IVY & KIERAN ⊹⊹⊹ stroke my head and i'm fine, it's really simple, I'm feeling good, i feel myself and i'm feeling understood.

Tu vas passer la meilleure soirée de toute ta vie

(SUR LA ROUTE). L’autorité d'Ivy, même à travers un écran, ne laissait pas de place à la négociation ; Kieran s’était alors contenté de lui lâcher un vieux « vu » en guise de réponse à cette affirmation (et cela n’a rien à avoir avec le fait qu’il n’avait aucune envie de se justifier quant à la journée passée en compagnie d’Eve, non, voyons). Dès lors, Kieran vivait dans la peur. S’il était dans un film, il serait ce héros traqué par une multinationale terriblement puissante (à comprendre, Ivy), obligé de perpétuellement se retourner, d’emprunter les chemins les moins fréquentés, de ne sortir qu’à certaines heures de la nuit pour assurer sa discrétion. À vrai dire, la perspective de passer une soirée avec Ivy était plaisante ; depuis leur rencontre au sein de l’aventure Race of Australia, il compte celle-ci parmi ses amis. La perspective de passer une soirée avec Ivy est aussi inquiétante ; depuis leur rencontre au sein de l’aventure Race of Australie, il est encore dans l’ignorance de ce dont la blonde est capable. Il en a eu un aperçu, avec cette passion non-dissimulée quant à lui provoquer un malaise. Un détail qui l’agace autant qu’il lui convient ; et c’est très exactement le problème. Il ne sait pas à quoi s’attendre ce soir, encore moins suite au message d’Ivy lui annonçant qu’une voiture viendra le chercher. Sérieusement ? Une chose est sûre ; il n’est pas prêt pour ce qui l’attend. Elle va le malmener comme elle le fait d’ordinaire, le sortir de cette zone de confort qu’il était ravi de retrouver après le jeu, lui provoquer bien d’autres malaises. Il aurait dû se décommander, pourtant l’idée ne lui a même pas effleuré l’esprit. La curiosité, probablement, l’envie de se prouver qu’il n’a pas besoin d’aller à des centaines de kilomètres de Brisbane pour dépasser ses limites ; et rien d’autres. Surtout pas une quelconque once d’excitation ou d’enthousiasme à cette idée – non, ça ne lui ressemblerait pas. Et effectivement, c’est malgré tout tendu qu’il finit par céder et entrer dans le véhicule, même si cette nervosité ne le quitte pas du trajet, qui l’amène jusqu’au centre-ville. Il essaie bien d’obtenir des informations auprès du chauffeur, mais celui-ci se contente de grogner et de grimacer au lieu de formuler de véritables phrases. Pire encore, après qu’il soit sorti du véhicule, ce dernier l’abandonne sur le bord de la route, redémarrant en trombe. Il ignore s’il a été se garer plus loin ou s’il l’a réellement laissé à son sort de la sorte,  mais Kieran n’est pas rassuré, alors qu’il reste sur le trottoir à observer avec un intérêt presque malsain chaque silhouette qui passe dans le but d’identifier Ivy au plus vite. Et lorsqu’il l’aperçoit enfin, le soulagement n’est pas aussi fort qu’espéré ; encore une fois parce qu’il ne sait pas à quelle sauce il va être mangé. « Ivy ! » Qu’il l’interpelle en se précipitant presque en courant vers elle, comme s’il ne pouvait pas gâcher la moindre seconde qui le sépare du programme de la soirée pour tenter de diminuer cette nervosité qui lui sert l’estomac. « J’ai cru que t’allais me laisser en plan, enfin pas que tu sois en retard, ni même qu’on ait décidé d’une heure, d’ailleurs, mais... » Tais-toi, Kieran. « Euh, bref, je... y’a un mec mi-clown à l’agonie, mi-zombie qui m’a kidnappé, tu veux bien m’expliquer cette histoire ? » Il quémande, plus par rapport à la soirée en elle-même que le manque de sympathie du chauffeur. « Ayez pitié, miss Waterhouse, est-ce que je peux établir quelques règles avant, enfin... tu vois, comme un wiki du bon déroulement de la soirée ? » Oui, peut-être qu’avant d’avoir le programme en main et de ne plus pouvoir demander de modifications, il faut établir des règles qui lui permettront de ne pas tomber dans les pommes dans les dix premières minutes. Trois fois rien, les règles. Voyons, ce n’est pas comme s’il en était déjà au point numéro quarante-trois de la liste des interdits, non, jamais.

Je lui ai envoyé une voiture. Bien sûr que je l’ai fait. Il a passé son anniversaire avec Eve, et quoi qu’il puisse dire, ça a dû être de la merde. Il ne devrait pas continuer à la laisser lui marcher dessus. Mais je ne suis pas là pour lui faire la morale, pas ce soir. Sauf s’il en vient à dire que sa journée avec la blonde était mieux que ce que je lui réserve. Il va passer une soirée, une nuit à la Ivy. Si on avait été à Sydney j’aurais même pu récupérer le jet privé pour l’emmener loin de cette ville. Mais on est pas à Sydney, et malheureusement, j’ai moins de moyens que quand mon père était dans les parages. Mais ce soir, on va faire comme si de rien n'était, comme si mes comptes étaient pleins.

Je suis arrivée en retard, mais la voiture arrive encore plus en retard que moi. Je le paye pourquoi ce chauffeur ? Il sait qu’il doit rester par là pour être disponible dès que je décide que j’ai envie de bouger d’un millimètre. Je le vois arriver vers moi et je souris. “Qu’est ce que t’as foutu ?” Il a le visage assez déformé et je me demande ce qu’il a bien pu lui arriver. Il n’a pas l’air d’être du genre bagarreur. “J’allais pas te laisser en plan pour ton anniversaire.” On a loupé la date, mais la soirée sera tout aussi mémorable que si on l’avait fait le bon jour. “Il t’a pas kidnappé, il est venu te chercher. Et c’est avec lui qu’on fera les trajets de ce soir.” Si je n’ai pas envie de marcher entre deux bars. Il se fera un plaisir de nous déposer où bon nous semble. Il veut établir des règles. Etrange. Je souffle avant de croiser mes bras sur ma poitrine et l’emmener dans le premier bar qui se trouve derrière lui. “Après le premier shot.” Il n’a pas le choix. Je m’assois sur un tabouret du bar, commande deux shots et avale le mien d’une traite avant qu’il ne fasse la même chose. “Vas y, fais la liste des règles que je me ferai une joie de transgresser.” Je ne rigole qu’à moitié, mais je ne m’arrêterais pas à seulement quelques règles.

Il est angoissé, Kieran. Ça ne change pas réellement d’ordinaire, la nervosité étant, depuis quelques années, son état naturel. Mais aujourd’hui, il peine à gérer cette anxiété ; et c’est véritablement tendu qu’il attend l’arrivée d’Ivy, ayant un besoin presque vital d’être fixé quant à la soirée qu’elle lui réserve pour mieux s’y préparer (psychologiquement, s’entend). Mais c’est une certitude, il pourrait sortir le dictionnaire des synonymes pour mieux appuyer l’état dans lequel il se trouve à cet instant ; anxieux, paniqué, mal à l’aise, peureux, inquiet, terrorisé, la liste est longue et pourrait à elle seule l’occuper toute la soirée.

Pourtant, au milieu du dictionnaire de ses angoisses, se mêle un antonyme ; et l’excitation pointe le bout de son nez à mesure qu’il attend la jeune blonde. Peut-être, mais vraiment peut-être, qu’il n’est pas si inquiet qu’il le prétend. Et que la véritable inquiétude ne réside pas tant dans la soirée qu’il s’apprête à passer que le fait d’y trouver une satisfaction qui pourrait l’amener à vouloir la reproduire.  Il ne l’espère pas ; ce serait prendre goût à l’inconnu, au danger, à l’excès – probablement – et Kieran n’est pas prêt pour cela ; ce n’est pas sa façon de fonctionner et ça n’est pas supposé l’être. Pourtant, si sur le moment Kieran en a souffert, avec le recul il a trouvé une certaine satisfaction à se faire refaire le portrait lors de cette intense dernière semaine de Race of Australia : première fois de sa vie qu’il reçoit un coup de poing, première fois de sa vie qu’il a l’air d’un bad boy. Et même si la douleur fut insupportable et qu’il aurait préféré ne pas avoir le nez cassé ni des points de suture, le fait est qu’il a pu cocher cela sur sa liste de choses à faire une fois dans sa vie – une liste dont il ignorait lui-même l’existence. « Euh, en quelques mots ? Race of Australia, rafting, surfeur de deux fois ma taille que j’ai énervé. » Il justifie en haussant les épaules, avant d’afficher un léger sourire pour mieux faire passer l’aspect dramatique des événements. « T’aurais pu, je t’en aurais pas voulu. » Il explique, avant de rapidement reprendre. « J’ai pas l’habitude de fêter mon anniversaire. » Alors il aurait pu s’en passer sans difficultés. « Pardon, c’est plutôt toi qui me kidnappe, c’est vrai. » Il souligne, le plus sérieusement du monde alors que ceci lui apparaît comme le plus logique. « Les ? » Wait. C’est-à-dire qu’elle a prévu réellement une longue soirée avec différents arrêts ? C’est pas juste un bar et quelques shots ? Pas qu’il pensait que tout serait calme, mais qu’au moins, ils resteraient au même endroit. Suivant docilement la jeune femme, ils entrent dans le premier bar, un shot très rapidement devant lui qu’il avale en esquissant une grimace furtive ; ça, ce n’est pas nouveau sur sa liste. « Qu-quoi ? ... » Si elle compte les transgresser, doit-il sérieusement les mentionner ? « Euh. Non, non en fait ça va. » Il assure avec un large sourire inquiet : il ne faudrait pas qu’il lui donne des idées, alors autant se murer dans le silence ; il s’opposera en temps voulu (non, il ne le fera pas). « Mais t’as rien prévu de trop... ‘’trop’’, hein ? » Il demande en soutenant son regard un bref instant avant d’observer le bar autour d’eux. « Parce qu’en général je bois une bière avec un pote, je mange avec ma sœur, je me fais un cadeau et voilà, ça me convient. » Alors pourquoi changer, si cela lui convient ?

Je vais le perturber, je le sais très bien. Je ne lui ai donné aucune information sur notre soirée. Je sais qu’il a passé un mauvais premier anniversaire, heureusement que je suis là pour rattraper le coup. Il s’en souviendra pendant un moment, j’en suis certaine. Même avec 15 grammes d’alcool dans le sang il ne pourra rien oublier de ce qu’il va se passer ce soir. Je ne m’attendais pas à le voir arriver avec le visage à moitié détruit. “Ca donne un côté bagarreur c’est pas mal.” Même si je le préfère quand il n’a pas des bleus partout. Je l’emmène jusque dans le bar sans jamais lui demander son avis. Même s’il disait non il finirait par passer la soirée et la nuit avec moi. “Tu vas prendre l’habitude maintenant.” Je hoche la tête et lui lance un clin d’oeil amusé. Je me demande si ce simple clin d’oeil va le perturber aussi. Je ne sais toujours pas jusqu’où je peux aller avec le jeune homme, alors je teste chacune de ses limites et l’aide à sortir de sa zone de confort. “T’aurais pu dire non.” En fait, il ne pouvait pas. S’il l’avait fait je serais allée le chercher moi même dans son appartement.

Et c’est là qu’il est étonné le brun, quand je parle de plusieurs arrêts et de folies. Je sais que juste faire la tournée des bars de Brisbane serait dingue pour lui. Il ne survivrait pas aux fêtes complètement dingues de mon monde et ça me fait sourire. Kieran paraît toujours si innocent. “Je suis sûre que t’as des règles.” Je le fixe, je ne m’arrête jamais de le faire. Je penche légèrement la tête et bois un nouveau shot en en faisant glisser un devant lui. Il va devoir suivre mon rythme, alors j’espère qu’il tient plutôt bien l’alcool le brun. “Je sais pas t’avais prévu de faire autre chose que fêter ton anniversaire pour les deux prochaines jours.” J’ai l’air sérieuse, je le sais. Et ça pourrait devenir quelque chose de sérieux selon sa réponse, je pourrais très bien le kidnapper pour les deux prochains jours, j’aurais de quoi l’occuper je n’en doute pas une seule seconde. “Et tu préférerais être avec eux plutôt qu’avec moi ?” Je m’amuse toujours à le gêner, et j’attends de voir chacune de ses réactions en gardant mon sourire en coin. “Arrête de réfléchir et suis le mouvement, profite de ta soirée.”

Son aventure Race of Australia ne l’a pas épargné, mentalement, mais également physiquement. Il se doutait qu’il devrait repousser les limites de ce qu’il était en mesure de supporter, mais il ne s’attendait pas à revenir à Brisbane à l’issue de la finale avec une dégaine pareille ; et le choc avait été conséquent. S’il pouvait se vanter de n’avoir jamais frappé qui que ce soit, il peut désormais cocher sur sa liste le fait de l’avoir été de son côté. Et bien sûr, ça n’avait pas été agréable et avoir un nez cassé de la sorte était quelque peu humiliant, mais il avait été frappé. Et c’est sûrement particulier, carrément bizarre en réalité, qu’il en ressente une certaine satisfaction. Pas qu’il soit masochiste ou qu’il se soit découvert un intérêt pour la boxe, mais parmi les milliers de choses qu’il n’a jamais fait dans sa vie et dont il a dressé la liste dans sa tête, il peut cocher un des éléments, attestant de l’expérience faite. S’il n’assume pas d’avoir ces envies d’apprendre à vivre pour lui-même - car cela impliquerait d’assumer d’avoir vécu trop longtemps pour les autres - il n’en demeure pas moins qu’il a apprécié ce goût de victoire ressenti à l’idée de se dire ‘je l’ai fait’ et qu’il le ressentira sûrement à nouveau au cours de la soirée si celle-ci est dictée par Ivy.

« Tu trouves ? » Il interroge, un léger sourire sur les lèvres ; parce que l’air bagarreur, c’est supposé fonctionner avec les filles, pas vrai ? Pas qu’il aime être dans cet état, mais ça ne ferait que peser dans la liste des avantages qui n’en sont pas, mais qui lui permettent de relativiser (et d’ailleurs, les bleus vont très bien avec ses yeux, il parait). Rougissant légèrement et baissant la tête un court instant face au clin d’œil d’Ivy qui ne manque pas de le gêner comme toujours, c’est finalement un large sourire qui s’affiche sur ses lèvres. Ne vient-elle pas de confirmer qu’ils sont amenés à se côtoyer régulièrement et que, par conséquent, ils sont amis ? Alors bien sûr qu’il sourit, ayant obtenu là la confirmation de cette approbation qu’il recherche constamment auprès d’autrui. D’autant qu’il doute constamment, Kieran, des autres, mais surtout de lui et qu’il ne pensait pas être en mesure de conserver l’intérêt d’Ivy au-delà du contexte dans lequel ils se sont rencontrés. « Vraiment ? » Il questionne par la suite lorsqu’Ivy précise qu’il aurait pu répondre par la négative ; l’un et l’autre savent très bien que cela n’aurait pas été une possibilité.

Il perd en contenance lorsqu’elle évoque plusieurs arrêts, faisant réaliser à Kieran que le programme est bien plus fou que ce qu’il aurait pu imaginer et qu’il ne s’agira pas seulement d’une soirée dans un bar, mais d’une vraie tournée de ceux-ci, durant laquelle les règles seront transgressées une à une. Est-ce qu’il souhaite réellement partager sa liste avec Ivy, dans un tel cas ? La réponse est évidente et soudain il lui paraît bien plus logique de signaler que ses limites sont malmenées au moment venu et non en anticipation de celui-ci. Elle ne le croit (évidemment) pas même si Kieran secoue vigoureusement la tête de gauche à droite afin d’essayer de la convaincre une nouvelle fois (sans succès, probablement). Un shot glisse jusqu’à lui qu’il boit d’une traite - l’idée n’est pas qu’Ivy se moque de lui pour sa descente de gonzesse comme il entend la critique dans sa tête. « DEUX JOURS ?! » Il manque de s’étouffer avec l’alcool qui lui brûle la gorge, fronçant les sourcils. Ce n’est pas que l’idée lui déplait - il ne l’assumera pas, parce qu’elle l’angoisse autant qu’elle le séduit - mais il peine à s’imaginer comment il est possible de prévoir des activités festives sur un tel laps de temps ; après tout les célébrations liées à son anniversaire n’ont jamais dépassé les quelques heures. « Enfin, je-je m’adapte au programme, hein. » Qu’il souligne finalement, ne voulant pas chambouler le plan qui est prévu, afin de ne pas la vexer car là n’est pas son intention. « Oh non, enfin, si, enfin si je te dis non, ça voudrait dire que je n’ai pas envie de passer la soirée avec eux alors que si, j’adore être avec eux, mais là tout de suite, je suis bien avec toi. » Il conclut, le rose aux joues tandis qu’il baisse un peu la tête et décide d’obéir aux ordres d’Ivy ; l’alcool l’aidera à faire émerger cette inhibition qui l’aidera à profiter au mieux de cette soirée (et probablement de la regretter). « À vos ordres. » Il s’amuse en faisant un salut militaire tandis qu’il boit un nouveau shot, grimaçant légèrement avant de croiser le regard d’Ivy. « Alors, ça ressemble un peu à ça, ta vie ? » Il questionne tant qu’il est encore sobre, reprenant rapidement : « t’avais l’air outrée que je sache pas qui t’étais la première fois qu’on s’est rencontré. » À vrai dire il ne l’avait pas remarqué sur le moment, la révélation lui était apparue bien plus tard. « J’ai googlé ton nom, désolé. » Il justifie et s’en excuse, conscient qu’il passe pour un stalker et que ce n’est pas son intention. Mais les résultats ne l’ont pas marqué plus que cela, si ce n’est qu’ils ont réactivé cette peur qu’Ivy se détourne de lui dès qu’elle n’aura plus d’intérêt pour lui ; car qu’est-ce qui justifie qu’elle ait de la considération pour lui, elle qui est clairement dix-huit catégories au-dessus de lui ? Peut-être qu’il est sa cause sociale pour redorer son blason, comme d’autres l’ont fait avant elle, mais il secoue brièvement la tête à cette idée, comme si cela pouvait lui permettre de la chasser, elle et toutes ces insécurités qui le font constamment douter.

Je regarde son visage en fronçant le nez. Il a des bleus un peu partout et je me demande bien comment c’est possible d’avoir été autant blessé avec le rafting. Je souris “Oui tu vas faire des ravages.” Mais je ne compte pas laisser qui que ce soit se poser avec nous pour cette soirée. Il passe son anniversaire avec moi et personne d’autre. Je sais que je dois rattraper une mauvaise soirée qu’il a passé le vrai jour de son anniversaire, alors je vais me donner à fond, et je suis sûre qu’il n’a aucune idée de ce qui peut l’attendre. Je regarde mon téléphone plusieurs fois, j’espère qu’il va me suivre de son plein gré, sinon je vais être obligée de l’enlever. Il n’aurait pas pu me dire non, sinon, cette fois encore, il aurait fallu que je l’enlève. Je secoue la tête à la négative pour répondre à sa question puis on se met à boire et à enchaîner les shots un à un. Je sens que Kieran ne va pas pouvoir tenir mon rythme mais pour le moment il essaie.

J’ai tout un programme de possible, mais je ne veux pas le forcer à faire quoi que ce soit. Je tâte le terrain, lui annonce que je peux l’emmener pour deux jours mais la soirée peut durer seulement quelques heures. “C’est pas la peine de hurler.” Je me fiche qu’il hurle et son visage choqué me fait beaucoup rire. Il continue d’enchaîner les shots. Même moi j’essaie de boire un peu moins vite. “Rien ne t’y oblige, mais je te poserai la question une seule fois. Tu réponds par oui ou par non, si c’est non on rentre chez toi après ce bar ou après en avoir fait un ou deux à Brisbane. Si c’est oui, t’as pas le droit de m’abandonner au milieu des deux jours.” Je suis formelle, je serais déçue s’il dit non mais je ne veux pas le forcer non plus. Mes yeux cherchent les siens, je veux savoir ce qu’il en pense vraiment. “On passe donc un bon début de soirée.” et ce n’est rien comparé à tout ce qu’on pourrait faire si j’ai carte blanche pour la suite.

Il n’a rien vu de ma vie, de ce que je suis capable de faire et de l’argent que je suis prête à dépenser pour un simple anniversaire. “C’est même pas un dixième de ce que peut être ma vie.” Et j’aime cette partie de ma vie, le luxe et les plaisirs à l’excès. Pouvoir prévoir un anniversaire sur deux jours sans penser à autre chose que ce qu’on peut faire pour s’éclater. “Oh et t’es pas trop traumatisé ?” En fait je n’ai même pas vraiment envie de savoir. “La seule chose qu’il faut savoir c’est qu’il ne faut jamais croire ce qui se dit dans les médias.” Je ne sais pas s’il va m’écouter, mais je l’espère. Je secoue la tête. “Alors ? Qu’est ce que tu décides 2 jours ou une soirée ?”

Il hausse les épaules sans grandes convictions ; même s’il est celui qui a évoqué la possibilité de faire tomber les filles avec une telle dégaine de bad boy, il est aussi conscient qu’il n’en sera rien. Ce n’est pas tant une question de respecter la soirée prévue par Ivy que son incapacité à envisager un tel rapprochement avec quiconque. Il essaie de se remettre de cette rupture difficile et, peut-être qu’un jour, il arrivera à se persuader que les contacts qu’on lui destine ne visent pas à le manipuler. Dans l’immédiat, Kieran tend à se forcer à sortir et à reprendre une activité amoureuse par le biais de Tinder – même s’il finit toujours par reculer et que tous ses efforts (qu’il ne fait pas, en réalité) se soldent par des échecs. Alors il se contente de répondre « cool » à la confirmation d’Ivy, même si les ravages n’auront pas lieu ce soir, malgré tout la fausse assurance dont il fait preuve. Et puis, même s’il venait à être abordé, la présence de la jeune femme lui donne une excuse en or pour ne pas avoir à en chercher par lui-même ; ce soir c’est d’eux dont il s’agit et de cette soirée d’anniversaire promise depuis quelques temps et, a priori, parfaitement organisée. Il serait un ingrat que de laisser Ivy derrière lui pour s’amuser avec la première venue qui lui accorderait un peu d’attention (comme si cela était son genre en temps normal, de toute évidence).

La jeune femme lance les festivités et ce sont bientôt plusieurs shots qui se retrouvent devant eux, que les deux amis s’empressent d’enchaîner. Du côté de Kieran, il est surtout nécessaire de boire pour lui permettre de trouver cette inhibition qui est la seule à lui permettre de mener une vie normale et d’envisager de passer une soirée normale, comme tous les individus devraient le faire le jour de leur anniversaire. Néanmoins, il ne s’attendait pas à ce que la soirée puisse se transformer en week-end. « Désolé. » Qu’il se reprend rapidement, s’excusant d’avoir laissé sa surprise s’exprimer, trouve de la contenance dans un nouveau verre. Il fronce les sourcils face à l’explication d’Ivy, la laissant terminer avant de reprendre la parole. « On rentre chez moi ? Oulà, je précise tout de suite que je peux pas accueillir la suite de la fête chez moi, j’ai même pas de chez moi. » Il s’empresse de préciser, afin qu’Ivy trouve un plan b ; dans tous les cas il n’est pas envisageable qu’à la fermeture des bars, ce soit chez lui qu’ils s’alcoolisent. Aussi gênant que ce soit d’admettre, il a été forcé de retourner chez ses parents et il n’est pas certain qu’ils apprécient qu’il se saoule jusqu’à l’excès pour son anniversaire. La précision faite, le regard d’Ivy cherche le sien tandis qu’il répond par un « oui » convaincu, le sourire aux lèvres. Le début de la soirée se passe bien, c’est un fait, même s’il ne peut s’empêcher de s’inquiéter quant à la suite du programme. Il faut dire qu’il n’a jamais fait de grande fête pour son anniversaire (ni même pour le cap des trente ans) et qu’il se base exclusivement sur ce qu’il a pu voir dans des films – et autant dire que la manière dont les fêtes se déroulent sont un peu trop extrêmes pour lui. Néanmoins, il ne tente plus de faire admettre à Ivy ce qu’elle a prévu, parce qu’une part de lui apprécie le déroulement de cette soirée et, il doit l’admettre, l’impression d’être suffisamment important pour qu’il mérite d’être célébré en grandes pompes.  

« Ah oui, d’accord... » Il réagit, surpris, tandis qu’elle lui précise que ce n’est pas réellement représentatif de sa vie. Il est alors très loin de s’imaginer le quotidien d’Ivy et, dans un sens, il ne préfère pas. « Non, plutôt... » Il manque de préciser le fond de sa pensée, avant de se reprendre rapidement. « Nope, c’est pas ce dont on va parler maintenant, c’est pas le bon moment. » Il se reprend en faisant trinquer un verre contre le sien dans une tentative de porter son attention sur autre chose. Il aurait des choses à en dire, mais les constats qu’il a fait sur ce qu’il a pu découvrir sur Ivy ne sont pas à aborder maintenant. Il pourrait lui dire qu’il a l’impression qu’elle lui ressemble plus que ce qu’elle peut penser, mais il ne lui parait pas pertinent de le justifier par rapport à la solitude qu’elle lui donne l’impression de vivre. « Oh, d’accord, je vois. » Pas vraiment, en réalité, il peine à comprendre l’intérêt qu’ont les gens – les médias, en l’occurrence – à inventer des histoires, mais puisqu’elle précise qu’il ne faut pas les croire, c’est elle qu’il croira. « Deux jours. » Qu’il rétorque aussitôt sa question posée, sans même donner l'illusion d’y réfléchir un instant. Réalisant de son empressement, il se reprend rapidement. « Enfin, si ça te va. Et si tu es toujours d’accord à la fin de la soirée. » Il précise, lui donnant l’occasion de se rétracter si elle vient à regretter sa proposition plus tard. Il a toujours peur de déranger, Kieran, d’être un poids pour les autres et qu’ils s’intéressent à lui uniquement pour faire bonne figure, il ne voudrait pas qu’Ivy ressente cela. Mais, de son côté, sa réponse a été décidée à la minute même où elle a évoqué cette possibilité : jamais personne ne lui a donné l’impression d’être suffisamment important pour mériter de fêter son anniversaire sur deux jours et le geste le touche bien plus qu’il ne le verbalise. C’est d’ailleurs un sourire sincère qui ne quitte pas ses lèvres depuis qu’il a confirmé son intention de la suivre dans ce qu’elle prévoit. « Promis, je t’abandonne pas. » Il précise, alors que son sourire s’élargit. « Mais s’il te plaît, garde moi en vie. » Donc pas de plan foireux qui pourrait lui causer une crise cardiaque, on en revient aux règles évoquées plus tôt. « Deal ? » Qu’il prend les devants, la main tendue, l’alcool qui commence à faire effet et à étoffer sa confiance.

Je me demande s'il peut me suivre, s'il me fait assez confiance pour réellement passer plusieurs jours avec moi sans savoir ce qu'il va bien pouvoir faire. Je tâte le terrain et souris. Au début, il a pu penser que c'était une blague alors que ca n'en était pas une. J'ai déjà des choses en tête mais rien n'est réservé. Je ne fais pas dans les réservations, je fais ce que je veux au moment où j'en ai envie. Et ce week end, je vais donc dépenser sans compter. Ce que je fais depuis toujours, mais que je ne pourrais plus faire si je continue à avoir ce train de vie. On y réfléchira plus tard, ce week-end, je vais faire découvrir à Kieran ce que peut réellement être ma vie. "Chez moi alors ! Je n'ai aucune envie de dormir dans la rue ou de croiser des gens de ta famille pour finir cette soirée." On ne sait pas comment ni où va finir cette soirée. Je préfère encore que mes colocataires se joignent à nous plutôt que quelqu'un que je ne connais pas. Et, s'il n'a pas de chez lui, j'en deduis forcément qu'il vit dans la rue ou chez ses parents. Un nouveau shot avalé et on commence les choses sérieuses, la conversation qui nous dira si cette soirée va vraiment s'étendre sur plusieurs jours.

"On aura cette conversation plus tard." La conversation sur ce qu'il a pu voir de moi dans les magazines depuis les 29 dernières années. Je n'ai honte de rien, mais la plupart des informations sont fausses. Étonnement, j'ai bien envie d'avoir de futures conversations avec le jeune homme, peut-être que dans quelques temps je le considérerai comme un véritable ami. Il va m'écouter et ne pas croire ce que les magazines disent. C'est un message caché, pour le futur. Parce que, bientôt, quand il tapera mon nom sur internet, il verra des dizaines de photos de Jack et moi et toutes les rumeurs qui vont avec.

La décision est prise. Deux jours. Mon sourire carnassier s'agrandit et mon cerveau fonctionne à mille à l'heure. Je ne dis rien, attends qu'il ait fini de parler. Il pose ses conditions, il doit rester en vie. Je hoche la tête, il mourra peut-être de fatigue en revenant à Brisbane. Je lui tends une main et lève mon verre avec l'autre. "Deal." Que la fête commence. Je prends mon dernier shot et lui fais signe de faire la même chose. On se s'attardera pas dans ce bar. Je l'emmène jusqu'à la voiture qu'il a prise pour venir jusqu'ici. J'ouvre le coffre. "Ma valise, ça c'est une valise avec des affaires à ta taille. On repasse pas par chez toi et on a un avion a prendre." J'ouvre la portière et m'engouffre dans la voiture. Il me suit et je lance un clin d'œil au conducteur.

Quelques minutes plus tard on se retrouve devant un jet privé que j'ai emprunté à de vieilles connaissances. Il suffit d'utiliser mon nom de famille pour avoir tout ce qu'on veut dans cette ville et dans bien d'autres. Des personnes qui pensent encore que tout se passe bien avec mon père et qui par conséquent ne me refusent jamais rien. "Grimpe !" Je le pousse vers les escaliers alors que le chauffeur monte nos valises.

Elle parle de la possibilité de finir la soirée chez lui et il ne comprend pas vraiment, Kieran, autant parce que cette perspective est inenvisageable compte tenu de l’endroit où il vit que par le fait que, dans sa petite tête, la soirée s’arrête au moment où les bars sont supposés fermer. Et elle peut se moquer de lui si l’envie lui dit, parce qu’il n’a jamais fait de soirée de ce type, Kieran et que les notions de « before » et d’« after » n’existent que dans les œuvres de fiction selon lui. Pourtant, Ivy lui laisse envisager le contraire et s’il imagine sans difficultés que viendra le moment de la soirée où il refusera de poursuivre les festivités parce qu’il est épuisé, il ne le verbalise pas encore même s’il s’empresse de préciser d’emblée que si le projet doit avoir lieu, ce ne sera pas chez lui. « Ok, ça me va. » Qu’il souligne, sans préciser toutefois qu’il n’a aucune certitude quant au fait qu’ils finiront effectivement la soirée chez elle, parce qu’encore une fois tout ceci est tellement nouveau pour lui qu’il ignore la manière dont il réagira lorsque la soirée sera bien avancée. Si ça se trouve, d’ici une heure il sera tellement bourré qu’il lui souhaitera une bonne nuit et rentrera chez ses parents pour comater jusqu’au lendemain (même si son petit doigt lui dit que ce n’est pas une perspective envisageable pour la blonde).

« C’est pas nécessaire. » Qu’il hausse les épaules alors qu’elle souligne qu’ils reviendront sur ses propos. À vrai dire, ils n’ont pas à le faire et cela lui conviendrait très bien. Il a effectivement pris connaissance d’une partie du passé d’Ivy à travers les infos qu’il a lues sur internet, pour autant il n’est pas en mesure d’émettre le moindre jugement (et il n’en a pas l’envie, surtout). C’est l’avantage avec Kieran, il n’a quasiment pas d’avis sur ce qui l’entoure ; les choses lui passent au-dessus de la tête parce qu’il s’interdit de réfléchir par lui-même. Malgré tout, même s’il était doté d’une capacité de jugement, Ivy en ferait l’abstraction : après tout, il la considère désormais comme une amie et les amis ne se jugent pas, point final. Pour autant, il retient le fait de ne pas croire tout ce qu’il peut lire, il garde cette affirmation dans un coin de sa tête maintenant qu’il est susceptible de s’intéresser à sa vie et aux prochains gros titres qu’elle fera (même s’il n’est pas vraiment client de ce type de presse et que de manière générale les potins ne l’intéressent pas).

Il ne pensait pas que la décision serait à prendre immédiatement, sans même que l’avancée de la soirée l’aide à se décider quant au fait d’étendre son anniversaire sur deux jours au lieu de la seule soirée prévue à l’origine. Pour autant, sa réponse est immédiate, parce qu’il n’a pas réellement besoin de réfléchir, laissant pour une fois parler son envie avant sa raison. Le pacte est scellé alors que leurs mains se serrent et Kieran ne s’attendait pas à ce que le départ soit aussi rapide tandis qu’il obéit et boit son dernier shot rapidement. Commençant à se sentir plus léger, à avoir plus de difficultés à conserver son équilibre parce qu’il a bu trop vite et le ventre vide, Kieran s’extirpe de ce bar à la suite d’Ivy, supposant qu’un autre lieu les attend. La surprise se lit sur son visage alors qu’elle ouvre le coffre de la voiture qui l’a emmené jusqu’ici et qu’il y découvre deux valises. Elle n’a pas menti, il s’apprête à passer le week-end le plus incroyable de sa vie ; reste à déterminer s’il est prêt pour cela. À en croire l’air de poisson mort qu’il affiche sur le visage alors qu’il essaie de comprendre ce qu’il se passe, il lui faut encore du temps pour tout enregistrer. « Quoi, maintenant, là, tout de suite ? » Il demande à la hâte, son regard qui oscille entre le contenu du coffre et les yeux d’Ivy, essayant de lire en eux pour y déceler le moindre indice lui annoncer qu’elle plaisante et qu’ils ne quittent pas la ville comme ça, sur un coup de tête. Il y a donc vraiment des gens qui font ça ? C’est un mélange d’angoisse et d’excitation qu’il ressent, alors qu’il la suit dans la voiture. « Enfin oui, bien sûr, là, maintenant, tout de suite. » Qu’il se reprend afin qu’elle n’ait pas à préciser l’évidence, restant silencieux sur le trajet alors que de multiples scénarios lui viennent en tête quant à ce qu’elle lui réserve. « T’es partie du principe que j’allais pas résister et que j’allais forcément te dire oui ? » Il l’interroge alors que la ville défile par la fenêtre et qu’un sourire vient à naître sur son visage. Il est terrorisé, c’est une certitude, mais il se sent aussi incroyablement bien et libre. Il n’a jamais fait quelque chose comme ça et il pourrait presque y prendre goût.

Ils arrivent sur un tarmac où les attend un jet privé et Kieran n’y croit toujours pas alors que la jeune femme le pousser vers les escaliers. Il manque de perdre l’équilibre alors que ses pieds, eux, refusent de bouger. « Ivy, attends ! » Il se retourne vers elle pour croiser son regard, se mordant la lèvre face à ce qu’il s’apprête à dire. « Tout ça, t’es sûre ? » Il interroge avant de rapidement reprendre. « Je veux dire, un jet privé, ça veut dire quitter la ville et... enfin, ça implique des frais conséquents et je-je... enfin, il faut pas que tu dépenses tout ça pour moi, c’est pas justifié ou mérité et puis, tu sais, moi du moment que je suis avec quelqu’un que j’apprécie, ça me suffit. » Oh, bien sûr qu’il rêve d’entrer dans ce jet (il n’a jamais pris l’avion, encore moins pour un voyage privé). Bien sûr qu’il veut découvrir la suite du programme et bien sûr que cet anniversaire prend la forme du plus beau cadeau qu’on lui ait jamais fait, mais il ne peut s’empêcher d’émettre des doutes, de laisser parler ses insécurités et la certitude qu’il ne mérite pas autant d’attention. « Vraiment, Ivy, c’est trop et je t’en voudrais pas de t’en rendre compte. » Il achève alors que son regard se perd sur le jet devant lui. Bon sang, ça ressemble à un film et c’est terriblement excitant, mais surtout totalement immérité.

On ne finira ni chez lui ni chez moi ce soir. On sera à quelques heures d’avion, quelque part où Kieran n’est jamais allé j’en suis certaine. J’ai eu des idées qui vont lui plaire, je ne serai pas la seule à m’amuser pendant ces quelques jours. Je hausse les épaules, ce n’est pas nécessaire d’avoir la conversation sur les pages de couverture que je fais de temps en temps. Ca me déçoit un peu. J’adore parler de moi, et j’aurais bien discuté avec lui de chacun des scandale que j’ai pu créer. Je suis une professionnelle dans le domaine, c’est bien pour ça que Jack a raison de me faire confiance à ce point là. Je lui en parlerai un jour, qu’il en veuille ou non. Il ne sait pas à quoi s’attendre Kieran s’il décide de me garder comme amie dans sa vie. Mais le terme d’amie ne m’intéresse pas pour ce week-end, ça réduirait en grande partie les possibilités qu’on aurait de s’amuser. Donc ce week-end, Kieran est un homme charmant et moi je suis une séductrice hors pair. Les shots s’enchainent, et, déjà, je le sens un peu moins coincé que d’habitude.

Il a dit oui, alors on ne perd pas de temps. Je bois mon dernier shot et il fait de même. Parfait. “Profite, t’as pas de raison de t’inquiéter.” S’il panique à chaque fois qu’on change d’endroit il va devenir fou avant de revenir à Brisbane. Je m’avance vers la voiture et continue de l’écouter. “Yep.” Il n’a pas d’autre choix que de me suivre à partir de maintenant. Il ne sait pas où il va, ni ce qu’on va faire, alors il va devoir prendre son mal en patience et dire oui à toutes les activités que je propose. La voiture avance pour rejoindre l’avion qui nous attend et je trépigne d’impatience. Ca fait une éternité que je n’ai pas fait ce genre de week-end et j’ai terriblement hâte.

On est devant l’avion, les valises sont sorties et j’aime voir Kieran aussi impressionné. Il se souviendra de cet anniversaire pendant un très long moment. Je ne regarde pas à la dépense, et j’ai essayé de prendre en considération ses préférences à lui. C’est son anniversaire, il faut bien que ça lui plaise un peu. Je le pousse vers l’avion mais il résiste. S’il continue comme ça je vais passer le week end toute seule. “Stop Kieran.” Je le fais taire et passe devant lui. “C’est ça ma vie, et je prends un jet privé comme tu peux prendre un taxi.” Ca ne me paraît pas énorme parce que j’ai été habitué à tout ça, quand, lui, il découvre tout ça. “C’est rien et c’est que le début, j’ai organisé ton anniversaire, alors profite.” Je l’attrape par le bras et on monte ensemble. Il y a du champagne, et même des tonnes de choses à manger. “Sers toi !” Il y a des pizzas qui nous attendent et je meurs de faim. Je m’assois sur un des siège et on nous annonce que le trajet durera un peu plus d’une heure. Direction Fraser Island.

L’heure passe et il a l’air aux anges. Les coupes de champagne s’enchainent et on arrive à bout des 3 pizzas. “ARRIVE !” L’alcool commence à vraiment faire son effet et je suis euphorique. Je me lève et l’entraine avec moi. Une nouvelle voiture nous attend pour nous emmener jusqu’au port. Je me demande quelle tête il va faire quand il va voir le yacht. Moi je me demande simplement pourquoi mon père n’a pas un yacht dans chaque port du monde. Ou au moins dans chaque port des îles paradisiaques. J’ai dû me débrouiller toute seule pour en réserver un mais il me parait petit. Petit pour moi veut dire immense pour Kieran, évidemment. Il fait nuit, et je n’ai pas encore regardé l’heure. “T’es déjà monté dans un yacht ?” Je lui demande alors que la voiture nous dépose. “J’ai le permis bateau.” J’ai eu le permis bateau comme le permis voiture. En donnant une grosse somme à l’examinateur. On monte sur le bateau, et c’est bien ce que je me disais, il est petit. Il y a une terrasse, une cuisine mais seulement une chambre et une salle de bain. Sur le dessus il y a tout un petit observatoire pour les étoiles et pour mieux voir la faune marine si on en a besoin. “Dans quelques heures y’aura le levé du soleil, et apparemment on peut voir des baleines et des dauphins si on est au bon endroit.”

Il n’a pas assez mangé et les regrets d’avoir sauté le repas de midi commencent à apparaître au bout du quatrième shoot (troisième ? Cinquième ? – il les a enchaînés à une telle vitesse qu’il a déjà perdu le compte), au moment où les premiers signes d’inhibition se font sentir. C’est l’état qu’il recherche à chaque fois qu’il s’oublie dans l’alcool (ce qui, en réalité, n’est pas aussi récurent qu’on pourrait le penser) et si Kieran tend à être joyeux après une seule bière, il fait de son mieux pour garder une certaine contenance face à Ivy qui lui prouve qu’elle a une bien meilleure descente que lui. Ce n’est pas qu’il veut lancer la compétition entre eux, c’est surtout qu’il ignore la manière dont elle serait amenée à se comporter avec lui s’ils sont dans un état second. La personnalité excentrique de son amie lui impose de rester sur ses gardes pour ne pas se laisser aller à regretter le réveil demain matin, qui pourrait s’accompagner de flashbacks de ce qu’il a été capable de faire sous son influence (et l’influence d’Ivy, aussi agréable soit-elle quand il est sobre, pourrait s’avérer bien plus dangereuse lorsqu’il ne l’est pas). Néanmoins, c’est bien parce qu’il aime la façon dont il se sent en sa compagnie, plus libre, moins dans la réserve, qu’il suit le rythme qu’elle impose et qu’il ne réfléchit pas à deux fois avant de lui confirmer qu’il la suivra pour une heure ou deux jours – le programme décidé lui conviendra quoi qu’il arrive. Il est évident que dans le cas contraire Kieran n’aurait jamais verbalisé son malaise (même s’il a évoqué les règles à respecter ; si elle avait effectivement décidé de les outrepasser il n’aurait jamais osé la contredire), mais s’il est entièrement consentant, c’est encore mieux. « Je profite, je profite. » Qu’il répète avec un large sourire, même si elle ne pourra jamais enlever l’angoisse qu’il ressent perpétuellement pour tout ce qui l’entoure. Pour autant, jusqu’ici il est vrai que Kieran profite de cette soirée après s’être montré dans la réserve au début de celle-ci. Mais de plus en plus, il comprend que sortir de sa zone de confort, aussi effrayant que cela puisse être, est aussi agréable. Cette boule au ventre ne le lâche pas alors qu’il prend de plus en plus conscience qu’il s’est engagé pour deux jours et qu’il n’y a pas de retour en arrière qui soit possible ; mais c’est aussi la tête étonnement débarrassée de toutes ses pensées parasitaires qui l’habite au quotidien qu’il suit la jeune femme.

Ce serait mal le connaître que de supposer que son approbation relève de la détente ; et arrivé près de l’avion Kieran ne peut s’empêcher de se questionner à nouveau sur le but de tout ceci. Les yeux qui brillent face à cet avion, face à ce qui s’annonce, une part de lui voudrait en profiter sans conditions, une autre se sent obligée d’en préciser certaines. Elle n’a pas à se ruiner pour lui, à sortir le grand jeu ; il n’a quasiment jamais fêté son anniversaire et ça lui a toujours convenu ainsi, ce qui implique forcément que les habitudes n’ont pas besoin d’être changées. Alors il résiste avant de monter dans l’avion, se retournant vers la jeune femme pour émettre des réserves, qu’elle balaye d’un revers de main. « Ça doit coûter cher en pourboire. » Qu’il commente avec un rire gêné, irrémédiablement mal à l’aise face à tout ça ; parce qu’il y a toujours cette petite voix dans sa tête qui lui répète qu’il ne le mérite pas. « J’ai jamais vu d’avion d’aussi près. » Il commente pour justifier ses questionnements. « J’ai jamais pris l’avion, en fait. » Il finit par admettre en baissant le regard un instant, reprenant rapidement : « j’ai jamais quitté Brisbane. » Depuis son arrivée ici à onze ans, mais ce sont des souvenirs qu’il prétend ne plus avoir, des détails qu’elle n’a pas besoin de savoir. « J’ai jamais eu deux jours d’anniversaire. » Et la liste pourrait continuer encore et encore, mais tout ceci pour en arriver à une simple conclusion : « Merci, Ivy. » Il dit avec un large sourire, alors qu’il fuit son regard, remerciements qu’il risque de répéter à de nombreuses reprises tandis qu’il se laisse guider par la jeune femme lorsqu’elle passe son bras autour du sien et qu’il découvre l’intérieur de l’avion.  

L’anxiété liée à cette première fois est vite dissipée lorsque l’avion décolle et qu’il s’émerveille de chaque minute. Une fois dans les cieux, son sourire ne disparaît pas alors qu’il découvre, littéralement, le monde sous un nouveau jour et qu’il se sent terriblement insignifiant – mais pour une fois, il ne le vit pas mal. « Là, regarde ! » Il interpelle Ivy de temps à autre pour commenter ce qu’il voit comme un gamin trop surexcité qui a besoin de partager sa joie, avant de réaliser que tout ceci est habituel pour elle et qu’il formule un « désolé » visant à calmer son euphorie. Le voyage est bien trop court à son goût, même si ce n’est pas un mal que le champagne cesse de défiler entre ses mains. Il suit docilement (à comprendre, en titubant légèrement) la jeune femme jusqu’à une voiture, traînant des pieds alors qu’il regarde partout autour de lui, manquant à plusieurs reprises de rencontrer le sol alors qu’il ne regarde pas où il va – il y a tellement mieux à voir autour de lui. La bouche légèrement entrouverte, les yeux pétillants, il est l’exemple même du gamin qui découvre son cadeau de Noël alors que la voix d’Ivy le ramène à la réalité. « Non, jamais. » Et son regard se pose sur le bateau près duquel ils arrivent et il ne peut s’empêcher de s’exclamer : « mais il est immeeeeense !!! » Et c’est absolument dingue, beaucoup trop dingue pour lui. « C’est quand que tu me dis que tout ça c’est juste une grosse blague ? » Il demande, toujours aux anges, ayant réussi à faire taire – momentanément – cette petite voix qui lui hurlait que rien de tout ceci n’est mérité, pour qu’il puisse en profiter comme il le doit. Il suit Ivy, toujours perdu dans ses pensées, trébuchant légèrement et se rattrapant en passant son bras autour de ses épaules. « Vraiment, c’est une blague ? » Il la questionne alors qu’il fait fi de son bras qui reste autour d’elle et qu’il tourne légèrement la tête pour croiser, abaissant son regard pour croiser le sien. « Y’a intérêt qu’on soit au bon endroit ! » Oh, des exigences, maintenant. Définitivement, l’alcool fait son effet ; mais ça ne rend que tout ce qui l’entoure plus beau. « Ivy t’es folle. » Et même en plaisantant, jamais il n’aurait osé lui dire cela s’il avait toutes ses capacités. « Je sais pas quoi dire. » Et elle repart, cette petite voix, lui disant que ce n’est pas mérité, ce qui tend à faire disparaître son sourire. « Merci. » Et il le répète et le répètera encore et encore, qu’elle s’y prépare.

On se retrouve devant l’avion. Il est bien ce jet, je l’ai déjà pris à plusieurs reprises il y a quelque temps. Je serais rentrée à l’intérieur sans même le regarder s’il n’y avait pas eu Kieran. Il s’émerveille, et c’est dans ces moments là que je me rends un peu compte de la chance que je peux avoir. C’est ma vie, j’ai dû prendre l’avion pour la première fois quelques jours après ma naissance, et je n’ai pas eu l’habitude de côtoyer des gens qui n’avaient pas le droit à tout ça. J’ai fait partie des meilleures écoles, et j’ai toujours fréquenté des gens qui étaient des amis de mon père. Il ne connait pas ça Kieran, il ne connait rien de ce que j’ai pu vivre et je suis sûre que je ne connais pas grand chose de ce que lui a vécu non plus. On a jamais vraiment parlé de nos passés, et je ne suis même pas sûre que ça arrivera un jour.

L’alcool commence à faire son effet. Je ris en même temps que lui alors que j’essaie de l’emmener dans l’avion. “Je te laisserai payer les pourboires si tu veux.” Je n’ai jamais su gérer tout ça. J’en donne trop ou je n’en donne pas. Il s’y connait peut-être mieux le jeune homme. Il joue au jeu du j’ai jamais. Et plus il parle plus je suis étonnée. Comment c’est possible de ne jamais avoir voyagé à plus de trente ans ? Je secoue la tête, ne réponds pas. Je ne suis pas là pour me moquer de son innocence, c’est son anniversaire après tout. L’alcool fait son effet sur Kieran, je le vois. Il est détendu et amusé, j’aime le voir comme ça. Il se lâche et a vraiment l’air d’arrêter de se prendre la tête. J’allais parler mais son merci est sincère, et je bloque quelques secondes en tournant mon regard vers lui. Bien évidemment il m’évite. Ca me touche qu’il soit aussi heureux. “Mais je t’en prie !” Et je l’emmène jusque dans l’avion pour plus d’une heure de voyage.

On arrive, et le bateau nous attend. Bien plus petit que ce que j’avais imaginé et je suis un peu déçue. Mais, bien évidemment le jeune homme s’extasie. “Pas tant que ça.” Je n’ai pas besoin d’alcool pour dire tout ce que je pense mais les shots et les coupes de champagne m’aident un peu. Le comportement de Kieran m’aide aussi, j’ai l’impression qu’il ose alors je le suis. Je ne veux pas l’arrêter en si bon chemin, tout est bien mieux ce soir, et je sens qu’on va réellement passer 2 jours exceptionnels. “La blague ça sera quand je te jetterai du bateau.” Il manque de tomber mais place son bras autour de mes épaules. Je hausse un sourcil, l’alcool le rend tactile aussi ? Décidément, je vais l’obliger à boire une bouteille de vodka complète à chaque fois qu’on va sortir. “Merci !” Je suis folle n’est pas un compliment mais on m’a déjà traité de bien pire. “A chaque fois que tu dis merci tu dois boire un verre cul sec !” Il va vraiment être dans un sale état à la fin des deux jours le brun.

On est enfin sur le bateau et j’attends de voir quelques rayons du soleil. On devrait avoir le temps de se retrouver au beau milieu de l’océan avant que le soleil illumine le ciel. “Tu veux faire quoi ?” Il reste quelques heures de nuit, peut-être une ou deux. Il est alcoolisé et semble être bien plus amusant maintenant. “Tu peux prendre la décision cette fois.” Il n’en aura pas beaucoup l’occasion pendant le week-end. “Non attends, tu DOIS.” Il n’a pas le choix maintenant. Les valises sont déposées sur le lit qu’on va devoir partager si on décide de dormir et mes yeux se tournent vers Kieran alors que j’enlève mes chaussures pour aller m’asseoir sur la terrasse. “Y’a le pilote automatique on va pas très loin.” Donc elle n’a pas vraiment besoin de surveiller où le bateau va après l’avoir démarré.

Il se sent un peu ridicule alors qu’il suit les pas d’Ivy, à s’émerveiller de la sorte, à se faire la réflexion que cet avion est impressionnant et que ce n’est pas une légende, on se sent vraiment tout petit à côté d’un tel engin. Mais le fait est que Kieran n’a jamais eu l’occasion de prendre l’avion – il ne s’est même jamais rendu dans un aéroport. Alors, même s’il a trente ans passé, il retombe en enfance alors qu’il a l’impression de découvrir le monde autour de lui. Comme tous les petits garçons, il a joué avec des voitures, des trains et des avions. Les derniers n’avaient encore jamais été vu par ses yeux autrement que comme des tâches lointaines dans le ciel ; alors oui, il prend le temps d’admirer la carlingue et peu importe s’il a l’air pathétique de découvrir ceci à son âge. À vrai dire, il aurait pu prendre l’avion une bonne centaine de fois que sa réaction aurait sûrement été la même. C’est l’avantage avec le brun, qui tend à être ébloui par tout ce qui l’entoure. Et oui, il est capable d’être ému en mangeant le meilleur chou-fleur du pays, c’est dire à quel point les petites choses font tout son quotidien, tant celui-ci est banale et sans saveurs.

Mais Ivy est intervenue pour modifier le cours de celui-ci pendant quelques heures, quelques jours et la blonde ne se rend probablement pas compte d’à quel point son idée est bénéfique au brun. Alors bien sûr il ne peut s’empêcher de considérer qu’il n’a rien fait pour avoir le droit à autant d’attention et qu’elle n’est pas méritée ; mais justement, c’est aussi parce qu’il est le centre de l’attention que ça lui réchauffe le cœur. Il ne le dira pas, conscient que cela pourrait sembler autant prétentieux que pathétique, mais il touche à l’un de ses buts, Kieran, alors qu’Ivy met tout en œuvre pour le satisfaire lors de cette journée loin d’être ordinaire. Il a toujours été insignifiant aux yeux des autres, il a fini par se convaincre qu’il ne méritait pas grand-chose de plus que du dédain et même si cela ne va durer que le temps d’un week-end, Ivy vient de chambouler toutes ces certitudes. Il a son intérêt, il a son attention et il ne pourrait pas être plus heureux qu’à cet instant, alors qu’il a l’impression qu’il compte pour quelqu’un, même si ce n’est que pour quelques heures. « Oh, je-vraiment ? » Il demande, pris au piège de sa propre plaisanterie alors que l’inquiétude se lit sur son visage. « Mon dieu, Ivy, j’ai-j’ai quasiment pas d’argent sur moi, j’ai pas du tout fait gaffe à ça je... » Et il se maudit alors qu’il lui apparait évident que, même perdu sur une île, l’idéal serait qu’il lui paie une tournée pour la remercier de tout ce qu’elle fait pour lui. « Je peux pas vraiment donner un pourboire en fait. » Et meeerde. Les festivités se déroulaient si bien. Ceci dit, il a cru comprendre entre les lignes que la fête n’était pas à ses frais (heureusement, sans quoi il devrait s’endetter sur dix ans) et même s’il reste terriblement gêné par ça et qu’il se sent redevable, il ne peut pas faire grand-chose si ce n’est prendre le temps de remercier Ivy, du plus profond de son cœur, avec le plus sincère des sourires, pour tout ça.

« Donc y’a plus gros. Bien sûr qu’il y a plus gros. » Qu’il se répond à lui-même ; bien sûr qu’il existe des modèles aux dimensions encore plus impressionnantes, alors qu’il a déjà l’impression de faire face à l’équivalent du Titanic face à lui. « IVYYYY ! » Il s’offusque alors qu’elle menace de le faire tomber du bateau. Mais chassez le naturel, il revient au galop. « T’oserais pas quand même ? » Il demande, inquiet, alors qu’il secoue la tête en réalisant qu’elle pourrait oser, mais qu’il s’agit surtout d’une plaisanterie. « Si je tombe, tu tombes avec moi. » Il annonce avec une voix solennelle avant de rire, son bras autour d’elle pour garder son équilibre. « D’accord, d’accord, pardon. » Qu’il s’excuse alors qu’elle semble râler de ses mercis oppressants et elle aurait pu le soumettre au même défi avec les excuses, en réalité. « À chaque fois que tu me donnes un ordre, tu dois boire un verre cul sec ! » Il rétorque, amusé, haussant les épaules alors que son sourire disparait au constat de leur proximité et qu’il retire son bras sans grande délicatesse et sans excuses, cette fois.

« Je sais pas, tu veux-. » Faire quoi, mais sa demande est bien vite interrompue par la jeune femme qui anticipe sa réaction alors que le choix est devenu une obligation et que dans ce cas de figure, il ne peut pas lui retourner la proposition. « T’es sûre que c’est fiable ? » Et ses priorités sont chamboulées, son inquiétude reprend le dessus lorsqu’elle évoque le pilote automatique. « Qu’on va pas faire un accident ? » Il ne sait pas vraiment comment ce serait possible puisqu’ils semblent être les seuls sur l’eau, mais c’est une possibilité (après tout le Titanic a bien coulé sans l’aide d’un autre bateau). « Que c’est sécurisé ? » Il poursuit, tandis qu’il se déplace jusqu’à attraper une bouteille pour remplir leurs verres, buvant le shot imposé quelques instants plus tôt suite à son remerciement. « Euh, alors... » Il commence à réfléchir à voix haute, passant en revue ce qu’ils pourraient faire sur ce bateau. Sauf que Kieran n’est pas des plus créatifs dans ce genre de situations et qu’il sèche rapidement. « Euh, je... » Il continue de réfléchir, le silence s’installe, son malaise s’agrandit. « Je sais pas. » Qu’il finit par admettre ; mais c’est une évidence, Kieran n’aime pas prendre de décision et quand bien même il aurait une idée en tête qu’il ne la proposerait pas pour ne pas prendre le risque qu’elle ne plaise pas à Ivy. Les autres décident, toujours. « Qu’est-ce qu’on fait d’habitude sur un bateau ? » Il interroge, innocent, parce que la vérité est qu’il n’en sait rien ; il n’a jamais été dans cette situation. « Dans les films, ils boivent, mais on le fait déjà. » Qu’il dit en secouant la bouteille. « Ils discutent, mais on le fait aussi. » Il énumère avant que son regard ne se pose sur l’eau. « Ils se jettent à l’eau, mais ce serait dangereux. » Parce qu’il fait nuit, parce qu’ils ne peuvent pas prévoir le courant, parce qu’ils ignorent ce qui se balade sous l’eau (et il ne veut pas vraiment le savoir, à vrai dire). « Je- je sais pas. J’ai jamais rien fait comme ça. » Il finit par avouer, un peu paniqué. « Toi, qu’est-ce que tu veux faire ? » Réponds, Ivy, que tes envies soient les miennes.

L’avion, le bateau… Il a découvert beaucoup de choses en peu de temps Kieran et je suis heureuse que son anniversaire lui plaise. Ca me donne envie de prolonger ce week-end. De ne jamais rendre ni ce bateau ni le jet privé. Mais pour le moment on pense à autre chose, il tient bien moins l’alcool que moi et il titube déjà. Il se retrouve avec son bras autour de mes épaules. Je le laisse faire, je profite de cette proximité qu’il vient chercher de lui-même. C’est un bon signe pour la suite des évènement. Je me note de continuer de le faire boire, ça le décoince, et ça tombe bien, c’est exactement ce que je voulais pour son anniversaire. “Arrête Kiki !” Je ne sais plus où elle a entendu ça, mais je me souviens qu’il n’aime pas ce surnom. “Ne pense pas à ça, je gère tout !” Ca me mettrait mal à l’aise qu’il se mette à payer quoi que ce soit. C’est son anniversaire à lui, alors pourquoi il devrait débourser un seul centime ? Je secoue la tête et monte enfin dans le bateau. J’ai hâte que tout ça commence, qu’on s’amuse vraiment et qu’il profite de son anniversaire en oubliant tout ce qui peut bien le tracasser. “Tu donnes rien du tout.” Et ça c’est encore une condition non négociable.

On fait plusieurs pas et il manque de tomber plusieurs fois. Ca m’amuse et je ris, il tangue et je le rattrape comme je peux. Est ce que j’oserais vraiment le faire tomber du bateau ? Je tourne un regard vers lui qui veut dire que ce n’est pas le genre de défi qu’il faut me donner. “Faudrait que tu restes accroché à moi pendant toute la nuit pour être sûr de ça.” Mon ton est séducteur, ça ne serait pas pour me déplaire. “Oh…” Là il m’a eu, je ne m’attendais pas à une réponse de sa part mais ça me va. Je sens qu’on va vraiment beaucoup boire pendant cet anniversaire. “Deal.” Un clin d’oeil et je suis prête à commencer la partie. On risque d’enchaîner un paquet de jeu pendant ces deux jours, et Dieu seul sait jusqu’où ça peut nous mener. J’ai hâte, et je n’ai pas envie que ça passe trop vite. Je sais qu’il ne faut pas brusquer Kieran, il est fragile le jeune homme et ça risquerait de le faire fuir. Ce n’est pas mon but, bien au contraire.

Je lui laisse l’occasion de choisir une activité, mais il ne sait pas le brun, et je ne vois même pas pourquoi ça continue de m’étonner. “Laisse faire.” Je n’ai jamais eu de problèmes avec les bateaux, et je sais que ça ne sera pas aujourd’hui que je vais commencer à m’en faire pour la direction qu’il va prendre. “Faut vraiment que je refasse ton éducation au complet.” Je soupire, il n’a même pas l’idée d’un jeu et je trouve ça triste. Comme s’il n’avait jamais eu l’occasion de réellement s’amuser. “On se jettera à l’eau quand le soleil sera levé.” Là encore il n’a pas le choix. Mais il devrait commencer à être habitué. “J’ai un nouveau jeu pour toi…” Je m’assois et lui fais signe de s’asseoir en face de moi.

“Tu connais le je n’ai jamais ?” Et là, je sais qu’il va boire bien plus que moi. On va attendre les baleines en buvant comme des trous, mais je veux qu’il se souvienne de ce moment. “Tu dis un je n’ai jamais. Si les gens l’ont jamais fait, ils boivent, s’ils l’ont déjà fait ils ne boivent pas.” Je hausse les épaules, c’est le seul jeu qu’on pourra faire pendant l’heure qui suit. “Partant ?”

L’alcool est peut-être l’une des seules choses qu’il peut se targuer d’avoir essayé au cours de sa vie, pour autant il aurait probablement dû s’en passer en vue de l’effet que cela lui procure. Bien sûr qu’il recherche cette inhibition qu’il est incapable d’avoir au quotidien, mais il ne sait pas doser Kieran et d’un portail qui s’entrouvre, c’est finalement toutes ses barrières qui disparaissent. Une part de lui sait qu’il devrait s’abstenir de boire, que tôt ou tard les instants de sérénité qu’il ressent sous effet laissent place à un malaise en prenant conscience de la personne qu’il est lorsqu’il est alcoolisé et des choses qu’il peut faire. Ce n’est pas grand-chose, ce sont des défis qu’il accepte de relever, c’est une franchise dont il fait preuve, c’est une confiance retrouvée, mais ça ne lui ressemble pas et ça le terrorise lorsqu’il en fait le constat – souvent bien trop tard pour corriger son comportement. Ça le terrorise et pourtant il continue de rechercher cet état d’esprit qui lui est inaccessible en temps normal. En temps normal, d’ailleurs, il se serait contenté de baisser la tête à l’entente du surnom dont Ivy vient de faire l’usage, mais il n’est plus tout à fait dans son état normal. « NON, IVY. » Il ordonne (c’est-à-dire qu’il a autant de crédibilité qu’un élève de CE2) alors qu’il croise son regard. « Tu vas pas t’y mettre non plus. » Il râle, mais toujours gentiment. Ce n’est pas parce qu’il se permet plus de liberté dans le fait d’assumer ses opinions (et quelles opinions, certes, mais commençons doucement), qu’il n’y met pas la forme et il demeure toujours dans la crainte d’être perçu comme désagréable. « D’accord. » Qu’il finit par concéder en baissant la tête ; comme un enfant qui se serait fait rappeler à l’ordre. Il ne la relève que lorsqu’Ivy précise une nouvelle fois qu’il n’aura pas à participer financièrement à cet anniversaire et c’est un nouveau sourire reconnaissant qui s’affiche sur ses lèvres ; non pas qu’il est heureux de faire des économies, mais parce qu’il se sent à nouveau terriblement chanceux.

Il commence à tanguer, se rattrape à Ivy dans un premier temps avant que la réalité de la situation ne le frappe et qu’il ne lui rende sa liberté, reprenant au passage son bras. « Ah ? » Il interroge, une grimace qui traduit de son incompréhension face à ce qui est proposé, avant qu’il ne reprenne la parole pour préciser le fond de sa pensée : « Pourquoi je resterais accroché à toi toute la nuit ? Ce serait pas vraiment pratique pour boire, puis même ... imagine, si tu veux aller aux toilettes. Donc non, vaut mieux pas qu’on reste accroché toute la nuit. » Ils sont amis, mais il y a des choses que les amis ne partagent pas. Un sourire s’affiche sur ses lèvres tandis qu’elle accepte son deal et qu’il repère du regard une bouteille qui lancera les hostilités sur ce bateau. Une qu’il aurait dû boire dès son arrivée, puisque lorsqu’il s’agit de décider de l’activité qui sera la leur en attendant que le soleil se lève, il n’a absolument aucune idée de ce qu’il pourrait proposer. Il n’est pas doué pour ce genre de choses, Kieran et il est terriblement perdu face à un tel choix. « Euuuh... non ? » Qu’il tente de s’opposer lorsqu’elle évoque la perspective de refaire son éducation. Il n’est pas certain que les résultats soient à son goût, alors autant s’abstenir. « Tu dois boire. » Il murmure en jetant un coup d’œil à la bouteille et aux deux verres, puisqu’il s’agit bien d’un ordre (même s’il est d’accord de le suivre et de se jeter à l’eau à l’aube).

Suivant les instructions d’Ivy (mais évitant de souligner qu’elle doit boire à nouveau), il s’assoit en tailleur face à elle, écoutant attentivement sa proposition. « Euh oui, je crois, mais j’y ai jamais joué. » Qu’il reconnait lorsqu’elle lui parle de ce jeu. L’occasion ne s’est jamais présentée ; son adolescence ne lui a pas permis de prendre le temps de découvrir ce genre d’activités. « S’ils l’ont jamais fait, ils boivent, s’ils l’ont déjà fait, ils ne boivent pas. » Il se répète pour lui-même pour saisir la règle, tandis qu’il secoue frénétiquement la tête. « Partant. » Il réfléchit un instant, supposant que c’est à lui de débuter le jeu, n’étant pas sûr d’avoir tout compris. « Je... je n’avais jamais pris l’avion avant ce soir ? » Il débute, hésitant, dans une envie d’être sûr d’avoir bien compris, alors qu’il lève son verre, désormais rempli, à mi-hauteur. « Je... désolé, mais... est-ce que si je pose la question, je participe aussi ? » Il l’interroge, son regard qui oscille entre Ivy et le verre dans sa main. « Par exemple, là est-ce j’ai le droit de boire vu que je l’avais jamais fait ? » Une chose est sûre, lorsque son esprit sera moins clair, il n’est pas certain de se souvenir des règles en vue de la difficulté qu’il a déjà à cet instant.