Perth. Malheureusement, Kelly et Loan n’avaient pas le temps de faire du tourisme dans cette grande ville de l’autre bout de l’Australie. La sommelière se contentait d’avancer en direction du port, le nez levé au ciel afin d’en voir le plus possible, le plus vite possible. Le pas était rapide, déterminé, enthousiaste. Dernière journée, dernières étapes. La mélancolie se mêlait à une certaine euphorie. Etait-ce vraiment vrai ? Les jambes de Lee étaient fatiguées, ankylosées par des semaines de course, d’aventures, des kilomètres de marche. Reconcentrée, son nez était à nouveau rivé sur la carte. Ils n’en eurent plus besoin dès lors que la senteur iodée de la mer vint leur chatouiller les narines. “On y est !” C’était là, la marina. Kelly leva haut la main afin d’échanger un high five victorieux avec son partenaire. Ils n’étaient pas encore au bout de leurs peines, mais le bout du chemin s’esquissait à l'horizon. Ils approchèrent d’un grand panneau d’information sur lequel les destinations et les horaires de chacun des nombreux bateaux étaient indiqués. C’était écrit si petit qu’une paire de jumelles paraissait nécessaire. Lee colla littéralement son nez sur le plexiglas. “C’est lequel pour aller sur l’île… ?” Zut, quel était le nom de l’île déjà ? Elle se souvenait que cela sonnait comme une race de chien. Rottweiler, Retriever… Rottnest ! “Ah !” Son doigt pointa la bonne ligne et la suivit tout le long des différents horaires de départ. C’était une traversée relativement fréquente, mais le temps leur était compté et ils ne pouvaient pas se permettre d’attendre. “Départ à… Oh.” Son regard relut l’heure, puis celle de l’horloge digitale, puis celle du lever d’ancre à nouveau. Il ne leur restait que dix minutes pour trouver le bon quai, acheter leurs billets, et monter à bord s’ils ne voulaient pas attendre une heure avant que le prochain n’arrive à son tour. Sans hésiter, Kelly prit son binôme par le bras et l’attira en direction des quais. “LOAN COURS IL VA PARTIR SANS NOUS.” Leur caméraman, lui, n’avait plus qu’à trotter derrière eux.

« On y est ! » Devant nous se dresse le port de plaisance de Perth. Après quelques légers soucis de directions, nous voilà arrivés à l’une de nos dernières étapes. La victoire, ou tout du moins la fin, se rapproche de plus en plus. Je n’en reviens toujours pas, ce soir, tout sera fini. En attendant, c’est Kelly qui mène la danse, comme toujours. Carte en main, elle se faufile entre les gens, les poteaux et les vélos comme si rien ne pouvait l’atteindre. Je suis même obligé d’accélère le pas pour pouvoir rester à son niveau. La foule se fait un peu plus intense alors que l’on arrive dans le cœur du port. « C’est lequel pour aller sur l’île… ? » On lève la tête en synchro pour observer tous les panneaux qui s’offre à nous. Sérieusement, qui aurait cru qu’il y est autant de départ de ferry à Perth ? Je découvre complètement la ville, je ne suis littéralement jamais venu de ce côté du pays. C’est quelque peu dépaysant, mais retrouver la civilisation, c’est aussi retrouver l’incivilité des gens. Je me fais presque pousser par un mec un peu trop presser tandis qu’un petit groupe de jeune ne cesse de nous suivre depuis qu’ils ont repéré Parker et sa caméra. Pas vraiment le temps d’analyser la situation, je resserre les sangles de mon sac à dos et poursuis ma petite course derrière Kelly qui semble avoir trouvé quelque chose. « LOAN. » « QUOI ? »que je hurle aussi fort qu’elle, prêt à exploser de rire. « COURS IL VA PARTIR SANS NOUS. »mais je n’en ai pas du tout le temps. Elle m’arrache presque le bras tout en m’entraînant dans la direction du Ferry qui sera le nôtre. Enfin… Si on arrive à le prendre. Je me précipite vers le guichet et détache le sac à dos pour essayer de trouver le petit trousseau où on garde notre argent. « Excusez- moi, c’est combien les deux billets pour Rottnest Island ? » Faites que ce soit pas trop cher. Pitié. On va tellement galérer sinon.

“PLUS VITE !” hurlait Kelly à Loan qui la talonnait. Le sac pesait lourd, la fatigue aussi. Ils arrivèrent au guichet à temps -le bon, espéraient-ils, tous les quais se ressemblaient. Essoufflée, l’australienne laissa son partenaire s’occuper d’acheter les tickets pour la traversée. Au fond de leur porte-monnaie, ils n’avaient pas assez. “Quoi ? Non. Impossible.” Ils avaient tant économisé, comment pouvaient-ils être courts de huit malheureux dollars ? Oh, wait. Voilà que leur dîner princier venait de leur coûter leur accès au bateau. “Ecoutez, on a vraiment besoin d’aller sur ce bateau, et… - Client suivant !” L’hôtesse ne s’embarrassa pas des simagrées de Kelly et fit signe à l’équipe de libérer la place. Outrée, la brune lui jeta son regard le plus noir avant de s’éloigner.

“On doit trouver une solution.” soufflait-elle en observant la marina, noire de monde, de mouettes, de navires. Plus loin, au delà des quais dédiés aux ferry, puis ceux pour les embarcations de plaisance, il y en avait pour les bateaux de pêche. Il y avait forcément quelqu’un dans le lot qui se rendait sur cette île. “Le port est immense. Je vais demander de l’aide de ce côté, prends l’autre.” suggéra-t-elle à Loan. En se séparant, ils couvriraient plus de terrain plus rapidement et augmentaient leur chances de dégoter une embarcation. Il ne leur restait plus qu’à afficher leur plus beau sourire -ou miser sur la présence de la caméra.

Au bout d’une dizaine de minutes, Lee secouait haut ses bras vers son partenaire. “LOAN ! ICI !” Elle venait de leur trouver un chauffeur. Ou plutôt, un marin. Un pêcheur prêt à les escorter jusqu’à l’île en échange de quelques dollars pour le gasoil. Le petit rafiot à moteur puait le poisson, mais ils n’avaient pas le luxe d’être tatillons. Une petit vingtaine de kilomètres les attendait, droit devant, jusqu’à leur destination. Des kilomètres de bleu, de vagues, et de créatures marines qui se devinaient à leur surface.

Arrivés sur Rottnest Island, l’équipe fut guidée jusqu’au Little Parakeet Bay Center. Et Parker leur tendit un téléphone. “On doit faire quoi ? -Un selfie. -Mais pourquoi ? -C’est l’épreuve.” Interloquée, Lee échangea un regard avec Loan. Bien sûr, elle avait déjà vu passer des personnes se prenant en photo avec les Quokkas sur les réseaux sociaux. C’était une épreuve originale, pour ainsi dire. En tout cas, la sommelière se mit en quête d’un animal coopératif avec l’aide de Loan.

Quatre dollars, c’est tout ce qu’il nous reste. Et cela ne couvre que le prix d’un seul billet. « C’est pour une émission, on a vraiment besoin de passer pour gagner. » Je tente les yeux doux, mais la guichetière semble s’en foutre comme de sa première couche. Vraiment, je tente le tout pour le tout. Les cils qui papillonnent, le petit sourire en coin. Mais rien. Je suis face à un mur et on n’a pas le temps de négocier bien longtemps. On laisse tomber le ferry pour un plan B. « Le port est immense. Je vais demander de l’aide de ce côté, prends l’autre. » Je hoche la tête. « Okay, on fait au plus vite ! » Un dernier coup d’œil et on se sépare. Je me dirige de suite vers la gauche, il y a d’autres bateau, mais principalement pour les touristes. Plus j’avance, plus le prix des billets est élevé. Personne n’acceptera de nous prendre gratuitement. Je suis prêt à me donner en spectacle pour qu’une personne de la foule prenne pitié de nous. Un petit show de rue, ça pourrait fonctionner pour gratter quelques dollars, non ? « LOAN ! ICI ! » Au loin, j’aperçois Kelly qui s’époumone et gesticule dans tous les sens. « J’ARRIVE ! » Je tape un sprint et découvre que ma coéquipière nous a dégotés une place sur un vieux rafiot de marin. « Merci beaucoup monsieur ! » Et déjà, je récupère les billets qui étaient restés dans ma poche pour les tendre à l’homme. Je lui donne un coup de main pour palier les quelques dollars qui manquaient. « T’as géré ! » que je m’exclame en m’installant aux côtés de Kelly. Les effluves de poisson me donnent un léger haut le cœur, mais je préfère me concentrer sur la vue qui s’offre à nous.

Une fois sur l’île, c’est Parker qui ouvre le chemin. La dernière fois, il nous a menés directement vers un truc assez dangereux. On a fini perdre des candidats, je me suis pris un poing. Si on pouvait ne pas renouveler l’expérience, ce serait bien aussi. Non ? Parker nous tend un téléphone et nous demande de faire une selfie. Et seulement, je percute que l’on vient d’arriver dans un enclos empli de Quokkas. « Ils sont trop mignons ! » Et visiblement, on doit prendre une photo avec un de ces petits animaux pour gagner des points supplémentaires. Trop simple. Je les observe et en trouve un, quelque peu à l’écart. « Lui regarde ! » On s’approche tout doucement avec Kelly pour ne pas l’effrayer. Je me baisse et lui tends la main pour qu’il puisse venir à son rythme. Il m’observe avec son petit sourire le Quokka, avant d’avancer et de venir signer le bout de mon short. « Maintenant Kelly, viens. » On s’installe autour du petit animal, qui semble fasciné par le téléphone. CLIC-CLAC. C’est dans la boîte et le cliché est tout ce qu’il y a de plus adorable. « Oh j’aime trop, il faudra nous la donner ! » Et mon regard se baisse sur le Quokka qui part rejoindre ses amis. « Merci bonhomme ! »

Et maintenant, Parker nous fais signe de le suivre à nouveau, jusqu’à l’entrée du parc. « Où retrouver May ? C'est une œuvre majeure, chère à l'explorateur. Son appel répété est un guide éclairé. May sera le plus au nord. Bonne chance. » Il nous lance un petit sourire et je commence à rire. « Kelly, carte ! » Je lui tends son arme secrète le sourire aux lèvres. Lorsque l’on aura retrouvé May, on sera arrivé au bout de l’aventure. « Bon… Appel répété. Guide éclairé. C’est forcément un phare. » Et on se met à chercher sur la carte, l’île n’est pas immense et le Nord est facilement trouvable. « Là ! » Je pointe du doigt l’endroit. « Ça va c’est pas trop loin, on va marcher. »

Les Quokkas étaient des créatures rocambolesques. Ils étaient minuscules, vifs comme tout et curieux des humains qui circulaient dans le parc. Visiblement, prendre une photo avec eux était l'attraction majeure, ici, et à voir les touristes qui s’essayaient à l’exercice, il suffisait de tomber sur le bon spécimen. Cela ne pouvait pas être bien difficile. “Ils sourient comme ça tout le temps ? C’est normal ?” demandait Kelly, perplexe et amusée à la fois. N’avaient-ils jamais de crampes aux zygomatiques ? Ou étaient-ils condamnées à ne montrer qu’une moue joyeuse même dans les mauvais jours ? Loan leur trouva un des animaux et elle suivit le mouvement. Accroupie par terre, la boule de poils entre eux, ils tentaient le plus adorable des selfies. “A trois tout le monde dit Quokka !” Grand sourire, pouce furtif, la photo était prise en une fraction de seconde, et à la vérification celle-ci était parfaite, du premier coup. “Parker, je te harcèlerais pour la récupérer et la mettre sur mon instagram, compte là-dessus.” Après tout, faute d’avoir pu prendre la moindre photographie durant l’aventure, c’était leur seul et unique souvenir bien à eux de la course.

A la sortie du parc, la caméraman leur livra une énigme leur permettant de savoir où se rendre afin de rejoindre May et conclure cette longue, éprouvante, difficile, inoubliable route. Fidèle au poste, Kelly ouvrit la carte. L’île était petite dessus, mais l’une de ses attractions principales étant le fameux phare, celui-ci était indiqué clairement. D’après l’échelle, ce n’était l’affaire que d’une grosse demi-heure de marche. “En avant partenaire !”

Déjà la fin ? Elle n’en revenait pas. Les six semaines étaient passées comme un éclair et pourtant, la fatigue était bel et bien là. Lee était excitée et soulagée, nerveuse et nostalgique. Son ventre se nouait, comme d’une peur d’elle ne savait quoi. Rentrer à Brisbane ? Ne plus voir ses journées rythmées par l’auto-stop, les épreuves, les énigmes ? C’était une sensation étrange, de celles qui rendaient l’air plus frais, la lumière plus brillante, les couleurs plus vives. “C’est magnifique, regarde ça…” elle souffla, le regard posé sur la baie. C’était l’océan, là, à perte de vue, au delà des rochers battus par les vagues. La sommelière ne s’arrêta pas longtemps, juste assez pour imprimer la vue dans un coin de sa tête. Puis elle reprit, côte à côte avec Loan. “Plus que quelques kilomètres. Comment tu te sens ?”

Les Quokkas qui nous entourent ne sont pas effrayer par les humains, bien au contraire, ils semblent si curieux de nos moindres faits et gestes. Et leur sourire constant, ne rends la chose que des plus adorables. “Ils sourient comme ça tout le temps ? C’est normal ?” "C'est ce qui fait leur charme, tu trouves pas?" Et je trouve un petit Quokka qui mène sa vie un peu à l'écart des autres. Il devient curieux lorsque l'on s'approche et on réussit à capturer un cliché parfait. Mémorable. Notre seul souvenir en photo. Déjà, Parker, regrette l'étape tant on lui promet un harcèlement sans fin pour pouvoir récupérer le cliché. Ce sera notre seul souvenir tangible. Cette photo et les millions d'heures de rush de nos aventures, qui seront savamment monté - ou non - pour notre plus grand bonheur. Une apparition dans le bêtisier de l'émission semble également inévitable.

A la sortie du parc, Parker, notre fidèle compagnon, nous offre une dernière énigme. L'ultime. Nous devons retrouver May et après cela... Plus rien. L'aventure prendra fin. Six semaines après le coup de sifflet de départ à Kangaroo Point. Lorsque Kelly étale la carte entre nous, je réalise soudainement, les kilomètres que nous avons parcourus. Traverser l'Australie de part en part. L'idée semblait folle et pourtant on l'a fait. Ce n'a pas toujours été simple, il y a eu des frayeurs, des moments de panique, mais cela nous a tout de même mené jusqu'à Perth. “En avant partenaire !” Et nous venons de trouver le dernier point à rallier sur la carte. Un phare au Nord de l'île. Un échange de regard et nous voilà en route, vers la ligne d'arrivée.

En chemin, on en vient à longer le littoral, la Baie offre une vue splendide sur l'Océan. Le bleu de la mer rejoint le bleu du ciel à perte de vue. Le vent est doux, l'endroit calme. Le moment est parfait, quelque peu suspendu dans le temps. Pour la première fois, on ne court pas. Notre pas est rythmé sans non plus nous imposer un manque de souffle et point de côté. “C’est magnifique, regarde ça…” Soupir commun face à la beauté du monde. “Plus que quelques kilomètres. Comment tu te sens ?” Je jette un coup d'oeil à sa silhouette, nous qui marchons côte à côte, plus comme deux coéquipiers qui n'ont pas le choix, mais plutôt comme deux amis déterminés a franchir la ligne d'arrivée main dans la main. "Heureux." C'est spontané. "La fatigue est là, mais je suis fier de nous. On pensait ne pas finir la première semaine et regarde nous... En route vers la victoire." Je plaisante à demi-teinte. Si proche du but l'envie de gagner n'a jamais été aussi mordante. Je repense à Ivy, Jack et Martin nos trois acolytes des rapides. Ezra et Colleen qui se sont vaillant battu pour notre honneur. "Et on a fini avec les meilleurs des revenants." On ne l'oubliera jamais cette aventure. Au rythme de nos pas, je lui souris. "Et votre état d'esprit Miss Ward, a quelques minutes de la fin?" j'imite, lamentablement, le ton du journaliste à la recherche du moindre scoop. Et toi Kelly, comme tu te sens ?

"Heureux.” confiait Loan sur son état d’esprit du moment. Et cela se voyait sur son visage, de son sourire éternel à son regard pétillant portant de lourdes valises. “La fatigue est là, mais je suis fier de nous. On pensait ne pas finir la première semaine et regarde nous... En route vers la victoire." Ils avaient pris la compétition sous un angle bien à eux et cela leur avait réussi. Ils ne se reposaient pas sur leurs lauriers néanmoins -quelque part, ils n’avaient jamais rien pris pour acquis ou aisé, et c’était ce qui leur avait fait redoubler d’efforts à chaque instant de la compétition. "Et on a fini avec les meilleurs des revenants." Kelly réprima un rire. Elle n’aurait pas mis Ivy dans la catégorie des meilleurs revenants, bien que la soirée qu’elles avaient passé ensemble en compagnie de Jack ait été agréable -pour ce dont elle se souvenait. Mais les appréhensions de la jeune femme et son caractère bien à elle ne méritaient pas qu’elle soit exclue du lot qui avait participé à une dure journée d’épreuves physiques et mentales. Au fond, Ivy était allée jusqu’au bout, et on ne pouvait lui retirer ça. "Et votre état d'esprit Miss Ward, a quelques minutes de la fin?" renvoya-t-il la question, Loan, l’air enjoué. Pour la brune, la parole était moins fluide, car les émotions étaient mixtes. Elle haussa les épaules. “Je ne sais pas, c’est étrange… Je suis excitée d’arriver au bout, et j’ai un peu peur. J’ai du mal à croire que cette expérience se termine.” Cela lui serrait le coeur, vraiment. Au moins avait-elle la certitude que leur équipe ne se perdrait pas de vue. Ils avaient partagé quelque chose d’unique, d’exceptionnel, et cela avait créé des liens forts, même envers ceux avec qui elle n’avait partagé que quelques heures. Une sorte de petite famille ROA. “Ce sont forcément les derniers kilomètres qui ont l’air les plus longs.” elle souffla. Ses jambes fatiguées avançaient automatiquement, mais il lui semblait faire du sur place sur un tapis de course. Le paysage changeait peu, la route était droite, et cela renforçait cette sensation. Ses mains près de ses épaules serraient les sangles de son sac à dos.

Les six dernières semaines auront été éprouvante dans tous les sens du terme. On aura repoussé nos limites pour en arriver jusque-là. Nous sommes devenus des professionnels de l’auto-stop, Kelly pourrait remplacer n’importe quel bon GPS avec sa carte. On a appris de chacun des personnes qui ont bien voulu nous héberger, même les plus bizarres et hostiles. On aura sauté dans le vide, manger des insectes, fait du chameaux, résolu des énigmes qui parfois n’avaient ni queue ni tête. Cette aventure aura été folle du début à la fin. Au fur et à mesure, on a vu les binômes partir. Chaque vendredi soir la même angoisse, connaître le résultat. Puis au fil des semaines, cette envie grandissante de rester dans la compétition, de ne plus lâcher notre place. On aura gravi les échelons en vivant la compétition comme on l’entendait, a notre rythme, selon nos principes. Il faut croire que cela a payé. Nous voilà à franchir le dernier kilomètre. The very last one. Avant la toute dernière ligne d’arrivée. L’instant est comme suspendu dans le temps et chaque pas diminue encore un peu notre collaboration. Profiter de tout, jusqu’à la dernière minute.

« Je ne sais pas, c’est étrange… Je suis excitée d’arriver au bout, et j’ai un peu peur. J’ai du mal à croire que cette expérience se termine. » Elle résume si bien ma pensée Kelly. On se demande à quoi va bien pouvoir ressembler la suite. Retrouver notre quotidien après six semaines hors du temps. Il va falloir retrouver la ville, la grande ville. On, c’était habitué aux bruits des bêtes, au manque de pollution et à la nature. Le silence va s’effacer au profit des coups de klaxon et des injures entre passants. « C’est passé si vite. » Six semaines qui se sont envoler. Elle est dingue un peu cette histoire. Des candidats qui s’inscrivent pour tenter leur chance, pour s’offrir une expérience. Et nous voilà tous les deux, encore debout, à battre le rythme pour tenter, une dernière fois d’être premier. On aura souvent eu une place sur le podium durant ces six semaines, mais jamais la première. C’est le moment ou jamais.

Le bruit des vagues nous accompagne dans notre marche qui deviens quelque peu silencieuse. La fatigue se fait de plus en plus écrasante, malgré l’excitation de la dernière journée. « Ce sont forcément les derniers kilomètres qui ont l’air les plus longs. » Je ris un peu et relève la tête. La route est toujours aussi droite et longiligne face à nous, mais là-bas… Au loin, se dessine les premiers traits de la silhouette du phare. « Regarde… » que je lui montre d’un signe de tête. « On arrive. »

C’est le moment ou jamais de se dire encore une fois les choses. « Quoiqu’il arrive, ces six semaines auront été incroyables. » Une nouvelle fois, j’offre un doux sourire à ma coéquipière. « Et je suis sûr que le public va nous adorer ! » que je plaisante alors que déjà, nos pieds foulent l’entrée du petit parc renfermant à sa fin, le phare.

« Regarde… On arrive. » Le phare, il était là, à quelques mètres. Surplombant la baie de toute sa hauteur, il était, pour eux aussi, le guide de leurs derniers pas. Et elle trouvait cela beau, au fond, Kelly, que l'aventure s'achève au pied de ce repère septentrional, l'édifice qui symbolisait le bout d'un voyage depuis des siècles. C'était la fin du leur. La fin, quel sombre mot. Elle avait le cœur lourd mais pas de sensation de clôture de quoi que ce soit. C'était le point final d'un chapitre, oui, mais l'ouverture d'un autre. Elle en avait peur autant qu'elle avait hâte, en son fort intérieur. Sa prochaine aventure : forger sa propre route, tracer son propre chemin, défendre ses propres idéaux. Hassan, un jour, lui avait dit qu'elle seule pouvait savoir qui était Kelly Ward. Aujourd'hui, elle le savait un peu plus que le jour de son départ. Et tant de choses étaient encore à découvrir. « Quoiqu’il arrive, ces six semaines auront été incroyables. Et je suis sûr que le public va nous adorer ! » Loan était positif, souriant. Il ne fallait pas terminer en étant moroses, non. Il ne fallait pas être tristes. Même le phare, élégant et robuste, inspirait fiabilité, solidité, confiance pour tout ce qu'ils vivraient par la suite. Il était leur témoin ; ils étaient arrivés au bout. Six semaines, des milliers de kilomètres. Et ils étaient là, contre toute attente, défiant les paris. À son pied, Kelly laissa tomber son sac à dos. Les jeux étaient faits. "Viens là." elle souffla, la voix étranglée par l'émotion, en faisant signe à Loan de s'approcher dans ses bras grand ouverts. Elle le serra fort, comme elle aurait voulu le faire plus d'une fois pour lui signifier toute sa gratitude d'avoir été son soutien, son roc pendant l'aventure. "J'aurais pas pu rêver meilleur partenaire." elle murmura. Dieu merci, elle ne portait pas de mascara. Tout au long de la compétition, ils avaient été éternels seconds. Peut-être que cette semaine était la leur. Cette aventure, elle, l'était bel et bien.