if i lay here, if i just lay here would you lie with me and just forget the world? chasingcars@snowpatrol
Tu regardes l’état de ton salon et tu ne te fais pas encore à tous ses jouets qui traînent maintenant dans tous les coins, ta bibliothèque auparavant entièrement consacrée à des ouvrages médicaux qui arborent désormais plusieurs classiques de Disney en plus de quelques classiques pour enfants. Pleins de petits morceaux de Milo qui décorent maintenant ta maison en entier alors que tu t’habitues encore tranquillement au fait que tu es tout ce qu’il lui reste. Tu ramasses d’ailleurs quelques jouets que tu déposes machinalement dans le nouveau coffre à jouet que tu lui as acheter la semaine dernière et c’est par habitude que tu t’arrêtes devant la bibliothèque pour regarder les différentes photos qui sont dans les cadres juste au dessus. Ton coeur se serre alors que tu admires le portrait d’une famille qui n’est plus, les sourires de Matias et Elsie tellement vibrant alors qu’ils serrent contre eux un Milo âgé seulement de quelques mois. Insouciants, sans savoir que leur temps tous ensemble étaient compter et que chaque minute était plus que précieuse. Puis tu t’attardes ensuite sur une vieille photo de Matias et toi, à ta graduation du collège. Tu échappes un long soupir et et te pince les lèvres alors que tu retiens ses larmes qui reviennent toujours trop vite lorsque tu te permets de penser à ton frère. Tu prends alors une grande respiration et ferme les yeux quelques secondes, tentant de reprendre tes esprits, tentant tant bien que mal de te garder les deux pieds sur terre, dans cette nouvelle réalité.
« Aunty? » La voix de Milo est faible alors qu’il t’appelle de sa chambre et même s’il est tard, tu accueilles la distraction qu’est le jeune garçon. L’horloge de la cuisine affiche 10h21 et tu soupires en pensant à la nuit qui s’entame, redoutant chaque soir le moment ou tu t’allonges dans ton lit, incapable de trouver sommeil. Tu te diriges vers la chambre de ton neveu et tu allumes sa lampe pour entrevoir son visage endormi. « Qu’est-ce qu’il y a mon loup? » Tu t’assois près de lui et il se blottit contre toi. « J’aimerais que tu me lises une autre histoire, s’il-te-plaît. » Tu lui offres un sourire. « Il est tard, demain d’accord? » Il hoche la tête, l’air un peu déçu mais il se recouche quand même, remontant la couverture jusqu’à son menton. Tu te penches vers lui et dépose un baiser sur son front avant de te relever et de fermer la lampe. « Bonne nuit. » « Bonne nuit tía. » Tu sors de la chambre et ferme la porte derrière toi avant de te diriger de nouveau vers la cuisine. Tu te frottes les yeux, la fatigue se fait sentir mais tu redoutes d’aller t’allonger à ton tour. Alors tu ouvres ton frigidaire et sort une bouteille de vin déjà entamée et t’en verses un généreux verre, te disant que ça ne peut que t’aider à dormir plus tard.
Tu viens de t’installer devant la télévision lorsque tu entends quelques coups cogner contre la porte. Un sourire se pose sur tes lèvres instantanément alors que tu devines trop facilement qui se trouve derrière. Tu te surprends à t’arrêter devant le miroir, pour t’assurer que tu es présentable alors qu’en réalité, Ripley il t’a déjà vu dans tous tes états. Tu remontes quand même tes cheveux in a messy bun avant de finalement ouvrir la porte au jeune homme. « Hey, je pensais pas que tu viendrais ce soir. » Tu le laisses rentrer et l’invites à venir s’asseoir sur le divan. « T’étais pas obligé de venir tu sais? Bailey et Lewis doivent s’ennuyer de toi. » Tu dis ça, mais en réalité, t’es soulagée qu’il soit là. C’est toujours un peu plus facile de passer à travers la nuit quand il est là. T’es tellement reconnaissante qu’il soit là pour toi depuis la mort de Matias, tu ne peux imaginer à quel point ce serait encore plus difficile sans l’aide du jeune Wyatt. Tu vas à la cuisine et attrape la bouteille de vin et un deuxième verre que tu déposes ensuite sur la table du salon. Tu ne lui demandes même pas s’il en veut, tu verses le liquide frais dans la deuxième coupe que tu lui tends ensuite. « Merci encore de m’avoir remplacé aujourd’hui. »
Dernières instructions communiquées aux internes de garde ce soir, quelques modalités à revoir avec les infirmières également après un dernier tour par les chambres pour prendre la température après une journée relativement calme. Pas de grosses urgences pour un service obstétrique qui semble avoir ressenti l’absence de l’une de ses principales titulaires. Parfois, tu regrettes d’avoir opté pour une carrière en pédiatrie, tu penses à tous ces chirurgiens qui s’orientent vers une autre spécialité en plein milieu de leur carrière parce qu’ils se rendent compte qu’ils affectionnent particulièrement d’autres domaines. Rien n’est impossible, tu pourrais toi aussi choisir de bouleverser ton quotidien un jour… Pour l’heure, tu apprends à t’épanouir dans ton service. La pédiatrie te prends aux tripes, ces gamins qui en bavent sont ta raison d’être, tu cherches constamment à repousser les limites de la médecine pour eux, pour leur sourire et leur innocence face à la maladie. Ce que j’aime, lorsque j’accepte de remplacer au pied levé Sage, c’est ces femmes que j’accompagne vers le plus beau moment de leur vie, la naissance de leur enfant. J’ai pu mettre trois bébés au monde et à chaque fois je suis pris d’émotion. Des scènes comme celles-ci n’ont pas de prix. Tu es bien trop sensible, Ripley. Tu chéris la vie, le bonheur… Tu es peut-être bien trop empathique, les étoiles dans leurs yeux t’animent et te font aimer davantage encore cette vocation. La journée se termine, il est un peu moins de vingt-deux heures, je devrais déjà être parti depuis une heure mais je déteste précipiter les choses. Encore moins lorsqu’il ne s’agit pas de mon service. Tout doit être parfait, je déteste le suivi approximatif. Tu as une conscience professionnelle que beaucoup de tes collègues n’ont pas. Sage, elle fonctionne exactement comme toi. Sa vie passait après son travail avant qu’elle n’accueille Milo. Une dernière recommandation à l’interne que j’ai l’habitude de former dans mon propre service, un bosseur acharné en qui j’ai confiance. Il prend des notes et se met au travail alors que déjà, je m’aventure du côté des vestiaires pour retrouver une tenue plus… Adaptée pour ce que j’ai en tête. « Bonne soirée, docteur Wyatt. » J’acquiesce, adresse un énorme sourire à l’infirmière que je croise. « Bon courage pour la nuit qui vous attend. N’hésitez pas à me bipper en cas de problème, je reste joignable. » Tout pour qu’ils n’importunent pas Sage en cas de problème. Je quitte le bâtiment et atteint le parking.
Tu frappes à sa porte et ton cœur déjà s’emballe dans ta poitrine. Tu as le sourire aux lèvres, plus aucune fatigue. Tu pourrais passer la nuit à discuter à ses côtés malgré la garde que tu viens d’achever. La porte s’ouvre et son sourire me percute de plein fouet. « Je me suis dit que tu aurais peut-être envie de faire un point sur la journée qui s’est écoulée… Je n’ai pas encore regardé mes messages WhatsApp mais je te connais… » Rire taquin, la dernière garde supplémentaire que j’ai pris pour pouvoir la remplacer, j’ai été harcelé de messages vocaux auxquels j’ai mis vingt-cinq minutes à répondre, bilan de chacun de nos patients à la clé. « Et puis… Je ne voulais pas manger tout seul… » Excuse bidon, je trouve toujours quelque chose à invoquer pour la rejoindre. Pour pouvoir m’inviter et lui changer un petit peu les idées. Je tends l’emballage de cette chaine de burgers qui cartonne en ce moment près de l’hôpital. Le pain, maison, est exceptionnel, ne parlons même pas de leurs frites… À se damner. « J’ai opté pour ton burger préféré… J’espère que tu as faim, j’ai craqué et commandé une montagne de frites ! » Coupable, votre honneur. J’entre et abandonne mes baskets sur le pas de la porte. « Bailey bossait sur une pièce de théâtre avec quelques-uns de ses camarades de classe ce soir et Lewis en profite pour rattraper son retard au bureau. Personne ne m’attend à la maison ! » Ils comprennent, Lewis est fier de moi. Il l’a vécu, lui aussi. Nous l’avons vécu tous les deux. « Avec modération, j’ai demandé aux infirmières et aux internes de service de me bipper s’ils avaient le moindre problème. » Sourire en coin. Je me redresse pour aller chercher deux assiettes dans lesquelles je renverse la montagne de frites et place les deux burgers. « C’est normal… Dois-je te rappeler qu’il ne s’agit que d’un juste retour des choses ? » Combien de fois s’est-elle proposée pour me remplacer au pied levé, quand Bailey était malade, quand il avait besoin de moi malgré mes gardes… Lorsqu’un enfant entre dans ta vie, tu ne peux tout simplement pas lui demander de s’adapter. Tu dois faire le nécessaire pour être présent, pour pouvoir subvenir à ses besoins. « Parle-moi de ta journée, comment va Milo ? »
if i lay here, if i just lay here would you lie with me and just forget the world? chasingcars@snowpatrol
L’odeur de fast-food prend rapidement place dans ta maison et c’est dans un grognement sourd de ton estomac que tu réalises que tu n’as presque rien manger de la journée. Tu t’étais dis que tu allais grignoter une fois que Milo serait endormi, mais t’as plutôt préféré mettre à jour certains de tes dossiers de la maison, histoire de pas être trop en retard pour ta journée de demain. Et comme l’invoque si gentiment le jeune Wyatt, tu lui as également laissé plusieurs messages, ne serait-ce que pour t’assurer que tout se passe bien dans ton service. T’es un peu control freak quand il s’agit de ton travail et t’es pas du tout le genre à demander à ce que l’on te couvre, ne serait-ce que parce que tu ne fais confiance à personne. Sauf à Ripley évidemment. Ripley qui depuis la mort de ton frère, semblait toujours répondre présent pour aider. Ripley toujours prêt à prendre l’une de tes gardes lorsque tes parents n’étaient pas disponibles pour garder Milo. Ripley qui savait toujours quoi dire au bon moment. Ripley qui trouvait toujours de bonnes raisons pour venir te tenir compagnie, au moment ou tu en avais le plus besoin. Ton coeur se serre légèrement alors que son sourire t’emmène une vague de bien-être que tu n’as pas ressenti de la journée et tu tentes de chasser tant bien que mal ses nouvelles pensées intrusives qui s’incrustent dans ton esprit. « Comment tu fais pour savoir ce dont j’ai besoin avant même que moi je le réalise? J’ai rien mangé de la journée et ça sent divinement bon tout ça. » Tu piges déjà à même le sac et apporte quelques frites à ta bouche alors que Ripley emmène des assiettes et sert le repas devant vous. Ça te fait tellement de bien qu’il soit là. Tellement de bien qu’il pense à tout alors que tu peines à mettre un pied devant l’autre. C’est pas dans tes habitudes de perdre le contrôle, tu détestes avoir l’impression que les choses t’échappent, mais c’est ta nouvelle réalité et tu peines à t’y faire. « Tu penses vraiment à tout. » Un autre sourire. Tu le regardes peut-être un peu trop longtemps, ton regard se perdant dans le bleu de ses yeux, un frisson parcourant ton échine, mais tu détournes le regard comme si de rien était et prend une bouchée de ton burger. Remet les pieds sur terre Sage.
Un léger rire échappe tes lèvres alors que tu repenses à vos premières années à travailler ensemble. Tu repenses à toutes les fois ou Ripley avait du s’absenter pour s’occuper de Bailey et tu peines à croire qu’une décennie est passée entre vos doigts, subtilement et subitement il te semble. « J’arrive pas à croire que Bailey soit déjà si près de la vingtaine. C’est encore plus fou pour moi de penser qu’un jour, Milo aussi aura vingt ans. » Un sourire triste se dessine sur tes lèvres alors que tu penses à ton nouveau qui devra vivre tous ses précieux milestones sans ses parents. Qu’ils ne verront pas son premier jour de maternelle, ni sa graduation à la fin du lycée. Qu’ils ne rencontreront pas sa première petite amie ou qu’ils ne seront pas la pour avoir le fameux talk. Tu engloutis une autre bouchée de ton burger, accompagné de quelques frites et d’une gorgée de vin. Ton regard se dirige vers la porte de la chambre de ton neveu alors que Ripley te demande comment il va, et tu hoches vaguement des épaules parce qu’honnêtement, t’es pas certaine de comment il va. Il est encore si jeune, si innocent, t’es pas certaine qu’il réalise l’ampleur de la situation et puis vraiment, qui peut le blâmer? T’es pas certaine de vouloir comprendre toi non plus. « Ça va, j’ai passé la journée a passé des nounous en entrevue. J’ai vraiment pas envie d’avoir une inconnue qui vit chez moi, mais j’peux pas non plus demander à mes parents d’arrêter de vivre pour s’adapter à mon horaire de fou. » Un autre soupir, une autre bouchée. « Milo va bien, je crois. Il a jamais été un gamin très bavard depuis la mort de sa mère et tu t’imagines bien que c’est pire maintenant.. » Tu essayes d’aller le chercher, autant que tu peux, de le sortir de sa bulle mais c’est difficile. Bien plus difficile que tu ne l’aurais imaginé. « J’essaye de le rassurer autant que je peux, mais j’suis pas certaine d’avoir les bons mots. Pas pour un enfant de cinq ans en tout cas.. » Tu te mords les lèvres pour empêcher les larmes de monter, t’es incapable de regarder Ripley en ce moment. T’as pas envie d’être cette fille qui devient émotive dès la première occasion, mais faut que tu te rendes à l’évidence, parler de Milo, c’est toujours un peu parler de ton frère. Tu tentes un sourire alors que tu regardes le jeune homme furtivement et tu t’empresses de te lever. T’as besoin de faire quelque chose, de te sentir moindrement utile. Alors sans même t’assurer qu’il a bien terminé son repas, tu ramasses les deux assiettes et les emmène à la cuisine ou tu les déposes dans un bruit qui prend toute la place. Tu prends une grande respiration et essuie une larme qui s’échappe silencieusement sur ta joue. Tu sais que t’as pas besoin de te cacher devant Ripley, mais c’est plus fort que toi. T’es tellement fatiguée. « Du coup, y’a pas eu de complications aujourd’hui? » T’es toujours dos à lui, la voix qui craque, le poids du monde sur tes épaules. Malgré tout, et il est là et il te fait du bien.
Le service a été long, ne l’est-il pas toujours ? Mais je ne suis jamais épuisé ni même fatigué d’avoir sauvé des vies et contribué à rendre les gens heureux. Ce doit être davantage le cas en obstétrique, d’ailleurs… Donner la vie est un acte profondément symbolique et unique. Chaque accouchement est différent du précédent. L’émotion est tellement… Viscérale ? Tu es sur le chemin du retour, les mains fermement ancrées contre ton volant et l’image de ces deux parents qui fondent en larmes en accueillant leur bébé dans leurs bras te mets les poils… T’en as même les yeux qui pétillent, les perles salées qui roulent… Tu as toujours aimé cela toi, la jeunesse, prendre soin des enfants… Tu partages une sorte de connexion avec eux qui est indispensable pour qu’ils aient confiance en toi lorsque tu tentes de leur sauver la vie… Une proximité ravageuse lorsque tu ne parviens malheureusement pas à le faire. Tu en as passé des heures, confiné dans le local à fournitures, à pleurer et extérioriser tout ce que tu pouvais après une mauvaise nouvelle annoncée à des parents. Certains d’entre eux continuent de te hanter. Si eux, sont parvenus à te pardonner le fait de ne pas avoir été suffisamment puissant pour battre la Mort à son propre jeu… Il en est tout autre de ta propre image de toi. Tu continueras à ressentir la culpabilité. Ces jeunes gens à qui je n’ai pas réussi à sauver la vie, ils hantent mes cauchemars, certes, mais ils sont également un formidable moteur pour faire mieux, pour me dépasser, pour leur rendre justice. Ils ne m’ont pas fait sombrer, ils m’ont rendu plus fort, plus solide, plus astucieux. La mort, elle fait malheureusement partie de notre quotidien, nous l’acceptons tous lorsque nous prêtons serment. Chacun d’entre nous prie pour qu’elle soit rare, qu’il soit possible de lui faire la nique autant de fois que possible mais parfois… Parfois nous sommes violemment ramenés à ce que nous sommes en premier lieu : des êtres humains qui ne peuvent pas agir comme des dieux. Nous n’avons pas de superpouvoirs et lorsque la situation est critique, nous sommes témoins d’une déchéance plus qu’acteurs d’un renouveau. Tu ignores pourquoi mais tu repenses soudainement aux Woodworth. Ils t’envoient chaque année une lettre à l’hôpital avec des photos de leur fils, que tu as sauvé in-extremis… Ce sont eux qui te ramènent vers la lumière quand tu doutes, quand tu penses ne pas être bon, quand tu te crois incapable… Rayan a bien grandi… Il était mon premier patient après titularisation, le premier que j’ai eu à prendre en charge seul… Je prie pour que jamais nos chemins soient amenés à se recroiser ici, à l’hôpital.
La nourriture hume diablement bon, elle embaume ma voiture et fait grommeler mon ventre. Bien-sûr que j’ai faim, je n’ai rien avalé de nutritionnellement correct depuis ma prise de poste. Je n’ai pas spécialement eu le temps, tout juste la capacité de prendre un café et de dévorer sur le pouce un petit paquet de chips, puis une banane avec un gâteau bourré d’additifs. Lewis, s’il avait été là, m’aurait frappé… Tout ça parce que j’ai oublié mon Tupperware, pressé par Bailey qui était en retard. Je suis affamé, et j’espère ne pas me tromper au sujet de Sage, même si je serais prêt à mettre ma main à couper qu’elle n’a pas pris soin de se préparer à manger. Elle le fait toujours pour Milo, mais elle grignote à peine. Tu as remarqué qu’elle avait perdu poids… Elle n’en a pas besoin, elle est parfaite et c’est justement pour cela que tu es inquiet. Tu ne veux pas la voir sombrer, impuissant. Alors tu optes pour de la junkfood, une commande digne de ce nom avec des produits que tu sais frais, pas du genre à sortir du McDonalds. Tu détestes ça, le MacDo. Sa réaction me fait sourire encore plus et gonfler fièrement le torse. « Je te connais par cœur, jeune fille ! » Petit clin d’œil complice. Nous avons passé des années et des années à charbonner ensemble à l’hôpital, de quoi apprendre à se connaitre sur le bout des doigts. Je m’occupe de tout, pour une fois, et nous prépare de belles petites assiettes. Je dégaine même les sauces que j’ai quémandé à l’employé qui m’a livré ma commande. Il y en a pour tous les goûts, j’ai pris soin d’en demander double dose de celle qu’elle préfère… Parce que j’aime la voir se jeter dessus comme une morte de faim et me refuser à en subtiliser une petite quantité. Son regard s’attarde longuement dans le tiens et tu te sens étrangement faillir. Tu as ce sourire qui ne te quitte pas, tu as même l’impression de rougir sauf que ta peau, légèrement hâlée, camoufle tout cela.
Je me laisse tomber sur le canapé, à côté d’elle, pas le dernier à quémander un tel confort après une telle journée. « Bailey ne cesse de grandir, trop vite à mon goût… Je n’avais pas réalisé à quel point avant de tomber sur un SMS qui a nécessité d’avoir LA discussion… Ce fut un moment horrible à passer ! Et pour lui, et pour moi. » Je confesse, hilare et horrifié à la fois, rien qu’au souvenir de cette fameuse conversation. Heureusement que Lewis était à mes côtés, surtout lorsqu’il a fallu introduire les préservatifs à cette histoire et lui en donner quelques-uns, juste au cas où. « Un conseil, prends le temps de capturer chaque instant de son enfance… Ils grandissent bien trop vite ! » Oh que oui, je suis malade rien que de penser qu’il s’en ira bientôt voler de ses propres ailes. Sa tristesse, je la ressens, elle me brise le cœur. Je ne dispose d’aucun mot pour apaiser sa peine, ma main vient instinctivement caresser la sienne… Des gestes valent mille mots. « Je sais… » Ce qu’elle ressent, je l’ai aussi ressenti lorsque Felicia est morte. La problématique était différente, Bailey n’était qu’un nouveau-né à l’époque… Mais le manque doit quelque part être le même. « Je n’ai aucune chirurgie demain, après mon tour de service et mes rendez-vous, je pourrais le récupérer chez tes parents en début d’après-midi et passer du temps avec lui, si tu veux ? Je lui ai promis de l’emmener au parc. » Je croque généreusement dans mon burger, non sans laisser m’échapper un soupir. « Orgasme culinaire, je persiste et signe, ce sont les meilleurs de Fort Myers ! » Ce que je ne remarque pas, cependant, c’est que j’ai de la sauce plein le contour des lèvres… À vrai dire, ce sont ses yeux qui attirent mon attention et me font abandonner les frites et mon burger pour me rapprocher après m’être essuyé les doigts. « Non, stop… Je t’interdis de ravaler tes larmes et tes émotions par la même occasion. Safe space, d’accord ? » Pisser dans un violon. Elle attrape nos deux assiettes et me prive de nourriture par la même occasion pour pouvoir fuir à tout cela. Elle sait comment s’y prendre pour te fuir, mais toi, t’es bien plus coriace qu’elle ne l’imagine. Je lui emboite le pas et, sans un mot, me colle à son dos pour l’enlacer. Je ne veux pas l’obliger à se retourner, à me faire face, à exprimer frontalement ses émotions. Mais je suis là quand même. « Voleuse de frites… Tout ça parce que tu m’as vu lorgner sur ta sauce ! » Une touche d’humour pour essayer de lui apporter un peu de baume au cœur, même si cela ne dure qu’un instant.
if i lay here, if i just lay here would you lie with me and just forget the world? chasingcars@snowpatrol
Tu aimerais pouvoir oublier, ne serait-ce que pour un instant, que le sort semble s’acharner sur ta famille. Tu aimerais pouvoir penser à ton frère et à Elsie sans ressentir cette douleur indescriptible dans ta poitrine, sans voir ce trou immense dans ta vie, dans celle de ton neveu. Tu aimerais pouvoir dire que tu comprends, que rien n’arrive pour rien, mais tu n’y arrives pas. Parce que la mort, elle fait pas de sens. Pas quand elle vient prendre de jeunes parents. Ou des enfants qui ne demandent qu’à vivre. La mort, elle fait sa loi, elle fait des ravages et même si dans ta vie de tous les jours, tu essayes de la contourner, de la déjouer du mieux que tu peux, tu finis toujours pas perdre à un moment ou un autre. En tant que chirurgienne, tu danses avec la mort au quotidien, une bataille que tu gagnes souvent, que tu perds malgré toi parfois. Tu voulais te faire croire que de voir la mort si souvent te rendrait plus forte pour faire ton deuil. Mais ça semble être le contraire. T’es incapable de l’accepter. Incapable de te faire à l’idée que la mort a gagné contre quelqu’un d’aussi bien que ton frère. Que t’as même pas eu la chance de te battre pour le sauver. Ça t’enrage de penser que rien n’a pu être fait pour le sauver. Mort sur impact. Tu essayes de te consoler en te disant qu’au moins, ça n’a pas dû être douloureux, mais ça ne te console pas du tout. Y’a rien qui te console. Mais tu dois garder la tête haute, travailler, t’occuper de Milo et continuer d’avancer. Parce que c’est ce que Matias et Elsie voudraient. C’est ce que Ripley essaye de t’aider à faire, sac de junk food dans les mains et les meilleures intentions du monde alors qu’il tente tant bien que mal de te changer les idées. Tu rigoles doucement lorsqu’il te parle de LA discussion qu’il a du avoir avec Bailey. Tu vois encore le petit garçon de dix ans lorsque tu penses au jeune King, c’est définitivement étrange de penser qu’il est maintenant à un stade de sa vie ou il peut être intime avec quelqu’un. « Je me demande parfois si ça aurait pas été plus facile que Milo soit plus petit, avec peu ou pas de souvenirs de Matias. » C’est cruel, tu le sais bien, mais t’es pas certaine que de vivre avec les souvenirs soit réellement plus facile, surtout pour un si petit être comme Milo. Tu frisonnes légèrement alors que sa main vient se poser sur la tienne, un geste qui se veut réconfortant mais qui ne fait que déclencher ce tourbillon d’émotions qui t’habitent depuis les derniers six mois.
Tu t’en veux de devenir si émotive, d’être si vulnérable. Tu veux tellement être forte pour ton neveu, t’as l’impression d’échouer lorsque tu laisses toute cette tristesse prendre le dessus. Tu le sais bien pourtant que le jeune Wyatt ne te jugerait pas si tu te mettais soudainement à pleurer, mais c’est plus fort que toi, tu ressens le besoin de t’enfuir, de te cacher. Tu le sens derrière toi alors que tu débarrasses ce qu’il restait de votre repas, et tu échappes un long soupir alors que quelques larmes se faufilent sur tes joues, malgré tout. « Voleuse de frites. Tout ça parce que tu m’as lorgner sur ta sauce. » Un léger rire. Puis un sanglot que tu n’es plus en mesure de retenir, suivi d’un autre rire lorsque tu te tournes et aperçoit toute la sauce autour de ses lèvres. « Faut bien que quelqu’un t’apprenne à partager, surtout que t’en mets partout comme un vrai gamin! » Tu essuies tes joues du revers de la main avant d’attraper un essuie-main. C’est sans trop y penser que tu viens pour essuyer la bouche du jeune docteur, tes doigts frôlant au passage ses lèvres. T’as le sourire au milieu des larmes dans ce moment qui est plus comique que triste, te rappelant une fois de plus que tu ne sais pas comment tu passerais au travers sans Ripley. « Tu me rappelleras de dire à Lewis qu’il a pas fait un très bon boulot pour t’apprendre les bonnes manières à table. » Un autre rire, moins de larmes. Ça fait du bien. De pouvoir laisser ta tristesse de côté sans être obligé de la cacher complètement. De pouvoir être triste et heureuse à la fois, sans aucune attente, sans aucune gêne. « Merci. » Que tu murmures, presque silencieusement mais tu le sais qu’il t’entend, ou du moins qu’il comprend. Il te connaît réellement par coeur, après tout.
« C’est une bonne idée le parc. J’pense que ça lui fait du bien à Milo de passer du temps avec toi. Il m’a dit l’autre jour que tu lui faisais penser à son père. » Tu revois encore ton neveu, un grand sourire aux lèvres, le genre de sourires qui ne passent pas souvent dans les temps qui courent. Ripley était venu passé l’après-midi avec vous et bien que tu le vois aller à tous les jours à l’hôpital, tu ne pouvais qu’admirer cette aisance et cette facilité qu’il a de connecter avec les jeunes. T’as une autre grosse journée à l’horaire demain et tu te sens mal de devoir laissé le petit à tes parents encore, d’avoir Ripley venir le chercher va donner un coup de main à ta mère et rendre Milo heureux, c’est évident. « Par contre, si ma mère fait des remarques comme quoi j’suis encore célibataire et un bon parti, ignore-la. Elle s’est mise en tête que j’ai besoin d’un homme maintenant que j’dois m’occuper de Milo à temps plein. » C’est elle d’ailleurs, qui est venue semé des doutes dans ton esprit sur ta relation avec le jeune Wyatt. Dix ans d’amitié, dix ans de confidences, et jamais il ne t’était réellement passé par la tête de pousser votre relation plus loin. Mais depuis que ta mère t’a dit que tu étais folle de t’être jamais posé la question. De ne jamais avoir voulu voir ce qui pourrait être. Et maintenant qu’elle t’a glissé la puce à l’oreille, t’es incapable de ne pas y penser. Tu oses à peine le regarder, un peu effrayée par sa réaction. Après tout, il doit bien y avoir une raison pour laquelle vous n’êtes que des amis après tout ce temps, pas vrai? « J’sais qu’il commence à se faire tard, mais ça te dirait de rester pour écouter un film? » Pars pas stp. Pas tout de suite. Tu sais que j’arriverais pas à dormir si tu me laisses seule avec ma peine. Que le mal est trop grand, que j’arrive pas à le porter toute seule.
Je la regarde longuement, j’analyse ses traits tirés, ses prunelles qui brillent et tentent de retenir des flots de larmes qui, pourtant, auraient intérêt à s’écouler pour la libérer d’un tel poids. Elle prend la fuite, bien entendu, parce qu’elle fonctionne exactement comme moi, comme Lewis, comme la plupart d’entre nous lorsque nous devons faire face à un deuil que nous avons du mal à accepter. Tu sais ô combien cela peut être difficile de perdre un être aimé, tu as perdu ton père ainsi, un militaire, ton héros, tombé en pleine mission. Tu as assisté à ses funérailles, reçu ce drapeau des mains de certains de ses partenaires de mission. Tu as perçu le chagrin de ta mère qui s’est effondrée et pour laquelle tu as décidé d’être fort car oui, déjà à l’époque tu prenais soin des autres avant de réfléchir à tes propres sentiments. C’est Lewis qui est parvenu à t’atteindre, tu ne te souviens pas du temps que vous avez passé sous ce porche, dans les bras l’un de l’autre, à pleurer ensemble. Tu as ouvert les vannes et tu n’arrivais plus à te sortir de ta détresse… Et puis tu as compris… Compris qu’il était nécessaire de laisser sortir tout cela pour reprendre le dessus. Je l’observe et je me demande si le moment ne serait pas arrivé d’envoyer un SMS à Lewis pour arranger une rencontre hasardeuse dans les jours à venir. Ils n’ont pas vécu la même chose, mais mon meilleur ami a dû apprendre à composer avec Bailey, il a dû effectuer ce même travail qu’elle pour arriver à ne plus ressentir de la tristesse en observant l’enfant, en le prenant dans ses bras, en le berçant… Tu ignores comment il est parvenu à réaliser une telle chose. À l’époque, tu étais surtout concentré sur le bien-être du petit. Tu lui as laissé le temps de faire son deuil comme tu aurais aimé qu’il le fasse pour toi. Lewis pourrait l’aider, peut-être même mieux que moi. « Je ne saurais répondre à cette question. J’ignore s’il existe véritablement une réponse. J’imagine qu’il est difficile pour tout le monde de perdre ses parents, à n’importe quel âge. La seule chose qui compte, c’est que nous soyons là pour eux et que nous puissions répondre à leurs questions sans avoir peur de dire la vérité. » Bailey n’a jamais connu sa mère, il a été confronté très tôt au regard des autres, à se demander en toute innocence pourquoi les autres enfants avaient une maman et un papa et pourquoi lui avait un papa et un daddy. Pourquoi les parents de ses copains étaient amoureux et pas nous. Il a été de nombreuses fois humilié par ses camarades, moqué par ces adultes censés le protéger. Combien de fois me suis-je retrouvé à taper du poing sur la table, sauvé in-extremis par un Lewis qui, dieu merci, a toujours su agir comme il se devait et me contenir, avec des compétences qu’il tient de son métier, de cette nécessité d’argumenter et d’invoquer les lois pour les remettre à leur place. Lewis, tu prends souvent exemple sur lui, il est un modèle incroyable, non seulement pour votre fils, mais pour toi aussi. « Tu devras être présente pour lui lorsque les souvenirs lui donneront envie de parler, de rigoler… Mais également lorsqu’il se sentira submergé par l’émotion et qu’il sombrera… Tu ne dois pas avoir honte de sombrer avec lui, d’accepter d’être dans le même état… Il aura besoin de sentir que tu partages cela avec lui, que vous avez cette connexion dans les bons, mais également les mauvais moments. » Je parle tellement calmement que je me surprends à faire preuve d’une sorte de philosophie de vie qui me va bien. Je suis derrière elle et je sais qu’elle m’entend, je sais qu’elle puise dans ses ultimes réserves pour ne pas craquer et pourtant… Pourtant je sens jusque dans mes tripes qu’elle en a besoin. « Je serais-là… Et pas seulement aujourd’hui, pas demain ou après-demain… Je te fais la promesse de toujours être présent pour t’aider, pour t’écouter, pour te bousculer s’il le faut !!! Tu ne seras pas seule pour affronter tout cela. » Je caresse ses bras, aussi frustré eusse-t-il été possible de l’être de ne pas pouvoir établir un contact visuel. Eye to eye.
Icebreaker, je trouve un moyen de rebondir, d’alléger l’atmosphère en mentionnant les frites qu’elle vient de me dérober en invoquant cette sauce incroyable qu’elle refuse toujours de partager, et cela depuis nos années d’internat. Tu te moquais toujours d’elle, lorsque toute l’équipe d’internes commandait de la junk-food et qu’elle se réservait les quelques petits pots de cette sauce au secret bien gardé par l’enseigne. Une fabrication certifiée maison pour une enseigne de qualité qui, quitte à te faire prendre du poids, le fait avec de bons produits. Elle a un sourire qui, malgré moi, me fait sourire à nouveau. C’est ainsi que tu préfères la regarder, lorsqu’elle semble amusée, heureuse. Tu adorais voir son sourire s’étirer après avoir remporté un combat, lorsqu’elle commettait l’impair de te dérober un patient sous le nez en séduisant l’un de vos nombreux titulaires en étant la première à se porter volontaire ou à proposer le bon diagnostic. Tu la détestais profondément mais tu adorais la voir s’agiter dans tous les sens avec son petit cri de la victoire qu’elle seule maitrise à la perfection. « À qui le dis-tu… Lewis a cessé d’essayer, je suis ce qu’il appelle une cause perdue. » Je pouffe de rire et sombre dans un silence qui n’a rien de gênant et qui me laisse le temps d’encaisser ce rush d’adrénaline qui me parcours lorsque ses doigts s’aventurent à la commissure de mes lèvres pour retirer l’excès de sauce. La faute à cet hamburger à la garniture généreuse, trop gros pour une bouche humaine. Je la regarde faire, silencieux, admiratif et… Bizarre, t’es bizarre mec. Je pouffe de rire à nouveau, complice avec ses remarques taquines et acquiesce simplement, sans en faire tout un plat, lorsqu’elle me remercie.
« Moooh… C’est un brave petit et… Je dois confesser avoir commis un énorme pêché… Je l’ai acheté avec une gaufre au Nutella. » Je grimace, l’air désolé et m’éloigne en courant, comme un gamin qui viendrait d’être attrapé la main dans le sac, en direction du salon pour me jeter sur le canapé. « Ta mère est décidée à te caser ? » Je me redresse, ma tête dépassant tout juste du canapé. « Si tu veux j’peux lui dire que tu as craqué pour ce fabuleux morceau de chocolat au lait que tu as sous les yeux… J’suis sûr qu’elle serait ravie de l’apprendre à toutes ses copines à l’heure du thé ! » J’illustre mes propos sur le chocolat au lait en soulevant mon t-shirt, l’air faussement sexy et sensuel, regard et roulement de reins en guise de support pour désigner du bout des doigts ces abdominaux fraichement éprouvés par le burger et les frites. « Un film ? Okay, mais j’refuse de regarder la suite de ton truc là, avec la fille qui écrit des lettres à ses crushs et qui se retrouve à pécho Noah Centineo dans un jacuzzi sans vraiment le pécho non plus pour faire semblant alors qu’on sait tous QU’ELLE NE FAIT PAS SEMBLANT ! » Je la pointe d’un doigt accusateur, je me suis promis de ne pas lui laisser m’infliger cela à nouveau… Elle a bien trop rigolé de mes réactions pour que je recommence, parce que je suis du genre à tout commenter et à m’agacer de leur naïveté, à tous.
if i lay here, if i just lay here would you lie with me and just forget the world? chasingcars@snowpatrol
Tu hoches vaguement de la tête et tu échappes un long soupir alors que Ripley t’offre cette sagesse que tu n’as pas, des mots qui ne se veulent pas nécessairement réconfortants, mais qui sont vrais et qui font du bien quand même, même si ça fait mal sur le coup. Rien n’arrive pour rien. Ça ne fait pas de sens, pas encore dans ton cas. Mais tu penses à Bailey, qui oui a perdu sa mère bien trop tôt, mais qui a gagné un père aimant et présent, prêt à donner tout ce qu’il possède pour le bonheur du jeune homme. Tu veux être cette personne pour Milo. Tu veux qu’il grandisse sachant que quelqu’un est prêt à tout risquer pour lui. Tu veux qu’il grandisse sachant qu’il est aimé d’un amour qu’on ne peut pas mettre en mots. Tu veux qu’il sache que même si tu n’es pas sa mère, tu souhaites l’aimer comme si tu l’étais. Qu’il n’aille jamais à se demander s’il est passé à côté de quelque chose, même si tu sais trop bien que les questionnements viendront naturellement, tôt ou tard. C’est tellement difficile pour toi en ce moment d’imaginer le jour ou tu seras complètement à l’aise de parler de Matias avec Milo. Surtout que deux ans plus tard, c’est toujours difficile ne serait-ce que de prononcer le prénom d’Elsie. Mais tu acquiesces quand Ripley te dit que tu devras être là, bon et mauvais, rire et pleurs, et tu trembles rien que d’y penser. Tu te sens pas assez forte, pas assez solide pour passer au travers tout ça. Et c’est comme s’il le savait. Comme s’il devinait chacune de ses pensées que tu t’efforces pourtant de garder pour toi, que tu tentes de garder bien loin dans le fond de tes pensées. Mais Ripley, il te connaît trop bien et ça te fait tellement peur qu’il soit capable de te déchiffrer si facilement. Comme si t’étais incapable de lui cacher quoique ce soit. Et s’il était aussi capable de lire ton hésitation? S’il parvenait à sentir ton hésitation? À déchiffrer ses frissons qui parcourent ton épiderme alors que ses mains caressent tes bras? T’es pétrifiée à l’idée de briser votre amitié, de briser quelque chose entre vous, malgré les belles paroles et les promesses qu’il t’offre aujourd’hui, en tant qu’ami. Tu n’oses pas te retourner, pas encore, mais tu te détends contre lui. T’as pas les bons mots pour lui dire à quel point tu es reconnaissante, de sa présence, de son support, de tout ce qu’il t’apporte, alors tu restes silencieuse et tu espères que cette fois-ci, il entend ce que tu es incapable de dire.
La tension qui descend légèrement, ton rire qui se mêle au sien, cet impression de connu et de familier qui prend le dessus sur tout le reste, tu relaxes un peu. Tu échappes un rire lorsqu’il te confesse avoir acheté Milo avec une gaufre au Nutella. Après tout, quel enfant ne serait pas en totale admiration devant celui ou celle qui lui offre un dessert plus que sucré? « Promets moi la prochaine fois que tu lui offres une pomme et je vais peut-être considérer te pardonner pour cette fois. » C’est à ton tour de lui tirer la langue alors que tu viens pour t’asseoir à côté de lui sur le canapé. Tu hoches la tête légèrement lorsqu’il te demande pour ta mère, prétendant aussi bien que possible d’être peu intéressée par sa réaction. Ce que tu n’avais pas prévu toutefois, c’est qu’il jouerait le jeu et qu’il pousserait le tout un peu plus loin, son chandail levé et ses faux mouvements sexy et sensuels te fichant tout d’abord sur place. Ce n’est rien que tu n’as pas déjà vu de multiples fois dans les vestiaires, mais tu dois tout de même que tu apprécies la vue. Tu éclates de rire devant le ridicule de la situation. « Des plans pour qu’elle se mette à préparer notre mariage si je lui dis ça. T’as une préférence pour les choix de couleurs? » Tu ris un peu plus, toujours de bon coeur. Ça sonne ridicule, mais ça ne t’empêche pas d’imaginer ce que ça pourrait être, réellement. Mais tu t’empêches de partir trop loin dans ses pensées qui ne sont que fantasmes. Tu recules légèrement alors qu’il pointe un doigt accusateur en ta direction, et tu ne peux t’empêcher de rouler des yeux devant tant d’exagérations. « Arrête de mentir Wyatt, je sais que t’es réellement un fan de Lara Jean. » Tu attrapes la télécommande qui traîne sur la table du salon, ouvrant sans tarder l’application de Netflix. « Tu devrais réellement donner une chance au deuxième film. Elle a même un deuxième love interest. » Tu fais défiler les différents films dans ta liste, prétendant de t’arrêter sur le deuxième volet de All the Boys I’ve Loved Before, mais tu décides plutôt de lui tendre la télécommande. « Mais bon, comme tu me fais l’honneur de rester un peu plus longtemps, j’te laisse choisir le film. I’m just that nice. » La réalité est que tu t’en fous du film. T’as juste pas envie d’être seule. Tu laisses un long bâillement de fatigue s’échapper de tes lèvres alors que tu te cales dans le divan, attrapant au passage une couverture que tu étends maladroitement sur toi et sur le jeune Wyatt. Tes yeux sont déjà lourds alors que tu t’installes confortablement, laissant ta tête tombée contre l’épaule de Ripley alors qu’il semble encore indécis sur le choix du film.
Tu t’es toujours demandé à quel moment dans ta vie tu es devenu si… Sage ? Tu ne sais même pas s’il est question de sagesse, de résilience, de philosophie ou de maturité. La seule chose que tu sais, c’est que tu trouves toujours un moyen d’atteindre les autres avec tes mots, tu n’as plus besoin de provoquer des confrontations inutiles pour obtenir une réaction. Tu as appris et gagné en bouteille grâce à Lewis, grâce à Bailey, grâce à tout ce qui est venu te transformer pour le meilleur lorsque tu étais encore au lycée. Je n’échangerais tout cela pour rien au monde, même si je me sens toujours coupable d’affirmer une telle chose puisque cela revient à cautionner la mort de Felicia. Où serais-je si Lewis n’avait pas été mis à la porte par ses parents après la naissance de Bailey ? Si je ne m’étais pas engagé à prendre soin du petit le temps qu’il puisse reprendre son souffle, effectuer une partie de son deuil et s’organiser. Je ne suis pas sûr que le Ripley que je serais devenu si rien de tout ceci ne s’était produit me plairait. Il y a fort à parier qu’il serait extrêmement stupide, surement pas médecin. Je m’estime heureux d’être là où je suis, chaque tragédie est une leçon de vie qu’il est important d’explorer pour transformer le chagrin en quelque chose qui a du sens. On le fait tous, à notre rythme et sans forcément en avoir conscience. Sage a toujours été extrêmement lumineuse, compétitive, enjouée et passionnée, la voir nettement plus éteinte, en détresse, ça me brise le cœur. Sa tristesse m’affecte par ricochet d’une manière assez étrange sur laquelle j’ai décidé de ne pas me pencher. Là n’est pas la priorité, elle est la priorité. J’ai conscience que mes propos ne lui apportent pas énormément de réconfort, ils sont néanmoins d’une honnêteté et d’un réalisme que j’estime lui devoir. Je ne suis pas du genre à mentir, à prétendre que tout ira bien alors que tout le monde sait que ce ne sera pas le cas. À quoi bon ? L’amitié, ce n’est pas cela. Prétendre être présent pour quelqu’un, c’est anticiper sur les difficultés qu’il faudra affronter, les problématiques qu’il faudra surpasser et le faire main dans la main. Ma promesse, elle n’a rien de légère, je ne la formule pas pour me donner un genre, pour me mettre en avant. Tu honores constamment tes promesses, tu n’as jamais trahi la moindre d’entre elles. Tu as un code d’honneur qui, tu le sais, te feras tomber un de ces jours. Elle semble se détendre et mes doigts remontent le long de ses épaules pour s’attarder contre sa nuque que je masse en douceur. « J’ignore si ces formidables mains sont aussi efficaces et héroïques en matière de massages qu’en actes chirurgicaux. » Un rictus m’échappe et marque la fin de ce petit moment hors du temps. Elle se retourne, les yeux rougis. « Les allergies sont en avance cette année, c’est chiant !!! » Entrer dans son jeu, ne pas reconnaitre qu’il s’agit de larmes de chagrin pour éviter de la mettre mal à l’aise. Vous n’avez pas besoin de le dire pour le savoir, c’est tout ce qui importe. Je balaie ses larmes et enchaine sur un tout autre sujet, comme pour marquer la fin d’une transition.
« Une pomme ? Wow, c’est vraiment sévère… » Je grimace, à nouveau d’humeur à l’embêter, à la taquiner. « Je peux te promettre de lui commander une gaufre avec du sucre glace à la place du Nutella, c’est un bon début. » Je la toise du regard, amusé, et hausse les épaules le plus innocemment du monde. J’explose de rire à la mention de sa mère et de ses plans. Je ne serais pas surpris qu’elle me prenne dans un guet-apens tôt ou tard, effectivement, et je décide d’en jouer en exhibant mes beaux abdominaux sous le regard tout aussi hilare d’une Sage qui semble un peu trop de marbre pour le bien de ma propre fierté.« Je peux même lui proposer de toucher, tu vois, histoire qu’elle s’assure de la qualité de la marchandise avant de me jeter dans les bras de sa fille. » Je marque une pause, le temps de laisser d’autres images s’immiscer dans mon esprit, du genre à me faire écarquiller les yeux. « Oh non attends… Je parlais de mes abdos mais il y avait un immense double sens qui laissait envisager une autre… OH MON DIEU NON… Je n’ai pas dit cela, UNSEE, UNSAY, UNTOUT !!! » Je me jette sur le canapé pour me cacher sous un coussin, honteux. « Alors, clairement, j’tiens à dire qu’un mariage pastel serait du plus bel effet. Je sècherais tout le monde sur place en arborant mon plus beau costume bleu, carmin ou même… Tiens… Rose pastel. Et toi… Je tombe déjà à la renverse à l’idée de te voir débarquer dans une robe de mariée. » Le pire, dans tout cela, c’est que je marque véritablement un temps d’arrêt pour laisser la scène se jouer dans mon esprit. Elle serait magnifique dans une robe de mariée, Sage. Elle est à tomber en permanence, mais en robe de mariée… L’idée me fait quelque chose, je dois l’avouer, j’ai un espèce de sourire niais que je ne comprends pas et qui met un temps à disparaitre. « Ne nous laisse jamais dans la même pièce pendant plus de cinq minutes, ta mère et moi. J’ai beaucoup trop d’imagination pour ton propre bien. » Netflix et ses productions à la qualité parfois… Discutable. Je me mordille la lèvre pour ne pas me mettre à rigoler trop fort lorsqu’elle mentionne mon adoration pour Lara Jean. « Est-ce que je trouve mignon d’écrire des lettres à son crush ? Ouais, totalement, c’est mieux qu’un swipe sur Tinder et plus romantique qu’une dick pick ! » La séduction à l’ancienne se perd et c’est vraiment dommage. Tu as bonne mine de t’insurger d’une telle chose, mon vieux, mais au lycée tu n’étais pas du genre à écrire des lettres, toi non plus. « Oh non, NON, NON et NON ! Ils ne peuvent pas nous faire tomber en amour pour Lara Jean et Peter pour les séparer dans le deuxième film… J’refuse… J’ai déjà été Team Jacob et eu le cœur brisé alors non… Hors de question que ça recommence, non ! » Je mentionne Twilight, cette saga que Bailey adorait plus jeune et pour laquelle nous avons forcément fini par craquer un temps nous aussi puisqu’il nous suppliait de l’accompagner au cinéma à chaque nouvelle sortie. On se prend vite au jeu, avec de telles histoires. « Just that nice qu’elle dit… T’es surtout prête à tout pour que j’accepte de regarder Netflix avec toi oui… » Je lui tire la langue, frissonne lorsqu’elle approche avec son plaid et nous offre un confort optimal. « Birdbox ? On pourrait se mettre un dessin animé sur Disney + sinon ? » Les dessins animés et moi, une grande passion. Et puis… J’en profite et glisse mon bras contre sa nuque, tendre, comme toujours.
if i lay here, if i just lay here would you lie with me and just forget the world? chasingcars@snowpatrol
Tu lâches un long soupir alors que tu sens les mains de Ripley glisser doucement de tes bras jusqu’à ta nuque, ou il applique un légère pression. Ça fait du bien, tu ne peux pas le nier, mais t’es certainement pas prête à lui faire ce plaisir que de l’admettre à haute voix. « T’enfles pas la tête Wyatt, elles sont pas si formidables que ça. » Tu renifles légèrement alors que tu essuies quelques larmes qui se sont échappées sur tes joues, des larmes qu’il prétend ne pas avoir, un reniflement et des yeux rouges qu’ils excusent sous de supposés allergies. Ça te fait sourire. Ça te force à te tenir debout un peu plus longtemps, ça t’aide à ne pas perdre la face. Il sait toujours quoi faire le jeune chirurgien, et pour ça, tu lui seras éternellement reconnaissante. Tu frisonnes légèrement alors que ses mains quittent ta nuque, et tu ne peux t’empêcher de penser que t’as envie de sentir la chaleur de ses doigts sur ton corps un peu plus longtemps. Mais tu chasses les pensées presque obscènes qui te viennent trop subitement à l’esprit alors que la conversation diverge vers ton neveu. Tu hoches la tête à l’idée que Ripley lui offre encore un dessert sucré, sachant trop bien que tu dois ensuite gérer avec le sugar high et les restrictions. « Assures-toi au moins qu’il y ait des fruits avec sa gaufre, sinon je vais encore passer pour la méchante qui lui offre jamais de trucs sucrés! » Tu lui tires la langue à ton tour et soudainement, vous êtes comme des gamins qui se chamaillent pour un oui ou pour un non et il n’y a pas de mot pour dire combien ça fait du bien de pouvoir être tellement confortable avec quelqu’un que tu peux pleurer une seconde, et sourire naïvement et sincèrement la suivante. Et puis soudainement la discussion dérape et ton sourire innocent se transforme en un incroyable fou rire alors que le jeune Wyatt se cache derrière le coussin, réalisant pleinement ce qu’il vient de sous-entendre. L’image est effrayante si tu es honnête : ta mère touchant Ripley, c’est à te donner des frissons d’horreur, mais l’entendre de sa bouche à lui, c’est tout simplement hilarant. « C’est vraiment à se demander comment ça se fait que t’es encore célibataire, à offrir la marchandise comme ça à gauche et à droite. » Tu continues de rire, mais en réalité, t’es pas certaine de comprendre comment ça se fait qu’il n’ait personne dans sa vie. Tu sais que Bailey et la résidence ont pris beaucoup de son temps dans sa vie, mais tu te dis que maintenant qu’il est titulaire et que Bailey est pratiquement un adulte, il va forcément se mettre à quelqu’un prochainement. Ou peut-être qu’il a déjà quelqu’un et que tu ne le sais pas, même si tu en doutes fortement. « Quoi que connaissant ma mère, elle se ferait un plaisir de toucher.. Tes abdos j’veux dire. » Tu continues de rire, les images de pire en pire dans ta tête. Le tout est soudainement remplacé par un Ripley habillé d’un complet rose pastel et l’image t’arrache un autre rire. Le pire, c’est que tu sais trop bien que si quelqu’un est capable de rendre le tout fashion, c’est bien lui. « Je vote pour rose pastel. J’suis certaine que tu ferais fondre toutes les filles à notre mariage. » Moi la première. Tu sens tes joues s’enflammer légèrement et tu remercies la noirceur et ton teint hâlé de camoufler cette gêne nouvelle. « J’vais lui dire que t’as envie qu’elle te touche, j’ai bien hâte de voir comment elle va réagir quand tu vas aller chercher Milo demain. » Tu imagines trop bien la scène, le malaise entre les deux parties. Qu’est-ce que tu aimerais pouvoir assister à ça, mais il sait trop bien que jamais tu n’oserais dire quelque chose du genre à ta mère.
La discussion divague légèrement alors qu’il est encore en train de se plaindre sur tes récents choix de films. « S’il-te-plaît Wyatt, rassures-moi. T’es pas le genre à envoyer des dick pics toujours? » L’idée est pratiquement horrifique alors que tu penses à toutes ces photos non-désirées que tu as reçu lorsque tu étais encore sur cette fameuse application qu’est Tinder. Application que tu as d’ailleurs supprimé depuis la mort de Matias, les hommes étant bel et bien la dernière chose occupant ton esprit dernièrement. Sauf s’il se nomme Ripley, apparamment. Tu ricanes lorsqu’il te parle de Twilight, t’as l’impression d’avoir une discussion avec ta jeune cousine qui ne s’est jamais remise de son obsession pour Team Edward. « Tu m’étonneras toujours. » Ça se veut être une taquinerie, mais de la manière que tu le dis, ça sonne plutôt comme un compliment. C’est la vérité après tout. Ce mec, tu crois enfin le connaître par coeur qu’il vient te prendre par surprise pour te prouver une fois de plus à quel point il est différent de tous les autres hommes qui ont pu croiser ton chemin. Tu te contentes de sourire lorsqu’il te dit que t’es juste prête à tout pour qu’il reste avec toi. Tu hausses les épaules légèrement et t’installes confortablement alors qu’il t’offre des choix, mais tu t’en fous un peu de ce qui joue. « T’as qu’à choisir, fais-toi plaisir! » Tu fermes les yeux et t’es pas certaine s’il a demandé ton avis une fois de plus ou non, pas certaine si c’est sa voix que tu entends ou si c’est la télévision qui joue enfin ce qu’il a décidé de mettre. Ta respiration devient de plus en plus lente alors que tu t’endors presque paisiblement contre le jeune homme. Et puis quelque part dans ton sommeil, les images de tes rêves sont venues te troubler. Le visage de Matias apparaît, encore et encore, comme des photos qui s’enchaînent, et entre chaque photo se trouve un terrible flash qui t’aveugle. T’es incapable d’arrêter les images qui défilent de plus en plus vite, Matias qui se rapproche seulement pour mieux disparaître ensuite. Tu ne le réalises pas encore, mais tu bouges de plus en plus dans ton sommeil agité, ta respiration autrefois sereine est désormais saccadée, erratique.« Non.. Pas Matias.. Pas Matias, NOOOON. » Tu cries, prisonnière entre le sommeil et l’éveil, inconsciente de ton environnement, prisonnière d’un cauchemar qui est véritablement ta réalité.
Je m’applique de part et d’autre de sa nuque, les doigts allant et venant en petits cercles, animés par de petites pressions exercées sur les points stratégiques. Elle est nouée, je n’ai pas besoin d’être spécialiste en la matière pour le ressentir mais la magie semble progressivement opérer puisqu’elle se détend sous mes sollicitations. Elle ne manque pas de me taquiner, comme toujours, l’essence même de notre amitié, de ce qui nous a révélé l’un à l’autre progressivement lorsque nous n’étions encore que de petits internes en chirurgie. « T’es jalouse, tu aimerais avoir des mains aussi habiles que les miennes. Je comprends et je ne juge pas le déni évident dans lequel tu te réfugies pour ne pas avoir à accepter cette défaite cuisante. Tu n’as encore rien vu d’elles ! Pas besoin d’une baguette magique pour faire le bien autour de soi quand tu as ça… » Je remue les doigts comme pour confirmer les capacités extraordinaires de mes petites mains. J’estime que nous sommes tous des magiciens à notre échelle, nous, les chirurgiens, les médecins et l’ensemble des praticiens qui composent le corps médical. Je recule, trouve un millier d’excuses pour justifier des larmes qui, quoiqu’il arrive, n’ont pas besoin d’être utilisées pour alimenter une conversation que nous ne voulons pas avoir. J’en profite pour proposer à la jeune femme de m’occuper de Milo demain après-midi afin de soulager ses parents. Je crois qu’il m’apprécie et ce sentiment est mutuel. Je l’adore, ce petit. Il ne manque pas d’énergie, il a toujours des tas d’idées et un sourire qui te pousserait à décrocher des montagnes. Autant vous dire qu’il est extrêmement difficile de lui dire non. « D’accord, je prévois un fruit à lui donner dans ce cas… Promis ! Je lui préparerais peut-être un petit smoothie bien frais. Dis-moi ce qu’il aime et ce qu’il déteste en matière de fruits. » Les gosses adorent les smoothies généralement, toujours mieux qu’une pomme ou je ne sais quel autre fruit. Dès que la forme est différente, ils adhèrent. Un sujet en menant à un autre, je me retrouve dans une situation pas très confortable après avoir pris conscience du double sens évident de mes paroles. Du genre à sous-entendre que sa mère peut me palper les abdominaux mais pas que, surtout si l’envie lui prend de s’aventurer un peu plus bas, sous ma ceinture. L’image me fait rire, bien entendu, mais elle me met dans un embarras que j’ai du mal à assumer malgré tout. L’entendre rigoler de la sorte me fait énormément de bien, cela dit, même si c’est à mon encontre. Son rictus, communicatif, m’a tellement manqué. « Offrir la marchandise… Non mais regardez-là me comparer à un morceau de viande… Tu sais que je suis très sélectif, une telle qualité ne convient pas à tout le monde ! » Il n’est pourtant pas question de sélection, je me suis toujours concentré sur autre chose. Il y a eu l’éducation de Bailey, les études de médecine, l’internat, la résidence… Je n’ai plus spécialement d’excuse depuis ma titularisation mais… Mais j’imagine ne jamais avoir eu suffisamment de cran pour me remettre sur le marché. Bailey m’a pourtant tanné de nombreuses fois avec ses applications de rencontres, Tinder en tête de liste. J’ai été tenté de me créer un profil pour lui faire plaisir mais je ne l’ai jamais fait. Il m’a fait promettre de faire un effort cette année et je le ferais, une promesse est une promesse ! Il me reste du temps, beaucoup de temps. « Peut-être qu’elle te surprendrait à vouloir toucher le reste aussi hein… Ta mère est encore en âge pour un peu d’exotisme ! » J’ai ce vilain sourire sadique aux lèvres, celui qui apparait quand j’ai conscience de balancer une saloperie qui va immédiatement la faire réagir avec le même extrémisme. Le mariage, des couleurs pastel, la beauté d’une Sage sublimée par une robe de mariée et mon cœur qui fond à cette image. « Ah parce que toi, tu me vois à notre mariage en train de faire craquer les autres filles… Je retiens, d’accord… Tout le monde sauf toi, quoi ! Quelle épouse en or ! J’demande le divorce avant le mariage. » Vexé ? Peut-être un tout petit peu, mais l’espace d’une seconde uniquement. Le temps nécessaire pour que je puisse rebondir en lui relançant la balle. « Ah non hein, ne lui dis pas ça… Je n’oserais plus jamais entrer chez ta mère sinon ! » Clairement, je serais bien trop gêné. Du genre à bafouiller et à tout faire pour éviter le moindre contact visuel par peur de ne pas assumer.
La discussion tourne autour d’un autre sujet tout aussi amusant auquel je prends le temps de répondre, afin d’installer un suspense qui pourrait lui faire croire que j’envoie des photos non censurées de mes parties génitales pour un oui ou pour un non, comme peuvent le faire les morts de faim sur les réseaux sociaux. « Est-ce l’image que tu as de moi ? Celle d’un chacal qui balance des clichés de sa queue un peu partout à celui qui veut bien l’admirer ? » Je la pointe d’un doigt accusateur, en pleine performance théâtrale. Je développe un peu plus ma palette de fausses émotions après les nombreuses heures passées à donner la réplique à Bailey pour le faire réviser lorsqu’il bosse sur des pièces de théâtre. « J’estime que les garçons qui pensent qu’envoyer une photo de leur pénis à une fille, ou à un garçon d’ailleurs, dans l’espoir de les séduire sont des imbéciles… T’as déjà vu quelqu’un recevoir un tel cliché et se dire soudainement : JE SUIS AMOUREUX, IL A UN PHALLUS TELLEMENT ENSORCELANT ! Non, franchement, aucun sens… » Combien de fois me suis-je retrouvé à faire la leçon à Bailey pour lui rappeler de jamais, ô grand jamais, s’adonner à une telle pratique. Surtout lui, qui espère conquérir Broadway. On ne compte plus le nombre de personnalités qui font la une de la presse à cause de ces bêtises. « Je confirme que tu n’as pas tout vu. Sois prête à quelques surprises supplémentaires. » Clin d’œil qui sonne comme une promesse. Face à un tel catalogue, j’opte finalement pour la suite de ce maudit film… « Je te maudis, jeune fille, pour avoir osé me donner envie de regarder la suite de ce film… J’veux savoir si elle fait le bon choix !!! J’te jure que si elle laisse tomber Peter j’fais grève de la faim ! » Il est celui qui lui a permis de prendre confiance en elle. Il a été présent à ses côtés. Se détourner de lui pour un autre garçon… Non, franchement, je détesterais Lara Jean soudainement. Le film démarre et, les yeux rivés sur son écran de télévision, j’en oublierais presque que Sage a fini par trouver le sommeil… Une illusion qui ne tarde pas à se rappeler à mon souvenir puisqu’elle se débat avec elle-même… Un cauchemar, le prénom de son frère et un réveil en catastrophe. Elle est désorientée, bien-sûr qu’elle l’est. « Sage… Sage c’est Ripley… Tout va bien, ce n’était qu’un mauvais rêve, je suis là, tout va bien ! » Je la serre contre moi, la berçant d’un chuuuuut qui, je l’espère, parviendra à l’apaiser le temps qu’elle retrouve ses esprits.
if i lay here, if i just lay here would you lie with me and just forget the world? chasingcars@snowpatrol
Tu n’as encore rien vues d’elles.. Ça t’arrache un léger sourire et tu apprécies qu’il soit derrière toi pour ne pas l’apercevoir. Tu ne peux t’empêcher de te demander quelle serait sa réaction s’il avait le moindre idée des pensées qui te viennent à l’esprit dernièrement lorsque tu penses à lui, à ses mains justement, ce que tu rêverais de découvrir. Et une fois de plus, tu te retrouves dans cette position ou ta tête et ton coeur crient deux choses complètement différentes. Si d’un côté tu ne peux empêcher les fantasmes de faire surface, ta tête cri que tu ne peux pas faire ça, que tu ne peux pas te donner le droit d’aller là, pas après tout ce temps mais surtout pas maintenant. Parce que ta priorité, ça doit être Milo et Milo seulement. Ça ne t’empêche pas d’être complètement reconnaissante de l’attention de Ripley et du rôle qu’il s’efforce de jouer dans ta vie et dans celle de ton neveu « Il raffole de tout ce qui est baies. Fraises, framboises, bleuets, t’es certain de tomber dans ses goûts. » Tu lui offres un sourire, contente de voir que vous êtes parvenus à un compromis même si réellement, tu faisais que le taquiner. Tu te souviens encore quand cette taquinerie était plutôt une forme de compétition, toujours prêt à dénigrer l’autre sans trop pousser la note ne serait-ce que pour mieux paraître aux yeux d’un résident ou d’un titulaire, cherchant sans cesse à être le premier de votre cohorte? La compétition était féroce avec une adversaire comme Ripley, mais t’es persuadée que c’est en partie quelque chose qui vous a rendu service à tous les deux, vous emmenant à vous dépasser, à devenir la meilleure version possible des médecins que vous êtes aujourd’hui. Ça n’empêche pas que l’humour prend toujours beaucoup de place dans votre amitié, quelque chose que tu détesterais perdre si votre relation venait à changer éventuellement. « Qualité supérieur ou qualité moindre? Non mais c’est parce que la question se pose après tout. Je ne peux pas blâmer celles qui aiment ça cheap. » Tu pouffes de rire. Tu sais très bien que le jeune Wyatt est tout sauf cheap, et ce, à tous les niveaux. Mais ça, tu le gardes pour toi, ne serait-ce que pour l’énerver un peu plus. Et puis te vient l’image de ta mère et Ripley ensemble et c’est suffisant pour te donner un haut le coeur. Tu fais semblant de te mettre à vomir avant de prétendre ressentir un frisson d’horreur. « Dans le genre d’image que j’ai pas du tout envie de m’imaginer, ça c’est certainement dans le haut de la liste. » Non pas que ta mère ne soit pas une femme attirante pour son âge, mais l’imaginer dans des positions compromettantes, c’est assez pour te faire revivre ce traumatisme d’enfance qui t’a longtemps suivi après que tu aies surpris tes parents en train de faire cette-chose-dont-on-parle-pas-à-table. T’en as des nausées rie que de revivre ce terrible moment de ta jeunesse. Tu entends encore le rire enfantin de Matias quand tu lui as raconté le lendemain. C’était devenu un running gag entre vous deux au fil des années.
Il te fait rire, le jeune Wyatt, à s’indigner de ta fausse réaction en rapport avec votre faux mariage. « C’est parce que moi, j’suis déjà à tes pieds Ripley. » Tu le regardes le plus sérieusement du monde, ton sourire taquin soudainement disparu pour laisser place à un sourire plus vrai, plus doux. Tu hausses doucement les épaules, n’osant pas te perdre plus longuement dans le moment par peur de ne pas être en mesure d’en ressortir indemne. « Mais si c’est un divorce que tu veux, faut que le demander. Ça aura été un mariage très court, quelle déception! » Et puis aussi rapidement que le moment est arrivé, tu le fais disparaître avec une vanne de plus, une taquinerie de plus, tu tires la langue comme une gamine et puis tu fais comme si de rien était. T’aimes te faire croire que tu es rendue plutôt douée pour prétendre. C’est pas vraiment le cas, t’es une actrice terrible, mais tu ne peux qu’espérer qu’il ne pense rien de ce regard trop long, de ce sourire trop révélateur. La discussion dérape encore et jamais tu ne te serais imaginer discuter de dick pics avec lui. Sa description explique d’ailleurs trop bien à quel point tu ne comprends pas les hommes qui s’adonnent à cette activité. « Non mais je fais que demander moi, tu me vois rassurer d’ailleurs! » Tu continues de rire comme une gamine, cette dose soudaine de dopamine te fait du bien, mais semble aussi t’endormir alors que vous ne semblez pas être en mesure de vous accorder sur le choix du film. Tes pensées vagabondent sur l’histoire d’amour adolescente entre Lara Jean et Peter, et tu te dis que ce serait tellement facile si vous aussi, vous n’aviez que seize ans l’histoire d’un moment. Tu te poserais sûrement autant de questions, mais t’aurais pas l’impression qu’un geste déplacé ou une parole de trop pourrait venir mettre en péril dix ans d’amitié et possiblement changé ta vie en entier. Tu prendrais peut-être le risque, sans trop te soucier des conséquences parce que réellement, les conséquences à seize ans, elles existent pas ou presque. Il te blâme d’avoir envie de savoir la suite de cette histoire d’amour un peu niaise entre Lara Jean et Peter et tu souris légèrement, tes yeux se fermant contre ta volonté. « Team Peter. », que tu dis avec peu d’entrain, alors que tu t’endors alors que le film commence à peine.
Tu ne sais pas combien de temps a passé entre le moment ou tu t’es endormie et le moment ou t’es réveillée, t’es pas réellement assez consciente pour savoir si le film joue encore ou non. Tout ce que tu sais, c’est que tu es incapable d’arrêter de pleurer, les larmes s’accumulant sur tes joues alors que tu peines à respirer calmement. Tout ton corps semble être en état d’alerte, chacun de tes nerfs transmettant une douleur indescriptible le long de ton corps et t’es tellement tendue que tu ressens à peine les bras de Ripley autour de toi qui te serre. Il essaye de te calmer, mais sa voix n’est qu’un murmure que ton cerveau n’enregistre pas. Tes sanglots sont violents, c’est ton corps en entier qui est secoué alors que tu peines à t’exprimer. « J’suis désolée, je.. j’suis tellement désolée. » Tu te débats légèrement, tentant en vain de te défaire de son étreinte avant de finalement te laisser tomber contre son corps, ta tête se nichant contre son torse alors que tu laisses cette peine t’envahir de partout. Ça fait tellement longtemps que tu retiens tout ce mal, que tu te retiens de laisser la peine te submerger parce que tu dois être forte pour Milo, ça te prend par surprise cette vague de mal-être, mais t’as plus la force de te débattre. Alors devant Ripley, tu deviens complètement vulnérable. Tu perds toutes tes barrières, toi qui a toujours été si prudente, toi qui a toujours si forte et si droite. « It hurts so bad. » Tes mots ne sont qu’un ramassis de sons incohérents entre quelques sanglots, mais t’es incapable de te calmer, tout te fait trop mal. Tu ne sais pas la crise dure combien de temps. Ça te semble duré une éternité, une éternité de mal-être et de douleur que tu ne peux plus cacher. Tu n’oses même pas lever la tête et croiser le regard du jeune Wyatt. Pas le courage de faire face à sa pitié. Pas envie de voir ce qui se trouve dans ses yeux. Tu restes silencieuse, ta respiration encore saccadée. Soudainement, tu voudrais être seule. Mais tu ne dis rien. Tu restes cachée et tu attends. Mais t’as aucune idée de ce que tu attends réellement.
Je me concentre, la tête ailleurs. Je cogite, surement plus vite que mon ombre pour improviser un smoothie avec ce que je pourrais trouver en matière de fruits de saison. À cette époque de l’année, la variété est au rendez-vous. Le panel est large, goûteux et je trouverais forcément de quoi faire plaisir à Milo si je ne me trompe pas dans ma sélection en incorporant le fruit qu’il déteste le plus au monde. D’un autre côté, je suis tenté de prétendre qu’il est parfois difficile de reconnaitre les différents goûts mélangés les uns aux autres dans un smoothie. S’il ignore ce qu’il y a véritablement à l’intérieur, il ne peut pas détester le fruit qu’il pense absent. Si tu étais face à une caméra, tu dégainerais probablement ton plus beau clin d’œil, avec une manipulation que tu as déjà mis à contribution avec Bailey lorsqu’il était plus jeune et qu’il refusait de goûter un aliment par pur esprit de contradiction. Tu es parvenu à le faire changer d’avis et apprécier tellement de nouveaux plats que tu n’as clairement pas honte d’avoir eu recours à de telles méthodes pour le convaincre. Être parent oblige parfois à trouver des moyens alternatifs de faire les choses, cela requiert une certaine créativité que j’adore mettre à contribution quotidiennement pour donner le sourire à ce petit qui devient grand, très grand, trop grand. Il ne devrait plus tarder à me dépasser à un tel rythme. Tu n’as jamais été plus fier que lorsqu’il vous a dédié une chanson à Lewis et toi. Il se pourrait même que tu te sois retrouvé à lutter pour ne pas te mettre à pleurer. « Okay, ce devrait être plus simple que prévu dans ce cas. J’irais acheter quelques fruits en sortant de l’hôpital pour lui concocter le meilleur smoothie du monde. T’es pas prête, j’te le dis ! » Petit sourire prétentieux, le début d’un nouveau défi qui consisterait à élaborer le meilleur smoothie ? Un rien peut se transformer en challenge digne de ce nom avec nous, il semblerait que ce soit dans notre ADN. « Je ne sais pas ce qui m’indigne le plus, que tu oses te référer à moi par un Ça odieux ou que tu uses du terme cheap pour décrire la Huitième Merveille du Monde que je suis… » Je bombe le torse, relève la tête, ferme les yeux et plisse le visage, révolté. « You’re cancelled, girl ! » C’est ainsi que réagissent les divas lorsqu’elles sont accablées comme cela vient d’être fait. J’irais même jusqu’à affirmer qu’il s’agit d’une déclaration de guerre. « Pour la peine, j’espère que tu prendras plaisir à m’imaginer retirer à ta maman son chemiser très lentement et glisser ma langue entre ses lèvres alors qu’elle me susurre des mots doux et laisse ses mains baladeuses s’aventurer au-delà de tout ce que tu ne pourras JAMAIS AVOIR ! » J’ai très envie de rigoler, très bas dans ma manière de lui relancer la balle et de l’interpeler à mon tour. Aucun doute qu’elle va réagir et partir au quart de tour pour me balancer une saloperie à son tour. Je n’ai qu’à bien me tenir. L’affrontement promet d’être très sanglant. Je n’en ressortirais pas indemne.
Les sujets se suivent et ne se ressemblent pas. Nous passons du rire aux larmes, littéralement, et j’opte finalement pour le deuxième chapitre de ce film stupide. Une comédie romantique pour adolescents qui, comme toutes les productions de ce genre-là, parvient toujours à me captiver à un moment ou un autre. À vrai dire, c’est comme ces émissions de télé-réalité qui sont exaspérantes et te donnent envie de tout remettre en question face à un tel niveau de stupidité mais devant lesquelles tu ne peux pas décoller parce qu’il y a un petit quelque chose… Une magie qui opère et te rends instantanément fasciné et dépendant du programme. Un besoin primal de savoir comment tout ceci se terminera. Je me sens extrêmement bien, ainsi calé contre elle. Son rythme cardiaque perd en puissance, son souffle se fait plus lourd et je l’observe plusieurs fois, les yeux pourvus de tendresse, pour m’assurer que tout va bien. Peu à peu le film se développe et me captive, quarante-cinq, peut-être cinquante minutes doivent s’écouler avant ce cauchemar fracassant. Ce réveil troublant et un besoin vif d’interrompre le cycle de panique qui semble la gagner au fur et à mesure que les secondes s’écoulent. Tu t’inquiètes bien évidemment pour elle en premier lieu, mais tu penses immédiatement à Milo qui pourrait être réveillé par les cris de la jeune femme, par ses sanglots et qui, s’il débarquait au milieu du salon, risquerait d’être marqué par une telle image. Son émotion est vive, puissante, sa douleur me percute de plein fouet et je peine même à la maintenir en place. Tu comprends finalement pourquoi les gens affirment ne plus sentir leur force lorsqu’ils sont placés dans une situation aussi… Je n’ai même pas les mots pour décrire la scène qui se déroule sous mes yeux. Je me cramponne à elle, frissonne et lorsqu’enfin elle explose… Tu restes complètement bouche bée. Elle s’effondre, ses sanglots me brisent le cœur en un millier de morceaux et sans même m’en rendre, les larmes montent aussi… Je pleure avec elle, choqué, complètement retourné par son état, par la grandeur de sa détresse. Je la serre fort contre moi, bien content qu’elle soit dos à moi. Je me balance aussi, d’avant en arrière, en douceur, lui caresse les cheveux, le visage. Je ne trouve pas la force de prendre la parole.
Pour dire quoi, rien ne semble suffisant pour l’aider, pour l’apaiser. Tu attends quelques minutes, en silence, et tu te décides à prendre une grande inspiration, à sécher tes larmes du revers de la main pour te donner l’attitude nécessaire, au moins de façade, pour la guider et la soutenir au mieux. « Je vais te mettre au lit, suis-moi. » J’ignore si elle a la force de marcher, ni même si elle tiendra debout après une émotion aussi vive. Je la prends donc dans mes bras et l’escorte jusqu’à sa chambre. Lui retire ses chaussures, ses chaussettes, son jean et son t-shirt après avoir fouiné aux alentours pour trouver ce qui semble typiquement être le t-shirt long / pyjama référence d’une fille. Je l’aide à l’enfiler et à s’allonger pour pouvoir la border et déposer un baiser sur son front. « Bonne nuit, Sage. » L’épuisement est tel qu’elle ne met pas plus d’une minute à s’endormir. Je reste un moment auprès d’elle puis décide d’aller vérifier la chambre de Milo qui dort à poings fermés. Les heures défilent les unes après les autres et je reste là… À vrai dire, je termine la vaisselle, termine de remettre le salon en ordre et improvise des crêpes en plein milieu de la nuit que je dispose sur le plan de travail. Tu sais qu’elles feront plaisir à Milo, que Sage n’aura pas besoin de lui préparer un petit-déj… Elle saura que tu n’es pas parti comme un voleur. Il est cinq heures et quart du matin, le soleil ne tardera plus à se lever et je tombe de fatigue. Il est temps… Tout ira bien pour eux, tu peux rentrer à présent. Un dernier regard en arrière et je m’éclipse après avoir refermé la porte à clé derrière moi grâce à cet accessoire de secours qu’elle m’a remis au cas où quelque chose arriverait… Parce qu’elle anticipe déjà, parce qu’elle veut que Milo puisse avoir quelqu’un au cas où il lui arriverait quelque chose du jour au lendemain… Parce qu’elle a déjà la fibre, parce qu’elle n’a pas idée du soutien qu’elle sera naturellement pour Milo lorsque le chagrin commencera à s’éloigner, à battre en retraite pour les laisser reprendre leur souffle.