“when life gives you lemons, squeeze them in people's eyes” feat @caleb anderson & birdie cadburry
{outfit} Elle a retrouvé la feuille. En soi, elle ne l'a jamais perdu. Même dans ce qu'on pourrait voir comme une cacophonie bordélique à la place d'une chambre, ce n'était pas perdu. Coincée entre deux carnets, un de feuilles séchées et l'autre d'une écriture enfantine lointaine. Birdie la lit de travers et ses yeux bleus perdent de leur éclat. Un peu, peut être beaucoup. Un nouveau fantôme qui revient sans qu'elle n'ait rien demandé. Un nouveau poids dans sa charge mentale qu'elle ne veut pas, qu'elle ne veut plus. Elle a bien rencontré cette jeune fille au regard troublant et spécial. L'oiseau pense qu'elle pourra la remplacer. Comme on remplace une babiole sur l'étagère. Depuis le temps, elle aurait aussi songé que la blessure était refermée. Elle ne caressait plus d'idées de vengeance et d'injustice. Victoria n'est qu'un lointain souvenir. Aussi décomposé que doit être son corps, le sont les souvenirs d'elle. Birdie ignore le début de la fin et la fin du début tellement qu'elle a préféré passer à autre chose. Victoria était précieuse pour le temps donné. Un temps béni sûrement, où Birdie a pensé à autre chose qu'à sa frêle personne. Égoïste, elle ne l'a pas été pour Victoria. Étrangement altruiste, son amie l'a laissé s'immiscer dans sa vie.
Cette vie qu'elle avait de parfaite, Vicky. Avant qu’on ne l’achève en plein vol.
L’ironie, c’est que la personne tenue pour responsable est la même que le destinataire des mots qui ont été couché avec soin sur le papier par la future madame Anderson. Des mots que Birdie avait trouvé niais, for-cément, que Victoria lui avait balancé un oreiller à la figure, que la blonde avait hurlé qu’elle va foutre en l’air son vernis. Victoria qui avait rebroussé les idées de Birdie, elle qui voulait un mariage sobre et élégant face à son amie qui ne voyait pas où était le problème d’avoir une robe colorée ou arriver sur un cheval. Autant être niais jusqu’au bout, non ? Il y a un voile de nostalgie qui passe sur ses yeux, forcément, avant qu’elle se lève brutalement, papier en main.
Il est tant qu’elle tourne définitivement la page. Qu’elle se débarrasse de ce papier. Pourquoi l’a–t–elle gar-dé ? Pour le punir, lui, certainement. Et pour qu’elle, elle puisse aussi garder une trace. Quelque chose d’autre que des photos, de vieux polaroids coincés dans une boite à chaussures quelque part. Il y avait une volonté implacable à vouloir cacher ça du concerné. Il n’était pas digne, pas après ce qu’il avait fait. Même si ce n’était qu’un accident, qu’il n’a évidemment jamais voulu le décès de sa promise. Mais Birdie garde son fromage dans son bec, elle ne lâche pas le morceau même si on vient la complimenter. Elle est sévère, elle est intransigeante et ce bout de papier est la preuve qu’elle n’a pas encore tourné la page. Qu’une part d’elle–même est toujours avide d’en finir, avec elle, avec lui, avec tout ça. Pourquoi est–ce que ça remue tellement ? La Cadburn essaie de ne pas s’en préoccuper alors qu’elle dévale les escaliers de son immeuble et qu’elle entreprend la grande marche jusqu’au restaurant. L’Interlude. On n’aurait pas pu mieux trouver comme nom. Elle va lui en promettre, de l’interlude dans quelques minutes alors que ses grandes enjam-bées la portent vers celui qu’elle n’a pas voulu revoir depuis des mois. Peut–être même des années. Alors qu’ils se voyaient souvent, qu’elle a même travaillé pour lui, qu’il avait réussi à entrer dans ses bonnes grâces.
La porte s’ouvre sans aucune délicatesse. Fin de matinée, début du service du midi, il y a déjà quelques clients attablés qui attendent patiemment autour d’un verre (ou plusieurs, qui sommes–nous pour juger) leur repas. Birdie se dirige vers la réception et elle tape de la main contre le comptoir, le visage fermé, dénué de son sourire lumineux. « Il est où, le chef à bouclettes ? J'en ai rien à foutre s'il est en train de prendre son pied avec sa gazinière, faut que je le vois. Dis-lui que c'est à propos de Victoria. Ça devrait lui mettre le feu au cul pour le coup. » Et franchement, si ce fait ne le fait pas quitter sa cuisine, elle ira le chercher elle-même. C’est un affront qu’elle ne pourra accepter.
“when life gives you lemons, squeeze them in people's eyes”
C’est une journée banal qui commence, je me lève à sept heures laissant Alex seule dans le lit et j’arrive au restaurant vers huit heures. Le temps de m’occuper un peu de la paperasse avant de commencer la mise en place et la préparation du service de midi. C’est comme ça que je fais tous les jours ou presque. Bien loin de m’imaginer la bombe qui s’apprête à me tomber dessus d’une minute à l’autre je fais un peu de comptabilité pendant un peu plus d’une heure et je ressors de mon bureau pour rejoindre mes employés dans la cuisine. On commence par cuisiner les desserts et tout ce qui demande beaucoup de préparation. Tout va bien, pour l’instant. Jusqu’à ce que le service de midi ne débute. Quelques clients commencent à arriver et alors que je termine ma première assiette de la journée une toute autre surprise m’attend. « Chef, il y a quelqu’un en salle qui vous demande. » Quelqu’un qui demande à me voir alors que le service de midi commence à peine ? Je fronce les sourcils avant de lui répondre. « Demande-lui de revenir après 13h30. » Ce qui me semble assez logique, mais soit. Peu de personnes ne viennent me voir alors que je travaille et encore moins à cette heure-là. Alex le fait, mais tout le monde la connait ici alors elle m’aurait tout de suite dit qu’il s’agit de ma petite-amie. Jules aussi vient de temps en temps mais jamais en plein service. « Si je peux me permettre, ça avait l’air assez urgent. Elle m’a dit que c’était à propos d’une certaine Victoria. » Victoria. J’ai l’impression de ne pas avoir entendu ce prénom depuis une éternité et je manque même de me couper ce qui me pousse à lancer quelques jurons à voix basse. Je grimace et finis enfin par oser lever les yeux vers elle. « Apporte ça à la table dix. » C’est tout ce que je lui réponds en lui remettant deux assiettes en main. Un léger soupir se fait entendre et j’essaie de reprendre mes esprits en me posant un million de questions. Qui pourrait venir me déranger sur mon lieu de travail en demandant à me voir prétextant que sa visite est en lien avec mon fiancée décédée il y a trois ans ? Et j’ai beau me creuser la tête, aucun nom ne me vient à l’esprit. Je pense potentiellement à son frère qui pourrait être de passage en Australie, je sais qu’il ne m’a jamais pardonné l’accident mais je ne comprends pas pourquoi il demanderait à me voir. Je cherche mais je ne trouve pas. Je n’en ai pas la moindre idée mais j’ai comme l’impression que ce n’est absolument pas de bon augure. Au bout de quelques courtes minutes je finis enfin par enlever ma toque et je trouve le courage de sortir de la cuisine mais il ne me faut pas très longtemps pour le regretter. Je la vois de loin. Elle est accoudée au bar. Birdie. Pourquoi est-ce qu’elle est ici ? Pourquoi est-ce qu’elle demande à me voir trois ans après en remettant Victoria sur le tapis ? Je la regarde quelques secondes sans bouger. Je m’attendais à tout sauf à ça. À tout le monde sauf à ça. Je renifle et passe une main dans mes cheveux tout en m’avançant vers elle. Je sais qu’au même titre que le frère de Victoria, Birdie ne m’a jamais pardonné la mort de Victoria me considérant comme le seul et unique responsable – ce qui est vrai, en soi. – « Birdie. » Je m’arrête à quelques centimètres d’elle, je ne sais toujours pas à quoi m’attendre avec elle. « Qu’est-ce que tu veux ? » Parce que sa visite ne doit certainement pas être désintéressée. Les dernières fois que l’on s’est vues n’ont pas été très amicales bien au contraire. J’étais mal, au fond du trou. Je venais de tout perdre. La femme de ma vie, ma future femme, celle avait qui je voulais passer le reste de ma vie, la seule personne qui me rendait heureux et tout ce qu’elle a fait c’était enfoncer le clou. « Comme tu peux le constater tu ne tombes pas très bien, j’ai pas beaucoup de temps alors quoique tu aies à me dire, fais ça vite s’il te plaît. » Je sais que je ne suis pas très aimable mais elle ne va très certainement pas l’être non plus alors pour une fois je prends les devants et je m’attends même déjà au pire.
Les assiettes commencent leur valse, portées par des serveurs aguerris et bien plus compétents qu’elle ne l’a sûrement jamais été. Faut dire que Birdie ne donne pas beaucoup de sa personne, que tout n’est qu’un jeu pour elle, que rien n’est à prendre au sérieux. Caleb a sûrement été exaspéré plus d’une fois du manque de rigueur de la blonde, certainement que Victoria a dû prêcher la bonne parole en sa faveur auprès du grand brun qui avait l’ambition de faire de son restaurant une valeur sûre de la ville. Force de constater qu’il y est arrivé avec le temps. Que son restaurant respire la sympathie, frôlerait presque cette perfection qui lui donne envie de vomir. Comment est–ce qu’il a pu continuer dans son ambition folle alors que sa vie avait été chamboulée, détruite, aplatie à cause d’un mauvais coup de chance ? Cette foutue destinée que l’on blâme pour tout et rien à la fois, qui nous fout des bâtons dans les roues en même temps qu’elle nous ouvre des portes. Birdie qui n’a toujours compris que le chaos et l’auto destruction dans ses formes les plus solaires suite à des évènements traumatisants – et dieu seul sait que même si elle les cache bien, ils sont là, ancrés, marqués au fer rouge dans sa chair – elle ne conçoit pas la force qu’a pu avoir Caleb pour tout bâtir. Pour continuer sa route, honorant la vie professionnelle qu’il avait toujours espéré. Victoria lui avait beaucoup parlé de la passion de son futur mari, elle avait l’œil qui brillait, certainement de fierté. Oh oui, elle serait sûrement très fière de voir ce qu’il a réussi à monter dans un des quartiers les plus huppés de la ville.
Birdie aurait pu être fière aussi, quelque part, entre deux roulements d’yeux parce que franchement, l’ambition est un concept aussi inexistant que la responsabilité ou la normalité chez elle. Mais ça, ça aurait été sans l’accident. Sans la mort, sans l’absence de Victoria. Une autre vie, parallèle à l’actuelle, où les choses seraient foutrement différentes.
« Birdie. » Un univers où peut–être Caleb ne prononcerait pas son prénom comme ça. Cela titille un peu l’oreille, ça la ferait presque grimacer alors que son regard azur se détache de la décoration de la salle – un peu trop sobre quand même à son goût – pour se poser sur le brun, même si elle s’en serait bien passée. De le revoir, de constater qu’elle dérange – tant mieux, c’était presque fait exprès. Se pointer quand il ne faut pas pour bousculer le train quotidien, c’est une spécialité Cadburn. « Tu te rappelles de moi, c’est adorable. » Qu’elle balance sans retenu, un bras accoudé contre le comptoir et l’autre, la main posée sur sa hanche. « Qu’est-ce que tu veux ? » Birdie arque un sourcil. « C’est comme ça que t’accueille tes clients, toi ? Et ben, va falloir prévoir une baisse dans les étoiles de ton resto si c’est le cas. » Comme si elle mangerait ici. Plutôt aller se perdre en plein désert et bouffer du sable. Jamais elle ne pourrait faire comme avant. S’il y a bien un rôle qu’elle appréciait, c’était celui de testeuse. Bizarrement, pour ça, la Cadburn n’a jamais été la dernière.
Mais maintenant, c’est fini.
« Comme tu peux le constater tu ne tombes pas très bien, j’ai pas beaucoup de temps alors quoique tu aies à me dire, fais ça vite s’il te plaît. » Caleb se veut presser mais Birdie lâche un léger sourire de coin, pas très amical mais assez suffisant pour présager que ce n’est pas le bon vent qui l’amène. « Au contraire, j’arrive au bon moment. Je suis sûre que tu vas pouvoir étaler quelques minutes pour moi. Enfin, si ce n’est pas pour moi, au moins pour Vicky. Tu lui dois bien ça, nan ? Quelque part entre ta réussite pro, tu crois que tu peux lui accorder encore cinq minutes de ton si précieux temps ? » Elle touche là où ça fait mal directement parce qu’elle, elle a toujours mal quand elle y repense. Sa sœur de cœur, celle qu’elle a voulu protéger mais qu’elle n’a pas réussi. Birdie s’en veut mais pas autant qu’elle en veut à la personne qui se tient en face d’elle et en qui elle avait assez confiance pour lui confier son amie. « Est–ce que tu veux faire ça ici devant une assemblée ou t’as un endroit plus tranquille ? Tu noteras que je suis assez sympa pour ne pas vouloir te foutre la honte devant tes clients et ton personnel. » La Cadburn se trouve presque trop bonne avec lui. Vraiment, il ne le mérite pas.
“when life gives you lemons, squeeze them in people's eyes”
Birdie, c’est comme un fantôme du passé. Elle est là, accoudée au bar, elle m’attend alors que je ne pensais pas la revoir un jour. Pourtant, je n’avais rien contre elle il y a quatre ans. Quand Victoria était encore en vie, quand elle traînait avec Birdie. Je me souviens même du jour où elle me l’a présenté, j’avais presque la pression. Parce que je savais qu’elle était importante pour Victoria, elle la décrivait comme sa sœur alors je devais forcément me faire apprécier de cette dernière. Pourtant elles ne se ressemblaient pas beaucoup. Quelques traits de caractère en commun seulement mais ça avait suffi pour les lier dans une amitié que je n’avais pas réellement comprise mais qui était primordiale aux yeux de celle que j’aimais. Au final j’ai presque fini par comprendre ce que Victoria lui trouvait. Un petit grain de folie pas toujours si désagréable, encore plus franche et honnête que Vicky ne l’était déjà. Birdie, je l’aimais bien. Assez pour l’embaucher à l’Interlude. Elle avait besoin d’un travail moi j’avais besoin d’une serveuse en plus et il a suffi que Victoria me le demande en me faisant les yeux doux. Je n’ai pas pu refuser. Pourtant elle n’était pas très douée. À de nombreuses reprises j’aurais pu la mettre dehors. Mais je ne l’ai jamais fait. Parce qu’elle était l’amie de la femme de ma vie. Mais depuis l’accident on ne s’est pas revus. Enfin si, aux funérailles mais on ne peut pas dire que j’en garde un bon souvenir. J’avais mal. Et encore le mot est faible. J’étais complètement anéanti, persuadé que jamais je ne pourrai m’en remettre. J’ai bien compris que Birdie ne me pardonnerait jamais l’accident qui a coûté la vie de son amie, et je ne peux pas la blâmer. Moi non plus je ne me le suis jamais pardonné. « Tu te rappelles de moi, c’est adorable. »Comment t’oublier ? Je relève les yeux vers elle et j’ose vraiment la regarder. Sans baisser les yeux. Parce que la connaissant elle risque de me lancer une vacherie dans peu de temps. J’attends. J’attends qu’elle reprenne la parole mais au final c’est moi qui parle à nouveau, incapable d’attendre plus longtemps pour connaître les raisons de sa présence ici. Une chose est sûre : elle n’est pas venue pour rattraper temps perdu ni même pour s’installer à table et manger comme elle pouvait le faire avec Victoria de temps en temps. « C’est comme ça que t’accueille tes clients, toi ? Et ben, va falloir prévoir une baisse dans les étoiles de ton resto si c’est le cas. » Je soupire, parce qu’elle m’agace tout simplement. Elle tourne autour du pot et ça m’énerve. Qu’est-ce que tu fous ici Birdie ? « Ne me fais pas croire que tu es venue ici pour manger. » Et puis, elle a dit que ça avait un rapport avec Victoria, même si je ne vois pas en quoi elle pourrait être mêlée à cette visite sachant qu’elle est morte depuis un peu plus de trois ans maintenant. Birdie sourit un peu. Ce sourire en coin qui ne présage rien de bon comme je pouvais m’en douter. « Au contraire, j’arrive au bon moment. Je suis sûre que tu vas pouvoir étaler quelques minutes pour moi. Enfin, si ce n’est pas pour moi, au moins pour Vicky. Tu lui dois bien ça, nan ? Quelque part entre ta réussite pro, tu crois que tu peux lui accorder encore cinq minutes de ton si précieux temps ? » Elle appuie là où ça fait mal. Tout de suite. Elle attaque le sujet. Et presque instinctivement je me sens déjà totalement désarmé. Quand je l’entends utiliser de surnom Vicky ça me fait tout de suite mal. Directement plongé dans de nombreux souvenirs qui n’étaient pas censés être douloureux mais qui ont fini par le devenir. « S’il te plait arrête ça… » On pourrait presque croire que je la supplie et au final c’est sûrement un peu le cas. Elle sait pourtant que j’ai souffert. Sûrement même bien plus qu’elle ne peut l’imaginer. Et c’est justement pour ça qu’elle me parle de Victoria, parce qu’elle sait qu’elle appuie sur un sujet sensible. Elle veut me faire mal ? C’est presque déjà le cas, elle peut être contente. « Est–ce que tu veux faire ça ici devant une assemblée ou t’as un endroit plus tranquille ? Tu noteras que je suis assez sympa pour ne pas vouloir te foutre la honte devant tes clients et ton personnel. » Elle continue. Et moi j’ai toujours aussi peur. Presque. Je me demande ce qu’elle me veut. Pourquoi elle revient trois ans après en me parlant de Vicky, en me demandant si je n’ai pas un lieu plus privé pour avoir cette discussion. Mais clairement, je l’écoute. Je n’ai pas envie qu’elle attire toute l’attention sur nous. Je balaie la pièce du regard, les tables qui commencent à se remplir, le regard des plus anciens employés qui nous regardent en essayant d’être discrets. Parce qu’ils connaissent Birdie et elle n’a pas remis les pieds ici depuis des années. « Ok, viens, on peut aller dans mon bureau. » Rester en plein milieu de la salle ne me tente pas vraiment alors mon bureau me semble être une bonne alternative. Je m’avance vers le fond de la salle et une fois devant la porte j’attrape mes clés pour ouvrir mon bureau et une fois tous les deux rentrés, je ferme la porte. Rien n’a changé dans cette petite pièce depuis la dernière fois qu’elle y est entrée. À un détail près ; il y avait une photo de Victoria et moi sur le bureau qui a fini par être rangée dans un tiroir il n’y a pas si longtemps que ça. « T’as besoin de quelque chose ? » Une manière différente de lui demander une nouvelle fois pourquoi elle est ici. Je lui ai pourtant déjà donné quelques souvenirs de Victoria, rendu les affaires qu’elle lui avait empruntée avant l’accident mais peut-être que j’ai oublié quelque chose. Ça expliquerait sa venue ici aujourd’hui. Je ne souris pas comme je le fais pourtant assez régulièrement. Je ne bouge pas, je la regarde d’un air sûrement un peu anxieux. Parce que je sais que sa présence ici va forcément me replonger dans cette époque. Cette époque où Victoria était encore en vie. Où j’étais amoureux d’elle, où elle allait devenir ma femme. Et bien que le deuil soit maintenant fait, penser à tout ça ne veut pas dire que ça ne me fait plus mal du tout. Ça ne fait que me rappeler sans cesse que je suis responsable de sa mort et que je mérite toute la haine que Birdie doit ressentir en me regardant.
« Ne me fais pas croire que tu es venue ici pour manger. » Non, elle ne le lui fera pas croire parce qu’il sait qu’elle n’est pas là pour ça. Ils ne sont plus à l’époque où ils partageaient un verre de vin, où Birdie se moquait de ses pieds de mâle mal entretenus, où elle le menaçait de le tondre à chaque occasion. Il n’y a plus de rire qui fusent, ni de confiance entre eux et encore moins de sympathie. Caleb a l’expression agacée, blasée coincée sous sa figure broussailleuse. Il n’a pas besoin de faire semblant, il ne s’en cache pas ; la Cadburn n’est pas la bienvenue dans les environs. Comme à peu près partout de toute façon donc elle a l’habitude. Cela ne la dérange pas et elle passe au-dessus. « Je pourrai te faire croire aussi à une visite de courtoisie mais ça aussi, on sait que c’est faux. » La courtoisie n’existe plus et il ne mérite pas plus son estime que son amitié après ce qu’il a fait. Même si ce n’était pas volontaire, même si ce n’était qu’un accident, le résultat est là et Birdie ne peut se résoudre à passer l’éponge dessus.
Le papier dans sa poche lui paraît lourd et elle a la sensation qu’un néon lumineux en technicolor est en train de montrer sa véritable venue ici. Alors la Cadburn passe sa main dedans, elle aplatit ses doigts sur la feuille, aussi légère que pesante, aussi lisse que piquante. « S’il te plait arrête ça… » Et pourtant, “ce n’est que le commencement.” C’est une promesse plus qu’une menace. L’action de le torturer, de le voir tortiller son visage, de l’entendre presque supplié. La victoire est si simple, elle est si facile à attraper mais elle lui coûte tellement. Le souvenir de Victoria est toujours présent, il est là, aussi clair et limpide que de l’eau de roche. Birdie aurait presque honte de salir ainsi son image, de l’utiliser à des fins de vengeance absolument absurdes. Parce que, dans tous les cas, qu’importe la force qu’elle met dans l’ouvrage, cela ne la refera pas revenir. A part dans des murmures de haine à l’encontre de celui qui l’a achevé en plein vol.
Cependant, Birdie n’a aucun scrupule. Il est évident qu’elle peut respecter sa mémoire tout en essayant de rendre la monnaie de la pièce qui ne retombera finalement jamais. Suspendue dans les airs et perdue à jamais dans la vie supérieure dont personne ne revient. Les yeux bleutés de la blonde ne quittent pas l’apparence du brun, ils le voient donc regarder autour de lui, analyser les lieux pour finir par obtempérer. « Ok, viens, on peut aller dans mon bureau. » Regardez comme elle est mignonne, la gamine, à suivre docilement le patron des lieux. Son dos lui faisant face, elle dédouane sa vision pour la poser sur les employés qui la regardent, certains avec appréhension et à qui elle fait un sourire faussement adorable à souhait. Birdie ignore s’ils vont réussir à voir leur chef adoré d’ici la fin de la journée, en un seul morceau surtout, et ça, c’est un goût très doux dans son palais pourtant amer. « Rien n’a changé. C’est presque déprimant. » Il n’y a rien de pire que l’habitude. La monotonie. La régularité. A part- « Y a pas de poussière ici. Donc si, t’as bougé quelque chose, finalement. Donc Caleb Anderson est capable de briser un peu son train train quotidien, comme quoi. » Qu’elle dit en passant son doigt sur l’absence de poussière à un endroit précis, sans se rappeler pour autant ce qu’il y avait là avant. Des détails qui ne sont plus les siens à garder en tête. Elle n’a jamais retenu que ce qui l’intéressait, de toute façon. « T’as besoin de quelque chose ? » Sa main toujours sa poche, comme pour la rassurer d’une quelconque façon, ses yeux qui parcourent avec curiosité le bureau et la moue de déception de voir qu’à part la tache formée par la poussière aux alentours sur le bureau, rien n’a l’air nouveau. « Un grand chef, c’est pas censé avoir un bureau plus sympa que ça? Même les hôpitaux sont plus accueillants. » Si elle a besoin de quelque chose? Oui, juste la sensation de faire ce qui est juste. Si ce n’est pas pour Caleb - et ça ne l’est pas, pas du tout - au moins pour Victoria. « J’aurai besoin de barbe à papa jaune, de m&m arc-en-ciels et de nouveaux collants qui sentent la clémentine… Mais je suis pas sûre que t’as ça sous la main. » Birdie finit enfin par redresser son buste et son attention sur Caleb. « Pourquoi tu crois que j’ai besoin de quelque chose? Qu’est-ce qui te dit que c’est pas l’inverse? Après tout, je vois pas ce que toi t’aurais à me donner. » Rien, elle ne lui a jamais rien demandé. Pas même le retour de sa broche préférée qu’elle a confiée à Victoria et qu’elle n’a jamais revu. Rien. Alors il va être mignon, l’Anderson, et il va l’écouter.
Enfin, quand elle se décidera à aller dans le vif du sujet.
“when life gives you lemons, squeeze them in people's eyes”
La courtoisie ça n’existe pas avec Birdie. Ou du mois ça n’existe plus, alors quand je la vois dans mon restaurant je sais très bien qu’elle a quelque chose à me dire, ou à me demander et la connaissant ce n’est rien de bien agréable. Elle sait appuyer là où ça fait mal et elle le fait sans aucune hésitation en évoquant directement Victoria. Je sais qu’elle m’en veut encore et je ne peux pas lui en tenir compte, elle a raison. À cause de moi elle a perdu une amie, une sœur. Pourtant il fut un temps où les visites de courtoisie étaient encore d’actualité, une discussion autour d’un verre de vin, Victoria à mes côtés et Birdie avec nous de temps en temps, juste pour passer du temps avec son amie. Tant qu’elle le pouvait encore, tant qu’elle était encore de ce monde. « ce n’est que le commencement. » Je me pince les lèvres tout en baissant les yeux, presque d’un air désolé ou honteux. Pourtant je n’ai pas à l’être, mais je comprends qu’elle est ici pour continuer à m’enfoncer, à me reprocher à de nombreuses reprises l’accident, la mort de Victoria. Je sais que je suis coupable, j’y pense encore. Tous les jours. Je n’ai pas franchement besoin qu’elle me le rappelle tous les jours. « Tu sais très bien que c’est pas ce qu’elle aurait voulu. » Jamais elle n’aurait voulu qu’on se fasse la guerre. Birdie, elle l’aimait beaucoup. Elle la considérait comme une grande sœur, une amie, quelqu’un d’essentiel pour elle dès qu’elle est arrivée en Australie. Je sais qu’elle m’aimait et que pour elle, le fait que je puisse entretenir de bonnes relations avec ses amies était très important. Pourtant on en est là, trois ans après. À se faire la guerre. Enfin, c’est elle qui me fait la guerre parce que moi de base je n’ai absolument rien contre elle. Sauf quand elle est comme ça. On est dans mon bureau, elle scrute tout du regard comme si elle cherchait ce petit détail parfait pour me descendre encore. Je referme la porte derrière nous et je me retourne vers elle, attendant qu’elle prenne la parole. Qu’elle m’explique pourquoi elle a décidé de venir ici. Trois ans plus tard. « Rien n’a changé c’est presque déprimant. Y a pas de poussière ici. Donc si, t’as bougé quelque chose, finalement. Donc Caleb Anderson est capable de briser un peu son train train quotidien, comme quoi. » Et c’est là où il y avait la photo de Victoria. Photo maintenant rangée dans le premier tiroir du bureau. Sans même vraiment m’en rendre compte je fixe ce tiroir quelques secondes mais je finis par relever les yeux vers Birdie me ramenant directement à la réalité. Je soupire doucement, agacé par son comportement et elle doit le savoir ou du moins s’en douter. Mais je ne m’énerve pas pour autant, je reste calme, je ne dis rien. J’attends. Simplement. J’attends qu’elle m’en dise plus mais elle semble vouloir tourner autour du pot ce qui ne me plaît pas du tout. « Un grand chef, c’est pas censé avoir un bureau plus sympa que ça? Même les hôpitaux sont plus accueillants. » Ça n’a aucun sens. Ça n’a aucun rapport avec les raisons de sa venue ici, je le sais. Après avoir pris une grande inspiration, je ne tarde pas à lui répondre. « Tu me fais chier, Cadburry. » Et même ça, je le dis avec un certain calme qui pourrait en déstabiliser plus d’un. Je ne suis pas agréable mais je n'hausse pas le ton non plus, je reste aussi zen que je le peux, même si elle semble prendre un certain plaisir à tester un peu mes nerfs. « J’aurai besoin de barbe à papa jaune, de m&m arc-en-ciels et de nouveaux collants qui sentent la clémentine… Mais je suis pas sûre que t’as ça sous la main. Pourquoi tu crois que j’ai besoin de quelque chose? Qu’est-ce qui te dit que c’est pas l’inverse? Après tout, je vois pas ce que toi t’aurais à me donner. » Les sourcils froncés, les lèvres pincées je la fixe pensant qu’elle avait autre chose à ajouter, mais non. Elle ne dit rien. Pourtant pour le coup j’aurais plutôt bien aimé qu’elle parle parce que je ne comprends encore une fois pas où elle veut en venir. « Pourquoi j’aurais besoin de quelque chose venant de toi ? » Le temps où je récupérais les affaires de Victoria que Birdie lui avait emprunté est terminé. « Je ne vois pas non plus ce que tu pourrais avoir à me donner. » Au cas où elle ne l’avait pas encore compris. Mais elle n’est pas bête, Birdie. En plus, elle a les mains vides alors je ne vois vraiment pas ce qu’elle pourrait avoir à me donner, ou à me rendre. Les bras croisés contre mon torse, je prends une grande inspiration et je lui demande. « Vas droit au but. » Toujours moyennement agréable mais à quoi bon ? De toute façon elle ne l’est pas non plus et quelque chose me dit que les choses ne risquent pas de s’arranger.
« Tu sais très bien que c’est pas ce qu’elle aurait voulu. » Non, Caleb. Victoria aurait sûrement voulu qu’ils continuent à manger les macarons de l’amitié. Peut–être qu’elle aurait souhaité un burger aux saveurs particulières comme Caleb peut les trouver – il est foutrement doué dans ce qu’il fait, après tout, elle peut lui donner ça – ou même une pizza dans une forme autre que ronde car ils savent que Birdie aime l’originalité et que les pizzas rondes, c’est comme les sushis roulés ou les tacos en enveloppe, c’est bon, mais ça n’a aucune surprise. Il y a toujours les mêmes aliments, les mêmes textures, les mêmes couleurs. Birdie aimait bien taquiner Caleb, essayer de le pousser à faire preuve de fantaisie en lui jurant que ça ne pouvait qu’attirer plus de monde à venir chez lui et arrêter d’aller acheter des kebabs ou des fish & chips qui sont sûrement périmés dans le food truck à quelques mètres d’ici. Est–ce que ce truck est encore là, d’ailleurs ? Birdie n’en sait rien. Elle n’a pas fait attention, elle n’y pense plus, il y a beaucoup de choses qu’elle a zappé depuis que Victoria n’est plus de ce monde. Elles finissaient souvent sur un débat pour savoir ce qui était le meilleur entre la paella et la moussaka. Mais Birdie reste fidèle à ses origines en finissant toujours par demander une meat pie parce que ça, c’est increvable et que c’est bien une des rares spécialités culinaires que l’Australie a réussi à faire.
Caleb referme la porte et elle se tourne avec un extraordinaire « elle n’est plus là pour dire ce qu’elle veut, de toute façon. » Absolument prodigieuse entrée en matière, ou alors ce n’est que la continuité de son discours. Birdie ne peut pas s’en empêcher, elle continue à le faire monter dans le chaudron, à faire bouillonner la marmite, à mettre en test ses nerfs. Elle le fait avec quasiment chaque personne qui croise son chemin mais autant dire qu’avec Anderson, c’est encore plus exacerbé. « Tu me fais chier, Cadburry. » Et visiblement, il le lui rend bien, le petit bouclé. Birdie a un haussement de sourcil, surprise, avant de sourire légèrement. « Et il dit des gros mots, en plus. On va vers le progrès. » Encore un peu plus et elle pourra presque lui donner une caresse sur la touffe qui lui sert de chevelure. « Pourquoi j’aurais besoin de quelque chose venant de toi ? » Les choses sérieuses commencent à pointer le bout de leur nez. « Je ne vois pas non plus ce que tu pourrais avoir à me donner. » Il reste là, Caleb, tout droit, les bras croisés, dans l’expectation de la raison réelle de la blonde dans ses locaux. « Vas droit au but. »
« Tu veux que j’aille droit au but ? Très bien. » Le ton de Birdie est égal à celui de Caleb. Il est bien moins enjoué, un peu plus sérieux et ses prunelles bleutées sont un peu plus intenses et dures. Ses doigts s’emmêlent avec le papier, elle a un moment d’hésitation qui dure une micro minute mais qui est bien suffisante pour la faire douter. Est–ce qu’elle fait bien ? Est–ce que c’est ce qu’elle aurait voulu ? Victoria l’a aimé. Profondément, sincèrement, avec tout son cœur et toute son âme. Le genre d’amour que Birdie n’a jamais connu, qu’elle ne connaitra sûrement jamais parce qu’elle s’y refuse prodigieusement. Tout ce qui se passait entre eux n’a rien avoir avec elle. Cette feuille n’est pas pour elle. Elle l’a tenu en otage pendant des années sans que Caleb ne soit au courant. Mais est–ce qu’elle veut le lui donner pour les bonnes raisons ? Pour flinguer son moral, lui qui semble avoir réussi à remonter la pente ? Ou pour faire honneur à la mémoire de Victoria, qui aurait sûrement aimé que son futur fiancé sache à quel point et avec quelle intensité elle l’aimait ? L’un dans l’autre, le résultat est le même. Incertain mais une claque dans la figure dans tous les cas. Elle finit par sortir le bout de papier avec lequel elle joue un moment, les yeux rivés dessus. « Quelques temps avant votre accident, Victoria avait écrit ses vœux. Pour votre mariage. J’avais trouvé ça niais. Je trouve toujours ça niais. » Inutile de préciser que l’idée du mariage en lui–même est d’une niaiserie insupportable pour la Cadburn. Mais Victoria était si heureuse qu’elle a mis dans un coin ses mauvaises ondes pour mettre son énergie à l’aider. « J’avais pas voulu te les donner à l’époque parce que je te jugeais pas à la hauteur de recevoir sa dernière déclaration d’amour. » Qui n’avait rien de secret mais Birdie a sûrement été jalouse dans le fond que Caleb peut avoir une trace écrite quelque part que Victoria l’aimait. Elle n’aura jamais ce luxe. « J’étais en colère, encore plus que maintenant, et j’ai failli déchirer cette feuille en mille morceaux. » Elle aurait rejoint les abymes, comme Victoria. « Mais au final, j’ai décidé de la garder et elle s’est perdue pendant toutes ces années dans une boite à chaussures dans ma chambre. » Ce qui n’est pas faux, vu le bric–à–brac qu’est son espace de nuit. « Bref, j’ai pas à me justifier en quoique ce soit alors tiens. Lis–là si tu veux, brûles si tu le désires, dors avec si ça te fait plaisir. » Birdie lui tend le papier, l’amertume résonnant partout dans ses pores. Parce que Caleb a une trace, une preuve et elle, elle n’a rien. Que des photos d’un temps révolu, des sourires placardés sur du papier glacé qui ne seront plus.
“when life gives you lemons, squeeze them in people's eyes”
Un peu plus de trois ans sans la voir et je vous jure qu’elle ne m’a pas manquée, Birdie. Pourtant je l’aimais plutôt bien avant. Avant quoi ? Quand Victoria était encore en vie. L’excentricité de Birdie, son caractère de merde, rien de tout ça ne me dérangeait. C’était l’une des amies les plus proches de ma fiancée, la sœur qu’elle n’avait jamais eue. Alors je n’avais pas vraiment le choix, Birdie faisait partie de la vie de Victoria que je le veuille ou non. Une amie quelque fois un peu trop présente et le pire, c’est que même après sa mort, elle trouve toujours le moyen de me taper sur les nerfs. Enfin là, en l’occurrence trois ans après. Parce que je ne la voyais plus, je n’entendais plus parler d’elle et quand on se souvient de la façon dont on s’est quittés je m’en portais plutôt bien. « elle n’est plus là pour dire ce qu’elle veut, de toute façon. » Non, elle n’est plus là pour ça malheureusement. Et c’est de ma faute. Je le sais. Elle m’en veut. Je la comprends, elle en a tous les droits. Moi aussi je m’en veux. Mais cette phrase est glaciale, elle fait mal, c’est un dur retour à la réalité. Elle n’est plus là oui, la faute à qui ? Birdie devrait s’allier au frère de Victoria si elle veut continuer à me faire payer la mort de son amie, parce que lui aussi m’en veut toujours. Et puis encore une fois, c’est normal. Je suis responsable de la mort de quelqu’un. D’une femme magnifique, exceptionnelle, drôle et pleine de vie. Elle peut vous en dire quelque chose, Birdie, elle la connaissait très bien. « Et il dit des gros mots, en plus. On va vers le progrès. » Pourquoi est-ce qu’à chaque fois que je me montre plus froid, distant et que j’utilise des mots plus durs qu’à mon habitude tout le monde est toujours obligé de le souligner ? Sûrement parce que je fais partie de ces rares personnes encore respectueuses et polies sur Terre ? Mais quand je suis énervé, je peux me montrer grossier, et des gros mots j’en utilise dans ce genre de moment. Mais pourtant je ne réplique pas, je me contente de soupirer agacé par ses mots, son comportement, sa présence. Agacé par tellement de choses. « Tu veux que j’aille droit au but ? Très bien. » J’attends. Toujours. J’attends patiemment qu’elle me donne enfin des explications dignes de ce nom ? Je suis patient, bien que mon langage corporel démontre l’inverse. Je m’assois sur mon bureau, mes doigts tapotent doucement sur celui-ci. J’attends. Je ne dis rien. J’attends, simplement. Mes yeux glissent sur ce bout de papier qu’elle vient de sortir de sa poche. Je le fixe quelques secondes et quand je l’entends reprendre la parole, je reporte mon attention sur elle. « Quelques temps avant votre accident, Victoria avait écrit ses vœux. Pour votre mariage. J’avais trouvé ça niais. Je trouve toujours ça niais. » Et là, tout de suite je me sens complètement désarmé. Perdu. Ses vœux. Victoria avait déjà écrit ses vœux de mariage et je n’en savais rien. Moi j’étais en train d’y penser, j’avais des idées, des pistes mais rien de bien défini. « J’avais pas voulu te les donner à l’époque parce que je te jugeais pas à la hauteur de recevoir sa dernière déclaration d’amour. » Et je ne l’étais sûrement pas d’ailleurs. Elle avait raison. Mais je ne le suis sûrement pas maintenant non plus alors je ne comprends pas pourquoi ce matin elle s’est levée avec l’envie de me laisser l’occasion de lire ces mots ? « Pourquoi maintenant ? » Maintenant ma voix n’est plus dure. Je ne suis plus vraiment agacé mais surtout complètement déstabilisé et on peut l’entendre facilement au son de ma voix. Elle aurait pu le faire il y a un an, six mois ou dans dix ans alors pourquoi est-ce qu’elle a choisi de le faire aujourd’hui ? Elle n’a sûrement pas la réponse elle non plus, mais sait-on jamais. « J’étais en colère, encore plus que maintenant, et j’ai failli déchirer cette feuille en mille morceaux. Mais au final, j’ai décidé de la garder et elle s’est perdue pendant toutes ces années dans une boite à chaussures dans ma chambre. » D’accord. J’hoche doucement la tête tout en me pinçant les lèvres, mon attention se porte à nouveau sur cette feuille que tient Birdie. « Bref, j’ai pas à me justifier en quoique ce soit alors tiens. Lis–là si tu veux, brûles si tu le désires, dors avec si ça te fait plaisir. » De base déjà pas très bavard je le suis encore moins maintenant. Je prends d’un geste rapide cette feuille, ce papier avec lequel je joue un peu. Nerveusement. Parce que je sais ce qu’il contient et j’appréhende un peu les mots que je pourrais y voir. « Merci, Birdie. » Pour le coup c’est sincère et c’est sûrement la première fois que je me montre agréable avec elle depuis tout à l’heure. On reconnait facilement son écriture, ce n’est pas très long alors je le lis rapidement. Souriant un peu à certains moments, l’Anglais n’était pas sa langue maternelle et même si elle parlait un Anglais presque parfait elle faisait encore des fautes de temps en temps et j’en repère quelques-unes. Je me serais sûrement moqué d’elle, tout comme elle se foutait de moi quand je parlais français en faisant moi aussi des fautes de grammaires ou de conjugaisons, ou simplement quand je ne trouvais pas mes mots. Mais je ne souris pas très longtemps, parce que c’est beau ce qu’elle m’avait écrit. C’est très beau. Et lire tout ça me fait mal, ça me fait face à la réalité ; on s’aimait profondément, on vivait une belle histoire d’amour proche de celle des contes de fées. La fille qui abandonne tout pour vivre sur un autre continent avec l’homme dont elle est tombée amoureuse. Je sais que j’aurais dû attendre pour la lire, parce qu’à la fin je me sens complètement déconnecté, les larmes commencent à me monter aux yeux alors je pose cette feuille sur mon bureau, je renifle et je me redresse un peu. « Elle a toujours été douée pour ce genre de choses. » Je lui avoue, un petit sourire aux lèvres. Et je réussis à relever les yeux vers Birdie. « Tu peux pas savoir à quel point je m’en veux. Elle me manque encore, quelque fois. » Et je sais que Victoria restera sûrement à vie mon point faible, je sais aussi que moi à la base, je n’ai rien contre Birdie. C’est elle qui m’en veut, et à juste titre.
« Pourquoi maintenant ? » Birdie ne veut pas l’entendre. Elle ne souhaite pas être interrompue dans son discours et surtout, elle n’a pas franchement de raison à apporter à sa question. Pourquoi maintenant, pourquoi pas hier ou demain ? Elle pourrait presque lui rétorquer de ne pas agir comme un enfant de cinq ans qui passe son temps à poser des questions aussi inutiles qu’enquiquinantes et embêtantes. Alors la Cadburn l’ignore, elle poursuit son discours qu’elle improvise au fur et à mesure. A force de vivre avec des coups de tête et des coups de cœur, elle a fini par avoir l’habitude. De ne pas réfléchir. De ne pas planifier. Birdie n’a jamais cherché à arrondir les angles, elle apprécie juste titiller sa proie avant de l’engloutir. Exactement comme avec Caleb. Elle engloutit ses mots, les ignorant superbement, son attention fébrile n’étant centralisée que sur cette foutue feuille.
Feuille qui atterrit dans les mains du brun, bien plus rapide et vif qu’elle l’aurait songé. Espéré. Voulu. Oh, elle les a haïs. La feuille. Caleb. Le texte. Les voir tous réunis, c’est comme si elle voyait une réunion avec Victoria. Et elle déteste ça. C’est une part de sa sœur de cœur qui s’envole, qui s’en va, qui la quitte de nouveau. Une seconde déchirure, elle qui n’est pourtant ni sentimentaliste ni matérialiste. Birdie reprend une inspiration par le ventre, ses doigts maintenant le vide qu’elle ramène dans sa poche. « Merci, Birdie. » Cette dernière ne réagit pas. Elle ne hoche pas la tête, elle ne sourit pas, elle a juste un œil qui frétille brièvement, un sourcil qui se soulève légèrement alors que Caleb est en train de lire. Les mots que Victoria a écrit pour lui, pour leur jour qui aurait dû soi–disant être le plus heureux d’une vie (foutaises). Oh, voilà qu’elle est jalouse maintenant. Non, elle est juste triste. Intérieurement. Au plus profond d’elle–même. Certes, elle a eu le privilège de connaitre Victoria autrement et plus longtemps que Caleb, mais ce fut Caleb qui était plus important que la blonde. Birdie sait qu’elle l’aimait elle aussi – mais c’était différent.
« Elle a toujours été douée pour ce genre de choses. » Cadburry l’observe toujours sans un mot alors qu’il pose la feuille. Il a l’air submergé par l’émotion. Est–ce qu’il prend conscience à quel point il a véritablement tout fait foirer ? Qu’il l’a supprimé à leurs vies à tous les deux, en plus de la sienne ? Qu’à cause de lui, jamais elle ne pourra de nouveau la serrer dans ses bras, lui faire des coiffures sans sens et de faux tatouages ? Caleb lui a prit ça et il lui vole maintenant ses derniers mots. Vraiment, elle ignore pourquoi. « Tu peux pas savoir à quel point je m’en veux. Elle me manque encore, quelque fois. » Birdie serre les dents, la mâchoire, les phalanges. « Quelques fois seulement ? J’espère que le reste du temps où tu penses à elle, c’est la culpabilité que tu ressens. » Birdie trouve cela indécent. C’est censé être l’amour d’une vie ? Pourquoi elle lui manque que quelques fois ? Victoria mérite d’être manquée tous les jours. La Cadburn aurait presque envie de lui reprendre la lettre. Mais elle n’a pas envie. Elle pourrait lui faire du mal, à cette lettre, et après, elle s’en voudrait. Birdie est aux extrêmes, surtout dans ses relations humaines. Et elle aimait profondément Victoria. Quand elle aime quelqu’un, c’est jusqu’au bout et sans demi–mesure. Alors la lettre restera sous la protection de Caleb. Cela vaudra mieux pour tout le monde. « Bon, voilà, j’ai fait ce pour quoi j’étais venue. » La jolie blonde se dirige vers la porte mais une fois la main sur la poignée, elle a comme un flash qui l’arrête brutalement.
« Y a autre chose. » dit–elle avant de se retourner. Et ça, non seulement le sourire de Caleb risque de disparaitre mais son visage décomposé risque de l’être encore plus. « Quelques jours avant, elle m’avait confié un truc. Elle voulait attendre le bon moment pour te le dire. Du coup, je suis pas sûre qu’elle aurait aimé que tu l’apprennes comme ça. Elle morte, par moi, avec des mauvaises ondes et tout ça. » Ce n’est certainement pas la façon que Victoria avait planifié sa révélation, c’est sûr. « Enfin, dans ton resto, ça aurait été un choix privilégié, ceci dit. » Birdie passe une main dans ses cheveux, laissant trainer les choses. Il faut qu’elle se prépare à voir un cuisinier qui va défaillir, se mettre en larmes, et franchement, elle n’est pas la bonne personne pour cela. Et encore moins envers le meurtrier de son amie. « Elle était enceinte. »
Dernière édition par Birdie Cadburry le Sam 31 Oct 2020 - 15:26, édité 1 fois
“when life gives you lemons, squeeze them in people's eyes”
Je ne savais pas de que simples mots pouvaient faire autant de mal et autant de bien à la fois. Faire culpabiliser aussi. Encore plus que je ne m’en veux déjà. Ça fait mal, mais en même temps je me souviens de ce qu’on avait tous les deux. C’était beau, c’était simple, c’était de l’amour, de la tendresse, de la joie, du partage. J’imagine Victoria confiant cette feuille à Birdie, souriante et certainement soucieuse, se demandant si les mots qu’elle a choisis sont à la hauteur. Et oui, ils le sont. Parce qu’ils me replongent instantanément dans notre histoire. Notre rencontre. Cette belle petite française qui m’aborde, essayant tant bien que mal de me convaincre d’accepter un rencard avec elle. Parce que même si je l’ai immédiatement trouvé magnifique, je n’étais pas prêt. Je ne voulais pas une nouvelle relation sérieuse, mon cœur était encore bien trop brisé par une première relation qui m’avait fait beaucoup trop de mal. Mais Victoria m’a fait sourire de nouveau, elle a réussi à réparer ce cœur qui ne croyait même plus en l’amour. En lisant ses mots je peux presque l’entendre rire alors que je prononce mal certains mots, quand je ne savais pas comment dire en français telle ou telle chose. Et tout ça, ça fait mal. Mais ça fait aussi du bien, parce que je ne veux pas l’oublier, je ne veux pas oublier le son de sa voix, ses yeux, son rire, son sourire, ses lèvres, sa peau. Penser comme ça, c’est mal. Parce que j’ai refait ma vie, parce que j’aime cette nouvelle femme qui partage ma vie. Ou bien peut-être que ce qui est vraiment mal, c’est le fait d’avoir refait ma vie ? Encore une fois je me pose trop de questions auxquelles personne n’a les réponses. Des questions que personne ne pourrait comprendre. À part Eve. « Quelques fois seulement ? J’espère que le reste du temps où tu penses à elle, c’est la culpabilité que tu ressens. » Elle appuie là où ça fait mal et le pire, c’est qu’elle le fait sûrement exprès. Elle veut me faire mal. Elle y parvient avec succès. Je la déteste pour ça. Parce que je ressens déjà assez de culpabilité, j’ai même dû reprendre une thérapie à ce sujet. Être responsable de la mort de quelqu’un c’est dur, mais quand cette personne était la femme que vous aimiez plus que n’importe quoi, ça l’est encore plus. Mes yeux se baissent. Par culpabilité. Par honte. Par douleur. Je ne veux pas qu’elle puisse voir toutes ces émotions sur mon visage, ça lui ferait bien trop plaisir. Nerveusement, je joue avec mes doigts que je fixe, je déglutis, j’attends et je réponds. « Oui. » Je ne sais même pas pourquoi je lui réponds ça. C’est ridicule, je ne devrais pas mais une partie de moi veut lui montrer que je souffre encore de sa mort, que je m’en veux et je pense que jamais je ne vais pouvoir me le pardonner. Même si elle semble croire le contraire.
Elle s’avance vers la sortie. Je ne la raccompagne pas comme je le ferais avec d’autres. Elle connait le chemin et maintenant avec Birdie, on a passé le cap des banalités. Mais pourtant elle n’ouvre pas la porte, elle ne part pas ce qui s’explique quand elle m’avoue avoir autre chose à me dire. Ou à me donner, je ne sais pas. Je relève les yeux vers elle, attendant patiemment qu’elle m’en dise plus. Elle parle, elle tourne autour du pot et moi, j’attends tout simplement. Je ne dis rien. Victoria lui aurait confié quelque chose avant l’accident. Avant sa mort. Une chose que je ne sais apparemment pas. Je patiente, encore et toujours. Jusqu’à ce qu’elle ne daigne ouvrir la bouche. « Elle était enceinte. » Il y a comme un bug dans mon cerveau à ce moment-là. J’ai l’impression que le monde est en train de se mettre en pause pour me laisser réaliser ce qu’elle vient de me dire. Je ne réagis pas. Pas tout de suite du moins. Enceinte. Elle était enceinte. Je n’y crois pas une seule seconde. Je suis persuadé que Birdie invente ça dans le simple et unique but de me faire du mal. Elle n’était pas enceinte, non. Elle ne pouvait pas l’être. Elle me l’aurait dit. Je ne peux pas la croire. « Quoi ? » Mes sourcils se froncent, commençant seulement maintenant à réaliser ses mots. Elle était enceinte. Vraiment ? Je ne comprends pas pourquoi elle aurait attendu plusieurs jours pour m’en parler. Donc ça doit être faux. Sans aucun doute. Ou pas. Et si c’était vrai ? Et si elle était vraiment enceinte ? Une main vient se loger dans mes boucles alors que je ferme les yeux au même moment. Je me remémore malgré moi cette dernière soirée. Avant sa mort. Avant l’accident. Elle n’avait pas bu. Je ne le réalise que maintenant. Cette soirée d’anniversaire. Elle n’a pas bu d’alcool. Et ça aurait dû m’étonner puisqu’elle buvait toujours quand elle sortait. Pas forcément beaucoup, mais toujours un peu. Sauf ce jour-là. Sauf cette soirée-là. « Elle n’était pas enceinte. Elle me l’aurait dit. » Mais je suis incapable d’avouer à voix haute qu’elle a sûrement raison. Que Victoria était sûrement enceinte. « Tu dis n’importe quoi. » Sûrement un peu dans le déni. Ou sous le choc de cette annonce. Je soupire. J’en ai marre, et je relève les yeux vers elle. « Sors d’ici Birdie. Je ne veux plus te voir. » Pourquoi est-ce qu’elle me le dit ? Elle sait qu’il s’agit d’une information qui sera difficile à digérer pour moi. Mais c’est ce qu’elle veut sûrement, me faire encore plus de mal. Et bien, c’est réussi. Je me déteste encore plus. Je m’en veux encore plus. Parce que non seulement j’ai tué ma fiancée, mais aussi mon enfant. Notre enfant.