Jill a ressenti ses premières contractions dans la nuit. De vraies grosses contractions, celles qui annoncent que l’arrivée des bébés était pour bientôt. Elle a commencé à paniquer, vraiment. Elle a réveillé Bailey et ils sont allés jusqu’à l’hôpital. Elle n’a pas arrêté de répéter que c’était trop tôt. Elle devait accoucher en août ou en septembre. Pas avant. Mais bien évidemment, il a fallu qu’ils arrivent avant. Et, même si elle déteste être allongée toute la journée Jill, elle aurait voulu le faire encore pendant tout un mois pour être sûre que les bébés allaient bien. Mais elle a encore dû faire quelque chose de mal, elle n’a pas été une bonne mère, encore une fois, et la voilà sur la route de l’hôpital avec plus d’un mois d’avance. Le trajet est long, la douleur s’est faite de plus en plus intense et elle ne se sent pas prête. C’est pas le moment, elle n’est pas encore capable d’être maman. C’est horrible, pourquoi les femmes tombent enceinte déjà ? Là, elle ne sait pas. Elle ne comprend pas comment ça peut être aussi douloureux. Les heures passent et la panique augmente bien que Bailey soit là tout au long de l’accouchement. Mais elle s’éteint Jill, un peu plus après chaque contraction, et elle a l’impression de ne plus rien ressentir, plus aucun sentiment pour quoi que ce soit.

Et il y a eu ce moment, le moment dont toutes les mamans parlent. Le moment où on a posé ses enfants sur sa poitrine. Ce moment où elle devait tout oublier, la douleur, les heures qui sont passés, le moment où elle devait avoir ce déclic, celui où elle devait devenir une mère qui vouerait un amour inconditionnel à ses deux enfants. Pourtant, la seule chose qu’elle avait envie de faire, c’était dormir, et pleurer. Elle n’avait pas envie qu’ils soient là, elle était persuadée d’être incapable de s’en occuper. Elle n’ose même pas les toucher, à peine les regarder. Elle mettra ça sur le dos de la fatigue après des heures de travail. Les médecins ont capturé son attention de nouveau quand son petit garçon arrête apparemment de respirer pendant quelques secondes. Qu’est ce qu’elle a bien pu faire pour que tout se passe aussi mal ? Tout est de sa faute, elle a été trop longue. Ils l’ont dit les médecins. Elle a regardé Bailey, un air désolé sur le visage à de multiples reprises. Désolée pour quoi ? Pour tout un tas de choses. Parce qu’elle a accouché trop tôt, parce qu’elle a été trop longue, parce que Bowie a arrêté de respirer à cause d’elle, parce qu’elle ne ressent rien pour ses bébés alors que Bailey les aimait déjà de toute son âme avant qu’ils ne soient vraiment là.

Le temps a passé, et elle a dormi pendant un très très long moment. Même quand elle ne dormait pas elle faisait semblant. Elle n’a pas envie de parler, elle fait seulement ce que les infirmières lui disent de faire. Les pleurs des bébés la rendent folle, elle ne les supporte pas. C’est comme si elle commençait une crise, comme si c’était les voix qui hurlaient dans sa tête. Elle a envie de partir, le plus loin possible. Elle n’a pas le droit de faire ça, elle devrait prendre du plaisir à s’occuper d’eux, à vivre ça avec Bailey. Pourquoi ça se passe pas comme ça devrait se passer ? Comme ça se passe pour tout le monde ? Elle reste proche de la fenêtre et son regard se perd vers l’extérieur. Ils ont dit que c’était à cause des hormones, les baby blues qui la rend comme ça. Ils disent que ça va passer, mais Jill n’a pas du tout l’impression que ça passe avec les heures. Elle est épuisée, vraiment. Encore plus que quand ils étaient encore dans son ventre. Elle le touche son ventre d’ailleurs, il est encore rebondi, mais complètement vide. Bientôt, ça sera sûrement comme si les bébés n’avaient jamais été là. Elle continue de regarder par la fenêtre, elle sait que bientôt sa famille viendra les voir, et elle affichera son plus beau sourire. Elle ne compte pas parler de ce qui se passe dans sa tête, à personne.

 

@Bailey Fitzgerald

Je suis désolée…

Ces quelques mots qui résonnent dans un coin de ma tête alors que mon regard se pose sur Jill. Elle vient de s’endormir dans la salle de travail, épuisé par l’accouchement autant physiquement que moralement. Le réveil sera compliqué même si je suis incapable de me l’avouer. Tout sera différent maintenant. On m’explique que Bowie va avoir besoin d’être installé en couveuse, juste un peu, pour s’assurer que tout va bien. C’est l’ascenseur émotionnel, les larmes restes, les émotions diffèrent. La sage-femme qui nous suit depuis le début semble sentir mon désarroi, regard perdu entre mes enfants et ma femme. « On va faire un peu de peau à peau avec papa, c’est toujours bénéfique. » En quelques minutes, je me retrouve torse nu dans un fauteuil, mes enfants blottis tout contre moi. Et je ne retiens plus rien. Les larmes se mettent à couler. De joie, de les avoirs enfin près de nous. De tristesse de ne pouvoir partager ce moment si précieux avec Jill. La tempête fait rage. Et a cet instant, je me jure, que quoiqu’il arrive, ils seront à jamais ma priorité. Nos enfants, ma bataille. Ma main vient caresser le dos de Bowie, si petit par rapport à sa sœur. Mes lèvres se perdent contre la tempe de Tracy qui bouge si lentement. « Papa sera toujours là pour vous. » Là, entre mes mains, ma plus belle réussite.

***

Jill a été emmenée en chambre, épuisée, elle s’est à peine réveillée. Bowie en couveuse. Tracy a pu rester avec nous. Je lui ai donné son tout premier biberon et mis sa première couche. J’ai dormi un peu, une main sur le lit de ma femme, une main dans le berceau de ma fille.

Puis le jour, c’est transformer en journée et mon ventre ne cessait de grogner. Jill et Tracy endormie, j’en profite pour me faufiler hors de la chambre. Direction la cafétéria pour un ravitaillement de café qui sera probablement infâme. Détour par l’extérieur afin de sortir mon téléphone. Il faut prévenir, la famille, les proches. Je commence par @Ginny McGrath-Williams, mets également @Auden Williams dans la boucle sans même réellement y réfléchir. Parce qu’une naissance se doit d’être une trêve, j’envoie un long message à mon frère. Un texte tout ce qu’il y a de plus formel pour @Matt McGrath. Quelque peu plus festif pour @Swann McGrath. Un brin trop courtois pour @Pete Mulligan et @Scarlett Warren, les amis de Jill. Je n’oublie pas @Amélia Aubrey qui attendais ce moment en me demandant régulièrement des nouvelles et puis @Ciara Hogan à qui je devrais annoncer une autre nouvelle très bientôt, si Jill est d’accord. Et dans l’euphorie du moment, je finis même par écrire un texte quelque peu bateau, mais annonciateur de bonne nouvelle que j’envoi tout d’abord à @Jack Epstein, parce que c’est ça de devenir papa, on le crie sur tous les toits du monde. Lancer dans mon euphorie, j’ajoute @Ariane Parker  dans la boucle. J’ai probablement oublié du monde. La nouvelle fera sûrement le tour. Je ne perds pas mon temps à l’extérieur et retourne bien vite auprès de ma petite famille.

***

Elle a dormi jusqu’en milieu d’après-midi Jill. Réveiller par les pleurs de notre fille qui avait visiblement faim. J’ai voulu lui proposer de donner le biberon, elle s’est levée du lit pour aller se coller à la vitre. Sans un regard vers nous. Sans une once d’inquiétude pour Tracy. Rien. La douche froide. Je savais que ça allait être compliqué, je me doute que les voix se soient invitées dans sa tête. Et je me sens impuissant à devoir jongler entre Tracy qui a besoin de nous et Jill qui semble si perdu. Mon esprit tente de mettre cela sur le coup de la fatigue. Ça ira mieux demain. Je me persuade, tout en berçant Tracy après qu’elle est quelque peu téter. À chaque fois, qu’elle se blotti un peu plus contre moi, mon souffle se coupe, mon cœur s’accélère. Je ne saurais expliquer tout l’amour que je ressens pour ce petit être, mais c’est sa mère qui monopolise mes pensées.

Une fois Tracy rendormie, je la dépose dans son petit berceau. Une inspiration et je me dirige vers Jill. À tâtons. Sans trop savoir quoi faire, quoi dire. Mes doigts viennent effleurer son avant-bras. « Ils vont bien. » Parce que je sais qu’elle se torture l’esprit, qu’elle se rends responsable de leur naissance prématurée, des difficultés qu’a eu Bowie. En rien, elle ne pouvait contrôler tout cela. L’accouchement a été difficile, mais nos enfants vont bien. « Tu… Tu voudrais aller voir Bowie ? » Je tente timidement craignant sa réaction. Quand elle regarde dans le vide de cette manière, je sais, que la crise n’est pas très loin. Et Tracy se met à pleurer…

Elle regarde dans le vide, elle déteste être dans cet état là. Elle n’arrive pas à se souvenir de tout ce dont ils ont parlé avant que les deux bébés n’arrivent. Il n’y a pas de joie aujourd’hui, seulement de la fatigue et de l’incompréhension. Elle essaie, elle essaie vraiment de comprendre pourquoi tout bloque dans sa tête et dans ses gestes. Pourquoi la seule chose qu’elle veut faire quand son bébé se met à pleurer c’est s’enfuir le plus loin possible. Elle ne sait pas, et personne ne peut savoir ce qui se passe dans sa tête puisqu’elle ne compte pas en parler. Bailey serait détruit, et les médecins l’obligeraient à rester là, ou à prendre un nouveau traitement. Elle garde tout ça pour elle, ça ne sera pas la première fois, et sûrement pas la dernière. Elle soupire et se concentre sur ce qu’il se passe à l’extérieur pour ne pas sortir de cette chambre en courant. Elle est encore bien trop faible, bien trop fatiguée pour faire un truc pareil. Elle ferme les yeux, et sa fille arrête enfin de pleurer. Les minutes passent et Bailey finit par venir la rejoindre.

Les doigts de son mari viennent glisser sur la peau de son bras et elle frissonne. Ce contact est bien moins agréable que d’habitude. Elle a perdu ce côté tactile, l’envie de le serrer dans ses bras à chaque seconde. Elle a besoin d’être seule, de s’enfermer dans sa tête et dans son coin. “Il est pas là.” Son fils qui a arrêté de respirer parce qu’elle a été trop longue et pas assez forte. Il ne va pas bien et il n’est pas avec sa soeur dans son berceau. Elle ne croise pas le regard de Bailey, il pourrait lire bien trop de choses dans ses yeux. Il la connait trop bien, et il comprendrait en un seul regard que rien ne va. Elle se racle la gorge, elle n’a pas pleuré une seule fois depuis que son accouchement est terminé. Elle est vide, comme à Londres. Elle se retourne au moment où Bailey parle et Tracy se met à pleurer. Encore. Elle ne s’arrête pas et ça ne cesse de tourner en boucle dans la tête de Jill. Elle regarde le berceau avant de regarder Bailey. “Je vais aller le voir.” Et elle s’éloigne de Bailey, de sa fille, et de la chambre pour marcher dans les couloirs de l’hôpital. Elle ne sait pas où aller, et elle s’assoit une seconde contre un mur. Juste quelques minutes pour souffler et penser à autre chose avant d’aller voir son deuxième enfant. Elle se relève et demande où elle peut le trouver. Une infirmière l’emmène mais elle ne s’approche pas. Elle le regarde de loin. Comme si cet enfant n’était juste pas le sien.

Aucun regard vers la petite. Un frisson qui ne ressemble en rien à du désir, lorsque ma peau entre en contact avec la sienne. Je la sens me filer entre les doigts, comme ça, sans prévenir. Je tente de me dire que tout cela est dû à la fatigue, le manque de sommeil, d’énergie. L’épreuve que son corps vient de subir. Je lui trouve toutes les excuses du monde à Jill, même lorsqu’elle refuse de croiser mon regard. « Il est pas là. » Un léger soupir m’échappe. Tout dans sa voix laisse sous-entendre qu’elle se rend responsable, alors que rien de tout cela n’est de sa faute. « Il le surveille un peu, mais je l’ai vu, il va bien. » que je lui assure le plus tendrement possible. Notre fils est entre de bonnes mains, je n’en doute pas une seule seconde. Elle doute pour deux, la jeune maman. Je m’apprête à lui laisser de l’espace, tout le temps dont elle aura besoin, lorsque Tracy se remet à pleurer. La réaction de Jill tombe sous mon nez. Son dos qui se tend, sa tête qui se tourne vers le berceau, un regard noir qui m’as bien trop souvent été adresser lorsque rien allait entre nous. « Jill… » que je murmure, incapable de ne rien dire, de ne rien faire. Tracy n’a que quelques heures de vie, elle a besoin de notre présence, probablement qu’elle cherche son frère avec qui elle a cohabité pendant neuf mois. Mais rien… Jill reste de marbre et ma gorge se serre. J’attendais quelque chose, le moindre signe, mais rien. « Je vais aller le voir. » Et peut-être que c’est une bonne idée. Peut-être qu’elle a besoin de s’assurer que Bowie va bien. Qu’elle ne l’a pas rêver, qu’il est bel et bien là. « D’accord. » Je n’ai pas le temps d’en dire plus qu’elle a déjà pris la fuite. Ce n’est qu’un mauvais départ. Elle est fatiguée, Jill. Elle est juste fatiguée, que je ne cesse de me répéter alors que je viens doucement prendre Tracy dans mes bras.

Jill a accouché. C'est par Bailey que tu l'apprends. C'est un peu chiant. Tu peux même pas répondre par des tas de texto de merde qui ne veulent rien dire. Tu lui as écrit à Jill, mais elle n'a jamais répondu. Elle doit être prise entre deux couches puantes. Quoi d'autre ? Tu klaxonnes lorsque tu te gares devant la maison de Ginny. Tu déranges tout le voisinage en fait. Rien à foutre. Aujourd'hui, c'est le grand jour. Ton filleule est né. Le meilleur d'entre tous bien sûr. Rien de moins. Et Jill retrouve l'usage de ses jambes. C'est pas rien. Elle débarque rapidement Ginny probablement encore plus excité que toi à l'idée d'aller visiter les bébés. « T'es sûr qu'il y en avait pas un plus gros ? » que tu demandes en pointant l'énorme panier cadeau dont Ginny s'était chargé d'acheter pour vous deux. Il est pas assez gros. C'est risqué que Matt en est trouvé un plus gros. Ce serait trop chiant qu'il remporte la première manche. « Rassure-moi au moins. Il n'y a rien de bon pour la santé là dedans ? » Si elle a osé y mettre une pomme, vous êtes foutu. Vous avez déjà perdu d'avance.

Arrivé à la maternité, vous avancez tous deux à la recherche du numéro de la chambre de Jill. Pourtant, vous n'arrivez même pas à vous rendre que vous croisez déjà Jill là devant la baie vitré. Elle regarde son -ses?- bébés probablement. Elle a pas l'air bien Jill. Pourquoi elle a pas l'air bien ? Tu finis par venir te poser aux côtés d'elle. Ton bras qui se glisse autour de ses épaules. « J'suppose que c'est lui le tiens. Aussi affreux que sa mère » Tu pointes n'importe quel bébé. Il se ressemble tous de toute manière. C'est trop tôt pour la blague de mauvais goût ? Oui. Probablement, mais honnêtement, tu ne savais pas comment agir d'autre. « Bailey est pas avec toi ? » que tu demandes ensuite. Il est dans la chambre ? Il se repose peut-être ? La nuit a dut être plutôt courte. Ce serait fort possible.

Elle était devant la couveuse il y a quelques minutes, et elle a dérivé Jill. Elle n’a aucune envie de retourner dans la chambre. Pas tout de suite. Pas alors qu’elle est sûre et certaine que Tracy pleure encore et encore. Et elle s’est arrêtée devant une grande baie vitrée, avec pleins de bébés de l’autre côté. Elle les observe, exactement de la même manière qu’elle observe ses bébés à elle. Elle ressent autant d’amour pour des enfants inconnus que pour les siens, et elle sait que ce n’est absolument pas normal. Elle a envie de partir, et elle l’aurait peut-être fait si Pete n’était pas arrivé dans son dos. Il passe son bras autour de ses épaules, et c’est toujours le même frisson désagréable qui parcourt tout son corps. Elle frissonne et elle se dégage de l’étreinte avant de se tourner vers son meilleur ami.

Concentre toi Jill, c’est pas compliqué de sourire. C’est pas compliqué d’écouter et de te concentrer sur la conversation. Elle ne montrera absolument rien, à personne. Elle n’a pas le droit d’aller aussi mal alors que ça devrait être le plus beau jour de sa vie. “Non ils sont pas là.” Alors qu’est ce qu’elle fait là à tous les observer comme une folle qui aurait envie d’enlever un bébé ? “Je veux bien te croire. J’ai sûrement un visage pâle et tout fripé.” Comme chacun des bébés qui se trouve derrière cette vitre. “Heu…. non.” Elle secoue la tête et essaie vraiment de se concentrer sur la conversation. Elle se racle la gorge elle tourne les talons pour aller vers la chambre. “Il est avec Tracy.” Si elle pleure Jill serait capable de ne plus jamais entrer dans cette chambre. “Et Bowie a eu du mal à respirer et il est un peu petit alors il est en couveuse.” Son souffle est court mais elle n’a pas envie de s’expliquer, elle n’a pas non plus envie de l’entendre dire que ce n’est pas de sa faute parce qu’elle est persuadée du contraire. Et elle se dirige vers la chambre pour voir tout le monde. Elle sourit Jill, elle essaie.

« T'es sûr qu'il y en avait pas un plus gros ? »
« Oui, mais il n'y avait pas des bretzels au chocolat ET au beurre d'arachides dedans. Blasphème. »

Il est immense le panier, il me cache en entier. Il faut que j'allonge la nuque vers la gauche pour attraper le regard rieur de Pete qui l'est autant que le mien. Ma soeur a accouché et les bébés vont bien et elle aussi et c'est tout ce qu'on doit savoir pour le moment, tout ce qui compte. Ça, et de gagner la course à l'hôpital pour y être avant Matt, pour déjà statuer à quel point on sera le meilleur duo de parrain et marraine que la Terre ait pu porter. « Rassure-moi au moins. Il n'y a rien de bon pour la santé là dedans ? » j'ignore comment j'y arrive, mais un bras garde le panier bien contre moi le temps qu'une main se libère pour afficher une feuille barbouillée recto verso sous ses yeux. « J'ai doublecheck avec la liste, t'inquiète pas mon gars on est sur le podium là. » la liste, celle qu'on a faite en occupant nos nerfs au mieux de nos capacités. Le temps de ne pas penser à l'accouchement et le temps de s'assurer que dans notre cadeau, y'aurait tout, absolument tout ce qu'elle aura envie de dévorer en une seule bouchée.

Le trajet vers l'hôpital semble passer aussi vite que lentement. Pourtant, lorsqu'on tourne le coin du couloir et que c'est Jill que je vois tout au bout c'est une course qu'on improvise en rigolant, pour finir par aboutir à ses côtés. Elle, elle ne rigole pas. « J'suppose que c'est lui le tiens. Aussi affreux que sa mère » Pete est tout en douceur quand il s'approche d'elle, ses mots piquent à peine. Mon sourire tente de faire de même, quand ma seule et unique envie est de les laisser un peu dans leur bulle, m'assurer que leur cocon l'aide à se remettre un peu plus doucement sur pieds. Mes lèvres embrassent la tempe de mon aînée, chuchotent au creux de son oreille un « Je t'aime. C'est lui l'affreux. » que Mulligan entendra fort probablement - c'est fait exprès. La langue que je lui tire, et les quelques pas que je fais pour m'éloigner d'eux. Je viendrai retrouver Jill en temps en lieux, quand elle aura besoin. En attendant, mes pas font le trajet inverse, traînent avec eux l'immense panier-cadeau alors que mes prunelles dédiées cherchent le numéro de la chambre où Bailey doit être resté.

Le bruit de la porte qui claque derrière Jill résonne en boomerang dans un coin de ma tête alors que Tracy se met à pleurer bien plus fort. Elle est partie. Sans même nous adresser un regard, elle a traversé la chambre et elle est partie. Voir Bowie, c’est certains, mais le sentiment qui traîne derrière tout cela me transperce la poitrine. Elle n’a pas voulu que je l’approche et c’est peut-être ce qui fait le plus mal dans le fond. Tout tourne à vive allure dans mon esprit alors que je garde ma fille blottie contre moi et commence à faire les cent pas dans la petite chambre de la maternité. Elle est épuisée, Jill. Elle n’a pas encore eu le temps de se remettre de ses émotions. C’est tout… J’essaye de m’en convaincre alors que les pleurs de Tracy redoublent d’intensité et que je me sens légèrement paniquer. « C’est rien bébé… Maman va revenir. » Je caresse son petit dos, viens poser mes lèvres contre sa tempe comme Ginny me l’a conseillé. J’inspire et expire lentement. Ce n’est pas le moment de paniquer. Pas quand Bowie est encore sous surveillance. Pas quand Jill est en train de se rendre coupable de ce qui lui est arriver, alors qu’elle a fait de son mieux, alors qu’elle les a mis au monde avec force. Je dois lui laisser le temps. C’est ça, elle a simplement besoin de temps. Je hoche la tête comme pour m’auto convaincre, tout en continuant de bercer Tracy qui ne cesse de pleurer. Okay, elle a eu son biberon il y a peu, ça ne doit pas être ça. Peut-être la couche ? Ou c’est simplement sa maman qu’elle cherche. Je ne sais plus. Je crois que je me panique tout seul à force de l’entendre pleurer sans savoir quoi faire. La porte de la chambre s’ouvre et je me précipite dans le petit couloir. « Jill... » Ce n’est pas Jill, mais sa sœur, qui tient un panier énorme entre les mains. J’aurais voulu lui sourire, mais le cœur n’y est pas. Tracy pleure encore et j’ai le cœur qui panique. « Eh… Eh Tracy regarde… C’est tata Ginny. » Et mon regard angoissé croise celui de la brunette.

Il pense que c'est Jill et la voix qu'il utilise pour la saluer me brise le coeur. Pourtant, je ne montre absolument rien, posant l'immensité qui m'a fait perdre le ballant quinze fois et quinze autres sur la première table à portée. La chambre sent les produits nettoyants et l'antiseptique, c'est donc vers la fenêtre que je file le plus doucement du monde, ne manquant pas de lui sourire au passage. Les rideaux que je tire avec délicatesse, les carreaux que j'ouvre rien que pour laisser entrer la brise australienne un peu plus fraîche qu'à l'habitude, elle qui s'immisce dans la chambre, elle qui chasse les mauvaises ondes.

« Eh… Eh Tracy regarde… C’est tata Ginny. » mon sourire passe du visage de Bailey que je tente de lire sans jamais être ingrate au point de lui demander comment il va, pour finir par dériver vers le petit être qui semble apparemment avoir décidé que la crise était levée, et la tempête avec. « Elle fait ses vocalises. » que je murmure, tentant d'en rire un peu, de soulager les troupes de mon humour douteux. N'en reste que je suis émue pour lui, pour elle, pour eux. Même si Jill m'a fait peur tout à l'heure, même si elle a l'air si prête à casser entre nos doigts. C'est la plus belle des merveilles sur laquelle je reporte mon attention quand je sais que dehors, Pete fait tout ce qu'il peut pour que mon aînée aille mieux.

Elle a le visage rougi et les larmes noient ses joues, elle a fermé ses minuscules poings l'un sur l'autre, elle est secouée de soubresauts qui annonce dans un hurlement suivi d'un autre que c'est la fin du monde tant elle crache tout ce qui se trouve dans ses poumons. « Je peux? » que je demande, redressant mes prunelles vers un Bailey qui est bien plus paniqué qu'il ne le devrait. Juste la prendre deux secondes, juste la glisser contre ses bras dès qu'il le voudra, juste rassurer un peu tout le monde. Juste un peu.

Le petit-être contre mon torse hurle à plein poumons comme si le monde allait oublier sa présence. Une main sous ses fesses, l’autre derrière sa nuque, je tente tant bien que mal de bercer ma fille. De grosses larmes coulent sur ses joues et je pourrais être sur le point de me retrouver dans le même état si la porte ne c’était pas ouverte sur une Ginny toute souriante, les bras chargés de présent. En quelques secondes, elle se retrouve à mes côtés, la benjamine McGrath souffle un vent de fraîcheur dans la pièce. Le calme qui résonne au creux de la tempête. « Elle fait ses vocalises. » Un rire nerveux m’échappe alors que mon regard tombe sur ma fille. Ses petits poings serrés si fort ses joues rougies par l’effort. « Elle sait se faire entendre. » que je plaisante un brin alors qu’au plus profond, c’est la panique qui l’emporte. Mon corps ne cesse de se balancer sur lui-même, malgré l’inefficacité sur la crise qui semble terrasser le petit bébé. Elle hoquette dans ses sanglots et mon cœur de papa se serre. Je ne me souvenais plus de tout ça. Le souvenir d’un Noah si petit, si fragile, semble si flou dans ma mémoire. « Je peux ? » Je relève la tête pour croiser le regard de Ginny. Ses prunelles noisette qui cherchent tant à apaiser les miennes. Lentement, je hoche la tête. Dans une danse bancale, un brin hésitant, je finis par trouver la position idéale afin de lui passer Tracy qui pleure encore. Jusqu’à ce qu’elle se retrouve blotti dans les bras de sa tante. Un long moment d’hésitation, un dernier cri pour l’effet dramatique. Et soudainement plus que des petits sanglots témoin du gros chagrin qui viens de la terrasser. « Ginny, je te présente ta nièce, Tracy. » Ma fille. Et le dire me paraît encore si surréaliste.

Je ne demande pas pourquoi Bowie n'est pas là lui aussi. Je ne demande pas depuis quand elle peut bien pleurer, Tracy, ni pourquoi les yeux de Bailey sont recouverts d'un voile que j'ai toujours éternellement détesté du plus loin que je me souvienne. Voile qui appartenait à des démons bien précis qui lui ont fait énormément de mal par le passé. À la place, je me raccroche à ce que je peux, faisant une blague qui n'en a que le nom rien que pour m'assurer que l'ambiance est allégée un moindrement. Ça ne fonctionne pas du tout, la brise étant le seul bruit s'assurant de casser le silence entrecoupé des cris d'une petite boule d'amour qui commence à peine sa vie.

« Elle sait se faire entendre. » Bailey en ajoute un peu, à l'orée de ses forces. Il est épuisé et j'aurais seulement envie de lui dire de se coucher, de dormir autant qu'il en a besoin. Je voudrais lui conseiller de reprendre des forces et de me laisser tout gérer, je voudrais être celle sur qui lui comme ma soeur s'appuient dans un moment qui semble tellement les dépasser. Mais jamais je ne m'imposerai plus qu'aux endroits où ils me l'autorisent ; en l'occurence, à prendre leur fille qui semble actuellement secouée de tellement de soubresauts que la voir se fâcher ainsi me brise le coeur plus que de raison. « Ginny, je te présente ta nièce, Tracy. »

Il passe son petit corps bouillant d'une colère naissante de son torse au mien. À la seconde où je la sais confortablement installée, c'est contre sa tempe que je laisse mes lèvres dériver, lui chuchotant monts et merveilles à l'oreille qu'elle seule peut entendre. Je lui raconte des histoires, je lui invente des rêves, je lui murmure des secrets, lui décris un monde de couleurs et de paillettes qui ne lui appartient qu'à elle, à elle seule. « Elle est parfaite. » que je finirai par souffler, quand elle semble doucement se calmer. Je n'ai fait aucun miracle et elle risque bien vite de reprendre la cadence, n'en reste que si je peux aider le moindrement, c'est ici et nulle part ailleurs que je serai. Quand mes yeux se relèvent pour attraper ceux rougis et fatigués de Bailey, c'est ce que j'espère aussi bien lui confirmer.

Personne me dit foutument rien dans cette famille et aujourd'hui fait totalement exception à la règle quand je suis mis au courant (EN MÊME TEMPS GUYS) que tout le monde de la naissance des jumeaux.

Les tasses rebondissent au fond de l'évier, c'est tournée de shots en début de matinée pour tous. Les clients se posent même pas de questions, tout ce beau monde qui est en train de commander son petit café extra lait d'avoine avant d'aller bosser. La tequila, la préférée de Jill, que la totalité des clients, Dek, Scar et moi on s'enfile, avant que je réalise qu'il faut que je me tire d'ici et que j'aille à l'hôpital. Que j'arrive avant Gin et Pete aussi, accessoirement. La guerre du meilleur duo parrain/marraine est lancée et fuck me, ils y sont déjà, ils ont gagné.

Pete est avec Jill devant la couveuse, je vois Ginny s'engouffrer elle et sa cargaison de cadeaux faisant quinze fois son poids et tout autant sa hauteur dans la chambre avec Bailey. C'est tout naturellement que mes pas me pointent jusqu'aux côtés de la maman du jour. Elle a l'air épuisée et même si je me répète mentalement une infinité de fois que c'est normal, quand mon bras passe autour de ses épaules et que mes lèvres se perdent sur sa tempe, c'est Matt le grand frère suffocant que je personnifie à merveille.  « Je m'excuserai même pas pour l'haleine de tequila. » que je pouffe, contre sa peau poisseuse et ses cheveux qui le sont encore plus. « Sur 10, à quel point ça faisait plus ou moins mal que la fois où t'as fait la bombe dans la piscine? » la bombe d'ailleurs, celle qui lui avait valu une lèvre fendue et une quasi-commotion du temps où on était jeunes et cons, du temps où sauter du toit pour plonger dans la piscine familiale était une excellente idée.

« Je veux bien te croire. J’ai sûrement un visage pâle et tout fripé. »
« Je t'aime. C'est lui l'affreux »
« Qui ça ? Matt ? »

Et t'es probablement le seul à qui un sourire apparaît sur les lèvres. Pourquoi elle sourit pas Jill ? Pourquoi personne sourit ? Ces pas sensé être un évènement heureux une naissance ? C'est faux alors toute ces filles qui racontent que c'est le plus beau jour de leur vie et blablabla. Elle a pas l'air au courant Jill, si vraiment, c'est le plus beau jour de sa vie. « Il est avec Tracy. Et Bowie a eu du mal à respirer et il est un peu petit alors il est en couveuse. » On aurait dit une morte vivante. Aucune émotion ne traverse ses paroles. Tes sourcils se froncent. Ginny n'est même pas là pour te sauver, elle qui a déjà partie dans la chambre. L'ambiance est aussi lourde là dedans ? Que quelqu'un te le dise que tu repasses juste dans quelques jours quand tout le monde se souviendra qu'ils sont sensés être heureux. « Tu sais que t'es creepy à espionner les bébés des autres ? » Pas parce qu'elle a une tronche d'une fille qui a envie de se coller une balle que tu vas être doux avec elle. « Pourquoi t'es pas contente ? » Bah voilà. C'est directe, mais tu je saura jamais la réponse, puisque Matt arrive en bon deuxième. Deuxième et dernier looser.

« Je m'excuserai même pas pour l'haleine de tequila. »
« T'en as ramené ? »

Tourné téquila. Ça, ça détendrait l'atmosphère de merde. Ça lui ramenerai peut-être son sourire à Jill, ou pas. La présence de Matt ne semble pas plus aider à son morale. Vous marchez tous les trois vers la chambre, probablement celle où les pleurs strident laisse croire qu'un sacrifice humain est en train de se produire. Wow. Impressionnant. Dès que tu passes la cadre de la porte, c'est une Ginny qui prend le bébé dans ses bras que tu apperçois et des pleurs qui cessent presque immédiatement. « T'as pas perdu le tour hen. » Tu t'approches de Ginny, histoire de venir mieux voir le petit être minuscule qu'elle tiens dans ses bras. Elle est magnifique. Parfaite. « Félicitation. » que tu dis en tendant la main vers Bailey. Et ouaip, il fait aussi peur qu'elle.

Elle ne regarde pas ses enfants, elle en regarde d’autres. Elle sait que Tracy est en train de hurler dans la chambre et elle ne veut pas l’entendre, elle ne peut pas le supporter. Elle a l’impression que tout résonne bien trop fort dans sa tête. Tout ça amplifie les voix et les bruits dans sa tête. Ca ne fait qu’une journée, même pas encore 24 heures qu’ils sont venus au monde. Elle laisse sa soeur poser un baiser sur sa tempe et elle soupire en laissant ses yeux dans le vide. Elle ne croisera pas le regard de Pete, il la connait trop. Il saurait. Et c’est pas le moment que ça arrive. “Toi t’es creepy tout le temps et je dis rien.” Son ton est monotone. Elle répond plus par habitude que par envie. Elle évite son regard et se concentre sur le couloir qu’elle va devoir prendre pour retourner dans sa chambre. “Je suis contente.” Tais toi Pete, ferme la.

Matt arrive et elle se rend compte qu’elle n’avait envie de voir personne. Elle aurait dû partir, se barrer loin sans jamais revenir. Elle aurait pu se faire passer pour morte, partir à l’autre bout du monde sans jamais se retourner. Faire comme si elle n’avait jamais eu de famille ou d’ami, elle aurait dû prendre cette décision, parce que ça aurait été la meilleure pour tout le monde. “J’aurais englouti la bouteille.” Elle va lutter pour ne pas replonger aussi vite, elle n’a pas le droit de retourner sur cette pente là. Sans grande conviction elle avance avec les garçons et elle écoute Matt. “C’était le plus beau jour de ma vie à côté de ça.” Son ton ne change pas, et elle se retrouve à grimacer devant la porte, à chercher les issus possibles alors que Tracy hurle jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans les bras de Ginny. Elle est parfaite Ginny, comme toujours. C’est pour ça que Jill préfère rester contre l’encadrement de la porte. Comme si elle pouvait observer toute cette scène sans avoir le droit d’y participer.

J’ai l’air d’un branquignol tant je ne sais pas m’y prendre avec ma fille, tant je semble galérer juste en la portant contre moi. Elle me le fait savoir Tracy, elle partage même sa colère avec sa tante, alors que Ginny la prend à son tour. Mon regard se pose sur la brunette, elle qui sera bientôt de nouveau mère. Elle sait exactement comment placer ses bras, comment accueillir Tracy tout contre elle, comment parsemer sa peau de petits baiser apaisant. « Elle est parfaite. » Elle l’est réellement lorsqu’enfin, elle s’apaise et semble se fondre dans les bras de sa tante. Un sourire se dessine sur mes lèvres tant, le soulagement est présent. Tout va un peu mieux, même si la culpabilité de ne pas avoir été capable de la calmer, revient sans cesse telle un refrain en boucle. Je secoue la tête, relève les yeux pour croiser le regard de Ginny. « Tu as vu Bowie ? » Son filleul, petit bonhomme déjà si courageux et qui invraisemblablement me fait penser à Noah.

Pas le temps d’en dire plus que le reste de la famille s’invite dans la petite chambre. Pete entre en premier et fonds directement sur sa filleule, un sourire niais pendu aux lèvres. Matt n’est pas loin derrière en compagnie de Jill. Je les observe tour à tour et réalise que nous avions probablement pris la meilleure des décisions concernant leur rôle dans la vie de nos enfants. Ils seront parfaits, je n’en doute pas une seconde. « Félicitation. » Je serre la main qu’il me tend après un temps de réaction bien trop long. « Merci. » Et voilà qu’il retourne s’extasier auprès de Tracy qui semble adorer avoir toute l’attention sur elle, la petite chipie.

Mon regard croise alors celui de Jill. Elle est en retrait bien loin dans l’embrasure de la porte. Je la rejoins doucement, laissant la famille découvrir notre enfant. « Comment il va ? » Bowie. Elle est allée le voir pendant de longues minutes, peut être a-t-elle un peu de nouvelles ? Et déjà j’entends les deux parrains qui complote pour commencer les bêtises. « Du coup, Matt… Comme on t’a promu parrain tout ça… » Vous la sentez venir la négociation ? « On a le droit à des cafés gratuits tous les jours maintenant ? » que je taquine un peu. « Pour palier le manque de sommeil, tout ça, tout ça. » Je préfère plaisanter. Je ne laisserai pas entrevoir les failles. Aujourd’hui, tout ira bien.