La lumière du jour vient inonder la chambre me faisant fermer les yeux en vitesse. Un mal indescriptible est en train de me ravager la moitié du crâne. Mon corps me semble lourd et courbaturer. Encore une soirée à la Fitzgerald. Ma main vient frotter mes paupières alors que je cherche à m’étirer quelque peu, sentant un corps chaud à mes côtés. Ceci explique les courbatures. L’oreiller me semble trop moelleux pour être le mien, les draps trop rêches. Je me tourne, encore dans l’incapacité d’ouvrir les yeux sans me retrouver avec la rétine brûlé par le soleil matinal. Qui est l’idiot qui a oublié de fermer les rideaux hier soir ? Il semblerait que mon esprit fût trop préoccupé ailleurs. Le corps à mes côtés semble s’étirer. Et voilà que va venir le moment le plus gênant : le réveil matinal. J’ai pour habitude de ne jamais mes conquêtes pour la nuit. Soit, je leur montre gentiment la porte, soit c’est moi qui prends la poudre d’escampette avant que qui que ce soit ne se réveille. Pourtant, je suis toujours dans ce lit, qui cette fois, j’en suis sûr, n’est clairement pas le mien. Fouillant dans ma mémoire, je me rappelle du bar. De la rencontre avec cet étranger, Aurel ? Auden ? Et mes yeux s’ouvrent à l’instant où je sens un bras frôler le mien. Auden. C’était ça son prénom. Il est là, l’air un peu hagard, les cheveux aplatit par nos activités de la nuit. Je me souviens maintenant, de ma danse ridicule, de ses compliments à tout-va. Ses lèvres sur les miennes, ses mains sur mon corps. Le plaisir fut masculin, presque bestial. On avait tous les deux besoins de cela.

Et maintenant l’alcool s'est dissipé. La désinhibition semble bien loin. Gêner, je me contente de fixer le plafond. « Je n’ai pas pour habitude de rester. » que j’annonce. Pourtant, en rien, je ne me lève dans la précipitation. Derrière mes paupières fermer s’imprimer des instants de la nuit passée. C’était différent. « Ce lit n’est pas franchement confortable. » Il était parfait pour nos activités cependant. « Dis-moi que je suis pas le seul à avoir un marteau-piqueur dans le crâne. » Tais-toi Bailey.

@auden williams

Je n’ai pas réellement de souvenirs de la nuit mais ce dont je me souviens c’est que c’était infiniment agréable. Je pense que c’est au moins un bon début puisqu’à peine les yeux ouverts les voilà déjà qui me brûlent à cause de la lumière du jour bien trop intense - depuis quand est ce qu’il ne pleut plus, à Londres ? Je rage et souhaite prendre un oreiller pour me couvrir le visage et me rendormir mais ce dernier est coincé par le poids qui se trouve dessus ; poids qui a des cheveux et qui est en réalité étalé sur toute la longueur du lit. Merde. J’avais oublié l’avoir laissé dormir cette nuit et à peine réveillé que je regrette déjà d’avoir enfreint cette règle pourtant aussi simple que vitale : personne ne doit rester dormir, surtout pas les coups d’un soir dont je devrais déjà avoir oublié le prénom. Le sien reste pourtant ancré dans un coin de mon esprit. Foutu Bailey.

Il râle et j’en fais tout autant, on en vient sûrement à la même conclusion ensemble : c’était une très mauvaise idée. On a trop bu, on a trop parlé, on s’est trop rapprochés et surtout surtout, on a déjà passé bien trop de temps ensemble pour les deux âmes égarées qu’on représentait hier encore. Les âmes égarées ne trouvent pas d’amies et elles ne trouvent pas quelques brins de bonheur auprès d’autres. Ce n’est pas normal, ce n’est pas ce qui devrait se passer. On aurait dû se séparer il y a de longues heures de ça, quand l’alcool n’attaquait pas tant notre tête. Si c’est mon cas, j’en viens rapidement à la conclusion qu’il en est de même pour lui. Aujourd’hui comme hier, on est dans le même panier.

« Je n’ai pas pour habitude de rester. » “Je ne fais jamais rester personne.” D’habitude.
« Ce lit n’est pas franchement confortable. » “J’ai pris la chambre pour la vue sur la ville.” J’espérais pouvoir voir Ginny.
« Dis-moi que je suis pas le seul à avoir un marteau-piqueur dans le crâne. » “T’es pas le seul.”

Il regarde le plafond alors j’en fais autant, mes yeux fatigués tentant au mieux de s’adapter au changement de luminosité drastique. “Tu regrettes ?” On dirait une adolescente qui vient de faire sa première fois, j’ai moi même envie de me frapper.

C’était réellement une mauvaise idée. Jamais je n’aurais dû le suivre dans cette chambre d’hôtel. Cette soirée aurait dû se terminer sur quelques pas de danse, quelques sourires échangés. Rien de plus. On c’était pris pour les rois du monde en laissant la peine et la colère guidée nos pas. Il tentait d’oublier quelqu’un, j’en ai fait tout autant. C’est à corp perdu que l’on c’est jeter dans le plaisir charnel, l’un avec l’autre. Au vu du soupir qu’il vient d’émettre, il aurait préféré se réveiller seul dans cette chambre. Il est trop tard pour se lever, s’habiller et fuir sur la pointe des pieds. Il est bel et bien éveillé Auden, je n’ai pas besoin de tourner la tête pour le constater. Remonter le drap un peu plus haut sur mon torse me paraît, alors, comme la chose la plus nécessaire. Il y a quelques heures encore son corps nu était coller au mien et je trouvais cela bon. C’est fou comme un réveil peu tout changer.

« Je ne fais jamais rester personne. » On est deux comme ça, je passe probablement moins pour un connard. On rajoute à la liste des points en commun quand on est incapable, l’un comme l’autre, de se lancer un regard.
« J’ai pris la chambre pour la vue sur la ville. » « Il y a meilleure comme vue sur la ville. » que je nargue. Par exemple, celle que j’ai depuis ma chambre dans mon appartement. Celle que je devrais être en train de fixer actuellement.
« T’es pas le seul. » Deux âmes égarées qui tentent de se remettre d’une gueule de bois un brin trop corsée.

Un soupire et lasser de cette lumière trop vive, je tente quelque chose. Je m’élance, me redresse, je ne sais comment, tire sur le rideau et obstrue enfin l’astre qui nous brûlait la rétine. « Mieux. » que j’annonce tout en me rallongeant. J’aurais dû continuer dans mon élan, me lever pour de bons, oublier le mal qui me martèle le crâne et juste foutre le camp. « Tu regrettes ? » Et pour la première fois, je tourne le visage vers lui alors qu’un rire franc s’échappe d’entre mes lèvres. « T’as seize ans ? » En rien je ne m’attendais à une telle question de sa part. Pourtant, alors que le silence retombe, elle semble bien trop légitime. Il s’éternise un peu trop le silence alors qu’à nouveau, j’observe le plafond, dégueulasse, de la chambre. « Non. » C’était spontané, imprévu. C’était pour toutes les mauvaises raisons, mais… « C’était bon. » On ne va pas se le cacher.

Je devrais me lever, mais je reste là. Le mal de crâne est persistant.

« Il y a meilleure comme vue sur la ville. » Ce qui ne devait être qu’une blague ranime en moi de vieilles blessures qui, justement, n’ont rien de vieilles. Je pense à Ginny et je pense, encore une fois, à ce que je ne peux pas lui offrir et qu’un autre fait bien mieux que moi. Il y a de bien meilleures vues sur la ville tout comme il y a de biens meilleurs petits amis et pères pour ses enfants ; c’est évident. Elle le savait alors que je ne cessais de me voiler la face encore et toujours. La gamine avait raison, elle a toujours raison. Même Bailey semble le savoir.

Il se lève et il est nu, l’anglais. Il ne devrait pas. Il devrait déjà avoir ramassé toutes ses affaires et fuit aussi loin de moi que possible avant qu’à mon tour je n’attire le mauvais œil sur sa vie et ses proches. « Mieux. » Ça pourrait être parfait si je n’étais jamais venu. La vie de personne n’aurait été chamboulée. Personne n’aurait fait d’erreur non plus.

Son premier rire ne crée pas la même réactions chez moi par contre c’en est le cas de sa question impromptue. « T’as seize ans ? » A mon tour, mon rire est bref mais franc. Il ravive une vive douleur crânienne mais j’ai tôt fait de l’ignorer. Je sens son regard brûler ma nuque alors que mes yeux d’artistes n’observent que le plafond affreusement blanc et sans vie de la chambre d’hôtel. « Non. C’était bon. » J’ai de nouveau chassé tout sourire de mon visage pour me concentrer sur des tâches, sur tout et n’importe quoi qui ne seront pas les événements de la veille. Pourtant, je lui concède un ultime “Oui.” presque timide là où, justement, il n’y a jamais eu une seule once de timidité dans ma vie. On parle franchement et on se fout de tout, ce sont désormais nos deux seules règles. En plus de celle de ne pas poser de questions qui fâche ; celle ci est bien plus tacite. “Je sais cuisiner mais je suis désolé de te dire que je ferai rien avec juste la bouilloire de la chambre.” J’aurais pu lui faire des œufs brouillés, des haricots, des tas de trucs. Dans un autre contexte, on aurait pu manger comme des rois. Dans le monde présent, la bouilloire ne fonctionne en réalité même pas et le café est dégueulasse ; ils ne mettent pas de miel dedans, eux. “Mon avion est dans quelques heures de toute façon.” Je vais m’en aller et lui va reprendre sa vie, c’est ainsi que les choses doivent se passer et c’est aussi ainsi que tout se passera parce que ni lui ni moi n’avons notre mot à dire.

Je fais passer mes bras derrière ma nuque pour surélever ma tête de quelques centimètres, par simple habitude. Je ne risque pas de passer ma main à l’arrière de son crâne pour le ramener doucement contre moi, de toute façon. “C’était pas à cause d’un homme que tu buvais, hein ?” J’imagine que maintenant ce ne devrait plus être un secret. Comme dit, il ne me reverra de toute façon plus jamais.

Elle fluctue son humeur, au rythme de sa respiration alors que ses yeux restent déterminer à ne fixer que le plafond. Il a disparu le beau sourire que j’ai pu entrapercevoir dans la nuit. C’est dommage, il en était que plus beau ainsi. Le vague à l’âme lui sien au teint, c’est sans doute cela le plus dérangeant. Il reste insaisissable dans sa mélancolie. La règle est de ne pas poser de questions, alors je me mordille la lèvre et tente de ne pas céder à ma curiosité naturelle. « Oui. » Elle est timide sa réponse, bien différente des mots qu’il prononçait dans la nuit. Nous sommes deux adultes consentants. La partie de jambes en l’air n’était en rien désagréable, bien au contraire, et cela semble le rassurer que de savoir. On avait dit se foutre de tout, les conventions avec. Si mon géniteur savait tout cela. Un rire nerveux m’échappe alors que je m’imagine conter tout cela à Sebastian. Il en serait horrifié mon frangin, il demanderait probablement un exorcisme.

« Je sais cuisiner, mais je suis désolé de te dire que je ferai rien avec juste la bouilloire de la chambre. » Je hausse les épaules. Fixe cette tâche marronne au plafond. « Pourtant des nouilles instantanées au petit déj c’est parfait. » Le seul truc comestible que l’on pourrait faire avec une bouilloire. Je n’ose pas parler de café, il sera probablement imbuvable et cela ne fera que de me mettre de mauvaises humeur. On pourrait peut-être sortir, il y a un petit café non loin d’ici. L’idée me semble folle pourtant, je suis à deux doigts de lui proposer. « Mon avion est dans quelques heures de toute façon. » Il avait évoqué son voyage pour affaires, hier soir. « Oh. » Je ne devrais même pas être affecté par la nouvelle. On se connaît à peine. Pourtant, l’idée de ne jamais le revoir, de n’avoir que quelques heures encore me chagrine plus que de raison. L’effet de l’alcool, on dira. Le souvenir d’un bon temps passé entre les draps. La trouille de se retrouver seul, surtout.

On doit avoir l’air de deux cons, nu l’un à côté de l’autre, à fixer ce putain de plafond. « C’était pas à cause d’un homme que tu buvais, hein ? » Je pouffe de rire en secouant la tête. « Non pas vraiment. » Mon paternel pourrait en être la raison quand en réalité, c’était Jill et Ginny. C’était l’histoire tordue qui se déroule entre nous. « C’est compliqué. » que je concède sans lui donner plus. « Et toi, tu venais pas pour affaire, hein ? » C’est clair désormais et s’il a franchi la limite en premier, je peux m’en autoriser. « Il t’emmène où ton avion ? »

Jamais je n’aurais cru avoir ce genre de conversation au réveil, surtout pas avec un homme que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam et avec qui je viens de partager une nuit passionnée sans penser au reste du monde ou aux conséquences un seul instant. Aujourd’hui, on a l’air de deux amis qui se connaissent depuis toujours mais ont érigé entre eux des milliers de barrières à ne pas franchir et autant de règles à ne jamais transgresser. Je sens sans déception alors que je lui apprends l’horaire de mon avion et à vrai dire j’étais tout autant déçu de le lui annoncer alors que je venais peut être d’enfin de trouver un nouveau but à mon voyage ici. Il avait redonné quelques couleurs à mon existence, pour un temps au moins. Ses fissures et les miens s’assemblaient à merveille, j’imagine, et c’est ce qui a donné notre duo aussi chambranlant que vital. Pour une nuit seulement. C’est la période conseillée pour ce genre de choses, celle qui permet de savourer l’instant sans s’attacher de trop et en revenir à souffrir de nouveau. Un nuit, c’est bien. Un matin de plus et déjà tout devient dangereux.

Enfin, il répond à ma question et me conforte dans l’idée que nos maux sont tous causés par des femmes. Pour différentes raisons, sans doute, mais n’en reste pas moins qu’elles sont toutes des femmes. Encore et toujours, à jamais le talon d’Achille de notre sexe. « Non pas vraiment. » Je serre la mâchoire, toujours autant désolé pour lui. La cause importe finalement peu quand seules n’en restent les conséquences et les résultats. C’est tout ce que je peux observer chez lui et c’est tout ce qui me fend le coeur aussi. « C’est compliqué. » Il s’arrête là et je n’irai pas fouiller plus loin. Après tout, je ne suis personne pour lui et il n’est personne pour moi. Entre ce genre de personnes qui ont cette relation, il est normal de ne pas se confier de secrets et je le comprends parfaitement. « Et toi, tu venais pas pour affaire, hein ? » Je souris faiblement et, sans bouger la tête, laisse de nouveaux mes yeux glisser en sa direction alors que seul son torse n’est pas recouvert des draps blancs. “Non pas vraiment. C’est compliqué.” Je reprends ses mots sans vergogne puisqu’ils correspondent aussi très bien à ma situation, malheureusement. J’aurais aimé laisser tous les torts reposer sur une seule et unique personne mais à vrai dire cela m’est impossible, même avec tous les efforts du monde je ne peux pas cesser de l’aimer. Stupide garçon amoureux. « Il t’emmène où ton avion ? » “L’autre bout du monde. Littéralement.” Je ne cherche pas à créer le suspens ni même à garder des secrets qui n’ont pas lieu d’être alors la destination est révélée bien assez vite, dès l’inspiration suivante. “Sydney.” Il se moque de savoir qu’il y a une correspondance à Rome tout comme il se moque de savoir qu’il y en a une autre à Sydney, justement, pour se rendre dans une plus petite ville. Il voulait sans doute être poli. “J’ai une bien meilleure vue sur la ville, là bas. Si un jour ça t’intéresse.” Loin d’être de la simple politesse ou un quelconque genre de drague, je suis sincère. “Si jamais tu voyages pour affaires.” Cette fois ci mes yeux remontent de nouveau auprès des siens et mon visage fait le même chemin quand, naturellement, mes lèvres reviennent quérir les siennes comme s’il ne nous restait plus que ça.

La veille on c’était trouvé dans un pur hasard, quand les failles étaient suffisamment béantes pour que nos deux mondes se rencontrent. Je ne devrais pas ressentir cette pointe de tristesse lorsqu’il m’annonce qu’il repart dans la journée. Ce n’était que le temps d’une nuit. Un moment d’égarement aussi futile que vital. On c’était accordé sur tout un tas de règles, on avait décidé de se foutre de tout pour prendre du bon temps, pour prétendre que le plaisir charnel allait faire oublier le reste. L’illusion fut parfaite, elle tient désormais sur un fil quand chacun d’entre nous sait que rien ne durera, que là dehors il y a un monde qui nous attends. Il prendra son avion et je repartirais en direction du studio. Je ne saurais rien de lui si ce n’est son prénom et le goût de ses lèvres. C’est bien aussi. Avec le temps, il deviendra l’inconnu en voyage d’affaires, celui qui m’a ramené dans sa chambre d’hôtel sous couvert d’un prétexte bancal. Il aura eu le mérite de me distraire assez longtemps pour que la tempête s’apaise un peu.

« Non pas vraiment. C’est compliqué. » Je pouffe de rire alors qu’il reprend mes mots. Il faut croire que l’on ne laissera aucun détail fuiter, que c’est si futile quand déjà on se comprends un peu trop bien. Une femme lui a brisé le cœur. Elle a piétiné ses croyances et ses rêves à pieds joints, on peut le lire dans son regard. Ce serait si con de lui dire que tout s’arrangera, ce serait égoïste quand on sait que je joue sur deux tableaux. Il semble avoir le mérite d’en aimer qu’une quand mon cœur balance, quand la raison l’emporte parfois sur la folie. Et inversement. Surtout inversement. Un soupire s’échappe d’entre mes lèvres alors que je cherche à la chasser de mes pensées. Mon regard se tourne vers Auden lorsqu’il soupire tout aussi fort. « L’autre bout du monde. Littéralement. » Mes sourcils se froncent avant qu’il n’ajoute. « Sydney. » Il a fait tout ce chemin pour une femme ? « Tu dois vraiment l’aimer. » que je murmure sans oser croiser son regard. On ne traverse pas la planète pour quelqu’un d’insignifiant. Je me demande ce qui a bien pu leur arriver. S’il s’agit d’une de ses histoires que l’on ne voit que dans les livres. Celle qui nous arrache des larmes tant le monde semble prédestiner à vouloir séparer les amoureux. Je ravale ma curiosité dans un soupir alors que déjà Auden semble adopter un ton bien plus léger. « J’ai une bien meilleure vue sur la ville, là-bas. Si un jour ça t’intéresse. Si jamais tu voyages pour affaires. » « J’oublierai pas. » Est-ce qu’on ira un jour là-bas ? Est-ce qu’elle jouera le jeu au point de vouloir me présenter son pays d’origine ? J’en doute, mais si cela arrive, alors je penserais à Auden.

Il s’impose à mes souvenirs lorsque ses lèvres viennent chercher les miennes. Quand on a trop parlé, trop laisser tomber les barrières le temps d’un instant. On se laisse porter dans l’instant, c’est tellement plus simple que de parler de sentiments, que de s’imposer des souvenirs douleurs. Ma main plonge dans ses boucles, rapproche son corps au mien. Juste un instant. Profiter encore un peu, avant son départ. « On devrait pas faire ça. » que je souffle contre ses lèvres. On ne devrait pas retomber là-dedans alors que dans quelques heures, il sera parti. « Tu as le temps pour un ultime café Londonien ? » Loin de cette chambre, avec des fringues sur le dos. Lui offrir une dernière perspective de la ville qui égayera peut-être un peu son souvenir de l’endroit. Changer la donne, juste un peu.

« Tu dois vraiment l’aimer. » C’est tout ce qu’il retient et j’imagine que c’est tout ce qu’il y a à retenir aussi. Oui, je l’aime vraiment. Oui, j’ai été stupide au point de traverser la moitié du globe pour elle, le genre de chose qu’on ne voit que dans les comédies romantiques et qui finissent toujours bien. J’ai dû raté le coche, personne ne m’avait prévenu qu’il existait une fin autre que les happy ending. J’aurais dû le savoir ; après tout c’est toujours moi le pessimiste du groupe, le terre à terre un peu trop chiant. J’aurais dû savoir, j’aurais dû ne pas être aussi aveuglé que je continue naïvement à l’être. “C’est le cas.” Je me permets de répondre là où j’aurais sans aucun doute dû me taire, pourtant certain que tout ceci n’aura jamais de conséquence ni sur ma vie, ni sur la sienne, ni sur celle de Ginny. Il n’est qu’un inconnu brisé rencontré dans un bar comme il doit sûrement en exister des milliers, des millions. Une nuit plus tôt et c’est avec un autre que je me serais perdu sans que cela ne change en rien le cours des choses. D’ici quelques heures chacun retournera à sa vie, mon voyage d’affaire avorté bien avant l’heure.

Pour chasser les discussion difficiles et autres paroles que je regretterai bien assez tôt, j’en viens une fois de plus à opter pour ce qui me semble être la solution de facilité : l’embrasser de nouveau. Elle mêle besoin et envie et semble à l’instant être la meilleure chose à faire avec l’inconnu, aussi beau que brisé. Ironiquement, je me dis en cet instant que Ginny aurait donné toute son énergie pour lui à tenter de le réparer là où je ne sais rien faire de toute cela, quémandant simplement toujours plus d’attention de sa part, approfondissant notre baiser alors que sa main remonte dans mes cheveux. « On devrait pas faire ça. » On ne devrait pas faire beaucoup de choses et pourtant on en est rendu là, dans cette chambre d’hôtel, simplement nous deux, le parfum de l’un sur le corps de l’autre. On n’aurait pas dû faire ça et pourtant je ne regrette absolument rien, les souvenirs de la nuit passé tentant maladroitement de prendre le pas sur ceux d’une vie entière. C’est impossible, bien sûr, mais au moins mon mal de crâne m’empêche de remonter trop loin dans mes souvenirs.

Dociles, mes lèvres se séparent des siennes alors que je me laisse retomber de mon côté du lit dans un souffle. J’aurais pu argumenter, j’aurais pu répondre d’un baiser de plus et j’aurais pu faire une infinité de choses pour le persuader qu’on ne a rien à faire, de ce qu’on doit faire ou non. Pourtant je sens qu’il n’a pas besoin de ça et sûrement que moi non plus, au fond. « Tu as le temps pour un ultime café Londonien ? » C’est sans rancune pour lui que je me relève en quête de mes habits éparpillés dans les quatre coins de la chambre. “Tu me dois toujours une tournée après tout.” Vodka ou café, j’imagine que ça se vaut dans un univers parallèle. “Je me douche et j’ai tout le temps du monde.” Mes habits tenus contre mon torse, je lui adresse un dernier sourire confiant. S’il veut une porte de sortie alors il l’a, il peut retourner à sa vie normale sans que je ne cherche à le suivre. Ca aussi, c’est ce qu’il devrait faire. Pourtant j’ai la sensation que je le retrouverai habillé et prêt à aller prendre un dernier café londonien dès lors que j’aurai terminé ma douche express. “La formule ultime café Londonien comprend un arrêt dans une pharmacie pour acheter de l’aspirine ?” Le besoin se fait davantage ressentir alors que l’eau me martèle le crâne pendant de longues minutes et que c’est un visage un peu plus fatigué encore que je présente à Bailey.

“Prêt ?”

On en revient au plaisir charnel dès que la conversation tend vers quelque chose de trop personnel. C’est si simple de faire oublier les mots dans un baiser, de se laisser encore aller. Je voudrais le garder contre moi un peu plus longtemps, ce serait continué sur le thème lancé dans la soirée. Faire durer la parenthèse encore un peu. C’est pourtant à contre cœur que je me recule, que je cherche de l’air sans réellement croiser son regard. L’instant était parfait lorsqu’il était spontané et non calculer. Je crains que l’on cherche à se brûler les ailes en remettant le couvert. On devrait rester raisonnable pour tout un tas de raison que ni lui ni moi ne voulons évoquer. Je lui vole, malgré tout, un ultime baiser avant qu’il ne s’éloigne pour de bon.

La logique voudrait que je prenne mes affaires et que je m’en aille pas que je lui propose d’aller prendre un café. « Tu me dois toujours une tournée après tout. » Il est vrai que je lui avais fait cette promesse quand on n’a jamais eu besoin de s’intoxiquer plus longtemps pour finir dans le même lit. La dose de caféine semble soudainement bien plus alléchante que n’importe quelle boisson alcoolisée. « Je me douche et j’ai tout le temps du monde. » « D’accord. » que je murmure alors que je l’observe s’éloigner vers la salle de bain. Je me laisse retomber sur le lit soupirant un bon coup. Peut-être que je devrais filer. C’est ce que j’ai l’habitude de faire. Tout semble différent avec Auden. Rien ne m’attend aujourd’hui, j’ai le droit de m’accorder cette parenthèse. Ça ne mène un rien un café si ce n’est des promesses en l’air. « La formule ultime café Londonien comprend un arrêt dans une pharmacie pour acheter de l’aspirine ? » « Je crois que c’est plus que nécessaire. » que je plaisante alors qu’un simple rire vient réveiller mon mal de crâne.

Habillé, assis sur le bord du lit, je joue nerveusement avec ma montre. Je me sens comme une adolescente alors que dans quelques heures, il sera reparti à l’autre bout du monde. C’est rien d’exceptionnel, c’était juste une pause pour tenter d’apaiser les maux. « Prêt ? » Je sursaute légèrement, mais viens hocher de la tête. Je récupère mon portefeuille et les clés de mon appartement. « Je connais un endroit. »

Après un arrêt, obligatoire, à la pharmacie voilà que je l’entraîne dans un dédale de rues plus petites les unes que les autres. On s’enfonce loin du Londres touristiques pour se rapprocher de tout ce qui fait, en réalité, l’authenticité de cette belle ville. C’est seulement au bout de quelques minutes que je marque un stop devant l’entrée d’un minuscule café. La cloche tinte au-dessus de nos têtes alors que l’on pénètre dans le lieu. Accueillies par une somptueuse odeur de café, nous, voilà plongés dans un autre monde, fait de vieux vinyls, de peinture inachevée et de croquis aux murs. Le vieil homme qui tient cet endroit est un artiste à part entière et probablement la personne la plus fascinante qui soit. « C’est Paul qui a peint tout ça. » que je murmure à Auden alors que le propriétaire s’approche de nous. « Bailey ça faisait longtemps ! » Je lui souris et déjà entraîne mon comparse vers une table. « Comme d’habitude ? » Je hoche la tête alors que Paul se tourne vers un Auden devenu bien silencieux. « Et pour vous jeune homme ? »

A peine entrés dans le bar qui ne paye pas de mine et voilà déjà mon attention focalisée ailleurs, sur chacun des murs et sur chaque meuble choisi avec goût. Mes empreintes glissent sur le bois ancien, mes pupilles s’activent autour des peintures, des cadres et des tableaux. J’analyse la technique et les teintes, j’analyse la forme et l’objectif de chacun de ces objets. Je me crois retourné à Brisbane dans une galerie que j’aurais sûrement détesté découvrir. Je respire bien mieux ici, au milieu des odeurs de café et de la peinture encore récente que je sens en m’approchant d’un cadre. On ne doit sûrement pas toucher et pourtant mes doigts se perdent dessus, par habitude, par besoin d’en savoir plus. « Bailey ça faisait longtemps ! » La voix est un peu trop haute, le ton un peu trop enjoué. Ils occupent un fond sonore duquel je ne m’occupe désormais plus le moins du monde. « Comme d’habitude ? » Quand je prononce ce genre de paroles, c’est généralement avant de refaire le portrait d’un inconnu dont je n’aurai entendu parler que quelques fois à peine losqu’il saignait sous mes coups. « Et pour vous jeune homme ? » “Hm ?” Je me moque de mon mal de crâne tout comme je me moque bien de ce que je pourrais boire, finalement. L’art me manque et mon pays me manque mais ça ne sera jamais autant qu’elle. Elle me manquera bien plus que l’Australie et le monde que j’ai construit là bas n’aurait jamais pu me manquer - et pourtant le choix a été fait de partir et de fuir, comme si c’était le moins pire à faire. “La même chose aussi.” Me retournant vers Bailey, je me permets d’ajouter dans un sourire complice : “J’espère que t’as de bons goûts. Tout repose sur toi.” avant de détacher presque instantanément mon attention de lui pour la focaliser sur les dessins une dernière fois. “Tu sais d’où ils proviennent ?” Le gérant du bar est parti chercher les boissons ou les préparer, j’en sais rien, alors c’est à Bailey que revient mon interrogatoire de la façon la plus naturelle qui soit. Si pour moi il n’y a rien de plus intéressant, pour lui j’imagine que l’interrogatoire sera plutôt long. “Je ne sais même pas ce que tu fais dans la vie, d’ailleurs. Tu pourrais être Banksy, qui sait.”

De l’extérieur, le café n’a pas l’air exceptionnelle, petite boutique coincée entre deux maisons, dans une rue peu passante. Il faut avoir le courage de pousser la porte pour se rendre compte du véritable joyau brut qui se trouve là. L’endroit tout entier hume la bonne heure du café et des pâtisseries mélanger à cet encens particulier que dégage la peinture qui sèche encore sur certaines de toiles. Il semble captiver Auden. Je l’observe se mouvoir entre les tables pour aller au plus près des œuvres. Ses doigts qui effleurent le canevas sans trop osé, tel un enfant à qui on aurait interdit de toucher, mais qui ne saurait se retenir. Il faut croire que j’avais visé juste en l’entraînant bien loin de la bulle que l’on, c’était créer dans cette chambre d’hôtel. On sera en sécurité ici. Personne ne pourra nous trouver et le temps d’un café, on aura encore le droit de s’évader. « La même chose aussi. » Il se fiche complètement de Paul le brun tant il semble submergé par tout ce qui l’entoure. Un gamin dans un magasin de jouets. Un petit garçon qui s’émerveille des couleurs qui se dressent devant ses yeux. « J’espère que t’as de bons goûts. Tout repose sur toi. » Je pouffe de rire. « Je suis assez confiant. » Tout ici est excellent. Le café a cette saveur particulière que je n’ai encore jamais retrouvée nulle part ailleurs. Les sucreries ramènent à des souvenirs d’enfance. Il n’a pas le temps pour la conversation Auden, déjà, il s’échappe pour aller papillonner auprès des dessins. Ils arrivent près de mes favoris. Ceux que l’hôte de ces lieux invente au rythme d’un tracé caféiné. « Tu sais d’où ils proviennent ? » « La plupart sont de Paul, je crois. » On reconnaît parfois aisément le style de l’ancien. « Surtout ceux peint au café. » J’ai parfois eu la chance de voir le maître à l’œuvre. C’est toujours passionnant que de voir un esprit créatif au travail. « Je ne sais même pas ce que tu fais dans la vie, d’ailleurs. Tu pourrais être Banksy, qui sait. » Un nouveau rire m’échappe alors que je secoue la tête. « Mes qualités en termes de dessin se sont arrêtées au niveau des bonshommes en bâtons. » Et encore, parfois, je me demande si un enfant de cinq ans ne saurait pas mieux les dessiner que moi. C’est affligeant, vraiment. « Mon truc à moi, c’est la musique. » Et à l’instant même résonne la voix de Louis Armstrong dans le fond de la boutique. Rien de plus pour me faire sourire comme un dément. « Il y en a un qui te plaît ? » que je demande alors pointant d’un geste de la tête les dessins qui s’étalent sur le mur. Lui a l’air de s’y connaître en peinture.

Si beaucoup pourraient se sentir chez eux grâce à l’odeur des grains de cafés ou autres pâtisseries, c’est pour ma part celle de la peinture qui me tient alerte. Mes doigts ont bien assez longtemps glissé sur les surfaces en tout genre pour que cela prouve bien mon intérêt pour la chose et ce sans comparaison possible avec quoi que ce soit d’autre. Dès qu’il est question d’art, le reste cesse d’exister. Bailey me sert de guide dans ce café que je connais finalement aussi peu que la ville où il se situe - et même le pays - et je suis bien heureux de constater qu’il semble maîtriser son sujet. « La plupart sont de Paul, je crois. » Mon regard dérive vers le patron occupé à préparer …. peu importe ce qu’on a bien pu commander. Aux premiers abords, j’avoue que je n’aurais jamais osé lui donner l’âme d’un artiste. « Surtout ceux peint au café. » J’hoche de la tête, pour moi même bien plus qu’autre chose. “Je vois. Astucieux.” Je n’avais pas su déterminer qu’est ce qu’il utilisait exactement pour ses toiles et dessin mais me voilà avec une question de moins à lui poser. Il utilise ce qu’il a à profusion, c’est vraiment une bonne idée. Je ne suis pas certain de la tenue dans le temps mais ça doit sûrement être le cadet de ses soucis. Lorsque mes yeux se posent de nouveau sur l’anglais, c’est un sourire qui anime aussi mes lèvres. Il semble être doté de bien des secrets, décidément.

Il n’est apparemment pourtant pas Banksy et je suis finalement quelque peu déçu. « Mes qualités en termes de dessin se sont arrêtées au niveau des bonshommes en bâtons. » Je ne tenterai pas de lui faire croire le contraire. Je suis d’avis que nous ne sommes pas tous nés avec un talent pour l’art et ce serait aussi naïf que stupide de croire que le niveau d’excellence de certains va plus loin que les bonshommes en bâtons. C’est la vie, tout simplement, et je ne doute pas un seul instant que Bailey soit doué pour faire d’autres choses de ses mains. Il a cette aura particulière qui ne correspond qu’aux artistes et si la peinture ou même le dessin ne sont peut être pas ses domaines de prédilection, il en existe encore une infinité d’autres. « Mon truc à moi, c’est la musique. » Mon sourire grandit un peu plus. Je n’aurais jamais pu m’en douter et maintenant, pourtant, ça semble faire sens. “Tu composes ? Tu chantes ? Tu joues ? Tu n’en dis pas assez, là.” Pour une fois que je m’intéresse à quelqu’un d’autre que moi. Il n’a aucune idée d’à quel point il est une exception à lui tout seul et je me garde bien de lui en faire part. D’ici quelques heures à peine, il ne sera qu’un inconnu à l’autre bout du monde. « Il y en a un qui te plaît ? » Attentif, je regarde une nouvelle fois le mur de dessins pour me faire une idée de la chose. “J’aime les idées. La technique peut être améliorée mais pour un amateur, ça reste vraiment très bon.” Il se fout sûrement cordialement de mon analyse mais je ne peux pas m’empêcher d’en faire une à haute voix. On dira que c’est pour ne pas perdre la main. “Si je devais en choisir un, ce serait celui-ci.” Du bout du doigt, je montre une version remaniée de La nuit étoilée faite au café. Certains seraient étonnés de mon attachement aux choses anciennes, d’autres auraient roulé des yeux face à ma prévisibilité. “T’as connu comment, l’endroit ?”

Il tenait une signification tout ce qu’il y a de particulière cet endroit et le faire découvrir à Auden, c’est le laissé entrer dans mon monde, juste encore un peu. Je ne regrette pas ma décision tant il semble émerveiller par l’endroit et par les dessins qui recouvrent les murs. On est très loin de la prétention d’un musée d’art, mais ces dessins, ces instants de vie à jamais graver sur le papier amène une certaine douceur qui vous englobe tout autant que l’odeur du café chaud. On se sent bien ici, c’est un refuge pour l’âme. « Je vois. Astucieux. » Son air émerveillé ne cesse de me faire sourire. Il faut croire que les artistes se reconnaissent entre eux. Le dessin semble faire pleinement parti de son quotidien tant il s’attarde sur le moindre détail, cherchant à comprendre la technique, à déceler le coup de crayon différent. À mes yeux, les dessins de Paul sont extraordinaires tant il reflète la capture d’un instant. Si bon nombre des toiles semblent abstraites ou dénonce une légère copie des tableaux de maîtres, les œuvres que je préfère reste les portraits des clients que le vieil homme semble adorer croquer. Jamais ils ne sont bien nombreux dans cette petite boutique, mais tous semblent si différent. Cacher quelque part au milieu de tout cela, je sais que se dresse, un portrait de moi, écouteur sur les oreilles, partitions sous la main.

Il semble déçu d’apprendre mes piètres talents en dessins mon amant d’un jour. Bien trop curieux pour en rester là, il enchaîne les questions, ce sourire en coin toujours peint sur son visage. « Tu composes ? Tu chantes ? Tu joues ? Tu n’en dis pas assez, là. » « Ou j’en ai déjà trop dit. » que je taquine quelque peu, voulant faire durer le suspense quand en réalité rien de bien intéressant se cache là-dessous. Musicien qui se terre derrière sa peur, producteur en devenir qui balbutie encore dans l’ombre de son père. Rien de grandiose. « Je fais tout ça, pour moi. » que je finis par murmurer, parce que jamais mon paternel n’aura connaissance de cette conversation et jamais Auden n’entendra ce que je compose parfois. « Pour les autres, je compose. » Des mélodies qui s’accordent et se défont, des bribes de paroles que je revends au prix d’or sous un faux nom. « Je travaille dans un label. » On taira qu’il s’agit de celui de la famille. « Ma passion, c’est de débusquer des nouveaux talents là où on va trop rarement les chercher. Dans la rue, dans les scènes ouvertes des petits bars de Londres. » Aller chercher le vrai quand le superficiel ne m’as jamais intéressé.

Assez parler de moi quand les yeux du brun n’ont toujours pas quitté le mur. Je suis curieux de son avis. « J’aime les idées. La technique peut être améliorée, mais pour un amateur, ça reste vraiment très bon. » Mes sourcils se froncent sous ce jugement qui sonne tant professionnel. « En réalité, c’est toi Banksy ? » que je demande en riant un peu, mais persuadé que l’art tiens une part importante dans sa vie. « Si je devais en choisir un, ce serait celui-ci. » Représentation de la nuit étoilée un peu retravailler. « Très bon choix. » Du coin de l’œil, je vois Paul déposer nos deux tasses et les petits pains à la cannelle à ma table habituelle. Je le remercie dans un sourire avant de me focaliser à nouveau sur Auden. « T’as connu comment, l’endroit ? » « Par le plus pur des hasards. » que je plaisante l’entraînant vers la table. « Il pleuvait à torrent. » Rien d’étonnant pour Londres. « Je cherchais un endroit pour m’abriter et j’ai atterri ici. » Hasard total qui m’avait amené à découvrir un endroit hors du temps. « Depuis, c’est devenu ma cachette, quand j’ai besoin de me retrouver seul. » Et pour la première fois, je le partage avec quelqu’un. J’avais senti que cela allait lui plaire. « Tu devrais goûter la pâtisserie, c’est à tomber. » que je souris alors que l’on s’installe à table. Le bois est usé, des notes de musique sont encore visible dans un coin, un jour où je n’avais pas de papier sous la main. « On oublie un peu l’extérieur, ici. »

« Ou j’en ai déjà trop dit. » A cela je ne le crois pas un seul instant. On a passé un accord pour taire notre passé et les raisons qui nous ont conduites dans le bar de la veille mais on ne peut pas vivre que sur des non-dits et je compte sur lui pour s’ouvrir un peu plus cette fois-ci. Mon sourire répond au sien et je me fais patient, calquant mon propre rythme au sien. La sentence tombe finalement sans que je ne sois nullement surprise par la teneur de ses propos. « Je fais tout ça, pour moi. » Il a tout d’un artiste et, surtout, il a tout d’un grand artiste. La polyvalence est souvent de mise dans notre métier et je suis heureuse qu’il sache faire plusieurs choses de ses mains et de son cerveau. Ca lui permet de toujours pouvoir rebondir. « Pour les autres, je compose. » Bien que ce milieu ne m’ait personnellement jamais intéressé, je garde un profond respect de ceux qui en font leur métier et, surtout, qui sont bons en la matière. Les ratés ne m’intéressent jamais de toute façon. « Ma passion, c’est de débusquer des nouveaux talents là où on va trop rarement les chercher. Dans la rue, dans les scènes ouvertes des petits bars de Londres. » Je hoche une dernière fois de la tête, pensif. J’ai bien du mal à comprendre pourquoi il ne se concentre pas sur sa propre carrière plutôt que de chercher à faire d’autres des étoiles montantes pour qu’ils l’oublient une fois au sommet. Nous n’avons pas le même caractère, c’est certain, mais je découvre maintenant qu’ils s’opposent tous deux parfaitement. Cette fois ci je me contente d’accepter son choix sans le juger, ou presque, et encore une fois il est une exception sans le savoir. Je ne me serais pas fait prier pour laisser savoir ce que je pense d’une telle chose, si ça avait été quelqu’un d’autre.

« En réalité, c’est toi Banksy ? » “Si seulement."

Finalement la commande nous est apportée, des pâtisseries en supplément. Mon regard s’attarde bien plus sur les mains fatiguées du gérant que sur le reste mais une fois ce dernier partie, je me retrouve bienheureux d’avoir suivi les choix de Bailey. A vrai dire, dès qu’il est question de café, ça ne peut qu’être un bon choix. Et dès que c’est un café qui n’a rien à voir avec celui de l’hôtel, ce n’est que meilleur encore. L’anglais en profite pour m’expliquer rapidement comment il a connu l’endroit, s’attardant pourtant sur des détails qui le mettent à nu assez rapidement. S’il m’inspire confiance à moi aussi, j’aurais pourtant bien du mal à me montrer aussi ouvert face à un étranger avec qui je n’ai finalement partagé qu’une seule nuit. Encore une fois, si ça n’avait été que moi, j’aurais sans doute préféré qu’elles se conjuguent au pluriel sans ne jamais s’arrêter. Tout était simple et tout était naturel, hier. Tout n’avait jamais été aussi normal. “A ta santé l’artiste.” A défaut d’avoir un cocktail pour trinquer avec lui, c’est la tasse de café température-Ginny que je laisse tinter avec la sienne. Je me brûle la langue en en buvant une gorgée puis décide finalement de me rabattre sur les pâtisseries le temps que tout refroidisse. “J’ai pas d’endroit comme ça, en Australie. Y’a que chez moi où je peux travailler sur mes toiles et où je sais que je me sentirai bien.” Je confesse finalement en haussant les épaules, mon regard occupé sur la nourriture seulement. Maintenant, même chez moi je sais qu’il me manquera toujours sa présence à elle. Même chez moi, je ne m’y sentirai plus jamais bien. “Je vais appeler un taxi, c’est un bien meilleur endroit pour les au revoir que Stansted, sérieux.” Il en a déjà bien assez fait, je ne veux pas qu’il m’accompagne jusque là bas et même s’il ne l’avait pas proposé, je préfère tout anticiper. Il ne connaît rien de mon - très - mauvais caractère et c'est très bien comme ça. "J'aurais été ravi de te connaître, Bailey."

Comme couper du monde, on peut se laisser un peu aller ici. C’est prolonger le moment qui nous aura unis dans la nuit. Juste encore un peu. Avant que la vie nous rappelle à nos obligations. Je prends le temps de l’observer s’émerveiller, il m’écoute avec attention, là, assis à cette petite table de rien du tout. Le café est chaud, les pâtisseries remplie de sucre. Que demander de plus ? « A ta santé l’artiste. » Nos tasses qui s’entrechoquent, nos sourires qui se croisent. Il rêve de dessin, de couleurs et de peinture Auden. J’arrive à le lire dans son regard, dans l’analyse qu’il fait des lieux qui nous entourent. Son œil est critique sans jamais juger de trop. Fin observateur, il a probablement su déceler le talent de Paul qui jamais ne prétendra être un grand artiste. Simple amateur qui désire faire partager ses œuvres à ses clients qu’il chérit tant. « J’ai pas d’endroit comme ça, en Australie. Y’a que chez moi où je peux travailler sur mes toiles et où je sais que je me sentirai bien. » Quelque chose me dit qu’il rêve d’être chez lui. Cette escapade londonienne semble avoir réduit en cendres certains de ses espoirs. Je garde pour moi les questions qui me brûlent la langue, préfère les noyer dans ma tasse de café. Il a ses raisons, je ne dois pas m’en mêler. Mais plutôt profiter, du soleil qui viens chatouiller sa mâchoire et de ses yeux rieurs, que je ne suis pas près d’oublier. « Je vais appeler un taxi, c’est un bien meilleur endroit pour les au revoir que Stansted, sérieux. » La magie se brise. Il doit partir et en rien, je ne peux le retenir. C’était convenu ainsi. « J'aurais été ravi de te connaître, Bailey. » « Le plaisir est partagé, Auden. » Un fin sourire se dessine sur mes lèvres alors que déjà, je laisse quelques billets sur la table. Après tout, c’est moi qui lui devais cette tournée. Ne voulant faire durer le supplice, je récupère mon manteau et me lève. « Peut-être qu’un jour, je viendrais voir cette vue de ton côté du monde. » que je plaisante une dernière fois avant de déposer mes lèvres sur sa joue et de filer dans la rue sans me retourner. La fin d’une parenthèse appréciée.