Il n'aurait raté l'heure pour rien au monde. Ce soir, rien n'aurait pu l'empêcher de rouler jusqu'à Toowong pour aller récupérer Ava à la sortie de son cours de danse, et la seule idée de passer un peu de cette soirée avec elle suffisait à compenser l'énergie qu'il avait déployé pour se faire remplacer au stand en l'absence de Billy. Ces choses-là n'avaient jamais paru aussi dérisoires que depuis que sa fille était entrée dans sa vie, et depuis cette urgence qui les avait empêché de passer une journée tous les deux il s'était promis de ne plus faire passer son boulot avant elle. Ça n'était pas tous les jours facile quand comme lui on cumulait deux boulots et tentait de renouer avec ses passions, mais ces sacrifices-là en auraient valu la peine lorsqu'Ava et lui auraient pu nouer une vraie relation tous les deux. Ils avaient plusieurs années à rattraper et Dimitri ne voulait plus perdre une seconde pour être le père qu'elle méritait d'avoir. Heureusement, les choses se passaient plutôt bien entre Tamsin et lui lorsqu'ils discutaient de ce qu'il y avait de mieux pour leur fille et que son ex petite-amie consentait à lui laisser passer plus de temps avec Ava. Seulement il n'avait fallu qu'une seule soirée pour que les choses se compliquent et pour que Tamsin et lui passent une nuit ensemble, ce qui il le savait pourrait fragiliser l'équipe encore instable que son ex et lui tentaient de trouver pour leur fille. Dimitri n'arrivait pas à s'enlever cette soirée de la tête, et depuis chacune de ses interactions avec la mère d'Ava était teintée d'une gêne qu'il s'en voulait de ressentir. Parce qu'ils étaient deux adultes, qui s'étaient aimés et s'étaient fait le plus beau des cadeaux en ayant ensemble une petite fille qui aujourd'hui était proche d'avoir autour d'elle une vraie famille, peu importe qu'elle ne soit pas parfaite. Alors il ne devrait probablement pas se sentir coupable, ou faible, d'être retombé dans les bras de la femme qui l'avait rendu le plus heureux mais aussi fait le plus souffrir. Et pourtant, pas un jour ne passait sans qu'il ne craigne que cette soirée interfère dans ce que Tamsin et lui tentaient de construire chacun de leur coté pour le bonheur d'Ava. Et puis il y avait cette enfant pour qui cette situation devait déjà être perturbante et qui apprenait encore à lui faire une place dans sa vie. Des moments à l'image de ceux qu'ils partageraient ce soir il y en aurait beaucoup, mais il n'oubliait pas que c'est chez sa mère, malgré tout, qu'à la fin de la soirée elle retournerait.
Garé à quelques mètres de l'entrée du Centre où Ava venait prendre ses cours de danse plusieurs fois par semaine, Dimitri en franchit les portes et se laissa guider avec d'autres parents venus assister aux dernières minutes de la classe. Seulement, l'une de ces silhouettes attira bientôt son regard et lui valut d'afficher une expression un brin surprise. « Tamsin ? » Il souffla d'une voix légèrement soucieuse, une fois à hauteur de la brune, dont il avait aussitôt reconnu le dos et la façon dont sa longue chevelure tombait en cascade sur ses épaules. Une image qui l'aurait probablement attendri dans d'autres circonstances, et alors que les moments où Tamsin, Ava et lui étaient réunis tous les trois hors du domicile de la jeune femme étaient encore plutôt rares. « Qu'est-ce que tu fais là, il s'est passé quelque chose ? » C'est la première idée qui germa dans son esprit, parce qu'il savait que Tamsin aurait été la première personne que le Centre aurait appelée si Ava s'était blessée. Et ça pourrait expliquer qu'elle se trouve ici, ce soir, alors qu'ils avaient convenu depuis plusieurs jours que c'était lui qui irait chercher la fillette à la sortie de son cours ce jour-là. Parce que ça leur permettrait de partager des moments père-fille et permettrait à Dimitri de s'imprégner de la passion de sa fille pour la danse. Une passion qui ne l'étonnait pas et qu'elle tenait de sa mère, à qui ses origines argentines avaient toujours conféré une grâce particulière. Il avait toujours aimé l'observer danser, c'était l'un de ces moments dont il aimait se rappeler quand il repensait à ce que leur relation avait eu d'authentique et de passionnelle. « On n'avait pas dit que le jeudi, c'était moi qui passait chercher Ava à son cours de danse ? Je l'aurais déposée chez toi juste après dîner, t'as pas à t'en faire. » Il préféra la rassurer sur ce point, au cas où une partie d'elle aurait craint qu'il cherche à passer plus de temps que prévu avec Ava. Ce n'était pas son genre de faire ce genre de choses dans le dos de son ex, peu importe qu'il ait envie de se rapprocher de sa fille et vive mal de ne pas l'avoir au quotidien auprès de lui. Il voulait le bonheur d'Ava et n'irait jamais faire quoi que ce soit qui risquerait de compliquer les choses. Tamsin savait combien il lui était reconnaissant de lui laisser prendre peu à peu la place qui lui revenait dans la vie de sa fille, que ça n'effacerait pas ces années d'ignorance qui lui avaient coûté des moments précieux avec elle, mais que ça lui donnait profondément envie de faire des efforts de son coté pour que tout se passe au mieux. Le silence se réinstalla un court instant autour d'eux et il lui fallu finalement plus d'une minute pour que le déclic se fasse et pour qu'il réalise que c'était peut être bien lui qui n'était pas là où il devrait être. « Merde... On n'est pas jeudi, c'est ça ? » Et le seul fait qu'il ait pu faire erreur en disait long sur le niveau de fatigue qu'il expérimentait depuis plusieurs semaines. Dimitri n'était pourtant pas le genre à intervertir les jours, encore moins quand il était question d'Ava pour qui il tâchait depuis le départ d'être concerné, disponible et irréprochable. Seulement il voulait en faire beaucoup et ça avait aussi ses conséquences. Et ce soir, la confusion qu'il éprouvait ne faisait que grandir face à son incapacité à croiser le regard de Tamsin sans perdre ses moyens.
Il reste quinze minutes de cours de danse à Ava. Discrètement, tu viens te placer dans l’embrasure de la porte du studio restée ouverte. Tu n’es pas la seule à faire ça, d’autres parents viennent aussi profiter du spectacle à la dérobée. La musique classique raisonne dans le couloir et l’air un peu gauche des fillettes enchaînant les pirouettes t’arrache un sourire. Toi aussi tu aimais déjà danser à l’âge d’Ava, tu fréquentais également cette école de danse qui a étrangement peu changée depuis le temps. Cela fait maintenant longtemps que tu n’as pas dansé. La dernière fois remonte probablement à ton dernier voyage en Argentine il y a presque six où tu as dansé des tangos avec tous les hommes de ta famille. Lorsqu’Ava t’aperçoit, tu lui envoies un clin d’œil et un sourire complice pour l’encourager. Cette enfant, c’est ta merveille et dans ton cœur, ce sera toujours elle et toi contre le monde. Tu es perdue dans tes pensées et tu ne fais pas attention aux personnes qui arrivent derrière toi. Ton regard est fixé sur Ava et tu sursautes violemment quand une voix s’élève à côté de ton oreille. Tu portes une main à ton cœur et l’autre à ta bouche quand tu croises le regard de Dimitri. « Tu m’as fait peur ! Salut Dimitri... » Tu souffles pour reprendre tes esprits alors que ton ex continue à parler d’une voix anxieuse. Tu fronces les sourcils ne comprenant pas où il veut en venir. Pourquoi quelque chose se serait-il passé ? Votre fille est seulement à son cours de danse habituel et tout va bien. Tu restes un instant perplexe. « Non, il n’y a rien. Tout va bien. Ava termine son cours et on va probablement aller prendre un goûter puis rentrer à la maison. Qu’est-ce que tu fais là ? » Tu ne vois pas ce qui pourrait expliquer la présence de Dimitri étant donné qu’il n’est pas dans ses habitudes de s’imposer et bien que cela lui pèse, il ne débarque pas lorsque tu ne l’attends pas. Les choses ne sont pas simples entre vous depuis ton retour à Brisbane, l’équilibre est difficile à trouver entre le choc des révélations, la gêne et le début d’une nouvelle vie. Vous ne vous en sortiez pas trop mal jusqu’il y a quelques semaines. Mais il a fallu que tout dérape. Le souvenir de la nuit passée avec Dimitri te frappe de plein fouet. Tu ne saurais même pas expliquer pourquoi cela a eu lieu. Tu sais que c’était une mauvaise idée, mais c’est comme si vos cœurs l’avez emporté sur vos raisons. C’était comme une vieille habitude qui revient au galop. Et t’as passé un bon moment, jusqu’à ce que tu reviennes sur terre et que tu réalises que désormais tu ne sais plus quoi penser de ta relation avec Dimitri. Un avenir commun serait-il encore possible ? Pour vous ? Pour Ava ? T’as aucune idée de ce que ce moment d’intimité signifie pour lui. Si ta vie sentimentale est quasiment au point mort depuis plus de quatre ans, qu’en est-il de la sienne ? Veux-tu seulement reprendre ton histoire avec Dimitri ? Cela ne serait-il pas voué à l’échec ?
Dimitri finit par répondre à ta question et tu sens tes sourcils se froncer de plus en plus. Tu ne t’es jamais inquiétée du fait que Dimitri ramène Ava chez toi après l’avoir récupéré. Tu lui fais largement confiance sur ce point. Il ne serait jamais le genre de père a enlever son enfant. « Si, si on avait dit que le jeudi c’était toi qui la récupérais et qu’elle mangeait avec toi… » Tu te sens tellement gênée face à lui désormais que tu n’arrives toujours pas à comprendre ce qui cloche, ni pourquoi Dimitri te parle de cela un mercredi soir. Les autres parents regardent toujours leur enfant danser et vous vous faites face comme deux idiots paumés. Finalement cela semble le frapper et tu retiens un sourire. Tu ne sais pas si tu peux te moquer pour écarter la gêne. Tu finis par secouer la tête de gauche à droite en retenant difficilement un sourire. « On est mercredi » finis-tu par affirmer. Pour sa défense, Ava à ses cours de danse deux jours d’affilé, le mercredi pour la danse classique et le jeudi pour le contemporaine. Dimitri ne s’est guère trompé. Inverser deux jours de la semaine, cela arrive à tout le monde n’est-ce pas ? Tu sais qu’il a un emploi du temps hyper chargé et qu’il s’arrange toujours pour se libérer quand c’est à son tour de s’occuper d’Ava. Tu t’en voudrais de lui dire de rentrer chez lui parce que ce n’est pas son tour de récupérer votre fille. « Ça ne fait rien, reste. Le cours touche à sa fin, Ava sera contente de te voir. » Tu reportes rapidement ton regard vers l’intérieur de la salle de danse gênée de passer encore plusieurs minutes à attendre à côté de ton ex sans savoir quoi dire ni quoi faire.
Ava ne quitterait pas son cours avant plusieurs minutes, mais Dimitri espérait secrètement surprendre les derniers instants de sa classe de danse et apercevoir sa fille s'adonner à sa passion. C'était le plus beau spectacle qu'il lui serait donné de voir, parce que pour lui tout était encore récent et que récupérer sa fille à la sortie de son cours, c'était endosser pour de bon son rôle de père. Il se rappelait du moment où Tamsin lui avait tendu cette photo d'Ava, et du flot de questions qui avait déferlé dans son esprit comme une vague balayant tout sur son chemin. C'était important pour lui d'apprendre à connaître sa fille, et pour ça Tamsin avait été d'une aide précieuse. Il n'y avait pas une seule question à laquelle elle ait rechigné à répondre, pas un seul pan de sa curiosité qu'elle n'ait pas apaisé. Elle l'avait renseigné sur les goûts de leur fille, sur ce qui savait faire naître un sourire sur son visage, et sur ces trois années où elle avait grandi loin de lui. Peut être au départ par culpabilité, mais aussi parce que Tamsin aimait Ava et aspirait à lui offrir cet équilibre qu'ils tentaient tous les deux de trouver depuis son retour. Il savait combien il lui était encore difficile de la lui confier, qu'il n'y a pas si longtemps personne ne s'était encore jamais infiltré dans la bulle que son ex avait construit tout autour de sa fille et elle. Et il comprenait, malgré la souffrance par laquelle il était passé, qu'il faudrait un moment avant que Tamsin ne parvienne à lui laisser leur fille sans éprouver de pincement au cœur. Aujourd'hui, il aspirait juste à jouer un vrai rôle dans la vie d'Ava, et c'est pour ça qu'il avait été soulagé lorsqu'ils avaient convenu qu'il passerait la chercher au studio de danse chaque jeudi soir. Seulement, il fut pris d'un doute lorsqu'à peine arrivé ses yeux s'étaient posés sur la silhouette de Tamsin, qui parut tout aussi étonnée de tomber sur lui. « Excuse-moi, j'ai eu peur qu'il y ait eu un problème avec Ava. » Il s'entendit souffler, distraitement, au moment où les paroles de Tamsin renforcèrent son sentiment de confusion. Il posa sur elle un regard interloqué, pas certain de comprendre pourquoi la jeune femme lui annonçait si naturellement qu'elle comptait ramener leur fille chez elle quand c'était lui, qui devait passer la chercher. « Je suis venu pour la petite, je... t'as cherché à me joindre ? J'ai eu aucun message, et je fais toujours attention de pouvoir entendre mon téléphone même au boulot. » L'atmosphère était plus étrange, subitement, et Dimitri ne pouvait prétendre ignorer pourquoi. Outre son incompréhension, il y avait surtout une tension particulière entre Tamsin et lui depuis plusieurs semaines. Depuis cette nuit où ils s'étaient retrouvés, comme on rejouait une mélodie qu'on pensait oubliée jusqu'à ce qu'elle nous rattrape et s’immisce à nouveau au creux de nous. Il était incapable de mettre des mots précis sur ce qui s'était passé cette nuit-là, mais il pouvait sentir que tout était différent. L'embarras qu'il éprouvait en se tenant près d'elle, comme s'il craignait de replonger sitôt que ses souvenirs l'emporteraient à nouveau sur sa raison. La manière dont il pensait à elle, à eux, comme si le retour inopiné de la jeune femme et la présence d'Ava dans l'équation ne rendait pas déjà les choses complexes par essence. Il ne savait pas, ne savait plus, et n'osait plus chercher de réponses dans le regard troublant de la brune. Parce que la dernière fois, c'est peut être bien là qu'il avait défailli.
Ce soir, son trouble était si grand que l'aplomb avec lequel il aurait d'ordinaire cherché à éclaircir cette situation avait laissé place à son incapacité à tirer quoi que ce soit au clair sans éprouver la déroutante impression d'avoir perdu tout contrôle sur la situation. Si Tamsin était toujours d'accord pour qu'il passe récupérer leur fille, pourquoi avait-elle ressenti le besoin de se déplacer, sinon pour veiller à ce que tout se passe bien ? Était-elle là parce qu'elle doutait de lui, de sa capacité à faire passer Ava avant son boulot ? Était-ce juste son instinct de mère qui parlait ? Dimitri était compréhensif depuis le départ, mais l'idée qu'elle puisse encore peiner à lui faire confiance le blessait plus qu'il ne parvint à le montrer. Jusqu'à ce déclic. Ce moment où la honte se mêla à une forme de soulagement, lorsqu'il comprit que la méprise n'était due qu'à une erreur de date. Aussitôt, tout fit sens et les traits de son visage se détendirent dans une expression rieuse et embarrassée. « Bon sang, quel idiot. » Se tromper de jour, ça arrivait sûrement à plus d'un parent au cours de sa vie, mais c'était plus fort que lui, il aurait du faire plus attention et ne pas laisser cette agitation autour de son boulot déteindre sur sa capacité à garder la tête froide pour Ava, et pour Tamsin. « Je me suis emmêlé dans les jours, ça fait quelques nuits que je dors peu et qu'avec le boulot et le reste j'ai... » Il s’interrompit, secouant vivement la tête. « Je suis désolé Tamsin, j'ai aucune excuse. Ça se reproduira pas. » Ce n'était pas son genre de s'en chercher, pas son genre de mettre son erreur sur le coup d'un trop plein de stress, de l'hospitalisation de Billy ou du trouble qui l'habitait depuis que les choses étaient devenues si étranges entre Tamsin et lui. Il s'était juré d'assumer dès lors qu'Ava été entrée dans sa vie, peu importe les erreurs qu'il serait amené à commettre au début. La proposition de Tamsin, elle, résonna un instant autour d'eux tandis qu'il posa sur elle un regard indécis. « T'es sûre ? Je veux pas m'imposer, c'est votre moment à toutes les deux. » Dimitri reprit doucement, passant une main contre sa nuque alors que ses yeux vinrent se poser sur Ava. Son cœur fit mille bonds à l'intérieur de sa poitrine, et un sourire infiniment doux étira ses lèvres. C'était si précieux, d'être là et de la voir danser, rire, et faire ce qu'elle aimait. « Même si c'est vrai qu'on a pas tant d'occasions de passer du temps tous les trois... » C'était le cas au début, quand Tamsin veillait à ce que les choses se passent et que lui était plus rassuré de la savoir à coté. Aujourd'hui la dynamique changeait pour lui permettre de passer de vrais moments seul avec sa fille, et maintenant qu'ils étaient là, tous les deux, il ne pouvait s'empêcher de se demander si Ava, elle, était heureuse ainsi. « Tu crois qu'on s'y prend bien, nous deux ? Je veux dire... qu'on fait ce qu'il faut ? » Son regard aurait pu fuir le sien tant la situation était devenue complexe avec Tamsin et lui incapable de complètement donner le change, mais il s'adressait à la mère de sa fille avant de s'adresser à la femme qui il y a encore quelques années était toute sa vie.
L’arrivée de Dimitri te surprend, tu ne t’attendais pas à sa présence. Et sans que tu ne saches pourquoi ça t’angoisse de le voir à un moment qui n’était pas prévu. Tu as toujours été têtue et de ce trait de caractère découle sans doute une certaine aversion à ce que l’on modifie tes plans. Tu aimes avoir l’emprise sur tout ce que tu fais et ne jamais être surprise. Pour toi, ne pas être ferme est une faiblesse et tu ne veux laisser aucune place à ce genre de faiblesse. Depuis la naissance d’Ava, c’est une partie de ton caractère qui s’est accentué. Sans doute parce que c’est pour toi l’unique moyen de pouvoir protéger ta fille tout le temps. L’organisation c’est ton truc, tu peux passer deux heures chaque dimanche soir à organiser la semaine suivante dans les moindres détails, allant même jusqu’à planifier les repas, les goûters d’Ava, tes tenues au bijou près et même les films que tu vas regarder. C’est ta façon de te sentir à l’aise dans ta vie. Mais il y a bien un truc que tu n’avais pas prévu, c’est le désir que t’as pu ressentir il y a quelques temps pour Dimitri. Et ça te bouffe de ne pas être capable de déterminer si ce désir n’était qu’éphémère, comme pour clôturer cette relation qui était restée en suspens à la suite de tes décisions. Au fond de toi tu te demandes si ce désir n’était pas lié à une forme de conditionnement mental à propos de la famille parfaite dont tu as toujours eu le modèle chez toi. Et bien que tu essayes de repousser cette pensée le plus possible, tu ne peux pas t’empêcher de te demander s’il n’y a pas plus que ce désir, si derrière celui-ci ne se cache pas l’envie inconsciente de rebâtir quelque chose. Et ça te ronge car tu sais que peu importe la façon dont les choses évoluent, cela risque de faire du mal à Ava et à l’équilibre encore bancal que vous tentez d’établir à trois. Ça fait des années que tu fais passer ta fille avant ta vie de femme, peut-être que cela commence à te peser, même si tu ne l’avoueras jamais. Parfois la présence d’un homme dans ta vie te manque un peu, il t’arrive de te sentir seule. Puis tu relativises, tu as à peine le temps de faire tes courses, quand pourrais-tu bien trouver le moment d’ouvrir à nouveau ton cœur à l’amour. Finalement, tu t’habitues à vivre ainsi. Après tout, tant qu’Ava est heureuse, tu l’es aussi. Et pour toutes ces raisons, l’arrivée inattendue de Dimitri te perturbe au plus point.
Tu ne comprends pas ce qu’il se passe ce soir et ton cerveau tourne à plein régime pour trouver une explication tandis que tu ne sais pas comment te comporter. Dans le fond, l’inquiétude de Dimitri te touche, cela te prouve qu’il est un bon père pour Ava et qu’il prend ses nouvelles responsabilités très à cœur. Si tu n’étais pas tant perturbée, cela t’arracherait certain un sourire attendri. « Non, je ne t’ai pas appelé. Il n’y a rien. Enfin, pas que je ne t’aurais pas appelé si quelque chose s’était passé, mais… tout va bien. » Tu restes perplexe mais tu prends des pincettes pour ne pas froisser ton ex tant que tu n’es pas certaine de comprendre la situation. Et puis finalement, tout fait sens, le problème vient seulement d’une erreur de date. Tu souffles alors que la tension retombe un peu. Il a tout de même réussi à te refiler son stress infondé. Tu souris un peu moqueuse et tu reprends un air sérieux alors qu’il se confond en excuses. Tu te retiens de lever les yeux au ciel. Ça va, il n’y a rien de grave après tout. Tu sais qu’il travaille beaucoup pour pouvoir s’occuper d’Ava et tu ne lui en veux pas de s’être trompé. Tu te retiens de poser une main sur son bras pour le rassurer, il y a quelques semaines tu l’aurais sûrement fait, plus maintenant. « Ce n’est pas grave. » finis-tu par dire avant de lui proposer de rester un moment avec votre fille et toi. Avant même qu’il ne reprenne la parole, tu sais que la proposition le touche et qu’il crève d’envie de rester. Tu ne cesses de te répéter que c’est pour Ava avant d’afficher un nouveau sourire. « Si je t’invite, tu ne t’imposes pas. » Tu te retiens de dire qu’Ava et toi avez déjà eu beaucoup de moments en tête à tête. Des occasions de passer du temps tous les trois… c’est vrai qu’il n’y en a peu. Tu ne sais jamais comment agir dans les moments à trois. Tu es toujours partagée entre le fait de te mettre en retrait pour laisser Ava et Dimitri profiter du fait de se voir et toi-même profiter de leur bonheur. Et en même temps, tu as toujours envie de garder tes habitudes et t’occuper de tout. Dans ce nouveau trio tu as énormément de mal à trouver ta place et tu sais qu’il en est de même pour ton ex. « Oui, on a des emplois du temps un peu tendus… » réponds-tu les yeux dans le vague face à cette remarque. Tu reportes ton attention sur Ava et si tu te retournais tu fondrais sûrement en apercevant le regard plein d’amour que Dimitri lui lance. Tu finis par lever à nouveau ton visage vers ton ex quand il reprend la parole. Est-ce que vous vous y prenez bien ? Faites-vous ce qu’il faut ? T’en sais rien du tout. Est-ce que fréquenter les mêmes personnes sans vous concerter est une bonne chose ? Tu rejettes cette idée de ton esprit pour l’instant préférant aborder le sujet d’abord avec Jess avant de rajouter une gêne supplémentaire entre Dimitri et toi. Est-ce que vous arrivez à vous organiser suffisamment bien pour qu’Ava se sente à l’aise avec cette situation ? Tu aimes croire que oui mais tu as très peur de te tromper. Est-ce que vous faites bien de laisser planer la gêne entre vous en refusant d’évoquer ce qui s’est passé il y a quelques semaines ? Sûrement pas. « Je ne sais pas… » Tes mots sonnent comme un aveux douloureux, ça ne te plait pas de ne pas savoir quelque chose sur ta fille, de ne pas être sûre de ce qui est bien pour elle. Tu te rassures en te disant que cet équilibre étrange est toujours mieux pour Ava que de grandir sans père. « Je ne pensais que ce serait si difficile de trouver nos marques en revenant à Brisbane. » Tu plonges ton regard dans celui de Dimitri. « Chaque jour, j’ai peur qu’on ne fasse pas ce qu’il faut, que quelque chose soit mal pour Ava et en même temps, je ne sais pas comment faire mieux. Mais je crois qu’elle est heureuse. » Une nouvelle fois tes yeux trouvent le chemin d’Ava. « Elle a toujours été merveilleuse, mais je crois qu’elle l’est encore plus depuis qu’elle t’a rencontré. » Ça, c’est difficile à avouer pour toi, tu as du mal à te faire à l’idée que tu n’es plus la seule personne qui suffit au bonheur d’Ava. « Tu crois qu’on devrait faire les choses autrement ? Est-ce que tu crois… que nous ne sommes pas des bons parents pour Ava ? » Tu hésites, tu as toujours eu peur d’être une mauvaise mère. Ta voix trahit une pointe d’inquiétude, tu n’es pas certaine d’être prête pour de nouveaux changements.
Si Dimitri fut sur le coup incapable de contrôler la montée d'inquiétude qui s'était emparée de lui, c'est probablement parce que tout ça, au bout du compte, était encore nouveau pour lui. Avec Tamsin ils avaient pris dès le départ la décision d'avancer pas à pas, pour le bien-être d'Ava autant que pour se laisser le temps de trouver un équilibre qui faciliterait les choses, et quelques mois plus tôt il n'aurait sûrement même pas osé espérer se trouver ici, à observer sa fille danser et vivre ces moments d'insouciance. Il avait au lieu de ça appris à savourer le moindre petit moment passé avec sa fille, faisant taire cette partie de lui pour qui ça paraissait toujours trop peu. Il aurait sûrement pu se montrer impatient et invasif, simplement pour pouvoir prétendre au rôle qu'il aurait voulu jouer pour sa fille dès son premier souffle de vie... mais à quoi bon ? Qu'est-ce que ça leur aurait apporté, si ce n'est de se déchirer alors que Tamsin et lui avaient autant à cœur l'un que l'autre de faire le bonheur d'Ava ? Pourquoi aurait-il pris le risque de bouleverser tout ce qu'avait toujours connu sa fille, s'il pouvait faire en sorte de la protéger en gagnant peu à peu une place dans son cœur ? Il en avait peut être voulu à Tamsin, mais il s'était aussi senti infiniment reconnaissant lorsque ses yeux s'étaient posés pour la première fois sur le visage d'Ava. Elle était partie, mais elle n'avait pas choisi la facilité pour autant. Loin de là. Parce qu'élever leur fille seule, parce que prendre toutes les décisions qui la concernaient sans n'avoir pratiquement personne vers qui se tourner, ça avait du être incroyablement difficile. Et pourtant, le sourire accroché aux lèvres d'Ava en disant plus long que le reste : leur fille était heureuse et épanouie, et c'était bien tout ce qui lui importait. Et quelque part, cette confusion née dans son esprit résultait elle aussi de son envie de bien faire, pour Ava. Il n'aurait pas du se trouver là ce soir, mais cette méprise était inévitable dès qu'il avait cessé de compter ses heures pour être le père que sa fille méritait d'avoir. Il aurait aimé ne pas tomber dans le cliché du père dépassé par les événements, mais il savait aussi à quelle compréhension il aurait droit de la part de Tamsin. Parce qu'il savait qu'elle voyait ses efforts, autant que lui était conscient de ses sacrifices. « Ce soir ça l'est pas, mais si ça avait été à mon tour de la récupérer et que j'étais pas venu, tu sais que j'aurais pas pu me le pardonner. » Il soupira doucement, parce que dans son malheur il avait évité de rajouter une couche de culpabilité et de remords à tout ce qui s'entremêlait déjà dans son esprit depuis plusieurs mois. Dimitri secoua la tête, songeant qu'il ne laisserait jamais une telle erreur se reproduire. La proposition de Tamsin, elle, le désarçonna légèrement. Il n'était pas tant surpris qu'elle lui propose de rester que touché qu'en dépit de ce qu'il y avait d'étrange entre eux depuis l'autre soir, elle le fasse. « Dans ce cas, avec plaisir. Je me faisais une joie de la voir, moi aussi. » Ses traits se teintèrent d'une douceur inouïe, alors que ses yeux peinaient à se détacher de sa fille. « Merci. » Il reposa son regard sur Tamsin et parvint à étirer un sourire moins teinté de gêne que d'habitude, depuis l'autre soir. Il pouvait imaginer combien ça lui était difficile de savoir sur quel pied danser avec lui, parce que ça l'était pour lui aussi et qu'ils n'avaient sans doute pas besoin de ça quand leur situation était déjà compliquée. Alors ça comptait, beaucoup, qu'elle puisse mettre cette gêne de coté pour lui offrir quelques instants de plus avec sa fille. Et à trois, comme ça n'arrivait pas si souvent. « Justement, je... ça fait quelques mois que j'ai pris un deuxième boulot pour gagner plus d'argent. C'est que quelques heures par semaine, mais ça paie bien. J'ai hésité à t'en parler par peur que tu puisses penser que c'est du temps en moins que j'accorderai à Ava. » A vrai dire, il avait voulu le lui dire plusieurs fois, y compris cette nuit où le désir les avait fait retomber dans les bras l'un de l'autre sans qu'il ne se sente capable d'y résister. Et puis, il s'était demandé ce que Tamsin en penserait, ou si elle n'essaierait pas de le convaincre qu'il n'en avait pas besoin quand lui tenait absolument à pouvoir suivre, pour leur fille. « C'est rien d'illégal. » Il glissa comme une précision nécessaire, dans un sourire un peu crispé. Elle le connaissait, il n'avait pas toujours fait les bons choix mais aujourd'hui il y avait Ava. Et ça, ce n'était pas seulement à l'avocate chevronnée que Dimitri le confiait.
Finalement, tout ça soulevait plus de questions qu'il ne l'aurait cru, car tous les deux avaient beau faire de leur mieux en permanence, ça n'était jamais évident de savoir si ça suffisait à faire le bonheur de leur fille. Leur situation était particulière et depuis quelques temps le dialogue était même devenu difficile, entre Tamsin et lui. Ils parvenaient toujours à se dire les choses lorsque ça concernait Ava, réussissant à prendre les décisions qui s'imposaient en prenant en compte ce que l'autre en pensait. Mais c'était bien la seule chose qu'il leur soit possible d'évoquer sans que l'atmosphère devienne plus pesante et leurs regards plus fuyants. Comme si parler de leur relation, de ce qui s'était passé et de ce que ça pourrait bouleverser pour eux comme pour leur fille s'ils n'étaient pas capables d'éclaircir la situation, était tabou. Il pourrait lancer le sujet sans attendre, mais il y avait toujours cette crainte que Tamsin se dérobe et que cette soirée tourne court. « C'est normal de se sentir un peu perdue, ça va sûrement te demander encore un peu de temps avant que tu considères à nouveau Brisbane comme ton chez-toi. » Il souffla doucement, conscient de tout ce qui devait rendre ça encore plus déroutant, entre sa famille et les personnes qu'elle avait laissé derrière elle quelques années plus tôt. Tamsin avait toujours été forte et il n'y avait pas d'épreuve qu'il ne l'imagine pas capable de traverser, mais elle était humaine et sujette aux mêmes doutes que les autres. « Je sais pas si on fait tout ce qu'il faut, mais je sais qu'on fait de notre mieux. Et que ce serait déjà pas une situation facile pour n'importe quels parents, mais que malgré tout ce qui rend la notre encore plus particulière, notre fille est aimée et ne manque de rien. » Son regard retrouva celui de son ex. « Je crois aussi qu'elle est heureuse. » Et ça lui tira un sourire plus doux, parce qu'il se rappelait encore de la première fois qu'il s'était retrouvé face à Ava et qu'elle lui était apparue comme cette petite-fille souriante qui avait instantanément fait fondre son cœur. Dimitri se pinça les lèvres à la prochaine confession de Tamsin, sentant un léger poids presser l'intérieur de sa poitrine. « Mais c'est pas moi qui étais auprès d'elle durant les trois premières années de sa vie. C'est pas grâce à moi qu'aujourd'hui elle est éveillée, épanouie et pleine de vie. C'est toi qui as fait tout ça, Tamsin. C'est toi qui lui as donné les clés pour devenir la fillette adorable qu'elle est aujourd'hui. » Et ça aurait pu lui briser le cœur, si ça ne le rendait pas aussi heureux et fier qu'Ava soit une enfant aussi pétillante, telle que n'importe quel père rêverait d'en avoir. « J'aurais voulu y être pour quelque chose, et j'espère de tout cœur que je contribuerai à ce qu'elle deviendra ensuite... Mais si elle va si bien, c'est parce que t'as toujours été une excellente mère pour elle. » Et Tamsin savait qu'il le pensait, qu'après la souffrance qu'il avait pu éprouver à l'idée d'avoir manqué de précieux moments avec sa fille, ses mots n'en étaient que plus sincères. Une partie de lui avait toujours été convaincue que le moment venu, elle ferait une mère aimante, peu importe qu'ils n'aient pas eu le temps d'évoquer le sujet ensemble à l'époque. « Je sais pas, je... parfois, j'ai peur de me rendre compte un jour qu'il lui a manqué quelque chose et de le réaliser trop tard. Mais je sais aussi que son bien-être est toujours la première chose à laquelle on pense, toi et moi. » Quand ils pensaient, du moins. Alors peut être que ça n'était pas parfait, que cet équilibre était précaire et qu'ils n'arrangeaient rien en refusant de se parler, mais Dimitri avait envie de penser que tout le monde était dans cette histoire animé des meilleures intentions. « Tu crois que ça aurait continué, entre nous, si tu n'étais pas partie ? Ou tu crois... qu'on aurait été de ces couples qui se séparent après l'arrivée d'un enfant ? » Il demanda, le regard hésitant. Cette question-là, il se l'était posée lorsqu'il avait appris qu'il était père, et parce que des exemples de couples qui ne survivaient pas à leur rôle de parents, il en avait vu pas mal. Et probablement qu'ils n'auraient jamais la réponse.
Tu reprends tes esprits à la suite de l’intervention de Dimitri. Être des parents séparés demandent une sacrée organisation mais surtout une remarquable capacité d’adaptation à n’importe quelle situation. Et ça te fait encore bizarre de partager ton temps comme cela avec ton ex. Pendant quatre ans tu as pris de nombreuses habitudes qui n’incluaient personne d’autre que toi et Ava. Et même si la situation a beaucoup évolué depuis un an, ça te fait tout drôle de penser que tu n’es plus la seule à être au centre de la vie de ta fille. Comme à chaque fois que cette pensée te traverse l’esprit, tu ressens un petit pincement au cœur que tu tentes difficilement d’ignorer. Tu te concentres à nouveau sur la voix du brun qui déplore de s’être trompé de jour pour récupérer Ava. T’as voulu éviter de le culpabiliser plus que cela mais bien sûr, ton ex s’en charge lui-même. « Je voulais éviter de parler de cette option, mais oui, il vaut mieux que tu aies confondu les jours dans ce sens-là. » Tu sais que si Dimitri n’était pas venu chercher Ava, l’école de danse t’aurait téléphoné pour que tu viennes récupérer ta fille. Ç’aurait été compliqué mais pas dramatique. Tu lui en aurais voulu, mais tu lui aurais aussi pardonné. Parce que tu sais que Dimitri tente de faire de son mieux et que c’est encore difficile pour lui d’apprendre à être père. « Ne pense pas à ça, et mets un rappel sur ton téléphone la prochaine fois. » Tu gardes un sourire au bord des lèvres ne voulant pas le vexer. Et pour montrer que tu n’es pas fâché tu lui proposes de rester et de passer un peu de temps avec Ava et toi. C’est toujours étrange quand ton ex parle de passer du temps à trois. T’as l’impression que les autres parents séparés ne passent pas du temps ensemble pour faire plaisir à leurs enfants. Et puis, ce n’est pas comme si la situation était très claire entre Dimitri et toi en ce moment. Votre moment d’égarement trotte toujours dans ta tête et tu redoutes le moment où il faudra en parler, parce qu’il le faudra obligatoirement. Il ne peut pas y avoir une gêne éternelle entre vous. Tu te demandes bien ce qu’Ava pense du fait que ses parents se voient de temps à autre. Est-ce que c’est bon pour elle. Tu n’as pas prévu d’avoir quelqu’un de nouveau dans ta vie pour l’instant mais que se passerait-il si Dimitri rencontrait quelqu’un ? Toi ça te ferait sans doute bizarre après la nuit passée ensemble. Mais comment Ava réagirait ? Ça te fait peur de penser à ce genre de chose parce que tu refuses qu’Ava soit blessée. Tu préfères rejeter le fait que vous ne vous voyiez pas souvent tous ensemble sur vous emplois du temps chargés. A la suite de cette remarque, le brun t’apprend qu’il a pris un deuxième boulot. Tu pinces les lèvres, Dimitri et toi n’avait jamais eu le même train de vie mais ça ne t’a jamais importé. T’as seulement pas envie qu’il se tue à la tâche. Tu sais que tu ne le feras pas changer d’avis. Tu sais qu’il veut faire de son mieux pour s’occuper d’Ava et qu’il aime pouvoir lui offrir tout ce dont elle a besoin. Tu lèves les yeux au ciel à sa précision. Tu espères bien que ça n’a rien d’illégal. « Si tu penses que c’est le mieux, fais comme tu le sens. Ne t’épuise pas. » Comme une marque d’attention, d’inquiétude transperce dans ta voix, t’en as conscience. Tu ne veux pas avoir l’air envahissante alors tu reprends la parole. « C’est quoi ce boulot alors ? »
Après un temps de silence à observer Ava danser, la conversation reprend. Pour être honnête, tu n’aimes pas vraiment la tournure qu’elle prend. Tu n’aimes pas te poser des questions auxquelles tu n’as pas les réponses. Cela te stresse beaucoup trop. Ce genre de discussion te donne l’impression d’être une mauvaise mère. « Cela fait déjà un an. Et je ne veux pas mettre cette pression sur les épaules d’Ava. Enfin… je finirai bien par m’habituer. » Tu hausses les épaules. Même si ton ex n’est pas en mesure de t’affirmer que vous vous y prenez bien, il sait trouver les mots pour te rassurer un peu en répondant que vous faites de votre mieux. Et c’est déjà bien. Aucun parent n’est parfait mais ce qui compte c’est de tenter de l’être. Ça a toujours été ton truc d’essayer de t’approcher de la perfection et avec la maternité ça l’est encore plus. Tu te retiens de souffler quand il confirme que votre situation est encore plus particulière. Souvent te regrettes d’avoir gardé cette histoire pour toi pendant autant de temps. Au fond de toi, tu le sais, tu aurais dû apprendre l’existence d’Ava à Dimitri dès le début. Tu t’en veux de lui avoir volé quatre ans. Ça te rassure qu’il pense autant que toi qu’Ava est heureuse. Après tout, c’est votre objectif commun. Les compliments du brun te vont droit au cœur. Ça te rend fière qu’il pense que tu es une excellente mère. Tu finis par baisser la tête, une nouvelle fois honteuse de ne pas l’avoir laissé participer plus tôt au développement d’Ava. « Merci Dimitri. Pour tes mots. Et pour nous avoir acceptées Ava et moi dans ta vie d’aujourd’hui. » S’il n’y avait pas eu cette gêne constante entre Dimitri et toi, tu l’aurais sans doute serré dans tes bras mais tu préfères fixer tes chaussures, un léger sourire accroché au coin de ta bouche. Tu hoches la tête de bas en haut pour confirmer que le bien-être de votre fille est au cœur de vos quotidiens.
Aux nouvelles questions de Dimitri, tu relèves lentement la tête. Si son regard est hésitant, le tien est douloureux. Ces questions-là, tu te les poses depuis le tout premier jour. Tu te les posais alors que tu étais assise sur le carrelage froid de votre salle de bain, ce test de grossesse à la main. Tu te les posais alors que tu conduisais hors de Brisbane les larmes aux yeux. Tu te les posais encore lors de ton installation à Melbourne et quand ta sœur est venue pour ton accouchement. Tu te les poses à chaque fois que tu retrouves les traits de Dimitri en fixant le visage d’Ava. Et à chaque fois tu essayes de te persuader que tu avais raison de penser que votre couple ne tiendrait pas. Et pourtant, tu n’en es plus si sûre depuis que tu vois les efforts de ton ex. « Je n’en sais rien. On n’était pas prêts, on n’avait rien prévu de tout cela. Peut-être qu’on aurait assumé. Ou peut-être qu’on se serait déchirés jusqu’à ce que plus rien ne soit possible. » Et si vous ne vous étiez pas sentis capables d’avoir un enfant et que tu avais avorté ? De ton côté tu avais sérieusement envisagé l’idée, qu’en aurait-il pensé ? « Ecoute, il faut que tu saches que j’ai toujours voulu revenir, mais que j’ai eu peur de le faire plus tôt. Je ne pourrais jamais changer ces dernières années, et j’en suis désolée. » Tu as appris à vivre avec cette culpabilité. « Tu aurais accepté ma grossesse il y a cinq ans ? Tu penses que tu aurais été prêt à assumer tout ça ? » finis-tu par demander une pointe d’inquiétude dans la voix. « Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. » Les parents sont plus nombreux à attendre leurs enfants mais ça t’est égal, tu attends la réponse de Dimitri sans le quitter des yeux.
Cette angoisse de mal faire, de commettre une erreur qui tôt ou tard finirait par se répercuter sur sa fille, Dimitri la ressentait constamment. Il savait que Tamsin voyait le mal qu'il pouvait se donner pour rattraper ces trois années durant lesquelles sa fille avait grandi sans sa présence, mais ces derniers mois tout s'était enchaîné à une telle vitesse qu'il s'était retrouvé à endosser son rôle de père du jour au lendemain, sans vraie préparation. Il avait tout de suite voulu compenser ce qu'il avait raté, s'était mis une pression dingue et évertué à vivre dans nul autre but que celui d'être à la hauteur pour Ava. Et finalement, il n'aurait sûrement pas pu empêcher cette méprise de se produire, tout comme il courait probablement le risque de faire d'autres erreurs tant qu'il devrait encore s'adapter à tout ce que sa nouvelle situation impliquait. Mais il s'accrocherait, prouverait à Tamsin qu'elle avait pris la meilleure des décisions en décidant de rentrer à Brisbane et de lui présenter leur fille. Que c'était réellement le mieux à faire, pour Ava. « Je te promets de faire ce qu'il faut pour mieux m'y retrouver, à commencer par engager un intérimaire au stand en l'absence de Billy. » Ensuite, ça irait déjà mieux et lui pourrait avoir de nouveau la tête à autre chose qu'à ce boulot qui absorbait déjà une partie de son énergie. Ce n'était pas les petits jeunes déterminés qui manquaient, il n'aurait qu'à embaucher l'un d'eux le temps de quelques semaines et prier pour que Billy veuille reprendre son poste une fois complètement remis – ce qui le connaissant était fort probable, lui qui le lendemain de son agression parlait déjà de revenir. « Et toi, tout va bien avec ton boulot ? Je sais que t'es loin de compter tes heures, toi aussi. » Et c'était d'autant plus particulier pour Tamsin qui était revenue à Brisbane un an plus tôt et avait du retrouver un poste d'avocate en ville. Dimitri hocha doucement la tête, déterminé à ne plus se laisser distraire par ce qui n'avait aucune raison d'influer sur sa capacité à organiser son planning et à dégager assez de temps pour s'occuper de sa fille lorsque c'était à son tour. Dans d'autres circonstances, probablement que l'idée de passer du temps tous les trois l'aurait mis légèrement mal à l'aise, compte tenu de ce qu'il s'était passé entre Tamsin et lui quelques semaines plus tôt. Un moment d'égarement dont ils n'avaient pas encore reparlé, et probablement que le moment paraîtrait mal choisi s'il se risquait à le faire maintenant. Pourtant, Dimitri en aurait envie. Pour dissiper cette gêne qu'il sentait entre son ex et lui depuis cette nuit-là, et pouvoir aborder les problèmes de fond sans craindre de perdre ses moyens chaque fois que leurs regards se croiseraient et qu'il se retrouverait pris dans un flot de sentiments contradictoires. Est-ce que ce serait comme ça, tant qu'ils n'auraient pas mis de mots sur ce qui s'était passé ? Il l'ignorait, mais chaque seconde que Tamsin et lui perdaient à se voiler la face et à regarder ailleurs était un risque de plus de voir la situation leur échapper. « Je veux simplement faire ma part, pour Ava. Pour que tu sois sûre de pouvoir compter sur moi pour tout ce qui la concerne. » Il confia, au sujet de ce deuxième boulot qu'il avait récemment pris. « Je veux pas juste profiter des bons moments avec elle et te laisser t'occuper du reste. Je suis là aujourd'hui, même si je suis encore loin de me sentir à la hauteur du défi que ça représente. » Il voulait être là, contribuer à l'éducation comme au bonheur d'Ava, et prouver à son ex qu'il faudrait désormais aussi compter sur lui. Pas pour qu'elle regrette d'être partie plus qu'elle ne le faisait déjà, mais pour qu'elle mesure combien il prenait la situation au sérieux depuis son retour. « C'est dans une entreprise spécialisée dans le bâtiment. J'aide à décharger les marchandises à l’entrepôt sur les heures où je suis pas au parc. » Un boulot physique mais qui payait bien et correspondait autant à sa carrure athlétique qu'à son incapacité à rester en place plus de deux minutes. Mais Dimitri le savait, il y avait un détail qu'il ne pouvait pas lui cacher, encore moins après l'autre jour. Alors, du bout des lèvres, il ajouta. « C'est Jessian qui m'a aidé à trouver ce boulot. C'est pour son père que je travaille. » Et si ce ne serait peut être pas une si grande surprise après que Tamsin ait découvert que la jeune femme et lui étaient amis, il préférait qu'elle l'apprenne par lui directement.
Les interrogations qui suivirent les placèrent face à l'évidence qu'il leur était aussi facile à l'un qu'à l'autre de douter de prendre les meilleures décisions pour leur fille. Mais là où pour Dimitri le chemin serait encore long avant qu'il ne se montre un peu moins dur avec lui-même, le brun avait plus de mal à laisser Tamsin douter d'elle-même après tout ce qu'elle avait pour leur fille durant ces quatre dernières années. C'est vrai, elle était partie et avait choisi de mener cette grossesse à son terme sans lui, mais Dimitri ne pouvait pas occulter tous les sacrifices que ça avait du représenter pour elle, au quotidien. « Si ça peut te rassurer, j'ai pas l'impression qu'Ava soit une enfant perturbée. Elle est encore petite, elle prendra ses marques à Brisbane en grandissant et je suis sûr qu'elle y sera heureuse. » Il souffla dans un sourire se voulant aussi rassurant que sincère, son regard de nouveau posé sur sa fille. Dimitri n'imaginait plus sa vie sans elle, tout comme il n'imaginait plus vivre une seule journée sans s'inquiéter pour Ava, comme si en l'espace d'à peine un an c'est toute sa vie qui avait été révolutionnée par sa seule existence. « Que vous y serez heureuses, toutes les deux. » Reposant son regard sur Tamsin, il se demanda tout au fond de lui si elle oserait seulement se laisser une chance de l'être à nouveau, bien que très mal placé sans doute pour s'étonner qu'une mère aussi protectrice qu'elle l'était fasse de sa fille une priorité. « Tu sais que tu peux me confier Ava si certains soirs tu as envie... de sortir ou juste de t'aérer un peu l'esprit. T'as le droit de penser aussi à toi, Tamsin. » Et à tout ce qu'elle avait probablement mis entre parenthèses en élevant Ava seule pendant les trois premières années de sa vie. Il ne savait pas ce qu'il était entrain de lui conseiller exactement, ni de quelle façon il aimerait la voir prendre un peu de temps pour elle. Mais il était présent aujourd'hui et il voulait qu'elle puisse compter sur lui lorsqu'elle ressentirait le besoin de sortir et de profiter de son temps libre pour retrouver ses marques et repartir sur des bases neuves. Parce qu'il ne pouvait peut être pas lui promettre qu'ils faisaient tout ce qu'il fallait pour que leur fille soit parfaitement heureuse et ne manque jamais de rien, mais qu'il était certain en revanche que si elle était aujourd'hui cette petite fille attachante et pleine de vie, c'était parce que sa mère avait fait un excellent travail avec elle. Une partie de lui souffrirait toujours d'avoir raté ses premiers moments, mais une autre ne pouvait qu'être infiniment fière de ce que Tamsin avait déjà réalisé avec Ava. Et seule. « Tu n'as jamais totalement cessé de faire partie de ma vie, tu sais. Et c'est encore moins le cas maintenant qu'il y a Ava. » Il confia doucement, une émotion particulière dans la voix tandis qu'il songea qu'Ava n'était pas seulement leur fille, mais aussi le fruit d'une histoire qui avait été belle. Imparfaite, sans aucun doute, mais qu'il avait chéri jusqu'au bout et même encore bien après que Tamsin soit partie. Parce qu'il était passé par beaucoup de sentiments après son départ, et que le déni avait probablement été celui dans lequel il s'était enfermé les premiers temps. Jamais il n'aurait pu imaginer la raison pour laquelle elle avait préféré partir, et encore aujourd'hui il ne pouvait pas s'empêcher de se demander ce qu'il aurait fait si seulement il avait su. Beaucoup de choses auraient sûrement été différentes, et ça soulevait ce soir des questions qu'ils avaient jusqu'ici évité, sans doute par crainte de tout raviver.
Lui qui quelques minutes plus tôt regrettait de percevoir cette gêne entre son ex et lui se surprenait tout à coup à énoncer les interrogations qu'il nourrissait depuis maintenant plusieurs mois. Depuis son retour, depuis le soir où il avait appris l'existence de sa fille. Comment les choses se seraient-elles passées si seulement elle avait décidé de rester ? Qu'en aurait-il été de leur histoire et de leur rôle de parents ? Auraient-ils été capables d'offrir à Ava une vraie famille, ou se seraient-ils déchirés comme si souvent ils l'avaient fait du temps où leur histoire semblait pourtant pouvoir survivre à tout ? Son regard se perdit une seconde dans celui de Tamsin, et Dimitri baissa la tête. C'était plus éprouvant qu'il ne l'aurait pensé, de ressasser toutes ces choses sur lesquelles il n'avait jamais eu le moindre contrôle. Parce qu'il s'était vu imposer cette situation, et que bien qu'il ait fait suffisamment de chemin aujourd'hui pour dépasser sa rancœur, ça restait un rappel particulièrement douloureux. « Pourquoi tu as choisi ce moment-là, pour revenir ? Parce que tu craignais qu'Ava commence à poser des questions sur son père, ou parce que tu estimais que j'avais enfin le droit de savoir ? » Il demanda doucement. Quelques mois plus tôt, il aurait sûrement eu du mal à contenir tout ce que cette seule question remuait encore au fond de lui. Mais aujourd'hui il voulait surtout comprendre, se mettre à sa place et tenter de voir les choses telles qu'elle les avait vécues. Parce que blessé ou non, il était malgré tout reconnaissant de ce qu'il avait aujourd'hui et du fait que même au bout de trois ans, elle ait décidé de lui laisser une chance de savoir qu'il était le père d'une petite fille merveilleuse. « J'en sais rien, Tamsin. » Dimitri reprit, la gorge serrée et le cœur oppressé face à la question énoncée par la brune. « Cette question je me la suis posée des dizaines de fois depuis ton retour, et j'ai pas envie de te mentir en te disant que ça m'aurait pas fait peur ou que je me serais pas demandé si c'était le bon moment, pour nous... » Et ça avait quelque chose de plus douloureux encore de l'admettre de vive voix, parce qu'il aurait aimé que Tamsin n'ait aucune raison de douter du fait qu'il puisse être prêt à devenir père mais qu'à l'époque, cette envie se mêlait à son incapacité à garder une vie parfaitement stable en dehors de cette histoire qu'ils vivaient tous les deux. « Mais je crois qu'après trois ans de relation, j'aurais au moins mérité le bénéfice du doute. Et qu'on me laisse une chance d'accueillir cette grossesse comme une bénédiction, sans partir du principe que ça m'aurait forcément fait fuir... » Il souffla péniblement, tentant de se raccrocher à l'instant présent et à la vision de sa fille, à quelques mètres de là, parfaitement insouciante. « Quand tu es revenue et que j'ai su pour Ava... je me souviens m'être demandé si tu avais refait ta vie, et si un autre avait joué pour elle le rôle que moi j'avais pas pu endosser. Et ça m'a fait peur. » Son regard retrouva lentement le sien. C'était la première fois qu'il le confiait aussi sincèrement, et pourtant cette peur il l'avait éprouvée jusque dans chaque recoin de son être, tant l'idée qu'un autre ait pu être un père pour sa fille lui aurait été insupportable. « Il n'y a jamais eu personne, même à Melbourne ? » Cette question-là, il n'était même pas sûr d'avoir totalement envie de la lui poser, et pourtant une partie de lui ressentait le besoin de le faire. Dimitri n'était pas préparé à ce qu'il pourrait entendre ou à la manière dont il pourrait réagir, mais il se sentait enfin prêt à l'interroger sur sa vie là-bas.