Toute personne connaissant Ezra savait pertinemment qu’il n’était pas du matin. Se lever, c’était toute une épreuve pour lui et le pire dans toute cette histoire, c’était que ça revenait tous les jours - littéralement tous les jours. Une vraie plaie. Il n’était donc pas rare, sur ses jours de repos, de le voir trainer au lit jusque pas d’heure avant de ne pas lâcher le canapé du reste de la journée, la télévision affichant les uns à la suite des autres les meilleurs films du moment et la dernière série en date. Surtout depuis qu’elle ne faisait plus partie du paysage, il ne voyait pas trouver un autre passe-temps que celui là. L’idée de se laisser avaler par son canapé était des plus tentantes.

La seule chose qui aurait pu être envisageable de faire, en dehors de mourir dans son canapé pour ne pas laisser ses pensées trop s’évader, n’était pas réalisable. Il avait beau avoir retourné le problème dans tous les sens, même parfois en le laissant à l’endroit, il ne voyait aucune solution plaisante à mettre en place. Alors, lorsque le problème vint se présenter à sa porte en cette même journée, après l’avoir arraché à son canapé, Ezra fut des plus surprise. Jamais, ô grand jamais, il n’aurait pensé un seul instant voir Auden débarquer chez lui en fin de journée, comme si de rien n’était - surtout qu’il n’y avait jamais été réellement le bienvenu, et il le savait pertinemment. Le Beauregard ne s’attendait cependant tellement pas à une telle visite qu’il n’ait guère pris le temps de se refaire une beauté, et l’accoutrement dans lequel il se présentait à celui qui, une bonne poignée de jours plus tôt, l’avait mis très clairement à la porte de chez lui. Auden, le foutu Auden Williams en personne.

« Heyy. Saluuut. Hm. J’ai trouvé ce stylo chez moi et je me dis qu’il doit être à toi parce que - » Ezra vint hausser un sourcil, s’autorisant déjà un soupire las. Il n’avait pris le temps de se changer mais de toutes manières, Auden n’en aurait pas pour longtemps ici - il se le promettait. Surtout pas avec une phrase d’approche comme cette dernière. « Un stylo ? » Il aurait pu venir se pointer ici à n’importe quel moment en prétendant venir ramener la dignité d’Ezra dans un carton, afin de se moquer de lui une nouvelle fois et rajouter une couche non-nécessaire à toute cette histoire dont le blond ne savait que penser. « Ah, t’es pas seul. Ok, pas grave. Je … repasserai. Ou pas, ouais, non. C’était stupide. Oublie. » Le regard du jeune homme avait profité de ses paroles pour venir scruter le corps d’Ezra, et pour s’apposer un instant de trop sur cette tâche bien trop mal placée. Est-ce pour ça qu’il supposait qu’il n’était pas seul ?. « Ah, ça, non. » Il soupirait, râlait d’avance - depuis quand il ressentait ce besoin urgent de se justifier auprès de celui qui était prêt à piétiner son coeur mille fois s’il le fallait ? « C’est vraiment pas ce que tu crois. La tâche est là, mais elle devrait pas être là. Enfin, si, parce-que j’ai fait tomber mon verre de soda sur moi tout à l’heure, mais elle aurait pu être ailleurs. Elle aurait dû être ailleurs, en vrai, vu comment ça semble vouloir dire autre chose à tes yeux - je te jure que je l’ai vu, dis pas le contraire. Mais promis, promis, c’est pas ce que tu penses et c’est juste que j’ai mal utilisé mes mains… avec mon verre. Elles l’ont fait glisser. Mais je suis seul chez moi, pour de vrai. Et la tâche est pas due à quelqu’un d’autre. »

Fermant les yeux un instant, un nouveau soupire s’échappa d’entre ses lèvres. Il n’avait vraiment pas besoin de se justifier de la sorte, surtout qu’en repassant ses mots dans sa tête, avoir dit quelque-chose était pire que de n’avoir rien dit. Il finit par chasser ses pensées de son esprit, se concentrant sur le jeune homme venu lui rentre visite. Il avait prétendu vouloir partir bien avant ce discours dérangeant d’Ezra, et pourtant il n’avait encore lâché la porte de l’appartement. « Si t’es venu pour encore m’en foutre plein la gueule, tu peux partir oui effectivement. » Dire qu’il n’avait pas encore digéré le comportement du Williams de l’autre jour était un euphémisme, car s’il était honnête avec tout le monde en commençant par lui-même, le jeune homme hantait ses pensées jours et nuits, presque plus qu’elle ne le faisait.

Spoiler:

D’un pied à l’autre je me balance, me mordant la langue pour ne pas répondre aussitôt avec condescendance à sa première question. Si je suis venu jusqu’ici, ce n’est pas pour me battre avec lui. Pas aujourd’hui. Mes yeux en viennent pourtant à dévier rapidement et la conclusion allant avec vient aussitôt : c’était une mauvaise idée. Malgré tout, je ne sais faire autre chose que de rester planté devant sa porte à l’écouter se perdre dans des justifications alambiquées. Je souris imperceptiblement alors qu’il dit avoir bien observé mes yeux puisqu’au moins cela signifie qu’il y porte attention et que, d’une manière ou d’une autre, il ne souhaite pas seulement me dépecer vivant pour me faire payer notre dernière rencontre. Ce sont ces mêmes yeux qui n’ont pas lâché son visage et qui me servent à noter mentalement chacune de ses remarques et ses tics de langage que j’ai trop souvent tenté d’ignorer. En vain.

“Tu bois un verre de soda aussi tôt dans la journée ?” J’ai retenu chaque détail et amassé chaque indice, ma question n’a rien d’une attaque et je crois que les gens normaux la désigneraient avec le terme de “politesse” ou de “curiosité”. Après tout, il peut bien raconter ce qu’il veut et être avec qui il veut, ce n’est pas comme s’il m’était redevable de quoi que ce soit. Ceci dit le Beauregard n’ayant jamais été doué de ses deux mains, le fait qu’il lui soit arrivé un accident ne m’étonne finalement pas, il aurait sans doute besoin d’une paire supplémentaire pour ne pas qu’il lui arrive de malheurs. « Si t’es venu pour encore m’en foutre plein la gueule, tu peux partir oui effectivement. »

“Non, attends.” Pressé, je décale une main sur la porte pour ne pas qu’il me la referme à la figure et fais un pas de plus en sa direction pour coincer mon pied dans le même but. Je retrouve l’odeur de son parfum, découvre celle de sa maison et les remords arrivent en même temps. Dans les films, c’est le moment des excuses. C’est vraiment le moment où je devrais m’excuser. Vraiment. Là. Maintenant. “Enfin je peux te balancer du soda dessus, si vraiment y’a que ça pour te faire plaisir.” Mais c’est pas des excuses, ça, et mon sourire de merde n’a rien qui n’y ressemble non plus. Je me dérobe au plan initial et tente autre chose à défaut d’être capable de lui dire ce qu’il voudrait réellement entendre de moi. A mon tour, je me reprends pendant quelques secondes et déglutis douloureusement. “La dernière fois …” Je tente d’articuler quelque chose de cohérent sans pour autant y arriver. La dernière fois semble encore être hier dans mon esprit, la faute aux événements que je ne cesse de me ressasser encore et encore en pensant pouvoir les changer, en pensant pouvoir faire comme s’il se tenait encore devant moi, aussi proche. C’est presque le cas désormais mais le contexte est tout autre et en réalité j’ai peur d’avoir détruit quelque chose que je ne saurai reconstruire ensuite. Derrière des paupières closes, j’essaye de trouver les bons mots. “C’est pas ce que je voulais. Que tu partes. Comme ça.” Que tu partes tout court. “Je suis désolé.” Le dernier mot est ponctué d’une toux compulsive qui mâche chacune des syllabes qui auraient pourtant tout pour être prononcées à haute et intelligible voix, j’y ajoute des coups sur le torse pour rendre la chose un peu plus crédible encore. “Je peux avoir un peu d’eau ? Ou de soda, ça me va aussi.” Gagner du temps là où il n’y a plus d’espoir, c’est tout ce que je sais faire.

« Tu bois un verre de soda aussi tôt dans la journée ? » De toutes les explications qu’Ezra s’était efforcé de donner alors qu’on ne lui avait jamais demandé la moindre de ces dernières, la seule chose qu’Auden venait relever, c’était qu’il s’était autorisé un verre de soda aussi tôt dans la journée ? « Euh… Oui ? Tout comme je mange des biscottes au petit déjeuner, tous les matins et pas seulement qu’aujourd’hui, parce-que je pense sincèrement que y’a que ça qui tient la route comme petit dèj de qualité. Rien qu’à voir les performances que je suis capable de réaliser derrière tout au long de la matinée, voire même dans la journée, je me demande pourquoi on propose pas aux gens d’en manger plus - certains disent que y’a meilleur comme sucres lents mais j’y crois pas une seule seconde personnellement, même si je suis pas médecin je suis persuadé que les biscottes, y’a rien de mieux. » Et pourquoi était-il reparti à faire des justifications insensées alors que clairement, le jeune homme n’en avait que trop peu de choses à faire de la composition de son petit déjeuner ?

Il le rendait nerveux, voilà tout. Savoir Auden si proche de lui et pourtant tant inaccessible rendait Ezra dans tous ses états. Il ne savait plus où ses pensées devaient aller et surtout où elles devaient s’arrêter - car clairement, qu’il soit présent sous ses yeux faisaient remonter de sacrés souvenirs qu’il tentait depuis des jours et des jours d’oublier. L’échec était cuisant. « Non, attends. » Là où il prétendait ne jamais repasser dans le coin, voilà que le Williams lui demandait d’attendre désormais. Attendre quoi ? Que l’humiliation ne soit que trop forte et oppressante et qu’il en vienne à perdre l’air pour respirer et rester en vie ? Ezra n’avait pas envie de ça. Ou pas dans ces conditions là. Auden avait été on ne peut plus clair lors de leur dernière entrevue et les mots qu’il s’était osé à prononcer étaient restés bien gravés dans la mémoire du Beauregard. « Enfin je peux te balancer du soda dessus, si vraiment y’a que ça pour te faire plaisir. » Un sourcil inquisiteur vint se hausser sur son visage. Il était désarçonné par les paroles du brun, chargées de peu de sens, à l’instar des siennes. « Ca ira, merci. » Il avait eu sa dose pour aujourd’hui.

« La dernière fois … » Le vif du sujet était sur le point d’être abordé et l’abcès d’être enfin crevé par la même occasion. Ca ne leur ferait pas de mal, peut-être que la tension existant entre eux deux finirait par se dissiper à la suite - même si l’électricité qu’Ezra pouvait ressentir était d’une telle intensité qu’il en doutait fortement. « C’est pas ce que je voulais. Que tu partes. Comme ça. Je suis désolé. » Et si Auden avait enfin réussi à faire des efforts, à mettre quelque peu sa fierté de côté au moins pour l’espace d’un instant, ce dernier fut gâché par une quinte de toux. Il vint soupirer, Ezra; il était peut-être un peu stupide mais pas dupe à ce point là. Si Auden s’étouffait présentement, c’était la faute de son égo et uniquement de ce dernier, qui venait lui bloquer le passage de l’air dans la gorge. « Je peux avoir un peu d’eau ? Ou de soda, ça me va aussi. » L’hésitation vint s’imposer à Ezra, là, pendant une seconde ou deux. Il savait que le Williams faisait exprès de venir imiter une quinte de toux et pourtant, si c n’était pas le cas et qu’il se trompait sur toute la ligne, Ezra pourrait avoir sa mort sur la conscience. Oh, l’idée était douce, l’idée était alléchante. Mais il ne voulait pas s’y risquer. Alors, entrouvrant un brin davantage la porte de son appartement pour laisser entrer Auden, il s’autorisa un soupire plus bruyant, plus audible. « T’auras qu’un verre d’eau. » Et rien d’autre du tout de rien, en boisson ou tout autre sujet qui pourrait venir à être abordé.

L’espace qu’Ezra avait laissé entre lui et l’encadrement de porte était mince, mais juste assez pour que Auden puisse pénétrer dans l’appartement en se faufilant. Une partie de l’esprit du jeune homme n’avait pas réussi à ouvrir davantage la porte à cette homme qui s’autorisait à faire autant de mal avec les mots, en aussi peu de temps. Et d’un autre côté, le fantôme de la présence d’Auden à ses côtés était bien présent, et l’idée de pouvoir sentir sa silhouette non-loin de lui était plus que plaisant aux yeux d’Ezra. « Au fond à gauche. » La cuisine, le verre d’eau, ce qu’il voulait du moment qu’il pouvait se permettre de le regarder marcher en entrant chez lui et non en en repartant.

Spoiler:

Après le monologue sur sa tâche, le monologue sur ses biscottes. Peut être qu’il s’est cogné un peu trop fort ce matin en se levant ? Je devrais sans doute vérifier ça, juste au cas où ce soit grave - non pas que je m’inquiète pour lui mais s’il meurt elle ne pourra pas percevoir ses pensions alimentaires. “Ok, t’aimes les biscottes.” Conciliant, je lui accorde un bref résumé de sa tirade pour résumer clairement la situation. Il aime les biscottes et ça le rend fort et vigoureux, tant mieux. Après tout, ce n’est pas comme s’il était en train de me sous entendre que j’allais devoir investir dans ce genre de petit déjeuner si jamais il venait un soir à dormir chez moi et oublier de repartir ensuite - quelle idée.

Ma fausse toux avortée en un rien de temps, je tente de gagner quelques secondes et quelques autres pour avoir le droit de rester à ses côtés plus longtemps encore. Cela n’a rien à voir avec de l’affection, bien sûr que non, ce n’est qu’un moyen comme un autre d’anticiper où est ce que je pourrais porter des coups sur son joli minois si symétrique et si parfait, même au petit matin. « T’auras qu’un verre d’eau. » “Trop aimable.” J’esquisse un sourire aussi immense que faux et me prépare déjà à voir mon verre mélangé à de l’arsenic ou tout autre mélange savant dont lui seul a le secret. Une part de moi, pourtant, est soulagée qu’il me concède cette demande et me laisse entrer chez lui. Jusque là, ça n’avait même encore jamais été envisagé.

J’entre sans me faire prier, me faufile dans l'entrebâillement dans la porte puis entre Ezra et le mur, mes prunelles ne quittant jamais les siennes un seul instant. « Au fond à gauche. » En tête de cortège, j’en profite pour observer son appartement et me faire une carte mentale des lieux, prenant bien garde à suivre ses instructions pour me rendre dans sa cuisine et m’y faire une place. J’aurais cru cela impossible mais l’endroit n’a rien de étouffant, pas alors que justement je ne m’étais pas senti aussi bien depuis de nombreux jours. “Où sont les verres ?” Planté au milieu de la pièce, je n’ouvre aucun placard. Il me ferait sans doute sortir manu militari d’ici et pour le moment ce n’est pas ce dont j’ai envie. “Tu partages tes biscottes ? J’ai pas mangé.” Battant des paupières et souriant à peine, je viens finalement me reposer contre un des meubles de sa cuisine en attendant sa réponse. Après tout, si je fais un malaise, ça ne serait que double dose de problèmes pour lui. On a le droit au bouche à bouche pendant les malaises ?

« Ok, t’aimes les biscottes. » Et le pire dans tout ça, c’était que le ton qu’Auden venait d’employer n’était même pas condescendant - pour une fois, s’il pouvait se permettre d’ajouter. Dans toute autre circonstance, il en aurait profité pour venir se moquer de lui et le rabaisser au plus proche de la terre. Et pourtant, il n’en fut rien. La seule qu’il vint faire Auden, et prétendre perdre l’air, s’étouffer avec son égoïsme ou quoi d’autre encore. Il réussit à cependant assez bien jouer la comédie pour qu’Ezra lui cède l’accès à son appartement. Juste pour un verre d’eau, rien de plus, juste pour s’assurer tout de même qu’il n’allait pas mourir sur le pas de sa porte. Il avait joué de lui, lors de leur dernière rencontre, il s’était fichu de ses réactions et de la façon dont il pouvait se sentir dans la situation, mais Ezra n’était pas cruel au point de réellement laisser Auden s’étouffer devant chez lui. Qui plus était, il aurait été responsable de cet incident aux yeux de la loi. « Trop aimable. » Il vint tirer un sourire des plus faux en claquant la porte à leur suite.

Voir le Williams déambuler à travers son appartement avait quelque-chose d’étrange. Auparavant, Ezra s’était toujours imaginé que le jour où Auden aurait besoin de se pointer chez lui, ce serait pour lui refaire le portrait car sa relation avec Ginny était en péril. Désormais, il se pavanait presque à travers l’entrée et le salon avant d’atteindre la cuisine parce-qu’il était venu de son plein gré et que Ezra l’avait lui-même invité à entrer. « Où sont les verres ? » A sa suite, le Beauregard vint hausser un sourcil, quelque peu étonné par la question émise. « Tu penses qu’ils sont où ? Dans la brande ? » Il s’osa à lever les yeux au ciel, finissant par désigner un des deux placards en hauteur. « Dans le placard de droite, là. » Il avait deux mains et des poumons parfaitement en état de respirer correctement, il pouvait se servir comme un grand. « Tu partages tes biscottes ? J’ai pas mangé. » Deuxième - troisième ? - lever d’yeux au ciel pour Ezra. « Je te laisserai te beurrer la biscotte tout seul, hein. » Il aurait pu refuser et le renvoyer d’où il venait au plus vite. Il aurait pu faire comme s’il n’avait pas entendu et attendre que celui qui le prenait pour un imbécile mais en détenait les clefs du royaume ait fini de prétendre de mourir pour le mettre à la porte. Dans toutes les versions de cette scène, Ezra finissait par raccompagner Auden en direction de la sortie. Jamais, ô grand jamais, il n’avait prévu de lui préparer, même si cela restait quelque-chose de sommaire, un plat à déguster.

Et pourtant, le voilà qui se dirigeait vers le second placard - passant si proche de lui qu’il pouvait dire qu’Auden ne portait pas le même parfait que lors de leur dernière entrevue - pour en sortir de quoi nourrir son hôte improvisé. Biscottes, beurre et incontournable Vegemite, ce fut carrément un plateau de reine que le blond était en train de lui préparer. Parce-qu’au fond, il ne désirait pas réellement le mettre à la porte, et sa visite impromptue était plus qu’appréciable et appréciée, s’il laissait son ressenti parler à sa place. « Un café avec ça pour monsieur ? » Il vint pousser le plateau juste à côté d’Auden, à même le plan de travail. « Ou un thé peut-être ? » Après tout, les biscottes étaient un élément du petit-déjeuner, peut-être voulait-il une boisson plus élaborée qu’un verre d’eau pour accompagner ce somptueux repas.

Spoiler:

Son appartement sent bon, il sent lui, et autant dire que je préférerais crever plutôt que de le lui faire le compliment à haute voix. Je m’en tiens donc à chercher un verre dans ses placards tout en prenant le temps à mes yeux de se perdre ci et là pour se remémorer l’emplacement de chaque chose. Ce n’est pas comme si je comptais revenir ici un jour dans ma vie, de toute façon, c’est une idée bien stupide. Après tout, Ezra fait un hôte plutôt lamentable à s’énerver dès que je pose une question. Pourtant, ce n’est pas pour autant que je compte quitter les lieux si vite, pas alors que finalement je commence peu à peu à m’y sentir à ma place - même si mon appartement est mieux rangé, plus luxueux et surtout bien mieux décoré.

« Je te laisserai te beurrer la biscotte tout seul, hein. » Un sourire satisfait se dessine sur mes lèvres alors que je lui fais encore dos pour quelques secondes encore, attrapant deux verres pour prouver à quel point je suis un bien meilleur invité que lui. Le sourire reste imprimé alors que je me retourne et l’observe fouiller les placards à son tour alors que je me serais attendu à devoir de nouveau tout chercher tout seul. “Comme un grand garçon.” Je capitule faussement, mes yeux posés bien plus sur son visage que sur ses mains alors que je viens de nouveau me reposer dos au plan de travail.

Le plateau glisse, pas mes yeux. Ils ne quittent pas le bleu des siens, bien décidés à jauger ses réactions et à tenter de lire en lui : en vain. « Un café avec ça pour monsieur ? » Ce qui devait être un verre d’eau se transforme peu à peu en brunch sans que je ne trouve, pour une fois, de quoi me plaindre de la situation. J’ouvre la bouche pour railler mais il me devance avec son insupportable sourire en coin. « Ou un thé peut-être ? » Je peine à cacher mon désarroi face à la situation, ce que mes yeux doivent sans aucun doute trahir éhontément. “Quelle mouche t’a piquée ? Belzébuth en personne ? Un hippobosque ou une autre merde avec un nom scientifique à la con ?” Pardon, les gros mots.

Un pêcher de plus ou de moins, personne va m’emmerder avec ça.
Gros mots. Oui, ok, ça va.

Abandonnant le plateau repas à mes côtés, je repasse plutôt devant lui pour me reposer contre la table de la cuisine et lui faire face, bras croisés. J’aurais tout à fait pu débuter une bataille de regard en cet instant sans jamais me lasser de la palette de teintes que contiennent ses iris. N’y voyez pas un compliment, c’est simplement génétique. Il n’a rien mérité. C’est juste … arrivé. Comme tout le reste. “Ça veut dire que je peux rester ?” Non pas que je le veuille. Non pas que je l’ai espéré. Non pas que ça me fasse plaisir d’une quelconque manière - et bien au contraire, d’ailleurs, j’avais beaucoup de choses de prévues aujourd’hui. “Café. Deux sucres.” Peu importe sa réponse, pourtant, je ne partirai pas avant d’avoir bu ce foutu café et beurré mes propres foutues biscottes.

« Comme un grand garçon. » Qu’il osait répondre, Auden. Quelle tête à claque, de laquelle Ezra n’arrivait pourtant pas à relever son regard. Leurs iris s’accrochaient sans jamais se défaire, se lançaient comme des éclairs - était-ce de la chair de poule visible sur ses avant-bras, à Ezra ? Il ne comptait cependant pas faire en sorte que cela puisse de trop ressortir et que le Williams puisse remarquer qu’il n’était pas dans un état optimal, alors - à contre coeur - il vint s’arracher à sa contemplation pour venir lui préparer un plateau de biscottes, comme demandé par monsieur. Et il poussa le bouchon jusqu’à lui proposer une boisson chaude pour accompagner son plat - mais il voulait toujours qu’il déguerpisse au plus vite de chez lui, promis. « Quelle mouche t’a piquée ? Belzébuth en personne ? Un hippobosque ou une autre merde avec un nom scientifique à la con ? » Sa mâchoire qui vint se serrer un brin davantage, ses yeux qui vinrent encore se lever au ciel. Il était insupportable, Auden, et le soupire d’Ezra traduisait bien ce ressenti. Il tentait d’être un hôte à peu près correct et il osait venir porteries critiques. Il allait vraiment finir par être expulsé à coup de pieds dans le derrière - il était à ça de parfaitement d’y arriver.

Mais seulement à ça, et ça faisait toute la différence. C’était la limite qu’Ezra n’arrivait pas à franchir, à annihiler. Invisible et pourtant si puissance, elle venait s’ériger entre les deux hommes dans un silence à glacer le sang. Là où Auden vint se poster finalement à une poignée de décimètres du Beauregard, les bras croisés sur son torse, le jeune homme préféra reculer d’un pas - mais le mur frigo juste derrière lui l’empêcha de faire un pas de plus. Quelle plaie de devoir rester si proche de lui, réellement. « Ça veut dire que je peux rester ? » « Juste le temps qu’on soit sur que je puisse pas être accusé de meurtre parce-que tu te serais étouffé avec mes biscottes. » Il s’était empressé de répondre, d’aligner des mots pour former la meilleure des excuses valables. La réalité était tout autre, alors que les regard d’Ezra avait eu du mal à se relever des muscles saillants désormais des bras d’Auden. Certes, il ne voulait pas qu’il meure sous son toit ou il serait le seul et principal suspect dans cette affaire. Mais également, le manque s’était fait ressentir depuis leur dernière rencontre. C’était idiot et incompréhensible, mais c’était bien présent.

« Café. Deux sucres. » Ezra ne se retourna même pas pour venir appuyer sur le bouton de la cafetière. Sa confiance envers l’autre homme était proche de zéro, et le lâcher des yeux ne sonnait pas comme une idée de génie. Alors, il tentait de faire au mieux pour ne jeter que des coups d’oeil rapides - mais ce qui devait arriver arriva, et la tasse désormais remplie de liquide noir comme l’âme d’Auden échappa des mains d’Ezra, venant déverser son contenu sur son pantalon et son tee-shirt, le tout d’un coup, comme si le soda de début de journée n’avait pas suffi. « Bordel ! » La céramique vint éclater en un bruit mélodieux sur le sol alors que le visage d’Ezra se fendait d’une grimace. Il était vraiment chaud - le café, il était vraiment chaud le café. « Comme si j’avais que ça à faire aujourd’hui sérieux. » Il soupirait, râlait, montrait avidement son mécontentement. Et accessoirement, oui, il n’avait que ça à faire aujourd’hui. « De toutes façons, ce pantalon était tâché depuis le début de la journée, et il commençait à me tenir chaud. J’en mets pas d’habitude, je sais pas pourquoi j’ai fait ça aujourd’hui. Je mets même rien du tout d'habitude quand je reste chez moi, ça m'emmerde de venir porter des trucs alors que vraiment, ça gêne personne le contraire. C’est tellement plus facile et au moins quand il m’arrive des merdes comme ça c’est plus facile de se changer - puisque j'ai rien sur moi, la plupart du temps. T’es plus libre aussi, et tu te fais pas chier avec des fringues qui risquent de se salir en plus. Et puis quand il fait chaud t’as moins chaud. Là, je suis chaud bouillant - à cause du café, là, il était vraiment chaud. » Soupirant dignement pendant cinq bonnes secondes, il vint retirer son tee-shirt qui lui collait à la peau - il était fichu pour le reste de la journée de toutes façons. Et s'arrêta cependant là, se rappelant qu'il n'avait rien d'autre sous son pantalon - et il ne risquait pas de donner cette satisfaction à Auden, oh non. « Je reviens, fais comme chez toi. »

Spoiler:

« Ça veut dire que je peux rester ? »
« Juste le temps qu’on soit sur que je puisse pas être accusé de meurtre parce-que tu te serais étouffé avec mes biscottes. »
Ca veut dire que je peux rester, donc.

Ses yeux se posent ailleurs mais les miens ne se dérobent pas de son visage dont j’essaye de garder en mémoire chaque trait et chaque particularité, déjà incertain de savoir quand est ce que sera notre prochaine rencontre, si jamais il y en a une. Trop occupé ailleurs, je n’ai pas le temps d’anticiper la tasse qu’il laisse tomber et son juron me rappelle à la vie réelle bien plus que le ne le fait le bruit du verre s’éclatant sur le sol. « Bordel ! » Je grimace bien plus que lui ne prend le temps de le faire, imaginant déjà un café brûlant et devinant sa peau rouge sous son tee shirt désormais trempé et sale. Pourtant, Ezra restant toujours égal à lui même, il prend encore et toujours le temps de se perdre en explications et autres insultes. J’en ai rapidement pris l’habitude et plus rien ne m’étonne avec lui, pas même son interminable plaidoyer dont je ne comprends finalement que très peu le sens ou même l’intérêt alors que la seule chose que j’ai envie de faire est vérifier qu’il n’est pas brûlé - non pas pour m’assurer qu’il se porte bien, simplement pour être certain qu’il n’ait aucune faute à me rejeter dessus. Mon regard dérive lorsqu’il en vient à parler de son pantalon alors que je n’avais pas remarqué que son café avait en réalité coulé jusque là. “Fais comme si j’étais pas là.” Je réponds tout simplement à la suite de sa tirade en haussant les épaules. Je sais qu’il peut être compliqué d’ignorer une personne telle que moi mais s’il n’y a que ça pour qu’il se sente plus à l’aise alors soit, je n’y vois pour ma part aucun inconvénient.

Lorsqu’il enlève son tee shirt je ne fais même pas semblant de détourner le regard, de nouveau occupé non plus à mémoriser les lignes de son visage mais bien celles de son torse désormais découvert. « Je reviens, fais comme chez toi. » Pour cela je n’avais aucunement besoin de sa permission, profitant du fait qu’il s'éclipse pour dérober une biscotte et l’observer passer le pas de la porte, son tee shirt en main. Après quelques dizaines de secondes à peine (lesquelles, en son absence, m’ont parues être une éternité), j’essuie les miettes autour de ma bouche et m’entraîne à sa suite dans le couloir.

Je n’ai pas grand mal à retrouver sa chambre derrière la seule porte fermée de l’appartement et l’ouvre aussitôt en grand, comme si tout m’était dû, me formalisant bien peu de savoir s’il est nu ou de nouveau totalement habillé. “Je cherchais les toilettes.” Personne n’est à un mensonge près, après tout, et seule la paume de ma main que je laisse taper en rythme contre la porte pourrait trahir mon manque d’assurance en cet instant. Barrant le passage de la porte sans même le vouloir je laisse mes yeux dériver sur les marques rouges laissées par le passage du liquide brûlant. Ce n’est qu’ensuite que je retrouve ses yeux, comme si de rien n’était. “Tu devrais passer de l’eau froide, si ça te brûle.” Il a l’air d’être tout sauf souffrant, à vrai dire, mais c’est le bon samaritain qui parle en moi et qui ne peut faire autre chose que de se préoccuper du bel Ezra. “Je peux t’aider, si jamais.” Si jamais il s’est aussi brûlé la paume des mains et qu’il souffre le martyr ou si jamais … insérer ici n’importe quelle excuse à la con qui deviendra aussitôt vérité générale. “C’est juste parce que je ne veux pas être accusé de meurtre non plus.” Je me reprends bien rapidement.

Stupide Ezra, stupide. Quelle mouche l’avait piqué aujourd’hui ? Les moindres faits et gestes qu’il avait, il se sentait obligé de venir les expliquer et les justifier auprès d’Auden. D’Auden, le gars à qui il ne devait absolument rien, le gars à qui il avait même souvent envie d’arracher les yeux et de casser les dents, les deux en même temps. Il ne lui devait rien et pourtant il venait encore lui faire une tirage sur un sujet dont il en avait absolument rien à faire. Alors, dans un soupire désabusé, Ezra finit par abandonner et par se diriger vers sa chambre, son tee-shirt trempé de café dans la main.

« Abruti. » Il vint marmonner cette insulte une fois qu’il fut seul dans sa chambre. Il ne savait pas encore s’il l’adressait à lui, secrètement à Auden ou s’il devait la mettre au pluriel, mais en tous cas, il ne pouvait s’empêcher de soupirer un instant de plus. Jetant son tee-shirt dans un coin de sa chambre, il vint commencer par changer de pantalon rapidement, troquant son jeans depuis longtemps dépassé par les événements pour un jogging qui lui tomba sous la main - tant pis pour les frais de toilette, de toutes façons personne ne les méritait présentement sous ce toit. Et alors qu’il s’apprêtait à venir attraper un tee-shirt propre dans son armoire, Ezra vint attendre du bruit provenant de derrière lui. « Je cherchais les toilettes. » Auden, toujours fidèle à lui-même, était venu ouvrir la porte en grand et d’un coup sec comme s’il avait été invité à le faire. Ezra écarquilla quelque peu les yeux, surpris qu’il s’autorise à agir de la sorte jusqu’à le suivre dans sa chambre - sa partie consciente était surprise, en tous cas, son inconscient était juste en train de rire lui.

« Tu devrais passer de l’eau froide, si ça te brûle. Je peux t’aider, si jamais. » Les yeux d’Auden qui s’étaient promenés sur son corps et arrêtés sur la légère marque de brulure provoquée par le café. Il osait donc, le bougre. « Je te demande pardon ? » En réalité, le Beauregard n’avait pas encore réalisé qu’une marque s’était emparée de sa peau et que ça pourrait être davantage grave que prévu. Il avait senti la brulure sur le moment et était passé à autre chose directement à la suite - principalement pour éviter de rester auprès d’Auden de la sorte et pour s’échapper de lui, mais apparement il n’avait pas essayé assez fort. « C’est juste parce que je ne veux pas être accusé de meurtre non plus. » Un petit rire amer vint se faire entendre d’à travers les lèvres d’Ezra, alors qu’il vint croiser les bras sur son torse, ce dernier toujours nu du moindre vêtement. Oui, les muscles étaient bien réels sur ses bras. « Toi, Auden Williams, tu veux… m’aider ? » Un deuxième petit rire. « Vraiment ? » Et un troisième. « On en entend des nouvelles bien bonnes tous les jours. » Même si la proposition était peut-être la plus douce qu’on lui ait faite ces dernières semaines. « Parce-que utiliser ma propre justification contre moi, ça marchera pas. » Lentement, mais surement, il vint faire les quelques pas en avant qui lui permirent de réduire la distance entre Auden et lui, de venir planter son regard dans le sien, de le toiser de ce dernier, de l’emplir de défi. « Pourquoi tu es là aujourd’hui, Auden ? »

Spoiler:

Il le joue bien, Ezra, le rôle de l’enfant de chœur faussement outré par je-ne-sais-quoi alors que pour la première fois de ma vie j’essaye d’être quelqu’un de bien et propose mon aide. « Je te demande pardon ? » Voilà tout ce que je récolte, si bien que finalement mes yeux roulent de nouveau vers le ciel (plus haut que les siens, parce que oui, ça aussi c’est un concours). Je n’ajoute rien parce qu’il n’y a tout simplement rien à dire à cela et pourtant mes yeux ne font que se perdre un peu plus dans les siens et lorsqu’il croise les bras, je loge mes mains dans les poches de mon jean. Qu’il se referme s’il veut et qu’il joue au plus fort s’il le souhaite, pour ma part ce temps est révolu et je suis fatigué de me voiler la face. « Toi, Auden Williams, tu veux… m’aider ? » Je récolte ses rires et ses regards sans ne jamais rien dire, mes yeux à jamais ancrés dans les siens quand bien même ils ne demandent que la permission de se perdre ailleurs. « Vraiment ? On en entend des nouvelles bien bonnes tous les jours. » A mon tour, j’esquisse un faux sourire en coin. Il ne signifie rien de particulier, finalement, quand je sais qu’il comprend très bien là où je souhaite en venir. Les rôles étaient échangés la dernière fois qu’on s’est vus, il était à ma place et ne sait que trop bien à quoi cela ressemble. J’étouffe dans ce rôle mais continue de l'endurer pour lui, pour ce stupide Beauregard qui n’est pas foutu de boire un café correctement sans s’en foutre de partout.

« Parce-que utiliser ma propre justification contre moi, ça marchera pas. » Il dit une chose et son corps en entier en dit une autre lorsque finalement la distance entre nous se réduit naturellement, comme toujours. On trouve toujours une excuse valable, entre le besoin de récupérer un objet x ou y ou celui d'entamer un combat de coq qui ne prendra jamais fin. A cet instant, le combat de coq l’emporte et je bombe le torse par pure habitude, sans même y penser, mes yeux bien droits ancrés dans le bleu des siens. Ils ont toujours été mystérieux et attirants, ses iris à la con. « Pourquoi tu es là aujourd’hui, Auden ? » “Pourquoi t’étais chez moi la dernière fois, Ezra ?” On connaît tous les deux la réponse mais personne n’a le cran de le dire en premier, ce serait perdre cette bataille d’ego qu’on a débutée il y a de nombreuses années déjà. Celui qui explique tout perd. Celui qui cède le premier perd. Mon regard ne dérive du sien que pour se poser sur son torse aux couleurs rouges, j’y laisse mon index glisser tout le long de la ligne tracée par le café brûlant. Je pourrais appuyer et lui faire mal, sans doute, mais c’est finalement loin d’être mon but et je me contente d’à peine effleurer son épiderme. “Et si je te disais que j’ai juste pas envie que tu gardes une marque sur ton torse ?” Il peut souffrir que je m’en moque, ça, ça n’est pas mon problème. Mais abîmer sa plastique, pourtant, ça semble bien plus me concerner et me déranger. “Ni là.” Mes doigts se posent à l’arrière de sa nuque. “Ni là.” Ma paume se presse désormais contre son cou et mes yeux, eux, ne quittent pas les siens pendant quelques secondes. “Et encore moins là.” Ma main fait pencher sa tête d’un côté, assez pour que de l’autre je puisse poser mes lèvres à la naissance de sa nuque, dans un sourire tout aussi confiant que stupide.

Il se trouvait en position où, pour lui, il était impossible de venir croire les paroles d’Auden. Même si ce dernier y mettait du sien pour être au plus vrai, au plus authentique, Ezra peinait à passer au-delà de l’image qu’il avait ancré dans son esprit. Il fallait dire que pendant des mois, voire pendant plusieurs années, le Williams avait pris soin de faire en sorte que l’opinion d’Ezra soit biaisé et qu’il ne puisse pas le porter très haut dans son estime. Aujourd’hui, alors qu’ils se toisaient et qu’ils n’arrivaient pas à lâcher les yeux de l’autre du regard, il lui demandait de croire tout le contraire - l’exercice était un brin plus compliqué qu’il n’avait du anticiper, car alors que les mots étaient accusateurs et les regards à lancer des éclairs et la foudre, leurs gestes disaient tout autre chose. Leurs pas se rapprochaient irrémédiablement, leurs corps se tendaient en direction de l’autre. Comme si les esprits tentaient de se repousser là où la chair voulait s’attacher - principe des aimants parfaitement démontré.

« Pourquoi t’étais chez moi la dernière fois, Ezra ? » Il en venait désormais à lui jouer la réplique parfaite, Auden, alors que l’effet miroir était de plus ne plus saisissant. Et la seule réaction qu’il réussit à arracher présentement à Ezra fut un grognement, assez perceptible pour qu’il puisse parvenir aux oreilles de jeune homme. Les excuses qui se mêlaient aux raisons, alors qu’aucun des deux n’avouerait les réelles motivations d’un tel comportement. Il tentait de s’en persuadé fort, Ezra, que la dernière fois il s’était réellement rendu chez Auden pour récupérer le carnet de la demoiselle. Il se l’était répété mille et une fois, même après, lorsqu’il était rentré chez lui - parce-que tout le reste et la moindre raison s’approchant de la vérité lui semblait invraisemblable. « Et si je te disais que j’ai juste pas envie que tu gardes une marque sur ton torse ? » Un sourcil qui vint se hausser, lentement mais bien présent, sur le visage d’Ezra alors qu’il ne lâchait plus d’une once les prunelles du Williams. Il pourrait y voir, juste là, que la vérité n’était pas déguisée pour une fois. Il pourrait percevoir qu’il disait vrai Auden, s’il s’y penchait un brin davantage. Mais pour ça, il faudrait admettre qu’il pouvait être honnête avec lui et ce comportement ne lui semblait en rien possible. Et pourtant, et pourtant, tous les gestes d’Auden tendaient à lui montrer qu’il fallait y croire, qu’il fallait s’y accrocher un peu plus, lorsque son index redessinait sur sa peau la marque laissée par la brulure de café, lorsqu’un frisson vint s’arracher à son échine, lorsqu’il dut lutter pour ne pas fermer les yeux sous l’effet apaisant tout autant stimulant de ce geste. « Ni là. » L’épiderme de sa nuque qui s’enflammait sous la sensation du toucher de l’autre. « Ni là. » Le feu sous sa peau qui pourrait réduire en cendre la forêt entière, alors que la pression de la paume d’Auden se faisait davantage présente contre son cou. « Et encore moins là. » Lui qui vint pousser le vice jusqu’à venir effleurer la peau de sa nuque du bout de ses lèvres, qui vint pousser jusqu’à faire ressentir son sourire au même endroit. La chair de poule s’emparait de la moindre parcelle de chair du corps d’Ezra et, ce dernier, rendant les armes, vint fermer les yeux dans un soupire presque satisfait.

Il était là, le soucis, le principe même du problème. Ils avaient beau se détester au plus profond d’eux, ils avaient beau faire en sorte que tout se passe dans ce sens là et non dans un autre, faire en sorte que la guerres soit en permanence déclarée - dès que les yeux se détournaient et que l’attention n’était plus portée sur eux, ils se retrouvaient incapables de résister longtemps à réduire la distance entre eux. « Auden… » La voix d’Ezra un brin rauque, un brin dérangée, alors qu’il venait poser sa main sur l’épaule du jeune homme. Si tout en lui s’alarmait quand à leurs corps bien trop proches, réflexe vieux comme le monde, son esprit ne pouvait s’empêcher de repenser à la sensation de ses lèvres sur sa peau, et contre les siennes. Ils se retrouvaient bloqués dans une réaction en chaine sans queue ni tête, et aucune façon de s’en sortir en semblait se dessinait souffleurs yeux. Pourtant, ici et maintenant, il se sentait bien, Ezra. Et s’il portait le poids des soucis du monde sur ses épaules en temps normal, et si son coeur n’arrivait pas à se délester un brin lorsqu’il était seul, tout ceci se retrouvait aux oubliettes lorsque le Williams se tenait à ses côtés.

Sa seconde main, Ezra vint la poser à même celle de l’autre sur sa nuque, là où elle n’avait encore bougé, là où elle ne faisait que rallumer le brasier qu’était son épiderme. Ce mélange de sensations et d’émotions venait faire abaisser les barrières à l’intérieur, venait le faire céder à la tentation toujours un peu plus. « Tu peux rester, oui. » Une réponse à une question qui datait de presque mille ans, qu’il vint laisser échapper pas trop fort du bout des lèvres. Au cas où il pourrait s’entendre parler et se rendre compte à quel point il cédait, à tout. Il pouvait rester pour manger des biscottes ou pour tout ce qui l’enchantait, de toutes façons Ezra avait compris que le combat de coq n’en serait que d’autant plus beau, plus majestueux dans ses conditions là. « Je prépare pas le diner par contre, tu te débrouilles. Et comme ça, si je meurs, on saura que c’est ta faute et que tu m’as empoisonné. » Prononçant ces mots, le visage d’Ezra s’était quelque peu relevé, ses yeux s’étaient rouverts et son visage tombait désormais juste en face de celui du Williams. Leurs souffles pouvaient se nouveau s’entremêler et leurs iris s’accrocher à ne jamais s’en lâcher. Le coeur d’Ezra ne faisait que de s’emballer mais il ne lâchait pour autant rien de la main d’Auden contre sa nuque, de son regard de ses yeux, de son souffle qu’il vint attraper du bout du sien - s’en suivit un presque rien, un effleurement dont on pourrait ne pas discuter, lorsque ses lèvres frôlèrent celles d’Auden. Un instant, une seconde tout au plus, rien que pour appuyer l’idée de ses paroles. Auden pouvait rester, il lui laissait l’opportunité. Il ne savait pas dans quoi il s’engageait ou si l’idée lui semblerait bonne à distance du moment actuel, mais pour une fois, la porte restait ouverte. Ezra abaissait les armes, s’inclinait devant l’inévitable. Des semaines à laisser les choses flotter, à laisser l’incertitude prendre le dessus. Oh, rien ne lui semblait sûr ou davantage certain, mais il se laissait aller à l’idée qu’en cédant, ce serait l’essentiel qui s’imposerait et resterait.

Spoiler:

Dans une autre vie, j’aurais profité de la proximité éphémère avec le Beauregard pour lui faire le plus de mal que possible. Torse nu et d’apparence vulnérable, j’aurais sûrement pu faire de lui ce que bon me semble et ça se serait résumé à lui faire physiquement mal. A cette distance les possibilités sont multiples et elles ne font que l’être plus encore au fur et à mesure que je sens ses muscles se détendre et son souffle accepter de se perdre contre mon épaule. Si j’avais voulu lui faire du mal je l’aurais fait mais le seul désir qui m’anime pour le moment est celui de le contenter, en apposant délicatement mes lèvres contre sa nuque d’abord et contre les siennes ensuite alors qu’il intime le geste de lui même. Le contact de ses mains sur ma peau la réchauffe instinctivement, autant que mon coeur a été réchauffé de mon prénom murmuré de ses lèvres. « Tu peux rester, oui. » La bataille est donc gagnée et je souris, mes yeux plus proches des siens que jamais. « Je prépare pas le dîner par contre, tu te débrouilles. Et comme ça, si je meurs, on saura que c’est ta faute et que tu m’as empoisonné. » A mon tour de sourire seul, un peu plus encore, pauvre fou conquis.

Si j’aurais sans aucun doute préféré que le baiser soit plus réel, plus assumé et plus appuyé, je ne cherche pas déjà à rejouer la scène pour obtenir ce que je désire ardemment. Mon visage s’avance de nouveau près du sien et cette fois ci c’est simplement pour que je puisse venir lui murmurer quelques mots à l’oreille, comme si le monde nous appartenait. “T’as le meilleur cuisinier d’Italie devant toi.” Je repose ensuite ma tête contre le mur, assuré, mes yeux se laissant aller sur son profil alors que ma main n’a toujours pas bougé de place. Mon pouce caresse doucement sa mâchoire comme si là était sa place depuis toujours. “Et puis si j’avais voulu te tuer, tu serais déjà mort depuis longtemps.” J’ajoute finalement dans un sourire serein. Ça aurait tout d’une blague mais lui comme moi savons parfaitement que c’en est nullement une. “Je persiste à dire que tu devrais passer ça sous l’eau froide.” Ma main libre repasse sur la plaie avec un geste cette fois-ci bien différent. Il est aussi tendre qu’assuré et ce n’est pas un cocktail que j’utilisais généralement en présence du Beauregard. Pas avant en tout cas. “Une douche te ferait le plus grand bien.” Mes yeux remontant dans les siens sont provocateurs au possible sans que je n’ai pourtant aucune idée derrière la tête - pas encore. “Je dois te surveiller pour ne pas que tu tombes et qu’on m’accuse, ou ça ira ?”

La tension entre les deux jeunes hommes était toujours des plus palpables, des plus présentes, mais elle se déchargeait quelque peu de ce petit on ne sait trop quoi qui la rendait presque aussi insoutenable que nécessaire. Les yeux d’Ezra accrochaient ceux du Williams alors qu’il rendait complètement les armes en lui donnant le feu vert pour rester un peu plus longtemps chez lui ce soir. Il ne préparerait pas le diner, mais il serait ravie en revanche de profiter de la compagnie du jeune homme un brin plus longtemps. « T’as le meilleur cuisinier d’Italie devant toi. » Oh, bien sur qu’il vint se vanter un brin et faire en sorte de se faire bien voir dans cette histoire. L’histoire d’Auden Williams parfaitement illustrée sous vos yeux ébahis - ou seulement ceux d’Ezra -, mesdames et messieurs. « Et puis si j’avais voulu te tuer, tu serais déjà mort depuis longtemps. » Son pouce à lui qui jouait avec la lèvre d’Ezra, alors que ce dernier tentait déjà de rester concentré rien qu’en plongeant son regard dans le sien. Les mots du Williams pouvaient sembler moqueurs et ironiques, alors qu’une bonne partie d’eux ne reflétait, en réalité, que la simple vérité. Fut un temps où Ezra pouvait craindre pour sa vie à ses côtés, où l’avenir ne semblait plus aussi certain lorsque leurs chemins se croisaient. Il savait que, désormais, tout était différent.

« Je persiste à dire que tu devrais passer ça sous l’eau froide. » La conversation qui vint se rediriger, comme tomberait presque un cheveu sur la soupe, vers les marques qu’avait laissé le café brulant sur le torse d’Ezra. Et si le feu provoqué par ce dernier s’était apaisé avec les minutes écoulées, il se voyait ravivé par le toucher d’Auden sur l’épiderme. « Une douche te ferait le plus grand bien. » Le regard du jeune homme vint se plonger dans celui du Beauregard, alors que ce dernier finit par finalement venir lever les yeux au ciel - les paroles de ce dernier, bien que portant un fond de vérité, étaient surtout là pour l’énerver. « Je dois te surveiller pour ne pas que tu tombes et qu’on m’accuse, ou ça ira ? » Ils étaient si proches qu’Ezra n’aurait pas besoin de faire grands efforts pour venir asséner un coup de tête à Auden. Il se contenta cependant de venir grogner un brin, démontrant ainsi son énervement feinté, avant de délaisser sa main de sur celle du brun, pour venir plutôt croiser les bras sur son torse - faisant fi du tiraillement ressenti au contact un peu brut de ses avants-bras sur le tissu lésé. « Pas assez subtile pour que ce soit ton oeuvre, la chute dans la douche. Je pense que je vais m’en sortir. » Et ainsi, également, il pourrait sortir de l’emprise d’Auden sur lui. Car si ses paroles consentaient à aller se rafraîchir la peau et les idées sous un jet d’eau fraiche, ses pas eux ne semblaient daigner se déplacer et joindre les gestes aux mots. « T’as qu’à me montrer de quoi est capable le meilleur cuisiner d’Italie pendant que je vais soigner mes blessures. »

Et pourtant, il resta planté là, quelques instants supplémentaires, gagnant un temps qu’il ne pouvait pourtant perdre car lui appartenant depuis l’instant où Auden avait mis un pied chez lui. C’était idiot, mais là où jusqu’à aujourd’hui, ils s’étaient tous les deux glissés dans cette relation se contentant de volant des moments à une réalité dont ils n’étaient pas les personnages principaux, désormais ils étaient autorisés à profiter davantage et à ralentir la cadence - lorsqu’ils étaient seuls à l’abris des regards du moins. Et c’était exactement ce que faisait Ezra, là. Alors qu’il aurait tout fait pour fuir cette proximité pas plus longtemps que quelques minutes auparavant, là il s’autorisait à respirer un air un brin moins chargé, libérer des attentes que le monde extérieur pouvait appuyer sur ce duo plus qu’atypique. Et enfin, après un énième soupire, il vint se dégager du cercle rapproché d’Auden pour se faufiler à l’intérieur de la salle de bain, venant déjà laisser couler l’eau sous la douche le temps qu’elle se réchauffe un brin - le Williams avait beau répéter que c’était l’eau froide qui lui ferait du bien - et avoir raison -, Ezra ne saurait consentir parfaitement à se glisser volontairement sous un jet glacé.

Spoiler:

Le proximité est aussi enivrante qu’elle est étouffante et si Ezra est toujours le premier à s’éloigner de leur proximité chaleureuse, Auden reste celui qui corrige ce malheureux défaut. Il est une personne qu’il n’apprécie, le Beauregard. Il est de l’un de ceux dont il dit qu’il pourrait très bien vivre en étant loin ; et il est aussi l’un de ceux qui mentent comme ils respirent, sans jamais sourciller, sans jamais se remettre en question. Le brun ne s’en veut pas de l’avoir insulté maintes fois, il s’en veut encore moins d’avoir souhaité sa mort autant qu’il y a de secondes dans une journée.

Son pouce semble glacé, maintenant qu’il n’a plus aucune lèvre sur laquelle glisse ni même aucun bout de peau sur lequel glisse et se perdre. « Pas assez subtile pour que ce soit ton oeuvre, la chute dans la douche. Je pense que je vais m’en sortir. » Il pense des choses et il se trompe tout autant de fois. Quelle question. Bien sûr que Ezra n’aurait pas pu s’en sortir seul, voyons. La douche peut être bien plus glissante qu’il ne l’imagine et il ne se doute sûrement pas du niveau de dangerosité d’une telle pièce une fois que l’eau a commencé à couler ; n’est ce pas ? Pour ces raisons comme pour des dizaines d’autres, le Beauregard ne devrait pas être laissé seul et c’est dans ce cas de figure spécifique d’Auden apparaît comme les sauveur de ces dames - oui oui. « T’as qu’à me montrer de quoi est capable le meilleur cuisiner d’Italie pendant que je vais soigner mes blessures. » A cela, les lèvres de l’italien s’étirent doucement, fier comme un paon. Bien sûr qu’il ne doute pas un seul instant de ses capacités, que ce soit en sauvetage de mécanicien blessé ou dans n’importe quel autre domaine. Il faut bien avouer qu’il ne doute que de peu de choses, l’artiste, et que l'intitulé de sa relation avec Ezra en fait partie. Il aimerait lui apposer certaines étiquettes ; il en reçoit d’autres ; en conclusion il n’en ont plus aucune.

Auden refuse de se laisser abattre et suit son homologue dans la salle de bain comme si là était réellement sa place et qu’il n’y avait pas même matière à débattre. Pourtant il laisse une distance entre eux et garde son épaule appuyée contre l’embrasure de la porte, ses bras croisés à son tour comme avaient été ceux de Ezra quelques minutes plus tôt. Il lui a demandé de montrer ce dont il est capable, donc ? Il souhaite qu’il lui prouve des choses, donc ? Eh bien soit, ce n’est sûrement pas Auden qui risque de reculer devant une telle demande - pour ne pas dire ce défi. “Et si le meilleur cuisinier d’Italie te demandait de l’épouser ?” Il a un sourire de merde pour une fois de plus sans que cela n’étonne personne. Pourtant, il a rarement été aussi sérieux dans sa vie. S’il faut répéter ces mots, il les répétera, quitte à lui offrir une bague de penne.