« On décide de prendre le binôme arrivé deuxième en finale avec nous, donc Kelly et Loan. » Et comme cela, en une fraction de seconde, nous voilà en finale.

Il nous aura fallu un bon bain chacun pour enlever toute la boue qui s’était accumuler sur notre peau et dans nos cheveux et une bonne nuit de sommeil pour pleinement considérer la décision d’Isaac et Grace. Ils nous emmènent en finale. On est en finale. Je ne cesse de me le répéter depuis notre arrivé vendredi soir. Cela me paraît tellement surréaliste. Je n’en reviens tout simplement pas. En finale, avec Kelly. Et malgré les tensions, malgré cette conversation que l’on n’arrive pas à avoir tous les deux, je suis heureux. Je plane à trois mille. On a repoussé nos limites et nous voilà aux portes de la victoire. « Je te le promets, on va tout faire pour la gagner cette aventure. » que j’annonce à Kelly, le dimanche soir alors que l’on s’endort tôt pour être le plus en forme possible le lendemain. J’ai cette sensation au fond de moi que l’on est pas arrivé jusque-là, malgré nos différences, pour rien. On va gagner et durant cette semaine, on trouvera un moyen de le faire ensemble. Coûte que coûte.

Et on reprend de suite les bonnes habitudes dès que le coup de sifflet annonçant le départ retentit. Kelly à la carte entre les mains, tête baissée, je l’entraîne à l’opposé de Grace et Isaac. Nous sommes plus que quatre, la bonne entente des derniers séjours s'est évaporé, désormais, c’est chacun pour soi. Que le meilleur gagne. Elle trouve de suite un itinéraire qui semble idéal, Kelly, et je me plante le long de la route, bras tendu mon plus beau sourire accrocher aux lèvres. Quelques voitures passent en nous ignorant complètement. Aurais-je perdu mon charme d’auto stoppeur. Non, je refuse de le croire, il y aura bien une petite mamie pour craquer face à mon sourire ou un mec qui ne résistera pas au charme de Kelly, non ?

Finalement, c’est un bus avec un monsieur d’un certain âge et une cargaison de gosse qui s’arrête auprès de nous. « Où allez-vous jeune gens ? » « Idéalement, à Perth. » que je réplique sans perdre mon sourire. L’homme se frotte le menton et soupire quelque peu, je suis prêt à lui dérouler mon meilleur discours, mais n'ai pas le temps d’en placer une. « Je veux bien vous prendre, mais notre camp est à Southern Cross, ça vous fera déjà un bon bout de chemin. » Je me tourne vers Kelly, toujours la carte à la main. « C’est bon pour toi ? » J’attends sa validation alors qu’une dizaine de paires d’yeux nous scrute depuis les premiers rangs du bus. Oh well… ça risque d’être fun.

Plus d’une fois, elle avait inspiré son courage au fond de ses poumons, ouvert la bouche, et aucun mot n’en était sorti. Plus d’une fois, elle avait voulu avoir cette fameuse conversation avec son binôme, lui partager ses pensées confuses et contradictoires, et continuer de demander pourquoi un demi-million de fois. Et elle s’était tue. Les silences étaient parfois longs et lourds sur la route, et il n’était pas rare que le regard de Kelly soit fuyant, sa gestuelle distante. Elle regardait au travers des vitres des voitures qui les prenaient en stop et se contentait d’un small talk poli. Les rires et les coups d’oeil complices avec Loan étaient portés disparus, malgré les émotions fortes de la semaine passée et ce qui semblait être une réelle avancée. Plus leurs premiers émois en tant qu’équipe lui manquaient, plus elle se demandait ; pourquoi. Malgré cette tension dans l’air, ils formaient toujours un excellent duo. La dynamique stratégique était inchangée, toujours aussi efficace, et ils avançaient à bon rythme sur la route vers Perth. Elle qui se voyait comme une erreur de casting au début de l’aventure endossait désormais le titre de finaliste. C’était surréaliste à ses yeux. Pourtant, elle savait qu’elle et Loan avaient tout fait pour atteindre ce stade et qu’ils le méritaient. Ils avaient battu les aventuriers nés, les plus sportifs, les plus déterminés. A chaque fois qu’elle élaborait l’itinéraire sur la carte, elle réalisait le chemin parcouru. Non, ils ne déméritaient pas, et aux portes de la victoire, ils en voulaient plus que jamais.

Ils avaient été avancés aussi loin que Kalgoorlie par leur premier chauffeur de la semaine avant d’être de retour sur le bord de la route. Loan avait toujours plus de patience que Kelly pour faire du stop, elle qui ne tenait pas plus de quelques minutes le pouce en l’air avant d’en avoir assez. Lorsqu’un bus s’arrêta à leur niveau, elle soupira de soulagement. Il était très peu probable qu’un car rempli d’enfants puisse les mener à Perth directement, mais Southern Cross était sur leur chemin, et Lee fit signe à Loan que cela lui convenait très bien. A dire vrai, elle se réjouissait de faire quelques heures de route avec les scouts, elle qui adorait les enfants. “Qu’est-ce qu’on dit les kids ?” lançait leur moniteur à la joyeuse troupe qui répondit en coeur ; “BONJOUUUUUUUUUR !”

Jim, Jack et John -sans rire- se battirent en tortillant des fesses pour que la jolie dame s’assied à côté d’eux. Pour ne pas faire de jaloux, elle opta pour le siège libre à côté d’une petite Clitorine -dont les parents n’avaient aucune conscience- de l’autre côté du couloir central, mais juste à côté d’eux. Elle les trouvait tous adorables, avec leurs uniformes bleu et vert. “T’as révisé tes classiques j’espère.” lança-t-elle à Loan dont elle doutait qu’il ait jamais été chez les scouts une fois dans sa vie. “Ok les kids, on reprend !” Et tous entonnèrent avec enthousiasme ;
“The wheels on the bus go round and round
Round and round, round and round
The wheels on the bus go round and round
All through the town.”

La dynamique de notre duo a pris un tournant drastique. Oh, la stratégie est toujours la même, la mécanique parfaitement huilée, mais le reste... C'est à peine si Kelly ose me regarder et nos conversations ne cessent de tourner en rond. C'est si banal que ça en deviendrait douloureux. Il fait beau, on a de la chance d'être au final, on est toujours sur la bonne route ? Rien de plus. Juste le strict minimum. Ce qui nous permettra probablement de tenir jusqu'à la fin. Mon sourire ne dépérit pas malgré tout. Je continuerais à garder un esprit positif, à lui montrer que malgré ses propos, je ne lui en veux pas, que je l'accepte à mes côtés. L'innocence des premières semaines me manque, mais jamais je ne lui forcerais la main. Tant que l'on avance ensemble, tant qu'elle garde ses reproches pour elle, tout ira bien. J'ose l'espérer.

Après un premier trajet plonger dans un silence tout ce qu'il y a de plus religieux - je frissonne à l'évocation de ce mot. Voilà que c'est désormais un bus empli d'enfants qui semblent vouloir nous aider à faire un bout de chemin. Au moins, l'ambiance n'en sera que plus animé non? Des enfants, c'est tout ce qu'il me fallait pour retrouver un véritable sourire et lorsqu'ils nous hurlent un bonjour à l'unisson, mon cœur se réchauffe un peu. « Bonjour les enfants! » Ils sont tous vêtu du même uniforme ce qui me fait légèrement froncé des sourcils. On porte un uniforme en colonie maintenant ?! Je dois dire que je n'y connais pas grande chose et je n'ai pas le temps de m'interroger plus que déjà on nous interpelle dans tous les sens.

Me voilà coincé entre la bande de Pierre, Paul, Jacques australien. Ils sont légèrement surexcité de voir la caméra, mais je crois que c'est surtout Kelly qui les fascine. Pas le temps de faire connaissance, voilà que l'animateur nous entraîne dans une reprise animée et joyeuse d'une fameuse comptine. « Je vais l'avoir en tête jusqu'à la fin... » que je préviens Kelly alors que Jim me donne un coup de coude pour que je chante avec eux.

« The wipers on the bus go Swish, swish, swish
Swish, swish, swish
The wipers on the bus go Swish, swish, swish
All through the town » Jack me montre la gestuelle tandis que John s'évertue a vouloir chanter plus fort que les autres dans une voix légèrement trop aiguë.

Et on fera touuuuute la chanson, jusqu'au bout, à la dernière ligne. C'est loin Southern Cross?! Pas le temps de s'évertuer à demander l'information à Kelly, voilà que Jim décide de voler en solo. Il se redresse droit sur son siège et vient coller son nez à quelques centimètres de la caméra de Parker. « Tu film quoi?! » « On va passer à la télé ? » « C'est quoi votre aventure? » « C'est quand qu'on arrive? » Les questions se mettent à pleuvoir dans tous les sens sans aucune interruptions, alors que de son côté Kelly semble bien tranquille aux côtés de la gamine la plus sage du bus. Parker est déjà au bout du rouleau alors que Jim - ou Jack je sais plus - commence à toucher à sa caméra. « Eh vous savez qu'avec Kelly on a sauté dans le vide ? Et qu'on a mangé des araignées. » Ça devrait attirer leur attention ça, non ? « Pfff même pas vrai! » Je hausse les sourcils alors que mon regard croise celui de Jack, je crois, qui me toise d'un air de défi. « Bien sûr que si c'est vrai! » « Ah ouais, alors comment l'araignée elle t'a pas mangé le ventre d'abord ? » Mais il est con ce gosse où ?! « Parce que je l'ai mangé! » Et il se tourne vers Kelly en se levant précipitamment. « C'est vrai de vrai? »

Spoiler:

« Je vais l'avoir en tête jusqu'à la fin... » se plaignait Loan alors que Kelly chantait à tue-tête. Elle avait quelques années de scoutisme à son compteur, et une assez bonne mémoire pour avoir archivé tous les chants d’enfants. “Et encore, t’as pas entendu I found a peanut. Juste assez insupportable et glauque comme il faut.” L’histoire d’un gamin qui trouve une cacahuète pourrie, la mange quand même, fait une réaction allergique, meurt, se fait refouler au Paradis, puis de l’Enfer, et réalise finalement que tout ceci n’était qu’un rêve. Les chants scouts ne faisaient pas toujours dans la dentelle.
A la fin de la comptine, Loan tente de détourner l’attention des petits de la caméra -sans quoi Parker ne se retrouvait plus en mesure de faire son travail. Bien entendu, ils n’achetaient pas un mot de ce que le brun disait -ce qui n’était pourtant qu’un tout petit aperçu de leurs aventures depuis le début. “Vrai de vrai, assura-t-elle. Et en plus de l’araignée il y avait de la cervelle, encore fraîche et sanglante…” Faisant appel à l’imagination débordante des enfants, elle mimait, entre ses mains, la cervelle gélatineuse et dégoulinante, comme tout juste arrachée du crâne d’un mouton. L’assemblée est à la fois dégoûtée, terrifiée et fascinée. “Et après, il y avait un oeuf de cent ans !” elle reprit. “Cent ans ?!” Ils en avaient le souffle coupé. C’était vraiment très, très vieux. “Cent ans. Il était tout noir et gluant, et il sentait comme les pieds.” Ou plutôt, comme si du fromage de chèvre avait infusé pendant deux semaines dans les chaussettes usées d’un joueur de football. “Yeeeeeeeuk !” ils s’exclamaient tous ensemble d’une seule voix. Sauf une ; “Je me sens pas bien.” C’était le petit Jack. Lorsque le regard de Kelly se posa sur lui, le garçonnet avait pris une teinte entre le gris et le vert, synonyme de grosse nausée. Peut-être que la description vive et imagée de Kelly lui avait retourné l’estomac. “Jack le vomito ! Jack le vomito !” scandaient les autres. La brune saisit immédiatement que l’enfant était un habitué de ce genre d’incidents. “Ah non, non, non !” Elle ne supportait pas l’odeur des régurgitations et risquait elle-même de déverser le contenu de son estomac. Une réaction en chaîne dont personne ne voulait. “Monsieur !’ elle appelait le moniteur au bout du bus. Cependant, il ne réagit que trop tard, et Jack vomit généreusement… sur Loan. ‘Je… désolé…” qu’il bégayait en retenait un sanglot de honte. Kelly, elle, retenait ses propres hauts le coeur. “C’est pas grave, mon chat.” elle lui assurait, pâle à son tour, la main devant la bouche en prévision du pire. “Arf. Pat’ ! Jack a rendu son déj’ encore.” lançait un moniteur à l’autre, l’air profondément dépité. Tout l’habitacle allait désormais être embaumé dans cette odeur acide. Le Pat’ en question s’occupa de nettoyer le tout aussi bien que possible. On ouvrit le haut les vitres du bus et la trappe du toit afin d’aérer. “Tenez, pour vous changer.” adressa le moniteur à Loan, lui tendant un uniforme adulte de secours. Lee était à la fois dégoûtée et désolée pour lui.

@Loan Severide

Pour la première fois de l’aventure, j’ai la sensation d’être l’ignorant de service, alors que Kelly semble être comme un poisson dans l’eau. Soit elle a écumé les colonies pendant sa jeunesse, soit elle a une obsession un brin bizarre pour les comptines de gosses ? « Et encore, t’as pas entendu I found a peanut. Juste assez insupportable et glauque comme il faut. » Glauque ? Comment une chanson pour enfant pourrait être glauque ? Non parce que la chanson que l’on est en train de chanter est plutôt cool, assez enfantine, elle reste en tête. « Je dois poser la question ou je préfère ne pas savoir ? » Et avant que Kelly n’ait le temps de répondre quoique ce soit, le gamin qui est assis juste derrière moi souffle bruyamment. « T’as le droit de te taire. » Eh mais c’est l’armée ici ou bien ? Me voilà obligé de chanter avec les gosses et si je boude les trente premières secondes, je finis par être bien plus enjoué que Jim qui semble en avoir ras la casquette des roues du bus.

« Vrai de vrai. Et en plus de l’araignée, il y avait de la cervelle, encore fraîche et sanglante… » Elle a pris un tout autre tournant, la conversation, et tous les gosses sont scotchées à leur siège, les yeux fixés sur Kelly, qui raconte et qui mime. Elle semble à l’aise là, entourer de mioches, le sourire aux lèvres, l’air enfin détendu. J’apprécie de la voir comme cela même si elle est clairement en train de traumatiser la moitié du bus en détaillant par le menu notre dernier dîner en date. « Cent ans. Il était tout noir et gluant, et il sentait comme les pieds. » Le cri de dégoût qui suivit me fit rire aux éclats. « Et c’est elle qui l’a mangé. » Parce qu’elle avait pas rechigné Kelly, bien au contraire. Elle m’avait impressionné, mais ça, peut être que je lui dirais plus tard. Quand on aura perdu notre public. Peut-être aussi, quand Jack aura retrouvé toutes ses couleurs. Il devient transparent, tel un revenant, alors que tous les gamins se moquent de lui. « Eh soyez sympa. » Oh que j’aurais dû me taire. Kelly se charge du gosse, le fait pivoter et voilà qu’il régurgite sur mon short et mes jambes nues. « JACK ! » Un frisson me parcourt alors que je retiens un haut le cœur. « Fait chier putain… » « FAUT PAS JURER ! » Elle me toise du regard Clitorine et je parie que Kelly était sur le point de me rappeler de faire attention à mon langage. Je tire la langue et fixe mon regard loin devant pour ne pas penser au petit déjeuner de Jack qui repose sur moi. « C’est pas grave, mon chat. » « Tu devrais partager avec la dame Jack. » que je raille alors que je retiens un nouveau haut le cœur. « Kellyyyyyyyy. » Je veux qu’elle m’aide, qu’elle fasse un truc.

Cinq minutes, plus tard, me voilà debout dans l’allée du bus a tenté d’enlever mon short sans toucher la substance dégoûtante qui se trouve dessus. Tous les gamins sont en train de me regarder, on frôle l’exhibitionnisme. Je fais vite, avant de retirer mon tee-shirt et sentir un petit doigt gelé venir se coller sur mes côtes. « Ma maman, elle a dit c’est pas bien de se dessiner dessus. » Je fronce les sourcils avant de faire tomber mon regard sur une minette aux longues tresses blonde qui pointe mon tatouage. « Faut que tu nettoies. » « Je peux pas l’enlever ça ma belle. » Surprise, elle rameute tous les autres pour regarder de plus près. Je profite d’un moment d’inattention pour enfiler mon nouveau haut. Et me voilà affublé comme ce très cher Pat. Et c’est là, en fermant le bouton de la chemise que je remarque la croix sur la poche gauche. « C’est des scouts ?! » Et seulement, je réalise dans quel guêpier je me retrouve. « Je comprends mieux pourquoi ça te plaît. » Je ne voulais pas être méchant, mais la remarque ressort presque acerbe. « Aller Jim bouge tes fesses sinon je m’assois sur toi. » « Nooooon. Puis on va chanter encore, faut que t’apprenne Loan hein. » Le trajet va être long.

Le léger courant d’air instauré par les différentes ouvertures dans le bus permirent à Kelly de calmer ses hauts le coeur de justesse. L’odeur était persistante, mais elle se répétait qu’elle avait vu pire -ce qui était désormais le cas- et qu’elle avait survécu à chaque fois. Elle était bien capable de garder son estomac accroché. Et puis, il y avait la distraction générale : Loan changeant d’habits au fond du bus. Garçons et filles étaient fascinés. Lee, elle, avait déjà quasiment tout vu de son partenaire à force de passer ses journées et ses nuits avec lui depuis le début de l’aventure. Ils avaient partagé lits, canapés, tentes ; la pudeur et l’intimité étaient rapidement devenus un luxe dont les vestiges consistaient à se retourner quand l’autre se changeait. "Ça te va comme un gant." commenta l’australienne avec un petit sourire moqueur une fois Loan rhabillé. Celui-ci sembla tomber des nues en inspectant son nouvel uniforme. « C’est des scouts ?! » Elle n’arrivait pas à croire qu’il ne l’avait pas compris dès le départ. "Tu croyais que c'était quoi, les jeunesses hitlériennes ?" plaisantait-elle. « Je comprends mieux pourquoi ça te plaît. » Et son sourire s’effaça aussitôt tandis qu’elle se retourna dans son siège, raide comme un piquet.

I know a song that gets on everybody's nerve,
Everybody's nerve, yes, on everybody's nerve,
I know a song that gets on everybody's nerve,
And this is how it goes…

Les scouts répétaient les seuls et uniques vers de cette agaçante chanson depuis au moins un quart d’heure désormais, sans avoir l’air de s’en lasser le moins du monde. Au départ, Kelly chantait de bon coeur avec eux, replongée dans son enfance. Elle avait entamé un jeu de mains avec Clitorine, en rythme sur la mélodie entonnée par tout le car. Et petit à petit, elle se lassa, jusqu’à ce que la chanson menace de lui flanquer un sévère mal de crâne. “Vous voulez pas plutôt chanter “The ants go marching” ?” C'était au moins tout aussi agaçant au bout d'un moment, mais au moins, cela les changerait de mélodie. “NON.” Et ils reprirent de plus belle.

Soudain, le bus est pris d'une violente secousse.


Win : Ce n'est qu'un pied de poule mais assez violent pour que le coude de Jack atterrisse dans le nez de Jim et le casse.
So close : Le bus a écrasé un animal, tout le monde descend, c'est l'occasion parfaite pour faire un cours d'anatomie sur un cadavre de numbat.
Fail : une roue a crevé, la dépanneuse ne peut pas venir avant le lendemain, on monte le camp !

J'ai l'air d'un idiot. "Ça te va comme un gant." Bien sûr qu'elle se moque alors que j'ai l'air affublé d'un costume pour mardi-gras. Et mon regard croise le sien, malicieux et rieur. L'espace d'un instant, c'est comme si tout revenait à la normale. Elle me manque, vraiment, cette complicité-là. "Je vais avoir l'air malin!" que je ronchonne tout en lui tirant la langue. Les couleurs ne sont pas dégueulasse, mais le short est un peu court et la chemise un brin trop guindé. Esprit de rébellion, je laisse plusieurs boutons ouverts. On ne m'en voudra pas, je ne fais pas parti de leur secte, parce que je viens seulement de réaliser, que leur petit uniforme n'est pas si innocent que cela. C'est comme si l'aventure se voulait thérapie de conversion. On met sur mon chemin que des personnes qui se feront une joie de me rappeler qu'elle erreur de la nature je suis. "Tu croyais que c'était quoi, les jeunesses hitlériennes ?" Il y a encore deux semaines, j'aurais ris aux éclats. Aujourd'hui, je ne peux m'empêcher d'entendre les paroles passés de ma partenaire, résonner dans un coin de mon crâne. "Ça pourrait y ressembler." La comparaison est faible, au ras des pâquerettes, mais la blessure, elle, est toujours à vif. On se défend avec nos armes. Elle se vexe Kelly, me tourne le dos, la tête bien droite. Mon for intérieur voudrait s'excuser, ma conscience me dit de gentiment retourner à ma place.

Je vais leur crever les yeux. Les étouffés avec leur cravate ? En jeter un sous les roues du bus ? J'adore les enfants, mais là c'est juste plus possible. Cette chanson est tout ce qu'il y a de plus horrible. Pire que les poupées vaudous de Dame Tuk-Tuk. Non je n'exagère pas, merci bien! “Vous voulez pas plutôt chanter “The ants go marching” ?” "Mais fais les taires!" au lieu de proposer une autre chanson qui sera probablement tout aussi horrible. A mes côtés Jim a décidé de coupler la chanson à son doigt qui ne cesse de venir cogner mon biceps. "Eh buddy... Tu pourrais arrêter?" "Non c'est drôle." Tu m'étonne. Monstre.

Pas le temps de me plaindre plus longtemps, une secousse fait trembler le bus, suivi par un coup de frein qui envoi tout le monde valser dans le siège de devant. 'Je crois que j'ai percuté quelque chose..." Ni une ni deux, branlebas de combat dans le bus, les portières s'ouvrent et la moitié des gosses se précipite dehors vers l'avant du bus. Des sadiques je vous dis. Et voilà qu'on les suit sans demander notre reste, pour se retrouver face au cadavre d'un pauvre petit numbat. "Oh non regardez pas!" Et je tente d'entraîner leur âme innocente au loin, mais John me pousse et veut aller voir de plus près. "Trop cooooool y a les boyaux qui sortent." Il est où Jack? Il va être malade encore. Je me rapproche du petit garçon et on préfère observer les arbres au loin alors que les autres ont le droit à un parfait cours d'anatomie délivrer par ce cher Pat'. Et après c'est moi le taré dans l'histoire ?!

Dix minutes plus tard, nous voilà de retour dans le bus. Clitorine à bien voulu, finalement, aller vers Jim, il est gentil qu'elle a dit, et je me retrouve à côté de Kelly. "Tu as fait des camps scouts?" Je m'intéresse réellement, je cherche à savoir, à comprendre. Sans réaliser que tout devant, Pat' se lance dans une explication de la vie tout ce qu'il y a de plus biblique.

"Mais fais les taire!" ordonne Loan, à des années lumière de son meilleur niveau de jovialité, décidément poussé à bout par le refrain éternel de la chanson qui portait si bien son nom. Immédiatement, la fillette assise près de Kelly s’indigne, debout sur son siège. “On parle pas comme ça aux dames !” De connivence, Lee tira la langue à son binôme de son plus bel air de peste. “Merci, Clitorine.” Et celle-ci renchérit ; “Surtout les vieilles dames !” Kelly pâlit, ravala sa fierté, et s’enfonça plus profondément dans son siège. Ah, les enfants savaient où appuyer pour faire mal.

Le car s’arrêta sur le bas côté de la route après avoir percuté un objet non-identifié. Immédiatement, la sommelière pensa que cela allait leur faire perdre un temps précieux. Tout ce qu’elle espérait, c’était qu’il n’y avait rien de grave. Ce qui s’était mangé le pare-choc du véhicule n’était autre qu’un animal. Le cadavre suscitait la fascination générale. Kelly, déroutée, médusée, assista malgré-elle au cours d’anatomie qui suivit la découverte du pauvre marsupial. Pat’ et son collègue avaient sauté sur l’occasion, qui semblait assez morbide aux yeux de la brune. “Alors ici, les kids, c’est le foie, et là, la rate.” Avec un bâton, Pat’ bougeait les organes étalés sur le bitume. Son enthousiasme était digne des plus grands serial killers. “Qui veut me montrer comment on dépeuce un numbat ?” qu’il lança à l’assemblée haute comme trois pommes. Et sous les yeux ronds de Kelly, quasiment tous levèrent la main. Vite, elle remonta dans le bus ; si elle assistait une seconde de plus au cours de science, elle allait rendre son estomac, et rien ne l’empêcherait cette fois.

Ils reprirent la route après la démonstration. Le jeu des places changeant pendant que les enfants remontaient à bord, Kelly se retrouva à côté de Loan. "Tu as fait des camps scouts?" qu’il demanda, faisait immédiatement remonter à la surface son offense d’un peu plus tôt. “Les jeunesses hitlériennes tu veux dire ?” ne manqua pas de commenter Lee, refusant de répondre autre chose. De toute manière, il n’était probablement pas réellement intéressé.

“Avant d’arriver au camp, revenons à notre lecture d’hier. Qui se souvient de ce qu’on a lu ?” Clitorine, droite dans son siège et le menton fier, leva bien haut la main. Tout chez elle rappelait à Kelly l’enfant qu’elle avait été à son âge. « Le Lévitique dit : “Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination.” » elle répondit, fière comme tout, sachant d’avance qu’elle avait la bonne réponse comme une petite Hermione Granger en herbe. “C’est très bien Clitorine. Alors… - Pourquoi ?” La main de Kelly s’était levée, mais elle n’attendit pas qu’on lui donne la parole et décida de lancer sa question, là, au milieu des enfants qui osaient demander pourquoi pour tout excepté les textes sacrés. Pat’ se figea. “Parce que deux hommes ne peuvent pas faire un bébé et que c’est le but de tout couple.” qu'il expliquait en version simplifiée et édulcorée pour les enfants présents. Lee sentit une flèche droit dans son coeur. Ce discours résonnait en elle comme un écho vieux de dizaines d’années. La même phrase dogmatique qui s’était ancré en elle pour transformer le prêche en souhait puis en condition vitale. Elle leva la main à nouveau, au plus grand désespoir de Pat. “Je ne peux pas avoir d’enfants, est-ce que ça fait de moi une abomination aussi ?”

“Les jeunesses hitlériennes tu veux dire ?” C'est si bien envoyé que je ne peux que baisser le regard. Je l'ai cherché, elle me le fait comprendre. Mal à l'aise, je me tortille quelque peu sur mon siège. Ma question était tout ce qu'il y a de plus sincère. De par ses idéologies, nous ne pourrions pas être plus opposés l'un de l'autre, mais dans le fond, je suis persuadé que ce terrain d'entente que nous avions trouvé les premières semaines, existe encore. Elle n'avait pas été feinte cette complicité. Je voudrais la retrouver. Je souhaiterais comprendre qui se cache derrière la carapace. Qu'importe ce que j'y trouverais. Parfois, il faut savoir creuser au-dessus de la surface.

Je n'ai pas le temps d'expliquer mes intentions, pas le temps de lui demander pardon. L'animateur semble vouloir garder les gamins intéresser jusqu'à notre arrivée et après les chansons viens le club de lecture. Je commence à devenir un peu méfiant, mais arbore un doux sourire lorsque la petite Clitorine se dandine sur son siège pour bien montrer son petit bras levé. Je m'attendais à une histoire de lapin magique, de dragon, de princesses. N'importe quoi qui entre dans le domaine de l'imagination des enfants. En rien, je n'avais prévu la réponse de la petite. "Le Lévitique dit : “Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination.” Une abomination. C'était déjà si violent dans la bouche de Kelly, c'est une vraie torture sorti de celle de la petite qui se tourne vers moi, sourire aux lèvres, si fière d'avoir donné la bonne réponse. Mon regard se perde sur les autres enfants. Un à un ils hochent de la tête, bon petit pantin matrixé par les idées des adultes. Je voudrais me confondre avec le siège. Je n'avais jamais eu autant envie de disparaître de la surface de la terre. J'ai l'impression que tout pointe vers moi. Je suis l'intrus, l'abomination. Le monstre. Je sens Kelly s'agiter à mes côtés et par réflexe recul presque trop brusquement. Je ne veux pas qu'elle me touche. Mon coeur bat à mille à l'heure, j'ai la sensation que je vais tourner de l'oeil. Ou serait-ce l'aube d'une crise d'angoisse.

Et voilà que ça parle de but du couple, de devoir concevoir pour exister. Je voudrais m'arracher la peau, ne plus être moi, ne plus exister. Je pense à Clément, a tout ce qu'il a pu me dire pour me rassurer. Je m'y raccroche tant bien que mal alors que déjà je suffoque. “Je ne peux pas avoir d'enfants, est-ce que ça fait de moi une abomination aussi ?” Ma respiration se coupe alors que je me tourne pour croiser le regard de ma partenaire. Elle me défend ? Non... Elle est réellement en train de parler d'elle. "Mais vous êtes avec un homme." Elle l'était. "C'est différent. Deux hommes ensemble, c'est... Contre nature. Dieu le condamne." Je me sens bouillir de l'intérieur alors que tous les enfants observent l'échange en silence. "Ma maman elle a dit que c'est dégueulasse." dit l'un des petits.

Et c'est la goutte de trop.

Spoiler:

Elle avait oublié la caméra. Elle n’avait pas réalisé que son aveu était désormais immortalisé pour être diffusé au pays entier. Sa stérilité, sa plus grande honte, son ultime échec, Kelly l’avait livrée au monde. Cette condition l’avait torturée, elle qui avait appris par coeur le discours que lui servait le moniteur. Elle avait divorcé, faisant un nouvel affront à cette religion embrassée par ses parents avant elle. Elle avait tout fait de travers selon les textes et pourtant, à chaque fois, elle avait eu le sentiment de faire ce qu’il fallait. Si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses. "Mais vous êtes avec un homme. C'est différent. Deux hommes ensemble, c'est... Contre nature. Dieu le condamne." Ce n’était que la présence d’enfants qui la retint de lui renvoyer son hypocrisie à la figure. “C’est injuste.” condamnait-elle à son tour. Oui, elle aussi elle trouvait cela répugnant, et oui, l’idée de deux hommes ensemble lui donnait la nausée, mais l’intimité de deux personnes qui s’aimaient ne la regardait pas plus pour deux hommes, deux femmes, que pour un couple hétérosexuel. Et elle aimait l’amour, Kelly, elle estimait que ce sentiment était la plus belle chose au monde. Pourquoi devait-elle répudier son ex-mari, pour qui elle avait tant d’affection ? Pourquoi ne pouvait-elle simplement saisir qu’il aimait quelqu’un d’autre ? Pourquoi se sentait-elle viscéralement obligée de rejeter Loan ? Pourquoi agissait-il comme s’il n’était pas l’exacte même personne depuis le début de l’aventure, et bien avant qu’il ne lui révèle qu’il était gay ? Pourquoi devait-elle se couper de deux belles personnes dans sa vie qui avaient prouvé leur valeur plus d’une fois ? “Paul dit que face à Dieu il n’y a plus homme ni femme. Si Il ne s’encombre pas de ces définitions, pourquoi ne pouvons-nous pas faire la même chose ?” Le regard des enfants faisait du ping-pong entre Kelly et Pat’, sans plus comprendre ce qu’il se passait. Le moniteur ne prit pas la peine de renchérir. “Je vais vous demander de descendre du bus.” fit-il simplement avant de signaler au chauffeur de s’arrêter. “Vous me le demanderez pas deux fois.” Kelly, visiblement contrariée, attrapa son sac et dévala l’allée centrale du car comme une boule de bowling. “Loan, vient !” le somma-t-elle. Les freins crisèrent, les portes s’ouvrirent, là, au beau milieu de nulle part. Cela ne dissuadait pas la brune de partir. Elle en avait assez d’écouter, appliquer et défendre des idées qui avaient poussé ses propres parents à couper les ponts avec elle. Ce n’était jamais assez bien, pour les gens comme eux. Elle en était convaincue, ce n’était pas Dieu qui tenait cette longue et interminable liste de condamnations ; c’était les Hommes, avec toutes leurs failles. “Bon… on a plus qu’à finir à pied.”

Je voudrais sortir de ce bus. Sauter en marche. Ne plus jamais les revoir, tous, Kelly y compris. Je hurle à l’intérieur, mais rien ne fonctionne à l’extérieur. Me voilà cloué sur mon siège, incapable de bouger, incapable de parler. Rien. Le silence le plus total, alors que le moniteur est en train de décortiquer mon existence, la personne que je suis, pour l’étaler sur la place publique tel un monstre de foire. C’est ce que je suis à leurs yeux. Même ceux de la petite Clitorine, si jeune pour comprendre la réelle porter de ses mots. Cloué sur mon siège, je sens ma respiration devenir de plus en plus difficile et Parker qui pointe sa caméra sur nous. Je voudrais l’étrangler, mais rien. Aucune réaction. Ils pourraient me jeter des pierres que je ne broncherai pas plus. Je me sens comme étouffer de l’intérieur. Je voudrais m’arracher la peau, me laisser aller sous le bus. Je serre la mâchoire, retiens les larmes. « C’est injuste. » Un rire nerveux m’échappe. Injuste en quoi ? Alors qu’elle tenait les mêmes propos, il y a encore de cela quelques jours. L’ironie est si énorme que je lève les yeux au ciel. « Paul dit que face à Dieu il n’y a plus homme ni femme. Si Il ne s’encombre pas de ces définitions, pourquoi ne pouvons-nous pas faire la même chose ? » Je n’entends pas la réponse de l’autre, mes yeux rivés sur le profil de ma coéquipière. Est-ce qu’elle tente de sauver la face ? Ou cela part d’une réelle réflexion de sa part ? Sûr de rien, je me recule quelque peu, lorsqu’elle se lève excéder. Meilleure actrice. Être outré de même propos qu’elle a pu tenir. Qui lui donne la palme d’or ? Ou est-ce réel ? Je ne sais plus. Je voudrais réellement la croire, mais la douleur est bien trop intense.

« Viens Loan. » Obéissant, je me lève de ma place et vais la rejoindre à l’avant, puis sur le trottoir à l’extérieur. Je n’entends pas les enfants qui nous crie au revoir. Je ne vois pas la mine déconfite de Jack qui colle son visage à la vitre pour me faire coucou. Tête baissée, je commence à avancer, sans prendre la peine de remarquer Kelly. Ce jeu est devenu mon jugement dernier. Je tremble, de rage, de colère, de peur. Je ne sais plus vraiment. Je sens la brune qui marche derrière moi et je continue à me renfermer dans ma bulle. Je crois la voir tenter une approche et me recule brusquement. « Laisse-moi. »

La scène se rejoue en boucle dans un coin de ma tête. Kelly qui avoue sa stérilité. Kelly qui finit par prendre ma défense ? Les propos de la petite fille se mélangent à ceux du responsable du camp, tout part de travers, je ne retiens plus tous les éléments, mais je réalise une chose. Kelly n’a pas complètement adhéré. Elle a tenté de voir par un autre prisme. Je veux tenter d’y croire, mais la journée se terminera dans un silence des plus glacial entre nous. Je suis positif pour beaucoup de choses, mais m’attaquer sur ma sexualité constamment… C’est bien trop.

Plus tard, je finirais par comprendre, que lentement, Kelly est sur le chemin de l’acceptation. Un pas après l’autre.