C'était pas ça le plan. Le plan, c'était de faire au moins comme s'ils se connaissaient pas pendant quelques heures, de pas s'envoyer des regards en coin de merdeux ni même des majeurs pas peu discrets derrière la carte des cocktails de l'endroit où ils se sont tous retrouvés pour boire des bières et relaxer après une journée, une semaine, une vie qui semble peser sur les épaules du quarantenaire. Le premier qui dit qu'il a l'air vieux - il lui fera rien, il fera juste hocher dramatiquement de la tête, boire sa pinte en le lâchent pas des yeux, et filer se coucher avant que le soleil n'en fasse de même.

Mais les gens parlent fort dans ce bled et dans ce pub, les gens gueulent et ça lui donnerait presque mal à la tête Jack, si finalement il s'était pas juste tiré dans le hall à la recherche d'une bonne âme avec un deathwish qui lui filerait une clope stat. Il reviendra bredouille et rageur, il croisera le coup d'oeil de Greg à l'autre bout de bar, et il finira par n'en avoir rien à chier du fait de pas avoir l'air de se connaître, de faire genre ils sont pas des alliés. Ils ont des dizaines d'années d'amitié au compteur, ça sera certainement pas la production qui viendra brandir sa juridiction s'ils font juste se poster l'un à côté de l'autre au comptoir, à se trouver un sujet de conversation lambda en attendant que le foutu dévoilement arrive et qu'ils sachent l'un l'autre s'ils doivent rentrer bredouille chez soi.

« Au moins, ils ont un karaoke dans ce taudis. » parce que bien sûr qu'il pense à le lancer, le grand idiot au sourire blindé. Il sait déjà qu'il va choisir le pire duo de l'univers, un truc de la trempe du célèbre et oh combien acclamé Total eclipse of the heart, et Greg aura pas le choix de faire la fille, parce que Jack cédera jamais le rôle du gars.

   
@gregory morton
@may glitters

Sienna est montée dans la chambre, mais moi j’arrivais pas à dormir. Et qu’est-ce que je fais quand j’arrive pas à dormir ? Je conduis jusqu’à ce que mes yeux fatiguent. Ou alors je sors faire un footing. Ou alors je bois. Est-ce que j’avais une voiture à disposition ? Non. Est-ce que j’ai des cloques au pied à force d’avoir trop marché ces derniers jours ? Oui. C’est quoi la solution alors ? Le bar, évidemment. Que je sois seul ou pas, j’en ai pas grand-chose à foutre au fond. J’ai l’habitude d’être seul, et j’ai pas forcément envie de parler avec qui que ce soit. Juste d’avoir un bruit de fond, de voir que ça vit autour de moi, et de boire jusqu’à ce que mes muscles soient trop faibles pour supporter le poids de mon corps, et que je m’endorme jusqu’au lendemain matin où j’accuserais une barre au crâne.

Je me prends une pinte pour commencer, commander un whisky dans un pub, ça fait tâche quand même. Et puis j’aperçois Jack au fond, je sais qu’il m’a vu. On est pas censé se connaître, on est censé devenir potes, on est censé devenir le meilleur duo de vieux de ROA, que les gens nous portent en finale parce qu’ils croient en les doyens. Mais Jackouille en a décidé autrement, il est venu s’asseoir à côté de moi en me vendant le fait qu’il y ait un karaoké. « N’y pense même pas. » Il sait qu’il m’aura à l’usure, il sait que je vais pas résister à l’appel de Bonnie. « Attends au moins que j’ai fini ma première pinte. » que je finis par lui dire avant d’entrechoquer mon verre contre le sien. « T’es toujours bon en cul sec ? » Je le défie du regard. On n’a plus 17 ans, mais c’est comme si rien n’avait changé depuis le lycée.

« N’y pense même pas. » en temps normal il aurait éclaté de rire Jack. Il aurait été de ceux qui se seraient esclaffé de bon coeur en sachant très bien que son ami se foutait de sa gueule et que la seule chose qui grinçait là d'office, c'était qu'il ait pas vu la machine en premier et qu'ainsi son égo d'oeil de lynx en soit touché. « Me dis pas quoi faire. » mais dans leur scénario de cons qu'ils tiendront encore pour une brève salve de minutes à peine, Jack grommelle un truc dans sa barbe de quelques jours, esquisse un sourire, fait genre qu'il entend à peine par-dessus la musique quand déjà il repère également les micros.

« Attends au moins que j’ai fini ma première pinte. » ouh, intéressant. Les cartes tombent et les masques avec, le sourcil d'Epstein se hausse d'intérêt quand il en aurait long à dire pour se moquer de la belle gueule de son pote qui fait les meilleures vocalises qu'il puisse avoir connues sur les tubes des 80's. « Première? Petit joueur. » fût un temps, ils étaient les rois des soirées à brandir leurs faux papiers et à rendre leurs voix stupidement plus graves pour entrer ni vu ni connu dans des bars tous aussi glauques que celui-ci. C'est du pareil au même, et d'un doigt dédié, il commande deux Jäger parce que c'est ce que deux vieux qui se connaissent pas doivent boire pour apprendre à se connaître là.

« T’es toujours bon en cul sec ? » ahah, oh, mon gars. Son regard dit tout et son sourire complète, il fait tinter son verre à celui du brun sans lâcher ses prunelles des siennes. « Y'a qu'une façon de le savoir. » ça sonne comme un vieux far west sans le budget, sans les chapeaux, sans les bottes, sans les chevaux et sans le far west finalement, et c'est ça tout le charme de la chose. « T’as bien fait tes exercices de vocalises, j'espère? » il aurait dû parier le temps que ça lui prendrait pour le convaincre, entre un rire et un nouveau shooter.

C'est évident qu'on allait pas tenir bien longtemps, et Jack a craqué en premier, comme d'hab. Il est venu à ma rencontre, il m'a provoqué, j'ai répondu, il a rétorqué à son tour. « Me dis pas quoi faire. » Toujours en train de me contredire celui-là, il changera jamais. Un sourire espiègle se trace sur mes lèvres quand je lui confesse que je risque de céder à Total eclipse of the heart, et je vide ma chope de la moitié de son contenu. Il nous commande des shooters pour me prouver (surtout pour se prouver à lui) que même s’il a pris de l’âge, il n’hésitera pas à relever mon défi, et avale le contenu du sien en me regardant dans les yeux. Tu sais bien que je vais te suivre, tu le sais, Jack. Ca n'a pas changé. J’enfile alors le mien sans défaillir à mon tour, mes iris toujours plantés dans les siens. On dirait deux cow-boys prêts à tout envoyer valser pour s'affronter en plein milieu du pub, et ça va pas tarder, le karaoké nous appelle déjà. D’un cul sec, j’avale la deuxième partie de ma pinte alors qu’il se commande un deuxième shooter. « J’ai une pinte d’avance sur toi mon vieux, j’vais tellement t’humilier avec ma voix cassée. » que je finis par lui dire, le regard séducteur avant de lâcher un énorme rot. « T’es toujours partant, ou tu te défiles ? Ce serait pas la première fois que tu prends peur face à moi. » Parce que j’ai toujours été le plus joueur de nous deux, celui qui dicte les conneries à faire, celui qui plonge dans la merde sans aucune retenue. Je me lève, replace ma ceinture à sa place, et fourre mes mains dans mes poches en l’attendant. « Alors ? Tapette. »

On se demande clairement comment ils ont réussi à vivre dans ce monde sans recevoir une infinités de claques. On se demande ce qui a bien pu leur passer par la tête pour justifier le nombre d'imbécilités qu'ils peuvent se lancer à la gueule aussi facilement, on se le demande et après on se rappelle qu'ils sont potes depuis que le monde est monde et depuis que la Terre est ronde. Et tout fait du sens, dans leur complicité de connards, deux petits bâtards à qui l'univers a donné la chance de se croiser encore et toujours aux pires comme aux meilleurs endroits. « J’ai une pinte d’avance sur toi mon vieux, j’vais tellement t’humilier avec ma voix cassée. » si c'est que de ça dont il a besoin pour l'humilier à son tour et pour gagner, c'est qu'il se découvre presque un esprit de compétition Epstein. Il l'a pas pour ROA mais il l'a pour boire de la bière, et il s'en commande une autre le temps que la barmaid soit bien dégoûtée par le rot bruyant du quarantenaire à ses côtés.  

« T’es toujours partant, ou tu te défiles ? Ce serait pas la première fois que tu prends peur face à moi. » parle, parle Greg, pendant que Jack se tape sa deuxième bière avec son orgueil de bac à sable, les shooters en doublé additionné de l'air hagard l'oeil rieur. Ils sont beaux à voir dans leur stupidité partagée, ils sont fascinants à étudier dans leur habitat naturel d'ours mal léché qui ont vu la vie mais qui reviennent toujours aux petites choses, aux détails qui rendent leur existence bien moins morose. « Alors ? Tapette. » « Tu jacassais pas autant dans mes souvenirs. » qu'il râle et qu'il reproche, le menton reluisant de bière et l'oeil brillant de malice. « C'est pas que ton ventre qui se ramollit, ton sens du risque aussi. » sa paume tapote son bide de bière à Greg, ses souvenirs s'ennuient de leurs 400 coups au point d'en ajouter un autre ce soir.

« Tu fausses, t'es mort. » juste ça? Ça va.

turn around bright eyes:

L’esprit de compétition, ça me connait. Donnez-moi n’importe quel défi, j’exaucerais vos vœux. Enfin, c’était le cas dans ma jeunesse. Aujourd’hui, j’y réfléchirai à deux fois avant de sauter les deux pieds joints, yeux fermés. Mais quand il s’agit de karaoké, quand c’est Jack qui me tente, c’est compliqué de résister, c’est compliqué de laisser tomber l’ado que j’étais quand je l’ai connu. Je le pousse à me suivre, Jack, je fais le séduis, je l’émoustille, je sais qu’il en a autant envie que moi, et qu’on va certainement finir bourrés comme des coings à 4h du matin et le regretter le lendemain (et les trois jours qui suivent) parce qu’on n’a plus 20 ans. Le petit bide à bière qui sort par-dessus mon pantalon me rappelle chaque jour que mon métabolisme n’est plus celui d’antan, et de revoir Jack avec sa barbe et ses cheveux longs, ça me renvoie toujours un peu plus au fait qu’on approche du demi-siècle. Il se prend une bière pendant que je teste sa résistance, me tapote le bide en me provoquant, et je lui renvoie un sourire pervers en l’attendant.

« Tu fausses, t'es mort. »

Je ricane, parce que cette chanson, je la connais sur le bout des doigts, cette chanson, c’est notre chanson. « Tu fais la meuf. » que je finis par lui dire en lui tournant le dos pour aller voir l’animateur du soir pour lui demander de passer la chanson. « On n’a pas ça ici. » qu’il me répond, mais dites-moi, comment c’est possible que la chanson ne soit pas dans la liste ? Il me file le catalogue des chansons répertoriées, mais j’ai aucune envie d’y fourrer le nez pour chercher la chanson qui nous fera nous enlacer, Jack et moi, alors je demande au mec qu’il nous passe ce qu’il veut, on s’adaptera. Pas vrai, Jackouille, on s’adaptera ? Je fais signe à Jack de me rejoindre sur la piste, micro en main. La guitare commence à installer le rythme, Sweet Caroline est apparemment la chanson que le DJ du coin nous a choisi. Je regarde Jack, il me regarde, on se comprend : aucun de nous deux ne la connaît, mais au fond, est-ce qu’on en a quelque chose à faire ? « Vas-y, je te laisse commencer, on va voir comment tu te débrouilles. » que je lui dis alors que les paroles s’affichent déjà.

« Tu fais la meuf. » s'il avait eu peur de quoi que ce soit dans la vie Jack, ça aurait été de se fouler le nerf optique à la seconde où Greg lui file son rôle, lui qui joue les princesses clairement ce soir et sans la moindre équivoque. « On n’a pas ça ici. » ce qui leur reste donc, c'est qu'un coup d'oeil dépité qu'ils partagent entre eux deux, et un coup d'oeil lassé de l'animateur de la soirée qui y croit pas du tout autant qu'eux, au tube classique et langoureux. « C'est pas possible. » il ragerait presque Jack, s'il était pas occupé à se moquer de plus belle. « C'est parce que t'as cassé notre chance en inversant les rôles, loser. »

Sweet Caroline, donc, ça sera avec ça qu'ils devront se démerder. Et démerder est bel et bien le mot, quand ni l'un ni l'autre n'a pensé à un moment précis de leur foutue vie à apprendre autant les paroles que la mélodie de cette connerie. « Vas-y, je te laisse commencer, on va voir comment tu te débrouilles. » trouillard, trouillard, trouillard, qu'il sifflote, sur l'air de la chanson qu'il essaie de noter mentalement. C'est le moment de te servir de ton oreille absolue, pauvre idiot d'Epstein. « Tu fais la meuf. » et pas de te moquer de ton pote en mimant sa voix et ses mots avec.

« Notre chanson est nettement mieux. » bel état des choses, maintenant qu'il drop the mic dans un soupir qui suggèrerait presque qu'il est mauvais perdant, du moins pour ce genre de choses. « On va fumer? Tu me raconteras tes mille dernières années comme ça. » ça par contre, ça lui allège le coeur et les idées. Pas peu fier que le destin l'ait à nouveau mis sur la route de son meilleur pote d'une autre vie.

« C'est pas possible. » Jack est aussi dégoûté que moi de voir qu’ils n’ont pas Bonnie dans leur répertoire. A quel moment tu fais un karaoké sans Total eclipse of the heart ? C’est comme si t’allais en France et qu’il y a aucune chanson de Johnny ou de Celine. Ah, qu’est-ce que je me suis déchiré la voix sur du Johnny pendant les soirées karaoké dans les bars douteux du centre de Paris, je suis sûr que Epstein aurait tout autant aimé que moi.

« C'est parce que t'as cassé notre chance en inversant les rôles, loser. »
« Loser, t’es sérieux ? T’es vraiment un boomer. »

On est tous les deux avec nos micro en main, je sens la tension monter quand bien même je sais que c’est pour déconner. Je connais le rythme, mais absolument pas les paroles, mais je sais que je m’en sortirai mieux que Jack, je m’en sors toujours mieux que lui.

« Tu fais la meuf. »
« Ca va, t’as besoin d’utiliser ta voix de PD pour m’imiter ? Préserve-toi pour le chant. » que je finis par lui dire en faisant bouger mes sourcils, joueur.

Comme je l’avais anticipé, Jack a mal chanté, peu importe s’il faisait le mec. « Notre chanson est nettement mieux. » Evidemment qu’il pense ça, il a chanté comme une casserole tout du long. « Tu dis ça parce que t’es jaloux de mes vocalises et que t’as pas pu faire ton solo. » que je lui rétorque, avant qu’il ne me propose de sortir fumer. « T’as des clopes ? Parce que moi j’ai gardé le paquet, mais Sienna va me faire la gueule si je liquide tout ce soir. » Mais est-ce que les retrouvailles avec ce vieil ami ne vaut pas toutes les excuses du monde pour s’enfiler le paquet de cigarettes sans regrets ?

Dehors, il fait plus calme. Les braillards sont restés à l’intérieur, on entend une chanson de Katy Perry en fond interprété par deux mecs bien plus bourrés que nous. Décidément dans ce petit bled, les gens ont de drôles de goût musicaux. « Bon alors, 3-4 ans que t’es de retour, hein ? T’es casé avec des enfants ? Petits enfants ? » Peut-être qu’il a fini par se ranger, lui

« T’as des clopes ? Parce que moi j’ai gardé le paquet, mais Sienna va me faire la gueule si je liquide tout ce soir. » fier comme un coq le grand con, qui agite sous les yeux de son ami le dit paquet qu'il a étrenné, qui lui appartient entièrement. Colleen s'est tâtée à une inspiration une seule et il l'a trouvée adorable de le faire, mais désormais il sait que c'est lui qui garde le monopole des cigarettes - sauf pour ce soir, de ce qu'il en coûte. « Sienna, hen? Je l'aime déjà elle. » son sourire est chiant et ses mots avec, il prend logiquement place dans l'équipe contre Greg le torse bombé les yeux brillants. Un véritable enfant.

La première inspiration fait du bien, il s'appuie contre un mur de briques lambda dont la fraîcheur vient tatouer sa nuque. « Bon alors, 3-4 ans que t’es de retour, hein ? T’es casé avec des enfants ? Petits enfants ? » c'est qu'il lance l'interrogatoire Greg, et qu'il arrache même un rire à Jack. Y'a du bon ici. « Une fille. Deux, en fait. » il se reprend, père de merde qui a mal élevé la première et qui vient juste de retrouver la seconde. « Jude n'est plus là. » Jude, la seule et unique qui est restée dans sa vie et dans son coeur pendant tout un univers de temps, encore maintenant, n'est plus. Il n'arrivera jamais à dire les mots qui fâchent - alors il les contourne comme un vrai lâche. « On habite à Bayside. » dans une maison éternellement en bordel où chaque jour il essaie de faire au mieux pour rendre le tout le plus accueillant, le plus authentique possible. « Et je bosse dans un label. » il en est propriétaire et unique tête décisionnaire, mais il est trop humble et trop modeste pour le présenter ainsi.

« Toi? » la cendre glisse, tombe, il la tapote du bout de ses Converse tachées, ses yeux retrouvant ceux du pote qu'il croyait avoir perdu y'a une vie de ça au moins.

C’est Jack qui nous fournira en clopes ce soir apparemment, et ça, ça vaut tout l’or du monde. Peut-être pas quand même, mais pour ROA, si. Le tabac se fait si rare, et je m’étonne de voir autant de fumeurs parmi les participants. On pourrait tous se retrouver à mendier sur le bord de la route, autant pour une bagnole que pour une clope. « Sienna, hen? Je l'aime déjà elle. » Il sourit à pleine dents le vieux, il sourit pour me dire qu’il a vu clair dans mon jeu. Mais quel jeu au juste ? Elle est forte, déterminée, généreuse, attentionnée, et elle a surtout un cul d’enfer, mais elle est trop jeune, beaucoup trop jeune pour moi. J’ai dit que je tapais pas dans cette catégorie là. « T’es con toi, hein. Elle est trop jeune, elle a quasiment le même âge que mon ex belle-fille. » Me dire que je peux sauter une pote de Grace, ça me fout la chaire de poule.

Dehors, Jack me tend une précieuse cigarette, et je m’empresse de l’allumer pour enfumer mes poumons pour la troisième fois ce soir. Je l’interroge sur sa vie, la brève entrevue dans la salle de casting n’ayant pas suffi à ce qu’on rattrape tout ce temps perdu. « Une fille. Deux, en fait. » Comment peut-il se tromper sur le nombre d’enfants qu’il a eu ? Plusieurs mariages ? Un enfant non avoué ? Trop d’alcool dans le sang ? Non, cette dernière hypothèse n’est définitivement pas possible : on n’oublie pas son gamin si facilement. « Jude n'est plus là. » Ah. Je l’avais pas vu venir celle-là. « Je suis désolé, Jack. » sont les seuls mots que j’arrive à sortir face à cette révélation, et face à ce vieil ami immensément triste. « On habite à Bayside. Et je bosse dans un label. » J’acquiesce d’un hochement de tête alors que je tire longuement sur ma cigarette. Il a vite balayé le sujet des enfants, et je suppose qu’il n’y reviendra pas. « Un label, hein ? La musique t’aura décidément mordu jusqu’à l’os. » que je me contente de lui dire, un sourire en coin. Le Jack romantique à la guitare décorée aura finalement fait de sa passion son métier. C’est bien, je suis content pour lui. « Toi? » Il relève finalement les yeux vers moi, et c’est seulement à la lumière des lampadaires que je remarque à quel point il a pris un coup de vieux. Il serait même plus beau aujourd’hui qu’il ne l’était à l’époque. Je souris, et souffle ma fumée sur lui. « Célibataire, sans enfants, toujours à baiser à droite à gauche, lieutenant de police, je vous présente Gregory Morton. » que je finis par dire en lui offrant une petite révérence. « J’ai peut-être réussi ma vie professionnelle, mais ma vie sentimentale est un échec. » que je lâche finalement en riant, un triste quarantenaire qui rit, dont le métier l’effraie de plus en plus et qui risque de finir sa vie comme un vieux con aigri avec son chien.