Il n’y avait plus de vermicelle ni l’exacte marque de chocolat noir dont Ginny avait besoin pour faire le gâteau qu’elle voulait et puisque je refuse encore qu’elle sorte de la maison, je m’occupe de faire les courses quand il le faut. Et même quand elle a simplement décidé qu’elle voulait m’embêter et qu’elle s’invente de fausses raisons pour me faire courir dans toute la ville à la recherche de tout et n’importe quoi (elle voulait des chaussures avec des paillettes, la dernière fois). Le fait est qu’elle sait que peu importe ce qu’elle désire je remuerai Brisbane toute entière pour le lui donner, parce que c’est ainsi depuis le premier jour et qu’aujourd’hui je peux cacher le tout sur le fait qu’elle est ma femme et qu’en plus de cela elle attend notre enfant.

C’est en ayant la tête ailleurs que j’attends à la caisse, mes doigts pianotant sur l’équivalent de tout le rayon chocolat que je viens de voler sans une once de compassion pour les ménagères en pleine hésitation. Après mon passage, au moins, il restait bien moins de choix sur lesquels hésiter et je pense que c’est un service rendu à la patrie, ce genre de chose. Vous voyez, l’Italo-Américain qui vient en aide aux pauvres Aussie, quel homme. J’aurais dû être félicité et au lieu de ça elles se sont contentées des regards les plus noirs que je n’ai jamais connu de toute mon existence. Tant pis. Elles n’ont aucune importance à mes yeux et personne n’en a, d’ailleurs, surtout pas l’imbécile qui se met à hurler et me sort de mes pensées. « Virgil ? Virgil ? » C’est Homer qui cherche son pote Virgil ou ça se passe comment ? Déjà agacé par la situation, je lève les yeux au ciel dans un souffle.

« Virgil, t'es où ? Viens voir papa ? » Oh.
« Personne a vu mon fils ? Il était juste là à côté de moi ?» Ça change tout.

J’arrête de me moquer et j’arrête de soupirer quand, dans la même seconde, mes prunelles ne sont plus qu’en quête d’une tête blonde qui se serait perdue. “Il a quel âge votre fils ? Vous voulez passer un appel à l’accueil ?” Y’a toujours des appels de “le petit blablabla cherche son papa et sa maman” alors je me dis que s’il est en âge de comprendre une telle chose et se repérer, ça pourrait sans doute apaiser le coeur de ce papa sans doute un peu trop à vif. En même temps, à sa place, j’aurais réagi pareil. Version mille fois pire.

Dans les yeux de l’inconnu se reflètent tant la peur que la panique et je ne peux que compatir pour lui, trouvant à mon tour un moyen de le rassurer sans pour autant avoir l’arme secrète en réponse à ses maux. « Il a trois ans » Je tente d’essayer d’imaginer la taille que pourrait avoir l’enfant et ce à quoi il pourrait ressembler. J’imagine Noah quand il était encore à Londres, je me fais des images dans mon esprit d’un passé que je tente pourtant toujours d’oublier. Pour l’enfant de cet inconnu, pourtant, pour Virgil j’oublie tout et reprends sur de bonnes bases.

Ne sachant comment réagir face à la détresse de l’homme, je ne réagis à vrai ire simplement pas. Ma tête se tourne dans toutes les directions comme si j’allais subitement finir par entrevoir une tête blonde courir entre le rayon des glaces en pots et celles en bâtonnet. J’aurais préféré que ce soit aussi simple et pour une fois j’imagine que mon avis rejoint celui de la majorité. « Oui, dites lui de rester là où il est et de ne partir avec personne. » Je hoche la tête derrière lui, sans doute un minimum rassuré que les employés du magasin aident à retrouver l’enfant. Cela ne réglera pas le problème mais ça aidera. « Il faut aussi fermé toutes les issues, personne ne doit sortir » J’aurais pu trouver ses idées extrêmes mais c’était avant de savoir que j’attendais moi aussi un enfant pour dans quelques mois et aujourd’hui je ne peux que comprendre son désir de faire un maximum pour son fils en un minimum de temps. J’aurais fait la même pour Cosimo.

L’agent de sécurité le guide quelque peu, posant les questions de base comme le fait la police dans les films. « Il porte un short marron et un t-shirt rouge de spiderman. » Décidant de lâchement abandonner mes courses et ayant en tête la meilleure excuse qui soit pour Ginny, je reprends place près du brun pour m’ajouter à l’effort collectif pour retrouver son fils. Ceci dit faut être con, quand même, pour perdre son môme. “Vous avez réagi vite, il n’a pas pu aller bien loin.” Les gens gentils disent toujours ça alors je fais la même par effet de mimétisme tout en tentant d’être un minimum convaincant dans mon rôle. “On va le chercher dans les rayons. Je viens avec vous. Il a peut être une nourriture favorite qu’il aurait pu vouloir aller chercher ?” Noah faisait ça et je suis prêt à mettre ma main au feu qu’il en sera de même avec notre fils, parce qu’après tout si le sang de Ginny coule dans leurs veines ils ne peuvent qu’aimer la nourriture plus que toute autre chose en ce monde.

Chacun semble peu à peu s’inquiéter de la disparition du petit garçon, même les clients se plaignant qu’ils ont acheté des produits congelés et que ça n’arrange pas du tout leurs petites affaires. Finalement, le père accepte de partir à la recherche de son fils plutôt que de rester là où il est à s’inquiéter bien plus que de raison. Je garde mon calme seulement parce que cet enfant n’est pas le mien, à vrai dire, mais cela fait déjà un sur deux qui garde la tête froide et j’imagine que c’est quelque chose dont nous avons besoin. Le personnel de la grande surface s’occupe de ce qu’ils ont à faire, la sécurité en particulier alors que pour notre part nous nous écartons des caisses pour commencer à fouiller un peu plus les rayons du magasin. Je fais confiance au père du garçon et me contente de le suivre à travers les rayons, gardant mes pupilles volatiles pour tenter d’apercevoir un petit garçon dans les habits qu’il m’a au préalable décrits. Tout le monde est désormais alerte et je suis persuadé que nous n’aurons besoin que de quelques minutes à peine pour le retrouver et le rendre lui tout aussi heureux que son paternel. Ce sera une drôle d’histoire à raconter quand il sera plus grand : le jour où ils ont fait fermer tout un magasin lorsqu’il s’est perdu. « Il aime beaucoup le chocolat » Je souris à peine, attendri par ce genre de remarque qui ne paye pourtant pas de mine.

Son amour pour son fils et indéniable et il a aussi l’air de le connaître, ce qui me rassure énormément pour la suite des événements. Je suis d’autant plus rassuré qu’il aime les chocolats au point de se perdre dans le rayon, ses petites incisives s’attaquent directement à la plaquette dans le plus grand des calmes. La petite tête blonde est occupée, elle a continué sa vie comme si celle de son père ne s’était pas arrêtée pendant un temps. “Si un jour je perds ma femme, je viendrais aussitôt au rayon chocolat aussi.” Et si elle n’est pas près des chocolats alors elle serait forcément au rayon des bonbons, parce que c’est Ginny et qu’elle ne pense qu’au sucre et qu’elle a la tête dans les nuages à chaque seconde de sa vie. Cela m’étonne de ne pas déjà l’avoir perdu dans un magasin, d’ailleurs. “Il va bien ?” Je m’enquiers rapidement à son encontre, bien plus par acquis de conscience plutôt qu’autre chose. Il a l’air d’aller parfaitement bien.