TAKE MY MIND AND TAKE MY PAIN
Raelyn Blackwell & @Alec Strange - 2008

« Mitchell sait obtenir ce qu’il veut comme tu l’as remarqué. » C’est vrai. Mitchell est impressionnant de volonté et de détermination et, au délà de ça, il sait mener son monde à la baguette. Lors de nos soirées tous les quatre, je l’ai toujours trouvé charismatique et impressionnant, même si nous n’avons jamais réellement eu l’occasion d’échanger uniquement tous les deux. « Ouais j’ai remarqué. Et il sait ce qu’il veut. » Bien plus qu’Alec, qui m’a toujours donné l’impression de se laisser porter par le courant et plus encore qu’Aaron qui, au terme de son existence, commençait à hésiter et à évoquer avec moi ses envie d’autre chose. ”On pourrait se tirer.”, je me souviens de cette discussion que nous avons eue, quelque jour avant sa mort. Allongés dans le lit, il avait pressé son corps contre le mien avant de couvrir mon abdomen de baisers. ”Toi, moi, on pourrait se barrer à l’autre bout du pays ou à l’autre bout du monde, et recommencer ailleurs, autrement.” Ailleurs et autrement. Il n’a jamais réussi à me soutirer la moindre réponse, et je suppose qu’à présent ça n’a plus la moindre importance.

Les souvenirs qui m’assaillent sont insurmontables, si bien que je me concentre corps et âme sur autre chose : l’histoire d’Alec fera parfaitement l’affaire tant qu’elle m’aide à me penser à quelqu’un d’autre que moi, à quelqu’un d’autre que mon ancien amant. « Une vie à la con, comme ici. Mais une femme surtout. » « Ah, une femme. » J’ai du mal à l’imaginer accompagné Alec, peut-être est-ce parce qu’il m’a toujours semblé être le plus volatile des trois. « Elle pouvait pas te suivre cette femme ? » Je suppose que non puisqu’elle n’est pas là, mais à travers cette question je l’invite surtout à me raconter le pourquoi, s’il le souhaite. « Il savait qu’elle existait cette femme, ton frère ? » A-t-ils sciemment exigé d’Alec ce sacrifice ou a-t-il simplement été aveugle à ce qu’il se passait dans la vie de son cadet ? « Je crois qu’il y avait pas vraiment de choix possible. C’est mon frère. On est partis de Las Vegas pour le Nouveau Mexique ensemble. C’était logique de le suivre ici aussi je suppose. » C’était à l’autre bout du monde pourtant et j’ai du mal à concevoir la chose : je n’ai jamais tenu aux miens. Un frère j’en ai un, et si notre enfance n’est pavée d’aucune sombre querelle, nous n’avons jamais été proches. Je me suis tirée dès que j’ai pu, sans me retourner ou penser à les prévenir, ils l’ont toujours su, de toute façon. « Plus maintenant. Il y a le restau ici et le Club.  Là bas, il y a qu’une de mes sœurs que j’aurais envie de revoir. Le reste j’en ai plus rien à foutre j’crois bien. » « Tant que tu regrettes pas. » Y pense-t-il encore parfois ? A-t-il tenté de la recontacter cette femme ? Sait-il ce qu’elle est devenue ? « T’as encore des contacts avec ta famille ? Il y a eu quoi avant Brisbane ? » Ah. Je suis donc redevenue le sujet de la conversation. Ce sujet là au moins, il m’indiffère. « Y’avait rien avant Brisbane. » Je m’exprime d’un ton neutre, comme s’il s’agissait de l’histoire d’une autre. « J’ai grandi à des centaines de kilomètres d’ici dans un trou paumé. Je me suis tirée dès que j’ai eu l’âge et l’occasion. » Ces souvenirs là au moins ne me blessent guère. « C’était y’a trois ans, je les ai jamais recontactés. J’ai rencontré Aaron un an après, la suite tu la connais. »

TAKE MY MIND AND TAKE MY PAIN
Raelyn Blackwell & @Alec Strange - 2008

« Elle savait rien, de moi de Mitchell, de Mavis, elle avait aucune idée de ce qu’on faisait réellement. Ca n’aurait pas marché. » Cette fille, lui a-t-il laissé une chance de voir qui il était vraiment et de lui prouve que ce qu’elle ressentait pour lui était plus important que ça, plus fort, et qu’elle était capable de l’encaisser ? Après tout, Aaron n’aurait-il pas pu faire la même chose avec moi ? Tout me cacher ? « T’auras dû lui dire, lui laisser une chance de te montrer qu’elle pouvait l’encaisser. T’aurais peut-être été surpris. » Ma comparaison avec mon propre couple - il va falloir que je me rende à l’évidence et que j’arrête d’utiliser ce mot - je la garde pour moi : elle est trop personnelle, trop douloureuse et, surtout, nous n’avons rien à voir avec Alec et son ex à laquelle il a toujours menti. « Ouais.  C’était ma décision dans tous les cas de le suivre.  » J’ignore si je dois le croire et le fait est que si je veux être tout à fait honnête : je m’en fiche. C’est leur relation, elle ne me concerne pas et je n’ai aucunement l’intention de m'immiscer entre eux simplement sous couvert d’une curiosité malsain. Je ne suis pas du genre à tirer les vers du nez d’autrui de toute façon, même lorsque je tiens à eux : je les laisse venir à moi et s’ils le font, j’écoute. Sans ça, cela ne m’empêche pas de dormir. « Je lui dois beaucoup. » « A toi aussi tu te dois beaucoup. Tu penses beaucoup à lui. » ...  Pas autant que lui a l’air de penser à toi et à tes besoins. Je le pense mais je le tais : je ne connais pas encore assez les deux frère pour me permettre ce genre de remarque et surtout, encore une fois, ce n’est pas mon rôle et ce n’est certainement pas le moment. Au fond, je ne m’y intéresse que parce que cela m’occupe l’esprit et détourne mon attention de ma propre détresse.

Je suis incapable de prétendre ou de mentir et je n’en ai pas l’intention : je me fous bien de savoir ce qu’est devenue ma famille, ce qu’ils font en cet instant et, si je le devine puisqu’ils sont terriblement prédictible dans leur besoin de mener une vie morne et sans savoir à mes yeux, je n’y pense pas, jamais. « J’crois que j’aimerais avoir ton indifférence. » Un mince sourire étire mes lèvres : c’est tout ce dont je suis capable en ce moment et c’est déjà un exploit en soit. « Mon indifférence ? Je le suis, aux choses qui ne comptent pas. » Et si les liens du sang sont irréfutable, j’ai compris il y a longtemps que, pour une raison que j’ignore, il n’ont pas la moindre importance à mes yeux. « Je dis ça mais je suis pas sûre que si nos parents étaient encore en vie on aurait encore des contacts avec eux non plus. » « Ils sont morts tous les deux ? » Cette fois ci il s’agit bien de curiosité : je n’en manque pas concernant le chemin qui a mené les deux frères là où il en sont aujourd’hui, puisqu’il est pavé de succès.

TAKE MY MIND AND TAKE MY PAIN
Raelyn Blackwell & @Alec Strange - 2008

« Ça aurait servi à rien. Je serais parti. » Je n’insiste pas : elle l’aurait peut-être suivi cette demoiselle et il s’est certainement posé la question ou en tout cas demandé ce qu’il se serait passé s’il avait osé lui parler et lui ouvrir une porte sur son passé et qui il était réellement. Je n’ai pas à coeur de trop creuser au dépit de sa sensibilité et de ses sentiments : cette histoire ne m’intéresse que parce qu’elle détourne mes pensées de ma propre tragédie, bien plus récente et qui me laisse encore avec des plaies à vif. Alors je me tais, je ne demande pas comment elle s’appelait ni à quoi elle ressemblait la demoiselle qui a détenu les clés de son coeur un temps, peut-être encore aujourd’hui même s’il prétend le contraire. Je replace mes jambes en tailleur et, mon joint terminé, j’en allume un second : je le regretterai peut-être mais je n’ai pas l’impression que l’anesthésie tant attendue soit suffisante.

Ce sur quoi je me permets une réflexion, c’est sa dévotion à son frère : elle semble sans borne et, malgré le respect que je nourris pour l’aîné, je la trouve démesurée. Aaron lui même dépeignait Mitch comme prenant parfois Alec pour son larbin et si je trouve dommage que le brun ne soit pas capable d’ouvrir les yeux à ce sujet - j’en suis convaincue - ce n’est pas là mon rôle : je ne soufflerai pas de vent de discorde sur la fratrie Strange. « Faut bien que quelqu’un le fasse. » Je hausse les épaules, vidée de toute émotion je donne peut-être l’impression d’être détachée, trop détachée, mais tant pis. « Et t’es sûr que c’est ton rôle ? » Moi, je suis persuadée du contraire et, de plus, Mitchell possède la force de caractère nécessaire à s’occuper de lui tout seul.

« Ouaip. Elle s’est suicidée. Et lui il s’est fait buter. » Les tragédies familiales n’ont jamais su m’émouvoir : c’est à croire que je ne suis pas née avec le gène permettant de les comprendre et les appréhender. J’ai quitté les miens il y a à peine trois ans et je ne les considère plus que comme des inconnus dont la vie évoluera à présent parallèlement à la mienne sans que nous ne nous croisions à nouveau. « Elle le méritait pas.  Lui par contre il aurait mérité de se faire buter bien avant. » Je l’observe, je porte ma cigarette à mes lèvres et je me contente de hocher la tête. Pas de c’est triste ou de je comprends ou encore de questions sur ce qu’il sous entend et sur l'origine de la haine qu’il semble porter à son paternel. C’est lui qui s’est ouvert, lui qui a abordé le sujet quand de mon côté je n’apporte au sujet que peu d’importance. Lui ne dit rien, il semble perdu dans ses pensées et moi, je réalise que j’ai trop fumé quand ma gorge se noue d’angoisse, effet inverse de celui que j’avais escompté. J’ignore l’heure qu’il est, je sens à nouveau mon éternelle nuit m’envelopper et mon deuil s’abattre sur moi. Alec est perdu dans ses souvenirs, sa dulciné ou ses parents certainement, et je me redresse doucement. « Je vais retourner sur le canapé. » Je vais à nouveau m’y allonger et m’y perdre, me perdre moi pour ne pas pas penser.