Il a toujours eu une phobie des camps de vacances. Pas un inconfort, pas une aversion, pas un dérangement non ; une phobie.

Pauvre petit Jack habitué à ne jamais avoir d'horaire, à faire comme bon lui semble, toujours. À se traîner les pied à l'aube hors du lit ou à peine la nuit tombée, selon son humeur et son cycle du sommeil déréglé. Peu importe s'il était gamin ou adulte, adolescent ou vieux doyen comme on l'appelle dans le coin, il n'a jamais été en mesure d'ajuster son horloge interne à quoi que ce soit ; d'où sa phobie qui sort de nulle part. Les camps de vacances donc, son calvaire. Ceux avec un agenda bouclé, ceux qui sont calés à la minute près. Ceux où t'as quinze activités à faire le matin, et tout autant l'après-midi. Il grinçait des dents quand ses parents voulaient l'inscrire à un camp de vacances axé sur la musique, là où il aurait dû aimer l'expérience, là où il ne voyait que sa passion bafouée par une liste de contraintes fixées.

Mais ça, il l'a oublié le gars, lui qu'une vie en entier ou presque est passée depuis les dernières mentions de cette connerie de plan de merde de camp pour occuper ses gamins en été et se confirmer qu'on était p't'être pas dû pour avoir des enfants. Il l'a oublié, il l'avait oublié du moins, jusqu'à maintenant.

« Paloma, arrête de mâcher ta gomme si bruyamment! »
« Luc, tu fais peur à James quand tu le fixes comme ça. »
« JaAaAaAaAaAaMes ça se mange pas, des crottes de nez. »
« Okay, tous en choeur. »

Le chauffeur fout rien même si on lui tire les cheveux de petites mains collantes et collées.
Les animateurs ont les pires sourires flippants scotchés sur leurs lèvres, les yeux brillants d'un manque d'espoir de s'en sortir sains d'esprit.
Ils y sont presque, à leur chanson de route, celle qui ramène Jack dans son enfance de panique, lui qui se cale un peu plus creux dans son siège rembourré qui n'en a que le nom.

« J'veux crever. » ils auraient dû marcher.

Contexte here we go:

Le bus, au départ, ça avait tout eu d’une excellente idée. Surtout sur une route déserte, où les véhicules se faisaient rares, les automobilistes pressés, la chaleur étouffante. Comme par enchantement le chauffeur avait ralenti dès qu’il les avait aperçus. Il s’était arrêté à leur hauteur. Leur avait ouvert les portes.

Le bus, au départ, ça avait tout eu d’une excellente idée. Du moins jusqu’à ce que les portes s’ouvrent, justement, et que le vacarme qui y régnait leur parvienne distinctement. Colleen avait froncé les sourcils, jeté un coup d’œil à Jack, puis avait haussé les épaules et était montée à bord. A l’intérieur du bus, une joyeuse troupe d’enfants. Les uns se chamaillaient, se tiraient les cheveux, s’insultaient. Les autres mâchaient des chewing-gums à s’en décoller la mâchoire, en profitaient pour faire un concours de la plus grosse bulle – une bulle qui finissait généralement collée sur le siège d’en face. Et tout ça sous la pseudo vigilance des animateurs qui pianotaient sur l’écran de leur téléphone portable avec dextérité, sans accorder le moindre regard aux gosses infernaux. Ecouteurs vissés aux oreilles – qu’il avait enfoncés illico dans ses oreilles après leur conversation – le chauffeur lui restait imperturbable.

Colleen vit la détresse s’installer dans le regard de leur caméraman et le visage de Jack devenir blême. Elle ne se laissa pas décontenancer pour autant et avisant la banquette au fond du bus, prit place entre deux gamins. Paloma et Luc. La première la fixait d’un drôle d’air. Le second était ratatiné dans son siège et ne bronchait pas. Le gamin assis à côté de Jack, en revanche, semblait complètement déchaîné. Si le chauffeur avait compté sur le binôme d’aventuriers pour calmer les enfants, c’était raté. La présence des caméras les avait survoltés.

Par-dessus la tête de Luc, elle coula un regard à Jack qui semblait avoir repris quelques couleurs. Elle lui fit un clin d’œil pour tenter de lui envoyer une poignée d’ondes positives. En baissant les yeux elle croisa ceux de Luc, circonspect. « T’as quel âge ? » Lui fit-il. « James vient de parier une boîte de chewing-gum que tu avais plus de cinquante ans. Moi j’hésite, j’dirais plutôt soixante ».

Le trajet serait long, très long…

C'est un calvaire mais ça, tout le monde s'en doutait. Colleen est collée entre ses deux propres petits problèmes, dont l'un qui lui parle de son âge quand Jack soupire pour elle, qu'il ragerait presque. Les animateurs rigolent et le conducteur fait exprès de passer sur tous les nids-de-poule possible, le bus tangue dans tous les sens et le musicien lui, il s'est cogné le front trop souvent sur la fenêtre tant il essayait de s'y poser pour dormir. À ses côtés, un petit bonhomme a décidé de s'immiscer, il sait pas son nom et il est pas intéressé.

Il a jamais eu la fibre paternelle et il ne le réalise qu’encore plus qu’aujourd’hui, quand James le fixe maintenant, qu’il a relégué Luc et ses enfantillages – littéralement – aux oubliettes. Il le fixe et il fronce des sourcils, il imite chaque chose que Jack peut bien faire, jusqu’à la plus petite mimique possible. Jack qui regarde ailleurs, Jack qui sent les yeux globuleux du gamin morveux ancrés sur son profil, le brûlant presque au fer rouge.

« T’es bizarre. »
« Non je suis pas bizarre. »
« Oui t’es étrange. »
« Toi t’es étrange. »
« Non. » hm.
« Le paysage est beau dehors, tu devrais regarder ça à la place. »
« Sinon quoi? »
« Sinon rien. »
« Ok je te regarde alors. » hm, hm.

Quelle connerie, quel soupir aussi qu’il lâche, serrant la mâchoire, quand le p’tit être humain à la peau gommée par il sait pas quoi mais sûrement un truc qui devrait pas entrer en contact avec sa peau décide non seulement de continuer de le fixer mais surtout de grimper sans la moindre délicatesse aucune sur les genoux de Jack et pouvoir lui gober son oxygène en plus de sa patience légendaire. Epstein a arrêté de compter les coups de coude qu'il a reçus entre cinq et mille d'en eux.

Mais il est calme après. Il est calme et Jack est immobile, et son regard vers Colleen veut tout dire – sors-moi d’là, qu’il supplie, le pauvre type perdu. Il ose rien dire, il ose rien faire, il ose même pas respirer quand James somnole maintenant, que sa tête se love contre la nuque de Jack, et que tout est bien qui - « Oh-oh. » « Comment ça, oh-oh ? » « J’ai le mal des transports. »

Et le rot qu’il lui fait James, le rot dégueulassement juteux, au moins il se termine pas en gerbe c’est déjà ça. Il a les yeux pleins d’eau le gamin, Luc hurle de rire comme le p’tit connard qu’il est voué à devenir, et Paloma risque de se fouler le nerf optique tant elle roule des yeux de condescendance. Alors il fait ce que tout bon père ferait Jack, qu’il pense, rotant à son tour, donnant tout ce qu’il a pour pousser la plus gargantuesque des éructations qui sauvera, il l'espère, l’honneur du bambin au bord de la crise de larmes.

Premier défi:

« Moins que cinquante, et moins de quarante, aussi ». Avait répondu Colleen. Heureusement qu’elle n’était pas de nature susceptible et qu’elle connaissait suffisamment bien les enfants pour savoir qu’ils n’avaient pas la moindre notion de l’âge. Eux qui en étaient encore rendus à compter les mois en plus de leur anniversaire pour paraître plus grands aux yeux de leurs camarades. On disait que la vérité sortait de la bouche des enfants, mais elle osait espérer qu’il s’agissait là de l’exception qui confirmait la règle. « J’te crois pas. Ma mère a quarante ans et elle fait beaucoup beaucoup plus jeune que toi » Lança un Luc effronté qui se désintéressa aussitôt d’elle.

Une nouvelle secousse du bus fit sursauter Colleen, qui se raccrocha bien vite à sa jeune voisine. La dénommée Paloma. « Excuse-moi » Fit-elle instinctivement en retirant sa main du bras de la fillette. Elle croisa le regard de Paloma et fronça des sourcils en découvrant les petites billes sombres qui la dévisageaient d’un drôle d’air. Colleen en avait presque froid dans le dos. Pourtant elle ne détourna pas le sien, de regard. Au contraire, elle l’accrocha avec résolution. Sans agressivité. Avec curiosité. Les secondes défilèrent et ni l’une ni l’autre ne baissèrent le regard, comme si une bataille implicite se livrait là, sur la banquette arrière du bus, entre une adulte et une enfant. Jusqu’à la fillette baisse finalement le regard, et que Colleen se sente particulièrement ridicule. Quelle mouche l’avait donc piquée pour se lancer dans un jeu pareil ? Elle ouvrit la bouche pour interpeller la gamine mais au même moment, un bruit ignoble sortit de la bouche du jeune James. Les paires d’yeux interloqués se fixèrent sur lui et Luc éclata de rire en pointant du doigt son camarade. Mais personne, personne ne s’attendit à la réaction de Jack, qui aurait pu aisément être leur père à tous les deux. Sans préambule, sans avertissement, le Canadien rota à son tour. Le silence se fit une seconde dans le bus, puis tous éclatèrent de rire. Les caméras étaient fixées sur le visage de Jack et imitant Paloma, Colleen ne put s’empêcher de rouler des yeux tout en esquissant un sourire.

Cela ne faisait que dix minutes à peine qu’ils se trouvaient dans le bus, et les ennuis commençaient déjà.

Deuxième défi:

Et James passe proche de pas pleurer du tout, non, il retient ses larmes et c'est un champion et Jack rigole aussi, le bus en entier. Il les voit pas les caméras sur son visage fier d'immature enjoué, lui qui s'essuie le menton du revers. Il voit juste l'air autant gêné qu'amusé de Colleen posée sur le siège arrière et même si elle doit avoir honte de lui la simple petite fossette qu'il voit indicible au creux de sa joue le rassure. Il est pas si nul que ça finalement.

C'lui qui est nul, c'est Luc. Petit démon aux dents de bébé qui gâche le moment en pointant du doigt James et en imitant son rot comme une bête de foire qui ne fait qu'augmenter en volume au fil des rires de plus en plus mesquins des autres gamins. James a les joues rouges et probablement le coeur en miettes, Colleen gère Paloma qui veut absolument qu'elle lui fasse des tresses c'est une question de vie ou de mort sinon je jure que je crie et Jack lui, il se sent pousser des ailes quand il réalise un truc que des gens auraient pris deux secondes à capter mais qu'il a mis quarante-quatre ans à trouver.

« Luc c’est ça ? Okay, moi c’est Jack. On va discuter tous les deux parce que tu me fais penser à moi quand j’avais ton âge, et j’pense que comme ça si c’est moi qui te parle et personne d’autre ça risque de le faire. T’as besoin de bouger bonhomme, hen? Je sais, moi pareil, du coup on va marcher dans l’aller du bus ensemble et ouais je sais le conducteur veut pas et ouais je sais les animateurs vont nous dire d’aller nous asseoir mais on en a rien à chier d’eux, hm? Oh, faut pas que je dise chier. Bref. T’as besoin de bouger et t’as besoin de dépenser ton énergie, ça va trop vite dans ta tête et quand tu vois le monde autour de toi t’as l’impression qu’ils vont tous au ralenti. Tu veux pas rester ici et tu veux certainement pas aller dans ce putain de camp de vacances de colonie de con et ouais je sais, putain et con non plus faut pas dire c'est interdit, mais c’est pour les besoins de la cause. Je sais comment tu t’sens mon gars, je sais à quel point tu veux pas faire chier – oui, je sais chier, chier, chier – le monde entier en sautant partout parce que rester assis te donne des fourmis dans les jambes mais le truc, c’est que tu les fais chier eux aussi autant que toi, pour vrai. Et que ton bonheur à toi doit pas entacher celui des autres. Quand j’avais ton âge - » ils marchaient entre les bancs, ils avaient la main l'un dans celle de l'autre, c'était un beau moment, presque.  – « SON ÂGE?! ÇA FAIT LONGTEMPS ÇA SI ELLE A SOIXANTE ANS TOI T’EN A CLAIREMENT CENT DE PLUS! »  – « Paloma? Laisse papi parler. »  Hm. « Quand je – à ton âge, j’en avais rien à foutre des autres et même longtemps après. Y’a fallu que je fasse de la peine à bien des gens pour finir par réaliser que de tout faire pour moi sans prendre pour acquis les autres rien que pour ma liberté et mon bonheur ça leur faisait du mal à eux aussi. Ça vaut pas la peine de les blesser en pensant qu’à toi et - » ils sont retournés s'installer dans leur siège, et tout va bien en vrai, il a l'impression d'être un coach motivant son équipe de hockey avant un match important et et et et « Et il s’est endormi right? À partir de quand? Bordel. » ses yeux comme ses mots ont trouvé le visage de sa binôme, au moins Luc le merdeux est assoupi. Ah ouais, merdeux aussi, c'est proscrit.

Troisième défi:

Dans d’autres circonstances Colleen aurait froncé le nez, dégoûtée. Elle aurait jeté un regard à la dérobée à l’auteur de ce rot immonde. N’aurait rien dit, parce que ce n’était pas son genre de faire un esclandre en public – surtout quand ledit public était si jeune. Mais l’expression de son visage aurait été suffisante pour saisir sa désapprobation.

Pas avec Jack, cependant. Elle connaissait suffisamment son binôme pour savoir qu’une bonne raison devait se cacher derrière ce comportement. La bienveillance de Colleen à son égard la poussait à croire qu’il l’avait fait dans l’intérêt du gamin, ni plus ni moins. Peut-être qu’elle se fourvoyait, peut-être qu’elle l’idéalisait. Mais si telle avait été la raison de Jack, on pouvait dire qu’il s’en était sorti avec brio car tous les regards et toutes les caméras étaient à présent braqués sur lui – à l’exception de Luc qui semblait définitivement sorti de sa torpeur à présent et qui s’amusait à roter l’alphabet en pointant James du doigt d’un air moqueur. Le démon en personne.

« Tes cheveux, ils sont trop beaux tes cheveux ». Elle était peut-être vieille, ok, mais au moins elle avait de beaux cheveux. C’était toujours ça de pris non ? « Tu m’fais des treeeeesses ? » Implora Paloma la seconde suivante. Colleen plissa les yeux, voyant clair dans le jeu de la fillette – un compliment contre des tresses, c’était donc ça ? La sentant hésiter, Paloma se mit à supplier et parce que la jeune femme – oui oui, jeune – s’en voulait toujours un peu d’avoir gagné le staring contest, elle se prêta finalement au jeu. « Seulement si tu attaches ta ceinture ». La gamine roula des yeux une fois de plus mais s’exécuta et une seconde plus tard, les doigts de l’Anglaise s’appliquaient à tresser ses longs cheveux bruns. Elle avait d’ailleurs presque terminé quand, attentive au discours que tenait Jack auprès de Luc, Paloma s’écria : « SON ÂGE?! ÇA FAIT LONGTEMPS ÇA SI ELLE A SOIXANTE ANS TOI T’EN A CLAIREMENT CENT DE PLUS ! ». Colleen fut tentée de lâcher ses cheveux – tentée de les couper, aussi – mais se contenta de secouer la tête en attachant l’élastique.

Entre-temps le discours de Jack semblait avoir fait son œuvre auprès de Luc, dont les paupières étaient closes. Colleen s’amusa de la réaction de son binôme. « Je crois qu’il s’est endormi au moment où tu as répété ‘chier’ trois fois de suite » Lui offrit-elle en plus d’un nouveau clin d’œil.

L’accalmie est de courte durée et ça sert strictement à rien de s’y attacher. Il s’est transformé en vieux sage en espérant qu’éventuellement il allait peut-être prendre ces enseignements pour les appliquer dans sa propre vie mais ça aussi, ça sert strictement à rien d’y croire. Il va continuer de faire de la merde Jack, il va continuer de suivre le flow, il va continuer d’être l’hippie bohème qui enrage Elise et Ivy et la Terre en entier et il va surtout continuer de soupirer, de plus en plus fort, quand les cheveux de Luc entrent agressivement (ouais, ça se peut) dans ses narines à chaque inspiration et qu’il grommelle un dégage dans la voix la plus douce qu’il peut. Goddamn qu’il voudrait une clope.

« Je crois qu’il s’est endormi au moment où tu as répété ‘chier’ trois fois de suite »
« J’ai fait un effort j’te jure y'a au moins six autres moments où je l’aurais dit. »

Les animateurs semblent reprendre du poil de la bête entre les rots et les tresses, entre les grands discours et les siestes. « C'est le moment ... » « ... deeeeees » « JEUX! » des jeux? Genre ils sont calmes là, c'est pas ça ce qu'ils veulent? « Sept maintenant. » 'chier.

Et c'est comme ça qu'il se retrouve debout devant tout le bus Jack, la mine fermée, quasi traumatisé. Lui à tenter de se tenir sur la rampe, un papier qu'on lèche pour le lui coller sur le front face écrite vers les gamins. Sûrement qu'ils se sont dit que vu son rot d'homme des cavernes d'avoir de la bave d'inconnus doublée de son lot de microbes transposés sur le front le dérangerait pas des masses. Ce qui est relativement vrai.

Si c'était que de lui il resterait là à faire acte de présence, à grogner des silences dans ses soupirs, à se demander si ça fera plus mal de se tirer par la fenêtre ou par la porte d'un bus en marche. Mais Colleen s'amuse et le caméraman a rien d'autre à filmer que leur jeu de devinettes ou le bush australien duquel il est lassé. Autant participer.

« Est-ce qu'il est né avant moi? »
« AHAHA NON C'EST PAS NOSFERATUS. » évident.
« Est-ce qu'il est moins chiant que toi? »
« Je sais pas mais il l'est moins que toi. » encore plus.
« Est-ce que c'est Baby Shark? »
« OUAaAAAaaaaIiiiiIs! » encore plus évident.

Un véritable calvaire, pas de l'avoir trouvé ni même d'avoir joué. Mais que les gamins se mettent à chanter la chanson en choeur comme des déchaînés.

Le calme s’était installé dans le bus, du moins temporairement. Luc dormait. Paloma prenait des selfies qu’elle postait sur son compte Instagram – #trop #top #wesh #cool #tresses #bellegosse #jepasseàlatélé #tropcélèbrelameuf #cameraswow #mercilavieillepourlestresses #genreelleaquaranteans #menteuse – tandis que James jouait calmement de son côté.

Apparemment le calme, ça ne leur plaisait pas trop aux animateurs. Alors que le binôme d’inconnu était enfin parvenu à restaurer un peu de sérénité dans le bus et commençaient à envisager une fin de trajet plus tranquille, ils choisirent cet instant précis pour ranger les téléphones portables et les lancer sur des jeux. Ni une ni deux tous se remirent à brailler dans tous les sens, leurs voix sifflant aux oreilles de l’Anglaise.

Contre toute attente, Jack joua le jeu. Il avait gagné le cœur des enfants, Jack, avec son rot, ses discours et sa grossièreté. Bien plus que Colleen qui avait dû se contenter de tresser les têtes de la moitié des gamines du bus. Elle ne s’en plaignait pas cela dit, quitte à choisir elle préférait son sort à celui de son coéquipier, qui se tenait dans l’allée de bus, bras ballants, un post-it Baby Shark sur le front. Le jeu des questions/réponses commença, et depuis la banquette sur laquelle elle était revenue, l’Anglaise s’en amusa beaucoup. Pour une fois elle était heureuse que les caméras soient là pour immortaliser ce moment, car elle savait déjà qu’elle se délecterait de le revoir plus tard sur son écran de télévision.

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Les gamins bondirent de leur siège et imitèrent la chorégraphie star qui avait enflammé les cours de récréation du monde entier pendant des semaines.

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Bien sûr, le sommeil de Luc n’avait pas pu résister à un tel vacarme, et le voilà qui s’agitait à nouveau, sous le regard désespéré de son mentor, Jack.

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Les gamins tournaient tous autour de Jack désormais. Il était devenu plus qu’un mentor, il était leur totem.

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Luc, toujours en quête d’un peu d’attention, se planta devant Jack et exécuta quelques gestes obscènes de très mauvais goût. Colleen jeta un coup d’œil aux animateurs ; apparemment, ça les faisait plus rire qu’autre chose.

Alors elle se lança, Colleen, dépassa sa réserve naturelle et vola au secours de Jack, qu’un nouveau nid de poule manqua de faire tomber. Puis elle prit sa place.

Ils ont soit l'air d'être en train de procéder à une incantation démoniaque qui va faire apparaître un esprit diabolique qui possèdera le corps du chauffeur le temps qu'il change la trajectoire et les amène directement au parc d'attractions, ou alors ils testent la patience de Jack parce qu'Ellie leur a tous fait parvenir une copie du formulaire d'inscription de son père où il est clairement inscrit que rien ne l'énerve. Foutaises.

Il cherche le regard de Colleen entre un Doo et un autre, elle est entourée de petites sbires aux tresses parfaitement symétriques qui rendent le tout bien trop procédural pour qu'il n'esquisse pas un sourire. Une secte, ils sont dans une secte, ou alors ils sont juste entourés de gamins à qui on a injecté du sucre par intraveineuse, du sucre qui ici a la consonance de la pire chanson de toute l'histoire de l'humanité qu'ils chantent sans fin comme si justement, elle n'en avait aucune de fin.

Et elle se lève, son alliée, son acolyte, la raison pour laquelle il ne s'est pas encore tiré par la porte ou la fenêtre - la porte ferait moins mal sur la chute mais la fenêtre lui permettrait de ne pas être suivi - et il lui sourit. Désespéré, entre épuisé et presque fou à lier, mais il lui sourit et ça suffit. Y'a un gamin qui lui grimpe sur le mollet à Jack, un autre qui tire les pans de son t-shirt, y'a une fillette qui le tapote de l'index dans les flancs et derrière les genoux, pour voir si là ça chatouille, ou si c'est là que ça chatouille le plus.

Il a une idée de génie aussi, grand con d'illuminé, quand il sprinte vers l'arrière du bus après avoir aidé Colleen à se stabiliser. Et non il l'abandonne pas, il va juste chercher son précieux ukulele, et revient aussi vite à ses côtés le temps de lui chuchoter à l'oreille son prochain plan, son méfait brillant : « À la Claire Fontaine ça calmait ma fille direct, elle devenait une tombe. On essaie? » et déjà, confiant, il entame l'intro au ukulele.

Colleen ne savait plus quoi faire. Elle était figée au milieu de l’allée de bus, quinze paires d’yeux fixés sur elle, les gamins se demandant probablement ce qu’elle avait l’intention de faire, la vieille. Elle n’en menait pas large. L’anticipation était à son apogée, la tension chargeait l’air en électricité. Mains crispées sur les sièges pour tenter de maintenir une forme d’équilibre, elle déglutit et fouilla le regard de Jack à la recherche d’une idée susceptible de plaire aux gamins. Parce que c’était bien beau de vouloir jouer les super-héroïnes en volant à son secours, mais si c’était pour subir le même sort… Elle aurait sans doute mieux fait de s’abstenir.

Puis, l’illumination. L’éclair de génie dans les yeux de Jack quand il revint muni de son fidèle ukulélé, celui qu’il était parvenu à dénicher sur une route lors de leur première semaine de compétition et qu’il n’avait plus jamais quitté depuis. Au début, elle jaugea l’instrument avec méfiance – elle chantait comme une casserole, et encore, elle était quasiment certaine que si l’on s’en servait comme batterie, la casserole pouvait sortir des sons plus harmonieux que sa voix. Mais quand Jack l’appréhenda et lui suggéra son idée, elle n’eut d’autre choix que d’approuver. Parce qu’elle lui faisait confiance, et aussi parce qu’elle n’avait de toute façon pas d’autre alternative. Alors elle s’éclaircit la voix, et se lança péniblement dans les paroles de la chanson, timidement d’abord puis avec plus d’assurance ensuite.

« A la Clairefontaine, m’en allant promener, j’ai trouvé l’eau si belle que je m’y suis baignée ». Les gamins du fond la regardaient d’un drôle d’air, certains riaient – Luc, aux éclats – mais loin de se laisser décontenancer elle haussa le ton de la voix. « Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai ! Sous les feuilles d’un chêne je me suis fait sécher, sur la plus haute branche un rossignol chantaaait ». Et le groupe, de reprendre en chœur : « IL Y A LONGTEMPS QUE JE T’AIME, JAMAIS JE NE T’OUBLIERAI ». C’était beau, les chœurs qui reprenaient le refrain. C’était poignant, cette complicité dans le bus. C’en était presqu’irréel…

Jusqu’à ce que Luc grimpe sur un siège et s’écrie : « A LA CLAIREFONTAINE, HIER APRES DINER, Y AVAIT TROIS CAPITAINES QUI M’ONT DÉSHABILLÉ ».

Et le groupe, de reprendre en chœur, sous l’œil épouvanté des deux partenaires :  « IL Y A LONGTEMPS QUE JE BAISE, JAMAIS JE NE T’OUBLIERAAAAAAAAIIIIII ».

Quatrième défi: