Cela faisait maintenant presque un an que Brisbane avait accueilli Dalina en son sein. Cette épreuve, qui lui faisait si peur à vivre, s'était finalement très bien déroulée. La jeune femme avait pu compter sur le soutien indéfectible de Santiago, son grand frère, son protecteur, son ange gardien. Mais parfois, la nature décide de filer un petit coup de pouce à des personnes qui en ont cruellement besoin. Ce coup de pouce venu du ciel a un nom. Jordan. Dalina et lui se connaissaient de l'époque de Melbourne. En effet, les deux jeunes adultes faisaient parti du même cercle d'amis, sans pour autant prendre la peine de créer une véritable relation entre eux. Des discussions, il y en a eu oui. Des tas et des tas. Mais entre l'alcool, la musique forte, les interférences, jamais ils n'avaient pu prendre le temps d'échanger sur leurs centres d'intérêts, sur leurs passions, sur ce qui les font vibrer. Finalement, Jordan était un peu comme une vieille connaissance pour Dalina. Ce type que l'on revoit sur des photos du passé en mettant quelques secondes à retrouver son prénom. C'est exactement de cette façon là que la jeune femme voyait le jeune homme. Et pourtant, alors qu'au sein de ce cercle d'amis, Dalina émet le désir de quitter Melboune pour Brisbane, les quelques survivants du groupe lui rappelèrent à l'unisson que Jordan était déjà parti vivre sur ces terres, et ce depuis un petit moment. C'est ainsi qu'elle accepta volontiers son aide afin de s'installer dans sa nouvelle ville. Pendant des mois, Jor n'avait de cesse de montrer les moindres recoins de la ville à Dali. Quelques invitations à des soirées, un cinéma par ci, une balade par là... Sans que rien ne se passe de plus. Et c'était justement ce qui faisait la force de cette amitié naissante. Tout était clair, limpide. Jor était juste un ami, aidant une amie à se sentir bien dans sa nouvelle ville. Il faut rajouter à cela quelques sms de temps en temps, quelques appels, et nous avions là ce lien en train de se créer, jour après jour, semaines après semaines, à tel point que Dalina était très heureuse de l'avoir dans sa vie, allant même jusqu'à ressentir un peu d'amerthume de ne pas avoir su il y a quelques années l'homme si incroyable qu'il est.
Ce jour là, Santiago avait accepté de garder Ana afin que Dalina puisse rejoindre Jordan et quelques amis dans un bar. La jeune artiste avait hâte, et pour cause ! Elle savait très bien quel allait être le clou du spectacle. Une fois la soirée terminée, elle allait pouvoir enfin visiter la maison dans laquelle Jordan s'est installé il y a quelques semaines. Cette maison, c'est un peu son bébé, son trésor, sa chose précieuse à laquelle il tenait énormément. Alors qu'il accepte de la faire visiter à Dalina était une réelle preuve de confiance. La demoiselle s'était donc bien apprêtée pour la soirée, portant une jolie robe colorée, perchée sur des talons aiguilles blanc, et gardant sur ses épaules une petite veste noire en laine, histoire de supporter la douceur de la température extérieure. Après s'être rendue en taxi au point de rendez-vous, elle entra dans le bar. Un endroit qu'elle commençait à connaitre, étant donné que les deux dernières soirées auxquelles Jordan l'avait conviée se sont déroulées ici même. Visiblement, il ne manquait plus qu'elle, elle aperçut le groupe d'amis un peu plus loin, à "leur" table, celle qui est très proche de leur billard porte-bonheur. Avec hâte, elle alla les rejoindre, salua tout le monde, puis vint le tour de Jordan. Dalina ne put s'empêcher de lui faire une acolade, visiblement très contente d'avoir pu venir ce soir.
- Jordan, je suis contente de te voir ! Et encore merci pour l'invitation.
Après avoir desserré son étreinte, la jeune femme prit une chaise à la table de juste derrière afin de s'installer à côté de son ami.
Les 12 mois qui viennent de s’écouler sont beaucoup trop beau. Tu n’as vraiment pas l’habitude que tout aille si bien. Evidemment, c’est en mettant de côté l’information que la femme de ta vie est dans le coma depuis près de 7 ans. C’est triste à dire mais t’es habitué maintenant. Ta vie est ficelé autour des visites que tu vas lui rendre à l’hôpital. Vous avez un rendez vous mensuel avec toute la famille mais tu y vas aussi régulièrement seul. Y’a plein de chose que tu préfères lui dire dans la confidence. Parce que oui, t’es sûr qu’elle t’entend. Elle n’est pas en état de mort cérébral. Y’a de l’activité enregistré et tu aimes t’imaginer les rêves qu’elle fait. Parfois c’est agité, t’en déduis qu’il s’agit d’un cauchemar. Au fond tu sais que tout doit être un cauchemar pour elle parce que ça l’est aussi pour toi. Mais tu arrives à trouver des bons moments, à vivre mieux. Comme cette chance qui t’es tombé dessus au poker y’a 12 mois de ça.
Depuis quelques temps t’as aussi une nouvelle distraction, c’est Dalina qui est arrivé en ville. T’es un peu con et tu essaies toujours de voir des signes partout, alors t’as forcément associé ce nouveau chapitre de ta vie (le chapitre j’ai plein de tunes) avec Dali. Tu l’as vu un peu comme une bonne étoile qui est venu jusqu’à toi et tu prends plaisir à passer du temps avec elle. Quand elle a débarqué elle a eu droit à un tour en bon et due forme de la ville. Vous l’avez fait sur plusieurs semaines même.
Dalina n’est pas encore arrivé mais vous êtes un petit groupe déjà à profiter de l’happy hour. T’as pas moins de quatre bières devant toi et autant devant les autres. Vous avez vraiment l’air d’être des radins d’avoir fait autant de réserve avant qu’il soit trop tard. - Jordan, je suis contente de te voir ! Et encore merci pour l’invitation. Ta tête se relève et un large sourire éclaire ton visage. « Hey…! » Tu lui rends son accolade et puis tu lui présentes un de tes potes qu’elle n’a jamais rencontré avant. « Dalina je te présente Trent, Trent c’est Dalina. » T’es assis entre les deux personnes que tu viens d’introduire. Tu bois une gorgée de ta bière avant de lancer la conversation. « Il doit rester 10 minutes si tu veux avoir un verre acheté un verre offert. » Y’a pas mal de monde qui est en train de faire la queue du coup.
« Je pense que c’est jouable. Sinon je te filerai une des miennes. » « Quel preux chevalier. » « Ta gueule. »
Trent qui te taquine. T’es très amusé. Tu savais bien qu’il allait être comme ça ce soir. Ca te dérange pas. Ca fait longtemps que tu l’as pas vu, il est très souvent en déplacement dans son boulot. « Tiens… » Tu donnes une de tes bières à Dalina. « Et ne croit aucun mots qui sortira de sa bouche. » Tu parles de Trent bien évidemment. T’as l’impression qu’il va la jouer gars qui taquine toute la soirée. Il ne changera jamais, mais tu le kiffes comme ça.
Parfait, j'arrive juste avant la fin de l'happy hour. De quoi avoir rapidement deux consommations pour le prix d'une. Ces bars quand même, ils en ont des idées pour nous pousser à la consommation. D'un acte chevaleresque, Jordan se décide à me donner l'une de ses bières. Une Foster, bien évidemment. Les établissements doivent en vendre des hectolitres par mois tellement cette bière est consommée. Numéro un à Brisbane en tout cas. A titre personnel, je préfère la Billabong, surtout la blanche. Un véritable délice tant elle est fruitée et légère. Les Southern Bay ne sont pas désagréables non plus, mais on n'en trouve pas dans tout les bars. Une fois, dans un lieu spécialisé dans les bières, j'ai gouté une bière européenne qui s'appelle la Leffe. Et bien cette expérience gustative a été une franche réussite. Le gout était vraiment excellent. Je remercie mon ami pour cette délicate attention, et mes yeux se posent désormais vers la carte des boissons. Les cocktails ont l'air plutôt bons, mais ai-je vraiment envie de devenir un cliché en demandant un Mojito ou un Sex on the Beach ? Non, pas ce soir. Je regarde donc la carte des vins, et là mon coeur balance. Le bar a une petite gamme de vins français et italiens, et il est vrai que déguster un petit Chardonnay de derrière les fagots me donne bien envie. Ou pourquoi pas un Chianti ? Mais possiblement un peu fort. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire lorsque je vois la rubrique "digestifs". Qui a envie de s'enfiler un shot de Get 27 hein ? Ou de la liqueur de poire ? Pas grand monde, mais ces produits doivent certainement trouver acquéreurs, sinon ils ne seraient pas sur la carte. Pourquoi pas un apéritif classique ? Après tout, que ce soit du Gin, de la Vodka ou du Rhum, dans tout les cas je demanderai à le couper avec du jus de pomme. Vieux réflexe des soirées étudiantes que j'ai pu faire lorsque j'étais plus jeune. Un Whisky dont je ne connais pas le nom attire mon attention. Il aurait des notes boisées et serait intense en bouche. Ouais, on va partir là dessus alors qu'un tapotement sur l'épaule me fait prendre conscience qu'il ne reste plus que quelques minutes pour commander. Allons y pour le whisky. Et pour le faire passer plus vite, un panaché. Oui, certains diront que ce n'est pas de l'alcool, mais si il y a 1% d'alcool, alors cette boisson est alcoolisée. C'est factuel.
- Merci Jordan, c'est adorable. Mais je vais quand même aller quémander mes deux verres comme une pauvre petite alcoolique. Tu surveilles ma place hein ?
Je souris, puis c'est à mon tour d'intégrer la queue afin que l'on me serve. Lorsque vient mon tour, je commande les deux boissons sélectionnées un peu plus tôt, mais je ris jaune lorsque le serveur m'indique que l'Happy Hour est terminé et qu'il faut régler les deux verres. Un peu agacée, je refuse, et ne paye que le panaché avant de retourner m'asseoir à côté de Jordan. Les discussions pleuvent dans tout les sens, et je ne sais pas trop où donner de la tête. Et même si je vois ces gens pour la septième ou la huitième fois, je ne me sens pas assez en confiance pour mener les conversations. Alors j'écoute. J'écoute beaucoup. Surtout Jordan. Il me fait rire avec son humour si particulier. J'en profite pour siroter tranquillement ma bière, alors que le panaché me regarde, visiblement déçu que je ne l'ai pas choisi en premier. Ce n'est que partie remise, je garde le meilleur pour la fin. Un des types de la soirée vient se poser à côté de moi. Je lui souris, sauf que je m'aperçois très vite qu'il a déjà un petit coup dans le nez. Et avoir un mec relou juste à côté de moi pour plusieurs heures et qui va me raconter plein de trucs dont je me fiche risque de nuire au côté festif de la soirée. Je lui réponds poliment, jusqu'au moment où je sature. Alors il ne me reste plus qu'une solution, essayer de faire la conversation à d'autres personnes. Et ça tombe bien, Jordan est juste à côté.
- Et cette maison alors ? C'est comment d'être propriétaire ? Tu aimes ça ?
- Merci Jordan, c'est adorable. Mais je vais quand même aller quémander mes deux verres comme une pauvre petite alcoolique. Tu surveilles ma place hein ? Tu confirmes que tu vas lui garder sa place quand elle file de son côté pour profiter de l’offre qui expire bientôt. Tu es quand même bien content qu’elle prenne cette option là parce que les verres que tu as pris en avance, tu comptais bien les boire dans leur intégralité. Ton grand coeur te perdra Jordan. Il me fera juste me rendre moins ivre. Pas plus mal. Ouais. Et puis t’as Trent à côté qui continue de te dire de ses nouvelles. Vous vous êtes pas vu depuis longtemps et t’as bien remarqué que Dalina avait pas grand chose à faire de lui. Ca lui fera les pieds. A Trent bien sûr.
Et puis elle revient et les conversations vont bon train. Par contre tu remarques qu’elle te prend quand même ta bière alors qu’elle est allé se prendre de quoi au bar. Adieu ma bière. T’en as trois autres sous les yeux Jordan, ça va bien se passer, respire. Mais oui tu t’en fais pas. T’es juste mitigé parce que t’avais pas compris ça quand elle t’a dit qu’elle allait au bar. T’aurais passé commande si t’avais su. Faudra que tu lèves tes fesses pour la prochaine tournée. On ira sûrement ailleurs. - Et cette maison alors ? C'est comment d'être propriétaire ? Tu aimes ça ? T’aimes ça. La façon dont elle dit ça te fait sourire.
« Je suis pas encore habitué nan. Mais je regrette rien. C’est trop le pied. » Y’a pas beaucoup de gens dans ton entourage qui a carrément acheté un bien à ton âge. Y’a pas mal de trucs dans ta vie pour lesquels t’es fier de toi. Heureusement y’a Maria pour te dire bravo parce que tu peux toujours crever si t’attends quoi que ce soit de ton père.
« Je te ferai visiter quand tu veux. Même après si t’as pas peur de faire un détour. Tu bosses demain ? » Tu baisses vite fait les yeux sur ce qu’elle a commandé comme boisson. « Vu ce que t’as pris je pense que oui. » Vu que ton boulot n’a rien de conventionnel, tu oublies facilement quel jour de la semaine c’est. Tu ne connais pas bien non plus les différents emplois du temps de tes potes. D’où la question assez fréquente du ‘tu bosses demain?’. Son panaché laisse penser qu’elle n’a pas envie de faire d’écarts. Tu la taquines doucement là dessus.
Cette fois c'est officiel, j'ai la confirmation de ma superbe théorie sur comment va se dérouler la fin de soirée. Faut dire qu'avec Jordan, tout apparait comme une évidence depuis que je suis arrivée à Brisbane. Des rapports froids de Melbourne aux rapports chaleureux d'aujourd'hui, il y a un monde d'écart. Et, sans trop m'avancer, je pense que notre amitié me fait autant de bien à moi qu'elle en fait à lui. Comme dans toute relation, chacun y trouve son compte. Grâce à lui, j'ai pu m'imprégner de la ville en un temps record. Grâce à moi, il a pu se trouver une amie fidèle qui l'apprécie énormément pour qui il est. Plusieurs fois je me faisais la réflexion qu'il était différent dans des moments conviviaux comme celui ci, et puis d'autres moments plus intimistes, lorsque l'on se retrouve uniquement à deux. Je sais pas, je le sens plus patient, plus attentionné, plus à l'écoute. Et surtout, complètement désintéressé de moi. Ce qui, je l'espérai, allait durer encore quelques temps, voire pour toujours. Je le vois plus comme une sorte de frère jumeau sorti d'un autre utérus plutôt que comme un mec avec qui je pourrais avoir une liaison. Cela gâcherait notre belle amitié. Et d'ailleurs, il n'hésite pas à me taquiner sur les boissons que je me suis ramené du bar. J'ai bien fait de lui piquer sa bière tiens.
- Et non, je ne travaille pas demain matin, je vais juste ouvrir la galerie l'après-midi. J'ai un peu d'avance sur mes créations, donc ce n'est pas trop grave si je me couche un peu plus tard.
La soirée suit son cours tranquillement, ce qui me permet d'écouter les banalités des gens. Les conversations prennent toujours un tourant bizarre à cause de l'alcool. On peut se mettre à disserter sur des sujets tellements insignifiants, mais on défend notre argumentation comme si notre vie en dépendait. Heureusement pour moi, ou malheureusement, selon le point de vue, mes verres consommés jusqu'à présent n'avaient pas encore atteints suffisament mon cerveau pour que je m'invite dans le débat de savoir si la tomate est un légume ou un fruit. Oui oui, nous en sommes là. Mais bon, j'aime vivre ces instants ou plus rien n'a d'importance si ce n'est l'objet de nos conversations. On oublie tout le reste, et parfois, cela me faisait le plus grand bien d'oublier tout le reste. Cette blessure est toujours là, probablement ancrée à jamais en moi. Avoir un petit instant de répit, c'est un moindre mal pour tenir le coup. Il ne me reste que mon verre de whisky à boire, alors que je me tourne à nouveau vers Jordan.
- Je finis mon verre et tu me fais visiter ? Il sera un peu trop tard après, je ne vais pas abuser de la gentillesse de ma babysitter, qui est aussi mon frère à ses heures perdues.
- Et non, je ne travaille pas demain matin, je vais juste ouvrir la galerie l'après-midi. J'ai un peu d'avance sur mes créations, donc ce n'est pas trop grave si je me couche un peu plus tard. T’es quasi sûr qu’elle va accepter de venir boire un dernier verre chez toi après. Tu lui as tellement parlé de ta maison, faut bien qu’elle la voit à un moment donné. Tu sais pas pourquoi t’as pas voulu qu’elle vienne avant. C’était montrable. C’était pas fini. C’était pas parfait. C’était pas comme tu l’avais imaginé au final. Maintenant c’est bon. Ca fait pas longtemps que t’as mis les touches finales. Y’a d’autres personnes qui sont déjà venu plein de fois chez toi, mais va savoir pourquoi t’étais pas sous ce même aise avec Dalina. T’as bien oublié tout ça ce soir, tu passes un bon moment avec Dalina et tes autres potes. Ca rit beaucoup, ça débat sur des sujets dérisoires. Ca se taquine.
- Je finis mon verre et tu me fais visiter ? Il sera un peu trop tard après, je ne vais pas abuser de la gentillesse de ma babysitter, qui est aussi mon frère à ses heures perdues. La soirée est passée en un clin d’oeil. T’as été pisser deux fois donc oui, t’as bu, t’as évacué et maintenant vous allez filer chez toi. Ton sourire s’efface doucement de tes lèvres suite à la réalisation de ce qu’il va se passer dans les prochaines minutes… T’es en train de réfléchir si t’as bien tout rangé avant de partir. T’avais mis des affaires de côtés, peut être qu’il y a des trucs qui traînent mais la réponse est non. T’es juste en train de stresser d’un coup pour rien. Tu veux que ce soit trop parfait, alors qu’elle doit certainement s’en ficher. Tu lui réponds par un hochement de tête mais tu restes silencieux. T’es nerveux, t’es trop bête mais plus t’y penses plus tu te montes la tête. Il te faudrait un bon joint pour te remettre les idées en place. Tu sais aussi que si tu en demandes un à un de tes potes, ils te le roulent dans la seconde. Toujours bien équipé.
Quand elle finit son verre tu dis au revoir aux potes qui sont encore là et tu prends le chemin avec Dalina. « T’es venu en voiture ? Je suis pas trop loin sinon, y’en a pour 30 minutes à pieds. C’est bon pour toi ? » Au fond de toi t’espères qu’elle a une voiture. Ce serait le plus pratique et rapide à cet heure ci. Surtout qu’elle n’a pas envie de perdre de temps. Mais vous êtes dans ton quartier donc quoi qu’il arrive, ce sera pas grand chose si vous finissez par prendre un Uber. « Tu veux rentrer chez toi pour quel heure ? » Juste pour te filer une idée de combien de temps l’after va durer. T’es sous l’impression qu’elle risque juste de venir jeter un oeil et partir aussitôt puis qu’elle est pressée. Comme tu sais pas si t’as bien compris, tu préfères lui poser la question directement.
C'est l'heure du départ. Alors que Jordan fait le tour de tout le monde afin de multiplier bises et accolades, je reste en retrait, me contentant d'un signe de main général pour pour le monde. La plupart des soirées que je passais en leur compagnie, j'étais surtout collée à Jordan. Car après tout, c'est lui qui souhaite que je sois présente, pas le reste de la bande. Alors oui, parfois j'ai quelques discussions avec certains d'entre eux, et, de façon générale, ça se passe très bien. Mais je ne sais pas pourquoi, j'ai toujours cette sensation désagréable d'être un peu la pièce rattachée au groupe. Celle qui n'est pas forcément désirée, mais qu'on accepte car le patron a décidé qu'elle serait là. Il y a fort à parier que je me fais mes propres films, mais du plus loin que je me souvienne, je n'ai pas en mémoire un moment où je me suis sentie vraiment intégrée. Mais est-ce que je le veux vraiment ? Ou juste passer du temps avec Jordan ? Je crois que la question elle est vite répondue. Il me demande comment je suis venue, car lui a l'air d'être piéton ce soir. Et à l'annonce des trente minutes de chemin, je me sens soulagée d'avoir ma voiture non loin du bar.
- Qui met à profit le temps n'en perd pas une minute, tu ne crois pas ? Je suis venue en voiture, suis-moi.
Il n'y a que quelques mètres pour arriver à ma voiturette de compétition. Je n'ai jamais été très branchée voiture. A partir du moment ou cette chose m'emmène d'un point A à un point B, cela me suffit très largement. Je prends le temps d'expliquer à Jordan vers quelle heure je dois être de retour chez moi, autour de deux ou trois heures du matin maximum, car mon frère devrait être très occupé demain, et il a besoin de dormir pour être en forme. Même si la vérité, c'est qu'il sera probablement en train de dormir sur le canapé, et qu'il restera jusqu'au petit matin. C'était notre petite routine lorsqu'il gardait Ana, et cela me convenait parfaitement. Après s'être mis d'accord sur l'heure du couvre-feu, nous montons dans la voiture.
- Alors, vers où nous roulons capitaine ?
Pendant que Jordan m'explique l'itinéraire, je fais le choix de mettre une station de radio spécialisée dans le jazz. Ce style de musique est tellement beau. La douceur, la mélancolie, parfois des rythmes un peu plus rapides pour apporter une touche de sourire... Le trajet est plutôt court, tout juste quelques minutes, avant d'arriver à destination. D'extérieur, cette maison fait vraiment très jolie. Il ne reste plus qu'à savoir si l'intérieur le sera tout autant.
- Qui met à profit le temps n'en perd pas une minute, tu ne crois pas ? Je suis venue en voiture, suis-moi. Ah ces gens qui ont tous une voiture et qui en plus s’en servent tout le temps. Tu ne fais pas parti de ceux là, mais t’aimes bien être trimballé par eux. Alors tu la suis dans la rue jusqu’à l’endroit où elle s’est garé. Ca te stresse tellement de t’imaginer devoir trouver une place toi alors que de toute façon, ta maison n’est pas loin. - Alors, vers où nous roulons capitaine ? Tu sais pas si elle a dit ça pour faire une référence à Titanic mais toi tu le prends comme ça et ça te détend un peu plus d’un coup. Tu te sens trop bête de te stresser de faire visiter ta maison à Dalina. Tu lui indiques le chemin qui est des plus simples; Vous mettez en tout et pour tout dix minutes, maximum. « Tu peux te garer devant. » Y’a toujours de la place. C’est pas privé mais c’est une rue qui n’est pas des plus fréquenter que par les riverains. Tu sors de la voiture une fois que celle ci est arrêté. Tu passes ton petit portail et sort tes clés de la poche pour ouvrir enfin ton humble demeure.
« Y’a le studio en bas et chez moi en haut. » Tu vas d’ailleurs ouvrir la porte du studio qui est juste en face. Tu allumes les lumières car sinon ça n’a aucun but. Tu sais pas trop quoi lui dire pour commenter l’endroit. C’est le studio. Y’a les instruments, les consoles, ton ordinateur et tout le matos qui est d’une magnifique qualité. « Je me suis fait plaisir. » Quand y’a de l’argent qui tombe du ciel, il faut. Et puis tu montes à l’étage pour arriver dans ton espace de vie. Grand salon avec cuisine ouverte. Beaucoup d’étagères qui ne sont pas encore très remplis mais une belle petite trentaine de vinyle y figurent. Et puis vous passez dans le couloir où il y a deux chambres, une salle de bain, une pièce un peu fourre tout. Ta maison est simple, grande, tout à ton image. Quand vous revenez dans le salon, tu vas dans la partie cuisine. « Tu veux boire quelque chose ? »
Nous y sommes. Je sais que ce moment est quelque chose de très particulier pour Jordan. Cette maison, il en parle depuis un petit bout de temps maintenant. Et ça a d'ailleurs été un véritable sujet de taquinerie tant il ne voulait pas la montrer avant qu'elle soit totalement finie. C'est vrai que quelques blagues ont commencé à fuser sur la véritable existence de cette maison, et ce n'est pas impossible que je l'ai comparé au Père Noël ou à la Fée des dents. C'est vrai quoi, quand cela fait des mois qu'il me parle de son "bébé" mais que je n'en vois jamais le bout du museau, il y a un moment où je me mets presque à douter de ses paroles. Mais là, maintenant, il n'y a plus à douter. Nous sommes bien chez lui, dans son humble demeure. De ce qu'il m'explique, la maison est divisée en deux parties : un studio en rez de chaussée, et le lieu d'habitation au dessus. Très bonne idée. Parfois j'oublie que Jordan est un grand auteur compositeur. Et c'est par cet endroit que la visite commence. Effectivement, tout est beau, propre, soyeux. Je ne suis pas une grande amatrice de musique, mais il est clair qu'il s'est payé un sacré matériel. Tant qu'il a l'argent pour, ce n'est pas un problème. Du studio, nous prenons un escalier pour arriver sur la pièce de vie. Il y a beaucoup d'espace, une belle hauteur sous plafond, le tout très bien agencé. Il n'y a pas à dire, cette maison, pour le moment, est vraiment superbe. Puis la visite continue, et il me montre les chambres, la salle de bain, la fameuse pièce fourre tout, indispensable à n'importe quel logement... Puis c'est le retour dans la pièce de vie, et Jordan me propose quelque chose à boire. Un verre d'eau sera parfait. Sinon cela risque d'être compliqué de rentrer chez moi.
- Et ben, elle est vraiment magnifique cette maison. Sobre mais efficace. C'est tout toi tiens.
Je lui souris, alors que ma commande arrive. Nous échangeons des banalités, notamment sur la soirée d'avant. L'occasion pour moi de connaitre indirectement ses amis, de me souvenir de qui fait quoi, qui en est ou dans sa vie. Je pourrais le faire moi même, c'est vrai, mais comme j'ai toujours ce désagréable sentiment d'être la pièce rattachée, je préfère passer par Jordan pour avoir des informations. Il faut vraiment que je travaille là dessus. Puis, un sujet en amenant un autre, je dérive complètement sur un film que j'ai vu il y a quelques jours et qui m'a fait beaucoup rire. Alors que ce n'était pas vraiment le but premier du film, qui parle quand même d'amour, de rivalité entre des vampires et des loups garous, d'une famille puissante devant en affronter une autre, d'une humaine complètement niaise qui passe son temps à faire chier tout le monde... Bref, regarder Twilight, c'est vraiment pas une sinécure.
- Non mais franchement, tu verrais comment ils ont sali le mythe des loups garous, c'est incroyable. En gros, pour les réalisateurs du film, un loup garou c'est forcément un adolescent de dix sept ans, au corps sculpté dans le granit, et qui passe la moitié de son temps à se promener torse nu. Mais c'est pas ça le pire. Normalement, dans le film, les loups ont quand même un fort caractère, ils ont du mal à se contrôler lorsqu'ils voient des vampires... Mais, une légende dit que lorsqu'un loup croise l'amour de sa vie, il s'imprègne d'elle, peu importe son âge d'ailleurs. Et là, Jacob, le héros loup garou, croise la fille de la nunuche amoureuse du loup garou, et il se met à se rouler par terre, genre ça y est, il est imprégné. La gosse elle doit avoir 4 ans quoi. C'était d'un ridicule... Enfin bref, ne regarde jamais ce film.
T’es en train de lui servir un verre d’eau comme elle l’a demandé quand elle te dit son sentiment sur ton humble demeure. Cette réponse que tu attends en te mettant la pression depuis si longtemps. Tu te sens complètement con toujours, mais c’est comme ça. T’as envie de faire bonne impression à Dalina. Ca fait des semaines, des mois que tu lui parles de ta maison et aujourd’hui c’est enfin le grand jour. Elle avait l’air impressionné dans ce que tu as pu percevoir de son visage durant ta petite et rapide visite. - Et ben, elle est vraiment magnifique cette maison. Sobre mais efficace. C'est tout toi tiens. Elle ne fait pas beaucoup de commentaire. Tu lui donnes son verre d’eau, ne sachant pas trop quoi dire de plus après ça. T’as pas l’impression qu’elle soit tant emballé que ça par la maison. La conversation se tourne sur des banalités alors que tu as encore un tas de truc que tu pourrais dire à propos de ta maison. Elle n’a pas l’air intéressé réellement et tu peux le comprendre. Ta maison c’est ton bébé à toi, pas à elle.
- Non mais franchement, tu verrais comment ils ont sali le mythe des loups garous, c'est incroyable… Et puis elle part dans une tirade sur les loup garou dans Twilight et tu l’écoutes par politesse mais ça rentre dans une oreille et ressort d’une autre. T’es encore un peu mal de la si brève réponse qu’elle t’a donné sur ta maison alors que ça te tient très fort à coeur de ton côté. Tu sais qu’il faut pas avoir d’attente envers les gens. C’est elle qui a insister pour venir voir chez toi et ça n’a pas l’air de l’avoir tant intéressé. C’est pas grave. Parce que ta maison tu l’aimes fort et t’as besoin de la confirmation de personne pour ça. Tu en profites pour aller mettre un vinyle sur ta platine que tu n’as pas encore beaucoup utilisé.
- Enfin bref, ne regarde jamais ce film. « Je l’ai déjà vu. »
Mais t’as pas envie de débattre là dessus et de toute façon elle doit déjà partir car une grosse journée l’attend demain. « A la prochaine. » Tu vas te faire un encas en écoutant l’intégralité de l’album que tu as mis sur ton tourne disque. Ca va te fait du bien avant d’aller te coucher.