J’ai eu la peur de ma vie.

J’étais juste parti pour une session en studio avec Amélia. Ce n’était qu’une après-midi. Jill était avec Noah et ils avaient prévu tout un tas d’activité dans la maison, programme auquel je n’étais pas convié, ils m’avaient poussé à la porte en riant et en complotant déjà entre eux. Tout devait bien se passer. Je n’avais pas prévu de rentrer à la maison au moment où le médecin de Jill en sortait. Je n’avais pas prévu que ma femme fasse un malaise. Jamais je n’avais prévu que sa grossesse puisse devenir dangereuse pour elle ou pour les bébés. Pourtant, la nouvelle est tombée comme un couperet : Jill doit se reposer. Alitée jusqu’à la grossesse, à faire le moins d’effort possible. Un enfer pour elle.

Depuis, je ronge mon frein. Je fais mon possible pour ne pas être trop sur son dos, pour ne pas la couver de trop. Je m’inquiète, j’en fais des cauchemars, mais je ne dis rien. Tête haute, sourire aux lèvres, je me lève tous les matins en espérant que notre chance ne va pas tourner, que tout ira bien. Elle est fatiguée, Jill, la grossesse commence à lui peser, le fait de n’avoir le droit de rien faire la pousse à bout. Je le sais. Je la connais par cœur. Alors, tant bien que mal, je tente mon possible pour l’aider un peu, pour lui changer les idées.

J’ai dû passer au studio, ordre de Sebastian. Il m’a pris la tête avec des histoires de chiffre, de tournée qui devait reprendre, mais j’ai pu m’échapper pour écouter les dernières démos et surtout récupérer les partitions d’une nouvelle chanson. Je lui ai fait comprendre que ce n’était pas le moment. En rentrant, je me suis arrêté au supermarché pour acheter quelques snacks que Jill affectionne. Je compte bien passer le reste de ma journée à ses côtés et pour ça, j’ai quelques idées pour faire passer le temps.

Je trouve la jeune femme allongée sur le canapé, Logan coller à elle comme toujours depuis le malaise et cela me fait sourire. « Salut. » Je me penche au-dessus d’elle pour venir embrasser ses lèvres. « Je t’ai pris quelques snacks. » Je lève le sac que j’ai à la main pour lui montrer avant de faire le tour du fauteuil pour venir m’asseoir à ses côtés, prenant ses jambes sur mes cuisses. « Ça a été aujourd’hui ? » C’est plus fort que moi, j’ai besoin de demander.

Jill s’est fait peur. Elle aurait pas dû faire tant d’efforts. Elle a bien cru qu’elle allait devoir rester à l’hôpital jusqu’à la fin de la grossesse. Mais elle a supplié Ezra de ne pas l’emmener, alors le médecin est venu à elle. Bailey n’était pas là, il avait du travail. Et c’est la troisième personne que Noah a eu l’idée d’appeler. Alors c’est Ezra qui l’a sauvé sûrement, et elle ne le remerciera jamais assez pour ça. Les journées sont longues, mais elle n’a pas vraiment la force de bouger. Son ventre prend trop de place, ses cachets l'assument mais elle commence à s’habituer. Elle ne sort pas plus loin que son jardin. Elle ne conduit même plus, elle ne fait plus les courses, elle ne sert à rien. Elle ne fait que dessiner et trainer un peu partout dans la maison en attendant que les minutes, les heures et les jours passent. Il est trop tôt pour accoucher, elle sait qu’elle doit être patiente si elle veut que les bébés soient en bonne santé.

Elle ne s’attendait pas à ce que Bailey revienne si tôt, elle sourit quand elle le voit passer la porte. Elle ne passera pas son après-midi seule. Elle est allongée sur le canapé et Logan est toujours collé à sa cuisse. “Tu rentre tôt !” Elle fronce les sourcils, elle sait qu’il tente d’être toujours un peu plus présent depuis qu’il a appris pour le malaise. Il se sent mal de ne pas avoir été présent, et ça lui brise le coeur à Jill. Elle ouvre de grands yeux envieux quand il lui tend le sac de nourriture. Elle ne fait vraiment pas grand chose à part manger et dormir. Elle se relève sur ses coudes, elle ne tient plus avec cet énorme ventre. Elle ne peut même plus s’asseoir ou s’allonger comme elle veut.

“T’as pris assez pour qu’on puisse partager ?” Elle rit alors qu’il s’assoit à côté d’elle et qu’il dépose ses jambes sur les siennes. Elle fouille dans le sac et sort déjà un nouveau paquet de chips à grignoter. Elle ne pourra plus voir un paquet dans ses placards pendant des années après cette grossesse. Elle fronce les sourcils, est ce que ça a été aujourd’hui ? Elle renvoie sa tête en arrière avant de grogner. “C’est beaucoup trop long” Mais elle ne peut pas déjà accoucher, elle ne peut pas prendre de risques. C’est son leitmotiv depuis quelques jours. “J’ai dû mettre à peu près 15 minutes juste à descendre l’escalier, et je n’ai fait que dormir et manger.” Et elle commence à vraiment s’ennuyer la McGrath. “Et toi ?”

Je m’étais promis de ne pas être constamment sur son dos lors de sa grossesse. Jill se devait de vivre cela à son rythme, sans que l’on lui rappelle sans cesse sa condition. J’étais parti au travail sans vraiment me soucier de quoique ce soi, mais ne pas avoir été à ses côtés lors de son malaise et surtout d’avoir raté l’appel de Noah ne cesse de me faire culpabiliser. Personne n’avait été là pour Jill, c’est Ezra qui a fini par lui venir en aide parce que Noah a eu la présence d’esprit d’appeler tous les gens qu’il connaissait jusqu’à ce que l’un d’entre nous ne décroche. Oh il nous a fait comprendre notre erreur le petit garçon. Je sais qu’il a eu très peur pour sa tante, mais je n’oublierai jamais le regard désapprobateur qu’il m’a lancé lorsque je suis arrivé en me disant que Jill n’allait pas bien du tout. Depuis, je ne cesse de culpabiliser de ne pas avoir été là. Dès que je dois la laisser seule, j’ai cette boule au ventre qui me donnerait presque la nausée. Je ne laisse plus mon portable sur silencieux, le volume de la sonnerie toujours pousser à son maximum. Et dans ma tête les reproches envers moi-même pleuvent constamment, je n’étais pas là pour ma famille, j’ai failli dans mon rôle.

Alors même si Sebastian voulait me voir au studio, j’ai tout fait pour que ma visite soit la plus courte possible. Je n’ai pas vraiment la tête dans le boulot en ce moment, je préfère rester auprès de ma femme, m’assurer qu’elle va bien, être présent pour elle à tout moment. Et la voir surprise de me rentrer aussi tôt me serre le cœur. « Je t’avais promis que je partirais pas longtemps. » que je murmure doucement alors que mes lèvres viennent effleurer les siennes. Elle à l’air fatiguée ma Jill et je compte bien prendre soin d’elle pour le reste de la journée.

« T’as pris assez pour qu’on puisse partager ? » Je ricane en glissant ma main dans le sachet pour en sortir une barre chocolatée, ma préférée depuis l’enfance. « Juste ça. » Et je cache la barre dans mon dos en riant alors que je sais parfaitement qu’elle préfère le sucrer. Je finis par poser la sucrerie sur la table basse, m’installant aux côtés de la brunette, un second sachet cacher encore de mon côté de l’accoudoir. « C’est beaucoup trop long. J’ai dû mettre à peu près 15 minutes juste à descendre l’escalier, et je n’ai fait que dormir et manger. » Je grimace, je culpabilise sans même savoir pourquoi. Elle me questionne, mais je ne l’entends pas. La surprise ne va plus attendre. « J’ai autre chose pour toi. » que je taquine en souriant un peu. Je vois son regard s’arrondir, j’ai attrapé sa curiosité. Je fais un peu durer le suspense en prenant tout mon temps pour attraper le sac avant de lui tendre en souriant. Elle dessine beaucoup depuis quelque temps, mais surtout depuis qu’elle n’a pas plus le droit de trop bougé et j’ai pu remarquer que son matériel commence à se faire un peu vieillot. Ses crayons sont usés à force d’avoir noirci le papier, ses carnets bien trop remplis. Alors, je suis allé lui acheter un grand et un petit carnet de dessins, des crayons de papiers, un peu de fusain et des couleurs. Je m’étais souvenu de tout ce que Ginny pouvait me dire à l’époque pour ne pas me tromper dans mes achats. « Le vendeur m’a dit que c’étaient les meilleurs crayons en ce moment. » Elle sait que je n’y connais trop rien, mais je voulais tout simplement lui faire plaisir. Et j’attends un peu anxieux. « Ça te plaît ? » Puis je me racle un peu la gorge soudainement presque timide, ne voulant jamais trop piétiner sur son monde, ne voulant jamais imposer quoique ce soit. « Puis j’aurais besoin de ton avis sur des choses aussi. »

Elle est toujours allongée sur le canapé Jill, elle passe son temps allongé. Pourtant elle n’aime pas vraiment ça. Mais elle n’a pas le choix. Si elle reste debout trop longtemps, elle a mal aux jambes, aux pieds, elle se fatigue. C’est vraiment dur pour elle de gérer cette grossesse. Les jumeaux bougent beaucoup, ils commencent à donner des coups qu’elle sent vraiment bien, et ils l’empêchent déjà de dormir pendant certaines heures de la nuit. Et elle était sur le point de s’endormir quand elle a entendu la porte s’ouvrir et que ses yeux se sont posés sur Bailey. Elle sourit, elle avait sûrement oublié qu’il devait rentrer plus tôt et elle profite de ses lèvres pendant la seconde où il se rapproche d’elle pour l’embrasser. “Ils avaient pas besoin de toi ?” Elle ne s’intéresse pas trop souvent à son boulot, le sujet Sébastian est compliqué, et plus le temps passe plus la tension semble palpable entre les deux frères.

Elle attrape le sac de nourriture et sort déjà deux ou trois sachets qu’elle va rapidement engloutir. Et elle le regarde prendre une barre chocolatée en levant les yeux au ciel. Ses jambes s’étalent sur celles de Bailey et elle mange déjà un paquet de chips. Elle râle, comme elle le fait toujours quand il demande comment elle va. Tant qu’elle râle au fond c’est qu’elle va bien. Elle était prête à parler pendant des heures à la suite mais il retient son attention en parlant. Il a autre chose pour elle. Et elle se relève quelques secondes sur ses coudes en ouvrant de grands yeux étonnés. Qu’est ce qu’il peut bien être en train de lui préparer ? “Mmmh.” Elle s’impatiente, elle n’a jamais été du genre à vraiment apprécier les surprises Jill. Et il sort un sachet. Elle attrape la main de Bailey pour réussir à s’asseoir et à se relever pour s’asseoir à côté de lui.

Elle ouvre le sachet, elle fouille et elle sourit. Elle dessine beaucoup ces derniers temps, elle rempli des carnets entiers et elle commençait à en manquer. Il a acheté tout un tas de choses qu’elle utilisera très certainement même si ce n’est pas une experte en dessin. “C’est parfait !” Il a l’air mal à l’aise et elle pose ses lèvres sur celles de son mari pour le rassurer. “Y’avait presque plus de feuilles dans cette maison !” Elle hoche la tête et pouffe de rire avant de poser le sachet à côté d’elle pour de nouveau reporter son attention sur Bailey. “Je t’écoute !” Qu’est ce qu’il manigance encore ? Ca fait beaucoup de surprises en une journée, mais, ça l’occupe au moins.

« Ils avaient pas besoin de toi ? » A ses mots, je réalise à quel point, je ne lui parle pratiquement plus de ce qui se passe au studio. On échangeait beaucoup là-dessus, avant. Avant que Sebastian ne décide de revenir pour imposer sa loi, avant sa grossesse aussi. Aujourd’hui, je ne veux pas qu’elle se rajoute du stress à cause de moi. Les choses vont finir par s’arranger, Ginny et Auden on accepter de m’aider, je sais que je vais trouver une solution. Petit à petit, un avenir d’indépendance se dessine pour moi à l’horizon. Il faut prendre son mal en patience. Alors parfois, je me plie aux règles de Sebastian, sans jamais réellement en parler à ma femme. « Sebastian voulait juste me voir pour quelques papiers. » Je hausse les épaules. Ce n’est pas un mensonge après tout, je n’ai vu mon frère qu’une vingtaine de minutes, il a ensuite disparu pour un rendez-vous avec je ne sais qui. « Puis j’avais prévenu que je serais beaucoup moins présent. » Je n’ai pas évoqué le malaise de Jill, c’est quelque chose de personnel, d’intime. Tout le monde sait qu’elle est enceinte et je pense que l’on peut comprendre mon désir de rester auprès d’elle dans ce moment si important. On va pas parler de boulot bien plus longtemps.

Après lui avoir donner le sachet rempli de ses snacks favoris, qui finiront probablement par la dégoûter dès la fin de cette grossesse. Je finis par donner un cadeau à Jill. Des carnets de dessins et surtout de quoi en noircir les pages. J’ai longtemps hésité, ne voulant pas empiéter sur ses plates-bandes, dans son petit monde à elle, mais j’avais vu l’état de son matériel et je voulais tout simplement lui faire plaisir. « C’est parfait ! » Et je me penche vers elle, lorsqu’elle cherche à me donner un baiser. Un fin sourire se dessine sur mes lèvres. J’ai visé dans le mille, il semblerait. « Y’avait presque plus de feuilles dans cette maison ! » « C’était temps, tu te serais attaqué au mur sinon. » Elle sait parfaitement que je ne dirais rien si elle finissait par le faire. Le dessin mural qu’elle a créé de ses mains dans la chambre des enfants en est la preuve même. J’ai aimé la voir évoluer dans ce processus et j’ai hâte de pouvoir l’observer à nouveau se plonger dans son monde de dessin, de maison et autres. « Tu m’apprendrais ? » que je demande encore un brin timide. On n’a jamais échangé sur ce domaine-là. « Histoire que mes bonhommes bâtons s’améliorent juste un peu. » que je plaisante alors. Je suis un piètre dessinateur et clairement, il ne faut pas faire équipe avec moi pour un pictionnary. « Et que je me tape pas la honte devant nos enfants. » que j’ajoute en riant. « D’ailleurs… Je compte bien leur acheter une version miniature de touuuuus les instruments de cette planète. On va monter un band ! » Je fabule, le sourire aux lèvres. Je me projette un peu, dans un délire fou, mais qui m’apaise. « Puis ils pourront crayonner touuuutes les feuilles du monde avec toi. Même les murs si ça leur chante. » Papa poule moi ? Non, non.

Je suis revenu à la maison avec tout un tas d’idées (clairement) pour lui faire oublier le fait qu’elle est coincée dans ce foutu canapé. Après avoir évoqué, ce que l’on pourrait bien faire avec nos enfants lorsqu’ils seront plus grand, je retrouve un peu mon sérieux. Je sais que cela lui pèse de ne plus pouvoir sortir comme elle le souhaite, et même si la discussion a toujours été aisé entre nous, ces derniers temps le silence se faisait de plus en plus présent. On n’a jamais été habitué à passer autant de temps ensemble. « Je bloque sur une mélodie. » que je lui avoue en fouillant dans la poche arrière de mon jean pour en sortir une partition complètement chiffonnée. « Tu voudrais m’aider ? » C’est quelque chose que l’on a pas fait depuis bien trop longtemps, se poser autour du piano pour échanger sur cette passion qui nous relie. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé faire en sa compagnie.

Elle l’écoute parler de boulot, mais ça n’a jamais été leur conversation préférée. Elle écoute mais elle ne répond pas plus, elle sent qu’il n’a pas envie d’en parler. Il n’a jamais vraiment envie de parler de tout ça, ni de son frère. Et elle ne force pas Jill, pas aujourd’hui. Elle est trop fatiguée pour poser des milliers de questions, parce qu’elle a besoin de se changer les idées et que ce n’est pas le moment d’aborder les sujets compliqués et ceux qui touchent un peu trop Bailey. Alors elle se contente d’hocher la tête, et de profiter du fait qu’il est rentré plus tôt pour passer du temps avec elle. Elle ne s’en plaint pas, bien au contraire. Son sourire s’est agrandit depuis qu’il a passé la porte, elle ne s'ennuiera pas cette cette après-midi.

Il lui a fait un cadeau, des carnets, du matériel de dessin et elle sourit encore un peu plus Jill. Elle s’imagine déjà tout ce qu’elle va pouvoir faire pendant les semaines qui lui restent à attendre à la maison que les jumeaux veuillent bien montrer le bout de leur nez. Elle doit tenir, elle ne pourrait pas accoucher tout de suite même si son ventre la gêne de plus en plus. C’est trop tôt, alors, pour une fois, elle écoute les médecins, et fait le moins de choses possibles, même dans sa maison. “Je peux toujours m’attaquer aux murs !” Elle hausse un sourcil avant de déposer le sachet à côté d’elle pour venir embrasser de nouveau les lèvres de Bailey. Elle fronce les sourcils, il veut apprendre à dessiner ? Elle pouffe un peu de rire, c’est vrai que les talents de Bailey en dessin sont très limités. Mais elle n’a jamais suivi de cours Jill, sauf quelques uns avec sa soeur quand elle allait à l’atelier. “Je peux toujours essayer, mais ça s’annonce compliqué y’a du boulot.” Elle a déjà vu ces fameux bonhommes bâtons. “J’espère qu’ils auront pas récupéré tes talents en dessin.” Elle ouvre de grands yeux étonnés, ce serait une tragédie pour eux et pour elle. Elle rit Jill, et elle imagine déjà Bailey leur apprendre à jouer de tous les instruments et elle qui s’arrache les cheveux parce qu’il aura eu la mauvaise idée d’en mettre un des deux à la batterie et que ce sera bien trop bruyant. “S’ils sont nuls en dessin et en musique j’espère qu’on pourra les échanger à la maternité.” Elle grogne Jill avant de sourire un peu plus en se calant contre l’épaule de Bailey. Elles sont bien ces conversations, elle sont calmes et elles aident Jill à voir un peu plus loin que cette grossesse. “Ils vont te faire vivre un enfer.” Parce qu’il va être le pire papa poule de l’univers. Et qu’ils en profiteront, c’est certain.

Il a besoin d’aide pour autre chose et elle l’écoute Jill, si elle peut l’aider elle le fera. Et il sort une partition de sa poche. Toute chiffonée et elle lève les yeux au ciel Jill, comment il peut lire quelque chose correctement sur cette feuille ? Mais elle l’attrape d’entre ses mains et elle regarde en la tournant dans tous les sens. Elle hoche la tête et elle se dirige déjà vers le piano pour tenter de lire ce que Bailey a voulu créer. Elle fronce les sourcils, se concentre, elle aime toujours autant jouer. “Allez viens !” Il est resté quelques secondes en retrait, alors elle le ramène vers elle.

J’adore voir ses yeux briller en découvrant les quelques achats que j’ai faits pour elle. Elle l’a longtemps gardé pour elle son secret, mais là voir dessiner dans la maison, voir la table du salon parfois recouverte de croquis en tout genre, c’est quelque chose que j’aime chez elle. Il m’arrive parfois de l’observer quand elle se pense seule et qu’elle est en train de noircir le papier. Elle a ses propres expressions Jill. Sa manière de tenir son crayon, pencher légèrement sa tête sur le côté et sa langue qui pointe entre ses dents signe de la concentration la plus extrême. C’est comme plonger dans son monde, mais à distance et le fait qu’elle commence à partager ses œuvres avec moi me touche plus que de raison. J’ai le droit d’entrer dans son monde parfois et ce que j’y trouve me fait réaliser à quel point on peut se ressembler parfois. « Je peux toujours m’attaquer aux murs ! » Son haussement de sourcil me fait rire aux éclats. « Tu peux. » que j’affirme en hochant de la tête. « Tu sais parfaitement que je t’en voudrais pas. » Je suis bien incapable de lui en vouloir pour quoi que ce soit la plupart du temps. Enfin… Jusqu’à ce qu’elle fasse une grimace à la simple idée de m’apprendre à dessiner. Je sais que je ne serais probablement pas le meilleur des élèves tant mon niveau se situe au ras des pâquerettes. Pour l’époux d’une artiste, ça craint un peu quand même. « Je peux toujours essayer, mais ça s’annonce compliquer y’a du boulot. » « Eh je suis pas si pire. » que je tente de me défendre alors que l’on sait aussi bien l’un que l’autre qu’elle a parfaitement raison. « Bon peut-être que t’as pas siiii tord que ça, mais quand même… » Et on s’amuse à penser à nos enfants là-dedans. À qui vont-ils le plus ressemble ? Qui va hériter de quels traits de caractères ? De quelles passions ? « J’espère qu’ils auront pas récupéré tes talents en dessin. » « Mais… » Je tente de bouder, mais c’est un pur échec au bout de quelques secondes seulement. « On va leur apprendre. Tout. Le dessin, la musique. » Le savant mélange des deux, ce qui nous a aider à tenir toutes ces années durant. « S’ils sont nuls en dessin et en musique, j’espère qu’on pourra les échanger à la maternité. » « Pour sûr. On dira qu’y a eu erreur sur la marchandise. » que je plaisante avec elle. « Mais ils vont être beau, on va être obligé de les garder non ? » Et ça je me demande tout le temps. À qui ils vont le plus ressemble. Et surtout, ça donne quoi, un mélange de nous deux ? L’eau et le feu. La sensibilité et la fougue. J’ai hâte d’apprendre à connaître nos enfants. « Surtout, s’ils te ressemblent, j’vais pas trop pouvoir les abandonner. » Je hausse les épaules en souriant alors que Jill aussi imagine le futur, mais d’un point de vu disons légèrement différents. « Ils vont te faire vivre un enfer. » « Je serais à leur merci. » Oh on le sait déjà tous les deux. Je serais incapable de dire non, effrayer à l’idée de briser le lien, dans le désir de vouloir être la meilleure version de moi-même, juste pour eux, pour elle. « Et tu vas leur apprendre tous mes points faibles. » Oh ça je n’en doute même pas une seconde. « Je pourrais jamais vous résister, vous allez vous liguer contre moi avec Logan en plus. » Je ricane un peu. « Je suis foutu. » Foutu, mais terriblement heureux.

Et au fur et à mesure de la conversation, je lui parle de cette chanson qui me pose problème depuis des jours. Cela m’arrive souvent de coincer sur un morceau, de ronchonner dans mon coin avant de tout laisser tomber à l’oubli dans un de mes carnets. Les choses sont différentes désormais… Je peux en parler avec Jill, parce que je sais qu’elle comprend. Même quand elle fronce les sourcils en voyant ma partition. Je me perds à observer ses réactions lorsqu’elle tente de déchiffrer mes gribouillons tellement que je ne réalise pas qu’elle vient de se lever. « Allez viens ! » Je secoue la tête et croise son regard. « Oui, j’arrive. » Je souris et viens la rejoindre pour m’asseoir à ses côtés sur le banc du piano. On prend un instant pour mieux s’installer et mes doigts viennent se poser sur les touches. « J’pense avoir le début. » Je commence à jouer les premières notes et lorsque je tente d’accélérer le rythme, je galère, ronchonne et finis par tout arrêter en soupirant lourdement. « Et tu vois là, ça va pas. » Je reprends une fois. Puis abandonne. Reprends encore une fois, rate la reprise et râle. J'entame à nouveau le début, fait une fausse note, là où tout coince. Je reprends encore une fois, mais m'énerve lorsque cela ne sonne pas comme je le voudrais, comme je l'entends dans ma tête. Je soupire et m’énerve tout seul sur les touches tapant sur certaines au hasard ce qui crée un son assez affreux. « Ça m’énerve. » Et je reprends encore une fois, voulant vraiment trouver ce coda parfait qui irait avec la suite, mais cela sonne terrible et je dois être en train de casser les oreilles de tout le monde. Je tourne la tête vers Jill en boudant de nouveau. « Je sais pas quoi en faire du coup… Mais j’aime bien le début. »

Ils parlent de tout. Et même des bébés. La jeune femme a un peu moins de mal à en parler, à imaginer ce qui pourrait se passer après la grossesse. Elle essaie en tout cas, de toutes ses forces. Elle sourit et elle essaie d’imaginer deux enfants dans cette maison qui chercheraient à dessiner sur les murs ou qui les empêcheraient de dormir en jouant de n’importe quel instrument. Ca la fait sourire Jill, est ce qu’elle est capable de vivre une telle vie ? Elle allait devoir le faire maintenant, elle n’a plus le choix. “J’aurais pas attendu ton autorisation de toute façon.” Le regard de Jill est taquin quand elle le tourne vers Bailey et qu’elle pose un baiser au coin de ses lèvres. Il veut apprendre à dessiner et Jill grimace un peu, elle sait à quel point il n’est pas doué avec un crayon. “J’ai toujours raison tu devrais le savoir !” Elle hausse les épaules comme si c’était la seule chose à dire. “Ils sauront tout faire.” Ils n’auront pas vraiment le choix. Elle continue de taquiner Jill, elle parle d’échanger les deux enfants s’ils n’aiment pas le dessin ou la musique. Elle les laissera faire ce qu’ils veulent, elle ne veut pas qu’ils se sentent obligés. Elle ne refera pas les erreurs que ses parents ont faites avec elle ou n’importe lequel des McGrath. “Tu me fais du charme ?” Elle hausse un sourcil en se tournant complètement vers lui. “Tu devrais partir en courant tout de suite c’est moins risqué.” Jill hoche la tête alors qu’à ce moment là Logan arrive devant leurs pieds en courant. Il n’a plutôt pas intérêt à partir, je n’y arriverais pas sans lui.

Elle s’installe au piano pour travailler sur la partition de Bailey. Elle attend qu’il s’assoit à côté d’elle, et il commence à jouer. Elle le regarde et il est attendrissant quand il s’énerve, quand il réfléchit trop et qu’il veut absolument trouver quelque chose. Il joue, il fait des fausses notes et je me retiens de rire en le regardant s’énerver sur ses touches. “Arrête de râler.” Elle le bouscule légèrement sur l’épaule. “Arrête de réfléchir.” Parce qu’il cherche trop la bonne note, il le fait souvent. Elle joue vers les notes plus aiguës en copiant le début qu’il aime tant. “Il te manque une transition.” Elle fronce les sourcils Jill, elle réfléchit vraiment pendant quelques secondes en reprenant plusieurs fois le début. “Fais une pause là.” Elle relève les doigts une seconde, trouve 2 notes de transition pour passer à la suite du morceau. “C’est mieux là non ?” Pas parfait, mais ça sonne déjà un peu mieux.

J'aime la voir sourire alors que l'on évoque notre futur en tant que parents. C'est toujours un peu compliqué pour elle de se projeter, mais depuis sa frayeur et depuis qu'elle a été obligée de lever le pied, je vois qu'elle s'ouvre un peu plus à l'idée. Elle va devenir mère et cela va complètement chambouler sa vie, mais je ne m'inquiète pas, enfin, j'essaye. Je sais que Jill aura la force de surmonter ses peurs. Je sais que je serais toujours à ses côtés pour l'aider. C'est une nouvelle étape que l'on se doit de vivre à deux, qu'importe à quel point cela nous effraye. Dans quelques semaines, les jumeaux seront là et c'est si bon de pouvoir penser à eux de manière si concrète. J'ai tellement hâte de les découvrir, de les prendre dans mes bras. Je pense être prêt. « Ils sauront tout faire. » qu'elle affirme dans un sourire. On ne sera jamais comme nos parents, on a même pas besoin de se le dire. Jamais l'un d'entre nous ne forcera nos enfants à faire quelque chose dont ils n'ont pas envie, mais on leur fera découvrir. Le monde du dessin avec maman, le monde de la musique avec papa. Et on verra, on avisera. Ils auront baigné là-dedans toute leur vie, cela aura forcément un impact. J'ose l'espérer en tout cas. Et bien sûr qu'elle ne cesse de me taquiner Jill alors que je réalise à quel point, je serais capable de donner ma vie pour eux. « Tu me fais du charme ? » « Est-ce que ça marche? » que je plaisante à mon tour alors que son air devient légèrement plus sérieux. « Tu devrais partir en courant tout de suite c'est moins risqué. » Je déteste l'entendre dire cela et secoue la tête alors que ma main vient délicatement se poser sur sa joue. « Je t'ai promis que je ne partirai plus. » Et cette promesse-là, je compte la tenir jusqu'à ma mort. « Tu es coincé avec moi. » que je plaisante avant de venir lui voler un baiser.

Elle m'entraîne vers le piano et je tente, tant bien que mal, de lui faire écouter ce morceau qui me trotte en tête depuis bien trop longtemps. Je bloque sur l'enchaînement, ça ne me plaît pas, je râle, je m'essouffle pour un rien. « Arrête de râler. » « Hm. » que je ronchonne un peu plus alors que mon regard glisse sur les touches du piano à la recherche de celle qui finira par sonner juste. « Arrête de réfléchir. » Un petit rire m'échappe. « Ça je sais pas faire. » Oh, bien sûr, qu'elle le sait, mais c'est le côté ronchon qui ressort. Elle ne perd pas espoir Jill. Un sourire se dessine sur mes lèvres alors que son front se plisse et qu'elle se concentre sur ce qu'elle est en train de faire. Elle tente sans forcer, elle exprime tout simplement. « Il te manque une transition. » Je hoche la tête, mais ne touche plus au piano, je veux voir ce qu'elle va faire. Elle rejoue, fronce le nez, puis reprend. Je viens ajouter ma main à la sienne, y ajoute un tout petit plus de rythme. « Fais une pause là. » Attentif, je lâche tout, la laisse prendre le temps, jouer deux notes et me regarder avec son sourire en coin. « Attends... Je rejoue le début et tu reprends, d'accord? »

Quatre mains sur un piano, la mélodie qui s'élève dans la maison en douceur et les paroles qui me viennent sans que je n'aie à forcer. Voilà que je commence à chantonner alors que dans un coin de ma tête tout fourmille à vive allure. La création à l'état pur. « Ça me plaît. » que je valide en hochant la tête. « Des fois, j'ai envie de m'enfermer dans le studio et d'enregistrer pour moi. » que je lance sans prévenir. Je l'avais déjà plus ou moins évoquer, mais jamais de manière aussi ferme et affranchis. Et de suite, mon esprit me joue des tours, me rabaisse. « C'est ridicule, pardon. » Je hausse les épaules et me remets à jouer comme si de rien était. C'est pas simple d'admettre qu'écrire pour les autres ne me suffit plus, que parfois, j'en voudrais plus. C'est un cauchemar que d'imaginer pointer la lumière sur moi. Pourtant, j'y pense. Parfois.

Cette conversation est amusante, l’ambiance est légère et Jill se sent bien. Elle est toujours gênée par cet énorme ventre, et par la fatigue. Mais elle se sent un peu mieux quand elle reste allongée contre son mari. Ils se posent pendant quelques minutes, et il lui offre des cadeaux. Elle a l’impression qu’il essaie de se racheter de quelque chose, de la fois où il n’a pas pu venir alors qu’elle faisait un malaise. Elle soupire, et le regarde dans les yeux alors qu’ils plaisantent sur leurs enfants. Il le sait que ce n’est pas de sa faute, mais ils n’ont pas eu cette discussion. Et ce n’est pas le moment de l’avoir. “Peut-être bien.” Elle hausse un sourcil, elle est charmée depuis des années déjà. Il ne partira plus, et Jill n’a pas pour projet de partir non plus. Ils sont bien tous les deux, ils arrivent à créer quelque chose. Une vie que Jill n’aurait jamais pu imaginer il y a encore quelques mois. Et c’est compliqué pour elle. Mais elle se doit d’être heureuse, parce que c’est ce qu’ils voulaient non ? “Je suis déjà coincée dans cette maison alors tu peux toujours faire pareil.” Mais il doit travailler, elle le sait. Il fait déjà beaucoup d’efforts pour revenir à la maison bien plus tôt qu’avant.

Ils se retrouvent rapidement autour du piano. Bailey a quelque chose à lui faire écouter et elle reste attentive à chacune des notes qu’il joue. Elle est amusée de le voir râler comme un enfant. “Essaye.” Elle sait qu’il réfléchit toujours, même quand il écrit ses chansons. Sur ce point là ils ne sont pas toujours d’accord. Jill aime l’improvisation, Bailey déteste ça. Il rejoue le début et elle reprend avec ses idées et ses accords. Ils créent à deux, et ça faisait une éternité qu’ils n’avaient pas pris le temps de faire tout ça. “C’est ton studio, tu pourrais très bien le faire.” Elle ne l’empêchera jamais de rêver ou de faire ce qu’il aime. Et, s’il a envie d’essayer de faire ça, il peut. Elle le soutiendra toujours. “Pourquoi tu l’as pas déjà fait ?” Elle le sait qu’il a des centaines de chansons dans un coin, qu’il écrit dès qu’il le peut et qu’il joue tout le temps. Alors elle se demande pourquoi il n’a pas déjà sauté le pas, et essayé. “T’as rien à perdre.” Ce serait juste une nouvelle expérience, qu’elle serait ravie de partager avec lui.

« Je suis déjà coincée dans cette maison alors tu peux toujours faire pareil. » Un rire m’échappe alors que nos regards se croisent. Elle déteste tant être enfermée. Qui pourrait lui en vouloir ? Jill a toujours été une personne libre, on ne lui a jamais dicté sa conduite et voilà qu’elle se doit de rester à la maison. Un ventre qui la gêne pour chacun de ses, courts, déplacement et une fatigue qui prends le contrôle de son corps. Tout le monde en aurait marre à sa place. Je l’admire réellement et je tente, de mon mieux, de l’aider à passer le quotidien. « J’ai dit à Sébastien que j’allais moins venir. » Parce que monsieur veut absolument se débrouiller seul et qu’il va voir ce que ça fait de devoir programmer toute une session en studio. J’ai aussi du travail à faire de mon côté et pour cela il vaut mieux que je reste à la maison. Les choses vont changer petit à petit.

Autour du piano, c’est Jill qui me taquine un peu. Elle est bien la seule qui peut autant insister sans que je ne me braque. Elle me fait recommencer, elle tente des notes et je l’écoute avec attention alors qu’habituellement je déteste que l’on vienne aussi brusquement dans mes créations. Elle a un passe-droit la brunette. « Essaye. » Je soupire et tente de nouveau. La mélodie semble bien plus harmonieuse quoiqu’il manque encore quelques choses malgré tout. Je joue encore, dans un rythme bien plus lent. Tout s’emballe dans un coin de ma tête, la création et les rêves.

« C’est ton studio, tu pourrais très bien le faire. » Je hausse les épaules. « Pourquoi tu l’as pas déjà fait ? » La question à cent balles. Un énième soupire alors que Jill souligne que je n’ai rien à perdre. Mon regard se baisse, ne voulant pas forcément croiser le sien alors que je m’apprête à avouer quelque chose dont je ne suis pas fier. « Sebastian dira que c’est de la merde. » Et le monde entier pourrait me dire que mon art compte, si mon frère le renie, c’est le pire pour moi. Je voudrais passer au-dessus de cela. M’éloigner de lui, de son avis, de sa grippe. « Je sais ce que tu vas dire, on s’en fiche. Mais… » Mais quoi ? Je n’ai pas confiance en moi ? Oh ça elle le sait déjà probablement. « Un jour peut-être. » que je hausse les épaules, une nouvelle fois. Mes doigts tapent sur les touches pour remplir le silence.

Jill a encore du mal à rester chez elle sans bouger. Mais elle fait des efforts. Des efforts presque surhumain. Elle a toujours eu l’habitude de pouvoir aller où elle veut au moment où elle le voulait. Là, la seule chose qu’elle peut faire, c’est descendre les escaliers jusqu’au jardin et lancer une balle à Logan. Ses journées se résument à jouer avec le chien et dessiner tout ce qui lui passe par la tête. Elle hoche la tête, il va moins aller au boulot et Jill est contente. Elle se blottit contre lui le temps qu’ils restent sur le canapé. Elle regarde ses nouveaux crayons, et elle se pose quelques minutes. Ils sont bien là, et elle aimerait que ça dure longtemps.

Ils finissent par se retrouver autour du piano. Bailey a écrit une nouvelle chanson, et elle est ravie de l’écouter en exclusivité. Les doigts de Jill courent sur les touches et la mélodie prend toute la place dans la maison. Ils ne pensent pas à tout ce qui entoure les bébés, elle ne parle plus d’eux Jill. Elle se concentre uniquement sur la musique, et sur Bailey qui fait sa moue d’enfant triste et boudeur. Elle sourit Jill, elle s’amuse et elle le bouscule légèrement. Il faut qu’il arrête de râler et de réfléchir. C’est trop pour lui, et ça l’empêche de voir ce qu’il peut faire de cette mélodie et de cette musique.

Et il parle Bailey, il dit qu’il aimerait s’enregistrer, et créer quelque chose avec sa musique. Mais il a l’air terrifié, il hésite et Jill ne le forcera pas à s’enregistrer s’il ne le veut pas vraiment. Elle ne peut pas le forcer tout de suite en tout cas, elle ne peut même pas aller le voir au studio à l’improviste. “Si t’as vraiment envie de le faire, arrête de toujours repousser.” Un jour il regrettera de ne pas avoir essayé.

Lui changer les idées, c’est le mot d’ordre pour le reste de la soirée.

Incapable de pouvoir l’aider au travers du dessin, je choisis la seconde meilleure option : le piano. Cet instrument qui a si souvent su nous réunir lorsque les mots nous manquaient, lorsque seul la musique pouvait encore quelque chose pour nous. Je n’oublie pas, les heures passés cachés dans l’appartement à Londres, assis à deux sur ce banc, à tenter pendant des heures. Quatre mains sur les touches, deux esprits qui se confrontent pour créer ensemble. Elles viennent de là mes plus belles créations.

On est bien là, juste tous les deux. Je sais que l’espace d’un instant, on va oublier tout ce qui nous tracasse. Seul son ventre tendu à l’extrême, sera témoin du changement qui viendra bientôt bouleverser notre vie. La parenthèse s’avère nécessaire. Elle m’écoute avec attention, elle cherche à trouver la mélodie qui se mariera parfaitement avec mon idée. On se perd dans notre monde, celui qui n’appartient qu’à nous. Nos doigts se mêlent et s’entremêlent sur les touches. C’est un peu brouillon, au départ, cela devient si harmonieux en quelques minutes. « Merci babe. » que je souris alors que ses doigts ne cessent de reprendre la mélodie.

Je lui parle de mon envie d’enregistrer, mais de la peur qui me reste coller à la peau. Sebastian déteste mon travail, il me l’a déjà fait comprendre une bonne dizaine de fois. Mes chansons ne sont que de la merde pour lui. Et la critique… Je ne sais pas réellement l’accepter. « Si t’as vraiment envie de le faire, arrête de toujours repousser. » Elle voudrait que j’arrête d’envisager toutes situations possible et imaginable. Elle voudrait que je laisse mes émotions de côté pour vivre exactement ce qui me fait rêver. « J’essaye petit à petit, je t’assure. » que je murmure doucement. L’idée de prendre mon indépendance est désormais ancrée en moi. Je ne reculerais pas, mais chaque chose en son temps. « Je voudrais… Prendre mon indépendance. » que j’avoue sans réellement croiser son regard. « Mais quand Sebastian critique ce que je fais… C’est juste blessant, Jill. » Et j’ose espérer qu’elle comprendra. Elle a des frères et sœurs. Elle a eu ces propres disputes avec eux. « Ça n’empêche que je garde mes anciennes chansons, que j’en crée de nouvelles. » que j’ajoute en souriant un peu.

Ils se changent les idées, profitent de ces moments qu’ils passent à deux. Elle aime être seule avec lui, dans leur bulle loin de tout. Ils restent tous les deux assis devant le piano. Elle joue, et elle l’observe alors qu’il râle. Il est attendrissant quand il se concentre à ce point et qu’il s’énerve sur une mélodie. Elle l’aide à trouver les bons accords et la bonne suite de notes. Elle ne connait pas les paroles. Elle cherche juste à l’aider pour qu’il puisse utiliser sa chanson. Elle aime toutes les chansons de Bailey qu’elle a déjà entendu. Il y en a certaine qui sont écrite pour elle, d’autres qu’elle ne connait sûrement pas. Il doit en avoir des dossiers entiers dans son bureau ou dans ses cachettes secrètes. La mélodie est trouvée et elle pose ses lèvres sur celles de Bailey alors qu’il la remercie. Ils s’aident tous les deux, tout le temps, et depuis toujours sans vraiment l’avoir remarqué avant. Elle le sait qu’il est dans sa vie pour toujours, surtout maintenant qu’ils ont décidé de créer une famille ensemble.

Il lui parle de ses envies, et Jill a toujours envie de le pousser. Il a du talent, et il devrait tenter sa chance. “Et un jour t’y arriveras.” Mais ce n’est pas à elle de le forcer à faire quelque chose s’il n’en a pas vraiment envie. “Il n’arrêtera jamais de critiquer, c’est sa façon d’être. Je suis sûre que tu peux passer au dessus de ça. Si tu prends ton indépendance il n’y aura plus de Sebastian pour te briser.” Elle ne s’immisce pas dans leur relation, tout est bien trop compliqué entre les membres de leurs familles. “Un jour tu me les feras toute écouter.” Ils en auront pour des heures, des jours peut-être. Mais ça arrivera.  
 

La mélodie ne cesse de se jouer entre mes doigts. Je la répète en boucle, intégrant les différentes idées de Jill au fur et à mesure. Il se tient juste là mon rêve, au bout de mes doigts, dans les différentes notes que je joue sans cesse. Dans les carnets noircis par les notes de musique, les partitions et les paroles que je ne cesse d’avoir en tête. C’est tout un processus de création qui se débloque parfois, mais qui coince souvent dans son développement. En rien, je ne me sens capable de me lancer pour le moment tant je sais que mon frère fera tout pour me mettre des bâtons dans les roues. « Et un jour t’y arriveras. » C’est ce genre de positivisme de la part de ma femme qui la plupart du temps me permet de garder la tête hors de l’eau. Elle est comme ça Jill, toujours elle tendra à me pousser vers le haut quand je n’ai pas forcément la force d’y croire. « Il n’arrêtera jamais de critiquer, c’est sa façon d’être. Je suis sûre que tu peux passer au-dessus de ça. Si tu prends ton indépendance, il n’y aura plus de Sebastian pour te briser. » Plus de Sebastian pour me briser. Ce rêve auquel je m’accroche de plus en plus fort sans trop oser en parler pour le moment. J’ai trop peur que tout se brise entre mes doigts sans que je n’aie eu le temps de pleinement en profiter. « Je vais essayer, tu sais. » De ne pas sombrer, de me laisser aller. Un jour, je publierais mes chansons. Quand, je ne le sais pas encore. « Un jour, tu me les feras toute écouter. » Un sourire se dessine sur mes lèvres alors que je me penche pour venir l’embrasser. « Un jour, je sortirais un album qui te sera entièrement dédié. »

Un jour. En attendant, on profite de notre soirée. L’une des dernières à deux.