| Boots of Spanish Leather [Keegan] |
| | (#)Mer 22 Juil 2020 - 17:55 | |
| Bien que le cerveau de Joseph s’apparente étrangement à une cucurbitacée, le jeune homme chasse très rapidement l’idée de garder l’argent que Lily vient de lui donner afin de l’utiliser à des fins plus égoïstes. Cela fait trop longtemps qu’il n’a pas tenu un billet d’une valeur aussi élevée – c’est à se demander ce que fait sa sœur à se trimbaler avec autant d’argent dans ses poches. “Prends une chambre d’hôtel. Tu m’envoies l’adresse. Je te rejoins quand j’ai fini le boulot.” Mal à l’aise, l'interpellé hoche la tête en froissant le billet entre ses doigts, l’observant du coin de l’œil, tenté. Il pourrait s’acheter deux grammes avec ça… Putain. « Okay. » Il répond, fermement, pour s’obliger à obéir aux ordres de sa sœur, glissant l’argent dans sa poche en se jurant de ne pas y toucher avant d’avoir mis les pieds dans un hôtel. « T’as toujours le même numéro de tel, j’espère ? » Il demande en haussant un sourcil, réalisant en même temps que Lily qu’ils ne se sont pas envoyé de messages depuis des années. Et, pourtant, même s’il a changé de téléphone depuis le temps, il se souvient du numéro de Lily par cœur, comme il se souvient du son de son rire d’enfant, un rire souvent mélangé à une plainte qui se termine dans les aigus. “T’as intérêt de m’attendre, Jo.” Lèvres pincées, il hoche à nouveau la tête. Le simple fait d’évoquer trop souvent le sujet de la drogue dilate déjà ses pupilles mais il saura se tenir. Enfin, il croit qu’il en sera capable. Il a déjà tenu pendant trois ans – pour finalement démolir l’entièreté de ses efforts en craquant une seule fois.
« J’attends quelqu’un. » Le garçon précise en tendant le billet à la réceptionniste de l’hôtel. « Ma sœur. Lily Keegan. Tu peux la laisser entrer, elle est avec moi. » Il regarde l’heure sur l’horloge accrochée au-dessus du comptoir. « Elle devrait arriver vers dix-huit heures. Cheveux presque noirs, yeux bleus, tu vas la reconnaître facilement. » Il ne sait pas particulièrement comme s’y prendre avec ce genre d’établissement. C’est bien la première fois qu’il met les pieds dans un hôtel comme celui-là, lui qui a été habitué à la saleté et aux mauvaises odeurs dans les motels bien moins dispendieux – et dans lesquels les tapis de douche n’ont jamais été changés. « Chambre 144, juste à droite dans le couloir. Bon séjour monsieur Keegan. Ne vous inquiétez pas, on s’occupe du reste. » La dame plutôt âgée répond en posant la clef de sa chambre devant lui. Il la remercie d’un simple hochement de tête et tourne des talons en direction de sa chambre, ses yeux dansant sur les murs, les tapisseries, le carrelage parfaitement symétrique. Tandis qu'il envoie à sa sœur l'adresse de l'hôtel, il ne peut pas s’empêcher de se dire qu’il ne se camoufle pas du tout dans ces lieux.
Il fixe longuement le bain, les mains enfoncées dans ses poches. Cela fait bien trop longtemps qu’il n’a pas eu l’occasion de profiter d’un bassin chaud rempli de mousse à la rose. Le son de l’eau coulante assourdissant la salle de bains, il se dévêtit de ses habits monotones et il lui suffit d’un seul regard dans le miroir pour se retrouver surpris pour la vingtième fois. Il ne s’habituera jamais à ces muscles qui se sont gonflés en prison lorsqu’il était rongé par l’ennui. Il a l’impression de s’être réveillé un matin et d’avoir changé de corps. La transformation n’est toutefois pas particulièrement décevante, il faut dire.
Seule sa tête flotte au-dessus des bulles légèrement rosées. Il a fermé les yeux une seule seconde et s’est endormi sans compter les moutons. La chaleur brûlante contre son corps lui a permis de chasser ses envies autodestructrices le temps qu’un premier rêve vienne animer son sommeil un peu trop profond. Il ne se réveille que deux heures plus tard et c’est le son de la porte d’entrée qui le fait sursauter. Rapidement, il cherche des bulles pour se dissimuler mais elles ont toutes fondues. « ENTRE PAS ! » Il lance fermement en se redressant dans le bain, la peau moite de son dos grinçant contre la façade en plastique du bain. La sensation de ses doigts fripés le surprend à un tel point qu’il doit vérifier deux fois qu’il n’ait pas perdu de morceaux de peau. « J’arrive, attends. » Il continue, se cachant le plus possible de la porte ouverte de la salle de bains. Il arrive finalement à s’emmitoufler dans une serviette : il ne réalisera probablement jamais qu’il a noyé les planchers sous l’eau devenue tiède.
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| | | | (#)Jeu 6 Aoû 2020 - 22:21 | |
| Elle adore son travail, Lily, mais la journée est passée horriblement lentement pour la jeune femme qui ne rêvait que de s’en aller pour rejoindre son aîné et s’assurer qu’il soit toujours en vie en train de l’attendre dans une chambre d’hôtel comme demandé. Cela parait logique et simple mais justement, dans la famille rien n’est jamais ni logique et encore moins simple. La brune est déjà quelque peu rassurée lorsque le sms d’un inconnu lui donne une adresse et une chambre d’hôtel, elle peut donc l’assimiler à Joseph sans trop de problèmes. Son numéro a depuis longtemps été supprimé du parfait petit répertoire de la pharmacienne et au fond elle pense qu’il devrait simplement s’estimer heureux qu’elle ne l’ait pas bloqué. De toute façon, le numéro de son dealer doit être dans ses favoris et celui de Lily estampillé à “soeur de merde” ou “vieille chouette”, selon ses insultes du siècle passé.
L’esprit ailleurs et le coeur lourd de mille souvenirs et problèmes revenus à la surface en un clin d’oeil, elle ferme l’enseigne après que tous les employés aient terminés leur journée de travail. Cinq heure et demi. Le soleil est encore haut dans le ciel et si cela ne tenait qu’à elle, elle se serait perdue à quelques rues de là pour acheter des livres qui seraient venus s’entasser à sa collection qui n’en finit pas. Aujourd’hui pourtant, c’est son GPS qui la guide à travers les rues de Brisbane pour finalement la mener devant un hôtel qui ne paye pas de mine. Ce n’est de toute façon pas avec l’argent qu’elle lui avait donné qu’il aurait pu se payer une nuit dans un palace - non pas qu’elle ne le lui souhaite pas, c’était tout simplement bien au delà de ses moyens. Après tout, entre eux deux, il est le seul à manipuler de l’argent sale qu’il ne doit sans doute pas déclarer à qui que ce soit ni où que ce soit.
144. Couloir d’en face, à droite. Les instructions résonnent dans son esprit et elle ne peut pas se dire autre chose si ce n’est qu’elle préférait le temps de l’école primaire où elle faisait des courses d’orientation. Elle les gagnait toutes, bien entendu, puisqu’aucun autre scénario ne devait être envisagé. La seule différence étant qu’à l’époque elle gagnait quelques sachets de bonbons et aujourd’hui … « ENTRE PAS ! » La voix de son aîné la tire de ses pensées et lui rappelle douloureusement à quel point les temps changent. Lily a pourtant passé l’âge de jouer à ce genre de jeu et s’offusquer de si peu, c’est donc dans une exaspération sonore qu’elle fait un pas de plus dans la chambre pour mieux refermer la porte derrière elle, ses doigts désormais posés devant ses yeux à peine maquillés. Non, elle ne ruinera pas son mascara ni même son trait d’eye-liner parce que son frère est stupide au point de ne pas savoir fermer à clé une simple porte. « J’arrive, attends. » Elle ne sait faire que ça, attendre. Attendre qu’il revienne à la maison, attendre qu’il sorte de prison, attendre qu’il se décide à se soigner, attendre qu’il aille mieux. Elle passe sa vie à l’attendre, elle qui ne désire pourtant qu’aller de l’avant.
La soirée est supposément placée sous le signe du drapeau blanc, la jeune femme se contente de se pincer les lèvres et, encore une fois, d’attendre. “Essuie toi bien les bras.” Il ne doit pas rester de savon mais elle se garde bien d’entrer dans les détails : il devra se contenter d’obéir aux ordres simples de sa soeur, pour une fois dans sa vie. Le dos tourné à la salle de bain, cette dernière en vient finalement à s’asseoir sur le lit, le temps pour lui de se préparer. Elle aurait aimé vérifier s’il n’y a pas de drogue dans sa valise mais après tout elle aurait dû s’en douter : c’est Joseph, il n’a pas de valises, il n’a pas d’affaires. Il n’a que son sac à dos qu’elle ne voit pas dans la pièce, sûrement parce qu’il le suit à la trace au point d’être posé sur le rebord du lavabo de la salle de bain. “Raconte pas à tout le monde que je suis ta soeur. La dame de l’accueil m’a harponnée dès que je suis entrée.” Le problème n’est pas qu’elle ait pu la reconnaître aussi vite, le problème c’est qu’elle l’a reconnu en tant que soeur d’un ancien prisonnier et tout-sauf-ancien drogué.
Lorsque la porte s’ouvre elle ravale difficilement sa salive, comme si elle venait enfin de se rendre compte qu’elle n’était qu’une pauvre femme seule avec un homme dont elle ne connaît plus rien. “Tu sens bon.” Sera sûrement son seul compliment avant une paire d’années, c’est aussi le mieux qu’elle puisse faire. Elle ne mentira pas à son frère à défaut de le faire au reste du monde. Parler d’autre chose que de le mélange de rose et de vanille qui émane de la pièce adjacente semble totalement impossible. “Tu … t’en as besoin maintenant ou … ça se passe comment ?” Elle a étudié les effets de la drogue, bien sûr, mais personne ne lui a appris quand est ce que le besoin se faisait ressentir et s’il devait lutter ou si, au contraire, il fallait y céder aussitôt. Son seul désir à elle, c’est de retrouver sa vie calme, paisible et surtout parfaitement parfaite. |
| | | | (#)Lun 17 Aoû 2020 - 4:59 | |
| Il s’est endormi bien plus profondément que dans un lit de motel inconfortable. Il n’avait pas senti le picotement des bulles qui fondent sur ses bras depuis l’éternité et ce dernier agissait sur lui comme des somnifères. Deux heures s’étaient écoulées en un claquement de doigt et sa peau s’était fripée comme celle d’un Shar Pei. Il n’avait pas fermé la porte de la salle d’eau pour éviter d’étouffer dans la chaleur mais il n’avait pas prévu que ce soit l’arrivée de sa sœur qui le sorte de ses rêves. Paniqué, il sort du bain en éclaboussant chaque recoin de la pièce embuée, faisant de son mieux pour ne pas faire attendre trop longtemps celle qui a sacrifié son orgueil pour lui. “Essuie-toi bien les bras.” Hochant la tête pour lui-même, il s’empare de la deuxième serviette soigneusement pliée pour éponger tout l’eau sur ses bras, docile animal respectant les ordres sans se plaindre. Il fouine rapidement dans son sac pour s’emparer de son bâton de déodorant fraîchement acheté et son nez se retrousse quand il découvre son odeur : il aurait dû le renifler avant de l’échanger contre sa petite monnaie. “Raconte pas à tout le monde que je suis ta soeur. La dame de l’accueil m’a harponnée dès que je suis entrée.” Il lève les yeux au ciel en se retenant de souffler un juron et il concentre plutôt son énergie à la recherche de nouvelles fringues à enfiler. « Quoi, t’aurais préféré que je lui dise que j’attendais une pute ? » Il utilise les mots les plus puissants pour la faire réagir, pour lui faire comprendre que ce sera toujours plus valorisant pour elle d’être sa sœur plutôt qu’une esclave sexuelle traînant dans les rues à la recherche de clients. Il y a toujours un plus gros poisson dans l’océan.
“Tu sens bon.” Il hausse mollement les épaules en posant son sac sur le lit au milieu de la chambre. Il sait qu’elle a lancé ce commentaire pour faire éterniser le moment durant lequel elle n’a pas à se battre contre tous ses instincts. Son boulot, c’est de guérir les patients. Pas de les empoisonner. Il s’assoit lui aussi sur le matelas, dos à elle, préférant garder ses yeux rivés vers le cadre laid accroché au mur pour ne pas voir les réactions de sa sœur. De ses cheveux s’écoule encore quelques gouttes d‘eau devenue froide. Il connait la prochaine étape. Ils ne sont pas là pour mater un film à la télévision ni pour observer la vue que leur offre la fenêtre – bien que cette dernière soit plutôt basique. Ses pensées ne font qu’effleurer l’idée de la drogue en approche et ses membres se serrent déjà. Il tente de respirer doucement bien que ses poumons soient douloureusement comprimés. Finalement, il s’est peut-être mis dos à elle pour qu’elle ne soit pas témoin de ses pupilles agitées. C’est stupide. Ils ne devraient pas faire ça. Il sait comment se piquer, il… il… il ne s’en tire qu’avec quelques marques bleuâtres. Rien de bien dangereux. Il est encore temps de rebrousser chemin. “Tu … t’en as besoin maintenant ou … ça se passe comment ?” Eh merde. La question est posée et aussitôt la mâchoire de Joseph se crispe, faisant trembler l’os juste en dessous de son oreille. Il déglutit en lorgnant son sac à dos et la panique prend le dessus sur lui. « En fait… Non, c’est bon. J’en ai pas besoin, ça va. » Le pire acteur : même un enfant ne croirait pas une seconde à ses mensonges. Il n’arrive plus à contrôler son corps alors sa respiration se fait plus bruyante tandis qu’il passe sa main dans ses cheveux pour tirer quelques mèches afin de déplacer les maux. Il a honte. Tellement honte. Le simple fait d’être tombé sur sa sœur à la pharmacie aujourd’hui l’a humilié et voilà qu’elle attend qu’il donne le feu vert pour glisser l’aiguille. C’est complètement ridicule. Les membres d’une même famille se soutiennent mais ils n’ont plus le même sang depuis des années. Le sien s’est mélangé à trop de recettes magiques. Celui de Lily est encore pur et innocent – aussi innocente que Lily puisse l’être. « Merci pour la chambre d’hôtel, j’vais dormir ici cette nuit et… » Il relance en se redressant pour faire les cent pas dans la chambre, incapable d’ordonner à son corps de rester immobile. Il a besoin de bouger, de s’affranchir du dénouement espéré par sa sœur. C’est bien elle qui lui a proposé cette stupide idée. Une idée tout aussi stupide que lui parce qu’il a accepté. « J’espère qu’ils servent du jus d’orange au p’tit déjeuner. » Il pointe l’affichette posée sur la table de chevet sur laquelle est vanté un petit déjeuner compris dans le prix de la chambre. Et son ongle rencontre la surface de bois pour mieux la tapoter et trahir la nervosité soudaine de Joseph qui évite encore et toujours de croiser le regarde de sa sœur qui ne devrait pas être là.
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| | | | (#)Mar 25 Aoû 2020 - 0:59 | |
| « Quoi, t’aurais préféré que je lui dise que j’attendais une pute ? » “Tu peux pas juste la fermer comme tout le monde Joseph ?” C’est un éternel débat dans lequel aucun des deux membres de la fratrie n’est prêt à laisser du terrain. Il demande une certaine reconnaissance et elle l’évite à tout prix, cela ne change pas malgré le temps qui passe. Elle pourrait lui rétorquer qu’elle n’a rien en commun avec toutes ces femmes qu’il fréquente peut être, elle pourrait aussi ajouter qu’en ce monde il existe d’autres cases que “sa soeur” et “pute” mais à quoi bon ? Leur discussion ne mènerait de toute façon nulle part alors elle se montre tout aussi agressive que lui, bien que doté de toutes les meilleures intentions du monde.
Lily se calme bien vite cette fois-ci, prenant de nouveau sur elle pour le bien de son frère. Cette scène n’a aucun sens mais elle sait qu’elle doit maintenant aller au bout des choses et que même si elle a à l’instant l’impression de déroger à tous ses principes, c’est pour son bien. « En fait… Non, c’est bon. J’en ai pas besoin, ça va. » A son tour elle en vient à s’asseoir au milieu du lit, le dos droit et les jambes croisées, patiente. Ils sont peut être tous deux très doués pour les mensonges mais cela ne fonctionne plus dès lors qu’ils sont face l’un à l’autre. Ses mots sont précipités, son corps agité et ses gestes mal assurés. Si elle ne saura sans doute jamais ce que c’est que de ressentir le manque au plus profond de son être, elle peut au moins en voir les conséquences directes sur le corps de son aîné. Lily en vient à détester encore un peu plus la drogue et tout ce qui a bien pu le mener à essayer une fois puis une autre et ensuite ne jamais arrêter. “Jo …” Ses mains se referment autour du sachet plastique qui contient les seringues alors qu’elle assiste avec impuissance à la scène se déroulant face à elle. « Merci pour la chambre d’hôtel, j’vais dormir ici cette nuit et… » Elle tente à nouveau, son ton à peine plus appuyé. Sans succès. “Jo …” Il fait les cent pas face à elle. Aucun de ses cours ne l’avaient préparé à ça ni même aucune de leurs disputes à la maison n’y ressemble le moins du monde. Elle sait faire face à l’imprévu et aux nouveautés, là n’est pas le problème … Le problème est simplement ici dans tout ça. Si elle l’arrête dans son parcours, est ce qu’il va s’énerver ? Si elle en fait rien, est ce qu’il va se raisonner seul ? S’il n’a pas sa dose, est ce qu’il risque de faire une crise ? Et la prochaine fois où il sera seul de nouveau, qu’est ce qu’il va se passer ? « J’espère qu’ils servent du jus d’orange au p’tit déjeuner. » Profondément touchée par sa vulnérabilité soudaine, la brune décide de faire sa part des choses.
Elle se relève du lit pour venir se poser aux côtés de son frère et lui attraper doucement le poignet, là où elle sait qu’elle ne risque pas d’appuyer sur une plaie ou une piqûre qui n’aurait pas eu le temps de cicatriser. “Assis toi avec moi. Par terre. Comme avant.” Eux qui n’utilisaient jamais leur lit pour comploter, préférant toujours le carrelage éternellement glacé de leurs chambres. Lily a arrêté de s'asseoir par terre quand il est reparti mais aujourd’hui cela semble être la chose la plus rassurante et la plus sensée à faire. “On le fait pas maintenant si tu le veux pas.” Même si elle le soupçonne de ne pas vouloir que ce soit elle qui le pique plutôt que n’importe quelle autre excuse, elle se place en position de médecin et patient. S’il ne le veut pas, tant que sa vie n’est pas en danger, alors elle ne le forcera pas. Il décide, tant que cela reste encore possible. “Je t’ai ramené du désinfectant par contre. Ça va à peine piquer, juste comme quand les chiots nous mordaient les doigts au moment où leurs dents poussaient, tu vois.” Les seuls éléments de comparaison de souvenirs communs qu’elle peut avoir avec son frère remontent à dix ans en arrière. Dans d’autres circonstances, elle en aurait rigolé. Aujourd’hui, elle se contente d’essayer de faire au mieux pour lui en appliquant la lotion sur une compresse et appliquant cette dernière le long de ses avant bras. La brune retient au mieux ses hauts le coeur face aux traces de piqûres aussi nombreuses que variées, certaines à peine visibles alors que les autres présentent à elles seules toutes les teintes allant du bleu au violet, en passant par le vert et le jaune. Elle distingue même d’inquiétantes traces de taches de sang sous sa peau mais n’en dira, encore une fois, rien de plus. Il a sûrement déjà assez à se soucier. “Tu l’as fait ailleurs ou pas ? Les jambes ou le ventre ?” Espérant que non puisque ses bras comportent déjà bien assez de traces, elle préfère pourtant que son frère lui dise la vérité, au cas où elle doive passer du produit sur d’autres endroits. |
| | | | (#)Mar 25 Aoû 2020 - 2:34 | |
| Il n’a jamais été le petit garçon qui cloue ses lèvres ensemble et qui observe la scène sans jamais donner son avis. Il devait le faire. Il devait hurler à l’injustice, blâmer sa sœur à chaque fois qu’elle coupait le savon en deux dans la douche, murmurer ses pensées en pleines prières, commenter la laideur des chaussures du jardinier. Non, Joseph ne peut pas se la fermer comme tout le monde, Lily, ton frère a toujours été comme ça et il sait que ça lui a apporté que des ennuis. Pourtant, il continue de le faire pour ne jamais renoncer à l’homme qu’il est réellement. S’il use parfois de mots grossiers, il ne faut pas oublier qu’il a aussi été l’un des rares garçons à afficher de l’amour fraternel envers ceux qui considéraient cela comme de la faiblesse. Mais, au fond, il était bien aimé chez les manthas : il rappelait à tout le monde ce que ça fait d’être aimé. Maintenant, il faut se demander pourquoi il refuse de montrer à sa sœur qu’il y a encore des émotions qui bouillent dans son cœur même après avoir passé trop d’années de sa vie à prendre la main des brigands.
La chambre de l’hôtel est soudainement étouffante. Quelques secondes plus tôt, Joseph contemplaient les laides reproductions de toiles sur les murs et voilà qu’il cherche son air. Il n’avait plus rien à dire à sa sœur et il savait que le moment où il afficherait sa vulnérabilité approchait. Lui tendre le bras, laisser ses yeux d’infirmière noter la moindre imperfection sous sa peau. Lui donner raison de faire semblant d’être fille unique. « Jo… » Sa douce voix s’élève entre deux monologues de Joseph qui ne tient plus en place, les doigts pianotant le vide à la recherche de quelque chose à manipuler. Il déteste cette addiction car elle le rend tellement minuscule devant celle qui espérait plus de lui. Sa gorge est sèche, ses yeux aussi, ses dents serrées creusent sa mâchoire mais il essaye en tout temps d’éviter le regard bleu de sa sœur : il jette son dévolu sur une affichette présentant les petits déjeuners inclus avec la réservation d’une chambre d’hôtel. Il pense au jus d’orange parce qu’il ne se souvient pas la dernière fois qu’il en a goûté un provenant du vrai fruit. Celui encore rempli de pulpe, celui qui ne détient pas ce goût amer et toxique apporté par la manutention. Des doigts froids s’enroulent autour de son poignet et il cesse de bouger. “Assis toi avec moi. Par terre. Comme avant.” Ses yeux se lient aux siens à peine quelques secondes avant que Lily ne s’abaisse pour s’installer sur le sol de la chambre. La respiration coupée et sèche, il finit par abandonner la lutte qui ne mène à rien : il s’installe à son tour sur le plancher, face à elle, comme avant. Le voilà plongé dans des souvenirs qu’il croyait avoir réussi à oublier. “On le fait pas maintenant si tu le veux pas.” Lèvres pincées, il redresse la tête, secoue la tête de droite à gauche, puis de bas en haut, hésitant. Il sait à quoi il ressemble lorsqu’il n’obtient pas sa dose : les émotions prennent le dessus sur lui et il ne peut plus contrôler son anxiété tant que l’aiguille ne s’est pas glissée dans sa chair. Il n’y a plus que la cocaïne qui lui permet de respirer librement sans avoir l’impression d’avoir perdu un poumon. « C’est bon. » Il dit rapidement pour ne pas se laisser le temps de trop réfléchir. Il ne pourrait jamais faire marche arrière s’il se plongeait trop profondément dans ses craintes. “Je t’ai ramené du désinfectant par contre. Ça va à peine piquer, juste comme quand les chiots nous mordaient les doigts au moment où leurs dents poussaient, tu vois.” Un sourire à peine perceptible soulève la commissure de ses lèvres et il acquiesce, sa conscience à nouveau plongée dans les années 90. À cette époque où les responsabilités semblaient aussi fausses que la fée des dents. « Oui, je vois. » Il se souvient les dents minuscules des chiots qui tentent vainement de lui mordiller les doigts, les petits couinements qu’ils poussaient pour que les deux enfants viennent jouer avec eux dans la cour. Il s’accroche à cette pensée pour oublier le moment présent. C’est de cette façon qu’il arrive à tendre un premier bras vers Lily, puis un autre, sans jamais poser son regard sur les cicatrices qu’il connait déjà par cœur. Elles sont une part de lui, maintenant, comme elles l’ont été avant qu’il ne se fasse emprisonner. “Tu l’as fait ailleurs ou pas ? Les jambes ou le ventre ?” C’est difficile de concentrer ses esprits vers les chiots et leurs dents prématurés. Sa sœur est toujours là pour lui rappeler la raison pour laquelle ils sont tous les deux dans cette chambre d’hôtel. Comme pris d’un élan réclamé par son addiction, il étire son bras vers l’arrière et récupère son sac posé près du lit. Il y plonge la main pour en sortir une boîte en métal aux coins usés. Il compose le code sur le cadenas. 17 – 23 – 05. Il en sort cuillère, briquet et sachet de poudre blanche presque vide. Ne pouvant assister à la réaction de sa sœur, il ne la regarde pas. « Seulement le bras. Tu sais comment faire ? » Pour transformer la poudre en liquide ; pour lui permettre de couler dans ses veines comme s’il était né avec.
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| | | | (#)Mer 26 Aoû 2020 - 22:12 | |
| La brune se laisse aller selon les désirs de son aîné, pour une fois. Autant que possible, il est le seul à décider de la suite des choses : il décide de prendre ou non de la drogue, il décide ou non de la laisser désinfecter son bras. Elle est une petite soeur qui ne veut pas contrarier son frère mais elle est aussi une femme qui ne veut pas risquer de contrarier un homme dont le manque commence à se faire ressentir. « Seulement le bras. Tu sais comment faire ? » Cette fois ci c’est elle qui préfère détourner le regard, se concentrant plutôt sur les seringues que son frère ramène entre eux. De son petit sac à dos de ville elle sort le reste du matériel à utiliser, enfant qui a pris soin d’amener tout le nécessaire pour leur occupation de la soirée. Leurs jeux d’enfants ont bien changés, aujourd’hui remplacés par de la poudre blanche, des seringues et tout un tas d’autres instruments qu’elle est certaine qu’il n’utilisera plus jamais. Elle se dit qu’au moins, il aurait fait les choses bien une fois et qu’elle aura été là pour s’en assurer. “Oui.” La jeune femme assure d’une voix qui trahit pourtant toute son inquiétude, elle même mêlée à des mains tremblantes. A la vue de tant de faiblesses elle écarte les doigts pendant un temps avant de vivement resserrer le poing pour remettre de l’ordre dans ses idées. Ce n’est pas le moment de flancher ; surtout pas.
“Je vais me laver les mains. Tu peux faire le garrot ?” Le geste est simple, elle ne doute pas qu’à ce niveau là il ne puisse commettre aucun faux pas. De toute façon, elle a bien trop besoin de prendre une dernière bouffée d’air avant de se lancer dans les choses sérieuses et c’est la raison pour laquelle elle n’attend pas d’accord explicite de sa part. S’il est drogué toutes ces années sans avoir fait d'hémorragie, il doit savoir faire un garrot digne de ce nom. C’est ce qu’elle se répète alors qu’elle savonne ses mains pendant de longues et interminables minutes, au dessus des poignets encore, comme si elle était une chirurgienne se préparant à opérer. De retour face à lui, la jeune femme entame la procédure comme s’il n’était qu’un mannequin sur lequel elle s’entraîne. Les gestes sont rapides et précis, elle passe de nouveau du désinfectant autour de la veine à piquer et laisse ses doigts rouler sur cette dernière pour s’assurer qu’elle soit assez viable. “Pense à changer de bras. La cocaïne resserre les veines et si un jour tu la rates, tu ne le sentiras même pas. Ne prends pas de risques.” En plus de rendre plus difficile l’injection dans les veines, la cocaïne annihile toute sensation autour de ces dernières et rend d’autant plus dangereuse son administration. Rien n’assure Lily sur le fait qu’un jour, il sera déjà trop défoncé pour bien viser. Aujourd’hui encore, elle tente de faire au mieux, mélangeant de l’eau stérile avec quelques grammes de poudres. Si tout était millimétré jusque là, elle en vient à paniquer quelques instants au moment de savoir quelle dose de drogue mettre ; jamais elle n’a appris à doser ce genre de choses. Pour cela, elle fait seulement confiance à son frère.
Ses ongles tapent contre la seringue emplie de produite alors qu’elle se penche en direction de Joseph pour s’assurer de bien viser la veine. “Le bout de l’aiguille doit être en direction du coeur et … et pour être sûr que t’es bien dedans, faut tirer un petit peu, comme ça.” Du sang remonte dans la seringue, comme prévu, et elle a besoin d’une dernière inspiration pour commencer à lui injecter le produit, juste après avoir enlevé le garrot. Lente dans ses gestes, ses yeux effectuent un va et vient constant entre la seringue et les yeux de son aîné pour s’assurer qu’il aille bien - ou qu’au moins il ne meurt pas devant elle. L’aiguille est retirée tout aussi lentement alors qu’elle s’empresse de prendre un coton stérile et de l’appuyer sur l’emplacement de la plaie, du bout du pouce. “Ca … Ca va ?” Elle demande enfin, les lèvres pincées, priant seulement pour qu’il lui réponde oui. |
| | | | (#)Jeu 27 Aoû 2020 - 5:41 | |
| Il ne va jamais se faire à cette complicité dérangeante qui se forme entre eux comme s’ils n’avaient pas cessé de se parler pendant plus de dix ans. Lily compare ce moment à l’une de leurs confidences de jeunesse, quand ils se racontaient des histoires en éclairant leur visage avec une lampe torche sur le sol de leur chambre mais, aujourd’hui, l’atmosphère n’est plus celle qui règne entre deux gamins qui ne connaissent pas encore les échecs. Certes, ils sont assis sur le plancher de la chambre, comme avant, mais ce n’est pas un bouquin que Lily tient entre ses mains. C’est un sachet de seringues neuves qui ne serviront pas à médicamenter un patient malade. “Je vais me laver les mains. Tu peux faire le garrot ?” Une phrase qu’il aurait préféré ne jamais entendre de sa bouche. Il aurait voulu lui épargner cette mascarade mais elle était là le mauvais jour, le mauvais moment. Il ne peut plus faire marche arrière. Alors Joseph hoche légèrement la tête et attend que sa sœur disparaisse dans sa salle de bain pour récupérer la bande élastique qu’il attache autour de son bras, quelques centimètres sous son aisselle. Ses doigts sont tremblants, plus que d’habitude, et ce n’est pas que son addiction qui le rend aussi fragile qu’une feuille morte. La bande entre les dents, il serre le plus fort qu’il le peut, jusqu’à ce qu’il sente les battements de son cœur là où la pression est exercée. Il déglutit difficilement, se sentant de plus en plus léger, comme si son corps connaissait déjà la prochaine étape. Lily réapparaît dans la chambre et s’installe à nouveau devant lui, les mains propres mais qui ne le resteront pas longtemps. Une dernière fois, pour chasser sa nervosité, il ramène sa coiffe épaisse encore humide vers l’arrière, fixant les doigts de sa sœur qui s’attellent à désinfecter sa peau une seconde fois. Sa gorge s’assèche soudainement tandis qu’elle lui explique qu’il est plus sécuritaire de changer de bras entre chaque dose pour éviter le moindre risque et il acquiesce en n’écoutant que d’une oreille. Il n’arrive plus à se concentrer, le point de non-retour sur le point d’être franchi. Pourtant, il connait la fine douleur de l’aiguille et les sensations de la cocaïne. Il s’attend à sentir l’habituel pincement puis la vague de chaleur qui remonte de son bras jusqu’au cerveau, l’obligeant à fermer les yeux pour canaliser tous ses sens vers cet unique cadeau empoisonné. Lily mélange la drogue et l’eau, il n’entend que sa propre respiration taper contre ses tympans. Et l’aiguille se glisse avec la douceur dont sa sœur peut faire preuve. Il ne bouge pas d’un millimètre même si ses pupilles se dilatent déjà par conditionnement. “Le bout de l’aiguille doit être en direction du coeur et … et pour être sûr que t’es bien dedans, faut tirer un petit peu, comme ça.” Voilà une précaution qu’il n’avait jamais prise et, de voir quelques gouttes de son sang dans le contenant transparent de la seringue, ça lui fait l’effet d’un tsunami lui tombant sur les épaules. Et, enfin, douce salvation, la cocaïne entre en contact avec sa veine et la pénètre sans s’obstruer. Tous les muscles de Joseph se détendent instantanément et ses paupières se ferment à moitié. Pendant un moment, il croit se trouver dans un rêve mais la voix de Lily le ramène à lui. « Oui. » Il murmure en hochant doucement la tête, grattant machinalement son coude, puis son épaule, friand de la sensation qu’il veut faire éterniser. Doucement, il se traîne vers l’arrière pour poser son dos contre le lit, puis l’arrière de son crâne contre la base du matelas. Un sourire discret étire ses lèvres et il souffle, à moitié dans les vapes, réalisant enfin que Lily vient de s’occuper de lui comme devrait toujours le faire un membre d’une même famille : « Tu aurais fait une excellente mère. » Une longue inspiration gonfle ses poumons, il retient l’air plusieurs secondes et il le souffle en entier par ses narines pour oublier tous ses malheurs le temps d’une envolée.
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| | | | (#)Jeu 27 Aoû 2020 - 17:31 | |
| Le sentiment de bonheur qui s’affiche désormais sur les lèvres de Joseph fait un peu plus de mal à sa cadette encore. Elle devrait être heureuse qu’il se sente bien, elle devrait se réjouir pour lui alors que tout semble aller mieux, pour l’instant au moins. Elle devrait faire bien des choses mais son coeur lui dicte tout l’inverse. Elle a la nausée et elle se sent mal, l’enfant qui se rend enfin compte d’à quel point on vient de transgresser les règles. Ce sont des mains tremblantes qui rassemblent le matériel utilisé pour l’injection et c’est en rageant qu’elle vient briser l’aiguille contre le mur. Le dos de son frère est posé contre le lit alors elle pose le sien contre le mur en face, bien décidé à s’assurer qu’il ne réagisse pas - trop - mal à la dose injectée et ce peu importe à quel point elle voudrait se trouver ailleurs. « Tu aurais fait une excellente mère. » En plus d’un haut le coeur elle retient un trop plein d’émotions qui n’aurait pas lieu d’être. Ses lèvres se pincent, son regard se détourne. Il ne sait pas ce qu’il dit mais comme toujours, il a le don d’appuyer là où ça fait le plus mal. Une main douloureuse et contractée passe sur son ventre plat. “Je ne sais même pas garder un enfant dans mon ventre.” Elle tranche difficilement, incapable de laisser cette discussion s’éterniser, encore plus incapable de le laisser croire qu’elle serait quelqu’un de bien à ce niveau là. Si paraître parfaite sur tous les points est vital pour Lily, elle ne peut pas laisser la mascarade s’étendre jusqu’au sujet de la parentalité qu’elle est bien incapable de gérer. Elle a failli être mère, une fois, mais ce n’est pas pour autant qu’une petite tête blonde évolue à ses côtés. Elle aurait dû s’appeler Anna ; elle aurait dû avoir huit ans cette année.
Du bout des doigts elle vient glisser le matériel dans la poubelle après s’être assurée d’avoir emballé tout ce qui pourrait être coupant et/ou dangereux pour qui que ce soit. Ensuite, elle n’a plus qu’à mettre dans le sac de Joseph ce qui lui reste de matériel pour s’assurer qu’il ait de quoi faire des injections sécuritaires. “Tu pourrais être un bon père, si tu le voulais.” Il s’occupait en tout cas bien d’elle lorsqu’ils n’étaient que des enfants, avant que tout ne lui tombe sur le coin de la tête et qu’il devienne la personne qu’il est aujourd’hui. Elle parle à un fantôme et c’est là la seule raison pour laquelle elle s’ose à de telles paroles. Bientôt, il ne se souviendra plus de rien. Bientôt, il redeviendra le Joseph qu’elle s’est tant entraînée à détester. “On boira le jus d’orange ensemble demain. Je vais rester cette nuit, Jo.” Dans la version officielle, c’est parce qu’elle a besoin de vérifier qu’il ne fasse pas une mauvaise réaction à quoi que ce soit. Dans la version officieuse, c’est parce qu’elle ne sait pas quand est ce qu’elle pourra le revoir et que malgré tout, il reste son stupide frère à peine sorti de prison et elle veut profiter de rester près de lui autant qu’elle le peut. |
| | | | (#)Jeu 17 Sep 2020 - 1:04 | |
| “Je ne sais même pas garder un enfant dans mon ventre.” Les mots volent au-dessus de sa tête sans qu’il n’en comprenne vraiment le sens. Il les voit tourner autour de lui sans jamais se frayer un chemin jusqu’à sa cervelle trop étourdie. Pourtant, ils font leur marque, quelque part dans son esprit, et ses sourcils se froncent en même temps qu’il se redresse légèrement pour poser l’arrière de son crâne contre le matelas. Il passe ses doigts dans ses cheveux pour sentir la moindre chatouille de ses ongles contre son cuir chevelu et il expire longuement, des frissons parsemant l’entièreté de sa peau dévoilée. La drogue agit déjà trop fortement et il ne peut plus suivre la conversation. Il a besoin d’être seul avec les sensations et il a déjà oublié ce qu’il a dit à sa sœur d’une voix endormie, mielleuse. Des propos qu’il n’aurait jamais tenus s’il avait été lucide, mais des propos qui ne découlent pas d’un mensonge.
Elle aurait fait une bonne mère parce qu’elle sait s’occuper des gens qu’elle aime même si elle oublie trop souvent de leur montrer la puissance de ses sentiments. Elle sait aimer, mais elle ne sait pas l’exprimer.
“Tu pourrais être un bon père, si tu le voulais.” Il est parti bien trop loin pour comprendre qu’on s’adresse à lui. Une sorte de sourire moqueur étire ses lèvres comme si son corps savait instinctivement quoi répondre à cette affirmation : non, il ne ferait pas un bon père car il ne peut pas s’occuper de lui-même. Il ne pourrait rien offrir de positif à sa progéniture, il serait l’un de ces pères absents qui met la faute sur leur boulot mais, lui, il n’aurait pas de bonne raison à donner. Il n’est simplement pas fait pour choisir le prénom d’un enfant. La nature lui a bien rapidement retiré ce droit, de toute façon. “On boira le jus d’orange ensemble demain. Je vais rester cette nuit, Jo.” Son sourire s’étire davantage parce qu’il y a l’image du jus d’orange qui s’affiche derrière ses paupières closes. Il a déjà l’impression de sentir les pulpes sucrées sur sa langue et il hoche la tête, satisfait, glissant sa main dans son cou pour toucher du bout des doigts sa chair de poule. Il est bien. Un peu trop bien. Il a oublié pendant un instant que sa sœur n’est qu’une fausse promesse.
Il se réveille le lendemain autour de neuf heures. Cela faisait des mois qu’il n’avait pas passé une nuit complète. Sa première pensée, lorsqu’il se redresse dans le lit confortable, est celle de sa sœur. Il ne pense pas à cette drogue qu’il s’est injectée et qui a détendu tous ses membres. Il ne pense pas à la honte qu’il a ressentie la veille. Il a oublié une grande partie de celle-ci, de toute façon. Seulement, il se souvient du stupide jus d’orange qui l’avait fait saliver dès lorsqu’il avait remarqué la petite affichette sur la table de chevet. Justement, il lui jette un autre coup d’œil et écarquille les yeux en découvrant une information importante. « Lily, le petit dej c’est jusqu’à 9h30. » Il pivote la tête vers le lit vide à sa droite. Muscles endoloris, il grimace en se hissant hors des couvertures épaisses et ses yeux curieux se dirigent naturellement vers la salle de bains dont la porte est restée ouverte. Il fait quelque pas en sa direction, jette un coup d’œil l’intérieur pour découvrir une douche vide, un lavabo inoccupé. Sa mâchoire se serre alors qu’il expire doucement pour finalement analyser le moindre recoin de la chambre. Il ne trouve aucun effet personnel à sa sœur. Pas un sac à main, pas une chaussure, pas une veste oubliée sur un cintre. Il aurait dû s’y attendre. Il renifle, s’empêche de laisser la déception s’emparer de ses émotions et il lance un juron en direction du lit vide dans lequel il aurait dû trouver Lily dès le réveil. Il n’a pas envie d’envoyer le moindre message alors il ne le fait pas. Retour à la case départ. Seulement, cette fois, c’est Lily qui l’a abandonné en plein milieu de la nuit.
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| | | | | | | | Boots of Spanish Leather [Keegan] |
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