L'idée du lieu neutre perdait de tout son lustre quand y'avait rien de neutre ici, pour lui.

Y'avait même pas de booth où il pouvait s'installer et dire que c'était le sien, que c'était celui-là qu'il investissait quand il passait dans le coin parce que justement il était jamais passé par ici. Matt regardait l'entièreté du café avec un inconfort qui ne venait naturellement pas avec les lieux, le seul endroit où, dans la ville en entier, il se sentait vraiment chez lui, vraiment à sa place. N'en restait que si Lily avait su s'y faire principalement son nid sans même devoir forcer son frère lui, il aurait sûrement du mal. Matt mime chaque geste quinze fois et quinze autres, il essaie d'effacer les preuves confirmant que c'est devenu leur quartier général à eux deux depuis un peu plus de cinq mois. Il tente de se mettre à la place de Joseph un temps en insistant sur tout ce qui l'enragerait, lui. La réponse est aussi facile qu'évidente. Tout, tout l'enragerait. Même les sous-verres qui font Lily, fuck qu'ils font Lily. Y'a du rose par là et ils s'agencent super bien à la bouteille de rhum qu'elle préfère et à son étiquette qu'elle aime parce qu'il y a sûrement des paillettes dessus regarde Matt y'en a vraiment ah non y'en a pas du tout c'est juste la lumière qui fait un truc bizarre et qui fait cet effet-là.

Il est stressé et il s'en cache pas. Deklan a fait mille et unes allusions au nombre de verres qu'il a lavés de tous sens tous côtés depuis une poignée de minutes et qui aux yeux du McGrath sonnent bien plus comme de longues heures de labeur. Il sourit comme un con, le con qu'il joue parfaitement en permanence, le con qui aujourd'hui perd tout de sa contenance. C'est pas la fin du monde s'ils s'entendent mal mais ça sera la fin de celui de Lily et il le sait d'emblée. Fût un temps il l'aurait cru de toutes ses forces naïves quand elle lui a dit que c'était pas si grave que ça, si ça se passait pas bien, que ça serait moche et nul et mille milliards d'autres synonymes, mais que ça irait. Non, il sait Matt. Il sait et il fait genre il sait pas, mais voilà, y'a la petite voix derrière qui lui souffle que la suite risque d'être compliquée.

Certains appelleraient ça de l'instinct, lui il appelle ça Dek qui est foutument trop dans sa bulle, qui erre et qui renifle, qui rigole et qui repart aussi vite. La sonnette de l'entrée sonne beaucoup trop et chaque fois rend juste des visages qu'il connait parce qu'il connait tout le monde qui vient ici cet après-midi finalement. Il les connait tous et le seul qu'il connaîtra pas, ça sera lui. Elle passe un examen ou elle est à l'hôpital ou elle est en haut ou elle est il sait plus où Matt, lui qui sait presque toujours où elle se trouve d'habitude. Parce qu'ils se font un devoir de s'envoyer une infinité de textos pour accompagner chacun de leurs déplacements même ceux les plus inutiles. Il imagine que c'est ça, quand t'es amoureux, quand tu l'es vraiment malgré le fait que tout est allé trop vite au début apparemment ; là, ça va, tout va.

Sauf ses mains, elles, elles vont pas, elles sont moites les traîtres, elles font exprès. Il les essuie sur son jeans quand la sonnette sonne encore. Sonnette qui fait son boulot à merveille de menacer le grand idiot impatient qu'il est de faire une crise cardiaque à toutes les cinq minutes. Quand finalement sa tête se redresse et qu'il le voit, le visage qu'il connaît pas. Il est là.

« Joseph, c'est ça? » évidemment, que c'est ça.
Tu pensais quoi?

   
@joseph keegan
@lily mcgrath

Il n’a pas envie de le faire. Il aurait préféré ignorer l’existence de cet homme dans la vie de Lily, et elle la lui aurait probablement cachée jusqu’à sa mort s’il n’y avait pas eu cette stupide émission télévisée qui avait rendu plus qu’officiel ce mariage arrangé. Joseph ne connait pas ce monde du surfait, de l’idéal, de la perfection. Devant la télévision, il est le premier à s’endormir et à seulement se réveiller quand sonnent les huit heures. Il ne croit pas au plastique derrière l’écran et il n’a pas pu le regarder le grand jour. C’est seulement depuis hier qu’il connait le visage de Matt : il a fait quelques recherches sur internet afin d’en apprendre un peu plus sur celui qui partageait maintenant la vie de sa sœur. Il aurait ainsi l’avantage quand il lui serrera la main la première fois.

Le jour venu, il est sceptique. Il rouvre les yeux dans son lit, réveillé depuis déjà longtemps parce qu’il s’est habitué à ne dormir que quelques heures par nuit. Son visage ne s’est pas habitué, lui : les cernes sous ses yeux sont toujours aussi creusées par la fatigue. Il lui faudrait un excellent fond de teint pour le débarrasser de cette gueule de grande malade en phase terminale. Devant le miroir, il grimace en réalisant que sa barbe pourrait couvrir une demi-douzaine d’œufs sans problème alors il se décide enfin à tendre le bras au-dessus de l’armoire de médicaments pour attraper son rasoir. Ses mouvements sont mous, ennuyés : non, il n’a réellement pas envie de jouer les gentils garçons ordinaires ce matin. Au moins, là où il va, il pourra se noyer dans le café et s’offrir un semblant de motivation.

Il est devant le café quinze minutes en avance, comme toujours. Il jette machinalement un coup d’œil à son téléphone en priant pour que Lily lui ait envoyé un message dans lequel elle explique que la rencontre n’aura pas lieu car Matt est en train de vomir ses tripes dans les chiottes, ou parce qu’il a roulé sur une famille de canards sur l’autoroute et qu’il doit maintenant faire son deuil. Malheureusement pour les attentes trop élevées du frère, sa sœur n’a pas donné le moindre signe de vie depuis hier soir. Le rendez-vous a donc lieu et le mignon petit couple est probablement déjà en train de l’attendre dans le café. Miséricorde.

Il entre sans presse, les mains naturellement enfoncées dans les poches de ses jeans troués. Il ne partage pas un profil semblable aux autres usagers. Autour de lui s’accumulent étudiants et groupes d’adultes responsables qui dégustent un café en se racontant des anecdotes de leur trépidante vie. Armé de son sac vieillot, de son t-shirt blancs, de son bandage sur son avant-bras, de sa barbe fraîchement taillée et de ses cheveux trop longs ramenés en chignon à l’arrière de son crâne, il s’avance en parcourant la salle du regard. Il recherche sa sœur, en premier, car c’est elle qu’il a envie de voir. Il se met à rêver, même, qu’elle sera la seule présente mais rapidement la réalité le frappe en plein dans le nez. Ses deux yeux océan se posent sur le fameux Matt qu’il reconnait rapidement, installé seul à une table. Il hésite un moment en espérant qu’il ne le verrait pas mais, trop tard. « Joseph, c'est ça? » Lèvres pincées, il s’approche, les pieds las. Il hoche de la tête en forçant un sourire sur ses lèvres. Mon dieu. Help. « Oui. Matt, j’imagine. » Putain, ça donne le ton pour le reste de la discussion. « Lily est pas encore arrivée ? » C’est la première question qu’il pose car il a absolument besoin qu’elle vienne le sauver de cet embarras. Matt semble bien trop propre, c’est effrayant. Il n’a pas le profil du mec qu’il approcherait en premier. Il ressemble à ces gens parfaits qui préfèrent éviter de trop s’approcher de l’inconnu. Il ressemble… À Lily.    

Ils ont le même nez qu'il réalise Matt, en voyant Joseph arriver au café. Il a le même nez que Lily et c'est con et c'est stupide et ça fait aucun sens mais ça le rassure le gars, ça lui fait un point d'ancrage. Bon, il fera pas le weirdo à juste fixer le centre du visage du grand frère pendant mille ans non plus, mais la fraction de seconde qu'il s'autorise lui donne le courage nécessaire pour planter ses yeux dans les siens alors qu'ils s'appliquent chacun à démontrer leurs connaissances en conversation de base, en banalités qui permettent de mettre convenablement la table selon les conventions que la société a cru bon de dicter pour une rencontre du genre.

« Oui. Matt, j’imagine. »
« Yep. »

Ça va, c'est bon, les présentations sont officielles, la suite l'est un peu moins. Mais ils sont sages en vrai, ils prennent leur temps, sont probablement pas plus pressés qu'il ne le faut non plus. Matt lui oui du moins, il sait pas pour Joseph mais dans son cas de figure précis c'est la panique qui tapisse ses pensées les unes après les autres. Il flippe de dire le mauvais truc, il flippe de faire la mauvaise action, il analyse tout avant d'agir, il perd tout de son impulsivité de bon con bien légendaire ; n'en reste qu'il veut faire les choses bien, vraiment. « Lily est pas encore arrivée ? » pour elle. Matt s'en fout limite, de se faire un ami ou un ennemi aujourd'hui ; il veut juste faciliter la vie de sa femme, il veut juste que la Keegan devenue McGrath ne se retrouve pas prise dans un nouveau drame par sa faute. C'est tout ce qui compte. « Elle devrait pas tarder. » son sourire est rassurant, du moins, il le croit foncièrement. Y'a le bandage, au bras de Joseph qui l'est moins. Évidemment qu'il posera pas la moindre question à ce sujet-là Matt, même pas qu'il va laisser ses yeux y dériver un seul instant, mais il l'a vu en périphérique et il s'étonne même pas de se demander si il peut fait quelque chose pour aider là, si Joseph a des ennuis. Il juge pas, il s'inquiète, il sait faire que ça. Qu'ils le veuillent ou non, ils font kinda partie de la même famille maintenant ; et ça, c'est sacré. Qu'ils se l'entrent bien dans la tête.

« On a le temps de prendre un café. » alors il rattrape selon ce qu'il connaît, le proprio de l'endroit, chose qu'il a nettement oubliée pendant un bon moment déjà. Il prend une chance, peut-être qu'il préfère le thé Joseph. Entre eux ça le dérangerait même pas tant y'a un échantillonnage de champs de bataille derrière le comptoir. Comptoir derrière lequel il lui fait signe de le suivre, le faisant instinctivement entrer dans la bulle de l'équipe du DBD sans même le réaliser. Beaucoup plus convivial. Beaucoup plus à l'aise là aussi, à s'occuper les mains à lui attraper une tasse au plus grand des hasards, la lui tendant pour qu'il s'amuse lui-même à choisir café ou thé, à farfouiller dans les machines. « Tu prends quoi, dans le tien? » Lily s'est habituée en une soirée à peine aux machines, qu'il pense. Il doute pas que Joseph autant que lui acceptera avec un voile de soulagement le fait de faire autre chose que de juste se toiser en chiens de faïence en attendant la protagoniste du jour. Il l'espère, du moins.

Évidemment. Il fallait que Lily arrive en retard. Joseph n’arrivait pas à déterminer si elle avait fait exprès pour ne pas voir le visage de son frère quand il découvrirait celui de son mari ou si elle se maudissait en ce moment-même de ne pas être arrivée à temps pour faire les présentations et tout de suite les hypnotiser de sa voix mielleuse. Il n’a pas l’intention de faire de la rencontre un enfer mais il sait que sa cadette ne le croit pas capable d’offrir un véritable sourire à Matt. Elle pense, à tort, que Joseph ne supporte pas le bonheur des autres et c’est une des nombreuses raisons qui prouve qu’elle ne le connait pas réellement. Elle a cessé de s’intéresser à lui quand on lui a collé l’étiquette du criminel sur le front car, au fond, il a perdu son humanité quand les barreaux se sont fermés devant son nez, pas vrai, Lily ? « Yep. » Le jeune homme n’est pas à l’aise, c’est un bon signe. Il semble avoir peur de faire mauvaise impression : il ne veut pas décevoir sa femme, probablement. C’est honorable, Joseph doit l’admettre, et c’est pour cette raison qu’il décide de ne pas jouer les connards insouciants. Ce Matt au visage trop symétrique ne ressemble pas à cet homme cruel qui faisait gronder le moteur de sa moto pour ne pas entendre la voix de Lily. « Elle devrait pas tarder. » Le jeune homme répond quand le frère s’interroge sur l’absence de sa sœur. Génial. Lui non plus ne sait pas combien de temps ils devront se regarder dans le blanc des yeux en espérant que l’autre ne pose pas trop de questions. Joseph n’est pas venu ici pour subir un interrogatoire et n’a pas l’intention d’en faire subir un à cet étranger qui prend les devants en proposant de commander un café, probablement pour occuper leurs mains et leur bouche. Et un peu pour se cacher derrière la tasse pour regarder ailleurs. « Ouais, bonne idée. » Il lui faudrait plus qu’un seul café pour que ses paupières se maintiennent bien ouvertes mais c’est déjà un bon départ. Il se retient toutefois de demander innocemment s’ils servent de l’alcool dans cet établissement à une heure aussi hâtive. Là, ça ferait probablement une très mauvaise impression : bien que sa simple apparence n’ait probablement pas rassuré celui qui repasse sûrement ses chemises à tous les matins.

Surpris, Joseph suit le garçon du regard alors qu’il se dirige tout naturellement vers le comptoir au centre de la petite boutique à l’arôme sucrée. Il note rapidement les gestes d’un habitué et c’est à ce moment qu’il réalise qu’il n’est pas un simple client. Ils se sont donné rendez-vous sur son lieu de travail : peut-être pour le rendre plus confortable en le plongeant dans son habitat naturel. C’est donc Joseph qui se trouve en position plus délicate et il hausse vivement les sourcils quand Matt lui fait signe de le suivre derrière le comptoir, là où les usagers ne posent pas un seul pied. Il hésite quelques secondes, plus surpris que mal à l’aise, puis il décide enfin de suivre le mari de sa sœur en ignorant les yeux curieux autour d’eux. Rapidement, les étudiants replongent leur tête dans leur ordinateur. Le garçon attrape la tasse que Matt lui tend, observe par réflexe son contenu, vide, et redresse la tête, un point d’interrogation collé sur le front. C’est la gestuelle de l’autre qui lui fait comprendre que c’est à lui de choisir son café. Il n’est pas habitué à ce genre de liberté, lui qui se contente habituellement de n’importe quelle boisson chaude et fade qu’offre l’épicerie du coin.

Mais c’est amusant, tous ces noms de café, tous ces pays étiquetés sur les machines, comme si les grains du Costa-Rica étaient différents de ceux du Panama. Il n’est pas un expert, l’ex taulard, alors il remplit sa tasse du nectar sur lequel sont inscrits les qualitatifs « fort » et « corsé ». Tout pour ne pas avoir une boisson sucrée qui colle aux dents : une autre preuve que sa sœur ne le connait absolument pas, elle qui lui a commandé un breuvage rose licorne. « Tu prends quoi, dans le tien? » Il s’assure de ne pas trop remplir sa tasse, concentré, la main légèrement tremblante comme d’habitude, et répond simplement : « Juste un peu de lait. » Il jette un coup d’œil autour d’eux, encore étonné d’avoir eu l’accès derrière le comptoir. « Tu bosses ici, alors. Ou bien, t’es un délinquant et personne n’ose te remettre à ta place. » Il esquisse un sourire mais le perd rapidement, réalisant que ce n’est pas le sujet à aborder s’il ne veut pas rapidement se retrouver sous les radars. Il serait surpris s’il apprenait que Lily n’avait pas parlé du passé criminel de son frère. Il lui avait dit de ne pas lui lancer des paillettes et de ne pas gommer la réalité sous de jolis mots. « T'sais… » Il commence, juste avant de boire une gorgée de son café à la couleur crémeuse. « Lily a peur que j’te déteste. Ou que tu me détestes, peut-être. J’te l’ai quand même volée le jour de ton anniv’. J’espère que c’est sans rancune. »  

Les questions prennent doucement leur place et lui, il attend que Joseph prenne la sienne derrière le bar. C'est un peu moins difficile qu'il n'aurait cru, Matt, de rencontrer le frère de Lily. S'étant lui-même mis dans la position du grand frère protecteur aux meilleures intentions (mais aux pires démontrés), il s'est bien sûr monté plus que la tête, il s'est stressé au point où ses mains tremblaient en vrai, quel idiot. Quel imbécile aussi qui attend pantois, qui montre rien et fait rien, qui observe seulement. Ils ont des manies similaires, des gestes avec et il les décortique désormais. Il cherche un peu de Lily en Joseph et mine de rien, ça le calme.  

« Juste un peu de lait. »
« Ils sont tous au frigo, juste en-dessous du comptoir. Fais comme chez toi.»

Le fais comme chez toi roule même pas, sur sa langue. Qu'il prenne du lait de soya ou d'avoine, de vache ou d'amandes, n'en reste qu'il peut ouvrir tous les placards et vider tous les tiroirs que Matt le laisserait faire. Même si le volet famille Lily l'avait évité au mieux pendant de longues semaines, maintenant qu'il est un peu plus au courant du schéma familial il est tout sauf là pour s'y opposer bien au contraire. Il serait culotté de le faire, de toute façon. « Tu bosses ici, alors. Ou bien, t’es un délinquant et personne n’ose te remettre à ta place. » sa tasse à lui qu'il porte à ses lèvres, le sourire qui remonte avec. Ils tentent vraiment fort, tous les deux, et même si le monde extérieur les trouverait bien idiots avec leur conversation de premier degré, eux deux le savent de quoi il en retourne. Ils le savent très bien. « Un peu des deux ; je bosse ici, mais je devrais pas être derrière aujourd'hui. Je devrais faire des trucs de grandes personnes genre signer leurs paies et accepter leurs horaires de vacances.» ses mots volent, ses gestes avec, quand il file s'installer de l'autre côté du bar, à même les bancs qui s'y glissent. Il est le patron ouais, mais il agit que très rarement comme tel. Dans sa tête l'endroit étant bien plus une affaire qui roule parce qu'ils ont tous l'esprit d'équipe de tatoué sur chacune de leurs décisions, les siennes comme celles de tous les autres.  « T'sais… »

Oh, oula. Il sent au ton de voix que la suite passe ou casse, il le sait parce que la même lueur qu'il croise dans son regard ressemble à celle qu'il a eue des dizaines de fois envers qui que ce soit rôdait autour de Jill, de Ginny. « Lily a peur que j’te déteste. Ou que tu me détestes, peut-être. J’te l’ai quand même volée le jour de ton anniv’. J’espère que c’est sans rancune. » « C'est sans rancune, t'en fais pas pour ça.» il répond au taquet, peut-être un peu trop vite. Pourtant il n'en démord pas moins, c'est vraiment sans rancune, il a tout pardonné au-delà de ses capacités Matt. Il a confiance en Lily bien plus qu'en qui que ce soit, et cet épisode-là n'a fait que renforcer leur relation plutôt que de la tacler au pied du mur. « Et puis elle est rentrée juste au moment où je sortais le gâteau. Le timing était parfait.» dédouaner l'acte en soit lui convient, dédramatiser aussi. N'en reste qu'un truc lui importe, un truc bien précis qu'il ne se gêne pas pour ajouter, du ton le plus sérieux que sa tête de chérubin et que sa voix toujours trop chantante luttent pour rendre le moindrement convenable. « La porte t'es toujours ouverte tu sais. Enfin, si tu veux hen. Mais c'est important pour moi que tu saches que y'a pas juste de la place pour Lily ici. » il inspire, plante ses yeux dans les siens, se veut le plus honnête possible. « Pour toi aussi.»

« Ils sont tous au frigo, juste en-dessous du comptoir. Fais comme chez toi.» Il ne peut s’empêcher d’attendre un peu en fixant le mari de sa sœur, incapable de savoir s’il y aura une suite à sa phrase. S’il va enfin admettre qu’il plaisante et que Joseph ne devrait pas être derrière le comptoir, comme ça. Pourtant, Matt ne laisse présager aucun retournement de situation alors il se décide enfin à ouvrir le petit réfrigérateur cubique pour y trouver des contenants de lait ou de crème. Il n’hésite pas une seconde avant de s’emparer de l’un d’eux pour le verser dans sa tasse remplie, chopant en même temps un petit bâtonnet en bois pour mélanger le tout. Il ignore les yeux des étudiants qui ont levé leurs yeux des écrans de leur ordinateur portable pour mieux le dévisager afin de comprendre ce qu’un mec comme lui fait derrière le comptoir. En croisant le regard de l’un d’eux par mégarde, il ne fait que lui offrir un sourire plein d’ironie. « Un peu des deux ; je bosse ici, mais je devrais pas être derrière aujourd'hui. Je devrais faire des trucs de grandes personnes genre signer leurs paies et accepter leurs horaires de vacances. » L’ex taulard reporte son attention vers celui qu’il a interrogé, balançant lentement la tête de bas en haut avant de porter sa tasse chaude à ses lèvres afin de boire une première gorgée. Il tente de faire passer un peu le temps pour trouver la chose à dire : les trucs d’adultes responsables, il n’a jamais vraiment compris cela. « T’es l’patron, alors ? » Il demande, après avoir fait les liens dans sa tête. Il ne peut s’empêcher de penser que Lily a trouvé le garçon qui lui ressemble le moins et ce n’est probablement pas une coïncidence. Mais il n’a pas l’air désagréable. Pas comme les autres patrons d’entreprise qui oublient qu’il y a des humains derrière l’argent qu’ils se font. C’est pour cette raison que Joseph se permet d’échanger un peu plus avec le fameux Matt à qui il a dérobé la femme le jour de son anniversaire. « C'est sans rancune, t'en fais pas pour ça. » Il aurait pu croire que Joseph l’a fait exprès mais il est difficile de planifier le moment où faire une crise de conneries. « Et puis elle est rentrée juste au moment où je sortais le gâteau. Le timing était parfait. » Olala, c’est niais, ça. Il a l’impression d’entendre un enfant raconter sa journée, il ne manque plus qu’il l’informe du cadeau que lui a fait Lily – en fait, non, vaut mieux pas. « Haha. » Ça c’est le rire qui veut dire « je sais pas trop quoi répondre mais continue je t’en prie ».  « La porte t'es toujours ouverte tu sais. Enfin, si tu veux hen. Mais c'est important pour moi que tu saches que y'a pas juste de la place pour Lily ici. Pour toi aussi. » Légèrement mal à l’aise, il s’humecte les lèvres en détournant le regard, se retenant de dire ce qui lui chatouille le bout de la langue. Il n’a pas l’impression que sa sœur lui a tout dit, surtout pas le plus important. Notamment le fait que cela fait des années que les deux Keegan s’évitent comme la peste, l’un pour préserver son image et l’autre pour ne pas s’imposer comme un poids dans la vie de l’autre, tellement parfaite, immaculée, rêvée. Elle a toujours été comme ça, Lily. Elle poursuit des rêves que la société lui a glissé dans la tête. Et, Joseph, a toujours fait l’inverse. « M’ouais. » Il marmonne tandis que ses ongles pianotent sur la tasse en porcelaine. Il n’a pas envie de faire le con et de briser les espoirs de celui qui veut simplement faire la bonne chose. Il préfère changer de sujet. « Tu sais c'qu’on devrait faire, quand elle arrive, Lily ? » Et il a les yeux déjà brillants d’amusement. Éternel gamin en recherche de divertissement.

Bloquée dans les embouteillages de la ville qu’elle n’avait pas prévu, elle a eu tout le temps du monde de se demander comment son frère avait-il bien pu tuer Matt ou bien l’inverse. Tous les scénarios du monde y sont passés, les moyens de torture avec. Elle imagine déjà Matt avec un oeil en moins et Joseph avançant sur une seule jambe. Elle imagine toutes les questions brûlantes qu’ils ont pu se poser et les sujets interdits, d’un côté ou de l’autre, qu’ils ont pu aborder. Dans sa tête, Lily ne peut passer que d’un scénario catastrophe à un second parce qu’elle espère tellement de cette rencontre qu’elle ne lui donne finalement aucune chance. Elle ne leur en donne aucune non plus et peu importe à quel point elle peut les aimer, chacun à leur manière, cela n’y change rien.

Elle trace telle une furie au bout du bar, la brune empressée de se jeter au milieu de la conversation pour essuyer les derniers tirs de chacun. Elle n’a que quelques minutes de retard à peine mais elle les imagine déjà tous les deux criblés de balles et mortellement blessés. Son attention se focalise sur le fait que Joseph soit du mauvais côté du bar et, bien malgré elle, ses yeux se posent sur le verre qu’il tient entre les mains pour vérifier que ce ne soit pas un alcool trop fort puisqu’il est encore trop tôt pour qu’il joue à ce genre de conneries. En attendant de savoir ce qu’il en est, elle ne prend pas le temps d’annoncer son arrivée que déjà une main glisse dans le dos de son mari pour venir se loger entre ses doigts, là où ses lèvres ne trouvent refuge que contre sa tempe. L’inspiration qu’elle prend pendant une seconde semble être la plus décisive de tous les temps et elle improvise le moins parfait mais le plus franc sourire qui soit en direction de son frère, au moment où ses yeux bleus s’ouvrent de nouveau et qu’elle les plonge en sa direction. Il est de l’autre côté du comptoir, de toute façon, elle ne peut pas lui dire bonjour à son tour. “Pardon du retard.” Elle leur en donnera les raisons ensuite si elle le juge utile mais pour le moment encore, la McGrath est occupée à se demander quelle est l’ambiance de la conversation. La brune embrasse une nouvelle fois son mari, cette fois ci sur les lèvres et avec bien plus d’entrain, avant de faire le tour du comptoir pour y rejoindre son frère.

Une partie d’elle est heureuse qu’il ait tant fait d’efforts pour se présenter convenablement et c’est la raison pour laquelle elle esquisse un sourire en sa direction, lequel est sans doute le premier depuis bien longtemps. “Matt t’a sorti le speech de mi casa es tu casa ?” Elle essaye à son tour de se faire une place au milieu de toute la testostérone, profitant aussi que l’attention soit vrillée sur ses paroles pour laisser ses doigts glisser contre le pansement de Joseph alors qu’elle mime fouiller le frigo à son tour. En réalité, ses yeux experts sont à la recherche de traces de sang ou de mains bleutées, signe que les bandages auraient été trop serrés. Rassurée qu’aucune de ses hypothèse ne soit véritable, elle se contente alors de se dire qu’il ferait un super Negative Man - si jamais il n’était pas un drogué, bien sûr. “Personne n’est mort alors j’imagine que c’est un bon signe. On peut déjà boire à ça.” Le frigo se referme sans qu’elle n’ait rien dérobé à l’intérieur, lui qui lui servait simplement d’excuse pour vérifier l’état de santé de son frère sans qu’il ne lui dise de retourner à sa place parce que c’pas tes affaires Lily. Sur la pointe des pieds, elle dérobe plutôt une des bouteilles de vin qui aurait tôt ou tard terminé dans leur appartement, la brune prévoyant de la voler depuis qu’ils l’ont achetée. Son regard interroge Matt pour savoir s’il en veut puis il se dépose sur Joseph, comme s’il était un enfant encore loin de la majorité qu’elle autorisait à boire pour la première fois. Il y a un peu de ça, sûrement, puisqu’elle le pense autant capable de devenir accro à n’importe quelle drogue autant qu’à l’alcool. C’est là sa manière à elle de prouver qu’elle essaye de nouveau de lui faire confiance, sans aucun mot et avec un seul regard mauvais. Entre Keegan, ils peuvent se comprendre. “Et on peut aussi boire au fait que j’ai réussi mon examen d’infirmière.” Loin de chercher la gloire, elle a simplement raison d’une excuse pour engloutir les premières gorgées de vin sans se soucier du regard des autres à ce propos. Après tout, quand on a quelque chose à fêter, un mari entier et un frère qui l’est tout autant, on a bien le droit de boire un verre ou deux ou dix. Posée à côté de Joseph près du comptoir, c’est pourtant en direction de son mari que le bleu de ses iris reste posé et son sourire tourné. Il n’y a qu’avec lui qu’elle aurait voulu faire tant d’efforts et notamment lui présenter son frère, aussi imparfaite l’image de sa famille puisse-t-elle désormais être.

« Tu sais c'qu’on devrait faire, quand elle arrive, Lily ? »
« Dis-moi. »

Ils ont l'air de deux gamins, de deux terreurs de bac à sable à se regarder avec l'oeil brillant de la pire des bonnes idées. Ou la plus mauvaise des bonnes? N'en reste qu'une fois leurs cafés terminés ils en ont élaboré des plans, ils en ont échafaudé des conneries. Il est perdu entre un rire et entre un autre Matt, quand il réalise que la pression redescend au fur et à mesure de sa tasse désormais vide. Celle de Joseph qu'il remplit d'un geste naturel, presque distrait pour l'avoir fait des dizaines de fois aujourd'hui. Pour espérer le faire encore à quelques autres moments, pour lui. Il est ici chez lui, il lui a dit.

***

“Matt t’a sorti le speech de mi casa es tu casa ?” elle est belle même si elle est stressée et que sa voix tangue vers des aigus qu'il déteste Matt. Il aurait voulu lui dire que tout va bien, qu'elle a bien cerné la chose, qu'il a été le mari lourd à sortir ses grands discours d'acceptation et d'hospitalité comme si ça lui donnait une carte de plus à son karma. Que ça a marché, qu'ils ont enterré une hache de guerre qui n'existait même pas, qu'ils sont sur un bon terrain d'entente, là. Mais à la place, il doit tenir le visage le plus fermé possible. Y'a un pari en jeu, une idiotie qu'ils ont gagées comme si c'était leur Graal et que le McGrath a déjà oublié. Il doit juste jouer son rôle de merdeux à la perfection et s'assurer que Joseph fasse de même. C'est con et Lily va les détester, il doute même pas que ce soit une bonne idée quand il partage un regard bref et rapide avec son frère à elle, à la seconde où elle tourne le dos. “Personne n’est mort alors j’imagine que c’est un bon signe. On peut déjà boire à ça.” leur air commun est lourd de sens, leur silence fait presque mal. Ils ont peaufiné les coups d'oeil en chien de faïence une poignée de secondes à peine avant qu'elle ne les rejoigne, et maintenant, ils doivent tenir à se fixer l'un de chaque côté de la table, à s'envoyer le mauvais oeil alors que la seule chose sur laquelle Matt se concentre c'est de garder ses lèvres pincées le plus possible, de s'éviter de rire ou même de sourire de la scène.

Comme il est con, l'amoureux transis qui joue volontairement le mari ennemi. “Et on peut aussi boire au fait que j’ai réussi mon examen d’infirmière.” fuck. Elle casse tout le plan en une seconde une seule, lui qui arrête de dévisager Joseph pour se lever d'un bon d'un seul, aller la soulever de terre et la prendre contre lui, ses bras se resserrant autour de la silhouette de la brunette comme s'il célébrait le diplôme lui aussi. « C'est vrai c'est vrai c'est vraiment vrai omg c'est V R A I ?! » du calme Matt, on respire, on chill, on reprend contenance, on la dépose par terre. « Tu pourrais la féliciter un peu, ça te coûte quoi. » sa voix met du temps avant de reprendre en sérieux, assez de temps pour qu'il se détourne de Lily, lui fasse dos. Qu'il dédie ses mots durs à un Joseph qui est le seul à voir son visage à Matt en l'instant. Le seul à le voir articuler un j'suis désolé c'est pour le jeu, avoue j'ai l'air furax pour vrai, c'est à toi de jouer là.

“Pardon du retard.” Lily apparait en toute hâte dans le décor du café et, déjà, elle s’y fait sa place comme si elle connaissait les lieux par cœur – ce qui doit être le cas puis que Matt semble avoir l’habitude de permettre à tous ses proches de se hisser derrière le comptoir. Il l’observe de ses deux yeux froncés, concentré à jouer le jeu auquel son mari et lui se sont adonnés. Une sorte de défi entre deux gamins de quinze ans. Le genre d'idée qui se termine toujours mal dans les films. Il ne peut retenir une sorte de soufflement de malaise lorsque sa sœur plaque à nouveau ses lèvres sur celle de Matt comme pour marquer son territoire. Il tente de dissimuler la moindre réaction même si ça lui fait bizarre d’assister à cet acte affectif. La dernière fois, elle posait ses lèvres sur celle d’un homme qui ne méritait que la prison mais qui a obtenu la mort - oups, erreur dans les calculs. « Ouais… » Joseph finit par répondre sans le moindre intérêt, balayant même l’air du revers de la main juste avant de boire une autre gorgée de café. “Personne n’est mort alors j’imagine que c’est un bon signe. On peut déjà boire à ça.” Le garçon croise le regarde du plus jeune, perçoit la lueur de malice dans ses yeux et arrive à maintenir la même expression que lui : un air agacé, presque arrogant, qui ne lui ressemble pas du tout. À vrai dire, Joseph serait surpris si Lily gobait leur plaisanterie mais ils ont un avantage. Elle craignait de présenter l’un à l’autre. “Et on peut aussi boire au fait que j’ai réussi mon examen d’infirmière.” Pendant une seconde, Joseph perd son impassibilité et ses sourcils se haussent sous la surprise. À vrai dire, ils se parlent tellement peu qu’il n’était pas au courant qu’elle tentait de monter en grade par le biais de nouvelles études. Heureusement pour lui et son petit jeu de comédie, Matt serre sa sœur contre lui juste assez longtemps pour que Joseph retrouve son expression aussi neutre qu’un nuage gris. Il a envie de la féliciter, lui aussi, de lui dire qu’il est fier d’elle comme elle l’a toujours été quand elle ne se cachait pas derrière un masque mais il n’est pas le plus expressif lorsqu’il s’agit de montrer sa joie. Et puis, il a un pari à relever. « Tu pourrais la féliciter un peu, ça te coûte quoi. » Ouf, parfait. Son coéquipier lui donne une chance de se reprendre. Ça lui fait presque mal au cœur de continuer le jeu mais… C’est sa sœur. Elle mérite toutes les plaisanteries qui lui passent par la tête. C’est dans leur nature à tous les deux de supporter l’autre. « J’aurais bien aimé savoir c’que je célèbre réellement. » Attends, non. Il doit en vouloir à Matt, pas à Lily. La nature prend le dessus sur lui soudainement. Il aura toujours quelque chose à reprocher à cette dernière même dans les moments où il faut célébrer. « Et puis mêle toi de tes affaires, aussi. Ce n’est pas comme si j’allais venir vous serrer tous les deux dans mes bras. » Il lève les yeux au ciel et détourne la tête en glissant sa tasse à ses lèvres pour cacher le plus possible son visage qui se crispe en une grimace trahissant son malaise. Lily les a vraiment déstabilisés avec sa bonne nouvelle et il commence à se sentir énormément stupide de ne pas la féliciter. Bon, ce n’est pas grave : il se reprendra quand la mauvaise plaisanterie sera terminée. À présent, Matt, tu sais ce que tu as à faire.

Elle ne discerne pas la tension palpable. En réalité, elle ne veut pas la discerner. Ils sont tous les deux en un seul morceau alors c’est tout ce qui devrait compter, non ? C’est en tout cas la seule chose à laquelle elle se raccroche, au milieu de leurs faux regards noirs d’imbéciles. L’illusion dure pendant un temps, lorsque ses pieds se décollent du sol sans qu’elle ne l’ait anticipé en même temps que la voix de son mari monte à se oreilles, plus joyeuse que jamais. « C'est vrai c'est vrai c'est vraiment vrai omg c'est V R A I ?! » Elle crie à peine de surprise mais ne garde finalement qu’un rire au milieu de son sourire qui n’en finit plus. La vie semble belle et la vie semble parfaite, même. Jusqu’à ce que ses pieds retrouvent leur place sur le sol et que le ton du brun change pour quelque chose dont elle n’a absolument pas l’habitude. « Tu pourrais la féliciter un peu, ça te coûte quoi. » Ses sourcils se froncent aussitôt alors qu’en plus de créer des tensions, il lui tourne le dos. “Matt.” Qu’elle tranche à son tour, froide, pour tenter de le rappeler à l’ordre. Ce n’est pas grave si Joseph dit rien, ce n’est pas grave du tout s’il ne la félicite pas. Ce n’est pas ce qui compte, ce n’est pas ce sur quoi elle se focalise non plus. Quand bien même, son frère, son problème. Elle l’aime bien trop pour le laisser s’interposer au milieu.

« J’aurais bien aimé savoir c’que je célèbre réellement. » Elle encaisse en silence, habituée et résignée. Il n’était pas au courant qu’elle envisageait de changer de métier alors oui, c’est vrai, il a le droit de se plaindre du peu d’information que sa petite soeur daigne lui transmettre. Ce n’est pas si grave et ce n’est pas mal, tant qu’il s’en prend à elle il n’y a rien de nouveau, il n’y a rien qui n’ait déjà été dit. « Et puis mêle toi de tes affaires, aussi. Ce n’est pas comme si j’allais venir vous serrer tous les deux dans mes bras. » Là, par contre, ses yeux vrillent dans le bleu de ceux de son frère a peine sa phrase terminée. “Joseph.” Elle tente de désamorcer l’engrenage avec le même ton usité pour Matt, quelques secondes plus tôt. Il est le seul à ne pas lui tourner le dos et donc le seul contre elle s’acharne de ses yeux accusateurs. “Je vous ai demandé une seule chose. Une.” Elle se passe une main sur chaque tempe pour les masser, yeux fermés, le temps de réfléchir quant à la marche à suivre. Elle hésite entre tout et son contraire, de la plus horrible à la pire des idées pour eux. Des techniques de tortures chinoises sont brièvement envisagées. “Vous allez sourire, vous allez poser des questions polies et vous allez arrêter de jouer à ce petit jeu. On va tous jouer la comédie pour une fois, ok ?” Elle pose une question rhétorique, remplissant tous les verres à ras bord de vin sans se soucier de qui préfère boire quoi. Ses doigts deviennent blancs à cause de la pression qu’elle exerce sur la hanse de la bouteille qui n’a rien demandé. Une des idées de marche à suivre consistait à les laisser s’entre tuer et se contenter d’aller à l’étage exploser, ils se contenteront d’assister à la version soft, celle qui est d’autant plus douloureuse encore pour la jeune femme qui plaçait tant d’espoirs dans cette rencontre et qui enchaîne aujourd’hui les verres : le sien, et les leurs. “Comme là, vous voyez. J’ai plus envie de sourire mais je le fais quand même alors vous deux, stupides garçons, vous avez intérêt à faire pareil.” Son ton n’est plus froid mais il reste autoritaire alors que son index accusateur passe de l’un à l’autre. Finalement elle crée elle même le sourire sur leurs lèvres, faisant d’eux ses petits golem d’argile qu’elle espère modeler comme elle le souhaite.

“Matt.”
« J’aurais bien aimé savoir c’que je célèbre réellement. Et puis mêle toi de tes affaires, aussi. Ce n’est pas comme si j’allais venir vous serrer tous les deux dans mes bras. »
“Joseph.”

Okay, fuck, arrêt sur image. “Je vous ai demandé une seule chose. Une.” rien ne va et son idée (ouaip, il en prend l'entier blâme, quelle grande âme) c'était de la pure merde et voilà qu'il le capte enfin comme une giga et puissante claque du revers. Lily est passée d'une coupe extra pleine à trois - deux qu'elle dédie au duo de champions qui devraient être les hommes de sa vie mais qui foutent sa vie en l'air en l'instant et il déteste ça McGrath. L'imbécile heureux qui voudrait juste qu'elle sourit tout le temps au point où la seule chose qui lui fasse mal, à la brune, ce soit des crampes dans ses joues. “Vous allez sourire, vous allez poser des questions polies et vous allez arrêter de jouer à ce petit jeu. On va tous jouer la comédie pour une fois, ok ?” pour l'heure, ce sont ses joues à lui et celles de Joseph qu'elle manipule, ses mots montant autant pour l'un que pour l'autre. Ça y est, ils se font gronder et entre deux coups d'oeil en coin et quelques lèvres pincées à retenir des rires d'idiots il sait qu'il a merdé l'anglais. Il le sait bien plus qu'à 95% du temps quand il merde pour tout et n'importe quoi, lui si habitué qu'il ne cautionne même pas. D'habitude. “Comme là, vous voyez. J’ai plus envie de sourire mais je le fais quand même alors vous deux, stupides garçons, vous avez intérêt à faire pareil.” désormais, il voit que ça. Le film brouillé qui passe aux creux des iris autant bleutés que voilés de Lily.

« On faisait que déconner, tout va bien. Je jure que tout va bien. » et le voilà, le pauvre petit gamin pris sur le fait, qui déballe son sac sans tenir une seconde de plus. Il fait presque pitié le brun, tellement il l'aime et tellement il se sent mal sur le coup. Joseph ira en son sens, il l'espère du moins, sachant à quel point eux-mêmes y tiennent autant qu'elle, finalement. Ils ont juste trouvé la façon la plus risquée de le lui démontrer. Dans sa tête, c'était l'idée du siècle, c'était la meilleure preuve possible qu'entre lui et le frère de Lily, tout allait. Qu'ils étaient aussi enfants l'un que l'autre, qu'ils avaient atteint le même niveau d'humour douteux le sourire aux lèvres et l'oeil brillant. À côté, comme un aveugle doublé d'un immature bambin, il avait pas capté que Lily flipperait à ce point, qu'elle y tiendrait autant. Faut dire qu'il est con Matt, qui ça étonne, et qu'il n'a qu'une preuve supplémentaire d'à quel point elle pense comme lui lorsqu'on en vient à parler de famille.

Ce n'est que lorsqu'elle s'apprête à dégager ses doigts glacés des joues bouillantes de la pile de remords et de regrets qu'il personnifie en l'instant qu'il les attrape au vol, les serre doucement des siens dans l'élan. « Joseph est chill, je suis chill, et dès que tu auras pris une gorgée de vin tu seras chill toi aussi. » une gorgée ou mille, entre eux, ils font pas les comptes et certainement pas pour ça. Faut bien qu'il justifie les achats irréfléchis qu'il fait en remplissant la cave à vin à fond, le coeur heureux et l'alliance qui tinte à son homologue depuis presque six mois déjà.

Le jeu aurait dû durer bien plus longtemps. Joseph aurait été prêt à jouer la comédie tant que sa sœur ne lui aurait pas balancé une boisson quelconque entre les deux yeux. Café, vin, on ne sait pas trop avec elle qui a décidé de se servir de l’alcool à une heure aussi hâtive. Il paraît qu’il y a quelque chose à célébrer : seulement, Joseph ne savait pas que sa sœur avait lancé de nouveaux projets. Il ne peut pas lui en vouloir. Ce n’est pas comme si, lui, il lui avait révélé son plus grand secret, celui qui pourrait lui voler sa liberté une seconde fois. Elle a bien droit à ses petites cachotteries ! “Je vous ai demandé une seule chose. Une.” Visage neutre, il hausse un sourcil en s’empêchant de jeter un coup d’œil sur Matt même s’il a énormément envie de voir sa réaction à lui. Joseph connait les sautes d’humeur de Lily et il peut prédire à quel moment elle va exploser et, ce moment, ce n’est pas maintenant. “Vous allez sourire, vous allez poser des questions polies et vous allez arrêter de jouer à ce petit jeu. On va tous jouer la comédie pour une fois, ok ?” Elle leur donne une seconde chance de faire bonne impression : on aurait dit une maman qui tenter de raisonner deux frères qui ne peuvent pas entendre l’autre respirer. C’est assez ironique puisqu’elle n’est habituellement pas celle qui doit maîtriser ses troupes. “Comme là, vous voyez. J’ai plus envie de sourire mais je le fais quand même alors vous deux, stupides garçons, vous avez intérêt à faire pareil.” Ça devient de plus en plus difficile de garder son sérieux mais il y arrive de justesse, lèvres pincées, sa mâchoire tellement serrée qu’il commence à sentir la brûlure de l’effort. Il allait rétorquer mais Matt le devance pour déjà jeter l’éponge. Dommage. « On faisait que déconner, tout va bien. Je jure que tout va bien. » Enfin, il le regarde et fait la moue, légèrement déçu. Toutes les occasions d’agacer sa sœur sont bonnes mais il faut croire que le mari n’a pas le courage de faire faces aux tempêtes de sa femme. Il ne doit pas la connaître encore assez. Ils se sont rencontrés durant une émission télévisée de téléréalité, tout de même. Évidemment que Joseph ne peut s’empêcher de penser qu’il y a une certaine superficialité dans cette histoire. Deux belles personnes qui ont été choisies parce qu’elles pouvaient bien rendre à l’écran. « Joseph est chill, je suis chill, et dès que tu auras pris une gorgée de vin tu seras chill toi aussi. » Il hausse mollement les épaules après avoir posé son coude sur le comptoir pour être plus confortable. Quand Lily se tourne vers lui, il lève sa tasse en arborant un sourire à la fois moqueur et amusé – rien de bien méchant – puis il marmonne : « Je suis chill, il est chill. » Qu’il répète en utilisant le même ton que Matt. « J’aurais aimé te voir cracher du feu mais j’imagine que j’devrai me reprendre une autre fois. » Il ajoute juste avant de porter sa boisson devenue tiède à ses lèvres. Il marque une pause, réfléchit de longues secondes à la façon dont il doit exprimer ses pensées et il se résolu à la simplicité. « Bravo pour ton truc. Un examen, c’est ça ? » Il se retient d’ajouter une connerie concernant les proposés aux bénéficiaires et il lève légèrement sa tasse pour trinquer dans le vide. « C’est Matt qui t’a appris à boire à cette heure ou c’est un talent qu’tu t’es toi-même trouvé ? »  

Son souffle cardiaque devient rapidement la seule chose sur laquelle elle se concentre - ça et son sourire d’apparence. Elle a besoin d’avoir le même et tout aussi faux sourire qu’eux deux parce qu’au moins, comme ça, quiconque verrait la scène de loin pourrait croire qu’ils forment le parfait petit trio d’amis. Lily tente tant de contrôler son frère et son mari qu’elle en contrôle le regard du reste du bar, de tous ceux qui perdent leurs yeux sur eux à un moment ou à un autre puisqu’ils ont monopolisé le comptoir du bar. Contre le reste du monde, ses yeux sont assassins. Contre les deux hommes près d’elle, c’est pire encore. « On faisait que déconner, tout va bien. Je jure que tout va bien. » C’était. Elle ravale tout en une seule seconde, elle recommence à respirer un peu mieux bien que artificiellement. Ses doigts coincés dans la main de Matt ne cherchent même pas à lutter ou s’en défaire. « Joseph est chill, je suis chill, et dès que tu auras pris une gorgée de vin tu seras chill toi aussi. » « Je suis chill, il est chill. » Ses yeux passent de l’un à l’autre alors qu’elle a bien du mal à cacher sa surprise et qu’elle leur en veut bien plus pour l’avoir prise de court plutôt que pour la blague en elle même. Ils répondent en écho, ils s’entendent et elle devrait être la jeune mariée la plus heureuse du monde mais au lieu de ça ce sont ses sourcils froncés qui laissent une claque voler rapidement sur la joue de Matt. Le bruit ne s’entend même pas sous la musique, sans doute aussi parce qu’elle y a mis la force d’un enfant de trois ans. Lily savait déjà de toute façon qu’elle allait le prendre dans ses bras la seconde qui suit : officiellement parce qu’elle l’aime, officieusement parce que personne n’a à voir les larmes qui coulent sur ses joues de porcelaine. Ou peut être que c’est l’inverse, qui sait. Ses doigts trouvent leur chemin dans ses cheveux et le monde cesse de tourner un instant. “Merci.” est un mot qu’il entendra à peine et pour cause : elle les prononce aussi faiblement que possible, cette confession ne regardant qu’eux.

L’instant d’après, ce sont ses larmes qu’elle sèche et ce trop plein d’émotions qui ne lui ressemble généralement pas qu’elle a tôt fait de cacher et refouler. Matt en a déjà été le témoin quelques fois et ce n’est pas devant lui qu’elle se sent étrangère. C’est paradoxalement devant son frère qu’elle se sent la moins à l’aise, ne lui ayant plus fait part de ses sentiments depuis près de vingt ans. « J’aurais aimé te voir cracher du feu mais j’imagine que j’devrai me reprendre une autre fois. » Son éducation l’empêche de lui renvoyer un doigt d’honneur mais l’intention y est. « Bravo pour ton truc. Un examen, c’est ça ? C’est Matt qui t’a appris à boire à cette heure ou c’est un talent qu’tu t’es toi-même trouvé ? » C’est aujourd’hui à son tour de faire des efforts alors que rien ne semble naturel. La brune esquisse un sourire et ne s’énerve pas pour aucune de ses piques parce que oui, promis, elle a fait beaucoup d’efforts et elle continue d’en faire. “Ça venait avec le diplôme, ça, t’en fais pas.” Il a été le plus nul des grands frères du monde, c’est certain, mais puisqu’elle fait elle aussi des efforts aujourd’hui alors peut être qu’ils pourront arriver à quelque chose. Maintenant qu’il a rencontré Matt et qu’il ne l’a pas fait fuir, cela semble d’autant plus être à portée de main. Ils leur reste la journée pour arriver à ne pas s’entre-tuer, raison pour laquelle Lily prend place sur le tabouret du comptoir et boit enfin le verre proposé par Matt. Matt d’ailleurs pour qui elle se promet de se rattraper pour cette baffe, commençant déjà par le garder près d’elle avec une main nouée autour de ses côtes.

Y'a un merci qui part après la gifle, et c'est drôle parce que les deux ne vont pas ensemble mais aux yeux de Matt et même à ceux de Lily, ça fait sens. Ils sont des gamins dans des corps d'adultes et ils se sont donné la mission de jouer, autant le frère que le mari et maintenant la brunette qui y met de ses propres pions. Au final, chacun avait bien besoin d'un bon coup de remontant et entre le vin qui passe comme un charme et les sourires qui sont de plus en plus naturels. Y'a moyen que la scène reprenne en douceur et qu'on ait l'impression qu'il s'agisse là bel et bien d'une rencontre formelle ou ce qui en a bien plus que juste le nom.

« J’aurais aimé te voir cracher du feu mais j’imagine que j’devrai me reprendre une autre fois. »
« Bravo pour ton truc. Un examen, c’est ça ? C’est Matt qui t’a appris à boire à cette heure ou c’est un talent qu’tu t’es toi-même trouvé ? »
“Ça venait avec le diplôme, ça, t’en fais pas.”

Ils échangent piques et remontrances cachés et lui, le McGrath né, il en a tout autant l'habitude quand il a passé des années bien trop nombreuses au compteur pour les cumuler à envoyer les pires vannes en direction de sa soeur. Lui par contre, il les ponctuait en lui ébouriffant les cheveux, en lui tirant les mèches, en étant le pire idiot que la Terre ait porté une seconde pour être le grand frère aussi étouffant que doux au possible l'instant d'après. Il connaît par leur dynamique lui qui n'aura pourtant jamais ce genre de retenue avec ses soeurs. Lui qui ignore pourquoi ils retiennent leurs élans les uns les autres et pourquoi Joseph n'est pas en train de gueuler dans tout le bar aux oreilles de tous les gens présents à quel point il est fier de Lily. Il n'en doute pas une seule seconde pourtant, que même si le Keegan n'exprime pas son engouement pour sa cadette qu'il n'en ressent rien. Mais c'est compliqué à capter pour Matt, qui se verrait déjà debout sur le bar à péter les tympans de quiconque entre au café au sujet de la bonne nouvelle.

Pour l'heure, sa joue le brûle mais les doigts de Lily qui s'égarent de parts et d'autres de ses côtes rendent la douleur bien éphémère et totalement négligeable. Il est bien trop heureux pour penser à autre chose qu'à remplir leurs verres Matt. L'australien à l'accent anglais, il est bien trop occupé à se donner un rôle de spectateur dans une scène qui leur appartient un peu plus à eux deux désormais. Il prendra son tour quand il viendra. Il fera un karaoke à thématique médicale pour souligner le succès de sa femme, il inventera des cocktails aux teintes des scrubs qu'elle va porter à l'hôpital dès qu'elle aura ses heures, il imaginera une chasse au trésor consistant à trouver cachés au-delà du bar des stéthoscopes de toute les couleurs de l'arc-en-ciel et tout ira bien dans le meilleur des mondes. Comme en ce moment.