Je soupire doucement, longuement, en m'installant sur l'un des murets proche de l'établissement réservé par la production afin que les candidats parvenus jusqu'à Charleville y passent les prochaines nuits. Bientôt, nous connaîtrions les grands vainqueurs de cette première étape et surtout, le binôme éliminé. J'avais un mauvais pressentiment en ce qui concernait mon duo mais j'avais également une tendance à porter un regard négatif et défaitiste sur le monde. Quoi qu'il en soit, j'étais heureux de cette première semaine intensive de course. Ma partenaire était vraiment très agréable et je me sentais chanceux que nous avions été associés. Si mon aventure devait se terminer prochainement, je ne partais assurément pas perdant de ces jours bien remplis en découvertes multiples. Je rentrerais la tête riche de souvenirs et belles péripéties ; j'étais sûr que même la fausse route avant Dalby me ferait rire avec le temps.

Mes mains se plongent dans le blouson de ma veste. Je meurs d'envie d'une cigarette, mon estomac est à la fois noué et douloureux d'avoir pu enfin manger à ma faim en un état de nervosité avancé. Je n'avais pas croisé tous les binômes depuis mon arrivée à Charleville ; je n'avais toujours pas retrouvé Love, mon amie d'enfance, entre autres. Je me demandais comment s'était passé la semaine de son côté et si elle s'entendait bien avec son co-équipier. Et bien sûr, de nombreux concurrents m'étaient totalement inconnus. J'avais eu la chance d'en croiser et rencontrer quelques uns sur la route, et avec le recul, je me disais que ça serait sympa si je venais à les croiser de nouveau dans les rues de Brisbane.

Mon attention est attirée par une silhouette fine pestant à quelques mètres de ma personne. Dans la pénombre, je ne suis pas capable de reconnaître l'individu. « Hey ! Ça va ? T'as un souci ? » Je lui demande, serviable.

Un type vient de renverser un verre sur ma robe. Je ne sais pas ce que c’est, mais ça n’a pas l’air d’être de l’eau. Ca m’énerve, tellement. Je lui ai hurlé dessus pendant près de 5 ou 10 minutes. Il est possible que je l’ai insulté en toutes les langues que je connais en réalité. Je rage, je marche un peu partout après avoir tenté de nettoyer le désastre mais bien évidemment ça ne part pas. Et personne ici n’a l’air d’être payé pour changer les tenues ou faire les lessives. Qu’est ce que fout la production hein ? Je ne sais pas quoi faire de plus, je pourrais toujours me balader en maillot ça ne changerait pas grand chose. Et ça me permettrait de continuer à me faire passer pour la bimbo de service. C’est peut-être un bon plan finalement. Je fronce les sourcils, j’attends une seconde en marmonnant dans ma barbe.

Encore quelqu’un qui me parle. Mais c’est pas possible ça, personne n’a de vie ici ? Mais bon, je reste zen et profite d’être le centre de l’attention, parce que j’aime qu’on s’occuper de moi aussi au fond. Je tourne la tête vers la voix qui s’approche de moi. “Ca se voit pas ?” Bon comme toujours pour la courtoisie il faudra repasser, surtout quand je suis dans un tel état de rage. Mauvaise idée de s’approcher, il devrait les sentir les warning. “Tu peux le régler si t’as soit une nouvelle tenue, soit une solution miracle pour nettoyer ça. Sinon, tu me sers pas à grand chose.” Je cherche toujours, toujours l’utile. Dans n’importe quel situation, si je n’ai rien à gagner je ne rentre pas dans le jeu. Là, la seule chose que j’aurais à gagner, ce serait de connaitre un peu mieux le caractère du jeune homme pour savoir quel genre de concurrent il est.

“Ça se voit pas ?” me répond derechef une voix sèche et discourtoise. Saisi, un rire nerveux s'extirpe de mes lippes ; de quoi ajouter de l'huile sur le feu de l'énervement qui semble agiter la blonde, mais c'est plus fort que moi, ce genre de comportement me provoque toujours un rire. A croire que je n'ai pas grand instinct de survie. “Tu peux le régler si t’as soit une nouvelle tenue, soit une solution miracle pour nettoyer ça. Sinon, tu me sers pas à grand chose.” Je fronce doucement les sourcils. « J'ai pas vraiment embarqué ce genre de tenue dans mon sac à dos, non, » j'avoue, sur un ton tout de même poli, bien qu'une nuance de moquerie soit aisément palpable. « Donc j'te sers pas à grand chose. » Seulement pour le loisir de reprendre ses termes et ne pas dire que j'lui servais à rien du tout.

Je m'approche néanmoins de la femme en état de rage avancée. Elle est l'une des concurrentes à n'en point douter, je me rappelle l'avoir aperçue une fois que nos bandeaux pouvaient être retirés. Je ne suis plus capable de me rappeler qui est son binôme, mais en tout cas, cette personne ne doit pas s'ennuyer avec elle. La course n'a pas l'air de l'avoir trop esquintée non plus, vu son allure et son comportement. “Ça se voit pas vraiment,” je commente, observant la dite robe. Peut-être que c'était humide ou que le parfum de ce qui la gênait sur le tissu n'avait rien de réjouissant, mais physiquement, à mon optique bien masculine, rien ne me choquait sur la robe de la blonde. “Au pire tu l'enlèves. Ça te fera de la popularité.” Je tente, haussant promptement les épaules, essayant de faire descendre la pression avec l'humour.

Il faut toujours que quelqu’un débarque. On peut jamais être tranquille ici je trouve ça dingue. Même dans un coin sombre comme ça, il faut qu’il y ait un brun qui soit assis dans la pénombre et qui me rejoigne parce que je râle. Il ne vient pas méchamment lui non plus, il vient juste vers moi parce que je suis en train de me battre avec ma robe mais ce n’est pas pour ça que je l’accueille gentiment. Bien au contraire. Et puis, s’il n’est pas content, il a qu’à aller plus loin et arrêter de m’écouter râler sur le monde entier. “C’est bien dommage, je t’aurais bien imaginé en robe.” Je souris difficilement alors que j’ai l’impression que la tâche est plus grosse que la robe elle même. Je grogne, je marmonne, et lui il ne bouge pas. Effectivement il me sert à rien et je lève les yeux au ciel.

J’essaie de ne pas me concentrer sur lui, je soupire mais je sens qu’il n’est pas parti à l’autre bout de la rue pour m’éviter. Qu’est ce qu’il peut bien vouloir à la fin ? Que je finisse par passer toute ma rage sur lui alors que techniquement il ne fait rien à par me servir à rien. “Tu rigole ou quoi ? Ca va de là à là !” Je fais un énorme cercle, bien plus gros que la tâche finalement, pour l’aider à localiser l’horreur. “Je peux pas me faire filmer avec ça.” Je déteste qu’on abîme mes affaires, je déteste ne pas avoir quelqu’un à mon service pour me ramener une robe en moins de 30 secondes. J’en ai marre, je lève une nouvelle fois les yeux au ciel. Mais je ris un peu quand il donne une solution assez osée. C’est donc pour ça qu’il reste dans les parages ? Pour me voir sans ma robe ? “C’est une idée.” Et ma robe passe par dessus ma tête. Je n’ai jamais été du genre prude. “Tu préfères avec ou sans ?” Je tiens son regard cette fois, il ne devait sûrement pas s’attendre à une telle réaction de ma part.

C'est une participante grognant sévèrement qui me répond lorsque je lance, volontaire, une proposition d'aide. Selon ses dires, ma présence ne servirait néanmoins à rien du tout car je ne possédais pas de dispositif de nettoyage sur moi ni de robe dans mon sac à dos. “C’est bien dommage, je t’aurais bien imaginé en robe.”  “C'est sympa. C'est vrai que j'ai de très belles jambes,” je plaisante entre deux grognements de la part de la blonde qui considère une nouvelle fois sa tenue avant de lever sans cérémonie les yeux au ciel. Elle est si importante que ça, sa robe ? Si elle l'embête tant, elle n'a qu'à l'enlever, n'est-ce pas ? De plus, si elle passe sous les caméras en petite tenue ou en sous-vêtements, c'est certain qu'elle fera un tabac.

“Tu rigoles ou quoi ? Ça va de là à là !”  Oui, en effet, je ne peux m'empêcher de rigoler tandis qu'elle démontre la dite tâche. Je plisse les yeux, à la recherche de la délimitation et suggère : “Tu peux pas faire genre c'est fait exprès ? Une sorte de nouvelle mode ?”  “Je peux pas me faire filmer avec ça.” Elle peste, catégorique, lève de nouveau les yeux au ciel - elle doit avoir un nerf optique sacrément musclé - et la voilà, ma proposition de l'enlever directement, s'il est si impensable d'être filmée avec ce tissu tâché. J'arrive à la faire rire, une véritable victoire à mon sens qui me fait largement sourire fièrement. “C’est une idée.” Ni une ni deux, elle retire sa robe. “Tu préfères avec ou sans ?” Je ris, n'osant pas toutefois détailler les sous-vêtements de la belle. Il ne manquait plus que je sois viré pour mauvaise conduite et accusé de harcèlement sexuel ou dieu sais-je. Soudainement, je regrette un peu ma témérité comme le fait que nous soyons seuls. “Sans, mais pour moi, c'est un maillot de bain.” Comme ça, ça passe crème. Ou en tout cas, j'y crois. “Tu t'appelles comment ?”

Je suis de nouveau seule, un peu éloignée du reste du groupe parce que je me retrouve avec du liquide éparpillé partout sur ma tenue. Je n’ai pas vu qui avait fait ça et c’est tant mieux pour lui, dommage pour moi. Je soupire et je ne peux pas être toute seule pour rager plus de 5 minutes puisqu’un type se rapproche de moi. Je grogne, je reste de mauvaise humeur mais ça ne lui suffit pas pour partir apparemment. Je le pique et il répond sur le ton de l’humour. Qui est ce type ? Il est trop étrange. Je ne peux me retenir de lever les yeux au ciel et rire légèrement. “Pas mieux que les miennes.” Je le regarde de bas en haut. Il ne serait pas terrible en robe, il est bien trop musclé. Quel dommage, je ne pourrais pas lui prêter les miennes, même celles qui sont pleines d’alcool. Je pourrais presque pleurer tellement je trouve tout ça triste. Mais je préfère me concentrer sur ce qui est vraiment important. Moi et ma robe.

Il tente d’arranger les choses, il se prend à chaque fois des réflexions puisque je n’écoute qu’à moitié ce qu’il est en train de raconter. “Je suis une pro pour lancer des modes mais ça c’est pas une mode.” Ca c’est moche et c’est bon à jeter il peut pas le comprendre ça ? Je soupire encore et je finis par enlever la robe en question. Mais je ne peux pas retourner comme ça devant les caméras. Il me dit préférer sans la robe, je hausse un sourcil, c’est étonnant d’entendre un homme honnête. “Oui c’est un peu le cas mais je pense pas que la prod cautionne ce genre de tenues.” Je soupire, tout le monde est bien plus habillé ce soir. “Ivy.” Je ne retourne pas la question, j’ai trop de choses à gérer. “Ok, soit tu me prêtes ton tee-shirt soit tu m’aides à retourner dans ma chambre sans qu’on me filme soit tu fais les deux.” Je croise les bras sur ma poitrine, espérant qu’il propose de faire les deux.

C'est plus fort que moi, le comportement de la jeune femme m'amuse. J'ignore si c'est mes nerfs ou la fatigue qui m'incitent à ne pas prendre au sérieux la détresse de mon interlocutrice, mais à mesure qu'elle grogne, râle, et lève les yeux au Ciel, je l'invite à relativiser en usant d'humour. “Pas mieux que les miennes,” qu'elle m'indique lorsque je lui avais rétorqué que j'avais des belles jambes suite à sa conjecture de me voir en robe. “Ah, ça, j'en doute pas,” je reconnais arborant un léger sourire en coin taquin. C'est que cette adversaire semble adéquate dans plusieurs émissions télévisées mais pas spécialement celle de Race of Australia. Je la percevrais plutôt dans son élément sur le podium d'un défilé de mode ou une compétition du genre loft story. Mais je ne jugeais ici que sur les apparences et manifestement, l'australienne avait sa place dans cette course.

Optimiste, je propose qu'elle lance une nouvelle mode. Après tout, dans les films adolescents, les filles populaires arrivent bien à changer la donne pour tourner une situation compromettante à leur avantage. Il y en avait bien qui se pavanaient dans un de ces succès avec un haut troué au niveau des bonnets de soutien-gorge... Qu'est-ce qui empêchait à la blonde de se pavaner avec une robe alcoolisée ? Avec un peu d'inventivité et de persuasion, j'étais convaincu qu'elle ferait passer ce genre d'élément perturbateur à son avantage. Mais la vingtenaire ne partage pas mon avis et je hausse les épaules, résigné.

Un nouveau soupir et la robe passe au-dessus de la tête de l'aventurière. Honnête, je lui réponds la préférer sans mais qu'à mes yeux, c'est un maillot de bain qu'elle revêt sous le tissu imprégné de boisson et non des sous-vêtements. Il manquerait plus que je sois chassé par la production avec des accusations de harcèlement sexuel, tiens. “Oui c’est un peu le cas mais je pense pas que la prod cautionne ce genre de tenues.” “J'sais pas. Ça a l'air d'être un drôle de phénomène, la Glitters.” Et je connaissais son frère, radical opposé de la présentatrice à mes yeux. “Ok, soit tu me prêtes ton tee-shirt soit tu m’aides à retourner dans ma chambre sans qu’on me filme soit tu fais les deux,” Ivy annonce la couleur, prénom qui me fait sourire car à une lettre prêt, il est le même que le mien. “Va pour l'option C,” j'opte, téméraire. Je retire mon t-shirt et le tends à la concurrente. “Tu peux pas le plier d'une manière spéciale à t'en faire une robe ? Y'avait des vidéos qui n'arrêtaient pas de passer sur les réseaux sociaux pendant un moment, dans laquelle une fille pliait le t-shirt de son mec dans tous les sens pour s'en faire des tenues,” je me remémore. Pas que ce genre de contenu me passionnait, mais peut-être que l'australienne pourrait en tirer une allure intéressante. Après, sans doute faudrait-il que j'arrête de tenter de dénicher des solutions en termes d'apparence, de toute évidence, mes idées n'étaient pas les meilleures. “T'es dans quelle chambre ?” Je questionne, prêt à élaborer un plan de match pour conquérir la deuxième étape du défi.

Apparemment je le fais rire. Il n’a pas encore décidé de fuir alors que je lui ai presque hurler dessus alors que je ne le connais pas. Je lève les yeux au ciel mais préfère me concentrer sur ma robe plutôt que sur le jeune homme. Il avoue que mes jambes sont mieux que les siennes et je hausse un sourcil. Je n’ai pas envie de savoir s’il me drague ou s’il a seulement peur de moi, peut-être un peu des deux. Je n’ai pas le temps pour ça alors je pose mes mains sur mes hanches et je penche la tête sur le côté. Il devrait pouvoir me servir à quelque chose si je veux m’éloigner de là et ne pas me faire filmer dans cet état. Il propose des idées que je rejette à chaque fois. Je ne vais pas lancer une nouvelle mode, et je me demande même comment il peut avoir une idée pareil. C’est comme si je rasais la moitié de sa tête et que je lui disais qu’il pouvait lancer une nouvelle mode. Les mecs sont cons en général, et lui ne fait pas exception à la règle.

“Je pense que ça serait coupé au montage.” Et ce serait un crime d’avoir des images de mon corps qui ne peuvent pas passer à la télévision. Je refuse de passer dans les bêtisier, alors je reviendrai avec une nouvelle robe bien plus jolie que la première. Il accepte de me donner son tee-shirt et de m’aider à retourner dans ma chambre. Je hoche la tête et attrape le tee-shirt qu’il me tend en observant son torse quelques secondes. Il est plutôt pas mal le brun, mais je garde le commentaire pour moi. “Donc tu veux qu’on fasse courir la rumeur que tu es mon nouveau mec ou qu’on a couché ensemble dans les buissons ? Qu’on a été tellement actif que j’ai perdu ou détruit ma robe et que j’ai dû porter ton tee-shirt ?” Je tente de garder un ton sérieux, il pourrait dire oui même si ça m’étonnerait. Mais j’aime mettre les gens mal à l’aise, ça m’aide à les cerner. “Suis moi et tu sauras.” Et me voilà partie pour trouver ma chambre et une nouvelle robe.  

J'ignore si je suis épris de l'effet de la compétition ou s'il s'agit seulement de l'influence de Grace sur mon être, mais je peine à prendre au sérieux le problème que rencontre la coquette Ivy. Elle a beau me hurler dessus et démontrer son ire avec puissance, je suis incapable de compatir à la hauteur de son insatisfaction. Malgré tout, je lui propose des solutions à sa problématique, qu'elle rejette sans merci tout en exposant son caractère acide. Cette jeune femme a du mordant, c'est le moins qu'on puisse dire. Je suis persuadé que les images qu'elle donnera à la production pour les épisodes de l'émission vaudront leur pesant d'or.

L'option d'accompagner Ivy à sa chambre d'hôtel pour s'assurer que les cameramen ne prennent pas un malin plaisir à filmer la belle en tenue légère est actée. J'offre mon t-shirt à la blonde dont le regard scrute - à mes yeux avec critique - mon torse désormais dénudé, le temps de quelques secondes à peine. Heureusement, je ne suis pas pudique à ce niveau, même si je demeure loin de l'Appolon. “Donc tu veux qu’on fasse courir la rumeur que tu es mon nouveau mec ou qu’on a couché ensemble dans les buissons ? Qu’on a été tellement actif que j’ai perdu ou détruit ma robe et que j’ai dû porter ton tee-shirt ?” Je ne peux réprimer un rire, amusé par l'inventivité brute d'Ivy. “Chiche si tu l'es,” je rétorque. Je me fiche bien de ce que peuvent songer les téléspectateurs ou même nos adversaires. Il n'y a que Love qui pourrait être chagrinée par le fait que je m'amuse avec Ivy hors course, mais elle possède aussi assez de lucidité pour deviner d'emblée qu'une telle union est impossible dans ce contexte. “Suis moi et tu sauras.” Je hoche la tête et emboîte le pas de l'aventurière, honorant ma promesse de l'aider à rejoindre sa chambre.