Cela faisait dix jours que Victoire était à l’hôpital suite à son accident de la route, son opération avait été un succès et sur le long terme, elle n’aurait pas de séquelles. Mais pour l’instant, elle était loin d’être sortie d’affaire, les douleurs et la rééducation allaient faire partie de son quotidien pendant plusieurs semaines, peut-être même mois. Elle essayait de penser à l’avenir, de se projeter et surtout de chérir la chance qu’elle avait de s’en être sortie aussi bien. L’autre conducteur était bien plus légèrement blessé qu’elle et l’enquête sur l’accident semblait vouloir démontrer qu’ils étaient tous les deux en tord. Deux conducteurs en état d’ivresse qui s’emplafonnaient mutuellement, c’était d’une ironie... Et finalement, ce n’était que justice. De plus, ça allégeait un peu la conscience de Victoire, elle se sentait davantage coupable pour ce qui aurait pu arriver que pour ce qui s’était effectivement passé. *Et si ça avait été une famille ? Si j’avais blessé un bébé ? Une femme enceinte ? N’importe quelle personne innocente et sobre qui se serait retrouvée au mauvais endroit : sur mon chemin d’alcoolique ? Et si j’avais tué quelqu’un ? Peu importe qui… Comment j’aurai pu vivre avec ça ?*
Victoire ressassait ces pensées depuis des jours dans son lit d’hôpital et puis elle pensait à cette soirée qui l’avait menée à commettre l’impardonnable. Ce n’était pas la première fois qu’elle prenait le volant en étant alcoolisée, mais jamais elle ne s’était mise dans un état pareil avant de conduire. Tout cela c’était à cause de cette idée stupide qu’elle avait eue, elle avait cru qu’elle pourrait s’amuser comme une personne normale, profiter d’une soirée sans prise de tête et lâcher ses angoisses sur la piste de danse. C’était Crystal qui lui avait inspiré cela, la Crystal qui lui avait fait passé une soirée étrange mais géniale à la fois. La Crystal avec qui elle s’était lâchée, celle qu’elle avait embrassé, celle dont elle n’avait plus aucune nouvelle depuis qu’elle avait appris qu’elle était gravement malade. Celle avec qui elle avait pris de l’ecstasy pour se sentir heureuse chimiquement et celle qu’elle avait laissée en plan. Voilà pourquoi ce soir-là, elle avait décidé de retrouver cette sensation de bonheur, ce lâcher prise, de s’amuser tout simplement. Elle avait décidé cependant de laisser toute drogue en dehors de cela et de boire très peu, juste assez pour se désinhiber un peu. Elle avait trouvé la soirée parfaite : un bar gay et une soirée Girls Only. Elle y avait même rencontré une compagne de soirée qui avait à peu près son âge, elles s’étaient toutes les deux retrouvées au milieu d’une marée de jeunettes et avaient décidé de passer un bout de soirée ensemble. C’est grâce à elle que Victoire avait réussi à se lâcher, elle avait fini par danser sans retenue, presque avec aisance dans ce bar, se sentant en sécurité sans aucun représentant de la gent masculine à l’horizon. Mais comme la vie ne lui faisait aucun cadeau, il avait fallu qu’elle se retrouve en plein cœur d’un braquage à main armée ce soir-là, dans ce bar...
La raison pour laquelle elle s’était mise dans cet état, ce soir-là, était qu’elle avait été malmenée par les braqueurs, qu’elle avait cru qu’elle allait mourir, qu’elle avait finit par faire une crise d’angoisse comme elle n’en avait pas eu depuis des années. Elle s’était enfermée dans sa voiture, pour ressentir un semblant de sécurité et s’était enfilé une bouteille de whisky entière, puis elle avait fumé jusqu’à s’anesthésier totalement. Elle aurait du appeler un taxi mais jamais elle ne se serait sentie de monter dans la voiture d’un inconnu, d’un homme probablement. Ce n’était déjà pas quelque chose de facile pour elle en temps normal, mais ce soir-là ça aurait simplement été au dessus de ses forces. Elle avait pensé à dormir dans sa voiture mais elle ne s’y sentait plus tant en sécurité que ça une fois que l’agitation autour du bar avait cessé, que la police et les ambulances avaient disparu, que chacun était rentré chez soi. La suite n’était qu’un brouillard confus, elle avait pris le volant en se disant qu’elle n’avait pas un long trajet à faire et elle se rappelait pleurer au volant tout en tirant avec hargne sur un joint. Elle devait rentrer chez elle, c’était le projet initial. Mais son souvenir suivant est celui de la douleur, de la dureté du bitume contre son dos, de la secouriste brune au dessus d’elle qui essayait de la rassurer d’une voix douce. Puis l’ambulance, l’hôpital, la peur de mourir, de finir paralysée…
Mais maintenant, elle était assez autonome pour rentrer chez elle disaient les médecins. Elle avait une ordonnance d’anti-douleurs et de séances de rééducation, une audience devant le juge qui était fixée pour décider des sanctions, elle savait déjà qu’elle devrait suivre des réunions des alcooliques anonymes et allait être soumise à des tests d’alcoolémie et anti-drogue régulièrement. Peut-être qu’ils l’obligeraient à aller en cure de désintoxication aussi… A voir. Mais pour qu’elle sorte, il fallait que quelqu’un vienne la récupérer, car elle n’avait plus de voiture, plus de permis et de toutes façons, elle n’était pas en état de conduire. De plus, même à pied, l’hôpital ne la laisserait pas partir seule. Elle avait essayé de feinter, d’insister qu’elle n’avait aucune famille, mais rien n’y faisait. Elle avait peu d’amis ici à Brisbane et elle n’avait prévenu personne, si ce n’était le travail, qu’elle était hospitalisée. Elle aurait du appeler Ellie, son amie la plus proche mais elle n’avait pas voulu l’inquiéter. Elle avait pensé à Livia, mais elles avaient beau être amies, Livia n’avait gratté que la surface, elle ne connaissait pas la Victoire pathétique et névrosée. Victoire avait trop honte, elle savait qu’elle devrait bien leur parler un jour de cet accident, mais elle n’en avait pas le courage pour l’instant. Puis, elle avait pensé à Byron. Elle avait tout aussi honte mais elle se disait qu’il l’avait déjà vue dans toute sa non splendeur, qu’il serait probablement le moins choqué.
Alors, elle l’avait appelé pour lui demander de venir la chercher à l’hôpital. Elle n’avait rien voulu lui donner comme détails et s’était contentée de lui assurer qu’elle allait bien, qu’il n’avait pas à s’inquiéter. Et il n’allait pas tarder à arriver, elle allait devoir lui expliquer les choses les yeux dans les yeux. Victoire portait le jean qu’elle avait le jour de l’accident et un t-shirt qu’une infirmière lui avait donné, l’autre était foutu, tâché de sang. Son œil au beurre noir était encore visible mais s‘atténuait et elle avait toujours les points sur son arcade sourcilière qui devaient se résorber d’eux-même. Elle portait une minerve au tour du cou et était allongée sur le lit d’hôpital pour économiser ses forces : les positions assise et debout étaient pénibles et douloureuses à la longue. Elle commençait à stresser, Byron arrivait et il allait probablement lui passer un savon quand il apprendrait qu’elle avait eu un accident sous l’emprise de l’alcool et du cannabis. Et elle ne pouvait pas lui en vouloir pour ça, il aurait tout à fait raison…
Son cœur fit un bond dans sa poitrine quand elle le vit apparaître dans l’encadrement de la porte. Elle se redressa avec précaution et s’assit sur le lit tout en le saluant : « Salut Byron, merci d’être venu… Ils ne voulaient pas me laisser sortir seule, vraiment désolée pour le dérangement mais je ne savais pas qui appeler... » Elle se mit à triturer ses doigts avec un air penaud et gêné. Elle n’avait pas revu Byron depuis la fois où elle lui avait fait une grosse crise de parano et l’avait accusé de l’espionner et de mentir sur les violences dont il avait été victime étant enfant. Alors bien sûr, ils ne s’étaient pas quittés sur une note aussi négative mais Victoire avait dû lui laisser une image de meuf paumée et alcoolique qu’elle s’apprêtait à confirmer. Comme pour repousser au maximum le moment où elle devrait s’expliquer, elle s’enquit : « Tu vas bien depuis la dernière fois ? »*Moi comme tu vois, je pète la forme* ajouta-t-elle mentalement.
Au bout du fil. Victoire. Un temps étonné par son appel, je passe machinalement une main dans mes cheveux. Que me veut-elle ? La dernière fois que nous nous étions vu, nous connûmes quelques difficultés de communication. La jeune femme est quelque peu paranoïaque. Elle s’est faite des films sur ma vie, mes intentions auprès d’elle. Elle est partie en vrille. La bouteille de whisky qu’elle s’est enfilée presque entièrement toute seule y a jouer un grand rôle. Elle me demande de lui rendre un grand service. Je m’attends au pire. Qu’est-ce qu’elle veut que je fasse. Suis-je dans la capacité de lui rendre ce service ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Avec Victoire, je préfère ne pas m’avancer. Elle est instable et pleine de surprise. « Oui ? » J’ai l’impression qu’elle tourne autour du pot. Comme si elle avait déjà reçu des réponses négatives. Qu’est-ce qui ne va pas ? Comment puis-je l’aider ? Elle crache le morceau. Elle est hospitalisée. « Quoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Elle ne me répond pas. Elle reste évasive. Elle me demande si j’accepterais de venir la chercher à l’hôpital. J’accepte. Et je relance : « Mais qu’est ce qu’il s’est passé ? ». Elle me remercie. Elle n’en dit pas plus. Elle raccroche. Ok. Je me suis engagé. Je ne vais pas lui faire faux bon.
J’arrive devant l’hôpital. J’ai un haut le cœur. Je n’aime pas me rendre à l’hôpital. Même si, présentement, je m’y rends pour aider. L’atmosphère qui s’en dégage est pesante. Lourde. Je suis toujours mal à l’aise. Tant de vies se croisent ici. Tant de destins se brisent. Je déglutis. Je traverse le parking des visiteurs. Je pénètre dans le hall, immense. Peu de monde. Une personne à l’accueil demande des renseignements. Je patiente. C’est mon tour. « Bonjour, la chambre de Victoire Laclos s’il vous plaît ? ». 310. Troisième étages. Par les escaliers ou l’ascenseur. Je privilégie le premier. J’ai toujours la crainte d’être coincé dans un ascenseur. Je les utilise si je n’ai pas le choix. Je monte dans les étages. Le premier, le deuxième, le troisième. Sur un panneau signalétique, à l’entrée de l’étage indique les chambres 300 à 320 sur la gauche. Les chambres 321 à 340 sur la droite. Je bifurque. Je traverse le couloir, croise des infirmiers et infirmières et balaie les portes des chambres du regard… 301, 302, 303, 304, 305, 306, 307, 308, 309, 310. J’y suis. C’est entrouvert. Je toque avant de pousser la porte.
Je la vois. Assise sur son lit, en jean. Elle est dans un état pitoyable. Sans pour autant faire un délit de sale gueule, elle faisait peine à voir. Un œil au beurre noir. Une minerve. Tout cela n’est pas anodin. Quelque chose de grave s’est passé. Elle me remercie d’être venu. Elle m’explique que l’hôpital refuse de la faire partir. Seule. Elle n’avait personne d’autres à appeler « Je les comprends » Elle n’est pas au top de sa forme. Conduire avec une minerve ? Avec les angles morts à vérifier. Elle n’aurait pas pu prendre le volant. Je la sens mal à l’aise. Comme si elle évitait mon regard. Elle est nerveuse. Elle regarde ses mains. Elle joue avec avant de lever la tête. Avant de me demander comment j’allais depuis la dernière fois. Sa question sonne faux. Et je compte bien avoir ma réponse. « Ce n’est pas à toi de poser cette question... » Comme dit l’adage : jamais deux sans trois. J’ai l’espoir qu’elle me réponde enfin. Elle n’a pas vraiment le choix. Elle ne peut plus raccrocher. Et dans son état, elle ne peut pas me mettre à la porte. Ou elle n’aura personne pour la raccompagner. « Qu’est ce qu’il s’est passé ? Pourquoi es-tu à l’hôpital, dans cet état là ? » Vais-je avoir, enfin, une réponse ? Elle n’a pas véritablement le choix. Si elle veut sortir.
Victoire avait réussi à esquiver les questions de Byron par téléphone car elle ne voulait pas se prendre un savon, elle avait espéré qu’en la voyant il aurait pitié et ne s’énerverait pas. Mais maintenant qu’il était là, elle n’était pas bien certaine que la vue de sa minerve suffirait à adoucir Byron. Elle le salua l’air de rien, comme s’il n’allait pas poser de questions et justifia son appel par le refus de l’hôpital de la laisser sortir seule. Il se rangea à l’avis du personnel soignant et Victoire ne pouvait pas lui reprocher, elle avait une sale tronche, elle s’était vue dans le miroir en se préparant une heure plus tôt et ça n’était pas reluisant. Alors que Vic lui demandait comment il allait, tentant une diversion qui avait peu de chance de fonctionner, Byron lui répliqua ce à quoi elle s’attendait. « Ce n’est pas à toi de poser cette question... ». Elle poussa un soupir et lui jeta un regard qui se voulait rassurant : « Moi ça va, regarde, ils me laissent sortir... ». Elle tenta même un sourire comique pour détendre l’atmosphère mais c’était surtout elle-même qu’elle essayait de détendre. Elle allait devoir raconter l’accident et surtout, elle allait devoir parler de ce qu’il s’était passé avant.
« Qu’est ce qu’il s’est passé ? Pourquoi es-tu à l’hôpital, dans cet état là ? ». Son sourire stupide quitta son visage. Elle savait qu’elle n’y échapperait pas, elle ne faisait que repousser l’échéance et tourner autour du pot. Elle détourna le regard et le fixa sur le sol : « J’ai eu un accident de voiture... ». Voilà, ça suffisait comme explication, non ? Mais elle savait qu’il lui faudrait plus d’informations et subrepticement, elle allait essayer de détourner la conversation sur son état au lieu de parler des circonstances de l’accident. « Bon ben, le coup du lapin quoi… Ils m’ont opéré des cervicales y a quelques jours... ».
Elle se leva du lit avec précautions pour prouver qu’elle allait bien, mais la raideur de ses mouvements et une légère grimace de douleur qu’elle ne put retenir trahissaient son état. Elle avait le corps en miettes, même s’il était relativement fonctionnel, assez pour qu’elle libère un lit d’hôpital, elle n’était pas prête de retourner travailler ou de retrouver une vie normale : « J’ai besoin de rééducation, ça va être un peu long mais ça va aller... L’opération a été un succès ! Donc pas la peine de t’inquiéter. ». Elle lui adressa un sourire plus fatigué que rassurant. *Pas la peine de poser d’autres questions du coup, on a fait le tour du sujet* affirma-t-elle en pensée comme si cela pouvait influencer Byron par télépathie.
Victoire saisit son sac à main sur une chaise de la chambre et ajouta à l’attention de Byron comme pour couper court à toute cette discussion : « On y va ? ». Mais ce fut ce moment que choisit une infirmière pour entrer dans la chambre et constater : « Ah eh bien votre chauffeur est arrivé, bonjour monsieur. ». Elle se tourna vers lui et lui demanda en lui tendant un formulaire de sortie et un stylo : « Vous êtes de la famille ? Indiquez votre nom là, votre lien ici et vous signez en bas... ». Victoire croisa les doigts dans son dos pour que l’infirmière tienne sa langue, mais c’était la plus bavarde du service, celle qui racontait aux patients des potins sur ses collègues probablement en déformant le tout. Et ce qui devait arriver arriva, elle parla trop : « En tous cas, gardez un œil sur elle, même sans avoir pris la voiture, une telle consommation aurait pu être fatale ! ». Et elle jeta un regard sévère à Victoire qui s’énerva en réponse : « Merci de vous inquiéter mais vous connaissez le concept de « secret médical » ou ça ne s’applique pas à vous, peut-être ?! ».
La rousse tourna le dos à Byron et l’infirmière dans une attitude presque boudeuse, elle ferma les yeux pour se concentrer sur ses émotions et essayer de les contrôler. Ca allait être son quotidien désormais, puisqu’elle avait décidé d’arrêter de boire, elle allait devoir trouver d’autres parades que l’alcool pour endormir son hypersensibilité et éteindre les pensées sombres incessantes qui traversaient son esprit. Serait-elle assez forte pour cela ? Rien que de penser à sa résolution de ne pas boire lui donnait envie de boire. Il lui faudra se reposer sur ses rares amis, Byron n’en était pas vraiment un, pas encore, ou peut-être que si. Mais pour le moment, il allait sans aucun doute exiger des explications.
Elle n’a plus le choix. Elle doit me dire ce qu’il s’est passé. Pourquoi est-elle à l’hôpital, dans cet état là ? Qu’elle ne me dise pas qu’elle s’est salement amoché lors d’un swing au golf. Éventuellement, je serais enclin à la croire si elle m’annonce un accident en montagne lors d’une séance d’escalade. Cependant, je vois mal la jeune femme s’adonner à ce genre d’activité. Tandis qu’elle me demande des nouvelles depuis la dernière fois, je retourne la question. Je suis en état. Pas elle. Je tiens le fil de la conversation. Pour l’instant. Elle noie le poisson. Elle tente un sourire en me prenant à témoin que tout va bien, qu’elle peut sortir. Ça va. Certes. Mais la jeune femme a une minerve autour du coup. Ce n’est pas quelque chose d’anodin. J’ai la sensation qu’elle n’est pas franche avec moi, que quelque chose la taraude. Comme si elle avait une once de honte en elle. Si la cause de son hospitalisation n’est pas une séance d’escalade qui a mal tourné. Bien trop spectaculaire pour une femme comme elle. Je ne sais pas. Dans mon for intérieur, j’imagine une raison plus terre à terre. Moins glorieuse. Moins spectaculaire comme… Un accident de la route. Les grands esprits se rencontrent. Je la sens soulager de m’annoncer cette nouvelle. Pour autant, j’ai l’impression qu’elle ne me dit pas toute la vérité. Que l’accident de la route n’est que la partie immergée de l’iceberg. Qu’il y a quelque chose d’autre. Je recycle ma question : « Qu’est ce qu’il s’est passé ? » Quelles sont les circonstances de l’accident. Percutée par un chauffard sans permis, sans assurance et en état d’ébriété peut-être ? Le coup du lapin. J’imagine la scène. Ça fait mal. Très mal. Elle me dit avoir été opéré des cervicales. Le coup du lapin a dû être violent. J’ai mal pour elle. « La personne t’a percuté par l’arrière ? Comment s’est déroulé ton accident ? » Je suis curieux. Elle s’est faite opéré des cervicales. Elle a une minerve. Ce n’est pas rien.
Elle se lève de son lit, avec beaucoup de précaution. Pas de mauvais gestes. Que son état n’empire pas. Même si elle me certifie que l’opération a été un succès. Il ne faut pas qu’elle s’emballe, qu’elle prenne trop de liberté. Si le personnel soignant ne souhaite pas la voir sortir seule de l’hôpital, ce n’est pas pour rien. « Tu as des séances de kinésithérapie pour te remettre ? ». Je pense que la rééducation passe par là. « Et l’autre, il a eu quoi ? » Si je prends en considération son état, je doute que l’autre personne impliquée n’en est pas sortie indemne. « Il s’est passé quoi au juste ? » Elle va peut-être finir par me répondre, plutôt que de me laisser dans le flou le plus total. Un accident de voiture n’a pas lieu sans raison. J’ignore pourquoi elle reste évasive. Est-elle fautive ? Ce qui est certain, c’est qu’elle est pressée de partir, sortir de sa chambre, de cet hôpital. Elle évite la confrontation, le sujet. Elle récupère le sac posé sur la chaise à côté de son lit. Et elle pose une question rhétorique, se dirigeant déjà vers la porte de la chambre. Néanmoins, son action est court-circuitée par l’arrivée inopinée d’une infirmière. Elle me salue. Elle me tend une questionnaire, en me demandant si je suis de la famille.Il s’agit des formalités de sortie. Pour dédouaner la responsabilité de l’hôpital en cas de soucis rencontrés par Victoire. Je survole le document, marque mon nom, prénom, date de naissance, adresse postale, comme demandé. J’indique aussi mon lien avec le patient. ‘Ami’. Cela est-il suffisant ? Ne doit-elle pas demander à un membre de sa famille ? Elle n’est plus mineure, je pense que toute personne majeure peut se porter garant de sa sortie. Je signe. Je lui rends le questionnaire. Elle y jette un coup d’œil. Aucune remarque. Tout semble bon pour que Victoire puisse sortir, fuir cet espace aseptisé.
Aucune remarque. Peut-être pas. L’infirmière s’apprête à sortir, nous précédant le pas. Et là, elle lâche une bombe. Sur les causes de l’accident de Victoire. Elle me met en garde. Sur une consommation qui aurait pu être fatale, même sans voiture. Je m’arrête instantanément. Mon visage se fige. Un simple mot sort de ma bouche : « Quoi ? » Et là, Victoire s’en prend violemment à l’infirmière et lève au firmament de ses paroles le concept de secret médical. Là était donc le problème. Je comprends désormais ses silences, ses refus de me répondre. J’attends que l’infirmière sorte de la chambre, avant de refermer la porte derrière elle, quelques instants. Je me tourne vers Victoire… « Tu te fous de moi ? Tu encore bu ? Au volant ? Tu est totalement inconsciente ma parole ! » Malheureusement pour moi, j’ai déjà signé son autorisation de sortie… Si j’avais su, elle a été particulièrement maline, je le sentais qu’il y avait anguille sous roche, que quelque chose clochait, je n’aurais pas signé son autorisation de sortie. Pour son bien, je l’aurais laissé cogiter, seule, dans sa chambre d’hôpital. Tandis que j’avais un peu de compassion quand je l’ai aperçu, avec son œil au beurre noir et sa minerve… Là, son état est, à mes yeux, totalement insignifiant. Elle a, finalement, eu ce qu’elle méritait. « Et tu as pensé à l’autre qui arrivait en face ? » La moutarde commence sévèrement à me monter au nez.
Victoire a annoncé son accident à Byron et il ne perd pas de temps pour la questionner. « Qu’est ce qu’il s’est passé ? » Mais la française esquive le vrai sens de sa question en parlant surtout des conséquences de l’accident plutôt que des circonstances de celui-ci. Elle lit sur son visage qu’il s’imagine l’accident et la douleur du fameux coup du lapin. Pour le moment, elle a réussi à esquiver le sujet sensible : le taux d’alcool qu’elle avait dans le sang à ce moment. « La personne t’a percuté par l’arrière ? Comment s’est déroulé ton accident ? ». « Euh oui, peut-être… J’ai perdu connaissance alors je ne souviens pas vraiment... » Ca n’était pas vraiment un mensonge, même si ses souvenirs étaient flous bien avant le choc, à cause de la dose impressionnante d’alcool qu’elle avait dans le sang pendant l’accident.
Victoire marchait sur des œufs, tant dans ses mouvements alors qu’elle se levait avec d’infinies précautions pour prouver son argumentaire à Byron, que dans ses paroles pour cacher la vérité à Byron. Il enchaîna sur sa rééducation : « Tu as des séances de kinésithérapie pour te remettre ? » et Victoire sauta sur l’occasion de continuer sur ce sujet : « Houla oui… Va falloir que je me trouve une kiné sympa parce que je vais littéralement vivre dans son cabinet... ». On l’avait effectivement prévenue qu’elle aurait beaucoup de rééducation lente et profonde à faire avant de retrouver une mobilité normale sans douleurs. Mais Byron ne se laissa pas berner ainsi et il recentra le sujet, il s’enquit de l’état de l’autre conducteur. Vic n’a pas besoin de mentir pour le coup et elle ne se sent presque pas coupable sachant que l’autre était aussi saoul qu’elle : « Il s’en sort bien à ce qu’on m’a dit. Un bras cassé... ». La rousse avait l’impression de subir un véritable interrogatoire et elle n’avait pas envie de se replonger dans les souvenirs de cette soirée, elle n’avait pas envie de devoir se justifier et de devoir raconter le cauchemar qu’elle avait vécu dans ce bar…
« Il s’est passé quoi au juste ? » Mais Byron n’arrêtait pas de revenir à la charge et cela poussait Victoire au bord du précipice. Sans qu’elle ne puisse se retenir, elle perdit son calme et s’écria : « C’est bon, là ! Je t’ai dit que je m’en souvenais plus, merde ! T’auras qu’à demander aux enquêteurs ! ». Courroucée, Vic se dirigea vers la porte mais fut interrompue par l’infirmière, la bavarde. La suite fut un désastre, elle caquetait l’infirmière, elle ne se taisait donc jamais ? Puis elle quitta la pièce laissant Vic seule avec Byron. Elle lui tournait le dos, ne voulant pas affronter ce qui s’apprêtait à lui tomber dessus. « Tu te fous de moi ? Tu as encore bu ? Au volant ? Tu est totalement inconsciente ma parole ! » Et voilà, la tempête était arrivée et Vic allait se la prendre de plein fouet. Elle resta silencieuse un instant, essayant de rassembler ses forces pour la conversation qui s’apprêtait à avoir lieu. Puis elle se retourna pour faire face au visage clairement contrarié de Byron : « Je sais… Mais cette fois, je vais arrêter. Pour de vrai… J’ai tellement honte... ». Elle était sincère mais combien de fois avait-elle promis cela à de multiples personnes en le pensant sincèrement mais sans réussir à tenir parole ?
« Et tu as pensé à l’autre qui arrivait en face ? » Oui, elle y avait pensé, elle s’était torturée à ce sujet jusqu’à ce qu’elle apprenne qu’il avait bu aussi, comme si cela l’absolvait de ses propres erreurs. « L’autre était ivre aussi… Mais je sais, c’est pas une excuse… Je sais que ça aurait pu être dramatique, que ça aurait pu être une famille, une femme enceinte… Je sais que j’aurai pu tuer quelqu’un... ». Elle s’effondra en larmes, cette culpabilité de ce qui aurait pu arriver, c’était cette culpabilité qui la rongeait. Elle s’assit sur le lit pour ne pas trop forcer ses ses cervicales que l’émotion et les sanglots rendaient douloureuses et elle ajouta : « Je suis désolée ok. Je sais, j’ai merdé. Ca aurait pu finir tellement mal... Mais je… Cette soirée c’est... » Elle n’arrivait pas à le dire, elle s’étranglait dans ses propres sanglots et les images de la prise d’otage commençaient à revenir la hanter.
Elle évite le sujet. Indéniablement. Elle ne me raconte pas les raisons de cet incident. Assoupissement. Pire, ébriété, surtout en connaissant son passif. Malgré mon insistance, elle trouve toujours des chemins de traverse. La perte de connaissance. Elle l’empêche de se souvenir avec précision des évènements, de la collision, de l’accident. L’excuse peut s’entendre. Elle ne me satisfait pas. Loin de là. Elle a trop évité le sujet à mon goût… Déjà au téléphone.
La discussion bascule autour de la rééducation. Passage délicat. Toujours compliqué. D’autant plus que, selon la gravité des blessures, la reconstruction peut être longue et fastidieuse. Je la questionne sur des séances de kinésithérapie. Elle saute dans la brèche. Je le sens. Elle en profite. Elle plaisante. Je rentre dans son jeu. « De bons kinés, il y en a… Accepteront-ils de te prendre en pension complète. J’en doute ! » Je doute que l’un d ‘eux la supporte ‘H 24’. Elle a son petit caractère, ses sautes d’humeur. Incontrôlable.
Je n’ai pas perdu mon objectif. Connaître la raison de son accident. Pourquoi est-elle restée dix jours alité ? Le coup du lapin et ses conséquences sont-ils les seules raisons de ce séjour prolongé ? Je sens l’entourloupe. Elle n’a pas eu son accident seule. Je m’intéresse au second chauffeur. Quand je vois l’état de la jeune femme, je crains le pire. Peut-être est-il mort ? Dans le coma ? Que sais-je encore. Elle me rassure. Seulement un bras cassé. « Il a eu un peu plus de chance que toi... » Maintenant que je sais que l’autre n’a rien de grave, je tente une nouvelle fois de tirer les vers du nez. Et là, elle monte dans les tours. Elle m’envoie balader. Elle maintient ses propos. Aucun souvenir. Elle m’oriente, pour en savoir plus, vers les enquêteurs : « Mais les enquêteurs ont bien dû te dire ce qu’il s’était passé ? Tu as perdu le contrôle de ton véhicule ? » Elle ne va pas me répondre. Elle préfère prendre la direction de la porte. Elle veut sortir. Fuir. Mais une infirmière tombe à pique. Je dois remplir de la paperasse. Les formalités administratives de l’hôpital. Une décharge. Une fois la fiche remplie et rendue, l’infirmière fait quelques confidences sur l’état de Victoire. Les origines de son état. Elle est plus bavarde que la rouquine. Heureusement pour moi. Néanmoins, lorsque les raisons de son accident sont révélés, mon sang ne fait qu’un tour. Je bouillonne. J’attends que l’infirmière sorte pour confronter la jeune femme. Elle admet sous mes yeux que son comportement est inadmissible. Après, je n’écoute plus ce qu’elle dit. J’ai tiqué. Tiqué sur deux mots. Deux simples mots. Je m’emporte. « Comment ça cette fois ? » Calmement, je reprends ma respiration. Je la fusille du regard… « Tu as déjà eu un accident sous l’emprise de l’alcool ? Mais bordel, tu attends quoi ? D’être tétraplégique pour réagir ? Au moins tu pourras stocker un certain nombre de bouteilles de whisky sur tes genoux, en fauteuil roulant ! » Sous l’emprise de l’alcool, elle n’avait pas conscience qu’elle était un danger public. Et l’autre en face. Juste un bras cassé. Il a vraiment eu de chance. Elle aurait pu avoir un mort sur la conscience. Et elle commence à me baratiner. Comme elle, il était imbibé par l’alcool au moment de l’accident. Ce n’est pas une raison pour minimiser son rôle. Ils sont tout autant fautif l’un que l’autre. « Une famille… Une femme enceinte… Un homme aussi bourré et con que toi… Tu aurais pu briser une vie, deux vies, dix vies… Et ta vie ! » Si ce n’est pas déjà le cas. Peut-on dire qu’ils sont sortis indemnes de l’accident ? Quand je vois l’état de Victoire, j’ai des doutes. Et là, elle s’effondre. En larmes. Sur le lit. J’y suis allé un peu fort. Peut-être. Son attitude, sa volonté de fuir mon regard, mes questions, m’ont piqué au vif. Je tente de me calmer. Je m’approche d’elle. Je m’agenouille. Je la regarde. Elle est dévastée. Je pose, prudemment, une main sur les siennes. Je m’attends, chat échaudé craint l’eau froide, à un acte de rejet de sa part. Un acte pour se protéger de tout rapprochement physique. Elle s’excuse… Je ne veux pas l’enfoncer plus encore. Elle a compris. J’espère. Je ne sais pas. Tandis qu’elle n’a pas fini sa phrase, je mets de l’eau dans mon vin : « Je crois que je suis allé trop loin » Et j’entends les derniers mots sortir de sa bouche. Elle me parle d’une soirée. Mais ses mots s’étranglent au milieu de ses sanglots. Je lève mes yeux vers elle. Je sens qu’elle se renferme. Joue-t-elle la comédie ? Afin que je passe l’éponge sur son dérapage. Je l’interroge : « Quelle soirée ? » À ma question, j’ai l’impression qu’elle frissonne. « Victoire, qu’est-ce qu’il y a ? Que s’est-il passé ? Qu’est ce qui t’a poussé à boire, à perdre la raison ? » Je tente d’être compréhensif, de la rassurer.
Byron insistait encore et encore, il ne lâchait pas l’affaire comme un chien accroché à son os. Et plus Victoire esquivait ses questions, plus il devenait suspicieux. Il n’allait pas tarder à faire le rapprochement tout seul, connaissant les tendances de la française à noyer ses angoisses dans l’alcool. Mais l’arrivée de l’infirmière mit fin à tout ce suspense et déclenche la colère du jeune homme. Il interpréta mal ses paroles. « Comment ça cette fois ? » Vic releva un regard d’incompréhension vers lui. « Tu as déjà eu un accident sous l’emprise de l’alcool ? Mais bordel, tu attends quoi ? D’être tétraplégique pour réagir ? Au moins tu pourras stocker un certain nombre de bouteilles de whisky sur tes genoux, en fauteuil roulant ! » La rousse voulut faire non de la tête mais la douleur qui se déclencha aussitôt l’arrêta dans son mouvement. Elle tenta de se défendre : « Non… Je n’ai jamais eu d’accident avant... » Ça, elle a pris le volant sous l’emprise de l’alcool un nombre inavouable de fois, mais jamais dans un état pareil, elle avait toujours gardé le contrôle de son véhicule, n’avait jamais eu l’impression de mettre en danger qui que ce soit. « Je veux dire que cette fois je ne dis pas ça en l’air. Je vais arrêter de boire, j’ai eu trop peur… Je peux pas continuer comme ça... ».
Mais Byron revint à la charge et appuya sur la corde sensible de la rousse : sa culpabilité. Victoire tenta bien de repousser ce sentiment de culpabilité en lui apprenant que l’autre conducteur était également saoul. Mais elle ne convainquait personne, pas même elle-même. « Une famille… Une femme enceinte… Un homme aussi bourré et con que toi… Tu aurais pu briser une vie, deux vies, dix vies… Et ta vie ! ». Il avait raison, et elle se torturait d’ailleurs avec ça depuis son arrivée à l’hôpital, jour et nuit, à chaque instant où elle avait été consciente et pas assommée de morphine. Mais ce soir-là, elle n’avait pensé à rien de tout cela, ni à sa propre vie ni à celle des autres. Elle avait juste voulu s’éteindre, ne plus rien ressentir, est-ce qu’on pouvait apparenter ça à une tentative de suicide ? Peut-être… Mais Victoire n’en avait pas conscience en tous cas. Elle s’effondra sur le lit, secouée de sanglots et Byron se radoucit un peu. Il s’agenouilla pour pouvoir voir son visage et posa sa main sur celles de Victoire. Elle eut un sursaut mais ne retira pas ses mains, elle avait besoin de ce réconfort et elle essaya de l’accepter. « Je crois que je suis allé trop loin ». Elle essayait de lui parler mais les mots ne sortaient qu’au compte-goutte. « Quelle soirée ? » Elle frissonne rien qu’à l’évocation de cette soirée. « Victoire, qu’est-ce qu’il y a ? Que s’est-il passé ? Qu’est ce qui t’a poussé à boire, à perdre la raison ? »
Vic rompit le contact avec la main de Byron pour s’essuyer le visage et effacer toute trace de ses larmes. Elle se concentra sur sa respiration, il fallait qu’elle apprenne à calmer ses crises d’angoisse sans alcool. Pourtant, elle ne pensait qu’à ça pour l’instant, boire, fumer, éteindre cette douleur qui oppressait sa poitrine. Elle réussit à calmer ses sanglots un minimum, assez pour arriver à aligner quelques mots. « J’étais dans un bar… Y a eu un braquage… Une prise d’otage… Ils étaient armés et violents… Ils… Ils... » Elle n’arrivait pas à le dire. « C’était horrible. J’ai cru que j’allais mourir... ». Elle leva enfin son regard empli de larmes vers Byron, est-ce qu’il allait finir par la fuir, elle et son aimant à drames ?
Mauvais interprétation de ma part. Raccourci. Elle se défend d’avoir déjà causé un accident similaire. Elle prend, semble-t-il, simplement conscience de son état de santé. De sa dépendance à l’alcool. J’ai du mal à le croire. Comment peut-elle me certifier qu’il ne s’agit pas de paroles en l’air ? J’ai des doutes. Sans ménagement, je lui fait comprendre… Sèchement. « Je te donne donc rendez-vous ici même dans six mois ! » Elle a besoin d’aide. Néanmoins, il faut mesurer ses propos. Ne pas les dire à la légère. Prendre conscience qu’ils ont un sens. Elle ne peut pas simplement les dire, se convaincre et passer à autre chose. Ses paroles engagent des actes radicaux. Afin d’aller mieux. Tandis que j’aurais pu mettre de l’eau dans mon vin, je ne cède pas, je lui mets la réalité en face. Je lui parle de famille, de femme enceinte, d’être qui auraient pu avoir leur vie brisée… Et tous les dommages collatéraux que cela implique. Comme lors d’une partie de bowling. Un strike. Une quille est touchée plein fer. L’onde de choc se propage aux neuf comparses de celle-ci. « Si je te dis ça, c’est pour ton bien. Que tu comprennent que la vie ne tient qu’à un fil. Et que ton goût prononcer pour le whisky peut anéantir ta vie et celle de tant d’autres personnes ! » Face à mon jugement sévère. Face à mes mots rudes, elle s’effondre en sanglots. Mes paroles devaient servir d’électro-chocs. Néanmoins, dans mon for intérieur, loin de moi l’idée de la pousser à bout, aux pleurs. J’allège mes propos. Je m’agenouille auprès d’elle. Avec toutes les précautions qui s’imposent, j’appose mes mains sur les siennes. Je lui montre que je suis là. Je lui montre que je ne veux pas la laisser tomber. Je fais amende honorable, je m’excuse pour mes propos bien trop violents. Elle a vécu un traumatisme. J’en ai rajouté une couche, sans prendre en compte son état mental. Elle était au bord du gouffre. À de deux doigts de tomber dans les abîmes. C’est à ce moment-là qu’elle crache le morceau. Elle fait une allusion à une soirée. Compte tenu de son état actuel, j’imagine que celle-ci a été l’élément déclencheur. Je la questionne. Elle rompt le contact, je retire mes mains tandis qu’avec les siennes, elle s’essuie les yeux, elle tente de sécher les larmes qui ont coulé sur ses joues. Manquant de tomber à la renverse, j’extirpe d’une des poches de mon jean un paquet de mouchoir. Je perds un instant le contact visuel et, sans crier gare, elle m’explique ce qu’il s’est passé lors de cette fameuse soirée. L’élément déclencheur. Un traumatisme. Les larmes coulent de plus bel sur son visage. Je tends à la rouquine un mouchoir. Je ne sais pas trop quoi dire. Pris de cours par ses propos. En toute franchise, je ne m’attendais pas à cela. Seuls trois mois réussirent à sortir de ma bouche, difficilement, tellement mon cerveau partait dans tous les sens : « Je suis désolé ! » Cet évènement, couplé aux traumatismes connus dans le passé, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour elle. Elle a préféré succomber à son penchant pour l’alcool plutôt que d’en parler à une oreille attentive qui aurait pu la soutenir, l’aider à passer outre cet épisode traumatique. « Je comprends mieux » Même si je ne cautionne pas. Mes propos antérieurs sont toujours valable. Tout ça aurait pu encore plus mal finir. « Pourquoi n’en a-tu pas parlé ? Peut-être pas à moi, mais à quelqu’un ? Ça aurait probablement éviter tout ça » Dis-je en balayant la chambre d’hôpital aseptisée. Je me relève, mes genoux commencent à tirer. Je m’assoie à côté d’elle, avant d’ajouter : « L’alcool ne résous pas ce genre de problèmes ! ».
Victoire essayait de s’expliquer, de convaincre Byron que c’était la dernière fois, qu’elle ne toucherait plus une seule goutte d’alcool, qu’elle avait compris la leçon. Mais il n’y avait pas moins fiable qu’un alcoolique ou un addict de manière générale, alors ce n’était pas étonnant que Byron ne la prenne pas au sérieux. « Je te donne donc rendez-vous ici même dans six mois ! » raille-t-il sèchement. Victoire encaissait, elle savait qu’il avait sûrement raison et qu’elle ne réussira jamais à s’en sortir et ça ne fit qu’amplifier son abattement un peu plus. Elle avait beau avoir plein de bonnes résolutions, avoir le numéro d’une sponsor des AA, avoir pris la décisions de jeter tout l’alcool qui se trouvait chez elle dès qu’elle y mettrait les pieds, tout ça pouvait basculer en un instant. Elle était faible face à ses démons et addictions. Les semaines qui allaient suivre seraient en plus compliquées, elle allait souffrir, se retrouver chez elle toute la journée sans pouvoir s’occuper les mains et l’esprit en faisant de la pâtisserie, c’était probablement le pire moment pour se sevrer. Mais elle n’avait pas le choix. Il y avait la justice, d’abord, qui allait lui demander des comptes et puis, surtout, elle ne pourrait plus vivre avec elle-même si elle n’essayait pas au moins. Byron était visiblement hors de lui et n’avait aucune envie de se montrer indulgent envers elle : « Si je te dis ça, c’est pour ton bien. Que tu comprennent que la vie ne tient qu’à un fil. Et que ton goût prononcer pour le whisky peut anéantir ta vie et celle de tant d’autres personnes ! » Il avait l’impression qu’il faisait ça pour elle et c’était probablement son intention première, la mettre face à ses erreurs pour qu’elle ne recommence plus. Mais il ne réussit qu’à la faire s’effondrer en pleurs, de culpabilité mais également car elle allait devoir parler de ce qu’il s’était passé pour qu’il la comprenne. Elle allait devoir raconter ce qu’elle avait vécu et le raconter, c’était revivre le traumatisme. Encore.
Elle évoqua la soirée et il se radoucit devant sa crise de larmes, il se mit à son niveau et la questionna en lui adressant un geste de soutien qu’elle tenta d’accepter. Sa main contre la sienne. Mais elle rompit le contact après quelques secondes pour s’essuyer les yeux et finit par lâcher des informations sur cette nuit de cauchemar qu’elle avait vécue : le bar, la prise d’otage, les armes, la violence, sa peur de mourir… Sa respiration était saccadée, ses larmes ne cessaient de couler et la douleur dans ses cervicales se faisait ardente. Elle étira son cou pour soulager la douleur, mais en vain, elle croisa cependant le regard de Byron et malgré sa vision rendue floue par les larmes elle vit qu’il avait l’air sous le choc. Il lui tendit un mouchoir. « Je suis désolé ! » Elle épongea son visage et ses yeux mais tant qu’elle n’aura pas repris ses esprits, les larmes ne cesseront de couler et le mouchoir sera bientôt trempé et inutile. « Je comprends mieux » Elle lui jeta un regard en biais pour voir à quel point il avait l’air compréhensif, elle aurait voulu qu’il lâche l’affaire et la fasse sortir de l’hôpital, qu’elle puisse rentrer chez elle et s’assommer d’anti-douleurs, à défaut de prévoir de boire ou de fumer. Une drogue prescrite contre une autre, est-ce que c’était mieux ? En tous cas, heureusement qu’elle y avait droit, sinon c’était sûr qu’elle ne pourrait pas. « Pourquoi n’en a-tu pas parlé ? Peut-être pas à moi, mais à quelqu’un ? Ça aurait probablement éviter tout ça » Il ne voulait pas lâcher l’affaire, il voulait comprendre mais Vic avait simplement l’impression qu’il soulignait toutes ses erreurs encore et encore. Elle ravala ses sanglots pour réussir à s’exprimer : « J’voulais juste rentrer chez moi… C’était en pleine nuit, j’aurai dérangé… ». Ça lui paraissait stupide maintenant d’avoir eu peur de déranger vu les conséquences de cette soirée. Elle s’était apprêtée à appeler Ellie alors qu’elle était enfermée avec la bouteille dans sa voiture, avant de l’ouvrir et de la descendre en entier. Mais elle avait vu l’heure : 4h du matin. Puis elle avait vu sa tête dans le rétroviseur aussi et elle avait eu honte que son amie puisse la voir ainsi, le petit crush qu’elle avait sur elle n’avait pas tout à fait disparu. Comme pour se rassurer elle ajouta : « De toutes façons, personne n’aurait répondu... ». Il y avait des chances en effet, qui entend son téléphone vibrer à 4h du matin ? Byron se releva et il vint s’asseoir sur le lit à côté d’elle, la française pleurait toujours, à croire qu’elle était composée à 99 % de larmes. « L’alcool ne résous pas ce genre de problèmes ! » « Je sais… je sais… J’essayais juste d’oublier... » Mais elle n’avait pas oublié, les images revenaient sans cesse sous forme de flashs. « Ils ont commencé à… vio… » Elle s’arrête au milieu du mot comme si le dire allait lui brûler la langue. Elle reprend en choisissant un mot moins douloureux : « ...à agresser la barmaid… Et ils ont tiré sur cette fille… Y avait du sang partout... » Elle ne parla même pas de s’être retrouvée malmenée par un des braqueurs avec une arme sur la tempe, sans défense, terrorisée. Elle avait envie de se sentir protégée, elle avait besoin de réconfort et Byron était juste là assis à côté d’elle, elle avait soudain envie de se blottir dans ses bras comme s’ils étaient les bras d’Ellie, de pleurer contre lui et de recevoir un peu de tendresse dont elle manquait tant. Mais Byron était un homme, elle avait beau lui accorder une part de sa confiance, il était tout sauf naturel pour elle de se tenir si près de lui et encore moins de se retrouver dans ses bras. Elle le regarda et entre deux sanglots, elle précisa encore une fois comme si c’était encore nécessaire : « Te fais pas d’idées... » Elle pivota précautionneusement sur le lit pour être tournée vers lui et ajouta : « Mais j’en ai besoin... ». Alors elle glissa ses bras autour de son buste pour se faufiler entre ses bras par surprise. Il risquait d’être surpris, lui que Vic avait habitué à garder ses distances. Elle se retrouvait donc contre lui dans une position un peu inconfortable du fait qu’ils soient assis tous les deux côte à côté, ses bras enroulés dans son dos, sa tête posée sur son épaule où les larmes continuèrent de couler. Elle ferma les yeux et se concentra sur la chaleur de l’étreinte, les battements de cœur de Byron et sa propre respiration, tentant de se calmer et cela commençait à fonctionner.
Elle me raconte un évènement traumatisant. Une prise d’otage. Lors d’une soirée dans un bar. Élément déclencheur de sa chute dans les abîmes de l’alcool. Je comprends mieux son état, qu’elle ait été sur un point de crête. En équilibre précaire. Et qu’elle ait succombé. Mais n’est-ce pas trop facile, trop aisé ? N’y avait-il pas d’autres solutions ? Plus réfléchies ? Nous vivons dans une société où la technologie est omniprésente. Un texto. Un appel. Pour trouver du réconfort, une épaule sur laquelle s’appuyer. Vider son sac et éviter de faire une connerie. Une connerie que l’on pourrait regretter. « Tu voulais rentrer chez toi ? Mais tu as fini à l’hôpital ! Même en pleine nuit, il ne faut pas hésiter… Si les gens tiennent vraiment à toi que tu les appelles à 12h13 ou à 2h37, ils seront là pour toi... ». Je réitère ma mise en garde. L’alcool n’est pas la solution. Bien au contraire. L’alcool, dans son cas, a empiré les choses. Elle a préféré privilégier l’oubli. Mes des souvenirs font de nouveau surface. Lorsqu’elle m’explique qu’ils ont tenté de violer la barmaid du bar, qu’ils ont tiré sur une cliente. Elle revoit la blessure. Et le sang. Je la sens horrifié. Traumatisme. Je le lis dans ses yeux. « Raison de plus pour ne pas rester seule. Tu aurais dû appeler quelqu’un ! ». Quand on a vécu une évènement si choquant, il est impossible d’affronter cela en solitaire. Il faut pouvoir compter sur quelqu’un, pour nous aider à surmonter cette épreuve. Je me remémore les premiers mois passés dans ma famille d’accueil, durant lesquels le père, petit à petit, à gratter ma carapace, pour gagner ma confiance et m’ouvrir à lui. Grâce à lui, j’ai pu me reconstruire. Elle a droit à cette chance, comme j’ai pu en bénéficier. Emporté dans mes pensées, je ne fais guère attention à ses propos. Pourquoi ne dois-je pas me faire d’idées ? Je la regarde, interrogatif. Ai-je manqué un épisode, trop éloigné de la réalité. Probablement, d’autant plus lorsqu’elle se rapproche dangereusement de moi. Et qu’elle passe ses bras autour de mon torse. Je sursaute légèrement. Ne m’attendant surtout pas à cela. Mon cœur s’emballe. J’ai une sueur froide. Comme dois-je réagir. Je ne veux pas risquer de me prendre une droite pour geste inconvenant. Difficilement, tandis qu’elle est contre moi, je tente de dire quelques mots « Pas… Pas… Pas de problème ! ». Afin de lui montrer mon soutien, je la serre à mon tour dans mes bras. Doucement, j’ai la sensation que Victoire, peu à peu, se calme. Comme si la thérapie du rapprochement de nos deux corps fonctionne. Décidément, elle continue à me surprendre. L’agressivité à mon encontre, moi l’homme, s’estompe. Comprend-elle que je suis de son côté ? Qu’elle n’a rien à craindre de moi ? Que je ne suis pas un prédateur. Loin de là. « Ça va mieux ? » Silence. Je dessers doucement mon étreinte. Je ne veux pas abuser. Sans son consentement. Elle est la maîtresse des horloges. Elle mène la barque. Pour ne pas la brusquer. « Tu veux rentrer ? » Propose-je. Après tout, avant de découvrir le pot aux roses, j’étais venu la chercher pour la ramener chez elle. Profitant d’une situation qui peut être à mon avantage, je glisse une idée à son oreille : « Actuellement, je n’ai plus de colocataire, une chambre est libre. Si tu ne veux pas être seule chez toi, je peux t’accueillir quelques temps, quelques jours ? » L’idée est lancée. Maintenant elle en fait ce qu’elle veut. Je ne veux pas qu’elle croit qu’elle ait le couteau sous la gorge.
Son excuse pour n’avoir appelé personne est nulle et elle le sait, une autre excuse pour ne pas demander de l’aide et rester seule dans sa souffrance et dans sa honte. « Tu voulais rentrer chez toi ? Mais tu as fini à l’hôpital ! Même en pleine nuit, il ne faut pas hésiter… Si les gens tiennent vraiment à toi que tu les appelles à 12h13 ou à 2h37, ils seront là pour toi... » Est-ce que les gens tiennent vraiment à elle ? Est-ce qu’elle a créé de vrais liens ici à Brisbane ? Est-ce qu’elle a créé de vrais liens tout court dans sa vie depuis qu’elle a été traumatisée ? Probablement pas. Elle considère Ellie comme sa meilleure amie mais pourtant, elle semble s’effacer, disparaître de sa vie peu à peu. Et Byron, il se sent peut-être responsable d’elle d’une certaine manière, il a envie de l’aider mais on ne peut pas vraiment dire qu’ils soient amis pour l’instant et Vic ne pense pas qu’il tient à elle. Peut-être que ça viendra, qui sait, mais pour l’heure, elle se sent simplement seule. Pourtant elle acquiesce aux remarques de Byron concernant ces fameuses personnes qui « tiennent à elle ». « Je sais… j’aurai dû appeler... ».
Les larmes ne cessent de couler et Byron vient s’asseoir à côté d’elle sur le lit. Elle lui raconte ce qu’il s’est passé, dans les grandes lignes car il est difficile d’avoir un discours structuré alors qu’elle est secouée de sanglots. La tentative de viol, puis la blessée, Roxanne… « Raison de plus pour ne pas rester seule. Tu aurais dû appeler quelqu’un ! » Il est en boucle, elle a bien compris ce qu’il pense, pas la peine d’insister autant, ça ne l’aide pas à se sentir mieux. Elle est déjà en pleine crise de pleurs, elle se sent seule et en danger, comme si elle était là-bas à nouveau avec le métal froid du canon de l’arme pressé contre sa tempe. S’il insiste tant sur le fait qu’elle aurait dû demander de l’aide, se réconforter dans l’interaction sociale plutôt que dans l’alcool. Elle va le prendre au mot, elle a besoin de lui, tout de suite maintenant. Alors elle se blottit contre lui, l’enlace. Elle lui accorde une confiance incroyable en livrant ainsi son corps contre le sien. Elle le sent surpris, crispé. « Pas… Pas… Pas de problème ! » bégaye-t-il ne sachant apparemment pas comment réagir.
Finalement, il prend part à l’étreinte à son tour, doucement il la serre contre lui avec une délicatesse infinie. Elle pleure sur son épaule, puis peu à peu les images s’évaporent, sa respiration saccadée se fait plus fluide, ses yeux s’assèchent et les traits de son visage se détendent. Elle a bien fait de se faire violence et d’oser tester ses limites, elle se sent vidée, épuisée mais surtout, elle se sent apaisée et elle voudrait ne jamais quitter l’étreinte rassurante de Byron, son ami. Oui, elle a envie de l’appeler son ami maintenant. « Ça va mieux ? » Ses paroles la sortent d’une profonde torpeur, elle se serait presque endormie dans ses bras. Il desserre lentement son étreinte et Victoire se recule pour reprendre sa position initiale, détachée du torse de Byron. « Oui… Merci... » Puis il lui propose : « Tu veux rentrer ? » La question est complexe, est-ce qu’elle a envie de quitter l’hôpital ? Oui. Est-ce qu’elle se sent d’attaque pour aller chez elle et trouver sa table basse encombrée de cadavres de bouteilles et de son stock de weed ? Non. Elle ne se sent pas prête à affronter le placard qui lui sert de bar et est plein de bouteilles d’alcool qu’elle a prévu de vider dans l’évier. Elle n’y arrivera pas… « Il faudrait... » répond-t-elle sur la réserve. C’est alors que Byron la surprend avec une proposition à laquelle elle ne s’attendait pas mais qui tombe à pic. « Actuellement, je n’ai plus de colocataire, une chambre est libre. Si tu ne veux pas être seule chez toi, je peux t’accueillir quelques temps, quelques jours ? » Elle n’aurait pas à se retrouver seule chez elle, il pourrait l’aider pour certaines choses qui lui seront difficiles au début de sa rééducation comme atteindre les placards en hauteur ou pour porter n’importe quel objet un peu lourd. Et puis, elle se sentirait en sécurité, c’est certain. « Tu es sûr que ça ne te dérange pas ? » demande-t-elle avec de l’espoir dans le regard. « Je veux pas m’imposer, mais ça serait vraiment un soulagement... »
Alors c’est ce qu’ils font, ils passent d’abord chez Victoire et ils se débarrassent ensemble de tout l’alcool et la drogue qui se trouve entre ces murs. Ce n’est pas si dur puisqu’elle n’est pas seule, il est là pour être ferme et devant lui elle ne peut rien faire d’autre que ce qu’elle avait promis. Vic se retrouve en colocation, pour combien de temps ? Aucune idée, quelques jours, quelques mois ou peut-être plus ? En tous cas, elle est extrêmement reconnaissante envers Byron, décidément il commence à devenir une vraie personne de confiance et il joue un rôle de plus en plus important dans sa vie. Elle ne sait pas comment, mais elle lui revaudra ça mille fois s’il le faut.