There's a circle of witches, ambitiously vicious they are Our attempts to remind them of reason won't get us that far
Il s’engouffra dans la voiture comme si sa vie en dépendait -et si le monde eût été un tout petit peu moins civilisé, cela aurait fort pu être plus qu’une simple expression, songeait-il. Jamie ferma la portière et, par la même occasion, se coupa du bruit incessant des quelques militantes qui en avaient après lui. Ce fut non sans un soupir de soulagement qu’il accueilli le soudain silence. Le moteur vrombissant les mettait déjà hors d’atteinte, et un sentiment de sécurité lui permis de calmer peu à peu son rythme cardiaque. Dans le rétroviseur, il observait ses assaillantes rapetisser sur le trottoir jusqu’à ce qu’elles ne soient plus que des points indistincts. L’écho de leurs insultes et leurs brimades caressait encore les oreilles de l’anglais, s’imprimaient dans son cerveau. Ces mots à son égard, il les avait lus sur internet, sur les réseaux sociaux ; jamais ne les lui avait-on craché à la figure aussi frontalement. Il s’en était toujours senti hors d’atteinte, jusqu’à présent. Renvoyé à sa condition, il soupira une seconde fois, de dépits cette fois. Six mois étaient passés et cette affaire ne semblait pas plus derrière lui que si Mina l’avait dénoncé la veille. “Putain j’espère qu’on ne va pas m’associer à toi maintenant.” Oh, River. Son accablement portait ses pensées déjà loin de celle qui venait de la sauver de cette panade avant même qu’il n’ait eu l’occasion de la remercier. Etait-ce lui qu’elle avait reconnu en premier, ou les protestations de jeunes femmes en colère qui le précédaient ? “Et moi tu crois que j’ai envie d’être assimilé à ton SUV ?” rétorqua Jamie d’un ton sarcastique. Rares étaient ceux qui voulaient bien croire que le Keynes pouvait encore porter la moindre valeur ou la moindre cause, bien que son engagement écologique n’était plus à prouver ; bien des choses s’étaient éclipsées de l’oeil du public depuis ces derniers mois au profit de ses tares et autres monstruosités, quitte à le déshumaniser entièrement. Il se résumait à une photo, une légende, une version des faits. “Ça va ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? C’est ta simple présence qui provoque tout cet émoi ? Tu pouvais pas te commander un uber eats discrètement ?” Le coude sur la portière, la main de l’anglais accueillait sa tête lourde de pensées. Il haussa une épaule, plaisantant à moitié, las d’autre part. “On s’arrache mon autographe en ce moment, j’y peux rien.” Combien de temps encore n’allait-il pas pouvoir sortir de chez lui sans être l’objet d’une bousculade ? Après avoir joué les hermites durant la première moitié de l’année, Jamie avait eu bon espoir que la normalité et l’anonymat pouvaient lui être accordés. Mais il n’avait pas encore été détrôné sur l’échelle du scandale -pas encore, patience. “J’ai cru qu’ils allaient te bouffer. - Moi aussi.” confiait-il dans un souffle, faisant tomber son sourire cynique. Regard dans le vide, la route ne l’intéressait pas, et ainsi laissait-il River l’emporter hors de Bayside sans même le réaliser. Un malaise lui plombait l’estomac ; il était trop plein d’une reconnaissance envers la brune qu’il se voyait incapable d’exprimer. Un simple remerciement n’était pourtant mort d’homme, mais les mots demeuraient bloqués dans sa bouche, coincés entre ses dents par son orgueil qui aurait amplement préféré ne jamais la voir voler à sa rescousse initialement. Entre ingratitude et fierté blessée, il ne restait à River qu’à lire entre les lignes pour savoir ce qu’il en était. “Heureusement que j'étais sur ta route, tu m'accompagnes ?” proposait-elle sans cérémonie. “Je croyais que tu voulais pas qu’on t’associe à moi ?” Ce fut en rétorquant que Jamie s’attarda pour la première fois sur l’allure de son héroïne du jour ; la détaillant, il nota la tenue sélectionnée avec soin, le rouge à lèvres appliqué précisément, la discrétion du crème, le contraste avec le carmin sur sa peau pâle. “J’ai rien contre un détour, mais tu vas où comme ça ?” il demanda. Son allure à lui se résumait à une chemise claire sur un chino beige. Jon avait beau répéter qu’un rien l’habillait, Jamie n’était pas certain d’être à la hauteur d’être le cavalier improvisé de qui que ce soit.
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Dans d’autres circonstances, la réponse de River l’aurait fait sourire. Dans d’autres circonstances, il se serait réjoui de leur destination. Mais Jamie ne vit là qu’une cruelle ironie, une punition échangée contre une autre ; même échafaud, seulement dans un cadre plus select. “Un gala des médias si on peut dire.” avait-elle donc révélé, et le visage de l’anglais se tordit en une grimace. “Tu veux m’achever, c’est ça ?” Pourquoi diable lui proposer un événement pareil ? Pas que le brun lui en tenait rigueur, la jeune femme n’avait sûrement pas réalisé que l’option qu’elle lui proposait était au moins aussi douloureuse et pénible que la situation dont elle venait de le dépétrer. Une apparition publique auprès de ses pairs était tout ce qu’il fuyait depuis des mois, et si les Monsieur-Madame tout-le-monde n’étaient pas encore prêts à partager le même trottoir que lui, alors il doutait que la profession soit encline à respirer le même air. “On est pas obligés d’y aller.” rattrapait River maladroitement. Cependant, le Keynes ne comptait pas la laisser changer ses plans pour lui, jugeant avoir été d’un assez gros embarras pour elle en une poignée de minutes. “T’es pas obligée de m’y emmener.” corrigeait-il. Bien que la proposition soit aimable, le temps n’était pas venu pour lui d’affronter ce genre de soirées. Sa dernière expérience en date s’étant soldée par un verre de whisky en pleine figure, Jamie ne souhaitait pas tenter le diable ; la dernière fois, seul contenu du verre s’était écrasé sur son visage, peut-être que le prochain à perdre son sang froid par sa faute y ajouterait le contenant lui-même. Et tandis que River empruntait les petites routes et que l’anglais s’apitoyait en silence une énième fois, la voix de la brune sonna comme le glas de sa patience à l’égard des manoeuvres d’esquive de son ami. “Quand penses-tu confronter ton erreur ? Faire des excuses, assumer puis te repentir ? Je te soutiendrais Jamie. Mais si tu espères que les gens oublient…” Surpris de l’audace, le regard du brun s’arrondit avant de se durcir ; comment pouvait-elle lui demander une chose pareille et le traiter de la même manière qu’un vulgaire feuillet ? Croyait-elle qu’il se complaisait dans cette situation ? Il avait eu la naïveté de l’espérer, oui, qu’un autre scandale prendrait sa place et qu’il filerait sous les radars à nouveau. Qu’on se lasserait de cette cause, de cette vendetta. Cependant, il y avait toujours quelque chose pour raviver le feu de son bûcher numérique.
Ils s’étaient arrêtés, dieu savait où. Les yeux de Jamie n’avaient pas quitté River. S’il apprenait à plier son orgueil comme un roseau afin de survivre à cette affaire, sa fierté en prenait un coup à chaque fois que sa bonne foi était questionnée de la sorte. “Tu sais l’amour que je porte à ces soirées, je n’ai aucune obligation à y aller, mais si tu veux prendre la température on peut toujours y aller. Ton allure simple pourrait peut-être amorcer ton repenti.” Il aurait relevé la plaisanterie s’il n’y avait pas vu une preuve supplémentaire qu’elle, comme les autres, ne comprenait pas sa démarche et pensait donc que le Keynes se croyait au-dessus des excuses. Il soupira, las, et s’enfonça un peu plus dans son siège. “Ecoute, me couper du monde tout ce temps, c’est ma manière de… de montrer que je sais que j’ai eu tort. Que j’ai sincèrement honte.” A la manière des parias antiques, il s’exilait de son propre chef. Il demeurait chez lui à méditer ses torts, leurs causes, à remonter le fil des événements, à désosser sa manière d’appréhender le monde. Il se questionnait, encore et encore, et se butait aux contradictions entre l’environnement qu’il avait toujours connu et le renouveau de la société. Et il se tapait la tête contre les murs afin d'exorciser ces parties de lui dont il avait malgré tout hérité de son paternel, de son exemple. “Je ne sais pas comment faire autrement, et je ne veux pas me lancer dans des discours qui pourraient être déformés dans tous les sens possibles afin de m’enfoncer un peu plus. Tu sais comment sont les gens.” Il suffisait d’un mot maladroit, d’une virgule mal placée. On se vexait pour un simple point en fin de phrase, de nos jours, songeait-il. Alors quelles excuses de sa part pouvaient le gracier de ses fautes ? Quel discours serait assez sécuritaire pour qu’il soit compris sans équivoque ? Il n’y avait pas d’issue dans les mots, dans cette affaire. Et s’il était un seul acte pouvant prouver ses remords, c’était celui de disparaître. “C’est comme ça que je me repends. A commencer par me rattraper auprès Joanne.” Jamie tentait si fort de sauver cette relation. Il se heurtait à un mur, encore et encore. Mais il persistait ; il était là, présent t invisible à la fois, mari à la carte, parent bien avant d’être un homme. Soutien effacé, affectueux mais silencieux ; il évoluait sur un fil comme un funambule, tout ceci dans l’attente d’un signe, d’une preuve que sa femme éprouvait encore quelque chose pour lui. “Honnêtement, le reste du monde peut bien attendre.” souffla-t-il, le regard bas, abattu. Plié en quatre depuis tout ce temps, l’anglais sentait cependant ses os fatiguer de ces figures sans repos ni récompense. Quelle réputation pouvait-il espérer reconstruire s'il n'était pas capable de sauver son propre mariage ?
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La sensation d’isolement et l’incompréhension générale n’étaient pas nouveaux pour le Keynes. S’il fallait remonter le fil de cette éternelle solitude, il dirait qu’il n’était pas né dans la bonne famille pour commencer, et il fut clair dès le départ que son entourage ne saisissait en rien sa nature profonde. Alors s’était-il persuadé, depuis, que personne n’était et ne serait un jour en mesure de le comprendre ? Ou est-ce que le monde lui avait prouvé de multiples manières que son univers, sa vision, ses pensées et ses émotions échappaient à la plupart des gens ? Il lui semblait qu’un savant mélange d’environnement inadéquat et de renfermement avaient donné le résultat d’aujourd’hui. Il ne s’étonnait plus que même ses amis peinaient à le cerner par moments. Cela le rendait simplement las, un peu plus qu’il ne l’était déjà. “Je comprends mieux ce que tu fais, assura River à la lumière des explications de Jamie, mais j'imagine que tu compte alors mettre un terme définitif à ta carrière dans le milieu ?” Un léger rire lui échappa. Comme si cela était important. A dire vrai, il n’y avait pas songé. Il n’avait pas eu l’audace de croire qu’un retour dans le monde des médias serait possible un jour et n’avait jamais envisagé cette possibilité. “Le milieu ne veut plus entendre parler de moi de toute manière. Ou alors juste pour vendre du papier.” Il était devenu le sujet, pile dans la tendance. Au fond, l’anglais n’avait pas choisi volontairement la voie du journalisme, et bien qu’il sut se passionner pour le métier, se montrer travailleur et doué, ce n’était qu’une voie par défaut. A l’époque, le choix qu’il avait eu était entre les médias pour suivre l’exemple de sa mère, et la politique pour rester dans les pas de son père. Il n’avait pas pensé hors de cette boîte. Il s’était laissé forger dans l'alliage familial. “C’est une page qui se tourne, je suppose. Je me concentre sur la Fondation en ce moment, maintenant je peux y mettre toute mon énergie. C’est un mal pour un bien.” conclut-il.
River baissa la vitre de son côté et alluma une cigarette, pensive. Jamie se retint de lui en demander une ; il n’osait imaginer la couche supplémentaire de déception à laquelle il aurait droit dans l’expression du visage de Joanne si elle sentait une once de tabac froid sur ses vêtements. A la fois ne se sentait-il plus à ça près, mais il songeait également que chaque détail comptait. “Il y aura toujours quelqu'un pour critiquer comme tu dis, les actes en suivant demeureraient moins enclins à interprétation. Même dans ton exil les gens auront à y redire.” reprit la brune non sans sagesse. Il acquiesça en silence. Si River n’avait pas saisi sa démarche, alors ils étaient des milliers là dehors à ne pas comprendre son silence, à juger sa manière de rester à couvert. Cependant ce n’était ni nouveau, ni important à ses yeux en ce moment. “Mais si c'est pour Joanne alors tu l'as dit toi-même, ça peut bien attendre en effet.” Jamie aurait voulu la remercier pour son empathie à ce sujet, mais il ne parvint pas à esquisser l’ombre d’un sourire triste.
Joanne était un sujet particulièrement sensible et frustrant. Penser à elle brisait le coeur de l’anglais systématiquement. Il se sentait désoeuvré, prisonnier de la situation et d’un espoir vain qu’il pouvait encore se racheter. Mais toutes les portes se refermaient sur lui. “J’ai le pressentiment qu’elle va demander le divorce.” confessa-t-il après un long silence, les entrailles nouées à en être douloureux. Il ferma les yeux, accablé d’une honte qui le suivait partout comme son ombre ou son propre reflet. “Elle me glisse entre les doigts et je n’arrive pas à la rattraper.” Que pouvait-il faire de plus ? Il attendait, il se montrait patient, mais l’état d’esprit de Joanne demeurait inchangé. Il faisait de son mieux, volontaire, dévoué, mais elle parvenait à lui ôter toute sensation d’être bienvenu chez lui. “Elle me parle à peine, elle me regarde à peine. Elle ne me laisse plus vraiment la toucher. Elle m’évite autant qu’elle le peut et elle ne reste pas dans la même pièce que moi si les enfants n’y sont pas non plus pour faire tampon.” Mais ils partageaient le même lit encore. La plupart du temps. Parfois elle se réveillait contre lui malgré elle, habituée à chercher sa chaleur pendant la nuit, mais ces moments s’évaporaient comme des mirages. Les rares baisers qu’elle avait pu déposer sur sa joue ou au coin de ses lèvres n’étaient, selon lui, qu’un leurre face à Daniel et Louise afin d’entretenir l’illusion de parents qui s’aiment, d’une normalité. “On s’est donnés du temps pour y réfléchir, mais je vois bien que rien ne s’arrange. J’ai l’impression que cette fois, il n’y a rien qui puisse tout réparer.” Quelque part, l’issue lui paraissait inévitable. Depuis la première fois que l’hypothèse avait été émise, Joanne ne lui avait pas paru armée de la même volonté que lui à sauver leur mariage. Le divorce était pourtant contre ses principes, mais s’y résoudrait-elle pour un homme qui n’avait jamais cessé d’être une épreuve pour elle ? “Je suis désolé, tu n’as sûrement pas envie d’entendre quoi que ce soit de tout ceci.” Cela ne lui avait pas fait de mal d’extérioriser tout ceci en revanche, bien qu'il ne soit pas très britannique de sa part de s’épancher autant sur ses dilemmes privés. “Je peux avoir une cigarette ?” Après tout, non, il n’était plus à cela près.
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Lui qui s’était retrouvé avec cette Fondation entre les mains du jour au lendemain et qui, d’abord, l’avait perçue comme l’ultime corvée, la dernière bravade de son paternel après son décès, Jamie avait rapidement pris à coeur les actions de celle-ci. Difficile pour lui d’admettre qu’Edward avait été à l’origine de l’initiative, le Lord n’avait jamais été particulièrement connu pour son altruisme. C’était également une preuve supplémentaire que la seule personne que cet homme ait jamais réellement aimé était son fils ainé, ce qui n’était pas sans tourner un ancien couteau rouillé dans une plaie jamais cautérisée. L’anglais avait longtemps retourné le sujet dans tous les sens à la recherche d’un sens dans la démarche de son père. S’était-il senti coupable du geste d’Oliver au point de chercher sa rédemption dans cette Fondation ? Nul doute que c’était ainsi que le public l’avait perçu à l’époque, et c’était également ainsi que les médias traduiraient l’inauguration des locaux de Brisbane à la fin de l’été ; comme un coup de pub afin de se racheter une conscience et redorer son blason. Mais Jamie n’en avait pas vraiment cure ; lui savait pourquoi il s’était lancé dans cette aventure deux ans plus tôt, et ce projet était la dernière chose à laquelle il pouvait espérer se raccrocher par des temps aussi incertains.
Il n’avait pas prévu, à l’origine, de confier à qui que ce soit l’angoisse avec laquelle il vivait depuis des mois, la menace du divorce qui planait au-dessus de son mariage comme une épée de Damoclès. Peut-être était-ce une forme de déni, peut-être était-ce sa fierté qui en prenait un coup. Peut-être était-ce la peur d’affronter la réalité de cette situaion en mettant des mots dessus, en admettant l’ampleur du désestre qui découlait de ses erreurs. Mais il avait craqué face à River, la pesante vérité qui lui tordait l’estomac chaque jour. Et une fois que les premières paroles avaient pris leur envol, une floppée d’autre sortirent comme si elles en mourraient d’envie depuis tout ce temps. Son coeur n’était pas plus léger, mais au moins se ne sentait-il plus aussi esseulé. “Mais... tu es sûr que c'est contre toi qu'elle agit ainsi ? Peut-être qu'elle a seulement besoin d'un peu d'espace, le temps de digérer les évènements, la situation…” Jamie secoua la tête négativement. Il avait déjà essayé tout ceci. Depuis un an qu’il s’effaçait et laissait Joanne respirer, réfléchir, et trop penser comme elle savait si bien le faire. “Je lui donne tout l’espace dont elle puisse rêver. Si elle va dans une autre pièce, je ne suis pas. Si elle ne veut pas parler, je ne force pas.” Il ne cherchait pas désespérant son regard comme un chien au refuge en quête d’une famille pour l’aimer. Il n’essayait pas de lui arracher des sourires à contrecoeur. Il voulait faire renaître de vrais moments de famille et de couple, mais il se sentait fui en permanence, perçu en pestiféré. “Tout ça, c'est des constats, mais elle a vraiment mentionné le divorce ? Loin de moi l'idée de te faire de faux espoirs mais, peut-être que tu y vas vite en conclusion je ne sais pas… Lui as-tu dit tout ça ?” Le brun soupira de dépit, et il ne doutait pas qu’une fois que River saurait tout, elle en ferait de même tant la situation semblait sans issue. “On s’en est parlé, oui, confessa-t-il. On a eu une grande discussion à ce sujet il y a quelques temps. On a mentionné le divorce. On ne veut pas faire mariner les enfants dans cette ambiance trop longtemps…” Ils s’étaient donné une date approximative pour faire le tour de la question. Leur maison toute neuve fraîchement sortie de terre dans la banlieue de Brisbane devait les accueillir pour la fin de l’année, mais Jamie ne s’imaginait pas ouvrir des cartons qui risquaient d’être remballés aussitôt. Plutôt tirer une croix sur leur projet et rêve commun que de risquer d’y vivre de mauvais souvenirs dès les premiers instants. Il ne restait qu’une maigre poignée de mois, de semaines, pour réfléchir à leur capacité à surmonter leur situation et réparer l’état actuel de leur relation. “Je pense que si elle avait été capable de me pardonner, elle le saurait depuis longtemps.” conclut-il avec un certain fatalisme. Etait-il pardonnable ? Certainement pas. Il n’avait même jamais eu l’audace d’espérer être pardonné. Est-ce que Joanne pouvait vivre avec lui en sachant ce qu’il avait fait ? Pouvait-elle le regarder dans les yeux et encore y voir un homme qu’elle aimait malgré tout ? Là encore, Jamie n’y mettait pas sa main à couper -ou alors celle où il portait son alliance, car telle était la chose en jeu.
Il réceptionna la cigarette que River lui tendit entre deux doigts et souffla un “merci”. Il emprunta le briquet de la journaliste pour l’allumer et fit de même avec celle qu’elle venait de porter à ses lèvres. “Il nous faudrait au moins une bouteille pour accompagner le tout.” L’idée était séduisante. Son thérapeute dirait tout le contraire. Depuis que l’affaire avec Mina avait éclaté, il tentait de le persuader d’allonger sa prescription de médicaments à chaque séance. Alors comme à chaque fois que la thérapie le contrariait, Jamie cessait de s’y rendre -ce qui n’était pas non plus une bonne idée. “Je ne peux pas être plus d’accord.” déclarait-il donc, et tant pis pour le thérapeute qui n’en saurait de toute manière rien du tout. “Il y a un bottle shop plus loin, on peut y prendre une bouteille de ce que tu veux et aller traîner sur un ponton à la marina.” Ils n’en étaient pas loin. L’anglais appréçiait la vue du port balnéaire, les bateaux à voile parkés les uns à côté des autres, dociles sur une houle calme. “Moins fancy que ton “gala des médias” mais la compagnie sera définitivement meilleure.” il ajouta avec un clin d’oeil complice. Ironiquement, River avait plus de chance de côtoyer des requins là-bas qu’au bord de l’eau.