Tout a commencé il y a deux jours lorsque, à la fin d’une journée de cours intensifs, je suis allé dans un bar avec d’autres amiraux qui suivent le même cursus que moi. La soirée était cool, tranquille, les discussions joyeuses et intéressantes. Et puis tout à coup il y a eu cette chanson irlandaise. Je ne connais pas le nom du groupe ni de la chanson et pourtant je sais parfaitement que c’est elle que Cian et mon avons écouté tellement souvent pour toutes les occasions possibles et imaginables. Les paroles nous correspondent parfaitement et le rythme est joyeux et entraînant. C’est notre chanson à nous. Et l’écouter là, alors que je suis en compagnie d’autres hommes et que  je n’ai plus adressé la parole à mon meilleur ami depuis plusieurs semaines ça me crève le cœur. Je me suis instantanément excusé, j’ai sorti une excuse bidon et je suis parti.

Ça, c’était 48h avant ce moment où je passe, en compagnie de mon fils, les portes du hall de la caserne de la Navy de Brisbane. J’ai hésité pendant encore deux jours et j’ai fini par craquer. Mon passage de grade est début août et j’ai besoin de quelqu’un pour faire un discours. Et je n’imagine personne d’autre que Cian pour ce faire. Il est le seul et l’unique idiot auquel je confierais cette tâche autant que je confierais ma vie. Mais pour cela il faut que je fasse le premier pas.

 «tu restes près de moi, ok » indiquais-je à Alex qui regarde l’endroit avec des étoiles dans les yeux, fixant l’uniforme de chacun de mes collègues qui passe. Je les salue, pour ma part, solennellement, échange quelques mots avec Nathan et Louis puis me dirige vers la salle de repos où je sais que je trouverais Cian. Et ça n’y manque pas.

A peine suis-je entré dans la salle que nos regards se croisent et que les mots me manquent. Je le regarde, l’observe et c’est finalement Alex qui réagit en premier  «tu peux lui parler tu sais  » me glisse-y-il en haussant les épaules  «il est pas méchant ! » je laisse échapper un rire et ébouriffé les cheveux de mon fils avant d’hocher doucement la tête  « t’as raison» je souris et m’avance vers Cian

 « j’ai une petite requête » dis-je en m’installant face à lui.  «mais d’abord j’ai juste envie de m’excuser pour avoir agis comme un sale con » je pince les lèvres et lance un coup d’œil vers Alex qui ne m’a pas entendu car il est captivé par un livre qu’il vient de trouver  « tu allais pas bien et encore une fois je n’ai pas réfléchi avant de parler donc ...pour ce que ça vaut encore maintenant » je prend une profonde inspiration  «je suis suis vraiment désolé  » et je relève le regard, l’observant avec toute la sincérité du monde.

Je n’ai même pas réfléchi. Sullivan m’a proposé de monter tout un programme pour les recrues qui arriveront en septembre et excité comme un gamin, je me suis précipité dans le bureau de Thomas pour partager la nouvelle avec lui. Et je me heurte à une pièce complètement vide, comme c’est le cas depuis des semaines maintenant. Je reste comme un con, la poignée dans la main, alors qu’un soupir m’échappe. Thomas, je ne l’ai pas vu depuis ce jour où il m’a hurlé dessus en plein tarmac devant nos collègues de la RAF. On c’est éviter tout le reste du week-end, sans jamais s’adresser un regard et depuis, c’est le silence complet. J’ai voulu lui envoyer un message. J’y ai pensé un bon million de fois avec une Ailis qui pleurait comme jamais dans les bras. J’aurais aimé qu’il soit là, mais à chaque fois ses paroles me reviennent en tête et je lâche mon téléphone. Thomas est mon meilleur ami, quoiqu’il arrive, mais il a été trop loin dans ses paroles. Et si avant je savais faire la différence entre un coup de sang de sa part et des paroles qu’il pense vraiment, cette fois, je ne suis sûr de rien. Je sais que je lui ai fait peur. Je sais que j’ai peut-être abusé, mais il a été trop loin lui aussi. En y repensant, je soupire et fais claquer la porte de son bureau. Mon meilleur ami me manque, mais je suis trop fier pour aller le lui dire. Oh j’ai tenté de passer par Sam et Thalya. Le premier m’a dit qu’il ne se mêlerait plus jamais de nos histoires, la deuxième m’a carrément fait comprendre que je pouvais aller me faire voir. Alors on est là… Trois semaines sans lui adresser la parole. Triste record.

Dépité, je me traîne jusqu’à la salle de repos. J’ai besoin d’un litre de café. Depuis quelques jours, Ailis sort une dent et les nuits sont vraiment trop courtes. Quand je ne passe pas mon temps à la bercer, je passe mon temps à cogiter sur tout et sur rien. Au moins, Sullivan vient de me donner le prétexte parfait pour occuper mes insomnies. Je le soupçonne d’être au courant de tout, comme toujours. Je pourrais le remercier plus tard, j’en suis déjà certains.

Tasse de café à la main, je m’installe à notre table et commence à réfléchir au programme que je vais bien pouvoir mettre en place pour les petits nouveaux. Je me perds dans mes pensées et sursaute lorsque j’entends que l’on tire la chaise en face de moi. Je m’attendais à un collègue ou à Sam, mais en aucun cas à Thomas. Surpris, je ne bouge pas d’un millimètre et l’observe en silence. Il est venu avec Alex qui me fait un coucou de loin. Je lance un sourire au gamin avant de me concentrer sur le visage de son père. J’entends ses excuses et le soulagement que ces quelques mots me provoque permette à mon corps de se détendre enfin un peu. « Tu m’as manqué. » Juste la stricte vérité. Arrêter de jouer au con, pour simplement lui dire ce que je n’ai pas été capable de faire en premier. « Mais ne re dit plus jamais un truc comme ça. » Parce que j’accepte ses excuses, mais ce qu’il a pu dire ce jour-là m’a blessé bien plus que n’importe quelle remarque qu’il ait pu me faire au cours de 20 ans d’amitié. Je soupire longuement, prends le temps de boire une gorgée de mon café avant de croiser son regard à nouveau. « Et je suis désolé si je t’ai fait peur ce jour-là, c’était pas mon intention. » On a bien merdé tous les deux.

Rien que le fait de retrouver mon meilleur ami me fait un bien fou. Juste qu’à le voir là, avec ces cernes et sa tête d’insomniaque, je me rends compte à quel point il m’avait manqué. Je l’aime cet homme, d’un amour fraternel pur et indestructible. Et pourtant ces dernières semaines j’avais l’impression que s’en était définitivement finie de notre amitié. Les trois semaines qui sont passées m’ont fait comprendre que je prenais notre amitié pour acquit et c’est bien la dernière chose que je devrais faire. Se pourrait-il que notre relation ne soit pas aussi forte que nous le pension ? Je n’en sais rien. Tout ce que je sais c’est là, en entendant mes excuses, mon soulagement fait écho à celui de mon meilleur ami et si nos corps n’étaient pas séparés par une table, je pense que je l’aurais pris dans mes bras et je ne l’aurais plus lâcher pendant plusieurs minutes.

 « Ne t’inquiète pas pour ça» solennellement, je promet à Cian de ne plus jamais lui dire ce genre d’atrocité et affiche un petit sourire lorsqu’il s’excuse, à son tour, de m’avoir fait flipper  « Tu sais que j’avais presque apprécié le vol ? Genre, j’étais presque détendu avant que tu ne ...enfin bref, peu importe» je balaie mes paroles par un signe de la main puis me redresse  «J’ai un service à te demander »

Ce disant, je pose un classeur devant moi et le glisse vers Cian  «ça, ce sont mes cours. Ceux que j’ai suivi ces dernières semaines » je prends une profonde inspiration  « Je ne vais pas te demander de tout lire, tu comprendras que la moitié du truc » précisais-je en me penchant en avant pour ouvrir le classeur sur une feuille vierge  « tu connais Sullivan et ses nouvelles traditions qu’il met en place pour chaque passage de grade» je lève la tête vers mon meilleur ami  «Je ne veux personne d’autre que toi pour rédiger le discours qui me sera destiné » J’inspire profondément  « tu es celui qui me connais le mieux de tout mon entourage, je sais que tu trouveras les mots» je sors un stylo de ma poche et le pose sur la feuille  « Tu as carte blanche. Le discours doit être près pour la cérémonie le 1er Septembre» je souris doucement puis recule ma chaise, me lève et me sers en café  « tu veux bien ?» demandais-je, presque incertain quant à la réponse de mon meilleur ami.

Le fondement même de notre amitié repose sur des injures, un mot plus haut que l'autre et des tempéraments qui s'enflamme à la moindre étincelle. Vingt ans que cela dure, pourquoi cesser ? Ce n'est pas nouveau, cela ne le sera jamais. Il semblerait bien que l'on vienne de battre un record dans la bouderie. Trois semaines. Et nous voilà, l'un en face de l'autre, tel deux cons. Il a l'habitude que ce soit moi qui foire au point que je doive faire le premier pas. Cette fois, les rôles se sont inversés et ma rancœur était de sortie. Jusqu'à ce qu'il me fasse ses yeux de chiens battus et m'assure qu'il avait compris son erreur. On a tous les deux nos torts pour cette journée. Ses paroles, elles, sont restées gravé dans un coin de ma mémoire. Je hoche la tête face à ses excuses, lui renvoi les miennes en retour. C'est si simple que cela en serait presque déconcertant. Il revient sur les événements de ce jour et je grimace ne voulant pas me justifier pour la énième fois. Le manque de communication sur l'instant avait gâché le moment, ce n'est pas la peine de revenir dessus.

Il me glisse un classeur sous le nez. Si officiel que je pourrais m'en inquiéter. Ses cours, son passage en grade. La seule chose que l'on n'aura pas faite ensemble après vingt ans à évoluer au même grade. Il va devenir mon supérieur et ça, j'ai encore bien du mal à le concevoir. Bientôt, sa formation prend fin et il me parle des traditions de Sullivan. Écrire un discours pour la remise. Je ne suis pas le plus doué avec les mots, mais il faut bien avouer que pour lui, les idées fusent déjà. Sans que je n'ai à forcer quoique ce soit. « Je le ferais. » sans hésiter, parce qu'il est mon meilleur ami et que dans le fond, je suis fier de lui. « Si on arrête de se prendre la tête, je le ferai. » Arrêter est un bien grand mot quand on connaît la dynamique qui nous relie, mais cesser pendant un temps me semble déjà tout ce qu'il y a de plus acceptable. J'en aurais besoin. Une trêve pour profiter de sa présence et de ses conseils. « Parce que je me démerde pas si bien sans toi dans le coin. » Et ça... C'est difficile de l'avouer. Mais c'est là, c'est sorti et j'attends sa réaction presque trop fébrilement.

Pinçant les lèvres en un sourire entendu, j'hoche doucement la tête pour lui faire comprendre, silencieusement, que oui, nous allons arrêter de nous prendre la tête. Du moins pour le moment. Je ne suis pas près à le perdre, ni aujourd'hui, ni demain, ni la semaine prochaine, jamais. Alors je vais me tenir à carreaux, je vais tourner sept fois la langue dans ma bouche avant de dire quoique ce soit qui pourrait me porter préjudice et nous reprendrons notre amitié là où nous l'avons arrêté. En vrai, elle ne s'est jamais arrêté, dans le fond, je sais que nous n'avons fait appuyé que sur pause et qu'elle s'est mise en stand by le temps que nous réglions quelques petites choses dans nos vies respectives. Aussi, je suis persuadé que la distance que nous nous sommes imposée nous a été bénéfique.

Mais j'ai bien l'impression que ce n'est pas le cas de Cian. Dans un soupire mon meilleur ami finit par me faire comprendre qu'il ne se démerde pas trop bien sans moi ici. Fronçant légèrement les sourcils et inclinant la tête sur le côté, je l'interroge du regard, tout d'abord silencieusement, scrutant son expression peu assurée.  « ta fierté doit avoir prit un sacré coup pour m'avouer ça, hein » que je raye sur un ton doux. Si celui-ci aurait pu être sacrément moqueur dans un autre contexte, il ne l'est, finalement, pas du tout. Bien au contraire.

Ma passant une main sur la nuque, je lance un coup d’œil vers mon fils qui est toujours perdu dans son livre, puis reporte mon attention sur Cian  « Qu'est-ce qui se passe ?» demandais-je finalement, espérant avoir des réponses concrètes et sincères. Mais, avant qu'il ne puisse dire quoique ce soit, je me lève et me dirige vers mon garçon  « Alex ? Tu veux bien allez dans mon bureau ? Et m'attendre là-bas ?»  « Pourquoi ?» qu'il me demande, déçu  « Parce que Cian et moi devons parler travail et c'est un secret» Alex pose un instant son regard sur mon meilleur puis m'interroge silencieusement. Je prends une profonde inspiration et cherche mes mots pendant quelques instants avant de m'accroupir face à au jeune garçon  «Je sais que tu adore nos histoires mais je sais aussi que tu adores les raconter à l'école. Et c'est tout à ton honneur. Mais il y a des choses que tu n'as pas le droit de savoir. Même si je te fait totalement confiance, il y a des risques que tu dise des choses sans savoir que celles-ci sont classée secrètes. Tu vois ce que je veux dire ? » Alex fronce légèrement les sourcils puis hoche la tête et glisse de sa chaise  « Compris mon capitaine !» qu'il annonce avec un large sourire en esquissant un salut militaire. Je laisse échapper un rire amusé et le pousse doucement vers la sortie  « Je crois qu'il reste encore des chocolats sur mon bureau.» lançais-je encore derrière mon fils alors que celui-ci détale déjà en courant vers la pièce qui se trouve au fond du couloir.

 «Voilà » dis-je doucement en refermant la porte derrière moi avant d'aller nous servir deux mug de cafés  « Raconte moi tout. Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce que j'ai raté ici et dans ta vie ?» demandais-je en revenant à la table, déposant une tasse devant mon meilleur ami et retournant m'asseoir en face de lui.

« Ta fierté doit avoir pris un sacré coup pour m'avouer ça, hein. » Il me connaît si bien que ça pourrait en être déroutant. Il sait parfaitement que je ne dis pas cela à la légère, parce que je préfère toujours tout cacher et gérer par moi-même. Sauf que ces derniers temps, j’ai clairement du mal à gérer tout seul. Je suis honoré de la proposition que m’a faite Sullivan, mais sans Thomas à mes côtés, j’ai l’impression que c’est bien plus fade et que les choses vont vraiment trop changer. Il va devenir mon supérieur hiérarchique et dans le fond, j’ai un peu peur que l’on perde cette dynamique qui n’existe qu’entre nous depuis plus de vingt ans. Je ne vais plus pouvoir le charrier comme je le faisais avant, parce que lorsque l’on était au même grade, ce n’était pas bien grave, mais maintenant cela va s’apparenter à de l’insubordination et je sais qu’il y existe tout un tas de monde ici qui m’attends au tournant pour me faire gicler. Encore s’il n’y avait que ce pan, tout irait bien. Il suffirait juste de prendre un nouveau, rythme, de discuter un peu avec Thomas. Mais en dehors du boulot, j’ai clairement la sensation de me noyer également. Ailis réclame toute mon attention et j’ai constamment l’impression de faire de travers sans jamais vraiment savoir vers qui me tourne. De tous mes amis proches, Thomas est le seul à être père et je ne vais pas le cacher plus d’une fois, j’ai eu envie de prendre mon téléphone pour lui demander un conseil. La fierté m’en à empêcher, jusqu’à aujourd’hui.

« Qu'est-ce qui se passe ? » Pas le temps de lui répondre, qu’il endosse parfaitement son rôle de père demandant à Alex de nous laisser un peu seul pour que l’on puisse discuter. Ne voulant pas mettre le garçon de côté, il lui invente une histoire de travail top secret et je souris en voyant le regard d’Alex briller de mille feux. Il est si fier de son père et j’espère qu’un jour Ailis me regardera de la même façon. « Je crois qu'il reste encore des chocolats sur mon bureau. » Oh peut-être plus tant que ça en vrai, mais il devrait encore en trouver. Déjà, il se dirige vers la porte le gamin. « Eh Alex ! » Il se tourne vers moi sourire aux lèvres. « Deuxième tiroir à gauche. » Je lui fais un clin d’œil alors qu’il part en courant devinant que je venais de lui indiquer la cachette des chocolats. Le regard que me lance Thomas me fait un peu rire. « J’me suis peut-être un peu servi pendant ton absence. » Peut-être, peut-être pas.

« Raconte-moi tout. Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce que j'ai raté ici et dans ta vie ? » « Sullivan m’a proposé de monter le programme des recrues. » C’est dit dans un sourire, parce qu’en rien, ce n’est négatif. « Mais… Tu vas trouver ça con, mais je me dis que tout sera différent à la reprise. » Je hausse les épaules et détourne bien rapidement le regard. M’ouvrir de cette manière cela n’a jamais été ma passion après tout et il le sait parfaitement. « Enfin, c’est surtout avec Ailis que j’ai l’impression de rater. » que je finis par souffler. « Des fois, je sais juste pas comment faire. » Pour l’apaiser alors qu’elle ne cesse de pleurer, pour m’assurer qu’elle mange bien, que je lui donne tout ce qu’il faut. « Je sais que je me prends la tête tout seul, mais je me suis toujours occupé que de moi, et même ça, je sais pas vraiment le faire. » Parce que j’ai toujours préféré les plats à emporter qu’un bon petit plat cuisiné, que je ne sais pas ranger ma chambre même après des années à l’armée et que sérieux si la bière est chaude, je m’en tape. « Pis j’ai discuté avec Amos et il m’a mis en tête qu’Eavan pouvait revenir, prendre Ailis et disparaître avec elle parce qu’elle est sa mère et qu’elle en a tous les droits. » Et même si j’adore notre ami, je le déteste de m’avoir implanté cette idée dans la tête. « Ça m’empêche de dormir. »

Je lance n regard courroucé à Cian lorsque celui-ci m'avoue qu'il s'est sans doute servi dans ma réserve de bonbons pendant mon absence.  « Ah ben super hein. Vive la confiance !» lançais-je en levant les yeux au ciel avant de laisser échapper un rire amusé, montrant bien que je ne suis absolument pas sérieux dans mes paroles. Je reviens ensuite vers ma place après m'être rempli un mug de café et réitère ma question : que c'est-t-il passé ici et dans la vie de mon meilleur ami ?

Celui-ci me répond d'abord que Sullivan lui a proposé de monter le programme des recrues mais que ses doutes résident surtout dans le fait que tout sera différent plus tard. J'hoche doucement la tête et me prend le temps de siroter mon café avant de répondre  «Ce sera différent, mais pas totalement non plus » dis-je en relevant mon regard sur mon meilleur ami  « Tu sais, je vais juste monter en grade, c'est tout. Alors oui je serais ton supérieur, mais ça ne changera pas grand chose» enfin si ça changera beaucoup de chose, nous ne pourrons plus déconner comme nous le faisons actuellement, je vais devoir redoubler de sérieux et chacun de nous verra le changement, c'est clair et net. Et pourtant, j'ai un petit espoir que notre quotidien ne changera pas.  « Tu pourras toujours venir te plaindre dans mon bureau. L'avantage c'est que maintenant j'aurais un autre pouvoir et je pourrais moi-même mettre tes plaintes à exécution» reprenais-je en pouffant de rire avant de regarder autour de moi  «On n'est pas sur écoute hein, rassure moi ? » murmurais-je en panique avant de rigoler à nouveau et reprend une gorgé de ma boisson  « Non vraiment, je reste persuadé que ça ne changera pas grand chose» je l'espère en tout cas, reprenais-je dans ma tête.

Mais au final le vrai problème de Cian c'est sa fille. Ou plutôt le fait qu'il ne sait pas comment gérer le truc s'étant toujours occupé que de lui.  « C'est normal de se poser ce genre de questions. Encore plus quand on est père célibataire» assurais-je  «Mais je suis persuadé qu'encore une fois tu te met bien trop de pression tout seul et que tu te pose beaucoup trop de questions » je lui adresse un sourire bienveillant . Je dis ça mais en vrai je n'en ai aucune idée, étant donné le temps qui est passé depuis notre dernière entre vue.

J'apprends par la suite que Cian a vu Amos et que ce dernier a réussi à lui mettre en tête qu'Eavan peut facilement revenir pour prendre la petite fille avec elle.  « Légalement, elle sera dans son droit le plus total» hochais-je la tête, grimaçant  «moralement c'est autre chose  » je soupire doucement  «Tu as adopté Ailis ? Dis moi que t'as au moins commencé la procédure » je pose un regard intransigeant sur Cian  «Dis moi que t'as pas laissé tombé parce que c'était trop long et trop compliqué ... » je le reconnaîtrais bien là dedans mon meilleur ami. Je l'imagine bien abandonner car il ne supporte pas la paperasse et que le dossier a monté est bien trop long.  «Mais ça n'arrivera pas. Eavan n'a pas assez de courage pour revenir et s'occuper de sa fille » quand je repense que la seule chose qu'elle avait en tête pendant sa grossesse c'était de reprendre l'alcool, ça m'a désolé et m'a tout de suite donné une bonne idée du personnage qu'elle est.

« Ce sera différent, mais pas totalement non plus. Tu sais, je vais juste monter en grade, c'est tout. Alors oui, je serais ton supérieur, mais ça ne changera pas grand chose. » Un léger rire nerveux s'échappe d'entre mes lèvres. Ca va changer tellement de choses que j'ai eu le temps de penser a tout durant son absence. Je suis véritablement heureux de son ascension, c'est tout ce qu'il mérite Thomas après des années de travail acharné, mais notre dynamique va forcément en prendre un coup. « Je vais devoir te vouvoyer devant les autres. » Rien que ça, on est arrivé en enfer, lui que j'ai insulté avant même de l'appeler par son prénom, il y a de ça vingt ans. « Je vais devoir te saluer à CHAQUE fois que je te vois. » Protocole oblige, il prend du grade, moi pas, ce sera salut militaire sinon je sais que je vais en entendre parler pendant des semaines. « T'imagine l'horreur ? » que j'exagère largement pour tenter de détendre un peu l'atmosphère malgré tout. « C'est juste que ça va être un peu bizarre au début. » que je finis par dire en haussant légèrement les épaules. Cela ne sert à rien de faire des plans sur la comète tant que l'on ne vivra pas pleinement la chose, mais c'est vrai que je me suis monté la tête un peu tout seul, j'avais le temps de ruminer.

On en vient à aborder le sujet sur lequel j'avais réellement besoin de son avis : Ailis. Petite demoiselle qui ne cesse de grandir et qui m'apporte bien du souci parfois. La vie avec elle est complètement différente. « Mais je suis persuadé qu'encore une fois tu te met bien trop de pression tout seul et que tu te pose beaucoup trop de questions. » Je lève les yeux au ciel, faisant mine d'être vexé alors qu'il en est rien. « Bien sûr que je me mets la pression, je suis responsable d'un tout petit bébé. » Bon... Elle n'est plus si petite que cela du haut de ses huit mois de vie, mais tout de même.

Surtout, je finis par lui parler d'Eavan et de tout ce que l'on a pu parler avec Amos. Tout ce qui m'inquiète de trop depuis des jours désormais. « Tu as adopté Ailis ? Dis-moi que t'as au moins commencé la procédure. Dis-moi que t'as pas laissé tombé parce que c'était trop long et trop compliqué ... » Je le reconnais bien là mon meilleur ami, ai jouer les papa poule avec moi, déjà prêt à m'engueuler si je réponds par la négative. « Je sais que des fois, je râle pour la paperasse, mais jamais été aussi sérieux que là-dessus. J'ai signé les derniers papiers une semaine avant qu'elle se barre. » Et encore, cela se compte en jours plutôt. « Ailis est ma fille officiellement. » Personne ne pourra venir discuter là-dessus, jamais. « Cela n'empêche qu'Eavan est sa mère et que clairement mon statut ne prévaut pas le sien. » Je soupire longuement, laissant une main glisser sur mon visage. « Mais ça n'arrivera pas. Eavan n'a pas assez de courage pour revenir et s'occuper de sa fille. » Je voudrais être aussi optimiste que lui, mais j'ai du mal. « On sait jamais avec elle, ce serait peut-être sa nouvelle lubie. » Elle est comme ça et il m'a fallu beaucoup trop de temps pour réellement m'en rendre compte. « Des fois, j'en reviens pas, d'avoir été si con. »

Je roule théâtralement des yeux lorsque Cian énumère toutes les choses qu'il va devoir faire lorsque j'aurais un grade supérieur au sien. Il dramatise tellement en vrai. Mais a-t-il réellement tort ? Je ne pense pas. Avec tout ce qu'il me raconte là, je me rends compte à quel point tout est différent. Et s'il avait raison ? Et si tout allait être différent dorénavant ? Je ne serais plus embarqué, je ne partirais plus en missions lointaines mais ça c'est normal, c'était mon choix de toute manière étant donné qu'avec les enfants et en tant que père célibataire c'est bien plus difficile de bouger. J'aurais des horaires plus flexibles et plus aménagé, ce qui est bien plus agréable pour, encore une fois, les enfants, d'autant plus que Clara et Arthur vont entrer à l'école à la prochaine rentrée, donc je devrais être plus présent. Non, vraiment, tout cela est parfaitement bien réfléchit et mon choix est arrêté -de toute manière je n'ai plus le choix, en vrai. Toutefois, je me rends compte que les incertitudes de Cian sont tout à fait justifiées.  « t'inquiète, ça va le faire» le rassurais-je du mieux que je peux  «On s'y habituera tous les deux » car moi aussi je vais devoir faire attention. Je ne pourrais plus faire des blagues sur nos supérieurs, je vais devoir avoir une tenue impeccable, physiquement mais aussi moralement et j'aurais bien plus de responsabilités.

Nous finissons toutefois par changer de sujet et parler d'Ailis, la fille de Cian de qui il s'inquiète beaucoup trop. C'est normal qu'il se prenne la tête, en même temps elle est toute petite et elle est encore à ce stade où elle est extrêmement dépendante de l'adulte qui s'occupe d'elle. Et le fait que je lui dise clairement qu'il se prend trop la tête tout seul ne lui plait pas. Alors qu'il lève les yeux au ciel, je pince les lèvres, me traitant de con de l'avoir à nouveau vexé. Je le sais pourtant, que Cian déteste être mit face à ses faiblesses et qu'on pointe celles-ci du doigt. Et nous venons tout juste de renouer, si je continue comme ça je vais réellement le perdre !  «Et c'est normal » reprenais-je subitement  «Mais essaie de pas trop te prendre la tête. Enfin ...faut essayer de trouver le juste milieux entre trop de panique et pas assez et c'est super compliqué, crois moi mon expérience » et je laisse échapper un rire amusé.

Cian fini toutefois par se confier plus sincèrement à moi, m'expliquant ce qu'Amos lui a dit la dernière fois concernant Eavan et le fait qu'elle puis revenir un jour pour reprendre Ailis. Et voilà que mon esprit rationnel et réfléchit se réenclenche soudainement. Avant même que je ne puisse dire quoique ce soit concernant ses doutes et questionnements, je lui demande s'il a bien tout gérer au niveau adoption et mon soulagement est énorme lorsque j'apprends qu'Ailis est effectivement sa fille officielle depuis une semaine avant le départ de sa mère.  «Parfait» soufflais-je en hochant la tête et en prenant une gorgé de ma boisson.  « Le statut de mère ne prévaut pas toujours. » confirmais-je  «Certes, dans 90% des cas c'est la mère qui obtient la garde des enfants, mais c'est souvent simplement à cause du fait que le père ne souhaite pas se battre. C'est horrible à dire mais il y a beaucoup de père qui s'en foutent un peu des enfants et qui préfère les laisser à leur mère  » je pince les lèvres  « Mais si on se bat et qu'on montre à quel point on souhaite la garde des enfants, au yeux de la justice le statut de père n'est pas différent de celui de la mère » j'hausse les épaules, persuadé de ce que j'avance alors que je pose un regard compatissant sur Cian qui se morfond sur le fait d'avoir été aussi con.

 «Tu n'as pas été con. T'as juste pas été intelligent pour le coup » je pouffe de rire  «Non je rigole, pardon » je secoue la tête et fini mon café  «Par amour on fait des choses incompréhensibles et idiotes parfois. Mais ...voilà. Maintenant tu peux regarder vers l'avant et oublier le passé car c'est le futur que tu es entrain de construire pour Ailis et pour toi. Et le futur est aussi vierge que beau. » reprenais-je avec sincérité.

« T'inquiète, ça va le faire. » Bien sûr que, dans le fond, ça va le faire, mais serais-je vraiment son meilleur ami si je me plaignais pas juste un peu ? Je dis pas que tout va dramatiquement changer, il va clairement falloir que l'on revoit certaines de nos manières, mais dans le fond, il reste Thomas. Celui que je connais par cœur dans le travail et en dehors. « On s'y habituera tous les deux. » Les premiers temps risque d'être un peu compliqué et je suis persuadé que Sullivan va s'en donner à cœur joie pour nous surveiller. Il adore me faire des remontrances même si la plupart du temps cela reste entre nous, avec un autre, je crois que j'aurais perdu mon travail pour cause d'insubordination depuis bien longtemps. Je mesure ma chance et si parfois, je joue avec les limites, je sais encore m'arrêter quand il est temps.

Si plaisanter un peu nous a permis de relancer la discussion, c'est assez rapidement que je lui fais part de certaines choses qui me travaille depuis quelque temps. Notre dispute nous aura éloigné pendant de longues semaines et s'il y a bien quelqu'un avec qui j'avais réellement envie de parler, c'est tout de même Thomas. Il m'énerve parfois, mais de nous deux, c'est lui qui a été père en premier et c'est lui qui saura me conseiller. D'ailleurs, il n'hésite pas un instant pour le faire. « Et c'est normal. Mais essaie de pas trop te prendre la tête. Enfin... Faut essayer de trouver le juste milieux entre trop de panique et pas assez et c'est super compliqué, crois moi mon expérience. » Je hoche la tête ne sachant pas si je dois être rassuré ou encore plus me creuser la tête. « Ca va quand même bien mieux qu'au début. » On commence à se construire une petite routine avec Ailis, il fallait juste le temps de mieux se comprendre. « Je commence à mieux comprendre ce qu'elle veut, puis je crois qu'on a trouvé notre rythme avec la crèche et tout ça. » D'ailleurs, c'est grâce à Thomas que j'ai pu trouver la place à la crèche et il faut bien avouer que ça me sauve la vie. Pour le moment, je n'ai pas eu à faire de mission embarquée, mais je redoute un peu le jour où cela va arriver.

On en vient à parler d'Eavan, parce que c'est aussi quelque chose qui occupe un peu trop mon esprit ces derniers temps. Je doute qu'elle veuille revenir, mais Amos m'a foutu la trouille et Thomas aide pas trop avec ses statistiques. Il faut pas que je pense à cela, je vais juste me renseigner pour éviter le pire. Il a dit que je devais pas paniquer de trop et il a raison Thomas. « Tu n'as pas été con. T'as juste pas été intelligent pour le coup. » Il rit et je fronce déjà des sourcils, attendant la suite un peu fébrile. « Non, je rigole, pardon. » Je hoche la tête serrant les bras sur mon torse. « Je connais ton avis là-dessus Tom, mais pour notre amitié, on va juste pas commenter. » Je crois que c'est mieux pour nous deux. J'ai conscience, petit à petit, de ne pas avoir fait les bons choix, mais je n'ai pas besoin qu'il me le remette sous le nez constamment. « Par amour, on fait des choses incompréhensibles et idiotes parfois. Mais... Voilà. Maintenant, tu peux regarder vers l'avant et oublier le passé, car c'est le futur que tu es en train de construire pour Ailis et pour toi. Et le futur est aussi vierge que beau. » C'est qu'il tape juste ce con et ce qu'il me dit me touche malgré tout. « Tu m'avais manqué vieux con. » Juste pour la forme, pour le faire râler un peu aussi. Un instant le silence s'installe entre nous, juste ce qu'il faut pour que ce soit apaisant et mon regard se perds sur son profil. « Comment tu vas toi ? Et les enfants ? » Est-ce qu'il y a eu du nouveau avec Myrddin ou même avec Allan ? Je n'en sais strictement rien.