J'ai arrêté de compter le nombre de tacos que j'ai mangés, depuis qu'on est arrivés. J'ai arrêté de compter les virgin margaritas que j'ai bus aussi, ceux qui goûtent la lime fraîche et le sel corsé, ceux qui goûtent le soleil et ceux qui sont aussi sucrés qu'acidulés. J'ai arrêté de compter les coups de soleil qu'on se partage depuis la toute première semaine parce que c'est bien mieux maintenant qu'on les voit se dissiper à travers un bronzage qui nous donne presque l'air d'être des locaux maintenant. D'ailleurs : « Audenaudenaudenaudenaudennn! » son attention qui se relève vers moi lui qui était penché sur je sais pas quoi, lui qui est sur la plage depuis je sais pas quand. Lui que j'ai abandonné cruellement au petit matin pour aller à nouveau m'incruster à un cours de yoga qu'un groupe éclectique de nouveaux dans le coin organise sur l'un des longs quais de bois longeant l'île de Tulum. « On m'a demandé où était une adresse aujourd'hui! » j'ai le sourire de la gamine la plus enthousiaste de l'Univers, celle qui a encore les yeux qui pétillent presque autant que les couleurs de la robe que j'ai achetée au petit marché en bordure de la seule route passante du coin dimanche dernier.

On a notre propre cabane sur la plage, on a même notre propre palmier. On (okay, je l'ai) l'a nommé, mais j'ai oublié le nom 5 minutes après. N'empêche que si on y grimpe y'a des bananes fraîches à tous les matins qu'on peut mettre dans la multitude de smoothies que je peux préparer tant on est entourés d'arbres à fruits. Les avocats sont plus gros que ma tête, les noix de coco craquent sous la main, les mangues sont à saveur de soleil et je l'aime, je l'aime plus que jamais, je l'aime plus que toujours. Avec du sable dans les cheveux, avec le soupir excédé qui vient à chaque fois que je m'étale de tout mon long sur lui, bousillant son croquis, sa photo, sa toile, sa vie l'espace d'une seconde une seule - avant de tout réparer en glissant doucement mes bras de chaque côté de sa nuque. Je dis doucement, ça à propos de mes bras, parce que pendant l'approche y'a eu un petit soucis avec mes pieds et ils se sont emportés contre les siens et bref je pense qu'il a potentiellement un orteil en bouillie. Oups.

« Je suis presque sûre que je les ai envoyés dans le mauvais sens et qu'ils sont soit morts dans la jungle soit enlevés par des Mayas de l'espace à l'heure qu'il est, mais avoue, c'est cool, ça veut dire qu'on a presque l'air d'habiter ici maintenant. » on a l'air d'habiter partout, maintenant. On peut habiter partout, maintenant. On peut partir un matin et revenir le mois d'après, on peut échafauder des plans pour les casser pour de meilleurs (ou de pires) et on peut recommencer à chaque jour. On peut tout faire et on peut le faire ensemble, et au-delà de ça, on a décidé de le faire, aussi.

Ma silhouette se dégage, il évite de justesse de suffoquer sous mon amour bien trop cliché pour que je puisse le nier. Mes prunelles elles, dévient sur ce sur quoi il était en train de travailler. Ce n'est qu'un instant après que je réalise qu'il a doucement recommencé à tracer avec la main gauche ; même après l'avoir eue massacrée une poignée de mois de ça déjà. Le trait reprend en assurance, les lignes reprennent en justesse, il retrouve ses angles Auden, il me rend fière, si fière, il le sait sûrement. « Si t'as envie demain on pourrait aller installer le photobooth au village. » me creusant naturellement une place contre son torse, ses jambes de chaque côté de moi et mon dos qui prend appui sur lui. Ce sont ses mains que j'enlace des miennes, son menton que je sens piquer entre ma nuque et ma clavicule. Le photobooth étant ma nouvelle lubie, un appareil jetable acheté au début de la semaine que je vidais en un après-midi à peine en laissant des inconnus l'actionner comment et quand ils le voulaient, servant seulement à leur parler, à écouter les histoires alors que les photos étaient tirées. C'est une idée qu'on a eue pendant une énième nuit à la belle étoile mexicaine, qu'on a concrétisée le lendemain. Une parmi des milliers, une infinité d'autres.

Je râle parce que j’entends mon prénom au loin et que l’ignorer ne suffit pas. Je râle parce que je l’entends approcher. Je râle parce que j’entends les gens râler aussi, tous ceux sur qui elle envoie du sable sans le faire exprès. Je râle ensuite parce qu’elle prend toute la place sur moi et qu’elle trouve encore une fois le moyen d’être gelée alors qu’il fait une chaleur étouffante. Je râle parce que mes mains se retrouvent coincées un temps entre nous, mon carnet avec, ne me laissant que mon visage pour râler encore un peu plus fort et un peu plus longtemps. Enfin je râle bien plus par habitude qu’autre chose, quand je profite ultimement de sa proximité pour lui dérober un baiser avant de réellement m'intéresser à ce qu’elle a à dire - ou faire semblant de m’y intéresser, en tout cas. « On m'a demandé où était une adresse aujourd'hui! » “Pourquoi est ce que t’as de la noix de coco dans les cheveux ?” J’interroge sérieusement et la lui enlève après m’être battu pour qu’elle relâche une de mes mains. Je tire sur sa mèche sans le vouloir et lui arrache la moitié des cheveux au passage mais au moins, elle n’a plus de noix de coco. “Tu les as a perdus ?” Je me moque déjà, amusé rien qu’à l’idée d’imaginer la situation. Elle est heureuse d’enfin pouvoir utiliser son espagnol, la gamine, et je me contente d’être heureux de la voir sourire sans plus de raison.

« Je suis presque sûre que je les ai envoyés dans le mauvais sens et qu'ils sont soit morts dans la jungle soit enlevés par des Mayas de l'espace à l'heure qu'il est, mais avoue, c'est cool, ça veut dire qu'on a presque l'air d'habiter ici maintenant. » Elle rigole et je rigole avec elle. Les pauvres gars n’ont pas dû comprendre grand chose à son espagnol-italien et elle je la connais assez pour savoir qu’elle n’avait aucune idée de où est ce qu’elle pouvait bien les envoyer. Pourtant Ginny était heureuse de rendre service et eux de trouver leur chemin et même si j’imagine que finalement rien n’aboutira jamais, n’empêche pas moins que je reste fier de ma femme et de son esprit d'initiative - à sa place, je les aurais perdus exprès. “S’ils trouvent La Cité Perdue de Z, tu devrais avoir le droit à la moitié des gains.” Il y a plus de chance qu’ils se fassent manger par des tribus cannibales mais je vois mal ce qu’elle pourrait en tirer, par contre.

Mes doigts n’ont pas quitté la même mèche dont je m’amuse maintenant, ils s’enroulent autour avant que les cheveux ne reviennent encore et toujours lisses. “Tu voudrais qu’on habite ici, pour de vrai ?” Pas à temps complet c’est certain, mais elle sait autant que moi qu’on pourrait se trouver un petit terre à terre. Ici, ou n’importe où ailleurs. On a besoin de s’évader tout en ayant l’impression d’être chez nous, c’est la seule chose qui nous manque. Je n’ai plus envie d’être un étranger, que ce soit partout dans le monde ou même dans mon propre pays natal. On a besoin de s’évader et on a besoin de créer nos habitudes. On ne fuit plus désormais, il est temps de l’acter.

La brune reprend place près de moi et je ne la laisse faire que dans le but de pouvoir m’en plaindre un peu plus ensuite et la critiquer de ses pieds plein de sables qu’elle laisse glisser de partout. En attendant, mes propres bras viennent la rapprocher un peu plus et la serviette supposément être placée sous elle se retrouve sur son ventre, énième précaution que je ne m’en voudrai jamais de prendre. « Si t'as envie demain on pourrait aller installer le photobooth au village. » S’ensuit le manège habituel des mèches que je dégage sans cesse de son visage, du sourire qui s’en suit et du monde parfait dans lequel on semble enfin avoir le droit de vivre depuis quelques temps. “C’est ton projet, pas le mien.” Elle clamera le contraire mais l’idée initiale vient d’elle et elle en mérite toutes les récompenses quand moi je suis simplement présent pour râler sur les pauvres cobayes et leur reprocher tout un tas de trucs inutiles. “On l’installe quand tu veux. Je m’occupe de leur raconter des histoires pour qu’ils aient l’air hyper effrayés sur les images.” Ça n’étonne plus personne. “Et si y’en a un qui fait une crise cardiaque, ça sera le signal pour changer de pays.” Changer de pays et non rentrer à la maison puisqu’on est pas encore prêts pour ça.

“Tu voudrais qu’on habite ici, pour de vrai ?”
« Ça voudrait dire que j'aurais de la noix de coco dans les cheveux tous les jours, attention. »

Ses bras ont fini de se replacer contre ma silhouette, ou alors c'est ma silhouette qui a parfaitement trouvé l'angle encore plus parfait pour me creuser une place contre lui. Devant, y'a les vagues, y'a l'océan, y'a les délimitations d'une île qui semble immense quand on y pense, mais qui est minuscule contre tout le reste. « Oui. » tout est simple ici. Les réveils sont doux, ils nous laissent tout le temps de monde. Le café est incroyable, les fruits avec. Le soleil brille toujours, et l'air sent les fleurs tropicales en permanence.

« Et en Argentine. » là où il y a la jungle, et les Andes, et un monde complet à conquérir aussi.
« Et en Hongrie. » pour Budapest et pour les buildings aussi originaux que de toutes les couleurs, pour les chats errants dans les rues et pour les litres de thé à la menthe à boire sur les côtes du Danube.
« Et au Japon. » ça, j'ai pas besoin d'y ajouter la moindre raison, quand mon regard brille déjà, qu'il sait exactement que j'en rêve depuis des millénaires sans que j'exagère le moindrement.

La brise fait danser mes mèches sur sa joue, il en râlera pour des heures. Quand il glisse la serviette sur mon ventre ma main attrape la sienne au vol, y enlaçant mes doigts aussi naturellement que les infinités de fois qui sont venues avant celles-ci, qui viendront après aussi. “C’est ton projet, pas le mien.” pourtant, il s'implique autant. Il me donnera le crédit mais il sera toujours dans les parages, à aider et à rendre le tout plus facile. “On l’installe quand tu veux. Je m’occupe de leur raconter des histoires pour qu’ils aient l’air hyper effrayés sur les images.” il va jamais le mentionner, trop occupé à tout critiquer et à en faire des masses avec des détails rien que pour masquer en vagues tout ce qu'il fait dans l'ombre. “Et si y’en a un qui fait une crise cardiaque, ça sera le signal pour changer de pays.” ce que personne ne remarque. Ce que je vois toujours.

Et ce que je vois maintenant, c'est lui, c'est juste lui. Quand ma silhouette se décale, gesticule encore, bousille le plan initial pour en improviser un nouveau. C'est face à lui que je dérive maintenant, les yeux qui trouvent les siens. Il a l'air heureux Auden, et pas parce qu'il est prêt à crever les pneus de son ennemi du jour, ou parce qu'il a enragé les foules avec une de ses oeuvres qui provoquent, critiques qu'il prend toujours comme les plus doux des compliments. « Là c'est toi qui a de la noix de coco dans les cheveux. » la faute à mes doigts, la faute aux fourbes qui sont ceux qui ont cueilli la fameuse noix de coco y'a une vie de ça j'ai l'impression, qui ont creusé à l'intérieur du fruit jusqu'à ce qu'il n'en reste que des miettes. « Même pas désolée. » et promis, que je fais pas exprès de lui tirer les cheveux, quand tout ce que je veux c'est m'assurer que la tatouage sur sa nuque réagit bien au soleil, que les infimes marques que j'ai laissées sur son épiderme continuent de bien cicatriser.

« T'as du sable aussi. » ça, c'est faux, ça c'est un p'tit mensonge de rien du tout, que mes mots se moquent à son oreille. Mes mains ont dérivé de ses épaules jusqu'à ses bras, ses mains à lui. Elles se sont même faufilées sous son t-shirt rien que pour lui prouver que même en temps caniculaire mes doigts restent éternellement gelés.

la faute àààààà:

Moi je voudrais bien qu’on habite ici, pour de vrai, en tout cas. J’aime bien le pays. Moins les gens, certes, mais ça ce n’est pas particulier à ici. J’aime bien le pays et je sais que Ginny l’apprécie bien plus encore et que les rayons du soleil lui font du bien. J’ose même parfois à croire qu’ils lui font plus de bien qu’à Brisbane encore. « Ça voudrait dire que j'aurais de la noix de coco dans les cheveux tous les jours, attention. » “Abort the mission, ça va pas du touuut le faire.” Que j’ironise, toujours un peu plus amusé de la voir tester mille choses et mille autres encore, entre la noix de coco et tout ce qu’elle peut bien trouver dans les environs. « Oui. » Ca aurait pu être un non que j’aurais quand même passé ma main dans ses cheveux pour les lui démêler doucement tout comme ça aurait pu être un non que j’aurai continué à l’aimer encore un peu plus à chaque instant et ce même si elle sent un vague mélange de noix de coco et de sel.

« Et en Argentine. Et en Hongrie. Et au Japon. » J’esquisse un sourire au moment de replonger mes yeux dans les siens, ma femme rêveuse qui ne se contente jamais de ce qu’elle a déjà. C’est une battante et c’est aussi une raison de plus pour moi d’être fier de chacune de ses idées et de chacun de ses accomplissements. “On ira tous les quatre.” Je murmure près de sa peau avant de venir longuement embrasser son front, ma main se faufilant sous la serviette et caressant son ventre dont elle prend tant soin. On ira tous les quatre, on y vivra peut être tous les quatre aussi. Tous les trois, peut être, si Noah veut faire sa vie, s’il veut garder un pied en Australie. Lui aussi fera ce qu’il désire parce que s’il y a bien une chose que je veux me promettre c’est de laisser les enfants faire ce dont ils rêvent. Mes doigts ont retrouvé les siens de la façon la plus naturelle qui soit.

La gamine joue et s’amuse, je râle et je m’énerve. L’équilibre semble maintenu. Ses mains sont gelées même par cette chaleur, je râle encore un peu plus intérieurement de son manque de chapeau. Elle serait la plus heureuse du monde d’en avoir un de paille, il prendrait toute la place dans l’avion et elle embêterait tout le monde et moi je tuerais tous ceux qui lui décocheraient le moindre regard de travers. Subitement, cela semble être l’idée du siècle, bien plus que de s’amuser à laisser ses doigts froids remonter le long de mon tee shirt. “T’es chiante, viens.” Mes mots sont durs mais mes gestes beaucoup moins, pas alors que je reprends doucement sa main dans la mienne pour l’aider à se lever et que je ne la lâche finalement pas, entourant ses épaules de mon bras. “Toi aussi t’as du sable de toute façon.” Que je râle à mon tour en scrutant sa chevelure brune, pensant y avoir trouvé un minuscule grain de sable - de toute façon je lui en ajouterai moi même si jamais elle trouve quoi que ce soit à critiquer. “Photobooth sur la plage ou au marché ?” Son projets, ses idées. Je la laisse faire parce que je ne veux pas qu’à un moment ou à un autre elle en vienne à penser qu’elle me doit quoi que ce soit, pas alors que mon objectif personnel de la journée reste de lui trouver un chapeau aussi ridicule qu’immense.

“On ira tous les quatre.”
« Oublie pas Pizza, il te le pardonnerait jamais. »

Ses lèvres se perdent là où les miennes les chassent pour mieux les retrouver, c’est devenu la chorégraphie la plus désarticulée possible qui en vrai ne se laisse guider que par le naturel de la chose. J’ai depuis longtemps arrêté de me demander si on a le droit, si on peut faire ça, si c’est pour le mieux ou si ça ne fera que plus mal quand on sera forcés d’arrêter. Un baiser trace un marque d’amour contre ses phalanges et un autre est saupoudré de rire contre sa nuque, ce n’est qu’une confirmation de plus que ce sont ses bras que j’ai attendu toute ma vie. T’es chiante, viens.” l’instant romantico-larmoyant est vite cassé, comme un énième éclat de rire de ma part contre ses lèvres quand je le laisse diriger la fuite du jour. La plage reste derrière, les vagues et ses croquis avec, quand je me hisse sur la pointe des pieds le temps de l’embrasser lui qui s’est investi de la mission qu’il perdra d’avance de nettoyer mes mèches gorgées de sable, de noeuds et de soleil. Un seul coup de vent et tout son travail sera à refaire. « Je t’aime tellement quand tu me fais des déclarations comme ça. » l’ironie file un sourire espiègle à mon visage, même sourire garant de la paire de fossettes qui me donnent probablement l’air de la gamine la plus malveillante du monde. Pourtant jamais je ne ferais quoi que ce soit pour lui faire du mal, ni pour critiquer sa façon de m’aimer. Je l’aime depuis toujours et je l’aime comme il est de toute façon.

Blablabla et il se moque, ça va, c’est bon, c’est à son tour, mes yeux ne font que grandir un peu plus au fil de ses soupirs de presqu’exaspération. “Toi aussi t’as du sable de toute façon.” « Même pas vrai. On devrait aller faire du surf aussi, la journée est belle encore. » mon attention entière qui dérive vers la côte par-delà son épaule, les quelques surfeurs dégainant à nouveau leurs planches pour profiter des prochaines vagues. C’est assuré qu’il trouvera mille et unes excuses pour que je ne me hisse pas sur un surf à cause du petit être qui grandit doucement à l’intérieur, n’en reste que ce sera au moins lancé, au moins demandé. Si j’y ajoute le plus fourbe des battements de paupières, si j’y additionne ma moue de chat potté, est-ce qu’il risque de céder?

“Photobooth sur la plage ou au marché ?” oh le fourbe qui rattrape mon intérêt de suite et sans que je ne pense à autre chose qu’au photobooth, finalement. « Les deux! » sur ma nuque, un petit élancement de rien du tout provoque un sursaut, une sensation éphémère de brûlure, un rire aussi. Ma paume a depuis longtemps chassé ce qui je crois devait n’être qu’un grain de sable de plus, sinon un coup de vent et des miettes de coquillages.

***

« J’ai juste besoin de prendre une douche genre cinq minutes et après y’a un point de vue que je veux absolument aller voir et - oula. » le oula. vient d’office lorsque mes pieds fatigués titubent dans l’entrée de la villa. Rien de bien inquiétant à voir la totalité des sandales de plage qu’on y a laissé traîner - et par “on” bien sûr que je veux dire moi.

On a la peau bariolée de soleil, mon immense chapeau de paille a passé proche de crever les yeux de quiconque s’est mis dans notre chemin, mais je suis si confiante des photos déjà prises que déjà ma tête bourdonne d’idées pour la séance de demain. Le booth a fait fureur à la plage et au marché, assez pour qu’on y passe de longues heures. Ce serait mentir de dire que je ne suis pas encore franchement étonnée qu’Aude n’ait tué personne, alors que je reprends mon équilibre et finis dans la salle de bain pour y enclencher un jet un peu plus froid qu’à mon habitude. Ma peau bouille et on s’en moquait sur le chemin du retour, première fois de ma vie où la climatisation dans le taxi n’est m’a pas presque donné le rhume.

Elle est à l’étranger et elle crée de ses mains. Elle rend les gens heureux et elle l’est d’autant plus encore et finalement c’est la seule chose que j’ai regardé aujourd’hui sans même avoir le temps de terroriser une seule fois aucun mexicain. Son chapeau est horrible mais il lui va à merveille, certains que j’ai dévisagé du coin de l’œil ont même trouvé le temps de la féliciter à ce sujet quand moi je vérifiais que personne ne parte en courant avec son photobooth. La journée s’est finalement passée bien mieux encore que tout ce qu’on aurait pu espérer et c’est avec le sentiment du devoir accompli qu’on est retournés dans la maison de location, celle qu’on a choisie simplement pour son immense baignoire. « J’ai juste besoin de prendre une douche genre cinq minutes et après y’a un point de vue que je veux absolument aller voir et - oula. » Le ’oula’ doit être du à la fatigue, au décalage horaire et à son indémodable manie de tomber tous les deux pas. Je garde un œil sur elle par simple habitude, elle a titubé à cause de la moitié du contenu de sa valise déversé dans l’entrée. Il n’y a rien de nouveau et rien d’inquiétant non plus, et si cette fois je n’ai pas le cœur à me moquer de son manque d’équilibre c’est sans doute parce que je me rattraperai bien mieux demain.

Si je reste sagement à l’attendre dans la chambre pendant au moins deux longues été interminables secondes c’est aussi et surtout pour finalement plus vite m’en lasser et décider de la rejoindre dans la salle de bain. La baignoire est laissée à l'abandon, on se rattrapera demain aussi à ce sujet. Son chapeau de paille trône sur le rebord de cette dernière comme le meilleur des prix qu’elle aurait pu remporter à la fête foraine et de mes doigts je voulais m’appliquer à montrer chacune de ses démarcations de bronzages et autres coups de soleil avant que je ne passe finalement la maison sous l’eau et me ravise. « Tu as choisi la température du commun des mortels ? Le thermo est cassé ou c’est toi ? » Je me moque sans m’attarder sur le problème, pour une fois bien heureux de pouvoir passer ma tête sous le jet pour l’embrasser sans me sentir muet comme un serpent. « Si la douche dure genre … six minutes. Le soleil va se coucher et le point sera moins visible, on va devoir reporter à demain et rester ici mais quel dommage Ginny, quel dommage. » Elle doit se ménager et jamais je ne lui dirai, la prochaine étape de persuasion consistant simplement à lui dire que je suis fatigué. Elle a déjà bien assez fait pour aujourd’hui et l’avion du retour n’est pas réservé. On a le temps et je le symbolise dans un nouveau baiser alors que mes mains sur sa nuque sont occupées à laisser glisser chaque grain de sable dérobé de la plage.

« Tu as choisi la température du commun des mortels ? Le thermo est cassé ou c’est toi ? »
« Te moques pas j’essaie des trucs différents là, je me renouvelle. »

Je pouffe de rire, lui renvoie de l’eau au visage quand la tasse que je n’ai pas bu en dérivant à la maison louée plutôt qu’en allant admirer le coucher de soleil à même l’océan fait tout comme. Et le pire, c’est que l’eau n’est pas du tout glacée sur ma peau, elle glisse à température douce, elle rafraîchit presque de la bonne façon. Les coups de soleil n’aident pas même s’ils sont peu nombreux, celui sur ma nuque chauffant bien plus que tous les autres. « Si la douche dure genre … six minutes. Le soleil va se coucher et le point sera moins visible, on va devoir reporter à demain et rester ici mais quel dommage Ginny, quel dommage. » ce qui chauffe maintenant, douce chaleur, ce sont ses lèvres sur ma peau qui s’égarent, qui redécouvrent ce qu’elles connaissent par coeur depuis si longtemps.

Mes bras passent autour de ses épaules, ma voix est aussi espiègle que mon coup d’oeil tente de l’être. « Et si elle dure six minutes et une seconde pile? » que je nargue, un sourire se dessine sur mes lèvres qui retrouvent les siennes. Il est encore habillé et j’ai totalement oublié le plus volontairement du monde de lui dire de retirer le moindre tissus qui gênerait ses coups de soleil. Qui le gênerait sous la douche lui aussi, quand la seconde qui suit s’additionne au compteur de la soirée qui m’éloigne un peu plus de l’horizon que je voulais photographier, me rapprochant inexorablement de lui à la clé. « Ou six minutes et dix secondes? » son t-shirt est glacé et colle sur son torse, mes doigts collent à peine quand rien de sucré ne me faisait envie aujourd’hui, quand c’est seulement d’un grand et immense verre d’eau dont j’ai eu terriblement envie en arrivant ici. « Ou... » j’ai oublié le décompte et j’ai oublié tout le reste, le rideau aux mille couleurs qui s’enroule autour de nous, les anneaux qui cèdent, le bruit catastrophique qu’il fera en se déchirant et surtout, sa silhouette que je n’ai pas lâchée de la mienne. Au bout d’une infinité de baisers, le coucher de soleil a définitivement été relégué à demain.

***

C’est que la deuxième fois où je me réveille en sursaut. À peine ça compte, tant mon corps s’est secoué sur lui-même, tant le choc de l’impression de tomber les yeux fermés a suffit à me sortir d’un sommeil léger in extremis. « Non, non j’dormais pas. » j’anticipe qu’il râle que je me sois endormie pendant qu’il parlait de je sais plus trop quoi, j’anticipe qu’il m’en veuille pour l’éternité ou au moins pour les dix prochaines minutes et qu’il fasse de ma vie un enfer. La terrasse est noyée d’ombre, les palmiers qui la recouvrent font un boulot impeccable pour nous donner l’impression d’être intimement cachés sur ce qui ressemble le plus à une île déserte. Je donnerais tout pour rester ici, pour y habiter. Pour vrai.

« Promis j’ai tout entendu. » j’ai rien entendu du tout mais j’improviserai s’il me passe un pop-quiz, s’il me bombarde d’interrogations liées, s’il teste ma franchise et s’il teste ma capacité à arriver à le lire comme un livre ouvert même quand j’en ai manqué quelques bouts que ce soit. J’improviserai au mieux de mes capacités, mais pour ça, il faut qu’il commence son questionnaire de suite. Déjà mes paupières sont lourdes, le prochain bâillement n’attendant pas l’autre.

Elle tente, elle esquive, elle râle. Je crois que son grognement est devenu plus assuré au fil des ans, lui qui a sans aucun doute pris exemple sur le mien vu la fréquence à laquelle je ne cesse de le répéter pour une raison ou pour une autre. « Te moques pas j’essaie des trucs différents là, je me renouvelle. » Je sais faire que ça justement, me moquer. Elle est bien mieux placée que quiconque pour le savoir et ça fait parti du contrat depuis le premier jour et la première heure. Je râle d’ailleurs, entre deux rires, quand l’eau qui atterrit sur mon visage n’est en rien due au jet d’eau sous lequel je me place volontairement pour l’embrasser une fois de plus. Ses bras brûlants, la faute au soleil, passent autour de mes épaules et des rires je passe au sourire, mes yeux occupés à scruter les siens dont son grain de peau prend peu à peu la couleur.

« Et si elle dure six minutes et une seconde pile? »
« Ou six minutes et dix secondes? »
« Ou... »

Les secondes défilent et je ne fais rien, absolument rien pour abréger la douche et passer à la suite de la soirée qu’elle a pensée avec tant d’espoirs. La douche qui n’a plus rien d’un douche, d’ailleurs, pas alors que la seule chose qu’on sait faire c’est désormais répondre aux baisers de l’autre. Mes doigts retrouvent leur place sur ses cuisses, la gardant près de moi avec le plus grand soin alors que je ne trouve même pas le temps de me plaindre du rideau de douche qui s’accroche à mon dos. Si je ne lui avais pas déjà dit un millier de fois aujourd’hui et un autre millier hier alors j’aurais sûrement trouvé le temps de lui rappeler que je l’aime mais finalement les gestes sont bien plus parlants, comme toujours.

***

« Non, non j’dormais pas.» Elle s’était endormie et je n’ai rien dit. Parce que le voyage, parce que le bébé, parce que la chaleur, parce que le décalage horaire. Elle a toutes les raisons du monde d’être fatiguée et je ne peux pas lui en vouloir pour ça, pas alors que je trouverai bien vite une raison de lui rappeler que pour la première fois depuis quinze ans elle est celle qui s’est endormie en première, sans même que je n’ai à l’assommer au préalable. J’en ai profité pour voler son carnet à dessin et y imprimer les miens, les angles étant les endroits qui me sont réservés depuis l’Académie. On n’avait peut être pas la place pour emmener des toiles mais on en avait pour ça - moi en tout cas, puisqu’elle avait déjà une valise pleine à l’aller et j’ose à peine imaginer le retour.

« Promis j’ai tout entendu.» “C’était mieux quand tu parlais pas.”

Je me moque et je raille déjà, ours mal léché par excellence alors que c’est bien un sourire en coin qui se dessine sur mes lèvres alors que je me rapproche d’elle pour passer mon bras autour de ses épaules et la ramener contre moi. Elle a toutes les raisons de dormir et je ne l’en empêcherai pas, aussi peu que je pourrais lui en vouloir, bien au contraire. Je n’ai pas lâché le crayon dans ma main gauche alors que la droite caresse doucement ses cheveux dans lesquels il reste encore un peu de sable, la douche n’ayant pas été véritablement utile. Ma main s’arrête un temps sur son front que je juge plus chaud qu’il ne le devrait sans pour autant m’en inquiéter, parce que là aussi des tonnes et des tonnes de raisons pourraient l’expliquer et que justement, c’est sans doute rien. “T’as chaud ?” Je demande pourtant avec une fausse désinvolture, préparé à ce qu’elle me réponde que ce sont mes bras qui l’étouffent et si le problème n’est que là alors je ne ferai que les serrer encore un peu plus contre elle et elle contre moi, oups. “Si t’es en train de faire des réserves de sommeil pour le retour dans l’avion, t’as intérêt à trouver un gamin de dix ans pour jouer à tes jeux ; compte pas sur moi.” Je la préviens en bougonnant à peine, mes gestes désormais bien plus délicats et réfléchis. Tout ce que je sais faire, c’est retenir son attention ailleurs.

“C’était mieux quand tu parlais pas.”
« Blablablabla. »
“T’as chaud ?”
« Un peu. »
“Si t’es en train de faire des réserves de sommeil pour le retour dans l’avion, t’as intérêt à trouver un gamin de dix ans pour jouer à tes jeux ; compte pas sur moi.”
« J'ai pas envie de partir.  »

Une gamine, une vraie gamine quand je cache mon nez qui aujourd'hui n'a rien de glacé contre sou cou qui lui reste toujours à une température normale. Il laisse ses mains aller partout où ça chatouille, partout où ça m'embête. Partout où il peut pincer la peau et tirer les cheveux et gratter le sable et recommencer dans l'ordre et dans le désordre sans que je ne dise rien parce qu'entre un bâillement et un autre, la seule chose que je veux, c'est de me blottir un peu plus près de lui.

La sieste (une autre) dure quelque chose qui se situe entre une heure et quinze milliers. Je ne sais même pas de comment je suis passée de la terrasse au lit, je ne sais même pas non plus pourquoi le bruit des vagues que j'entends pas la fenêtre entrouverte arrive à me donner autant la migraine. J'ignore pourquoi les draps en entier sont trempés de sueur et comment ma peau arrive tout de même à être froide et sèche au toucher. Ma mâchoire est contractée, ma nuque m'élance au point où elle brûle. Et ma voix est rauque si rauque que je ne la reconnais même pas quand je m'essaie à dire la première blague qui me vient en tête, mais que les mots ne sortent pas tant ma gorge est serrée, bloquée.

Il est au salon quand je finis par apparaître dans l'embrasure de la porte qui y mène. Il est beau et il est concentré, je serais restée une vie appuyée dans l'entrebâillement à le regarder dessiner. À nous imaginer chaque prochaine seconde meilleure que la précédente dans un monde qu'on crée au fur et à mesure à l'instar des lignes qu'il trace sur le papier qui noircit à vue d'oeil. J'aurais eu envie de lui dire que je l'aime et de lister toutes les choses qu'il fait qui m'énerve au quotidien, rien que pour garder un certain équilibre dans mes paroles. Rien que pour lui rappeler que ce n'est pas son égo ni ses chevilles qui m'ont séduite à l'époque, même si étrangement font partie tout de même de l'équation pourquoi je l'aime autant.

Quand je parle pourtant, ce n'est pas pour rire, ce n'est pas pour me moquer, ce n'est pas pour l'aimer et ce n'est pas pour le déranger. Quand les quelques mots pour lesquels je dois ramasser toutes mes forces sortent enfin et glissent avec difficulté sur ma langue, je me déteste. Je me déteste dans le ton et je me déteste dans la forme. Je me déteste dans l'idée horrible de la suite, dans l'alerte qu'elle va enclencher. Et je me déteste de ne pas être assez forte encore et toujours, d'éternellement rester faible. « Auden, ça va pas. »

Elle a besoin de repos et c’est sans aucun doute à cause du bébé, je ne sais pas comment elle allait à l’époque alors qu’elle portait Noah mais je me doute que ça devait être semblable à aujourd’hui. Les mois défilent et son ventre s’arrondit, c’est normal qu’elle ne puisse pas être au meilleur de ses capacités et je sais que ce n’est qu’une question de temps et que dans six mois à peine, elle sera non seulement la meilleure mère qui soit mais aussi et surtout la plus têtue de toutes. Elle voudra tout faire comme si rien n’avait changé dans sa vie et elle rendra fou tout le personnel hospitalier, moi le premier. Il n’y a rien de nouveau là dedans, rien qui ne m’étonne non plus. Je la connais, après tout, et ce sont là toutes les raisons pour lesquelles je la laisse seule dans la chambre, que ce soit de jour ou de nuit, pour qu’elle se repose au mieux en profitant du bruit des vagues qui n’est pas exactement le même que chez nous.

« Auden, ça va pas. »

Je n’avais pas entendu ses pas, je n’avais pas entendu son souffle court. J’étais trop concentré sur ma toile et sur mes idées, j’avais même oublié que le reste du monde continuait à exister. Pourtant dès que ses mots parviennent à mes oreilles, tout s’interrompt. Tout n’est que pire encore au moment où je les comprends et les analyse, ce même instant où son timbre de voix parvient lui aussi à mes oreilles. Ce n’est pas une fatigue normale, cela n’a même rien de normal. Elle est la plus forte que je connaisse et jamais elle ne se serait osée à de telles paroles si elle ne se sentait véritablement pas au bout du gouffre.

Je n’ai pas besoin d’en savoir plus pour abandonner pinceaux et idées et me presser en sa direction à grandes enjambées, mon visage crispé observant le sien qui l’est tout autant. Elle a l’air petite, dans la pénombre, et même si je me déteste l’avouer, elle a tout autant l’air faible à se retenir contre la porte de la chambre. Cette fois-ci, je n’ai pas de blague pour elle. Je n’y pense pas même un seul instant.

J’aurais dû savoir. J’aurais dû voir. Après toutes ces années, je pensais la connaître, je pensais pouvoir lire en elle comme dans un livre ouvert. Je le pensais sincèrement, sans aucune arrière pensée, sans aucun besoin de vanter mon ego. Je pensais être assez bon pour elle et mes mains hésitants se posent autour de sa mâchoire sans ne plus savoir comment réagir. Ma tête est baissée en sa direction, sa peau est brûlante, ses jambes tremblantes. Il ne fait même plus chaud. Elle ne devrait avoir aucune raison d’être ainsi. “Dis moi ce dont tu as besoin.” S’il te plaît. Ne sois pas forte maintenant, laisse moi faire, lâche du lest. Une main dérive sous son coude comme si je ressentais le besoin de la soutenir.

Tout fait mal alors que rien ne bouge. Tout brûle et tout gèle alors que je n'ai ni chaud ni froid. Mon corps flotte, mes muscles sont endoloris, mes mains cherchent où s'appuyer et mes yeux ne voient que lui.

“Dis moi ce dont tu as besoin.” il se lève d'un coup d'un seul, laisse derrière lui papier, crayons, idées et inspiration. Je m'en veux, tellement, de trépigner d'impatience qu'il arrive, de trouver que chaque pas qu'il fait pourtant en quatrième vitesse donne l'impression de se succéder au ralenti. Il n'arrive pas et je glisse, il est à côté de moi et je souffle. Un soupir de stress comme un autre qu'il étouffe le plus doucement du monde en passant son bras autour de moi. Il me rattrape alors que je me sentais partir, il me soutient quand ma silhouette n'est que du chiffon sans la moindre nuance de tonus.

Mes doigts s'enserrent aux tissus de ses vêtements sans que je n'y pense à deux fois, mes ongles doivent laisser des sillons sur sa chair à même ses bras, ses mains. Au creux de mes prunelles s'enflamment par milliers toutes les excuses du monde, les unes après les autres. Elles se confondent et se mélangent, se précipitent alors que chaque geste fait bien plus mal, est bien plus difficile à faire que le précédent.

Je m'excuse en silence de serrer aussi fort que je le fais mes doigts contre lui. Je m'excuse de trembler au point où je suis persuadée qu'il tremble lui aussi. Je m'excuse de mettre autant de temps avant d'affirmer avoir échoué, avant de redresser le menton et de trouver ses iris inquiets à nouveau. Avant de n'être qu'une épave, qu'une coquille vide de gamine cassée. « Il faut aller à l'hôpital. » contre ma cage thoracique, c'est une pression qui se cale, désormais m'empêchant de respirer convenablement. Elle dérive et divague, glisse jusqu'à mon vente où, avec horreur, je réalise sentir un vide, un si gros et si immense vide que les larmes remontent sans que je n'ai la force de les contrôler. Je suis furieuse et toutes mes énergies devraient rester stoïques, pourtant c'est un s'il-te-plaît, vite, tout de suite que j'hurle en silence, muette de force, mes prunelles qui servent à tout dire et mes lèvres qui ne servent à rien du tout.

Mes pupilles s’agitent en sa direction et tentent de comprendre l’impossible alors qu’elles passent sur son front, ses lèvres et tout le reste de son corps tremblant. Mon souffle se calques sur le sien, aussi hasardeux soit-il, et désormais ce sont chacune de mes mains qui s’occupent à tenter de la retenir et la calmer maintenant que je la sens vaciller bien plus que de raison. Ginny est livide et plein de sueur, ses lèvres sont pincées de douleur et de crainte et n’affichent aucun sourire. Ce n’est pas un spectacle que je suis habitué à voir et c’en est encore moins un de ceux que je souhaite continuer à voir.

Les ongles qu’elle enfonce dans ma chair ne sont d’aucune importance et c’est à peine si je les sens maintenant que mon attention est totalement ailleurs. « Il faut aller à l'hôpital. » J’hoche rapidement de la tête et m’en veux à mon tour de ne pas avoir voulu en venir à cette conclusion et d’avoir tant tenté de minimiser les choses, de peur que quelque chose de mauvais soit réellement en train d’arriver à ma femme et possiblement à notre enfant aussi. “On y va.” On y va et cette fois-ci on abandonne tout. Plus rien n’a aucune importance et je laisse ma main passer dans son dos pour tenter de la soutenir jusqu’à notre voiture de location puisqu’il semble impossible de se contenter d’attendre une ambulance. On ne sait pas quel est le problème mais désormais on l’a compris : c’est grave. Grave au point qu’elle même cède à l’idée d’aller à l’hôpital alors qu’on sait tous les deux à quel point on déteste ce genre d’endroits.

Des excuses, j’en aurais des milliers à lui proposer et pourtant je sais qu’elles n’arrangeraient rien et qu’elles n’ont pas lieu d’être. On verra ça plus tard, on en parlera quand elle ira mieux. Je lui dirai à ce moment là seulement à quel point je l’aime et à quel point je suis désolé de n’avoir rien vu. Quand tout ira mieux. Demain ou le jour suivant, qu’importe, mes pensées sont ailleurs quand je conduis le long de la côte et garde une main dans la sienne, simplement pour m’assurer qu’elle est toujours présente et tenter de la rassurer.