Les conditions de la seconde épreuve de cette semaine étaient claires : il nous fallait parcourir près de 400 kilomètres en deux petits jours seulement. Quatre heures et trente minutes de route en sollicitant les bons samaritains foulant le sol australien qui accepteraient de nous conduire jusqu'aux spas naturels tant conviés de Bédourie. En réalité, si je n'étais pas plus fan que ça de ce genre de détente, j'avais réellement envie de conserver ma place dans cette aventure et que Grace et moi arrivions aussi loin que possible dans cette expérience. Chaque jour sous le règne de Race of Australia rimait avec de riches découvertes, en particulier humaine, et comme je l'espérais, j'avais réellement le sentiment de me retrouver au sein de cette escapade. Au fil des soleils, il me semblait me munir de nouvelles armes pour appréhender mon retour à Brisbane et mon quotidien là-bas que je peinais à gérer, plus aisément.

Avec Grace, nous avions opté sagement pour redescendre un peu en pression au maximum. Certes, l'on ne pourrait certainement pas aller contre les sensations fortes extraites de la compétition même mais une fois le top départ lancé, nous préférions analyser soigneusement la carte à la recherche du meilleur point pour faire du stop plutôt que de se ruer dans la première direction. Finalement, cette stratégie nous avait sourit car en une journée et demi, nous avions parcouru les trois quart du parcours. Ryan nous avait embarqués pour les derniers dizaines de kilomètres qu'il nous restait et j'étais autant impatient que confiant quant à l'issue de cette nouvelle épreuve. Il me semblait que nous avions très bien géré, Grace et moi.

Mais le karma n'est jamais bien loin, n'est-ce pas ? Ryan nous annonçait à peine l'entrée de la ville comme le panneau jaune sur la route qu'un barrage imposant de police se dressait entre nous et notre arrivée. Mon rythme cardiaque commença à s’accélérer. Y avait-il une autre voie pour contourner ce barrage ? Comment se faisait-il qu'il y avait autant de flics pour une si petite bourgade ? Que s'était-il passé de si dramatique ? Il me semblait même percevoir une ambulance. A mesure que nous nous approchions, la police criminelle plaçait des petits panneaux numérotés sur les différents éléments qui agrémenteraient l'enquête qu'un photographe immortalisait soigneusement sous tous les angles et toutes les coutures possibles. Il me semblait reconnaître May à peine dix mètres au-delà de cette scène de crime. J'échangeais un regard avec ma partenaire de choc : "T'as des arguments pour convaincre la police de nous laisser passer ?" J'adresse un coup d'oeil à Ryan "Y'a pas d'autres voies vers Bédourie, j'imagine." Il hoche la tête en signe de dénégation, l'air profondément désolé.

“Toujours là quand on les attend le moins, ceux-là”, grince-t-elle entre ses dents en apercevant les voitures de police qui barrent la route. La scène est étrangement familière, la renvoie à l’année d’avant, alors que Gaïa et elle faisaient le mur par-dessus le balcon d’une fête alcoolisée d’adolescents pour échapper à un cambrioleur (ou meurtrier, elle n’a pas changé d’avis depuis) et aux policiers qui avaient bouclé le quartier. Elle l’a fait une fois, elle pourrait très bien le faire une deuxième ; seulement voilà, c’est plus facile en pleine nuit avec des bennes derrière se cacher qu’en grand jour dans le désert. “Elle est littéralement juste là”, râle-t-elle, envoyant une main rageuse en direction de May. “MANDY ! MERIEM ?” crie-t-elle. Aucune réaction : la blonde ne se retourne pas. Soit elle n’a pas de prénom, soit elle est très forte pour les ignorer. “...MATHILDA !” Toujours rien. “Excusez-moi, messieurs, on est en pleine émission, on va devoir franchir votre barrière. On connaît Molly là-bas. La blonde.” Grace perd patience, les flics la regardent d’un air interrogateur et, soyons honnêtes, franchement je m’en-foutiste : il est temps de passer à l’étape suivante.

“Excusez-moi, monsieur l’officier ?” minaude-t-elle, au comble du dégoût qu’elle s’inspire à elle-même. “C’est que… Je ne sais pas ce qui s’est passé, exactement, et je suis désolée - personne n’est mort, au moins ? Mais voilà, j’ai quelque chose de très important à aller faire à Bédourie et je...il n’y a pas d’autres routes, n’est-ce pas ? Oh, je suis confuse. C’est que, voyez…” Elle attrape le bras d’Isaac, se cramponne à lui comme un bernard l'hermite : “Mon amant et moi...voulons fuir la ville. Ma femme est folle, monsieur l’agent. Je suis sûre que vous connaissez ça, les femmes folles ?” En appeler aux vieux clichés. “Bref, elle nous a surpris, et elle a menacé de… Oh, c’est horrible… Elle a menacé de nous brûler vifs, monsieur l’agent. Vous imaginez, ça ? Brûlés vifs ! Je comprends sa colère, son désarroi, j’ai péché, je l’admets. Mais mon amour pour...Paul...me consume déjà. Et il faut que nous partions d’ici pour garder la vie sauve. On essaie de rejoindre Bédourie, se réfugier chez ma mère… J’ai déjà fait toutes les courses, pour ma pauvre mère malade. Elle est victime d’une fascite nécrosante, en fait, ma pauvre maman, sa jambe pourrit, vous imaginez.” Elle est tout à fait à l’aise dans le rôle de Linda éplorée aux bras de Paul avec une maman lépreuse. “C’est une rare condition, mais elle ne peut plus faire grand-chose seule. Elle a besoin de nous. Elle ne mange déjà que du yaourt, et le yaourt, c’est bien, mais ça descend vite. Il faut absolument qu’on lui achète du yaourt. Les épiceries ferment à dix-huit heures, en plus, à Bédourie. Vie de chien, vous pensez pas ?” Elle secoue la tête, claque une main contre son flanc en signe de désespoir. “On se refera pas, hein. Mais comprenez, monsieur l’officier, que Martin… Paul... et moi, nous voulons juste aller l’aider. Et fuir mon ex, bien évidemment. Qui sait ce qu’elle ferait à ma pauvre mère si elle la trouvait ? Mon dieu ! Je n’ose même pas imaginer.”

La fatigue est déjà lisible sur les traits tirés du pauvre gars, qui les contemple comme un duo de demeurés. Elle tente le tout pour le tout, visiblement agitée : “VITE, MONSIEUR L’AGENT. ELLE VA ARRIVER AVEC UN BRIQUET ET DE L’ESSENCE ET VOS VOITURES BRÛLERONT ELLES AUSSI.” Evidemment, le mec ne marche pas. Il leur adresse un coup de tête désespéré : “Rentrez chez vous ou on vous embarque.” Elle ne trouve rien de mieux à faire que de se détourner, l'air vaincue, pestant silencieusement entre ses dents : “Putain ! Je suis sûre que c'est pour un nid de poule dans la chaussée, en plus. On fait quoi, maintenant ?”

défi : faire 300 mots d'excuses pourries pour contourner le barrage

“Toujours là quand on les attend le moins, ceux-là,” j'entends ma binôme pester, son caractère franc laissant naître spontanément un sourire sur mes lippes. “Elle est littéralement juste là” la photographe poursuit, tandis que résigné quant au fait qu'il n'existe pas d'autres chemins pouvant nous mener à Bédourie par la route, si ce n'est que peut-être effectuer un très large détour qui retarderait de toute façon beaucoup trop notre conducteur généreux pour oser le lui soumettre, j'ouvre la portière en vue de sortir de l'habitacle du véhicule. "Merci beaucoup pour tout, Ryan," je lui adresse, sincèrement reconnaissant.

J'inspire profondément, considérant la scène digne d'un polar américain qui se dresse devant nous. La chaleur ne manque pas de me happer et j'ai vraiment l'impression qu'il n'y a aucune impasse. Les moyens humains des forces de l'ordre déployés dans le cadre de ce qui semble être un accident générant une enquête poussée sont conséquents et à chaque mètre se trouve une âme capable de nous interpeller et nous renvoyer illico presto dans la direction opposée de celle où May se tient. Même pas la blonde semble désirer nous aider, alors que je suis persuadé qu'elle a bien vu que nous étions dans le pépin à une pauvre dizaine de mètres d'elle. Soudainement, je me demande si je ne suis pas frustré envers l'animatrice autant que l'est Josh habituellement. “MANDY ! MERIEM ? MATHILDA !” Grace vocifère et même pas je la rectifie bien que je connaisse le vrai prénom de la croqueuse de stars.

Grace opte pour négocier avec un représentant de l'ordre. Après tout, autant jouer franco vu qu'il me semble difficile de passer sans être captés. Et peut-être se montreront-ils compréhensifs, surtout qu'il y a quelqu'un que l'on connaît plus ou moins de l'autre côté de ce barrage de policiers... “Excusez-moi, monsieur l’officier ?” Son intonation est tellement différente que je voue un regard bref à mon acolyte, impressionné. Allez, Grace, joue de ton charme. De nous deux, c'est toi qui a ce talent. Je me transforme en son amant, la rescapant d'une épouse névrosée. Je hoche la tête gravement, prenant un air traumatisé, lorsqu'il est question des éventuelles menaces proférées par l'imaginée femme folle. J'acquiesce avec amour lorsqu'elle me prénomme Paul, je reprends un air accablé lorsqu'il est question de ma nouvelle belle-mère malade, appréciant tout de même les conditions médicales auxquelles Grace songe spontanément. “On se refera pas, hein. Mais comprenez, monsieur l’officier, que Martin… Paul... et moi, nous voulons juste aller l’aider. Et fuir mon ex, bien évidemment. Qui sait ce qu’elle ferait à ma pauvre mère si elle la trouvait ? Mon dieu ! Je n’ose même pas imaginer.” J'adresse un regard faussement indigné à ma partenaire lorsqu'elle se trompe de prénom, jugeant qu'ainsi, elle passerait tristement pour la femme aux nombreux amants. Le gendarme en face de nous nous fixe avec des yeux ronds comme des soucoupes, tant que j'envisage de lui demander s'il comprend l'anglais. Grace lui met la pression et finalement, la prestation est vaine : “Rentrez chez vous ou on vous embarque.” Ma coéquipière se détourne, j'ai l'impression de plus en plus qu'on pourrait être dans un film avec toutes ces scènes rocambolesques. “Putain ! Je suis sûre que c'est pour un nid de poule dans la chaussée, en plus. On fait quoi, maintenant ?” “Attends, j'tente un truc,” j'annonce en marmonnant, notre discussion destinée à être inaudible au gendarme.

“M'sieur l'agent, j'suis vraiment désolé, mais...” Je retiens ma respiration, fronce exagérément mes sourcils, question d'avoir la voix qui se casse et les larmes qui montent aux yeux. Un peu de rougeur, tant qu'à faire, ça aide, non ? “C'est qu'on peut pas vraiment rentrer chez nous...” Mes sourcils sont devenus de vrais pentes de ski, mes yeux larmoient, mon souffle est de plus en plus vague. Je sais pas pleurer sur commande mais je tente tout, quitte à me pincer sauvagement en secret en plongeant ma main dans la poche de mon short. “On a nulle part où aller... On ne peut pas aller chez moi parce que... Ma maison a brûlé.” Sur une échelle de 1 à 10 de crédibilité, ça doit bien être à 16, non ? En conséquence je pince férocement là où ça fait très mal spontanément et elles apparaissent, mes larmes. Qu'est-ce que j'ferai pas pour ROA. “Ma famille à moi, elle a brûlé dans cet incendie et c'est pour ça que sa femme veut nous consacrer le même sort. C'est par cruauté, c'est la femme la plus mauvaise que le monde ait jamais porté. C'était p'tet sa vengeance même, cet incendie criminel qui m'a rendu veuf. Il n'y a que Marilyn ma belle-maman qui nous comprend et vous savez, on dit toujours que les meilleures partent en premier et Marilyn, même si son âme est des plus bonnes, elle reste malade et elle a besoin de nous... Comme nous, nous avons besoin d'elle... J'vous en supplie, M'sieur l'agent, ayez pitié de nous... On en bave vraiment et on a besoin de se retrouver pour se serrer les coudes contre ces rudes épreuves de la vie... On a besoin de Marilyn et elle a besoin de nous... Il nous faut aller à Beroudie...” J'ose un coup d'oeil vers May souverainement indifférente. Les larmes roulent sur mes joues mais Geoffrey s'en fiche prodigieusement. Plutôt, il beugle : “JE VAIS VOUS TROUVER UNE PLACE EN TAULE SI JE VOUS REVOIS.” J'entraîne doucement Grace par le bras, réduisant la distance entre nous et le policier.  “Bon, on trouvera p'tet un autre chemin malgré tout... Viens, on fait un p'tit tour, on réfléchit à autre chose...”

Spoiler:

Fair-play, on avait pourtant dit, mais voilà que Grace, après avoir usé de son handicap pour attirer la sympathie des automobilistes, se retrouve à vendre une ex folle et une mère en train de mourir d’une pourriture interne aux flics pour qu’ils les laissent passer. Evidemment, le jeune homme qui sécurise la zone ne laisse pas ça passer - la scène a tout l’air d’une clôture entière du quartier pour éviter que quelqu’un s’échappe, pas question ainsi de laisser passer qui que ce soit. Ce qui a sûrement ses raisons pleinement logiques, légales, et tout ce que vous voulez de rationnel, mais Grace n’est prête à en accepter qu’une, et elle tient en un acronyme de quatre lettres de l’alphabet : ACAB. “Je suis sûre que Greg aurait su quoi faire, lui. Tu veux pas te faire passer pour un flic et dire que t’as une autorisation pour traverser ou autre ? Si on fait semblant d’être parmi les leurs, ils nous laisseront bien passer. Oh ! Ou alors je dis que j’ai des contractions après un déni de grossesse. Si tu veux, on peut même garder le rôle des amants pour la continuité logique…” Oui, la fameuse continuité logique. Grace désespère, maintenant, plus que jamais : son incroyable baratinage n’a jamais pris avec les flics, principalement parce qu’elle les méprise trop pour bien le cacher, et s’ils n’ont pas ça, il va falloir qu’Isaac redouble de créativité. “Attends, j'tente un truc.” Et, spontanément, il le fait.

Elle reste un pas en retrait alors qu’Isaac retourne vers l’agent, presque certaine qu’il n’hésitera pas à lui foutre les menottes si elle l’approche de trop près une nouvelle fois. Elle reste alors à distance idéale pour entendre sans avoir à participer : “M'sieur l'agent, j'suis vraiment désolé, mais...” La voix d’Isy craque. Et Grace elle-même, pourtant complice, revêt un air soucieux, concerné par sa tristesse. Putain, c’est qu’il est bon, le bougre. Elle est presque triste pour Paul et Linda quand faux-Paul annonce que sa maison a brûlé. Et tant mieux, se dit-elle en remarquant son propre air soucieux : ça donnera du corps à sa performance, si jamais il la regarde. “Qui sommes-nous, sans Marilyn ?” ose-t-elle même alors que le flic risque un oeil en sa direction. Il la fusille du regard et elle lui renvoie un air tout aussi outré. “JE VAIS VOUS TROUVER UNE PLACE AU TAULE SI JE VOUS REVOIS.” Le mec bouge pas. Et comme il n’a pas l’air de vouloir être clément, Grace s’autorise à faire un geste rageur du poing de haut en bas, une espèce de punition masturbatoire qui a tout du va te faire foutre, sale bleu.

“MEREDITH !” crie-t-elle une dernière fois à l’intention de la présentatrice, au cas où. Celle-ci, toujours royale, ne répond pas. “Et merde !” qu’elle désespère, maintenant convaincue qu’ils vont rester bloqués ici. “On fait quoi ? On peut essayer de faire le tour ?” Elle pointe du doigt un pâté de maisons à une petite centaine de mètres de la route principale. “On n’a qu’à passer derrière les maisons et faire le tour, en espérant que ce soit pas clôturé de l’autre côté…”

“Qui sommes-nous, sans Marilyn ?” enchérit Grace et pour ajouter du dramatique à toute la situation, de la crédibilité ou dieu sais-je parmi toutes ces larmes qui roulent le long de mes joues rougies par le soleil, la course, l'émotion, la douleur, j'entremêle mes doigts à ceux de la main valide de la photographe, la portant amoureusement contre notre coeur. Mais quel duo fait-on, m'sieur l'agent. Lui, en tout cas, c'est un sans cœur qui nous envoie directement en prison sans passer par la case arrivée si on s'évertue à agiter de l'air devant lui. Grace lui fait comprendre à sa manière qu'il est un sale specimen, je l'entraîne un peu plus loin avant que nous sommes arrêtés pour manque de respect envers un représentant de l'ordre.

Il est temps de penser autrement, prendre du recul, obtenir une vue d'ensemble... Songeur, je recule de quelques pas, quitte à m'éloigner aussi de ma partenaire. Ce n'est pas possible, ce serait vraiment un terrible gag de finir dernier parce qu'un barrage de policiers nous a bloqué l'accès à Béroudie à dix mètres même d'où se situe l'animatrice. “MEREDITH !” “Tu crois qu'on peut obtenir quelque chose de la production en divulguant le fait que May ne soit pas venu à notre secours alors qu'on était injustement menacé de finir en prison par des policiers ? La production est pas sensé veiller à ce que ça se passe bien pour leurs candidats ?” Soyons procéduriers un moment... Bien qu'il n'est pas question de vengeance ou de rancune ici mais de dénicher un moyen de passer au travers cette scène de crime sans finir emprisonnés. Je considère l'étendue du territoire condamné pour analyse délimité par des bandes jaunes.

“Et merde ! On fait quoi ? On peut essayer de faire le tour ?” J'acquiesce, persuadé qu'il n'y a pas d'autre façon de se sortir de cette situation. “On n’a qu’à passer derrière les maisons et faire le tour, en espérant que ce soit pas clôturé de l’autre côté…” “Tentons... De toute façon, je crois bien que c'est bloqué, là... Puis peut-être qu'on nous voyant partir, ils baisseront leur garde si jamais on trouve pas d'autres issues...” Non sans offrir à May un regard assassin, je me détourne et nous nous orientâmes vers les maisons à quelques mètres. Bientôt, une conjecture se dessine : “Cette maison là, t'as vu le terrain qu'elle a ? C'est sûr qu'on peut passer tranquille jusque de l'autre côté du barrage de flics !” L'enthousiasme est là, mais le potentiel de réussite... Beaucoup moins... Un mur en béton se dresse devant nous, en PARFAITE condition - aucune faille pour le gravir. “J'essaie de te faire la courte échelle ?” Une tentative, deux tentatives... L'entreprise rime avec impossible. “Attends, j'ai une idée,” j'annonce en me frottant les mains. Je glisse une poubelle devant le mur, la couche au sol. “Recule-toi,” je préviens, prenant de la distance. J'échange un regard avec Grace, comme s'il s'agissait peut-être de mon premier, assurément aucune rassuré quant à ce que je compte faire. “Encore un p'tit peu,” je la convie. Autant qu'il y ait un survivant. Et quand la photographe est hors de danger, je pique un sprint, saute sur la poubelle, rebondis, m'aggripe au rebord du mur. “Yes, yes, yessssssssss !” Lire autant de réjouissance que de souffrance, ici. Je me hisse non sans peine à bout de bras sur le jardin et roule dans l'herbe ô combien humide - étrange. Une odeur désagréable arrive vite à mes nasaux et bien vite, je découvre un énorme molosse hybride ours-doberman-dinosaure. On se regarde dans le blanc des yeux quelques secondes, mon coeur a cessé de battre, j'admire ses dents acérés au travers de son haleine putride et j'évite le coup de mâchoire de justesse. “Non non non non non non non ! Laisse-moi ! Gentil ! Mignon !” Il aboie si fort que même mes tympans ont mal. Je glisse ma main dans mon sac à dos. “Tiens ! Tiens ! Bouffe ! Avale ! Croquettes !” Et j'ai beau courir pour essayer de trouver une issue, il me traque le saligaud et y'a aucun moyen que je l'emprisonne quelque part pour remonter Grace à mon niveau. “C'EST PAS POSSIBLE C'EST PAS POSSIBLE !” Ça aboie, encore et encore, incessamment, j'ai perdu des bouts de pantalons, mon espérance de vie réduit à chaque seconde passée sur cette pelouse et quand j'aperçois une silhouette au loin, je saute du haut du mur pour rejoindre le niveau où se trouve mon binôme sans penser aux conséquences.

Spoiler:

“Tu crois qu'on peut obtenir quelque chose de la production en divulguant le fait que May ne soit pas venu à notre secours alors qu'on était injustement menacé de finir en prison par des policiers ? La production est pas sensé veiller à ce que ça se passe bien pour leurs candidats ?”

“Ah, c’est May, son nom ?” Je vous avais bien dit qu’on y arriverait ! “Je sais pas”, fait-elle pour toute réponse en haussant les épaules. “Si ça se trouve, elle fait ça exprès pour ajouter du challenge et c’est compris dans le script…” Ou alors elle est vexée parce que Grace lui a donné cinquante prénoms différents sans le moindre scrupule ni respect. Honnêtement, et sans vouloir être mauvaise langue, cela dit, Grace n’en attendait pas tellement mieux des flics. Elle n’a jamais vraiment eu mieux de leur part, au demeurant ; ni elle, ni son frère aîné, pas plus que sa belle-famille et son côté anarcho-branleuse n’a jamais été au goût des forces de l’ordre, ni en manif ni ailleurs. Ne pas compter sur leur clémence, donc, surtout pour quelque chose qui semble un tant soit peu sérieux. Ca valait le coup de tenter, parce qu’on ne savait jamais, mais la solution lui semblait un échec en avance et elle déteste se rendre compte qu’elle avait raison (à moins que ce soit la faute de ses excuses de merde). Ne leur reste qu’une seule solution, donc : faire le tour, regagner la route derrière le barrage et retrouver May là-bas. Espérer donc que tous les chemins mènent à Bédourie (de toute façon, elle doute que la ville soit si grande qu’ils passent complètement à côté en parcourant quelques centaines de mètres en parallèle de l’axe principal), remercier leur chauffeur chaleureusement mais rapidement et rejoindre la place qui leur revient de droit : juste à côté de Mia (promis May si tu lis ça, elle se rapproche du but). D’autant que la blonde est toute seule et que ça ne peut signifier que deux choses, dont une extrêmement positive : soit tous les autres binômes ont été bâillonnés et tirés à l’écart comme lors de la première semaine, soit ils sont tout simplement premiers.

“Cette maison là, t'as vu le terrain qu'elle a ? C'est sûr qu'on peut passer tranquille jusque de l'autre côté du barrage de flics !”

Ils ont donc amorcé le trajet, d’abord lentement, au cas où May les remarque enfin, puis plus vite en estimant que c’était peine perdue : un mur se dresse maintenant devant eux, bien plus réceptif que les flics et la prod réunis. Grace accepte la courte échelle, a du mal à prendre appui avec son pied le moins souple, abandonne finalement. “Attends, j'ai une idée,” signale le jeune homme à ses côtés. Elle obtempère et se recule, profitant de la pause pour prendre une gorgée d’eau. Elle manque de la recracher aussi sec quand le jeune homme, en mode parkour, prend élan puis s’appuie sur la poubelle pour grimper au mur. “D’accord, pas de problème, Spiderman”, souffle-t-elle, impressionnée. Grace, elle, se contente d’essayer de grimper sur la poubelle - pas plus concluant. “Hé, m’abandonne p-” elle n’a pas le temps de finir que les cris de son binôme l’alerte, en concert avec des aboiements. Et le chien est plus gros que Daisy, pour le coup. “ISY ?” qu’elle braille maintenant, regardant de tous côtés pour apercevoir une possibilité d’échappatoire. Pas le choix : Grace fouille son sac et en sort les quelques cupcakes qu’il leur restait pour balancer au molosse et laisser à Isaac une possibilité de s’échapper. “EH TOUTOU ! BOUFFE ! GENTIL !” crie-t-elle au chien. Ca lui laisse le temps pour attraper le bras d’Isaac et l’aider à redescendre du côté sauf du mur. “...Je lui ai balancé nos trois cupcakes au cannabis”, avoue-t-elle, visiblement plus endeuillée qu’inquiète pour le chien. “Ca va ? Il t’a fait mal ?”

Quelques minutes en suspens, en sortie de l'enfer canin. Désorienté, je demeure sur pause, incapable de déterminer si je suis décédé ou encore en vie. “...Je lui ai balancé nos trois cupcakes au cannabis” Puis, il y a la voix de Grace qui m'atteint avec cette dure nouvelle, m'indiquant qu'il y a de fortes chances pour que j'appartienne encore au commun des mortels avec tout les déboires qu'il nous réserve. Je cligne des yeux à de multiples reprises, éberlué, et commence : “On... On... On...” Je scelle mes lèvres, les bégaiement n'apporteront rien de bien et si je continue ainsi, j'vais articuler une quantité faramineuse de "On" sans intérêt. “On n'peut pas passer par là.” Captain obvious au rapport. J'attire mon sac vers moi, me relève en m'appuyant au mur de béton. “J'espère que les gâteaux étaient détestables,” je rumine. “Ça va ? Il t’a fait mal ?” Je balaie les zones de mon corps devant mes yeux, comme en vérification de routine : “Ça va. Rien d'cassé,” j'annonce, triomphant, ne pensant pas à ma dignité en lambeaux.

Je m'assis sur la valeureuse poubelle, saisis ma gourde d'eau pour me désaltérer après avoir frôlé de contracter la rage. “Bon, nouveau plan de match,” je commence, mon sac à mes pieds. Une boussole, une carte nous sommant de parcourir un trop grand nombre de kilomètres pour atteindre Béroudie autrement. J'émets un rictus, jette un coup d'oeil au ciel, tente de deviner l'heure par ce biais. Ce serait dommage d'être au point mort dix mètres devant May. “Si c'est vraiment écrit dans l'script, ils sont cruels,” je commente, mais bon, on nous avait bien menti sur l'issue de la précédente épreuve. “Et si on tentait par là ?” Je désigne un petit chemin à l'ouest, entre deux maisons. J'ignore où ça peut nous mener, mais avec un peu de chance, peut-être nous permettra-t-il de contourner le barrage de police ?

Se délester des cupcakes gentiment offerts par Paul et Linda (dont ils se sont décidément beaucoup servis aujourd’hui) semble un moindre mal face au fait de sauver la vie d’Isy qui risque potentiellement de finir bouffé par un chien, mais Grace les abandonne avec un petit pincement au coeur : c’était là leur seul souvenir du couple, un souvenir mangeable et vachement bon de surcroît, et le fait que cette bonne nourriture finisse dans le ventre d’un molosse, tout féroce soit-il, ne lui fait pas plaisir outre-mesure. Elle arrive quand même à hisser Isy de son côté, et le jeune homme a toujours tous ses doigts et orteils lorsqu’il reparaît. “On n'peut pas passer par là.” Il tient cependant à l’informer des dangers qui se situent de l’autre côté de la barrière. “Ben t’es sûr ? Il a l’air sympa pourtant !” raille-t-elle, un rien affolée. Un rapide check-up visuel lui confirme qu’aucune blessure grave n’orne le corps du jeune homme. Ce dernier confirme lui-même qu’il n’a rien de cassé, et elle se sent un peu coupable de l’avoir laissé passer premier : “Merci d’avoir tenté, en tout cas.”

Maintenant, cela dit, aucune issue n’est disponible, à moins de rentrer et de traverser le jardin d’une personne habitant le quartier, ce qui semble tout aussi illicite, mais quand même fichtrement moins dangereux que d’aller servir de bouffe au piranha-chien. “Tu crois que je devrais prévenir ses proprios ?” s’enquiert-elle quand même, repensant aux trois cupcakes. Ils décident finalement que non, Isy pointe du doigt un chemin entre deux maisons, un peu plus loin, et Grace se maudit de pas l’avoir vu plus tôt. “Bonne idée. Et si on se fait choper, on dira que t’es blessé. Ils seront obligés de nous conduire à la prod.” Pourquoi ne pas le faire directement, plutôt que de tenter un nouveau chemin sûrement rempli de scorpions ou de caniches enragés ? Qu’importe : sur les talons d’Isaac, Grace traverse à toute vitesse le chemin, espérant ne pas se faire choper par des propriétaires, et pique le sprint de sa vie (aux alentours de 7km/h) pour rejoindre l’autre côté du barrage. Bingo : le barrage n’est plus très loin. Et lorsqu’ils retrouvent les abords des voitures, c’est cette fois du bon côté.

“HE HO ! ON EST AVEC RACE OF AUSTRALIA !” braille-t-elle à l’intention de l’équipe de tournage qui accompagne Maddison (un pas en avant, trois pas en arrière). Les flics se tournent bien sûr avant eux. Et, en particulier, le fameux Geoffrey.

“Ben t’es sûr ? Il a l’air sympa pourtant !” Le regard que je dédie à mon interlocutrice relève de terreur, incrédulité, confusion et plaisanterie. “Merci d’avoir tenté, en tout cas.” Un rire franc file entre mes lippes : “A ton service.” Je fronce les sourcils, réalisant soudain. “Hé ! Grace !” Je l'observe, l'air sinistre. “Tu t'rends compte un peu le niveau de mon karma ? Après les bagnoles qui s'arrêtent jamais pour moi... Ici, ça fonctionnait pas de t'aider à y aller en premier. En fait, t'as le destin dans la poche.” Je lui adresse un sourire amical et taquin. “Tu crois que je devrais prévenir ses proprios ?” “Tu rigoles ?! T'as pas vu la bête féroce. Jamais de la vie tu t'en approches.” Me voilà protecteur envers mon acolyte, désormais.

Si proche du but et pourtant si loin, jamais n'aurais-je aussi bien ressenti tous les tenants et aboutissants de ce terrible adage. Elle nous observe de loin, May. Désormais, je suis persuadé qu'elle nous a reconnu, qu'elle sait pertinemment que nous sommes des participants de son émission télévisée, mais qu'elle en a strictement rien à cirer. De toute évidence, se faire incarcéré ou dévoré par une espèce de chien hors norme n'a rien allant à l'encontre des clauses du contrat. Pourtant, lorsqu'elle prévenait qu'un souci de santé pouvait nous disqualifier sans cérémonie, je l'avais cru plus soucieux de notre survie.

Je démontre finalement un autre chemin, entre deux propriétés, d'apparence envisageable et sans danger. “Bonne idée. Et si on se fait choper, on dira que t’es blessé. Ils seront obligés de nous conduire à la prod.” “Ca marche !” J'annonce, plein d'entrain, me sentant quasiment invulnérable et sans limite après ces multiples péripéties à seulement dix mètres de Béroudie, rappelons-le. Plus jamais j'y mettrais les pieds, cette bourgade est maudite.

Sournoisement, silencieusement, l'on s'aventure dans le chemin qui ne nous réserve étonnement pas d'embûches. Au bout de quelques minutes, on aperçoit le bon côté de la route, la localisation tant désirée pour atteindre l'entrée de Béroudie et enfin marquer un arrêt à cette épreuve à la fin infernale. “HE HO ! ON EST AVEC RACE OF AUSTRALIA !” hurle Grace à l'attention de la production, nos arrivées toujours aussi catastrophiques. Je tire sur mon sac en sentant quelque chose m'attirer en arrière - une vision de molosse m'assaille -, lorsque la pression se fait plus forte, je tire rageusement afin de m'en débarrasser et finalement je fais face à cet élément perturbateur qui s'avère tout bonnement être Geoffrey, accompagné de ses compères. L'un tapote une matraque contre sa paume en excellent stéréotype, mon regard se tourne vers le représentant des forces de l'ordre le plus proche et j'ai à peine le temps de déglutir et d'être aveuglé par l'éclat du soleil contre le métal briqué d'une paire de menottes, que je me retrouve plaqué au sol, un genou contre mon dos, les bras tirés en arrière quitte à m'en rompre les tendons. “Vous êtes en état d'arrestation pour entrave à la justice !”

Le moment de délivrance approche. Le moment où ils pourront enfin faire un pied de nez aux flics en leur filant doucement juste sous les yeux, rejoignant leur émission protectrice sans que ceux-ci ne puissent rien y faire. Du moins, c’est ce qu’elle aurait espéré, et qu’elle souhaitait de tout son coeur. En réalité, au final, ça ne se passe pas du tout aussi bien : May les ignore une nouvelle fois, de même que toute l’équipe de production qui est présente avec elle à la ligne d’arrivée, et laisse les flics les capter avant qu’ils ne puissent se défendre. Immédiatement, face à Geoffrey, Grace se raidit, déjà prête à sortir les poings et possiblement à se faire taser. Tandis qu’un premier flic tapote sa matraque contre sa paume, Geoffrey immobilise Isaac au sol et le menotte. “Vous êtes en état d'arrestation pour entrave à la justice !” Le flic à la matraque s’approche d’elle pour lui faire subir le même sort et elle a à peine le temps de vainement crier “JE SUIS HANDICAPEE !” que son destin est déjà scellé. Elle en reparlerait à Isaac, lui qui disait qu’elle l’avait dans sa poche…

“Par contre, le genou sur le dos, vous êtes obligés ? Je sais même pas courir, vous voulez que je fasse quoi ?”

Elle se fait relever sans ménagement par le grand gars, et amener vers la voiture de flic la plus proche. A côté d’elle, Isaac suit, ainsi que les cameramen et l’infirmier qui ont du subir le même sort. Heureusement, les voitures censées les emmener se trouvent plus près de la ligne d’arrivée que l’inverse. “MAAAAAYYYY !” balance-t-elle alors dans un élan de lucidité et cette fois, enfin, ça marche. “Ecoutez-nous ! On essaie de passer depuis tout à l’heure et ces vieux rustres veulent nous coffrer !” Et vieux rustre, encore, c’est gentil, mais le mec n’a pas la main très douce et elle ne veut pas le provoquer davantage. Enfin, la prod se tourne vers leur petit groupe, et Grace voit ça comme l’occasion de les amadouer : “Non mais s’il vous plaît ! Vous avez vu le foin qu’ils font pour nous laisser passer ? C’est parce qu’on est candidats de télé-réalité, c’est ça ? Parce que si c’est ça, c’est franchement con ! Vous non plus vous aimez pas qu’on stigmatise votre profession, ayez un peu d’empathie, merde !” Geoffrey souffle du nez pour montrer son indifférence et Grace se débat comme un esturgeon nain dans les mains d’un pêcheur habile. Elle lance à la production : “Dites-leur, s’il vous plaît. Dites-leur qu’on est avec vous, sinon y a un certain poing qui va finir dans certaines parties et je veux pas spoiler, mais jusque-là ça n’a fait kiffer personne.” Elle en est presque à grogner, cette fois-là. La prod échange des regards impuissants et surpris tout à la fois : ils n’ont pas dû avoir à régler ce genre de situations si souvent que ça. La photographe s’énerve de leur inactivité : “Mais merde, y a bien un truc que vous puissiez faire ! C’est pas normal de nous forcer à balancer des cupcakes à des chiens pour pouvoir contourner un barrage de policiers alors qu’on est à littéralement cinq mètres de la ligne d’arrivée !”

On les détache, enfin, mais ce n’est pas sans moultes négociations et explications de la part de la production, toute aussi confuse qu’embarrassée par les énergumènes qu’ils se trimballent. Je vous l’avais dit, fallait nous secourir avant, pense une Grace pas du tout désolée, qui se masse le poignet droit, le plus rigide. Goûtant enfin à la liberté, elle jette un regard de connivence à May : “Allez, avouez Meredith, c’était fait exprès.”

défi: supplier la prod de prendre la défense du duo devant les flics qui veulent les arrêter