Jill est alitée depuis quelques semaines déjà. Elle fait des allers-retour dans sa maison, va jusqu’au jardin et retourne à l’intérieur. C’est compliqué à gérer pour elle même si Bailey rentre de plus en plus tôt pour passer plus de temps avec elle. Le temps est long. Elle n’a pas l’habitude de rester allongée, ou de ne pas pouvoir sortir de chez elle. Elle n’est pas faite pour ça, elle ne l’a jamais été. C’est pour ça qu’elle a toujours cherché à fuir son chez elle. Elle l’aime cette maison, et elle aime cette vie avec Bailey, mais elle a du mal à respirer correctement, mais elle tient bon et essaie de ne rien montrer à l’homme qu’elle aime. Il ne lui montre pas lui non plus qu’il panique, et elle sent que ce n’est pas la bonne solution. Mais c’est comme ça qu’ils fonctionnent depuis que tout devient de plus en plus compliqué pour gérer cette grossesse.

Aujourd’hui, elle est dans son lit, ordinateur sur les genoux et elle envoie des messages à sa soeur. Qui est rentrée bien plus tôt de ses voyages autour du monde. La fatigue peut-être ? Ou alors elle a vraiment fini par en avoir marre d’Auden et elle l’a laissé au bord d’une route sombre et avec une voiture qui passe tous les 10 ans. Jill ouvre son ordinateur et va directement sur skype. Les deux filles ne peuvent pas se rejoindre, elles ne peuvent pas vraiment passer du temps ensemble alors qu’elles sont exactement dans la même situation. Elles sont toutes les deux clouées au lit jusqu’à nouvel ordre. Jill sait qu’elle doit se reposer jusqu’à ce que ce qu’elle accouche. Et elle commence l’appel, Ginny sait que Jill n’abandonnera pas l’idée tant qu’elle ne lui aura pas répondu. Elle pourrait appeler 20 fois à la suite, elle n’a que ça à faire après tout.


@Ginny McGrath-Williams

On aurait dû être à Oaxaca aujourd'hui. Si d'ordinaire les plans n'avaient jamais été suivis autant par Auden que par moi, n'en reste qu'aujourd'hui la raison qui est en cause est beaucoup moins amusante que l'auraient été les autres. On aurait pu dire que finalement Playa del Carmen nous tentait plus, on aurait pu aussi acheter un billet d'avion vers les Caraïbes à la place d'un billet de bus pour monter au nord. On aurait aussi pu décider de rester à vie (jusqu'a nouvel ordre du moins) à Tulum tant on y était bien.

Mais la réalité est toute autre et la mienne de réalité, c'est aussi de rester clouée au lit depuis qu'on a remis les pieds en Australie. Mon front au moins reprend un toucher normal, bien loin du brûlant d'il y a quelques jours. La fièvre s'en est allée, ne reste que le besoin presque viscéral de multiplier les siestes de jour comme de nuit.

Heïana a été incroyable dans ses mots pour nous rassurer, même si en l'état son non-verbal précisait parfaitement à quel point elle avait toutes les raisons de nous détester. C'est le virus de Zika apparemment que j'ai attrapé, qui fait monter le corps à des températures horribles, qui bousille toutes doses d'énergie et qui provoque parfois des baisses de pression qui finissent en tremblements isolés. Tout va bien, pour le bébé. Tant que je me repose, tout va bien, et c'est ce à quoi je me raccroche, à ça et aux dizaines de couvertures que mon corps luttant entre le bouillant et le glacé ramène inexorablement toujours sur mes épaules.

« Combien de fois t'as eu envie de faire un meurtre aujourd'hui? » les salutations sont passées nettes quand j'ai vu le nom de ma soeur apparaître partout sur l'écran de mon téléphone posé bien tranquille sur la table de nuit. Le rire point au bout de mes lèvres lorsque je décroche et enclenche la caméra, vaut mieux s'en moquer qu'en pleurer. Elle, elle passe ses nerfs en visualisant une scène de crime dont elle serait l'orchestre, moi, je m'occupe d'une toute autre façon. « J'ai terminé mon deuxième cahier de la semaine. Je commence à presque plus sentir mes doigts. »


@jill mcgrath-fitzgerald

Jill n’a pas attendu vraiment longtemps avant que sa soeur ne lui réponde. Elle le sait qu’elle aussi elle s’ennui. Elles ont sûrement les même activités. Elles dessinent, Jill joue du piano de temps en temps. Elle n’arrive même plus à rester des heures devant son piano. Même être assise fini par la faire souffrir ou à l’épuiser. Alors elle dessine dans son lit. Elle utilise tous les crayons et les carnet que Bailey lui a acheté il y a quelques jours et elle s’amuse comme elle le peut. Les journées sont terriblement longue, mais ces appels avec sa soeur l’aident à passer le temps bien plus facilement.

Qui elle a eu envie de tuer, Jill fronce les sourcils, elle a toujours envie de tuer du monde c’est dans sa nature. “ @Bailey Fitzgerald parce qu’il a oublié de racheter des chips hier, et ça vraiment ça me donne des envies de meurtre, @Matt McGrath il a pas répondu à mon appel d’hier et si j’avais le droit de sortir je serais allait le tuer de mes propres mains... @Pete Mulligan parce qu’il a dit qu’il pouvait pas venir me voir aujourd’hui.” Les trois sur lesquels elle rage le plus sont aussi les 3 hommes les plus importants de sa vie. “@Scarlett Warren ! Parce que j’ai dû la récupérer dans une boite y’a quelques temps et depuis j’ai pas vraiment de nouvelles.” Et là elle soupire, parce que ça l’inquiète plus qu’autre chose. “@Ezra Beauregard mais lui c’est sûrement parce que j’ai envie de le tuer depuis des années déjà.” Elle lève les yeux au ciel en souriant légèrement. Elle a beaucoup d’envies de meurtre en une seule journée apparemment. “@Lily McGrath parce que je suis sûre que c’est à cause d’elle que Matt ne m’a pas répondu.” Il faut bien remettre la faute sur quelqu’un. “Et après y’a ceux que je déteste parce que je suis sûre qu’ils ont une belle vie et qu’ils sont pas obligés de rester au lit. Tout ce temps dans mon lit me fait penser à tous les gens avec qui j’aurais bien envie de sortir là.” Elle ne connait pas toute sa vie Ginny, mais Jill ne se sent plus obligée de tout lui cacher. Et puis, il faut bien faire la conversation. “Je pense que je vais appeler @Finnley Coverdale, j’ai l’impression que je ne l’ai pas vu depuis une éternité.” Et je repense aussi rapidement à @Chloe Cohen ou @Louisa Fleming. Elle ne sait pas où elles sont, mais elle sait que ce sont deux femmes avec qui elle a passé de très bons moments. Et @Levi McGrath aussi, qui lui reste presque en mode fantôme depuis quelques mois.

“Je parle trop, et toi les hormones te rendent un peu plus violente ? T’as une sale tête au fait.” Oui parce qu’elle ne lui avait pas encore dit qu’elle ressemble à un zombie. “Tu dessines plus vite que moi. Mais j’ai fini un projet qui restera dans ce cahier à vie.” Et elle montre le cahier fermé de loin. Elle a un projet d’architecture, elle en a plusieurs même. Et tout ce temps allongé lui permet au moins de réfléchir.

Qui elle a envie de tuer, donc? “Bailey parce qu’il a oublié de racheter des chips hier, et ça vraiment ça me donne des envies de meurtre, Matt il a pas répondu à mon appel d’hier et si j’avais le droit de sortir je serais allait le tuer de mes propres mains... Pete parce qu’il a dit qu’il pouvait pas venir me voir aujourd’hui.” « Le pire des trios en somme. » j'éclate de rire, croyant qu'elle en a fini, alors que finalement, elle ne fait que commencer.

“Scarlett! Parce que j’ai dû la récupérer dans une boite y’a quelques temps et depuis j’ai pas vraiment de nouvelles.” elle tente de faire comme si elle était fâchée, la colère laisse plutôt place à du doute et de l'inquiétude dans ses yeux. “Ezra mais lui c’est sûrement parce que j’ai envie de le tuer depuis des années déjà.” là, j'arrive seulement à éclater de rire, leur relation que je n'ai jamais réussi à décrire mais qui semble toujours alterner d'un sens comme un autre des extrêmes. “Lily parce que je suis sûre que c’est à cause d’elle que Matt ne m’a pas répondu.” un moue désolée se hisse sur mes lèvres. Dans un autre monde, Jill adore autant la femme de Matt que moi. “Et après y’a ceux que je déteste parce que je suis sûre qu’ils ont une belle vie et qu’ils sont pas obligés de rester au lit. Tout ce temps dans mon lit me fait penser à tous les gens avec qui j’aurais bien envie de sortir là.” « Ouais, pour ça, je pense pareil que toi. » je compte plus le nombre de fois où j'ai usé de toutes les excuses et défaites possibles pour qu'Auden me laisse le suivre dans ses milliers de courses à travers le monde j'ai l'impression ; ou juste au supermarché du coin. Le lit ne m'a jamais paru aussi grand et aussi petit à la fois. “Je pense que je vais appeler Finnley, j’ai l’impression que je ne l’ai pas vu depuis une éternité.” il lui faisait du bien jadis Finn. Je ne sais plus si c'est le cas aujourd'hui.

De ses nouvelles, on passe aux miennes, bien moins agressives quand elles ne mettent pas en vedette les desserts qu'on me refuse encore. “Je parle trop, et toi les hormones te rendent un peu plus violente ? T’as une sale tête au fait.” « T'as toujours été la plus diplomate de nous deux. »  je lui tire la langue, face à face je lui aurais même pincé le nez. “Tu dessines plus vite que moi. Mais j’ai fini un projet qui restera dans ce cahier à vie.” « Montre, montre, montre, monnnnnntre! » mes supplications me font rire, elles la feront surement rager. « J'ai pas envie de tuer personne, mais je tuerais pour du café. » ma sale tête, donc. « J'aurais jamais cru que dormir autant me filerait plus de cernes que de faire de l'insomnie à mi-temps. »

Elle parle beaucoup Jill, et c’est étonnant venant d’elle. Surtout quand elle discute avec sa soeur. Elles peuvent mettre ça sur le dos des hormones, ou sur le fait qu’elle ne dit pas tout ça à Bailey. Alors elle parle devant son écran, regrettant de ne pas pouvoir aller voir directement sa petite soeur. Le pire des trios, Jill hoche vivement la tête. Les 3 plus horribles, et Jill aurait même pu rajouter Dorian dans la liste parce qu’elle a envie de le tuer quelques fois aussi. Mais bien moins souvent que tous les autres.

Ginny écoute sans rien ajouter, elle fronce le nez de temps à autre quand elle ne valide pas les choix de Jill. Mais elles sont rarement d’accord les deux soeurs McGrath. “Tu sortirais où si tu pouvais là ?” Elles sont d’accord sur un point et c’est assez rare pour le souligner. Jill a aussi quelques réponses si jamais sa soeur décide de retourner la question. Elle pense à des bars, à des plages, à des pays qu’elle aimerait voir ou revoir. Elle pense au fait qu’elle ne pourra plus partir comme bon lui semble, aller où elle le veut quand elle le veut. Et ça lui pince le coeur, alors elle secoue la tête. Elle envoie un baiser à la caméra quand sa soeur lui dit qu’elle est la plus diplomate. Elle aurait dû s’y attendre. C’est étonnant qu’elle ne l’ait pas dit plus tôt d’ailleurs. “Je te montre si tu me racontes ce qui s’est passé.” Donnant donnant. Et Jill ne sait pas vraiment pourquoi Ginny a cette tête là, et pourquoi elle est obligée de rester dans son lit. Jill renvoie sa tête en arrière en grognant quand elle entend le mot café. “J’en rêve.” Et c’est vrai. Elle a certainement rêvé d’un moment où elle avait le droit de boire du café. “Vas dessiner sur les murs ça t’occupera et ça t’empêchera de dormir. Faut éviter les cernes.” Jill hausse un sourcil avant de rire. “C’est ce que j’ai fait dans la chambre des jumeaux.”

La voix de ma soeur ne m'avait jamais paru aussi lointaine qu'en l'instant. “Tu sortirais où si tu pouvais là ?” c'est ridicule d'habiter si proche sans pouvoir se voir, c'est fâchant d'être bloquée chacune à faire la même activité - si être clouées au lit est considéré comme tel - et dans un souffle je me cale un peu plus dans les coussins. « À Kangaroo point. » le jardin est immense, on y voit les vagues, on y voit l'horizon. Tout en haut de Kangaroo par contre, c'est la ville en entier que je verrais, et qui me donnerait l'impression de ne pas l'avoir perdue quand j'ai l'impression d'avoir perdu un monde entier de possible en quittant le Mexique. En quittant les restes de voyage autour du monde qu'on s'était promis.

“Je te montre si tu me racontes ce qui s’est passé.” j'inspire, les couvertures remontées sur mes épaules et le regard qui dérive vers la silhouette de Auden qui entre à l'instant dans la pièce. « C'est rien de grave et les tests confirment que tout va bien maintenant. Mais j'ai attrapé un virus au Mexique. » une piqure d'insecte et la pire fièvre que je n'ai jamais connue. On est revenus ici en urgence, on a bien cru que le bébé serait touché. Pourtant Sage n'en finit plus de nous rassurer. « Rien que beaucoup de sommeil et de tisane au gingembre peuvent pas régler. » je m'entends souffler, bien plus parce que chaque jour je tente de me rassurer presqu'autant que je tente de rassurer à côté le monde entier. Mes malheurs et ma misère vont bien mieux quand ils sont contenus entre nos murs d'ici, à même notre forteresse.

Du café, seigneur Dieu du café. “J’en rêve.” et de chocolat, et de gâteaux, et de tout ce qui fait partie de la liste des interdits, en somme. “Vas dessiner sur les murs ça t’occupera et ça t’empêchera de dormir. Faut éviter les cernes.” elle l'ignore Jill pour ne pas être entrée ici comme 99,9% du reste du monde, mais la majorité des murs sont déjà peints, déjà tracés, déjà colorés par mes soins et par ceux de mon mari qui aujourd'hui est bel et bien plus barbouillé de peinture que moi. “C’est ce que j’ai fait dans la chambre des jumeaux.” « Tu triches ça existe pas si je l'ai pas vu encore. » je tente de ramener le tout au plus doux possible, malgré tout. C'est qu'un mauvais moment à passer, et on y arrivera. On y arrive toujours.

Elle font des plans sur tous les endroits où elles aimeraient aller et toutes les personnes qu’elles voudraient tuer. La liste de personnes à tuer est longue pour Jill. Elle aurait pu continuer longtemps encore, mais elle ne voulait pas que Ginny s’endorme face à son écran. Elle a arrêté la liste et elle a posé d’autres questions. Elles sont dans le même état les deux McGrath. Elles n’ont pas le droit de bouger de leur lit, et elles n’ont même pas eu l’idée de se retrouver dans la même maison pour pouvoir s’aider à passer le temps. Alors elles s’appellent, souvent. Seule Ginny peut comprendre ce qu’il peut se passer dans la tête de Jill.

Elle a été malade et Jill fronce les sourcils. Elle aurait dû faire plus attention Ginny, elle sait qu’elle est enceinte et que les voyages ne sont pas recommandés dans ces moments là. “Tu dois rester ici jusqu’à la fin de ta grossesse ?” Et égoïstement Jill aimerait qu’elle dise oui pour ne pas se retrouver seule avec Bailey quand les bébés seront là. “T’as plutôt intérêt à faire que ça alors.” Et elle peut s'enfiler des litres de tisane pour aller mieux, parce que Jill s’inquièterait beaucoup trop si sa soeur était de nouveau malade.

Elles parlent nourriture, la grande faiblesse de la famille. De dessin, un domaine qui les réunit un peu plus aujourd’hui. Jill parle de ce qu’elle a dessiné dans la chambre des jumeaux, elle est sûre que Ginny a déjà recouvert tous les murs de sa maison. Elles ne pourraient rien rajouter chez Ginny, mais elles pourraient peut-être rajouter des choses chez Jill quand elles seront toutes les deux de nouveau sur pied. “Fallait venir la voir.” Qu’elle nargue la brune avant de rire devant son écran et se lever en grognant. “Tu vas la voir en avant première.” Et elle emmène l’ordinateur jusqu’à son oeuvre qui est jusque là restée secrète.

“Tu dois rester ici jusqu’à la fin de ta grossesse ?” la question de ma soeur résonne, elle qui est bel et bien prise dans cette situation-là jusqu'à la fin de la sienne. « Non, mais il faut attendre les derniers résultats avant de savoir si on peut bouger ou si je dois abandonner les cerisiers en septembre. » on avait prévu de finir l'année au Japon Auden et moi, mais comme d'habitude, les plans ne sont faits que pour être défaits apparemment. N'en reste que mon sourire tente de la rassurer, elle qui n'a pas le choix, elle qui est alitée de force et elle qui doit tourner en rond depuis tellement plus longtemps que moi, pour encore autant de temps déjà. “T’as plutôt intérêt à faire que ça alors.” « C'est la première fois je pense que Auden et toi vous dites exactement la même chose. » Auden qui d'ailleurs roule des yeux si fort que j'en ai peur pour son nerf optique quand il m'entend le mentionner, quand il rage de la conclusion que j'en tire.

La fresque dans la chambre des jumeaux sur laquelle elle a doucement travaillée est au centre de la conversation et ça nous va à toutes les deux. “Fallait venir la voir.” je lui tire la langue, la voyant tout de même se relever, détestant chaque centimètre qu'elle met à bouger tant je le vois, le rictus de résilience qu'elle garde haut et fort sur son visage, rictus qui doit sûrement annoncer une quelconque douleur dans ses gestes. “Tu vas la voir en avant première.” mon sourire est là pour deux, mes yeux brillent pour deux aussi. Ce n'est que lorsqu'elle me montre l'étendue de ce sur quoi elle a bossé que je m'assure de lui confier, avec toute la tendresse que j'ai pour elle, malgré les années et les drames, malgré les horreurs et les démons Malgré tout, tout le reste.« Je t'aime. » et tout ira bien. Enfin.