« J'aimerais que tu te concentres un peu. » Ce n'était pas compliqué, bon sang, de viser juste. Je n'avais jamais aimé l'attitude de cette gamine. Toujours revêche, un poil de répondant de trop et par dessus tout, un handicap de concentration très, très flagrant. Elle avait la langue acérée, le regard mauvais, le tir facile. Je me la traînait parce qu'il était vrai que parfois, elle savait m'être utile. Bon, sauf quand elle tirait dans la tête d'un type que nous devions ramener mort ou vif. Je préférais mort, tout comme elle. Aux yeux de la loi, pourtant, il fallait coprendre que les prisonniers étaient plus prisés. On gagnait plus d'argent, en tout cas, à les ramener vifs. « Et que tu cesses de me casser les pieds avec ta manie de tirer d'abord et de discuter ensuite. »

Le prochain était un grand bandit, un copain à nous dont la capture nous était sacrément familière. En fait, nous avions pour habitude de l'attraper environ tous les six mois pour ensuite le retrouver dans la nature. Le shérif du coin ne faisait visiblement pas son travail et j'avais pour principe de ne jamais laisser trop de leste aux gamins du coin, qui auraient pu tomber sous l'emprise de ce gars là.

Ce gars là qu'on appelait Danty.
Danty Frice.

C'était de toute façon notre gagne-pain, ce qui nous maintenait en vie. Jill et moi avions pour habitude de ratisser la région, afin de débusquer tous les putains de traîtres à Dieu, ceux qui avaient oublié ce que voulaient dire les mots "ne pas voler" et qui désobéissaient aux sermons. Ceux là méritaient un petit avant goût du Jugement Dernier. Jill et moi étions les premiers avant l'enfer, ceux que ces bandits rencontraient avant de retourner auprès de leur Créateur, lequel se chargeait bien vite de les envoyer là où était leur place. « Y'a un avis de recherche sur la gueule de Danty. Gras, l'avis. » Je chargeais le corps de notre homme - un certain Charlie Pito, aussi surnommé Cha-Pito - sur mon canasson et remontait en selle, histoire de pouvoir tendre l'avis de recherche à ma camarade. « Cette fois-ci, on le ramène mort. Je suis tanné de lui courir après. C't'abruti pense qu'on va encore jouer à cache-cache longtemps. Manque de cul, on m'a dit qu'il traînait autour des mines abandonnées. Il doit chercher un truc, mais quoi, hein ? Pas du sarment, si tu veux mon avis. » Non. Danty Frice cherchait de l'or, beaucoup d'or. « On campe sur la colline. On l'attrape à l'aube. »

Blablabla il était encore en train de me faire la moral Saül. Je me détestais, lui et toutes ses idées de merde. Il ne voulait pas que je tue le monde entier. Il le savait que j’avais la gâchette facile, et que j’adorais tuer les bandits, surtout ceux qu’il me demandait de ne pas tuer. Ceux-là, j’adorais les tuer en gardant mon regard ancré dans celui du vieux Williams. Mais il ne m’a jamais abandonné. Parce qu’il savait que j’étais un bon atout, il ne pourrait pas trouver mieux que moi pour le suivre dans toutes ses aventures. Et au final, j’aime qu’il m’ait appris tant de choses. Je ne lui ai jamais avoué et ça n’arrivera jamais. Mais grâce à lui j’ai su comment tirer avec une arme, et même avec deux en même temps. “Je tire mieux que toi j’ai pas besoin de me concentrer.” Si Saül faisait peur au monde entier il ne me terrifiait pas moi. Bien au contraire. “Tu sais très bien qu’on bosse ensemble justement parce que je suis comme ça.” Mon sourire s'agrandit à vue d’oeil, cette situation m’amusait beaucoup. Il aurait pu choisir beaucoup d’autres tueurs, mais il a choisi de faire équipe avec moi. Et j’ai choisi de faire équipe avec lui.

Il y avait beaucoup de truands qu’on avait arrêté, encore plus que j’avais tué de sang froid alors que Saül me hurlait de ne pas le faire. Ce n’est quand même pas de ma faute s’ils parlaient trop, ou pas assez. Je me souvenais de ce fameux Payne, le grand Payne Oarre que j’avais tué avant qu’il ne nous ait parlé de son gang. Oups ? Saül m’a détesté ce jour là, et je m’en fichais. Ca faisait bien trop longtemps que je n’avais pas eu l’occasion de regarder la vie s’échapper d’un corps. Je ne saurais pas comment l’expliquer, mais j’ai toujours adoré ça. Regarder le sang couler, et la souffrance dans les yeux de ceux que j’avais touché. Et, grâce à Saül, j’avais appris à tuer quelqu’un avec des dizaines d’armes différentes. J’étais une tueuse à gage, la meilleure de tous les temps.

Mon rêve était d’éliminer le pire de tous. Danty Frice. Je me surpris à penser à toutes les morts les plus lentes et les plus douloureuses. J’aimais me perdre dans mes pensées dans ces moments là. “Si t’étais pas aussi lent on l’aurait déjà attrapé.” Je soufflais, il commençait à être trop vieux le Williams. “T’aimes pas chasser la nuit ?” Elle n’avait fait souffrir personne depuis quelques semaines, c’est triste non ? “Je monte le campement, tu prépares à manger.”

« Je tire mieux que toi j’ai pas besoin de me concentrer. » « Et le prochain, je suis certain que tu vas le rater. » Et s'il fallait encore le prouver, l'italien ne serait pas en reste. Au moins, elle sait qu'il la déteste. Elle sait pourtant se montrer efficace. Parfois, même, Jill sait prouver qu'elle est coriace. « Tu sais très bien qu’on bosse ensemble justement parce que je suis comme ça. » « Oui et bien, tu m'es assez insupportable, là. » Et sur ces belles paroles, l'italien remonte à cheval. Cette nuit, ils longeront peut-être le canal. Le corps du supplicié gît sur le canasson du chasseur de prime, que ce dernier achemine. L'appât du gain, il n'y a que ça pour casser un peu la routine.

Il y a quelques années qu'elle a appris à chasser, la gamine. C'est grâce à Saül qu'elle en sait plus sur les armes qu'elle manie désormais à la perfection : tous les jours, elle se fait un petit shot d'adrénaline. Elle est la seule que Saül ait un jour pris sous son aile. Elle ne se rend peut-être pas encore bien compte de sa chance, se croît plus libre d'une hirondelle. Pour autant, c'est à Saül qu'elle doit tout ce qui la compose. Si elle essaie de le trahir, il ira à sa suite - encore faut-il qu'elle ose... « Si t’étais pas aussi lent on l’aurait déjà attrapé. » « A qui la faute, si on a pris le chemin le plus risqué ? » Il est loin d'être responsable de toute sa fougue, la contrôle encore moins dans ses accès de courage. Parfois, elle se rapproche plus de la stupidité que de l'acte de bravoure, et ça, Saül, ça l'enrage. « T’aimes pas chasser la nuit ? » « Tu me prends pour une chauve-souris ? » Non, il déteste chasser de nuit. L'aube est, en vérité, la plus fidèle de ses amies. A l'aube, la campagne encore endormie se laisse facilement berner par le tandem de chasseurs. Leurs proies, naïves, sont ainsi capturées en moins d'une heure.

« Je monte le campement, tu prépares à manger. » C'est ce qu'il préfère, l'italien, préparer ce qui leur servira à se sustenter. « N'oublie pas d'attacher les chevaux, cette fois-ci. » Un jour, ils s'était retrouvé à courir derrière les canassons, en pleine nuit. Généralement, les animaux reviennent, mais ces canailles là n'avaient pas manqué de lui faire une frayeur. Comme feraient-ils, sans chevaux, s'il fallait fuir leurs agresseurs ? « Par où est-ce que tu comptes passer ? » Derrière la colline, c'est le meilleur endroit pour ne pas se faire repérer.

Elle garde son arme à la main, ce n’est pas parce que Saül est son partenaire depuis quelque temps qu’elle ne se méfie pas. Elle n’est plus cette petite fille naïve depuis elle longtemps, elle ne se souvient même pas d’un jour où elle aurait été naïve. Elle est une chasseuse de tête très douée d’Australie désormais. “T’as tort comme d’habitude.” Il commence à l’énerver Saül, il sait qu’il ne devrait pas jouer à ce jeu là. “Blablabla” Il sait que c’est le plus insupportable des deux, et elle lève les yeux au ciel alors qu’il continue de parler pour ne rien dire. Il remonte à cheval et elle le suit. Ils vont traverser ces ruelles remplies de villageois qui ont peur du grand méchant loup. Ils ne savent pas que Jill les protège en faisant la chose qu’elle aime le plus au monde, tuer des gens.

Elle n’aime pas le village dans lequel ils doivent se rendre. C’est un endroit étrange, une ville qui était une ville fantôme il y a encore quelques mois, et qui est désormais habitée par des choses étranges. Elle n’aime pas le surnaturel Jill, et cette ville l’inquiète bien plus que tous les tueurs en série qui sont dans cette ville. Les voyantes cotoîent les sorcières qui restent cachées dans les coins sombres. Les voleurs sont partout et un vieux fou se prend pour cupidon et se balade avec un arc sur le dos. Elle écoute Saül, et Jill se sent comme un dictateur. Il finit toujours par la suivre là où elle veut, parce qu’il sait qu’il a besoin d’elle pour ramener tous ces truands morts. “C’était la tienne.” Les mauvaises décisions ne sont jamais de sa faute. “J’avais oublié que papy avait besoin de ses 8h de sommeil.” Jill ne dort jamais beaucoup.

Elle décide d’aller chasser, c’est la meilleure dans ce domaine. Elle regarde partout autour d’elle pour trouver le meilleur spot. “On en a trouvé d’autres la dernière fois.” Parce que Jill est aussi une bonne voleuse. Elle n’aime pas cette endroit, il est rempli d’histoires et de rumeurs. De mythes sur les loup garou blancs et les loups noirs qui dévorent les voyageurs à la nuit tombée. Saül ne connait peut-être pas toutes ces histoires. “Il faut que j’aille vers la forêt si on veut du gibier.”
 

« T'as tord comme d'habitude. » « J'ai quoi ? » Non, il n'a jamais tord, Saül. Quand elle le nargue encore, lui reprend son souffle pour lui décharger toute la colère qu'il a accumulé avec les conneries de la jeune femme. « J'ai pas tord. J'ai jamais tord. Tu sais très bien que de nous deux, je suis le plus pragmatique, je plus habile au tir et le plus habile pour négocier toutes nos primes. Je suis le plus rusé, celui que nos ennemis croient quand il faut faire en sorte de les ramener vivants. Il n'y a rien de comparable à ma verve et contrairement à toi, je sais écrire. J'en ai plus dans la caboche que toi, parce qu'en plus de savoir différencier un -e d'un -a, je sais compter. T'as besoin de mon instinct de survie plus que t'as besoin d'oxygène. Il n'y a pas un type que je ne reconnaisse pas quand je le vois pour la seconde fois de ma vie et crois moi, si je devais te traquer je pourrais le faire juste en ne me souvenant que de ta voix. Je connais cette région comme ma poche, j'ai une boussole dans la tête et je sais parfaitement que plus que d'un type pour t'apprendre à tirer, tu as en plus besoin d'un homme pour t'empêcher de suivre les nuages comme une sombre idiote. Quand tu sauras monter à cheval comme je le fais, même avec un chargement de cadavres pour le shérif, tu pourras revenir me dire que j'ai tord, parce que tout ce que j'ai appris jusque là, tout le savoir que je garde dans ma caboche, je te le file à toi et crois moi, c'est de l'or que tu as dans le cerveau, gamine, parce que mes idées brillent plus fort que tout l'argent des mines hantées que tu pourras un jour visiter dans ta triste vie. » Pour l'entente, on repassera.

« J’avais oublié que papy avait besoin de ses 8h de sommeil. » « Par pitié, tais-toi. » Saül décharge leur capture du jour du dos du cheval. Le cadavre pèse comme un âne mort - haha - mais Saül ne prend pas le risque de fatiguer les chevaux alors que le lendemain risque d'être une longue journée. Les autres trouvés la dernière fois ne remplaceront jamais le canasson dont Saül avait fait l'acquisition à l'époque, un magnifique étalon noir qui doit désormais vivre une vie merveilleuse dans les montagnes. « Il faut que j’aille vers la forêt si on veut du gibier. » « Oh tu veux que je t'accompagne, peut-être ? Où est passée ton incroyable capacité à tuer tout ce qui bouge ? » Il l'accompagnera, si elle le demande. Saül ne râle toujours que pour la forme. Elle commence à le connaître, à force.

Elle utilise les mots magiques pour le faire sortir de ses gonds. Qu’est ce que c’est facile. Mais au bout de 3 mots elle a déjà arrêté d’écouter son long et ennuyeux monologue. Il veut parler, grand bien lui fasse. Mais elle est déjà en train de chercher des yeux l’endroit parfait pour partir chasser. Ce soir, elle ne reviendra qu’avec du gibier, et pas d’être humain. Ils ne mangent pas ce genre de choses, ils restent civilisés même au beau milieu de nul part. “T’as fini ?” Il a l’air puisqu’il reprend sa respiration comme s’il avait couru un 100 mètres à pleine vitesse. Il s’épuise pour rien, il épuise sa salive pour un rien aussi. Mais il adore parler le Williams, il aime par dessus tout entendre le son de sa propre voix. Il devait sûrement raconter à quel point il a toujours raison et qu’il vaut mieux que Jill. Il ne fait pas grand chose de plus quand ils sont sur les route, à part la cuisine. S’il ne faisait pas bien la cuisine la McGrath ne l’aurait jamais supporté plus de 5 minutes.

Il lui dit de se taire, mais il devrait savoir qu’elle va faire tout le contraire. Il dépose le cadavre au sol sans que Jill ne l’aide une seule seconde. Les bruits l’inquiètent. Ils sont entre deux villes et ça ne la rassure pas, surtout pas après tout ce qu’elle a vu et qu’elle n’aurait pas dû voir dans les environs. “Tu devrais faire attention parce que la seule chose que je vois bouger actuellement c’est toi.” Elle sourit légèrement avant de regarder à nouveau partout autour d’elle. Un bruit un peu plus sonore que les autres et elle l’attrape par le poignet pour qu’ils se glissent tous les deux derrière un grand rocher. Elle n’aime pas cet endroit.

“Ecoute, tu me crois ou tu ne me crois pas je m’en fiche mais il faut que je te parle de quelque chose que je n’aurais pas dû voir. Je suis déjà venue ici il y a des années, pile entre ces deux villes. Et j’ai vu des choses que tu n’imagine même pas. Il y a une femme qui joue de la bombarde à l’entrée de celle de l’Est, c’est la protectrice du village. Elle éloigne les choses surnaturelles de la ville grâce à sa musique mais nous on est en plein milieu de l’inconnu. Je les ai vu tourner autour de la ville sans pouvoir y entrer, et des tas de rumeurs disent que personne ne survit une nuit ici.” Elle est persuadée qu’il ne la croira pas, mais quand il verra qu’il se passe des choses étranges par ici il n’aura pas d’autre choix que de dire qu’elle avait raison. “Alors je préfère qu’on évite de se séparer si on essaie vraiment de rester ici.” Elle n’a jamais eu peur de la mort Jill, mais si elle doit mourir elle se battra jusqu’à son dernier souffle.

« Tu devrais faire attention parce que la seule chose que je vois bouger actuellement c’est toi. » Voilà qui a au moins le mérite de calmer un peu Saül qui se contente alors de lever les yeux au ciel d'agacement. Elle a peur, pourtant la gamine. Elle se planque, attire Saül avec elle. « Je suis marié, gamine, tu ne m'intéresses pas. », qu'il plaisante, le sourire aux lèvres alors qu'elle le tire près d'elle. Saül est marié dans une autre vie, celle qui suppose que sa femme n'est pas morte d'une maladie qui l'a emportée elle et leur enfant à naître. Quand la mort l'a emportée, Saül est parti de la maison. Il n'y a jamais remis les pieds, n'est même pas venu se recueillir sur la tombe le jour de l'anniversaire de la mort de son épouse. Il l'aimait terriblement.

Elle se lance dans un monologue, la gamine. Un monologue que Saül n'écoute pas, au début. Son avis change vite, pourtant, quand elle parle d'un lieu maudit. Le chasseur de prime n'a pas pour habitude de croire beaucoup aux histoires de fantômes. « Alors je préfère qu’on évite de se séparer si on essaie vraiment de rester ici. » L'aîné la jauge du regard, la détaille de pied en cap. « Ouais. T'as la frousse, surtout, alors il te faut quelqu'un pour aller chasser. » Ni une ni deux, Saül se redresse. Une balle file alors au dessus de sa tête. Aux dernières lueurs du crépuscule, les deux chasseurs ont donc été trouvés par de gros, très gros poissons. « SORTEZ ! LES MAINS EN L'AIR ! » Saül reconnaît la voix de Kana Paix, la seule shérif femme de la région. Elle n'a probablement pas aimé leur dernière prise, qu'elle avait demandé vive à tout prix. « Tu vois où ça nous mène, tes erreurs de jugement ? », qu'il râle encore à Jill. S'ils tuent Kana, c'est tous les shérifs de la région qui les considéreront comme des hors-la-loi. « Si on jure de te ramener Danty Frice vivant, tu nous laisse la vie sauve ? » « Allez en enfer ! » Nouvelle salve de balles sur les rochers. Les chevaux n'ont pas pris la fuite et le campement n'est heureusement pas trop établi. « Je te couvre, monte à cheval et file. Je me débrouille pour te retrouver après la forêt, à l'est. On ne doit pas tuer Kana. Si on lui ramène Danty je suis certain qu'elle arrêtera de nous emmerder. File ! » Saül se tourne vers le rocher, met en joue Kana. « A nous deux, Kana Paix. »

”L'amour est une fumée faite de la vapeur des soupirs ; satisfait, c'est un feu qui brille dans les yeux de l'amant ; contrarié, c'est une mer nourrie des larmes de l'amant” Elle se fiche de l’amour Jill. Quelle idée de se marier par les temps qui courent et avec un travail pareil ? Elle fronce les sourcils mais ne lui pose pas de questions, ils ont autre chose à faire que de discuter des choses bien trop personnelles.

Elle lui explique ce qui lui fait peur. Parce que, même si elle n’a peur de rien la McGrath, elle n’aime pas tout ce qui touche au surnaturel. Et, tout ce qui est autour de ces villes a l’air bien trop étrange et inexplicable pour qu’elle puisse se sentir à l’aise. “La ferme.” Elle ira chasser seule si ça le fait taire. Il se lève mais se retrouve rapidement accroupi de nouveau à côté d’elle, après être passé assez proche de la mort. “C’est à cause de toi qu’on a été repéré.” Parce qu’il parle toujours trop fort, il prend ses aises au milieu de nul part comme si le monde lui appartenait et qu’il n’y avait pas la moitié de la population de ce pays qui voulait leur peau. Kana Paix les protégeait avant tout ça, avant qu’elle ne se rende compte que le plaisir de Jill était de tuer tout ce qui passait devant son arme. “Vivant ?” Elle grogne quand Saül promet des choses qui ne seront certainement pas possible.

Elle le laisse faire en restant cachée derrière les rochers pour se protéger des balles. Elle ne veut pas vraiment laisser Saül seul. “T’as intérêt à me rejoindre.” Parce que, s’il se fait arrêter, elle sera obligée d’aller le sortir de prison et ça leur fera perdre du temps. Elle court vers son cheval, lance un dernier regard derrière elle avant de foncer vers la forêt. En espérant qu’ils ne regretteront pas cette décision.

Kana Paix est coriace, mais Kana Paix n'aura pas leur peau. Après tout, ils ne sont pas les chasseurs de prime les plus redoutés de la région pour rien et leur réputation ne leur fera pas défaut aujourd'hui - Saül s'en fait le serment. « C’est à cause de toi qu’on a été repéré. » « Oh ça suffit, c'est toi qui a voulu qu'on s'installe ici. » L'inverse est probablement tout aussi vrai. Pour l'heure, Jill et Saül sont dans de beaux draps - sales - et seule leur ingéniosité saura les sortir de cette abracadabrante situation. Kana Paix les menace, mais elle ne sait pas encore que leur volonté de vivre est sans faille - ou peut-être le sait-elle justement un peu trop bien.

« Vivant ? » « Oui, vivant, triple buse d'andouille. » Même si Jill les préfère morts, ce qui est tout de même plus pratique pour ne pas se coltiner les trajets jusque chez le Shérif avec un bavard - ou une bavarde - de prisonnier. Mais Kana ne marche pas à leur subterfuge. Plus encore, elle menace de tuer les deux humbles représentants de la loi - laquelle, on ne saura guère le préciser mais certainement la leur - aussi sec. Au tour de Saül de monter un plan pour les sortir de ce pétrin, plan auquel Jill n'a pas l'air de vouloir pleinement adhérer. « T’as intérêt à me rejoindre. » Le plus vieux lève les yeux au ciel et l'observe partir. Lorsqu'il est certain qu'elle est hors de portée, Saül lève les mains en l'air afin de montrer à Kana qu'il n'est que plein de bonnes intentions. Leur adversaire le remercie d'une remarque sardonique et lorsqu'elle a le malheur de relâcher un peu son attention, Saül se dépêche de lui faire un croche-patte. Ses alliés prennent à raison la poudre d'escampette pour aller rejoindre le couvert des arbres, armes à la main. C'est avec sa propre corde que Saül ligote Kana, qui ne cesse de lancer au chasseur de prime toutes les insultes qu'elle soit en capacité de ressortir. Prudemment, Saül recule vers les chevaux, protégé derrière une Kana ligotée. Lorsqu'il a atteint sa monture, Saül lâche la femme de loi et file à vive allure. Tant pis pour le canasson de Jill, ils lui en trouveront un autre.

« T'es pas compliquée à pister, ma grande. », que lance le chasseur en passant à la portée de Jill, planquée dans un arbre. « Dépêche toi de descendre. On reprend la route. » Vite, avant que leurs assaillants n'aient le temps de se rendre compte qu'ils peuvent encore rattraper les chasseurs. « Y'avait rien de précieux au campement, j'espère, parce qu'on y retournera pas. »

Elle est partie à vive allure la McGrath. Elle est montée sur un cheval et a foncé vers la forêt pour fuir et éviter de se faire arrêter par Kana Paix. Elle espère pendant le trajet que Saül aussi aura eu cette chance, mais elle réfléchit déjà à tous les moyens possibles pour le faire sortir d’une cellule dans laquelle il pourrait être enfermé. Il le sait, que s’il se fait arrêter, il en entendra parler pendant des années. Elle arrête de réfléchir pendant quelques secondes la brune, et elle cherche un endroit où se cacher. Elle regarde autour d’elle, il n’y a que des arbres à perte de vue, alors elle décide qu’elle va grimper le plus haut possible pour se cacher de quiconque déciderait de partir à sa poursuite.

Elle attend pendant de longues minutes, ou heures. Elle pense à la nourriture pour faire passer le temps plus vite, pas sûre que ce soit une très bonne idée en sachant que ça fait des jours qu’elle n’a rien mangé. Elle se souvient de son ancienne vie, et elle s’imagine manger du chili ou des tapas. Ses voyages en Amerique du Sud et en Europe lui ont fait découvrir des tas de choses. Les vraies pizzas d’Italie, ou les fish and chips d’Angleterre. Les plats immondes d’Ecosse comme le haggis. Les plats allemands comme le Kartoffelsalat, tous aussi imprononçable les uns que les autres. Le pain en France et les gaufres de Liège. Elle en salive rien que d’y penser. Mais elle préfère l’Amérique du Sud que l’Europe, pour bien des choses. Elle raffole des enchiladas, et du Mexique en général. Le Moros y Christianos de Cuba. Elle aurait pu en lister beaucoup d’autres mais Saül finit par l’interrompre. “Je suis obligée de laisser des traces pour être sûre que tu me retrouve.” Et elle commence à descendre de son arbre pour le rejoindre et s’échapper. “Le sac avec tout notre argent et tous nos papiers d’identité ?” Et toutes les différentes identités qu’ils utilisent pour se fondre dans la masse.

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