RAELYN & CLYDE Everyone who isn't us is an enemy You want to rule? This is what ruling is, lying on a bed of weeds Ripping them out by the root, one by one Before they strangle you in your sleep

A cet instant-là, il maudissait Halsey d’avoir eu la mauvaise idée de l’impliquer dans les histoires qu’elle inventait au fur et à mesure de ses confrontations avec cette Raelyn. Lorsque la brune était sortie de son premier rendez-vous et l’avait prévenu en quelques mots qu’il avait intérêt à monter un site web vite fait bien fait au nom de Ben Brosnans, il avait lâché un rire mauvais avant de réaliser qu’elle était sérieuse. Ben, sérieusement ? Elle n’aurait pas au moins pu choisir un nom qui collait un peu mieux à son image ? Malgré son agacement, cela faisait partie du jeu et il n’avait pas tardé à s’exécuter, n’ayant aucune envie que leur plan foire aussi rapidement. Ce n’était pas la première, ni la dernière fois, qu’il devait travailler dans l’urgence, et mettre sur pied un site web basique était un jeu d’enfant pour lui, qu’il avait bien rapidement terminé. Après tout, s’il était supposément détective privé – ce qui n’était finalement pas tout à fait faux, il n’avait pas besoin de jouer dans le chic et les fioritures, mais plutôt l’efficacité, ce qui avait eu le mérite de lui faire gagner un temps certain en créant cette couverture. Lorsqu’il s’était agit d’ajouter un numéro de contact au fameux site, il n’avait pas hésité une seconde avant d’indiquer le numéro qui lui servait pour toutes ses affaires ‘border’, comme il aimait les appeler. Il n’avait nullement l’intention de divulguer son numéro professionnel, et encore moins son personnel – il avait toujours catégorisé ainsi, en trois téléphones, ce qui lui permettait instantanément et à chaque appel de savoir ce qui l’attendait. Pourtant, il avait été étonné de ne pas recevoir d’appel dans les jours qui avaient suivis. Halsey lui avait fourni un nom tout trouvé, All Investigations, et il n’avait pas chipoté en le reprenant tel quel, pour coller au mieux à l’histoire de la brune qui donnerait ainsi l’impression qu’elle avait été transparente à ce sujet. Si seulement. Malgré tout, Raelyn ne semblait pas avoir mordu à l’hameçon, et Clyde avait mis quelques jours avant de penser que finalement, elle n’était peut-être pas si redoutable qu’elle en avait l’air. Loin de se douter qu’Halsey avait renouvelé l’entreprise lors de la deuxième rencontre avec sa chère sœur et mentionné son existence à nouveau, il avait failli être pris de court lorsque le fameux téléphone avait sonné et qu’elle avait demandé à parler à Ben Brosnans. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour reprendre ses esprits, et il avait répondu de manière tout à fait professionnelle sans se répandre en détails, acceptant son rendez-vous le jour-même. Deux heures plus tard. A l’adresse qu’il avait écrite sur le site, et qui n’était autre qu’un local technique tout ce qu’il y avait de plus basique, composé de quatre murs blancs, dans lequel il avait entreposé le matériel informatique lourd qu’il ne gardait pas constamment avec lui. Lorsqu’il avait raccroché, il avait lancé des jurons fleuris en tentant de rassembler ses esprits et la manière de contourner ce problème qui venait rapidement de prendre une autre ampleur. S’il avait pensé que Raelyn n’était finalement pas du genre à creuser trop loin, il venait d’avoir la preuve du contraire lorsqu’elle avait fortement insisté pour le rencontrer le jour-même. Peut-être cherchait-elle à le coincer, ou peut-être voulait-elle simplement des informations sur Halsey, il ne pouvait en préjuger sans l’avoir rencontrée – mais d’avance, il sentait que l’échange ne serait pas des plus agréables et qu’il lui faudrait la jouer finement.

Sans perdre de temps, il avait fait un bref topo du problème à Halsey qui se trouvait alors dans la chambre d’hôtel avoisinante à la sienne, dans laquelle il n’avait pas hésité à entrer sans faire de manière ni prendre le temps de toquer. Si elle avait au départ ronchonné en prétextant qu’elle ne comptait pas se casser les ongles en transportant des ordinateurs, le regard pressant qu’il lui avait lancé avait fini par la convaincre de l’aider. Selon lui, elle aurait plutôt dû se répandre en regrets de l’avoir mis dans cette merde, mais l’heure n’était pas aux reproches, et plutôt à l’action. Il n’avait jamais eu à transformer un local en si peu de temps, mais la chance était plutôt de son côté car il n’avait tout de même pas choisi un truc miteux – après tout, il avait le fric de se payer un local décent, aussi banal et impersonnel soit-il. Ce qui, en fin de compte, ne détonnait pas tant avec l’idée qu’il pouvait se faire d’un bureau de détective privé. Le gros du travail, c’était de faire dégager la majorité du matériel informatique qui n’avait rien à faire dans un espace supposé recevoir du public. Parant au plus rapide et n’ayant pas le temps de faire des allers retours de l’hôtel au local, il avait décidé de passer acheter des panneaux de bois qu’il avait monté en cloison légère qui suffirait à cacher son matos pour le temps que le rendez-vous durerait. Il avait également acheté un panneau plastifié sur lequel il avait imprimé et apposé le logo qu’il avait rapidement bidouillé lorsqu’il avait créé le site internet – collant le tout à la porte. C’était loin d’être beau et de donner envie de faire appel à ses services, mais après tout, un détective privé se devait-il d’avoir des notions en graphisme ?  Il comptait sur le fait que non. Heureusement pour lui, il avait déjà aménagé le local avec plusieurs tables, deux chaises et quelques porte-documents qui donnaient presque l’impression qu’il s’agissait d’une réel bureau. Alors qu’il avait chargé Halsey de déplacer le dernier ordinateur sur le bureau caché avant qu’il ne referme la cloison, il l’avait entendue faire une énième remarque en soupirant. “C’est pas à moi de faire ça.” Se dirigeant vers elle à grandes enjambées, il avait attrapé l’ordinateur avant de la fixer d’un regard noir. “Et moi je m’appelle pas Ben, mais on s’adapte j’te rappelle.” Elle lui avait rendu son regard de défi mais n’avait pas relevé la remarque, ce qui valait mieux pour elle car Clyde avait tout sauf le temps de s’occuper de son petit confort, et il aurait vite fait de la remballer un peu trop sèchement si elle commençait à l’agacer plus que de mesure. Considérant qu’elle avait fait assez, pensée sur laquelle le brun s’accordait cette fois-ci, elle quitta les lieux lorsqu’il eut fini de poser la dernière cloison, non sans lui souhaiter bonne chance. Il avait hoché la tête, prenant enfin quelques secondes pour souffler après ce marathon – même si quelque chose lui disait que les difficultés ne faisaient que commencer. Ne voulant pas tâcher son costard qu’il avait sélectionné pour l’occasion – Raelyn le verrait dans son plus bel appareil – il s’était rapidement changé en balançant le t-shirt et le pantalon poussiéreux qu’il avait porté pour les ‘travaux’ par-dessus la cloison qui n’était pas fermée au plafond. L’ensemble paraissait propre, mais clairement étrange pour un bureau, ce qui ne l’inquiétait pourtant pas autre mesure. Si c’était bien la seule chose sur laquelle Raelyn comptait le questionner, il saurait s’en sortir. Il n’eut que quelques minutes de tranquillité avant d’entendre toquer à la porte, n’ayant aucun doute sur la personne qui l’attendait de l’autre côté. Après l’avoir vue en photo, avoir entendu parler d’elle plus de mesure, et avoir été en possession de son casier judiciaire, il était peut-être temps de la rencontrer réellement, après tout. Se faire son propre avis, tâter le terrain. Arborant son plus beau sourire, il ouvrit la porte pour se présenter à la blonde d’un ton affable. “Raelyn, je présume ? Ben Brosnans, enchanté” dit-il en lui tendant la main. Puis il s’écarta de l’embrasure de la porte et lui indiqua l’intérieur d’un geste. “Je vous en prie, entrez.”

S’il avait pensé avoir affaire à une personne lambda, il aurait presque pu se faire avoir par le sourire de la demoiselle, tant il semblait convaincant. En réalité, il n’y décelait pas une faille, et son ton mielleux laissait à penser qu’elle cherchait sans doute simplement à en savoir davantage sur cet homme qui avait fouillé dans son passé sans que personne ne lui en ait réellement donné l’autorisation - pas même Halsey. Au fond, il pouvait tout à fait concevoir que n’importe qui apprécierait moyennement de savoir sa vie exposée par un inconnu, lui le premier - mais il n’était pas n’importe qui. Et elle non plus, du peu qu’il savait. A défaut de voir clair dans le jeu de la blonde, il savait au moins à quoi s’en tenir grâce aux descriptions et aux ressentis d’Halsey, et il n’avalait pas une seconde sa prétendue curiosité pleine de bonnes intentions. “Enchantée” avait-elle lâché poliment avant de s’avancer dans la pièce, regardant tout autour d’elle. Evidemment qu’elle cherchait le moindre indice pouvant lui donner davantage d’informations sur lui, cet homme sur lequel elle n’en avait visiblement aucune. Dommage pour elle, puisqu’il n’avait même pas eu à faire le ménage, le local n’ayant jamais accueilli aucun signe distinctif. Et puis, si elle connaissait sa vie, elle n’aurait pas pris la peine de se déplacer jusqu’ici pour échanger des formalités et essayer de lui tirer les vers du nez - encore aurait-il même fallu qu’elle ait son vrai nom pour obtenir de quelconques informations. Et même avec son vrai patronyme, il lui souhaitait bien du courage, puisque son acte de naissance ne correspondait même pas avec son prénom actuel, et il doutait fortement du fait d’être le seul Wakefield de toute l’Australie. Enfin, il pensait acte de naissance, vu que visiblement, les actes de naissance c’était son truc à elle. Elle devait d’ailleurs être dotée de bons contacts pour avoir réussi à accéder à celui d’Halsey, ce qui avait instantanément allumé un nouveau signal d’alarme chez Clyde dans toute cette histoire. La blonde ne faisait pas juste la plonge dans un restaurant, clairement.

Après avoir terminé son coup d’oeil, elle ne tarda pas à se lancer. “C’est sommaire. Vous vous installez sur Brisbane, vous aussi ?” Au moins, elle avait le mérite de montrer dès le départ qu’elle savait ce qu’elle voulait. Sa détermination se sentait, par-delà ce sourire de façade qui lui donnait un charisme ravageur, Clyde devait bien l’avouer. Il ne l’aurait pas dit à Halsey, au risque de se faire foudroyer du regard et d’être certain de terminer seul dans son lit ce soir-là, mais il y avait clairement un air de famille sur ce point. Tandis que Raelyn tirait une chaise, Clyde la suivit à son tour et s’installa en face d’elle, posant un bras sur un des accoudoirs, comme s’il ne s’agissait que d’une visite de routine. Il espérait que ça ne deviendrait pas trop routinier, quand même. Il lui répondit le plus simplement du monde, affichant un air amusé à sa remarque. “Oh non, je viens de changer de local, d’où l’effet un peu impersonnel, je vous l’accorde. Mais ça fait quelques années que je suis dans le coin.” L’idée, pour l’instant, était de lui donner suffisamment de matière pour qu’elle pense obtenir des informations - si tant est qu’elle voulait bien y croire - sans pour autant dévoiler toute sa vie. Ce qui aurait, pour un détective privé, était plutôt étonnant. Il pouvait donc se permettre de rester volontairement flou sur certaines choses sans que cela n’apparaisse forcément comme louche. “Ben Brosnans hein ?” Pourri comme nom, hein ? J’suis d’accord, qu’il ne put s’empêcher de penser. A défaut, il se contenta de hocher la tête en signe d’assentiment, lâchant un vague marmonnement. “Je suis ici parce que votre amie m’a parlé de vous.” Un sourire discret s’étira sur ses lèvres, l’air de dire, ‘je sais, accélère’. Après tout, il pouvait bien se comporter de la manière qu’il voulait, et n’avait pas particulièrement à se montrer affable ou bienveillant. Le but n’était pas de lui vendre sa personne ni sa bonne foi, mais de répondre à ses questions en toute - supposée - honnêteté, dans la limite du secret professionnel, comme l’aurait fait un autre détective privé. “Elle m’a dit que c’est vous qui m’aviez retrouvée. C'est bien ça ?” Il répondit du tac au tac, bien trop habitué à improviser des mensonges pour avoir réellement besoin d’y réfléchir en amont. “C’est bien ça. J’ai conscience que ce n’était pas ma décision à prendre... mais Halsey est une fille bien, et je sais qu’elle a toujours souffert d’être enfant unique.” Ou pas du tout. “Je sais qu’elle n’a jamais connu son père, et je n’ai pas pu m’empêcher de vérifier si elle avait de la famille quelque part, du côté paternel. Je voulais l'aider à ma manière.” Pas tout à faux. Il espérait que lui passer l’historique peu intéressant de ses recherches allait peut-être la convaincre qu’il n’avait rien à voir avec les affaires d’Halsey, et qu’il n’était qu’un messager. Car si la blonde semblait déjà se méfier fortement de sa demi-soeur, il aurait été préférable qu’elle n’ait pas Clyde également dans le viseur, et qu’elle se désintéresse de lui aussi rapidement qu’elle avait décidé de le rencontrer. “Je vous avoue que je ne pensais pas vraiment tomber sur quelque chose, mais votre frère et votre mère n’ont pas été très difficiles à trouver...” Clairement. Son casier judiciaire aussi, mais il pouvait se permettre de l’omettre - même si Raelyn savait qu’il avait trouvé tout ça, lui n’avait pas forcément à se sentir dans l’obligation de tout raconter, après tout. Le meilleur moyen de prétendre qu’il n’avait pas grand chose à se reprocher, c’était encore de ne pas chercher à se justifier coûte que coûte. “Mais j’imagine que je me répète, elle a déjà dû vous raconter tout ça ?” Clyde n’était pas du genre à aimer se répéter, mais face à la blonde, la situation était suffisamment tendue pour qu’il se sente grisé par le risque. Heureusement que sa couverture de privé lui permettait de rester élusif. “En revanche, elle ne m’a pas prévenu que vous alliez passer, donc je ne sais pas bien en quoi je peux vous être utile... Vous cherchez à retrouver quelqu’un ?” Plus c’était gros, plus ça passait apparemment, alors autant jouer le mec là pour vendre son affaire jusqu'au bout et par la même occasion la dévier du sujet initial, puis improviser selon.

Clyde ne put s’empêcher de penser que la blonde devait avoir de sacrés doutes sur lui, pour observer le lieu si longuement, et se permettre d’en faire des commentaires. “Et vous n’aimez pas l’espace ? C’est bien, vos clients ne risquent pas de se perdre.” Que cherchait-elle exactement ? A ce qu’il s’avoue vaincu après une pique un peu sarcastique et balance tout, clairement touché en plein coeur par ses capacités de réflexion dignes de Sherlock Holmes ? A défaut de vouloir se laisser démonter tout de suite, il lâcha un rire caustique qu’il n’eut même pas besoin de feindre, car il devait avouer que cette Raelyn ne semblait pas manquer de répartie. Encore un point commun aux soeurs Blackwell - il espérait simplement que la blonde ne partageait pas l’entêtement frôlant parfois l’insupportable dont pouvait faire preuve Halsey lorsqu’elle cherchait à lui tirer les vers du nez. “Je vous rassure, je ne dors pas dans mon bureau.” Qu’elle ne fasse pas de soucis pour lui, sa chambre à l’hôtel était bien plus spacieuse et agréable que ce bureau, qui lui convenait néanmoins parfaitement pour les activités qu’il exerçait ici. Il passait des heures les yeux vissés à ses ordinateurs, alors le fait de trôner au milieu d’un loft ou d’un local exigu ne faisait grand différence selon lui - surtout qu’il ne venait ici qu’en cas de besoin, et passait le plus clair de son temps dans les locaux d’ABC ou dans sa chambre d’hôtel lorsqu’il s’agissait de dossiers qui ne nécessitaient pas l’utilisation de matos informatique particulier. “Vous étiez dans quel coin avant ?” Tant de méfiance se cachait sous son ton poli qu’il lui aurait décoché un sourire en coin s’il ne se devait pas de rester dans la peau d’un privé pour lequel cette question n’était que routinière. “Springhill, mais j’ai préféré me rabattre sur un quartier plus tranquille. Le but n’est pas d’attirer les regards dans ma profession.” Sans déconner. Une nouvelle fois, il n’eut pas besoin de réellement improviser puisque ses réponses flirtaient encore la limite de la vérité, ne s’en éloignant pas totalement.

Lorsque Raelyn mentionna Halsey, il n’eut cette fois d’autre chose que d’inventer des réponses au fur et à mesure des questionnements de la blonde, même s’il avait auparavant eu le temps de réfléchir aux bases de son histoire. Au fond, Halsey était une amie - un peu spéciale, mais une sorte d’amie, quand bien même sa personnalité et ses buts divergeaient grandement de ce qu’il tentait de faire avaler à la blonde. Clyde avait tenté de faire transpirer une certaine sensibilité à travers ses mots, pour convaincre Raelyn qu’il ne s’était lancé à sa recherche que pour aider Halsey - qui n’avait aucunement besoin de son aide pour mener sa vie, cependant. “Vous devez l’aimer beaucoup Halsey, pour faire ce genre de chose.” Touché. Et c’était justement car la blonde n’avait pas totalement tord que la prétendue histoire touchante de Clyde se vendrait mieux, car il ne pouvait en effet nier qu’il appréciait Halsey davantage que comme une simple amie. Lui passant les détails de la relation qu’il entretenait avec la brune, et dont il savait que Raelyn ne connaissait aucun détail pour l’instant, il lui décocha tout de même un sourire qui en disait tout en hochant la tête, lui accordant la victoire quant à son analyse édifiante. “On se connaît depuis longtemps.” Une nouvelle fois, il prêchait le vrai pour vendre le faux, ce qui n’avait pourtant pas l’air de prendre totalement avec la blonde. Alors qu’il lui expliquait vaguement qu’il n’avait pas été bien compliqué de retrouver sa famille à Charleville, elle finit par faire tomber son masque de politesse pour l’arrêter bien vite. “Et si on se faisait gagner du temps l’un l’autre ? Je n’aime pas perdre le mien et je suppose que vous pourriez mieux occuper le vôtre.” Elle n’était pas si commode que l’air qu’elle voulait bien se donner, cette Raelyn, et il comprenait désormais mieux ce qu’Halsey lui avait raconté sur elle. Il ne faisait aucun doute que son honnêteté était tranchante et son regard aussi perçant qu’une lame, ce qui obligea Clyde à relever le menton pour la fixer en retour, n’ayant aucune intention de la laisser croire qu’elle allait le déstabiliser avec sa prétendue autorité. Elle était chez lui, et elle ne savait rien, alors elle pouvait tenter de l’effrayer autant qu’elle le voulait, ça ne prendrait pas. Si ce petit jeu n’avait tenu qu’à lui, il se serait à son tour montré aussi glaçant qu’elle, mais ce n’était pas le but de l’opération - il n’était qu’un privé, un mec un peu sympa prêt à servir ses amis dans le besoin, et c’était à ce rôle qu’il devait tenter de se tenir autant que possible. Il se contenta donc de la regarder, un sourcil relevé, attendant avec impatience qu’elle enchaîne et lui expose le fond de sa pensée.

“Je suis pas ici pour m’offrir vos services. La seule personne sur laquelle j’aimerais connaître le résultat de votre enquête c’est moi.” Il lâcha un rire sarcastique. “Vous imaginez bien que je ne vais rien vous apprendre sur vous. Je n’ai rien trouvé que vous ne sachiez déjà, croyez-moi.” Si tu veux des informations, il va falloir être plus précise sur ce que tu recherches, Blackwell. “Vous ne m’avez rien dit que je ne sache déjà et je suppose qu’on ne vous paye pas à énoncer des évidences. Mon frère et ma mère sont faciles à trouver, en effet. Mais pas moi.” “Notez quand même que vous ne me payez pas, justement” lâcha-t-il d’un ton moqueur non dissimulé, éludant par la même occasion la fin de ses propos. Qu’elle n’oublie pas qu’un privé, même honnête, ne l’aurait sans doute pas aidé de bonté de coeur. “C’est vous qui avez aiguillé Halsey vers le restaurant ou elle a rencontré mon ami ? Comment ?” “Oui, c’est moi qui lui ait donné l’adresse du restaurant et votre nom, rien de plus. Je ne sais même pas qui est l’ami dont vous parlez, elle m’a simplement dit être tombée sur un homme avant de réussir à vous voir.” Il voulait bien tenter de l’induire en erreur, mais il allait devoir lâcher quelques informations pour espérer qu’elle en laisse fuiter à son tour. “Du reste, je n’ai pas besoin de vous rappeler que mes sources sont confidentielles.” Il afficha un sourire, qui ne dupait pourtant personne. “Si je commençais tout à raconter, je n’aurai plus qu’à mettre la clé sous la porte.” Il aimait bien l’idée de se faire passer pour un privé en manque d’argent, prêt à tout pour protéger le peu de sources qu’il pouvait posséder. Mais surtout, il s’agissait d’une couverture idéale pour refuser à Raelyn ce qu’elle attendait de lui, et il en voulut tout de suite moins à Halsey, qui lui avait finalement offert l’occasion idéale pour rencontrer Raelyn, et voir jusqu’où cette femme était prête à aller pour obtenir ce qu’elle voulait - et surtout, ce qu’elle craignait vraiment qu’il ait découvert.

La blonde ne semblait pas tout à fait convaincue par les justifications de Clyde quant à son changement de local et de quartier. Qui était-elle pour porter un jugement sur ses décisions - certes fictives - et son droit qui était encore le sien de choisir où il voulait travailler ? Elle commençait à l’agacer passablement, et Clyde se retint de lancer une remarque amère sur l’air surpris qu’affichait la jeune femme, qui ne décida finalement pas de relever à nouveau ses explications, préférant se concentrer sur le sujet d’Halsey, sans trop de surprise. “Je croyais qu’elle n’avait jamais mis les pieds à Brisbane avant.” Ah, donc selon elle, il était impossible d’avoir des connaissances habitant ailleurs que dans la même ville ? Dieu que son imagination était étriquée - ou plutôt que sa méfiance atteignait des sommets, la poussant à faire des raccourcis bien trop rapides. “Je n’ai pas toujours habité ici.” Clair et net, mais pourtant suffisamment vague pour ne pas avoir à infirmer ou confirmer ce qu’elle pensait pouvoir bien savoir sur Halsey. Si elle souhaitait davantage d’informations sur la demoiselle, elle n’avait qu’à lui demander directement, car Clyde n’avait aucune intention de laisser filtrer d’information sans qu’il n’y soit absolument forcé - après tout, il n’était que son ami, et pas son biographe. “C’est donc vous qui êtes originaires de là bas ? Sydney ou Perth d’ailleurs ? Quelles salades allez vous essayer de me sortir vous ?” “Moi ? Je suis originaire de Northam, près de Perth, si vous voulez tout savoir.” Il lui renvoya un sourire ironique accompagné d’un regard perçant où flottait l’agacement, bien qu’il se soit tout de même laissé aller à la fausse confidence alors que l’envie le brûlait de lui demander pour qui elle se prenait à penser qu’elle avait un droit naturel à tout son historique. S’il voulait bien se prêter au jeu et avant tout préserver son lien avec Halsey ainsi que la réelle raison de leur présence en ville, il appréciait moyennement la comportement de la blonde qui s’affichait en prétendue maîtresse de la ville - à croire que personne n’avait le droit d’aller et de venir sans qu’elle n’ait son mot à dire. Quoi qu’elle puisse bien faire de ses journées, et qui qu’elle puisse connaître, elle n’était pas encore maire de la ville, à sa connaissance. “En revanche j’apprécie moyennement que vous m’accusiez de raconter des salades, alors que je n’ai rien fait d’autre que répondre à toutes vos questions.” Clyde voulait bien se montrer coopératif et conciliant, mais il avait certaines limites que la blonde commençait à titiller. “Ce que j’ai accepté uniquement parce que vous êtes la sœur d’Halsey.” Et l’histoire s’arrêtait là, en théorie.

Cependant, cette Raelyn ne semblait pas vouloir lâcher le morceau quant à sa demi-sœur à laquelle il paraissait clair qu’elle portait peu d’affection. C’était si dommage, alors que Clyde pensait avoir réuni une famille aimante en fouillant dans sa vie, espérant surtout qu’elle serait suffisamment encline à accepter sa sœur à bras ouverts pour tomber dans la plus basique des arnaques. Il était inutile de dire qu’au vu des dernières rencontres entre les deux sœurs, et de ce rendez-vous dans lequel il s’était retrouvé entraîné malgré lui, Clyde avait abandonné l’idée que Raelyn puisse être un pigeon comme les autres. Bien au contraire, à l’entendre, elle avait même davantage à cacher qu’eux, et se montrait d’une méfiance incomparable - ce qui était très intéressant mais également porteur de doutes et de questionnements pour le brun, qui ne savait pas encore dans quoi il avait mis les pieds. Pour autant, ce n’était pas ça qui allait l’empêcher de continuer à mener sa petite enquête sur la blonde, bien décidé à ne pas lâcher une des rares affaires qui lui donnait autant de fil à retordre. “Vous avez fouillé dans son passé sur votre propre initiative et si je devine bien, avant de l’en informer, vous avez retrouvé le semblant de famille que j’ai à Charleville, vous m’avez retrouvée et puis rien ? Vous voulez vraiment me faire croire que vous vous êtes arrêté là ?” Elle semblait avoir bien compris qu’il n’allait pas lui lâcher le nom de ses sources, peu importe la manière dont elle le demanderait, mais cela ne l’empêchait pas d’être à cheval sur les détails. Clyde se doutait bien qu’elle cherchait là à vérifier son histoire, et à lui faire dire quelques mots de trop en espérant en tirer une information qu’elle ne possédait pas encore. Bien tenté, mais elle ne l’impressionnait pas suffisamment pour qu’il flanche devant son regard glacial. Aux dernières nouvelles, la blonde avait beau être impliquée dans une affaire que les stups suivaient activement, elle n’était pas non plus une meurtrière et il craignait moyennement qu’elle l’empoigne et le torture jusqu’à ce qu’il avoue tout ce qu’il savait. Alors, tant qu’il n’avait en face de lui qu’une jeune femme qui le regardait, jambes croisées et regard courroucé, il n’avait aucun scrupule à pousser encore plus loin les mensonges et rester évasif autant que possible - parce ça agaçerait encore plus cette Raelyn, et ça, c’était cadeau. “Je ne cherche pas à vous faire croire quoi que ce soit. C'est vous qui tirez beaucoup de conclusions.” Qu’elle n’oublie pas qu’elle n’était pas - en théorie, toujours - son centre d’intérêt principal, et que ce n’était pas les doutes qu’elle pouvait émettre sur lui qui allaient l’empêcher de dormir la nuit. “Et vous vous trouviez comme moi à Brisbane, quel heureux hasard.” Était-elle donc la seule personne autorisée à habiter la ville. Il était ravi de l’apprendre. Il se contenta de hocher la tête et de lui répondre une banalité cinglante, à la hauteur de sa remarque qui lui passait au-dessus de la tête sans qu’il n’ait que faire de ce qu’elle pouvait bien penser du hasard. “C’est une grande ville.” Avait-il besoin de lui préciser qu’ils pouvaient bien y avoir vécu des années durant sans jamais se croiser pour autant ? “Je vous dirais bien que je vous offrirais le double de ce qu’elle vous offre pour le dossier que vous avez constitué sur moi… Mais puisqu’elle a l’air de payer de sa personne, en étant une si bonne amie j’entends, j’ai peur que ce soit impossible.” Clyde lâcha un soupir tandis qu’un sourire amusé se dessinait sur ses lèvres. “Encore une fois, vous pouvez bien vous faire les idées que vous voulez, mais je ne suis pas du genre à me lancer dans des recherches de ce type pour deux parties de jambes en l’air.” Il n’avait pas besoin de ça pour trouver une femme prête à partager ses draps. “Ni du genre à passer dans le dos de mes amis.” Elle pourrait lui offrir tout l’argent qu’elle possédait qu’il ne vendrait pas Halsey - sans parler du fait qu’il prenait un plaisir évident à laisser planer le doute qu’il possédait davantage d’informations sur Raelyn qu’il n’en avait réellement. “Qu’est ce que vous y gagnez ? Si j’ai appris quelque chose c’est que les types comme vous ont toujours quelque chose à y gagner.” “Les types comme moi ?” Il leva un sourcil curieux et lâcha un rire sec, prêt à entendre l’analyse édifiante qu’elle pouvait bien avoir en stock. “Je n’y gagne rien. C’est le principe de vouloir aider ses amis, mais vous n’avez pas l’air d’être familière avec l’idée ?” En effet, il l’imaginait difficilement entourée d’un grand cercle d’amis. “Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi vous êtes si méfiante ?” Des choses à avouer, Raelyn ? “J’ai l’impression d’avoir commis un crime en vous permettant de rencontrer votre demi-sœur. Pour la plupart des personnes, ce serait une bonne nouvelle.” Sauf que cette Raelyn, tout comme Halsey, ne semblait pas être comme la plupart des personnes.

“C’est bien ça qui m’embête Ben.” L’accent posé sur Ben amusa le brun, qui aurait été presque tenté d’admettre que sur cette idée-là, il s’accordait avec elle : le choix du patronyme était clairement douteux. “Vous n’avez pas répondu à mes questions. Vous les avez contournées, intelligemment je dois bien l’admettre, mais pas assez pour que je ne le réalise pas.” Clyde se doutait bien évidemment que la blonde n’était pas dupe, comme son regard l’avait laissé présagé depuis quelques minutes déjà. Il n’espérait en aucun cas la rallier à sa cause et la convaincre de sa bonne foi - ou de celle d’Halsey - d’ici à la fin de leur entretien, car cet objectif aurait été utopique. En revanche, il tentait de répondre tant que possible à ses questions de manière à lui donner l’impression qu’il ne cachait pas réellement quelque chose, ou du moins, pas d’une manière suspicieuse pour un détective privé. Il éludait et en avait bien conscience, mais ce n’était pas parce que la blonde lui en faisait la remarque que cela allait changer quelque chose - Ben Brosnans ou pas, il ne lui devait aucune explication. Alors, à défaut de pouvoir en glaner sur elle ou de réussir à la faire changer d’avis sur lui, il était là pour temporiser et limiter les dégâts que cette entrevue risquait de causer s’il ne pesait pas bien chacun de ses mots. Raelyn était déjà suffisamment méfiante, alors il fallait éviter qu’elle ne ressorte pas d’ici avec une cible sur son dos à lui également - même si quelque chose lui disait que c’était peut-être déjà le cas. Nul doute que maintenant qu’elle avait découvert son visage, ils devraient se montrer particulièrement méfiants avec Halsey, même si la blonde ne serait heureusement pas surprise de les découvrir ensemble, au vu de leur amitié. Il finit donc par se redresser, pour faire face au sourire ironique de Raelyn et soutenir son regard. “Je ne cherche pas à vous cacher que j’évite certaines informations. C’est le cas, car nous ne nous connaissons pas et vous me posez des questions personnelles auxquelles seules les personnes que je connais ont les réponses.”

Si la blonde avait fini par laisser tomber l’interrogatoire sur ses origines et son lieu de travail, il paraissait évident qu’elle ne le lâcherait rien en ce qui concernait Halsey, et Clyde s’y attendait. Alors qu’elle continuait à creuser et qu’il trouvait à chaque fois réponse à ses questions, ces dernières ne convenaient pourtant pas à la demoiselle qui ne tarda pas à passer à l’offensive en jouant sur les motivations du brun à s’impliquer dans la vie d’Halsey. “Les détectives privés voyons, ne soyez pas susceptible.” Bien évidemment, il n’y avait aucune sorte d’insulte cachée sous la description peu flatteuse qu’elle faisait des types comme lui. Il fit en sorte d’y croire, lui offrant le même sourire amusé qui ne servait que de façade et ne dupait en réalité personne. Malgré sa volonté de garder son masque de patience et de détachement, Raelyn avait réussi à le faire sortir de son rôle pré-établi et semblait s’en satisfaire - soit, ce n’était pas cela qui allait empêcher Clyde de se tenir à sa version de l’histoire. “Je suis désolée si je ne vous crois pas sur parole, vous ne m’avez pas l’air d’être un homme qui fait les choses par bonté d’âme, et je suis plutôt douée pour cerner les gens.” “Je me répète, mais vous ne me connaissez pas” qu’il rétorqua d’un sourire amer, quelque peu touché dans son ego qu’une inconnue puisse lui dire ce qu’il était ou n’était pas. “Si vous êtes douée pour cerner les gens, alors pourquoi venir m’interroger sur Halsey ?” Il avait recouvert son sérieux, même si à l’intérieur de lui tout lui criait qu’il n’arrivait même pas à cerner sa comparse, qu’il connaissait pourtant depuis dix ans désormais. Cependant, il espérait peut-être obtenir ainsi les pensées de la blonde quant à la brune, ce qui pourrait servir à Halsey plus tard. “Et je crois que vous y gagnez quelque chose. Mais ce n’est pas grave, je devinerai.” “Je suis ravi de voir que ma personne vous intrigue autant.” Elle n’avait qu’à deviner, si elle était si douée que ça.

Le brun se saisit de l’occasion pour lui retourner ses questions, et la pousser à parler quant aux raison qui l’avaient amenées jusqu’ici. Ne pouvait-elle pas se contenter d’être heureuse d’avoir rencontré une demi-soeur inconnue, comme tout le monde ? “Je n’ai jamais été très famille.” Vu la manière dont elle parlait d’Halsey, et ce que cette Clyde avait raconté à Clyde, la blonde ne semblait en effet pas s’étouffer de sentiments familiaux. “Et je ne suis pas la plupart des gens.” Le brun ne réagit pas, car au point où ils en étaient, elle ne faisait qu’énoncer des vérités que tous deux connaissaient. Jouer le jeu de l’ignorance totale ne ferait que le desservir, car la blonde n’était pas si crédule qu’il aurait espéré qu’elle soit. “Reprenons. Vous tenez mon prénom, Rachel-Lynn Blackwell, une vieille photo qui date d’il y a presque vingt ans. Je suppose que vous trouvez la trace d’une arrestation pour vol à l’étalage il il y a quinze et, si vous êtes bon, éventuellement un mugshot.” Pour qui se prenait-elle, au juste, la police ? Et pourtant, quelque chose lui disait que la blonde ne se situait pas réellement de ce côté-là de la frontière avec les forces de l’ordre. Il acquiesça néanmoins, prêt à admettre qu’il avait en effet trouvé tout ce dont elle parlait - ce qui constituait la base de son dossier, qu’il n’avait eu aucun mal à se procurer. “Je suis bon.” Au cas-où elle en doute et pense pouvoir le malmener facilement. “Et après ?” Et après, il était donc supposé lui balancer son contact des stups et lui sortir son dossier papier imprimé en trois exemplaires et servi sur un plateau d’argent ? Bien sûr. Il préféra se fendre d’un sourire tandis qu’il se laissait aller en arrière et prenait appui contre le dossier de sa chaise. “Et après, j'ai l'honneur de vous rencontrer.” Il ne savait pas s’il s’agissait réellement d’un honneur, mais cela aurait au moins le mérite de l’amener au niveau d’Halsey, et de lui permettre de juger par lui-même le personnage que constituait Raelyn, même si la blonde lui paraissait insaisissable. Elle était louche, et son comportement parlait pour elle-même sur ce point-là, mais jusqu’à quel degré, cela restait une énigme. “Si vous craignez que j'ai découvert une information en particulier, sentez-vous libre de préciser laquelle.” Ce n’était même pas un piège, puisque qu’il n’y avait pas une once de possibilité que la blonde tombe dedans. En revanche, si cela pouvait lui faire comprendre que Clyde n’avait aucune raison de lui livrer les informations qu’elle demandait, cela l’avancerait déjà. “Que l’on soit bien clairs, je n’ai absolument aucune raison de vous donner davantage de détails, n’est-ce pas ?” Autant dire que si elle avait un flingue et comptait le sortir, c’était maintenant, car il reverrait alors peut-être ses velléités de refus. Autrement, elle pouvait toujours courir - mais elle aurait le plaisir de faire face au sourire en coin du brun pour s’adoucir la vue.

Si Raelyn était si méfiante par rapport à Halsey qu’elle le laissait paraître, Clyde pouvait difficilement croire qu’elle pense trouver davantage de réponses auprès de lui. Elle n’avait pas l’air stupide et il ne lui avait sans doute pas fallu longtemps pour assembler un plus un et comprendre que ce qu’Halsey savait, Clyde l’avait trouvé. Jusque là, il ne cherchait en aucun cas à nier cette évidence. “Je suis là parce que ce n’est pas elle qui m’a trouvée. Elle a l’air d’avoir de la ressource, mais je la crois quand elle vous en attribue le mérite.” Cependant, il y avait un pas entre venir le trouver car il était responsable de ce qu’avait appris la brune, et venir le trouver en pensant qu’il allait tout lui déballer de la même manière - ce qui n’était absolument pas prévu, et elle semblait commencer à le comprendre, même si elle se montrait tenace. “Et parce qu’il y a des questions auxquelles elle n’avait pas les réponses.” Il leva un sourcil et s’approcha à nouveau de son bureau, pour faire mine d’accepter de faire un pas vers elle. “Je veux bien tenter d’y répondre, tant qu’elles ne relèvent pas d’informations confidentielles.” Au fond, il savait pertinemment qu’elle allait se contenter de tourner encore et encore autour de la même interrogation - que savait-il réellement d’elle, et jusqu’où la plaçait-il sur l’échelle de l’illégalité ? Pas assez loin au goût du brun, malheureusement, car si elle semblait être liée à un certain gang dont l’existence n’était apparemment plus à prouver, les informations étaient trop éparses et insuffisantes pour saisir le réel rôle de la blonde - ou si elle avait réellement un rôle tout court. Cela dit, vu le personnage et l’assurance qu’elle affichait, Clyde ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle n’était pas que la plongeuse - elle ne serait jamais venu fouiner jusqu’à lui si elle n’était qu’un vulgaire pion. A défaut de pouvoir réellement répondre à toutes ses questions, il pouvait au moins laisser flotter l’idée qu’elle avait bien raison de craindre qu’il en sache plus que ce qu’il ne voulait le croire, car il savait obtenir ce qu’il voulait. “Doucement, je détesterais que vos chevilles explosent.” Clyde lâcha un rire sec - à croire qu’ils avaient déjà passé le stade des moqueries, c’était touchant. L’avantage d’avoir fini par laisser tomber son masque, c’est ce que Raelyn elle-même ne tentait plus de se cacher derrière son sourire dont elle connaissait déjà l’inefficacité face à lui - il n’était pas dupe, pas plus qu’elle ne l’était quant à son professionnalisme qui ne cherchait en réalité qu’à masquer la partie de l’histoire que la blonde n’avait pas besoin de connaître, pour son bien et celui d’Halsey.

Cette entrevue était bien plaisante et Clyde ne comptait mettre Raelyn à la porte tant que cette dernière ne s’y tournerait pas de plein gré, mais il cherchait justement à ce qu’elle comprenne qu’elle n’arriverait pas à lui tirer les vers du nez, car il n’était en aucun cas tenu de lui révéler quoi que ce soit. “Non aucune raison...” Ben Brosnans ou Clyde Wakefield, il ne connaissait pas cette femme, elle n’était rien pour lui et visiblement pas grand chose de plus pour Halsey qui ne voyait en elle qu’un potentiel pigeon, alors il se fichait bien qu’elle le prenne pour le dernier des imbéciles ou des menteurs. Même si pour son ego, il aurait préféré éviter la première option, tandis que la seconde n'arrangerait pas trop leurs affaires. “Mon père, vous l’avez retrouvé comment ?” Ah, enfin une question à laquelle il pouvait répondre - du moins en partie. “Il s’agit de mon travail, vous savez. Retrouver la trace de quelqu’un, ce n’est pas le plus compliqué. J’ai retrouvé votre père avant votre mère, tout est parti de lui.” Si retrouver quelqu’un était simple, en apprendre davantage sur la dite personne était déjà plus compliqué - mais elle devait se douter qu’elle était l’exemple parfait de ce type de personne, sur laquelle Clyde avait mis la main sans pour autant réussir à la cerner. Même si elle savait déjà tout cela, elle cherchait sûrement à lui faire lâcher un détail de plus qui lui manquait. “J’ai des contacts dans les bons endroits.[/color]” Là encore, il ne lui apprenait rien, mais s’attendait-elle réellement à ce qu’il lui explique qu’il connaissait un certain Tom à tel endroit, qui l’avait référé à un James qui avait lui-même demandé un service à Nathan ? Il doutait que l’historique des détails l’intéressent réellement. “Je dois m’attendre à d’autres surprises du genre ou Halsey est la seule ?” Etait-il possible qu’il s’agisse de la première question face à laquelle il pouvait être absolument honnête ? Sans doute, mais cela ne l’empêcha pas d’afficher un sourire moqueur. “Je vous rassure, je ne suis pas votre frère.” Il se reprit rapidement, effaçant l’ironie qui trônait sur ses traits. “Halsey est la seule. A ma connaissance, du moins.” Et cela voulait donc dire qu’elle était bien la seule, car il avait poussé ses recherches suffisamment loin pour s’assurer de cela lorsqu’il avait appris l’existence de Raelyn - il n’était pas question qu’un autre membre de la fratrie pointe le bout de son nez toutes les semaines, car le plan se serait grandement compliqué. “Où est-il ?” Etait-elle vraiment si peu ‘famille’ qu’elle n’avait pas appris le décès de son père ? Clyde fut pris d’une envie passagère d’annoncer la nouvelle à la blonde d’une manière bien peu respectueuse, mais il se résolut à ne pas utiliser ce genre d’information sensible comme levier. Lui-même ne savait pas ce qu’il était advenu de son père, et il aurait fort peu apprécié que quelqu’un joue avec cette information extrêmement personnelle, surtout si son père était mort - ce qui était peut-être le cas, par ailleurs. Il chassa cette pensée et fixa la jeune femme dans les yeux, toute lueur d’amusement ayant disparu de ses prunelles tandis qu’il prenait un air sérieux qui n’était qu’à peine feint. “Je suppose que vous n’en avez pas discuté avec Halsey.” Et il supposait bien, car la jeune femme ne lui avait pas rapporté avoir annoncé la nouvelle à Raelyn. “Votre père est décédé.” Il reprit son souffle, lâchant dans un murmure qui était cette fois réellement sincère, car il ne pouvait s’empêcher de faire le lien avec sa propre histoire et ce qu’il apprendrait peut-être un jour de la bouche d’un inconnu. “Je suis désolé.”

Si Clyde avait tenté de faire croire à la blonde qu’elle avait potentiellement à se méfier de davantage de personnes qu’Halsey, son père ayant engendré une ribambelle de gamins derrière lui, elle ne l’aurait sans doute pas avalé. Alors qu’il lui précisait sur le ton de la moquerie qu’au moins, eux n’était pas reliés, elle leva à peine un sourcil, s’attendant très clairement à ce qu’il lui avoue qu’Halsey était la seule - ce qui était fâcheux en quelque sorte, car s’il y avait d’autres frères et soeurs en lice, la présence de la brune paraîtrait sans doute moins singulière et calculée, ce qui posait visiblement problème à Raelyn. Néanmoins, au-delà de n’être clairement pas prête à se lier avec sa demi-soeur inconnue dont elle semblait se méfier plus que la peste, elle n’était même pas au courant du décès de son père, que Clyde lui avoua avec un air réellement désolé. “Vous l’êtes certainement plus que moi.” Visiblement, oui. “Je l’ai ni connu ni cherché.” La froideur avec laquelle Raelyn prononça cette phrase, sans même broncher à l’annonce de la mort de son géniteur, aurait presque pu filer des frissons dans le dos à Clyde, s’il était du genre à en ressentir. Il ne put s’empêcher de la fixer, espérant déceler une once de sensibilité dans son regard en ce moment si particulier, mais absolument rien ne transparaissait à part un détachement à toute épreuve - ce qu’il aurait presque admiré, si la blonde ne se trouvait pas dans le camp adverse. Ce qu’il considérait comme une grande qualité devenait un problème sérieux dès lors que cette caractéristique était portée par leur pigeon favori, qui se trouvait être bien plus difficile à plumer ou même à cerner que n’importe lequel de ceux qu’ils avaient manipulé auparavant.

La blonde avait saisi sa surprise puisqu’elle planta ses yeux dans le sien en dodelinant de la tête. “Pas la réaction à laquelle vous vous attendiez je suppose ?” Au point où ils en étaient, il était inutile que Clyde tente de nier ce qui s’était clairement affiché sur ses traits, et il ne tenta donc pas de l’embobiner en prétendant quelque chose qu’elle ne croirait jamais. “En effet.” En revanche, il n’allait évidemment pas lui révéler qu’ils avaient quelques points communs familiaux, ce que la blonde n’avait surtout pas à savoir - d’autant plus qu’Halsey elle-même était encore dans le flou. “J’ai rencontré des gens qui n’étaient pas très famille, mais vous les surpassez tous” lâcha-t-il en recouvrant un sourire quelque peu amusé. Et par des gens, il ne faisait pas référence à son acolyte ou à lui même, non, pas du tout. Pourtant, que la blonde leur ressemble sur ce point-là était bien dommage, car c’était tout l’inverse qu’ils avaient espéré d’elle lorsque Clyde avait remonté sa piste qu’à ce restaurant de Brisbane quelques mois auparavant.

Après l’avoir titillé autant que possible, Raelyn comprenait visiblement enfin que Clyde comptait se réfugier derrière sa casquette de détective privé à chaque salve de questions bien trop sensibles pour qu’il puisse y répondre honnêtement. Elle finit donc par interrompre son interrogatoire pour se redresser et le fixer d’un air qui, sans être menaçant, était effrayant à sa manière. “Je pense que ni vous ni Halsey n’avez conscience de l’engrenage dans lequel vous mettez le doigt. A sa place, je cesserais de creuser. A sa place, je retournerais d’où je viens sans me poser de questions.” D’où elle venait ? Tout comme Raelyn, elle n’avait comme origine que celle qu’elle avait bien voulu se donner, et rien ne la retenait plus à Perth que Raelyn à Charleville, ce qu’il omit pourtant de préciser - car la brune était censée être très famille, elle. “Dites lui ça.” Au-delà du fait que Clyde n’était pas le pigeon voyageur d’Halsey, il appréciait moyennement les menaces déguisées dont il n’arrivait pas à saisir la portée, ni à quel point cette Raelyn pouvait se montrer véritablement dangereuse. Néanmoins, l’acharnement avec lequel elle repoussait Halsey et tentait de protéger sa vie privée laissait entrevoir un fond qui n’était pas tout blanc, bien au contraire - et plus la blonde avait de choses à se reprocher, plus cela était intéressant pour eux, mais aussi plus dangereux si elle était aussi louche qu’elle en avait l’air. La prudence était de mise, que ce soit face à elle tout comme dans son dos pour tenter d’en apprendre plus quant aux points sur lesquels elle restait aussi désespérément mutique. “Je n'ai mis le doigt nulle part, personnellement. Et Halsey vient de découvrir qu’elle avait une demi-sœur, elle ne peut pas vous oublier comme ça.” Quant aux raisons pour lesquelles la brune ne pouvait pas l’oublier, il n’était pas obligé de préciser, car ce ne serait que contre-productif. “Je ne sais pas ce que vous craignez exactement, elle cherche simplement à vous connaître un minimum.” Clyde avait pourtant quelques idées sur les craintes de la blonde, même s’il lui semblait avoir compris par l’intermédiaire d’Halsey et les regards que Raelyn lui avait envoyé durant cet échange qu’elle n’était même pas tout à fait convaincue de partager le même sang que la brune. Lever ce doute serait donc dans leur intérêt, que cela casse une faille supplémentaire dans la défense impénétrable que Raelyn avait été érigée tout autour d’elle. “Mais je passerai le message.” A nouveau, il lui présenta un sourire affable qui laissait pourtant transparaître la double compréhension qu’il avait bien tirée de ses mots. Et pourtant, cela ne les empêcherait pas de continuer à creuser, au contraire.

La blonde avait haussé les épaules comme si Clyde lui avait récité sa liste de courses alors qu’il venait de lui annoncer la mort de son père, et ce manque de sensibilité ne pouvait que tirer davantage la sonnette d’alarme concernant les plans que lui et Halsey avaient en stock pour la suite. Ils avaient mis le doigt sur Raelyn en espérant y trouver une demi-soeur un peu stupide et en manque de famille, puis avaient réalisé que la blonde était extrêmement méfiante - mais cela ne s’arrêtait pas là, car si le doute subsistait auparavant concernant sa réellement implication dans le Club que les stups suivaient avec attention, il paraissait désormais évident qu’elle avait gros à cacher. Clyde n’avait pas poussé son étude du dossier du Club suffisamment loin, mais il connaissait déjà la prochaine étape de son travail maintenant qu’il avait eu la chance - ou du moins, l’occasion - de rencontrer la froideur de Raelyn en chair et en os.

A défaut d’être prêt à répondre à ses questions qui mettaient le doigt sur ce qu’il ne souhaitait justement en aucun cas révéler, Clyde ne pouvait que tenter une ultime fois de convaincre la blonde que les intentions de sa demi-soeur étaient louables, mais plus personne ne semblait croire une seule parole de ce jeux de dupes dans laquelle ils étaient tous désormais enfoncés jusqu’au cou. “Halsey n’a pas le comportement de quelqu’un en plein crise d’identité et qui veut juste apprendre à découvrir les siens. Vous savez comme moi qu’autrement, elle serait restée à Charleville.” Clyde fut tenté de lui répondre qu’il n’y avait pas de boutique Louboutin à Charleville et que cela constituait en soi une raison suffisante pour qu’Halsey ne souhaite absolument pas y poser ses valises, mais cela l’aurait faite passer pour bien plus superficielle que leur plan l’exigeait. Après tout, la famille avant tout, n’est-ce pas ? Le brun se contenta donc de nier d’un léger signe de tête comme pour démentir l’explication que Raelyn semblait s’être forgée, quand bien même elle se rapprochait dangereusement de la vérité. Cependant, la version officielle consistait au fait que la blonde n’avait rien à craindre de la brune - ce qui risquait de continuer à être le cas si le duo se heurtait désespérément au mur que représentait Raelyn et sa vie. En quelques semaines, la seule nouvelle information qu’ils avaient récolté était cette photo qu’Halsey avait réussi à prendre en douce lorsque Raelyn l’avait invitée chez elle, et Clyde n’avait pas encore eu de retour concernant l’identité de l’homme qui posait à ses côtés - mais nul doute que cela promettait d’être intéressant. Raelyn protégeait une réalité plus sombre qu’ils ne l’avaient imaginé, et s’il leur faudrait désormais être bien plus sur leurs gardes qu’ils ne l’avaient jamais été, le jeu qui venait de se doter de nouvelles règles en valait la chandelle. Du moins, Clyde l’espérait encore.

Lorsque Raelyn se leva enfin pour quitter le bureau, les deux ne daignèrent même pas échanger une poignée de main - si l’entrevue avait commencé sur des illusions, elle se terminait dans l’amer constat que l’un comme l’autre cachait un tissu de mensonges bien ficelé qui se révélait aussi dense qu’impénétrable. “Au revoir, Ben.” Ou à bientôt, plutôt. “Au revoir, Rachel-Lynn.” Il n’était même plus temps de prétendre à une politesse feinte, et Clyde l’avait rappelé dans ses ultimes mots, sachant pertinemment qu’ils ne plairaient pas à la blonde. Game on.