si ça marche pas, t’auras essayé.”

“Celui qui a fait Echoes ? Et Cleveland, Oh ?” Mon cerveau est en train d’exploser. Elle connait pas Amity Affliction mais elle connait les chansons de John Floreani et c’est beaucoup plus important dans mon coeur. Bien sûr qu’elle connait John Floreani il est ami avec Jordan lui aussi. Oh my god. Je suis en train de freak out big time entre ça et tout ce qu’elle a dit avant. Limite si je vais pas commencer une crise de panique dans les minutes qui suivent de m’imaginer bosser avec Jordan Ash Fisher. Heureusement on est hors caméra.  “Kane, Kane, Kane.” Je la regarde essayant de me calmer mais c’est beaucoup d’émotions tout ça. “T’es en train de me dire que le mec qui a tout plaqué pour partir en Angleterre a peur de parler à un producteur, là ?” Elle rend ça beaucoup trop simple. “C’est qu’une conversation. Ca n’engage à rien. Et je te promets qu’il est adorable.” J’ai déjà eu un aperçu et clairement j’aurai trop voulu qu’il soit mon frère, mon ami, quelque chose qui nous lie. “Ca coûte rien, si ? Au pire, si ça marche pas, t’auras essayé.” J’hoche la tête, me calmant petit à petit mais encore ravi d’avoir entendu que Grace connait des chansons de John Floreani.

« Ouais… On ira boire un verre. Ça n’engage à rien. » Et on dit pas quand non plus. Comme ça, c’est dans le futur. Ça peut être dans un mois comme dans 10 ans. Ça me va. « Tu connais pas Amity mais tu connais John. » Oui je reviens là dessus. « Il est mon être humain favoris de cette planète entière. » Je mens même pas. La vie a fait que… Et voilà. Je sais que c’est un détail qui sert à rien pour sa vie à elle mais j’ai envie de le souligner. Qu’elle comprenne l’importance à mes yeux. La fierté qu’elle connaisse.

« T’habites à Brisbane toi aussi ? » Parce que je me dis que y’a peut être des gens d’ailleurs dans le Queensland qui participe à cette émission. Je suis déjà en train de m’imaginer lui offrir un billet de concert pour la prochaine fois que John est en ville. Aucune idée si elle serait emballé, si elle prendra le temps, si elle aime la musique de John mais vu qu’elle connait, faut forcément qu’on le voit en live ensemble non? Je m’emballe complètement et je suis quand même fier de moi de n’avoir rien dit à voix haute de cette idée. Je pense quand même qu’on sera mené à se recontacter après l’émission avec Grace et pas seulement parce qu’elle est pote avec Jordan Ash Fisher. Elle était déjà super cool à mes yeux avant même qu’elle lâche cette bombe. Et juste comme ça, mon rythme cardiaque revient plus à la normale. Je gère, même si j’aimerai bien un hug là. De n’importe qui mais y’a personne dans le coin à qui je peux demander ça. Allé Kane. T’es encore un peu fatigué. Ca va aller. Ouais ouais. « Je sais pas si y’a un bar mais j’ai vu un distributeur de cannettes on peut aller boire un coup? Ah mais tu voulais appeler Jordan Ash Fisher. » Je veux pas la retenir plus longtemps même si j’ai très clairement envie de passer plus de temps avec elle.

« Ouais… On ira boire un verre. Ça n’engage à rien. » Les mots ont l’air de faire mouche et Grace cesse immédiatement de lutter : le jeune homme n’a pas le ton enthousiaste, mais au moins consent-il à un verre, au moins. Pas de limite dans le temps, pas de promesses derrière : rien de concret, en soi, mais il semble à la photographe que son comparse ne va pas s’aventurer à plus et c’est à partir de là que s’achève son devoir. « Tu connais pas Amity mais tu connais John. » John. Le prénom sonne tellement familier dans sa bouche qu’elle se demande de quoi elle a l’air, quand elle parle de Jordan comme si tout le monde savait de qui il s’agissait, comme si c’était une évidence pure et simple qu’elle fut amie avec le concerné ; elle imagine qu’elle ressemble un peu à Kane, avec sa décontraction fulgurante à présenter le chanteur comme un ami. “Tu le connais depuis longtemps, cet être humain favoris ?” renvoie-t-elle, un léger sourire aux lèvres. Elle imagine qu’elle serait un peu pareille si on lui foutait Dua Lipa sous les yeux. D’ailleurs, elle n’était toujours pas sûre que la nana dont Jordan lui avait parlé était bien cette dernière.

« T’habites à Brisbane toi aussi ? »  

Son regard perdu sur la cabine téléphonique revient en boomerang sur Kane : elle opine du chef. “Jordan aussi”, ajoute-t-elle, tenant visiblement à le faire valoir. “Si y a des concerts sympas, je compte sur toi pour me le faire savoir.” Elle est sincère : elle apprécie le grand blond, sa décontraction ambiante et son envie perpétuelle de bien faire. Il a l’air d’un bon gars, qui ne s’enrobe pas de faux semblants ni de complications, et c’est exactement ce dont elle a besoin. Aussi, quand il lui propose un verre, elle n’hésite pas : “Jordan Ash Fisher peut attendre encore un peu, je pense. C’est surtout moi qui voulais lui parler.” L’ombre d’un sourire lui passe sur le visage. Jordan Ash Fisher. Ca fait tout drôle. “Y a un bar, derrière le restaurant. J’ai testé que leur moscow mule, mais apparemment les autres boissons sont pas mauvaises non plus. Je t’invite”, propose-t-elle, amorçant la marche dans cette direction. “Et oui, c’est surtout parce que c’est la prod qui paie pour nous.”

“Tu le connais depuis longtemps, cet être humain favoris ?” Le sourire qui revient à mes lèvres alors qu’elle me questionne sur John Floreani.  « Depuis 2016 mais lui me connait depuis un peu plus d’un an seulement. » Cette tournée en Avril 2019. C’est tellement un de mes souvenirs préférés de ma vie. Les autres que j’avais mis en haut de cette liste sont composés de personnes qui m’ont déçu. Ces beaux moments là n’ont plus la même saveur même si je ne regrette rien. Il fallait que je passe par là pour aller à la suite de mon aventure personnelle. La tournée régionale de Janvier 2019 avec Wendy qui était alors ma fiancée… J’ai toujours aucune alliance à mon doigt cela dit. Tristesse.

“Si y a des concerts sympas, je compte sur toi pour me le faire savoir.” Comme on est tous de Brisbane ça peut être très facile à mettre en place. Je reste quand même scotché un moment sur sa phrase parce que c’est exactement ce que j’avais en tête. J’ai pas osé proposer. Elle l’a fait pour moi. C’est beau. Même très beau. En plus je la crois. Peu être que je devrais pas mais… Elle a l’air vraiment sincère. Je m’empresse d’approuver ses dires. « Ouais je te dirai. » Je n’oublierai pas de choper son numéro de téléphone quand nos appareils nous seront rendu. Ou je passerai une note à quelqu’un de la production pour qu’ils lui passent le mien si je suis éliminé avant elle. “Jordan Ash Fisher peut attendre encore un peu, je pense. C’est surtout moi qui voulais lui parler.” Mon cerveau explose encore de l’entendre dire ça comme ça en mode normal. De mon côté je suis bien loin de passer des coups de fil à John Floreani. C’est vraiment son ami je meurs. Je sais pas si c’est parce que je tire une tronche bizarre ou quoi mais elle surenchérit sur ma proposition avec un véritable coup à boire dans un bar. Elle a déjà trouvé le bar. Priorités. “Et oui, c’est surtout parce que c’est la prod qui paie pour nous.” Elle me fait rire. Beaucoup rire. « C’est toujours meilleur quand c’est gratuit. » Pas fou moi non plus.