Pourquoi il répond pas ? C'est la question qui te repasse sans cesse en tête depuis les dernières minutes. Il répond pas parce qu'il rage trop. Tu devrais le savoir, mais toi toit ce que tu as en tête c'est qu'il répond pas parce qu'il tiens la main de votre fils mourant. Ouais, t'es un peu timbré. Tu perds ta logique quand c'est question de ton fils, ton bébé qui n'en est plus un depuis longtemps. Ça aussi tu devrais t'en souvenir. Cosimo reste tout de même le seul à vous unir, Saül et toi, le seul pour qui vous continuez de vous ignorez juste pour préserver cette famille encore un peu plus. Alors, franchement, mis à part qu'il soit arrivé quelque chose a Cosimo, tu me vois pas ce qui pourrait y avoir d'autre d'urgent, ce qui donnerait envie à Saül de te voir. Il fait que ça s'arranger pour ne pas être là quand toi t'es là. Et c'est très bien comme ça. Repousser l'inévitable le plus longtemps possible.

C'est dans un fracas que tu passes la porte de votre maison. Il est là Saül, installé sur l'une des chaises de la table de cuisine. Il est là et il dit rien. C'est ce silence qui glace le sang qui reigne dans votre demeure, celui que tu reconnais tout de suite quand tu sais qu'il faut juste que tu te la fermes, que ça ne sert à rien de dire quelque chose. C'est la merde assurée. Tu le vois dans son regard, mais tu t'écoutes pas, idiote. « Quoi ? » Et t'es bête en plus. « Saül, tu peux pas juste me dire qu'il y a quelque chose d'urgent et arrêter de me répondre. » Et tu perds patience en plus. Tu comprends pas trop ce qui se passe, mais c'est rien de grave si on veut. Il est pas triste. C'est pas Cosimo. Il est fâché. C'est toi. Tu as oublié quelque chose ? Franchement, tu vois pas. « Qu'est-ce que tu as à me reprocher ? Ça fait des semaines que tu m'ignores... » Comment pourrait-il t'en vouloir pour quelque chose, alors que vous vous côtoyer à peine ? Tu as presque envie de rouler les yeux, te disant qu'il cherchait des problèmes là où il n'y en a pas. Tu te dit qu'il a lâché le mot urgence juste pour que tu fasses ce qu'il voulait dans un délai raisonnable. Tu te dit bien des choses Elise, mais tu es complètement à côté de la plaque. Toi qui te croyait bien plus maline que lui, tu ne l'es pas du tout.

@saül williams

Ce devait être rapide. Juste un saut dans cette maison qu'il déserte de plus en plus, de mieux en mieux, pour attraper des papiers importants laissés dans le bureau. Juste ses mains qui traînent, un "hum" vaguement lâché dans les airs, un soupir en mettant la main sur le Saint Graal, et puis retour au bercail. C'est qu'il a laissé la carte postale dans un tiroir, Saül, par dessus des dossiers bien rangés. Fichier rouge, fichier bleu et puis ficher vert - et la carte, jaunie par le temps. Une vieille carte de la place Vendôme. Elle n'a pas sa place dans un tiroir, elle serait mieux ailleurs.
Elle sera mieux ailleurs.

A côté du bureau, il y a cette chambre, que Saül ne partage plus vraiment avec Elise. Son dos n'apprécie pas vraiment la manière avec laquelle il persiste à occuper le canapé de la seule pièce qu'il a vraiment plaisir à habiter dans la maison. Il y a toujours la cuisine, cela dit. Toujours est-il qu'au pied du lit, il traîne un morceau de tissu qui ne lui appartient pas, ne pourrait pas lui appartenir. Pas à Cosimo non plus, certainement pas. Ce sont des petits morceaux qui s'empilent, dans son esprit égaré. Des petits morceaux qui forment un joyeux puzzle, quand il en attrape toutes les pièces et qu'il s'attable, un verre d'eau à la main, dans la cuisine. Quand il repose son téléphone sur la surface froide du plan de travail, Elise est en chemin.

« Quoi ? » Les bras croisés, Saül observe Elise, qui se tient à l'autre bout de la pièce. « Saül, tu peux pas juste me dire qu'il y a quelque chose d'urgent et arrêter de me répondre. » « Tu ne serais pas venue autrement. » Et c'est qu'il a autre chose à faire, Saül, que de traîner de trop par ici. Justifier ses absences par le travail n'est plus suffisant, maintenant. Pas après la rencontre chaotique qui a eu lieu l'autre soir. « Qu'est-ce que tu as à me reprocher ? Ça fait des semaines que tu m'ignores... » Les yeux de l'italien vont d'elle à la bouteille de gin à l'érable trouvée, vide, discrètement mise de côté. Elle que Saül laisse de côté, quand il se lève pour attraper le tee-shirt étranger entre ses doigts. Il ne lui faut que trois pas pour rejoindre Elise, pour lui lâcher le morceau de tissu entre les mains. Le tee-shirt qui sent la cigarette. « A qui est-ce qu'il appartient, Elise ? » Il le sait déjà, l'a reconnu, ne l'admettra jamais avant d'avoir entendu le prénom sortir de la bouche de son épouse. Ici bas, c'est œil pour œil, dent pour dent.

« Tu ne serais pas venue autrement. » « C'est pas vrai. C'est toi qui m'évite. C'est pas moi. » Il y a longtemps que tu l'attends la discussion. Il y a longtemps que tu les attends, ses excuses. Tu as bien compris qu'il n'en aurait jamais quand tu l'as vu à nouveau avec elle. C'était con de les espérer de toute façon après avoir su qu'il était partie avec elle à Vegas. C'était con d'espérer que ce soit un voyage d'adieu et qu'il reviendrait à sa famille après. Il regrette pas Saül. Tu le sais depuis toujours. Tu n'as quand même pas pu t'empêcher de lui trouver des excuses, de prendre tout le blâme, d'espérer. Parce que, malgré tout, le divorce n'a jamais été une option. Jamais. Tu es passé par tout une gamme d'émotion; la tristesse, l'humiliation, la rage, la rancune, puis l'indifférence. L'indifférence, parce qu'il y a quelqu'un d'autre qui occupe ton esprit. Et ce quelqu'un a commis une belle connerie...

Le regard de Saül quitte le tien pour trouver une bouteille de gin. Vide. Ou presque. Ouais, ça, c'est bizarre. Tellement pas ton genre et il sait parfaitement que c'est pas lui qui la bu. Il devient lourd le silence tout d'un coup. Très lourd, mais toi, tu restes de marbre. Tu bouges pas d'un poil lorsque Saül se lève, lorsqu'il vient poser ce tee-shirt "inconnu" dans tes mains. « A qui est-ce qu'il appartient, Elise ? » Ton regard baisse vers la bien entre tes mains un peu trop longtemps avant de retrouver celui de ton époux. « Qu'est-ce que ça change ? » que tu demande, stoïque, en sachant très bien ce que ça change. Si Saül était un beau salaud de t'avoir trompé, c'était rien comparativement à toi, perdue dans les bras de son meilleur ami. Ariane au moins, c'est personne. Mais il le sait Saül à qui ce bout de tissus appartient. Il le sait, même si tu espères encore naïvement qu'il ne le sache pas. Tu veux pas l'épargner lui. Tu veux épargner Jack. Tu veux épargner leur amitié même si ce n'est plus possible. Tu le sais bien. En même temps, il en a pas rien foutre de toi ? Il en avait l'air avec son air mauvais en Afrique. Tu ne t'es jamais senti aussi peu importante que ce soir là. Quand, selon lui, c'était pas la fin du monde qu'il ait été voir ailleurs. Qu'est-ce que ça peut te faire, Saül ? « Tu me rends plus de compte et moi non plus. C'est pas ce que tu voulais ? » Certainement pas comme ça. Non. Tu l'aurais jamais fait, si, lui, ne l'aurait pas fait. Et c'est comme ça que tu te justifie ?

@saül williams

« C'est pas vrai. C'est toi qui m'évite. C'est pas moi. » « Vas-tu jouer l'enfant encore un moment ? », qu'il pique déjà, Saül, la voix pourtant tranquille. Se rejeter la responsabilité, ils peuvent le faire encore très longtemps. C'est un jeu qu'il maîtrisent sur le bout des doigts. Depuis des années, ils en suivent les règles. Elise et Saül empilent les responsabilités autre part et aujourd'hui, la pile écrase tout sur son passage. La coupe est pleine.

« Qu'est-ce que ça change ? » Environ tout, en fait. Surtout quand elle lui rend l'habit. Le tee-shirt glisse des doigts de l'italien, qui ne lâche pas Elise des yeux. Elle ne lui confirmera pas ce qu'il croit savoir, pas d'elle même, jamais. C'est comme ça qu'ils fonctionnent depuis des années, à retenir les choses l'un contre l'autre comme autant de comptes d’apothicaires. « Tu me rends plus de compte et moi non plus. C'est pas ce que tu voulais ? » C'est Saül qui, le premier, brise l'échange de regards qu'il a lui même instauré. De nouveau, le voilà qui se retrouve à marcher en long et en large à travers la pièce, les yeux au ciel et la colère au bord des lèvres. Sa voix, pour autant, reste d'un calme froid. C'était facile, jusque là, quand il n'avait rien à lui reprocher. Rien que Saül ne puisse se reprocher à lui-même. Maintenant qu'Elise a autant de cartes en main que lui, les discussions sont un peu plus compliquées.

« Ariane n'est jamais venue ici, jamais. Elle n'y a jamais été invitée. », qu'il lance à travers la pièce, sans oublier d'envoyer son regard dans celui de Elise. De toute façon, il n'y a rien pour elle, ici. Il n'y a rien pour eux. « Tu aurais pu avoir cette décence là, au moins. » C'est qu'il sait se faire venimeux, quand il se sait innocent de toute cette faute là, celle qui consiste à mélanger les univers. « Est-ce que tu t'ennuies tant ici que la vengeance est devenue ta seule distraction ? » Ce n'est pas comme s'il voulait comprendre, de toute façon. Il n'y a rien à comprendre. « C'est pathétique. » Quand Saül ne peut plus se supporter lui-même de jouer au faux-calme, il retourne se planter devant Elise. « Donne moi son prénom. » La confirmation sera au moins une vraie raison d'être en colère, quand les poings de Saül se sont déjà serrés et que ses phalanges blanchissent déjà. Elle n'a que quatre lettres à assembler. Il y a quelques minutes que la trahison infuse, et entrave les pensées de l'homme d'affaires.

« Vas-tu jouer l'enfant encore un moment ? »
« Tu as juste à arrêter de te prendre pour mon père. » On dit que les femmes cherchent leur père au travers de leur époux. Oh ce que tu avais misé juste. Aussi cruel l'un que l'autre. Aussi puissant l'un que l'autre. Autant rien à foutre de toi l'un que l'autre. Il prendrait sûrement le côté de Saül ton père. Quel con qui préfère son gendre à sa fille. Tu devrais juste les barrer de ta vie tous les deux. Tu devrais, mais tu n'as pas le culot de le faire. Tu l'auras jamais. Tristement.

« Ariane n'est jamais venue ici, jamais. Elle n'y a jamais été invitée. » Il s'est invité tout seul. « Tu aurais pu avoir cette décence là, au moins. » Il est jamais là Saül. Qu'est-ce que ça change ? C'est pas plus simple chez lui avec sa fille qui est, parfois, là. Ce n'est ni décent ici ni chez lui. « Est-ce que tu t'ennuies tant ici que la vengeance est devenue ta seule distraction ? C'est pathétique. » Et il se brise ton regard dès qu'il se repose dans le sien en colère, cruel, sans pitié. Il réussit à te convaincre que tu l'es, pathétique. Ça fait tellement mal d'être aussi négliger par la personne qui a occupé plus de la moitié de ta vie. « Tu as raison. J'suis tellement pathétique d'avoir mal à cause de toi. » Tu ne devrais certainement pas. « J'ai tellement mal Saül. J'ai tellement peur. J'arrive plus a rien gérer. » Tu t'ouvres à lui alors que tu devrais probablement pas. Il va juste te poignarder à coeur ouvert. Il a toujours eu le gros bout du bâton Saül. Parce que sans lui, t'es rien et il le sait. Et il s'en sert surtout.

« Donne moi son prénom. » L'idée te passe par la tête de lui foutre le prénom de Jet sous le nez. Ce serait probablement le prendre pour un con. Mais avec de la chance, la colère l'aveuglerait et il croirait à tes mensonges. Ça se pourrait. Pourtant, c'est pas ça qui te sort d'entre les lèvres. C'est un « Non. » franc et directe. Lui dire ou ne rien dire revient pratiquement au même. À moins que Saül s'accroche lui aussi au mince filet d'espoir qu'il se trompe.

« Tu es amoureux d'elle ? » Tactique stupide pour changer de sujet. Question stupide à la réponse douloureuse. Parce que tu peux pas rivaliser contre ça, l'amour, alors qu'entre vous deux il n'en a plus depuis longtemps. Il reste juste une certaine affection malsaine lié par l'amour de votre fils. Quoique même son rôle de père semble le blazer.

@saül williams

Il sait parfaitement à qui appartient sa trouvaille, Saül. Il n'y a jamais eu de mensonges entre Elise et lui, aucun. Toujours tout partager, même les regards amers et les mots trop hauts. C'est lui qui, le premier, a brisé cette promesse tacite. Lui qui, pourtant, accuse Elise comme si elle était la fautive. « Tu as raison. J'suis tellement pathétique d'avoir mal à cause de toi. » Le voilà qui lève les yeux au ciel, grande inspiration qui lui décharge les épaules et qui tend les muscles de ses mains. « J'ai tellement mal Saül. J'ai tellement peur. J'arrive plus a rien gérer. » Ces mots là l'arrêtent. Les yeux de Saül trouvent ceux de Elise. Glace contre glace. Les excuses sont là, au bord de ses lèvres. Elles resteront bien au fond de son crâne, quand il ne sait de toute façon pas ce qu'elles viendraient faire dans la conversation.

« Donne moi son prénom. » L'égoïste, l'imperturbable de façade, quand tout gronde à l'intérieur de lui.
« Non. »
« Je ne vais pas me répéter. » Si. Encore, et encore, jusqu'à ce qu'elle lui sorte le foutu prénom de Jack. Jusqu'à ce qu'elle lui confirme ce qu'il sait déjà, de toute façon. C'est son sésame pour se tirer d'ici sans trop en porter les responsabilités, en tout lâche qu'il est.

« Tu es amoureux d'elle ? » « Elise par pitié, ces questions ne t'avancent en rien. » Pourquoi lui croit-il que les confirmations d'Elise l'avanceront à quelque chose ? « Tu ne veux pas me donner son prénom ? D'accord. » C'est un dialogue de sourd, de toute façon. Ni elle ni lui ne lâcheront quoi que ce soit à propos du chaos qu'ils traversent. C'est son pas convaincu qui le mène ailleurs, quand lui aussi s'est déjà refermé comme une huître, les poings crispés.

La carte postale est restée dans la chambre, posée sur le lit. Saül la récupère pour la glisser dans sa veste. « Je ne reste pas ici. Tu pourras y faire venir ton connard autant de temps que tu le voudras. », qu'il lance, la voix plus forte que nécessaire. Qu'il n'y mette jamais les pieds, l'intrus. Même s'il y reste de moins en moins, cette maison est celle que Saül partage avec Elise. Personne n'y a ses entrées, sous aucun prétexte. C'est cette maison qui a longtemps abrité leurs disputes, mais aussi les moments d'accalmie et les rares rires, les conversations autour de la table, les dîners enflammés et les discussions de la même trempe. L'instant d'après, Saül se retrouve devant Elise. « Quand est-ce que ça a commencé ? » Tout ça. Les mensonges. Ses mensonges à lui, il sait les dater. Pas ceux de Elise. Il y a longtemps qu'il n'est plus assez observateur pour mesurer ces choses là.

« Elise par pitié, ces questions ne t'avancent en rien. » Elles te serviront à ne pas comprendre pourquoi il reste s'il est amoureux d'elle. Elles te serviront à pas comprendre pourquoi elle lui demande pas de te quitter, pour de bon, si elle éprouve la même chose que lui. Comment peut-elle accepter d'être celle qu'il cache ? Tu ne l'accepterais jamais si tu étais à sa place. Il a peur lui aussi de la fatalité de votre mariage ? Il a peur que tout le monde sache que votre bonheur n'était qu'un tissus de mensonge ? Il pense à Cosimo, peut-être ? Toi, tu y penses. C'est la fatalité de votre famille que tu n'arrives pas à digérer. Tu l'aimes, votre famille, aussi chaotique qu'elle peut l'être. « Alors, c'est oui. » Il n'a pas besoin de répondre. Tu connais déjà la réponse.

« Tu ne veux pas me donner son prénom ? D'accord. » Et il part Saül. Il te laisse là, en plan, en plein milieu de la cuisine. Et tu ne fais rien pour le retenir. À quoi bon ? Il veut rien régler. Il veut pas parler. Vous n'arrivez jamais à vous parlez de toute façon. Les insultes ne sont jamais bien loin sur le bout de la langue, autant la sienne que la tienne. Tu n'es pas mieux que lui là dessus. Votre niveau de patience envers l'un et l'autre est très limité. « Je ne reste pas ici. Tu pourras y faire venir ton connard autant de temps que tu le voudras. » Sa voix que tu entends depuis l'étage. Il y a ton regard qui s'abaisse. Il y a la rage, la tristesse qui menace d'exploser, mais rien ne sortira tant que tu n'auras pas entendu la porte se refermer derrière sa colère à lui. Mais non, pas encore, il revient se poster en face de toi.

« Quand est-ce que ça a commencé ? » Alors lui, il se donne le droit de connaître les détails ? Il ne t'en a donné aucun. Il t'évite depuis des semaines pour ne pas avoir à le faire. C'est très frustrant. « Ça m'a fâché quand j'ai su que tu l'avais amener à Vegas. » Tu choisis si mal tes mots. Ils sonnent comme une vengeance alors que c'en est pas vraiment une. Reste que si tu n'aurais pas su ça, tu n'auras jamais franchit la ligne à ton tour. « Ça m'a blessé que tu partes avec elle au lieu d'essayer de réparer tes erreurs. » Tu lui aurais pardonné si facilement. Tu le ferais encore aujourd'hui même. S'il accepte de ne plus voir Ariane, tu acceptes de tourner la page et de simplement oublier que cette histoire à déjà existé. Il le sait parfaitement. « J'arrête si tu arrêtes. » Va t'en si tu veux pas. Les mots qui te restent de travers dans la gorge. La fatalité que tu oses espéré repousser encore un peu.

@saül williams

« Alors, c'est oui. » Alors, c'est oui. Elle n'est pas idiote, Elise. Elle sait sans qu'il n'explicite. Elle comprend sans qu'il n'hoche la tête, les traits tirés mais le regard neutre - quoiqu'un peu courroucé. Alors, c'est oui. Et Saül n'a rien à y ajouter.

Quand il est de retour, la rage ne s'est pas apaisée. Rien ne le fera, en vérité, pas même les regards d'Elise. « Ça m'a fâché quand j'ai su que tu l'avais amener à Vegas. » « Oh. Tu étais fâchée. », qu'il souligne, amer. « Au point d'aller te jeter dans les bras de Jack, donc. » Tant pis si elle ne dit rien. Tant pis si elle ne donne pas ce prénom là, Saül en a assez de tourner autour du pot comme si l'on ne devait pas prononcer ce prénom de merde qu'il déteste et qui goûte la trahison et les couteaux plantés dans le dos. Elle en aurait tous les droits, pourtant, d'être fâchée. Saül n'admettra jamais que cette trahison là, il la comprend. Les vingt dernières années ont été rythmées par les vengeances infligées de lui à elle, d'elle à lui. Cette fois-ci, pourtant, c'est différent. Ce n'est plus fondamentalement eux contre le monde. Le temps des guerres intestines semble s'être bien installé. Il court comme un poison, bruisse partout depuis de trop longues années. La déchirure est immense, nette, à vif. Elle a eu le temps de pourrir sous la surface, à force d'être éprouvée par toutes ces années de mensonge. « Ça m'a blessé que tu partes avec elle au lieu d'essayer de réparer tes erreurs. » « J'adorerais pouvoir te dire qu'il est possible de les réparer. Tu sais aussi bien que moi que ce n'est pas le cas. » Les erreurs, elles couvent depuis trop longtemps, trop nombreuses. La vie que Saül choisit aujourd'hui n'est que la conséquence du grand tout, celui qui le pousse à virer du côté d'une autre vie; celle qu'il n'a jamais vraiment pu embrasser.

« J'arrête si tu arrêtes. »

Le silence est pesant, dans la pièce, quand Saül a complètement figé ses yeux dans ceux de Elise. Il y a vingt ans, il l'invitait à danser, ne lui marchait pas sur les pieds et l'aidait à faire le mur - une courte fugue - pour aller dominer la ville. Vingt ans, de trop nombreuses égratignures et une vie de côté. Une vie qui ne convient plus, n'a jamais vraiment fait l'affaire. Oh, comme Saül s'en voudrait presque, de ne comprendre que maintenant que tout cela ne lui sied plus. Ces murs n'ont jamais été les siens. Ce mariage, une farce de trop, la pierre angulaire. L'édifice s'effondre comme un château de cartes.

Les bras de l'italien se tendent, attrapent Elise dans une étreinte raide mais non moins sincère. Froide, mais presque irréelle. Rare, sinon absolument unique. « Je n'arrêterai pas. » Les excuses sortent presque, manquent encore de s'échapper. Une prochaine fois, peut-être.

« Oh. Tu étais fâchée. Au point d'aller te jeter dans les bras de Jack, donc. » Il y a une panoplie d'émotions qui se bousculent à l'intérieur de toi. Il y a celle qui a honte de son geste. Celle là, Saül l'écrase comme un insecte. Il lui laisse porter tout le blâme et tu le laisse faire. Mais il y a aussi celle qui bouille, celle qui rage, celle qui a mal. Dans ta tête, c'est un véritable cocktail explosif. Et c'est pas beau. « Je supposes que je devais attendre sagement que tu aies fini de t'amuser avec ta petite-amie ? Toi, tu fais ce que tu veux, tu détruits notre famille pendant que moi je ramasse les pots cassés ? C'est ça que tu voulais ? » Bien sûr que c'était ce qu'il voulait. C'est ce que tu as toujours fait de toute façon, sauver les apparences, les tiennes, les siennes. « Tu me rends malheureuse. Et ça te fait rien. » Et pourtant, c'est encore lui que tu choisirais aujourd'hui. Idiote que tu es, éduqué aux principes superficiels.

« J'adorerais pouvoir te dire qu'il est possible de les réparer. Tu sais aussi bien que moi que ce n'est pas le cas. » Tu es loin d'être d'accord. C'est réparable. Ce le serait toujours. S'il dit le contraire, c'est qu'il n'a pas envie de le faire c'est aussi simple que ça. Tu l'a compris il y a longtemps. Tu te voilais le visage, chose que tu ne peux plus faire avec les confirmations qui te passent sous le nez . C'est pas possible de les réparer. C'est terminé vous deux donc. Pourquoi il n'y met tout simplement pas fin ? Pourquoi il continue de tourner le couteau dans la plaie ? C'est en train de te rendre folle d'être entre deux, d'être dans l'officieux.

J'arrête si tu arrêtes. Et le silence qui s'en suit est horrible. Il est long, pénible. L'échange de regard silencieux est douloureux jusqu'à ce que Saül tende le bras vers toi, qu'il t'attrapes, qu'il t'attire dans ses bras. Et c'est mieux. C'est mieux pour une seule petite seconde seulement. Il brise tout Saül encore une fois. « Je n'arrêterai pas. » Le silence, c'était bien finalement. Il ne t'en faut pas plus pour t'arracher de cette étreinte. Ta main qui vient essuyer du revers une larme avant même qu'elle ne s'écoule. « Cosimo a invité Auden et Savannah à venir dîner le week-end prochain. Ramasse tes affaires, je veux pas te revoir avant ça. » Ce n'était de toute façon sûrement pas dans ses plans de revenir mettre les pieds ici bientôt. Au moins, maintenant, il avait la permission. Qu'il fasse ce qu'il veut. Ça t'es complètement égal. Il a raison Saül. Ce n'est plus possible de réparer. Le navire va couler avec toi dedans. Lui, il s'est sauvé.

@saül williams