Jour 4. Mungallala.

Les 19h30 venaient tout juste de sonner lorsque Grace et moi arrivions à Mungallala. Comme le stipulaient les règles du jeu, nous avions abandonné le véhicule dans lequel nous étions installés et étions partis en quête d'un logement. Sur le trajet, nous avions rencontrés une bande de lycéens et bien que mon corps courbaturé me rappelait en bon traître que je n'étais plus tout jeune et me procurait inlassablement un sacré coup de vieux, je m'étais aisément pris au jeu de leur immaturité, surtout appâté par leurs consommations illicites. Je n'étais pas un fervent adorateur des drogues, mais je ne disais jamais non à un joint lorsque je ne devais pas travailler dans les prochaines heures. C'était ma propre règle à moi : ne jamais arriver sur les lieux du boulot sans toutes mes capacités. Sinon, franchement, j'étais très souple. Bien sûr, toute entreprise illégale se ferait hors caméra, j'en avais bien l'intention. Ni moi, ni Grace, n'avions envie de nous faire éjecter de la course pour ces motifs.

Entretenant notre succession de réussites pour dénicher un logement, c'est sous le toit d'un couple de cinquantenaires avec une gigantesque ménagerie que nous terminions. Les tourtereaux nous avaient raconté longuement une bonne partie de leur vie, comme s'ils trouvaient rarement de public à leurs paroles, mais j'étais prêt à tout entendre contre les parts généreuses de lasagnes qui nous avaient été servies. Une fois le repas terminé et plusieurs salutaires cafés avalés, nous avions trouvé deux matelas préparés par les gentils soins de notre hôte. Cependant, comme si trop de confort tuait le confort - ou alors, c'était le café -, après trois heures de sommeil, j'étais incapable de fermer l’œil. Tant que j'optais pour prendre un peu l'air : ce dernier devrait fortement contribuer à me diriger de nouveau vers les bras de Morphée.

"On s'retrouve", je prononçais à l'attention d'une silhouette que je reconnaissais comme celle d'Elias. Avec Grace, nous avions rencontré le binôme assez atypique dans une supérette. Si Kieran avait un côté attachant par son air mal assuré et ses répliques spontanées, Elias me représentait une sorte de schtroumpf grognon mais déterminé. Toutefois, je ne pensais pas qu'il avait un mauvais fond.

@Elias Sanders @May Glitters

 « ROA jour 4 »    isaac jensen & elias sanders

---

---

La compétition était bel et bien lancé mais si son corps commençait à se fatiguer légèrement, après avoir passé quatre jours hors de chez lui, à marcher, à courir sans réellement pouvoir manger comme il le voudrait, son mental été toujours le même. Autant droit, autant du genre à vouloir se dépasser, quoi que ça lui en coûte. Selon le flic tout est dans le mental, et avec l’aide de son boulot, il a du mordant. Il n’est pas du genre à être défaitiste et à laisser faire le destin, lui il a besoin de se dépasser, de vaincre toute cette frénésie, qui lui échappe, ne sachant même pas pourquoi il participe à ce jeu, réellement. Pas comme si il avait quelque chose à se prouver à lui-même, et le regard des autres ne l’importe peu. Mais il a néanmoins besoin d’y participer et de se donner les moyens de réussir. Il ne pensait jamais s’entendre avec son binôme mais il devait reconnaître que néanmoins il apprécie grandement la présence de cet être chétif, qui a un besoin constant d’être poussé, rassuré, secondé. Ils savent se tirer l’un et l’autre vers le haut, quand Sanders dépasse un peu trop les limites avec les habitants de l’Australie et qu’il voit les gros yeux de son binôme, il prend son air indifférent, d’intouchable, même si au fond ça le fait sourire au flic. Et quand Kieran bégaye trop, baisse un peu trop les yeux, il lui fait relever la tête, et tenter un minimum d’être fier ! Ils sont complémentaires mais rien ne laisser le présager au tout début, au vu du côté solitaire du flic. Le début de la compétition fût compliqué, mais aujourd’hui, la chance avait décidé de tourner en leur faveur, et ils avaient plus ou moins rattrapé le temps perdu du premier jour. Elias l’espérait du moins. Aussi la raison pour laquelle Kieran et lui s’arrêtèrent à la première maison qui accepte de les accueillir, un gîte, qui accepte gracieusement de les recevoir pour une nuit en contrepartie, pour leur faire de la pub. Le binôme s’était alors regardé, un sourire grandissant au coin des lèvres, n’y trouvant aucun problème à cela, les caméramans feront leur job ! Mais si la soirée s’annonçait sympathique, et que Kieran était tombé dans le lit sans aucune difficulté, Elias lui n’arrivait pas à trouver le sommeil. Il avait besoin de se dépenser, d’aller courir. Et ce n’est que tard dans la nuit, qu’il se décida à revenir dans l’immense jardin, où il voit une silhouette fixant les étoiles. « On s'retrouve » Un sourire au coin de ses lèvres, alors que Sanders s’approche, se posant pas loin du Jensen, sur la marche de l'escalier. « Toi aussi tu n’arrives pas à dormir… » Une constatation plus qu’une question, il hausse les épaules. « Ca fait parfois du bien de se retrouver seul pour réfléchir… » Réfléchir pas vraiment un attrait du flic, mais soit, lui qui est solitaire de base, ça le réconfortait malgré tout. Ce silence que Kieran n’aime pas, et fuit. Trouvant toujours quelque chose à redire.

Après avoir attiré l'attention du policier, ce dernier lui offrit un sourire avant de réduire la distance qui nous séparait et s'installer à mes côtés sur une marche d'escalier. « Toi aussi tu n’arrives pas à dormir… » Je hoche la tête en signe de dénégation. « Ça fait parfois du bien de se retrouver seul pour réfléchir… » Un sourire en coin apparaît sur mon portrait. « Oui. Loin de la frénésie de l'aventure. » C'était salutaire de souffler sans compter les kilomètres qui leur restaient à parcourir et stresser relativement à l'éventualité d'arriver en dernier à Charleville. C'était agréable de respirer sans être sous l’œil avide des caméras, ignorant si certains passages de ce qu'ils disaient et faisaient se retrouveraient projetés sur les ondes d'une grande chaîne australienne. Je ne m'étais pas vraiment posé la question de comment les gens me percevraient, étrangement. Si j'habitais encore Laidley, le petit village duquel j'étais natif, mon positionnement aurait sans doute été très différent car là-bas, tout le monde se connaissait et parlait de tous un chacun. Cependant, l'importance de la population de Brisbane accordait un certain anonymat selon moi. Mis à part mes collègues et mes proches, peut-être quelques patients à l'hôpital dans le futur, je ne pensais pas que l'on me rabâcherait très longtemps les oreilles avec Race of Australia. Néanmoins, peut-être me trompais-je. Dans tous les cas, je ne songeais pas à Autrui mais bien qu'à moi durant cette aventure. Je me l'étais promis en m'inscrivant et le casting m'avait fait l'honneur de me retenir comme participant. Ainsi, en contrepartie, je me devais de tenir cet engagement envers-moi même de vivre seulement pour moi, égoïstement, le temps que je serais en lisse.

J'inspirais profondément. La chaleur était rapidement étouffante à Mungallala mais une brise fraîche venait régulièrement rendre les circonstances plus agréables. L'absence de nombreuses lumières comme il était le cas à Brisbane permettait d'admirer sans peine l'immensité du firmament. « T'en penses quoi, jusque là, de ton aventure ? » Je demandais, bien que la question qui me brûlait les lèvres était celles concernant les motifs d'Elias. Pourquoi un grand gaillard de la sorte voulait participer à une telle émission ? On n'a pas l'habitude de voir beaucoup de flics dans ce genre d'animation, ou en tout cas, je n'en avais pas souvenir. « Vous avez l'air de former une sacrée équipe, Kieran et toi, » je confiais, percevant le binôme comme un yin et un yang parfaitement équilibré et ô combien distrayant.

 « ROA jour 4 »    isaac jensen & elias sanders

---

---

Elias s’était toujours senti prisonnier de sa propre personne, parce qu’il refusait catégoriquement l’aide d’autrui. Il ne voulait pas témoigner ce qu’il ressentait au fond de lui. Parce que souvent il détestait appartenir à une case définie, et d’être stigmatisé. Parce qu’en tant que flic, il n’était pas forcément possible de parler de certaines choses, ou de faire d’autre truc. Parce que parfois, les choses ne se déroulant pas comme il le souhaitait, il n’agissait pas comme il le devrait. La vie est faite d’erreur mais il a toujours su rebondir, sourire, regardant droit devant lui, en relevant la tête. Sans réellement se soucier des choses qui l’entourent. « Oui. Loin de la frénésie de l'aventure. » Assis sur cette marche, le regard fixant droit devant lui, aussi et surtout n’importe quoi sauf Isaac. Cet homme rencontrait un peu plus tôt dans une épicerie d’une autre ville. L’air est calme, la tension n’est plus autant palpable que dans la journée, pourtant il ne parvient pas à dormir, sa tête bien trop embrumé parce ce qu’ils vivent actuellement. Il aimerait juste que ses yeux se ferment, et se reposer, vraiment. Mais en vérité il n’y parvient pas aussi bien qu’il le voudrait, son corps étant toujours en mouvement, sa tête encore dans la course, alors il ne se repose pas comme il le devrait, accumulant fatigue et désespoir de ne jamais parvenir à trouver cette ville à temps. Il n’en dit rien à son camarade de jeu, ce serait l’inquiéter. Et il est déjà suffisamment sur les rotules comme ça pour éviter d’en rajouter une couche. Mais il finit par sourire, ses traits de son visage tendu et crispé jusque-là, se détendent. Juste assez pour que Isy le remarque. « Oui cette aventure est tellement folle déjà, j’ai l’impression d’avoir tellement encaisser ses derniers jours… » De vivre à mille à l’heure, de n’être qu’un robot qui n’a pas le temps de dire ou de penser quoi que ce soit, qu’il faut déjà passer à l’étape suivante, déchiffrant les énigmes, brosser dans le sens du poil des gens – chose qui n’a jamais été un de ses trucs. Lui qui dit tout haut ce que les autres pensent tout bas. « T'en penses quoi, jusque-là, de ton aventure ? » Elias hausse les épaules, il n’en sait rien à vrai dire, devrait-il penser à quelque chose ? Etait-il déçu ? Lui-même ne parvient pas à déchiffrer ce qu’il ressent au fond de lui. « Je ne pensais pas que je pourrais vivre un truc avec autant d’émotion contradictoire en si peu de temps… » Cette peur de l’échec, qu’il cache profondément en lui, mais qui reste au-dessus de sa tête, comme une épée de Damoclès, parce que malgré sa carapace, il est humain, et si certains doutent, il y a pourtant bel et bien un cœur vivant sous son corps d’armure. « Je peux pas expliquer, mais j’ai envie d’y arriver mais il y a tellement de truc, tellement de choses à voir, que mon cerveau n’a pas le temps de tout capter… » Parce que c’est un fonceur Sanders, avant tout, parce qu’il n’a jamais appris à réfléchir, à songer. Et parfois c’est handicapant. « Et toi ton aventure alors ? » Qu’il demande tournant à peine son visage vers lui, voulant un peu davantage le sonder, plus que lors de cette épicerie, où ça a failli tourner en vinaigre avec le responsable. « Vous avez l'air de former une sacrée équipe, Kieran et toi ? » Une sacrée équipe ? Il n’en sait rien à vrai dire… Tous les opposent, tant et si bien que Sanders aimerait en faire une force… « Merci… J’espère en tout cas, mais ça m’fait plaisir que tu le remarques… » Peut-être que si il le remarque c’est que c’est cette image qu’il renvoie, et si les débuts ont étés compliqués, Elias commençait à le cerner le Kieran, du moins il l’espérait… « Elle a l’air top Grace, vous avez une jolie alchimie, faut tout faire pour y veiller… » Un conseil, qui se gardait bien de dire à ceux qui le souhaitait, pas au premier venu, mais Grace et Isy formaient un duo que Elias appréciait et espérait voir encore longtemps dans les parages. « Vendredi, ce sera la fin de l’aventure pour un duo… Ca va si vite… » Cette engrenage médiatique, dans laquelle ils vont tous être aspirés sans réellement s’en douter…

Nous voilà tous les deux installés sur des marches de Mungallala, une ville que je n'aurais sans doute jamais foulée du pied si ce n'était autrement que dans le cadre de cette folle émission télévisée à laquelle je m'étais inscrit, des semaines plus tôt. Je suis impressionné de l'étendue vaste des concurrents : les audacieux se lançant dans la course viennent de tous horizons, tous milieux, toutes situations ; tous si différents mais pourtant unis par la frénésie ROA. « Oui cette aventure est tellement folle déjà, j’ai l’impression d’avoir tellement encaisser ses derniers jours… » Je souris doucement, compréhensif, avant de prononcer sur un ton rassurant : « Nous tous, je pense. » Si j'étais certes quelqu'un de compétitif en terme général, j'étais pourtant doté d'un certain sang-froid que j'appréciais grandement dans cette compétition. En effet, Race of Australia détenait un réel talent pour me pousser violemment dans mes retranchements, me faire vivre d'intenses ascenseurs émotionnels et me placer sur un qui-vive électrique. J'adorais ce rush d'adrénaline doublé de cette grande relativisation. Il n'était plus question de se soucier pour des subtilités, les objectifs étaient clairs, les règles simples. Il fallait simplement tout donner pour avancer et prier que le destin soit de notre côté.  

Curieux, je questionne Elias sur son positionnement par rapport au périple pour lequel nous avions signé. Il hausse une épaule, incertain, avant d'indiquer : « Je ne pensais pas que je pourrais vivre un truc avec autant d’émotion contradictoire en si peu de temps… » Je ris doucement, agréant totalement avec les propos du garçon. « Ah ça... La même, » je lui confie avec une aisance étonnante. « Je peux pas expliquer, mais j’ai envie d’y arriver mais il y a tellement de truc, tellement de choses à voir, que mon cerveau n’a pas le temps de tout capter… » précise le policier. J'acquiesce, tentant d'assimiler son point de vue. Il était parfois difficile de gérer et réguler le flux d'informations qui nous venait brusquement et avidement dans des situations de presse et rush. C'était quelque chose que j'avais personnellement appris dans le cadre de mon rôle de secouriste et d'infirmier dans un service d'urgences. La montre était notre pire ennemie et il se fallait être extrêmement observateurs et réactifs ; chaque détail étaient cruciaux et le vital tenait à très peu comme requérait beaucoup. « Et toi ton aventure alors ? » J'inspire profondément, un sourire sincère aux lippes. « J'adore. » De A à Z, avec tous les pépins, tous les sales moments, tous les coups durs. Je prenais tout, j'épousais tout, et j'espérais juste que ce manège ne s'arrête pas trop vite. « Ce jeu, il m'apporte ce que j'espérais trouver au centuple. J'ai l'impression qu'il est la leçon de vie que j'avais tant besoin. » J'explique, bien que conscient que mes propos puissent aisément porter à confusion. Après tout, il ne s'agissait que d'un jeu. Comment pouvais-je sainement y accorder tant d'importance ? Simplement parce que je le percevais comme une expérience humaine avant tout et il m'importait peu de dégoter des millions ou des fans. Ce qui m'intéressait, c'était bien toutes les leçons de vie que je pouvais apprendre sur la route sinueuse que nous avait concoctée la production.

Je présente mon optique sincère sur son équipe à Elias, ce pour quoi il me remercie, avant d'aborder ma partenaire de jeu : « Elle a l’air top Grace, vous avez une jolie alchimie, faut tout faire pour y veiller… » Un sourire malicieux apparaît sur mon minois. Je chérissais la complicité que nous avions, cette attitude facétieuse et très taquine envers ce qui se passait et s'était déroulé dans notre existence, ce recul mais aussi ces projets que nous ambitionnons. J'appréciais le fait que même si nous étions très différents, nous trouvions toujours facilement, voire naturellement, un terrain d'entente. En m'inscrivant à Race of Australia, j'espérais être associé à quelqu'un de très moteur, n'étant pas vraiment leader pour ma part. Avec Grace, j'avais le sentiment que nous adoptions spontanément tous les deux ce rôle. Il n'y avait pas de suiveur ni de leader, nous avancions main dans la main en nous serrant les coudes. « Elle est géniale. Une superbe rencontre ici, » je commentais, laissant par la suite le silence nous envelopper quelques minutes.

« Vendredi, ce sera la fin de l’aventure pour un duo… Ça va si vite… » Je haussais les sourcils, approbateur. « Ouais... C'est dingue... » Il nous restait encore de la route pour atteindre Charleville et j'espérais que mon binôme comme celui de mon interlocuteur passeraient à la prochaine étape. « Tu crois que y'a des gens qui font des alliances dans ce jeu ? » Je demande, sans songer pour autant à en créer une, mais piqué de curiosité. Il y avait après tout des affinités entre certains binômes et cette menace de jetons rouges qui planait.

 « ROA jour 4 »    isaac jensen & elias sanders

---

---

Cette aventure lui montre une nouvelle facette de lui, qui ne pensait pas avoir. Une curiosité sans faille et ce côté de vouloir partager avec d’autres, qu’il connaît à peine – à commencer par Kieran. C’était assez étrange et très certainement qu’à son boulot on ne le reconnaîtrait pas vraiment, bien qu’il gardait cette moue à toute épreuve et ce côté râleur sur les bords. A vouloir contredire toujours les autres, et surtout à n’en faire qu’à sa tête. Souvent Kieran devait courir derrière lui, parce qu’ils n’étaient pas spécialement d’accord, et bien que Kieran tentait d’y mettre la forme, ce n’était pas le cas du flic. Si il avait envie d’aller à tel endroit, qu’il y aille ! Elias pouvait bien poursuivre seul l’aventure que cela le dérangerait pas ! «  Nous tous, je pense.  » Assis sur cette marche, il est pourtant au côté de l’un de ses concurrents, mais Elias ne le voyait pas comme tel, du moins il n’était pas du genre à aboyer pour rien sous prétexte qu’il n’est pas dans son équipe. Le flic restait souvent sur ses gardes, lointain. Et se mélangeait pas souvent aux autres, mais c’était naturel avec Isaac. « Tu crois qu’on a une chance de survivre longtemps ici ? » Il ne doutait pas réellement de ses talents et pourtant la première semaine ne lui avait pas montré sa chance, et surtout pas celle de son partenaire – qui décidément ne lui sert à rien… Il n’est pas encore tombé sous son charme, mais Elias doute que ça arrive un jour, il se rappelle bien trop la difficulté qu’à eu Kieran à se retirer le bandage aux yeux, le cameraman a même dû l’aider sous les soupirs de Sanders. Il croyait dur comme fer à une caméra caché de la part de ses collègues de boulot d’ailleurs ! « Ah ça... La même, » au moins ils sont d’accord sur ce fait, pas vraiment difficile sûrement. ROA va si vite, et même Elias n’aurait jamais pensé s’y prendre au jeu si facilement, ça l’étonnerait presque. « J'adore. » Qu’il confie sans une once d’hésitation quand Elias lui demande comment il se sent dans l’aventure et s’il se sent à l’aise. Selon le flic c’est important de bien se sentir pour évoluer au mieux. Lui-même aurait dû mal à rester si l’investissement n’était pas à sa hauteur de ses exigences. Mais heureusement pour tout le monde, et pour lui, ses adversaires sont de tailles, et ne semblent pas rougir de ses exploits ! «  Ce jeu, il m'apporte ce que j'espérais trouver au centuple. J'ai l'impression qu'il est la leçon de vie que j'avais tant besoin. » Sanders ne peut s’empêcher de sourire légèrement, et il a peut-être pas vraiment tort. Beaucoup prennent cette aventure comme tel, et si il a bien compris son partenaire aussi. « Je pense que c’est un bon moyen pour se donner les moyens, pour se surpasser… » Et même quand on est flic et qu’on est un sportif, du moins suffisamment pour pas reculer devant les épreuves. Pour Elias il n’en a pas eu assez, lui il ne sait jamais tenir en place, il a ce besoin de vivre, de tout défoncer. Sans savoir d’où ça lui vient… « On a tous eu des difficultés par le passé, mais on est là, à veiller les uns sur les autres… A peu de chose près… » Bon parce que Sanders n’est pas celui qui veille sur les autres le premier, qu’il est plutôt individualiste mais pourtant il s’rait bien capable de remuer ciel et terre pour les quelques personnes qu’il apprécie dans cette aventure. «  Elle est géniale. Une superbe rencontre ici, » qu’il confesse sur Grace, y trouvant une part d’envie dans sa phrase. « Je me doute que ce soit pas tous les jours faciles, je sais de quoi je parle. » Il finit pourtant par esquisser un micro sourire, en baissant la tête, un léger soupire qui sort de ses lèvres bien malgré lui. Quelle idée de le placer avec un homme franchement ! « Ouais... C'est dingue… Tu crois que y'a des gens qui font des alliances dans ce jeu ? » Elias hausse les épaules, il n’en sait rien, mais ça l’étonnerait pas… « Sans doute oui, le but d’un jeu avec de l’argent et de la popularité, forcément en ressortent ceux qui veulent gagner à tout prix. » Lui voudrait gagner c’est certain mais pas au point de se lier aux autres et à ceux avec qui il n’a aucun atome crochu. « Cela dit ça ne fera pas spécialement leur victoire… » Parce qu’un jour ou l’autre ils seront confrontés au choix de poignarder leur ‘chouchou’ ou de se faire éliminer pour ne blesser personne…

Mon regard vagabonde entre l'horizon et le firmament, s'attarde sur les rares feux des voitures qui dansent au loin, animant péniblement une ruelle de Mungallala. Cette aventure, non seulement me change-t-elle, elle m'ouvre aussi les yeux sur notre monde. Tous ces petits détails de la vie qui passent à la trappe car sont si insignifiants, si discrets face au tumulte de Brisbane et au train-train houleux de responsabilités, chargé de contraintes. Au sein de cette compétition, tout est réduit : le confort, les consignes, l'objectif. Il n'y avait qu'à avancer vers Perth, quoi qu'il leur en coûte.

« Tu crois qu’on a une chance de survivre longtemps ici ? » Un prompt rire file entre mes lèvres. Jusque-là, la production n'a pas été des plus tendres avec ses joueurs et je n'ai pas entendu une seule nuance d'altruisme décrivant le comportement d'un employé de la chaîne envers un aventurier. « "Survivre", c'est le bon mot, je trouve... » je commente d'abord, imaginant bien Race of Australia empiéter sur les plates-bandes d'audience de Survivor. « J'pense qu'on a ce qu'il faut pour aller loin, ouais, » je réponds avec franchise. Kieran était maladroit mais déterminé. Elias était réfractaire mais téméraire. Grace n'était pas en super forme physique mais ingénieuse. Pour ma part, je n'étais pas le plus assuré, mais je mettais tout sur la table pour cette compétition.

D'ailleurs, j'adorais ce périple et m'y sentais tel un poisson dans l'eau, possiblement atteint du syndrome de Stockholm. Je ne le cache pas au flic et lui expose que ce jeu m'offre une leçon de vie longtemps recherchée. « Je pense que c’est un bon moyen pour se donner les moyens, pour se surpasser… On a tous eu des difficultés par le passé, mais on est là, à veiller les uns sur les autres… A peu de chose près… » Je hoche la tête, sourire amical en coin. J'aime l'attitude d'Elias, et même si nous sommes des adversaires, il n'y a pas d'hostilité entre nous. Ce n'est pas notre manière de faire, à Grace et moi. Nous ne sommes pas dans cette compétition pour gagner ni écraser la concurrence. Nous sommes ici pour grandir et vivre. Pour ce faire, inutile d'être agressif et démolir les autres participants ; bien au contraire, l'on pouvait former de beaux souvenirs à leurs côtés. D'ailleurs, je ne fais aucunement preuve de timidité lorsqu'il est question de complimenter ma coéquipière. « Je me doute que ce soit pas tous les jours faciles, je sais de quoi je parle. » Mon sourire s'élargit avec complicité et voilà que nous abordons la prochaine élimination. Le temps filait à vive allure dans cette course.

« Sans doute oui, le but d’un jeu avec de l’argent et de la popularité, forcément en ressortent ceux qui veulent gagner à tout prix. » Un rictus apparaît sur mon minois. Mon interlocuteur n'a pas tort et j'espère que cela ne va pas trop polluer notre expérience. « Cela dit ça ne fera pas spécialement leur victoire… » Et voilà un nouvel argument pour apprécier le policier et vouloir garder contact avec lui l'aventure achevée. « Est-ce que tu sais ce que tu ferais de l'argent remporté, si tu gagnais la course ? » J'interroge avec curiosité. « Si ça se trouve, on aura des pages Facebook à notre nom, » je songe en riant, resassant la naissance de ces petits réseaux dès qu'une télé-réalité débute.

 « ROA jour 4 »    isaac jensen & elias sanders

---

---

Elias avait été contraint d’accepter les règles du jeu, lui qui aimait et qui avait toujours eu ce besoin de tout maîtriser, ici il n’était plus le maître de sa vie. Il avait laissé la Glitters guidée ses pas, et son besoin ultime de gagner, et ça il ne le supportait pas. Remettre sa vie et son destin entre les mains des autres n’est pas quelque chose d’habituel chez lui, il était donc pas toujours très à l’aise face à la caméra, alors que la prod devait bien voir quel type d’homme – avec une fierté bien trop grande pour se laisser guider comme beaucoup le voudrait, il était. Quoi que ça lui en coûte, Elias ne voulait pas abandonner pour autant, il était pris entre deux feux, pas certain de connaître l’ultime finalité. Mais dans le fond discuter avec Isaac le rassurait, sans doute étaient-ils embarquer dans le même bateau, dans le même calvaire ses deux-là ! « "Survivre", c'est le bon mot, je trouve... » Qu’il avoue en tournant le visage en direction du flic, rigolant à sa réplique. Elias n’avait pourtant pas tort selon lui. Race of Australia n’avait rien de bien facile, il était pourtant sportif, mais la pression est constante, et surtout ils n’avaient eu guère de chance avec Kieran dès le début – sûrement que le Halstead n’arrangeait rien à la chose avec son côté ‘pas de bol !’. Et si Elias avait eu du mal au début à comprendre, et qu’il s’était lourdement emporté contre Kieran, les choses se sont améliorées entre eux. Enfin, c’est ce que considère le flic, il serait même pas à parier, qu’à la sortie, victoire ou défaite, il garderait Kieran comme partenaire et binôme parfait : qui l’eut cru ? « J'pense qu'on a ce qu'il faut pour aller loin, ouais, » il observe un instant autour d’eux, ses lumières, ce silence. Et ça fait du bien au Sanders, lui qui est davantage solitaire que du genre à parler à n’importe qui. Lui, qui est bien loin d’être l’ami parfait, celui qui parle quasiment jamais de sa vie. Cette émission le pousse hors de ses sentiers, parce qu’il a bien compris que seul, il n’irait pas bien loin. Et que si c’est une manière pour lui de passer du temps, d’être ce genre à profiter du truc, c’est aussi et surtout, parce que Isaac n’est pas si bête et que le courant entre eux passe plutôt bien. « On aurait pu tomber sur des binômes bien pires... » Et venant de la bouche d'Elias c'était un compliment. Car il ne mâche jamais ses mots le flic ! « Est-ce que tu sais ce que tu ferais de l'argent remporté, si tu gagnais la course ? » Il hausse les épaules, en réalité il ne sait pas vraiment. Il n’y a pas vraiment songé, il vit plutôt au jour le jour et c’était déjà surprenant qu’il est voulu participer à ce genre d’émission, « J’sais pas… Sans doute le tour du monde, ou un grand voyage bien loin de l’Australie. » quelque chose qui pourrait totalement le dépayser. Lui qui n’est jamais partie hors de son pays, hors de sa ville. Lui qui vient pas d’un monde où l’argent coule à flot, sa mère qui a dû élever ses deux enfants seule, et qui a dû additionner plusieurs jobs pour gagner un minimum d’argent. « Si ça se trouve, on aura des pages Facebook à notre nom, » et ça le fait sourire, il arque un sourcil, « me dis pas que c’est la première chose que tu feras à ton arrivée chez toi… » Elias pouffe mais lève les yeux au ciel. C’est tellement pas lui. « Je suis sûr que ma sœur m’en a déjà ouvert un… » Et ça le ferait bien moins rire pour le coup. « Et toi tu ferais quoi de cet argent ? » Qu'il demande à son tour.

Installés dans un coin de Mulgallala, le firmament en ultime témoin, j'avais retrouvé Elias au beau milieu de la nuit. Manifestement, il éprouvait tout comme moi des difficultés à demeurer dans les bras de Morphée, en dépit de la fatigue qui étreignait indéniablement nos corps. Mes muscles étaient courbaturés, j'avais déjà acquis une belle collection d'ecchymoses et mon corps était ici et là zébré d'égratignures. Une partie de mon être était convaincu que cette édition de Race of Australia avait pour but ultime de mener la vie très dure aux concurrents et je me demandais sincèrement si nous allions tous nous rendre au bout de notre aventure en un seul morceau, sans avoir à être positionné en imparable forfait. « On aurait pu tomber sur des binômes bien pires... » décrit l'australien avec raison. J'acquiesce, entièrement en accord avec ses propos.

Je n'aurais pas pu rêver mieux que Grace pour binôme de cette épopée. Je m'étais inscrit à cette émission télévisée sans conviction. Il s'agissait d'un moment de folie de ma part, un coup de collier au destin pour m'éjecter violemment de ma zone de confort. Être auditionné puis sélectionné pour faire partie du peloton d'aventuriers m'avait épaté et je m'étais promis d'extraire de cette expérience tous les outils disponibles pour façonner ultimement mon bien-être. Par ailleurs, je m'étais muni de l'objectif de délaisser mes tracas et mes maux à Brisbane en vue de rétablir l'ordre de mes priorités, transformer ma manière de percevoir les événements de mon histoire à mesure des kilomètres parcourus. Grace aussi recherchait quelque chose différent que le gros lot promis en finale. Nous étions tous deux armés d'ambitions et de raisons qui se ressemblaient, ce qui l'érigeait à mes yeux telle la meilleure des partenaires possibles. « J'me sens chanceux d'avoir Grace à mes côtés, » je confie, admiratif de la brune. Elle était passionnée, vive d'esprit et surtout, déterminée. C'était une battante au sens de la répartie acide et au caractère ardent. Une vraie leçon de vie bipède et en ces quatre premiers jours, j'avais appris auprès d'elle bien plus que durant les quatre dernières années. Elle représentait un véritable goût pimenté de nouveauté.

Curieux, je m'interroge sur les potentiels projets d'Elias s'il remportait la somme promise aux gagnants. « J’sais pas… Sans doute le tour du monde, ou un grand voyage bien loin de l’Australie. » Je souris doucement, pose mes coudes sur mes genoux. Songeur, je me risque à envisager aussi mon retour de Brisbane. Cette émission sera-t-elle populaire ? Risquerions-nous d'être reconnus dans la rue ? Devrions-nous faire quelques interviews ? Qu'en était-il des réseaux sociaux ? « Me dis pas que c’est la première chose que tu feras à ton arrivée chez toi… » pouffe le Sanders quand j'évoque la création des pages Facebook. « Non, s'il y en a, pour être honnête, j'préfère ne pas en prendre connaissance. C'est parfois des traquenards. » Derrière un ordinateur, il est aisé de démolir les gens en critiquant, insultant, dévalorisant. Je ne faisais pas parti de ce monde-là et le fuyais en toute impunité. « Je suis sûr que ma sœur m’en a déjà ouvert un… » Je souris, attendri. « Et toi tu ferais quoi de cet argent ? » Je laisse quelques secondes de silence se dérober. « J'continuerai l'aventure de mon côté, sans les maltraitances sponsorisées par ROA. » J'ambitionnais de poursuivre ma traque de nouvelles expériences. J'avais envie de vivre, commettre des folies, oser ce que je n'avais jamais même su espérer. Je désirais faire en sorte d'avoir le moins de regrets possibles d'avoir vécu ma vie telle que je l'ai menée.