C'est tout sauf eux que je m'attendais à voir de l'autre côté de la porte. Ils avaient été catégoriques la dernière fois, l'avaient dit haut et fort sans aucun point de non-retour : nous n'étions plus de la famille. Ni Noah, ni moi. Alors bien évidemment que lorsque mon regard se hausse pour croiser celui d'Isaïah et de Marianne, je sais que c'est assurément ma soeur qu'ils veulent voir, et certainement pas moi.

« Elle est à l'étage, elle fait la sieste. Je peux lui dire que - »
« Nous savons qu'elle a eu les bébés. »
« Laisse-nous entrer Virginia. »

Mon coeur se serre dans ma poitrine. Un peu parce que je n'ai pas réussi à être assez rapide pour couvrir ma soeur autant puisse-t-elle l'être, couverte. Surtout parce que la voix sèche et catégorique de mon père arrive encore malgré tout à me glacer le sang lorsqu'il ordonne quelque chose. Bailey n'est pas à la maison parce qu'il avait une importante réunion avec ses producteurs toute la journée. Auden s'est vanté de terroriser des gamins tout l'après-midi alors que je le sais passionné par son rôle d'enseignant plus que quiconque. Ne reste que moi, Jill, et Logan. Logan qui, fidèle à lui-même, sait très bien qui vient ici avec de bonnes intentions et qui vient ici avec tout l'inverse. Il grogne le canin, il grogne et je me penche à sa hauteur pour gratter entre ses oreilles, prenant tout le temps du monde pour me redresser, pour plonger enfin mes iris dans les paires de ceux qui, jadis, se sont dit être mes parents.

« Je peux lui dire que vous êtes passés et elle vous téléphonera si elle en a envie. »
« Les jumeaux sont ici ou à l'hôpital? »
« Virginia, je ne le répèterai pas. »

Ma salive fait mal, à être ravalée. Mais ma main qui se ressert sur la poignée de porte dans le but de la fermer elle, agit à titre de soulagement. Jusqu'à ce qu'Isaïah la bloque du revers la porte, que son sourcil s'arque et que sa langue claque. « Tu es encore enceinte? »

Elle est épuisée. Elle l’est toujours depuis qu’elle a commencé à être alitée. Elle a constamment envie de fuir et de changer de pays sans prévenir personne. Mais elle revient toujours dans cette maison. Elle prévient Bailey quand elle s’en va, il lui envoie un message quand elle a besoin qu’elle revienne.

Aujourd’hui il n’est pas là, et Jill est incapable de s’occuper des bébés toute seule. Elle a besoin de quelqu’un à ses côtés, une personne en qui elle peut avoir confiance. Alors elle a appelé Ginny. Elle est toujours parfaite avec les jumeaux, et Jill ne sait pas comment c’est possible d’aussi bien s’en sortir avec deux enfants en même temps. Elle observe de loin Jill, comme si elle n’avait rien à faire au beau milieu de ce tableau.

Elle était fatiguée, et elle est montée pour s’allonger et s’endormir. Elle somnole quand elle entend quelqu’un toquer à la porte, elle ne sait pas où est Ginny alors elle ouvre les yeux en restant allongée. Elle essaie d’écouter les voix après que la porte ait été ouverte, et son sang se glace au même moment où ses yeux se figent sur la porte de la chambre. C’est leurs parents. Qu’est ce qu’ils viennent faire ici ? Sa respiration se coupe et elle tremble Jill. Ce n’est pas le moment. Pas alors qu’elle est aussi fragile, aussi perdue dans sa tête et dans son coeur. Ils ont une emprise trop grande les parents McGrath, personne n’est capable de la toucher comme peuvent le faire ses parents. Elle s’assoit et écoute sa soeur tenter de les sortir de la maison, les sortir de leurs vies une nouvelle fois. Ils finissent toujours par revenir au pire des moment.

Elle aurait pu rester cachée dans la chambre Jill, écouter les voix en espérant qu’ils finissent par se lasser et partir, mais ça serait mal connaitre les parents McGrath. Marianne et Isaïah sont encore plus tenaces et têtus que leurs enfants. Elle souffle, la panique s’empare d’elle mais elle descend. Elle croise le regard de Ginny qui a aussi l’air d’être brisée en 1000 morceaux rien qu’en entendant le son de leurs voix. “Vous deviez ne jamais revenir.” “Vous ne deviez pas faire de vagues.” Elles ont fait tout ce que les parents ne voulaient pas, et elles s’en fichent. Elles s’en fichent tant qu’elles ne se retrouvent pas en face d’eux et des démons qu’ils incarnent. “Vous voulez quoi ?” “Tu as une mine affreuse.” “T’es incapable de gérer un enfant Jillian. Tu n’as jamais rien su gérer dans ta vie.” Elle assomme la phrase, elle coupe le souffle pendant de longues secondes.

“Vous deviez ne jamais revenir.”
“Vous ne deviez pas faire de vagues.”
“Vous voulez quoi ?”
“Tu as une mine affreuse.”
“T’es incapable de gérer un enfant Jillian. Tu n’as jamais rien su gérer dans ta vie.”
« Ça suffit. »

Ils sont là, stoïques et cruels.
Ils ont probablement parcouru la planète strictement pour ça, rien que pour ça. Pour aligner les jugements et les critiques, pour ne faire qu'un front commun contre leurs enfants qui ont passé leur vie à tenter d'être à la hauteur quand au final, leur échelle de classement avait tout de faux, de ridiculement horrible.

Papa toise toujours Jill quand maman elle, déporte ses prunelles acérées contre les miennes. Leur silence fait bien plus mal que leurs paroles, et ça, mon aînée le sait aussi bien que moi. Ils savent qu'elle a eu les jumeaux, ils savent que je suis enceinte à nouveau. Ils savent où elle habite et fort probablement qu'ils savent que mon adresse est à quelques rues à peine d'ici. Fidèle à elle-même, c'est Tracy qui se réveille en pleurs de sa sieste, concluant aussi abruptement le concours de celui qui tient le plus le regard de l'autre que la sieste de Bowie. Mes parents sont le dernier de mes soucis quand les bébés agissent comme la meilleure des utilités de mon temps en l'instant. La fillette autour de laquelle je passe mes bras, elle qui vient instinctivement nicher son visage rouge et en pleurs contre ma nuque. Bowie lui, jette son dévolu sur l'un des jouets que Matt a acheté et que je lui tends d'une main libre, un écureuil en peluche tenant une immense tasse à café qu'il mâchouille éternellement de ses gencives baveuses.

“Ce sont tes enfants, et c'est ta petite soeur qui s'en occupe?” la sujet est sensible, si sensible que je refuse le moindre centimètre de plus à leur céder.  « Qu'est-ce que vous voulez, cette fois-ci? » ils veulent toujours quelque chose. Au-delà de nous briser, j'entends.

C'est Ginny qui prend les devant cette fois, c'est elle qui est la plus forte des deux. Elle est bien plus forte que Jill depuis des semaines. Son souffle est court, son cerveau enregistre chaque mot qui sort de la bouche d'Isaïah ou de Marianne. Des frissons lui parcourent l'échine, et elle redevient cette adolescente sur qui ils avaient et ils ont toujours une emprise bien plus importante que ce qu'elle ne veut bien avouer. Elle n'a pas la force de leur dire de s'arrêter, elle n'a pas non plus la force de détourner le regard de celui de son père. Elle se détruit très bien toute seule depuis l'accouchement, mais son père n'est là que pour l'enfoncer un peu plus. Et, ce qui est le plus terrifiant, c'est qu'il va y arriver en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. 


Les enfants se mettent à pleurer, elle n'a pas besoin de ça en plus et son regard paniqué croise celui de Ginny. Encore une fois elle la regarde faire, comme si elle n'était pas à sa place au milieu de cette scène. La voix de sa mère est dans son dos et les mille morceaux sont brisés de nouveau en mille. Elle ne sait pas s'occuper de ses enfants, elle le sait, et eux aussi maintenant. "Je…" et pour une fois elle n'a rien de plus à dire. "T'es inconsciente Jillian." "Tu ne seras jamais capable d'élever des enfants. Ta vie n'a aucun sens depuis que tu es née." Sa tête tourne encore et encore alors qu'elle tourne la tête vers Bowie qui joue avec sa peluche. Celle de Matt. Où il est ? Est ce qu'ils l'ont déjà brisé lui aussi ? Elle glisse son doigts sur la joue de Tracy et elle se met à hurler. Elle ne fait qu'appuyer les propos des parents McGrath, elle la déteste. "Comment tu vas faire si un des deux est fou ? Comme toi ?" Ses sourcils se froncent. "Ca n'arrivera pas." Ca pourrait, mais elle ne souhaite ca a personne. 

  

Sur une échelle de un à un million, jamais je n'aurais cru avoir à gérer mes parents après l'ultime fois où ils étaient venus à l'atelier, où ils avait clairement statué que ni Noah ni moi n'avions notre place dans leur famille si bien tissée. Aujourd'hui, c'est le coeur brisé que je les vois se ternir dans l'entrebâillement de la porte, jamais invités à entrer, encore moins à statuer les horreurs qu'ils semblent si facilement à l'aise de proférer.

"T'es inconsciente Jillian." "Tu ne seras jamais capable d'élever des enfants. Ta vie n'a aucun sens depuis que tu es née." mes dents mordent l'intérieur de ma joue, incapable de trouver une répartie assez méchante pour arriver à les renvoyer d'où ils viennent sans qu'ils ne heurtent encore à ce point Jill. Un bref coup d'oeil vers elle me serre le coeur quand mes mains elles, se serrent autour de Tracy qui continue de pleurer comme si la vie en entier l'avait cassée.

"Comment tu vas faire si un des deux est fou ? Comme toi ?"  
"Ca n'arrivera pas."
« Marianne. »

À mon tour de hausser le ton, au point où Bowie cesse de jouer avec sa peluche, au point où je sens les doigts de Tracy se resserrer sur les pans de mon t-shirt. Elle est interloquée notre mère, elle n'est pas habituée à ce que j'use de son prénom pour la ramener à l'ordre, à ce que je la ramène à l'ordre tout court. « Tout allait bien avant que vous apparaissiez de nulle part. C'est assez. On ne vous a jamais dit d'entrer. » ils sont pourtant au beau milieu du salon, immuables et si grands, si imposants qu'ils en font encore plus peur. "Ne commence pas." « Sinon quoi? » mon menton se redresse, Tracy se niche contre mon épaule elle et son visage bouillant de peine, ses pleurs qui ont doucement cessés.

"Ces enfants-là sont maudits d'avance. Ceux de Jillian comme les tiens." ma salive est difficile à avaler, pourtant jamais je n'oserai détourner les yeux. "Elle rendra les siens fous et tu rendras les tiens malades." mon coeur se serre, autour de mes doigts sur la robe de nuit de Tracy de faire la même. "C'était pour votre bien, que nous vous avons empêchées d'aller jusque là." non, je refuse, que les larmes remontent, je refuse qu'ils me voient ainsi. "À vous voir il est véritablement trop tard."

Elle a l’air d’une enfant prise sur le fait Jill. Elle est debout au milieu du salon, son regard faisant des allers-retour entre les yeux de son père et les larmes de Tracy. Ils ont raison, elle n’est pas capable de s’occuper d’enfants. Ce sont les siens, et ses yeux s’emplissent de larmes quand elle regarde Bowie serrer doucement la peluche qu’il a entre les mains. Elle soupire et regarde une seconde ses pieds. Elle ferme les yeux et ravale ses larmes. Pas là, pas maintenant. Ils ne méritent pas de voir à quel point ils la touchent et la connaissent bien. Ils n’ont pas le droit de voir ce genre de chose. Elles ont toujours voulu essayer de ne pas être attaché à leurs parents, et pourtant, leurs avis leur importe toujours autant. Elle ne demande pas ce qu’ils pensent de leurs choix de vie, de leurs décisions, mais elles écoutent leurs avis et les enregistrent comme si leurs vies en dépendaient.

Ginny est aussi déboussolée, aussi attristée par la situation que Jill. Elle parle de sa maladie et les yeux de Jill se perdent dans le vie. Ils savent toucher les points sensibles, ceux qui vont la faire réfléchir trop et trop longtemps. Elle est déjà perdue Jill, et personne ne pourra la rattraper à ce stade. Elle s’effondre, le peu de choses qui restait s’écroule de l’intérieur sans qu’elle ne le montre. Ses bras se retrouvent le long de son corps et elle écoute. Elle tourne la tête vers Ginny, surprise qu’elle hausse le ton et qu’elle prenne sa défense. C’est Jill qui les cherche en temps normal, mais là, elle ne peut plus rien faire à part réfléchir et laisser tourner les voix dans sa tête sans que ça ne puisse s’arrêter.

Cette famille est une malédiction, comme s’ils n’avaient jamais le droit d’être heureux. Toujours rappelé à l’ordre par deux personnes qui n’ont de parents que le nom. “T’as déjà dit ça la dernière fois.” “Je pensais pas que vous puissiez faire pire.” Jill fronce les sourcils avant de croiser le regard de son père qui se tient droit devant elle. “Tu peux toujours les abandonner tu sais.” Comment il ose dire un truc pareil. “Ta soeur se chargera de s’en occuper. Ca n’a pas l’air de la déranger d’avoir des dizaines d’enfants de pères différents.” Jill tourne la tête vers Ginny, un air désolé sur le visage. Décidément, ils ne sont pas là seulement pour Jill. “Peut-être que quand le père de celui là l’aura abandonné elle retournera vers Bailey pour qu’il s’occupe d’elle avant qu’elle en trouve un nouveau.” “Vous n’avez aucun droit de venir ici et nous insulter.” C’est les seuls mots qu’elle arrive à articuler alors que les deux McGrath sont placées au rang de progénitures ratées. “Partez !” “Non.”

Et tout ce que je voulais, c’était défendre Jill. C’était leur montrer à quel point on avait grandi, à quel point on n’avait plus besoin d’eux. Je rêvais qu’ils entrent ici et qu’ils voient qu’on avait évolué, qu’on était meilleures, tellement plus fortes qu’ils n’auraient jamais pu penser. Tout ce temps à se reconstruire et à ravaler, tout ce temps qu’ils égrainent de leurs commentaires acerbes et de leurs regards accusateurs. Jill est mal, si épuisée. J’ai cru être solide, j’ai cru l’être pour deux. Ce n’était qu’un artifice sachant comment ils n’attendaient seulement que j’ose pour faire pire encore. Pire que toujours.

Ils s’attaquent à elle, puis ils s’attaquent à moi. Tracy s’est blottie contre mon torse, elle qui n’a pas conscience des horreurs que ses grands-parents profanent en plein dans l’endroit où elle devrait se sentir heureuse et à l’aise, où sa mère devrait l’être autant qu’elle. Personne ne va bien dans ce salon, personne n’est à l’abri et si j’encaisse de toutes mes forces, je le fais pour Jill et je le fais pour les jumeaux. J’aurais mal plus tard, je craquerai plus tard. Loin d’eux.

“Je pensais pas que vous puissiez faire pire.”
“Tu peux toujours les abandonner tu sais.”
“Ta soeur se chargera de s’en occuper. Ca n’a pas l’air de la déranger d’avoir des dizaines d’enfants de pères différents.”

Elle pique et elle pointe, Marianne qui se tient si droite aux côtés d’un Isaïah impitoyable. Je sais ce qu’ils tentent de faire et si ma gorge ne se nouait pas si douloureusement, j’aurais renchéri en disant à quel point ces enfants sont chanceux d’avoir Jill comme mère, à quel point elle leur donnera tout ce qu’elle peut dès qu’elle aura repris des forces et dès qu’elle sera remise sur pied. Mais ils font exprès et en l’attaquant elle, ils ne manquent pas de m’attaquer moi. “Peut-être que quand le père de celui là l’aura abandonné elle retournera vers Bailey pour qu’il s’occupe d’elle avant qu’elle en trouve un nouveau.”

C’est trop.
C’est trop et c’est ce qui justifie la gifle qu’elle reçoit, ma paume s’étalant sur la joue de Marianne d’un élan d’un seul. Elle renchérit, bien sûr que oui, quand sa propre main colore ma joue de carmin en échange. Les larmes au coin de mes yeux remontent bien plus fort encore, bien plus douloureuses. Elle n’a pas gagné mais elle agit comme tel.

“ Vous vous méritez. Et vous méritez les vies pitoyables que vous avez choisies. N’osez jamais revenir, quand ils vous auront abandonnées parce que vous ne serez jamais capables de tout faire toutes seules. Vous ne l’avez jamais été et vous ne le serez jamais. ” faibles si faibles. Jamais fortes, ni pour eux ni pour nous.

Mes joues sont humides, Tracy se replace quand mes larmes dérangent sa nouvelle sieste inopinée. Ils ont fait mal, ils sont passés maîtres dans l’art.

Depuis la naissance des jumeaux, les sœurs McGrath sont devenues plus proche que jamais. Ce que je pensais encore impossible il y a quelques mois se déroule désormais sous mes yeux de manière quasi quotidienne. Si tout semble bancal au sein de mon couple et dans la famille que l’on tente de construire, il semblerait qu’à l’extérieur, les relations se soudent d’une toute autre manière. Elle nous l’avait promis silencieusement à la maternité Ginny, qu’elle serait là, encore et toujours. Le roc dans nos fracas. L’élément essentiel, celui qui fera toujours la connexion, lorsque parfois la communication devient compliquée entre Jill et moi. De cette relation, en découle une autre, bien plus inattendu, tout aussi exceptionnel. Il semblerait que passer du temps en la compagnie d’Auden ne soit en réalité pas un supplice, mais plutôt quelque chose d’intéressant et de constructif. Il est tout ce qu’il y a de plus attentionné et tendre avec les jumeaux l’artiste peintre. Plus d’une fois, il m’a surpris ces dernières semaines et la dernière fois nous nous sommes retrouvés à discuter pendant ce qui a semblé être des heures sans jamais aller trop loin, sans chercher à blesser l’autre. C’est de là que m’es venu l’idée alors qu’en partant du travail, j’ai croisé Ginny dans mon allée. Envoyé un message à Auden, lui proposer de le récupérer à la fin de sa journée d’enseignement. Revenir à la maison ensemble, pour prouver à nos femmes que la bonne entente est là pour durer. Passer un moment, en famille, comme il est devenu monnaie courante.

Il évoque ses cours alors que je chercher désespérément la clé du portail. Ce ne sera pas nécessaire, ce dernier est grand ouvert. Mes sourcils se froncent alors que j’aperçois la Bentley garer si proche de la porte d’entrée. « Je connais cette voiture. » Et je n’aime pas ça lorsque je devine que les filles ont reçu une visite surprise. « Les beaux-parents sont là. » que j’annonce à l’italien, le visage fermé, le ton dur. Inspirer, s’armer de courage, descendre de la voiture. Chaque geste devient un automatisme alors que l’on rejoint la maison d’un pas pressé.

C’est le bruit de la main de Ginny qui claque sur la joue de Marianne qui nous accueille. La mère qui réplique tout aussi vivement et mon bras qui retiens de justesse l’élan d’Auden. « Vous vous méritez. Et vous méritez les vies pitoyables que vous avez choisies. N’osez jamais revenir, quand ils vous auront abandonnées parce que vous ne serez jamais capables de tout faire toutes seules. Vous ne l’avez jamais été et vous ne le serez jamais. » Les sœurs sont en pleurs alors que Marianne se complet dans son horreur. Mes doigts desserrent le bras d’Auden et nos regards se croisent. Les filles sont en pleurs. À cet instant précis, il a tous les droits. Je lui laisse l’élément de surprise avant de hurler. « SORTEZ DE CHEZ MOI. » Et déjà, j’attrape Isaïah par le col de la chemise. Il paiera pour les autres, pour toutes les fois où il a cherché à briser ses filles. « J’hésiterai pas à vous tuer si vous revenez. » Jamais je n’avais été si froid, si capable de faire du mal juste pour le plaisir. Les pleurs de ma fille font que mes doigts se portent au cou de son grand-père. « Je n’ai plus peur de vous Isaïah. » Et c’est ce qu’il devrait craindre par-dessus tout.

« Je connais cette voiture. Les beaux-parents sont là. »

Tout ce qui avait l’air d’être une bonne soirée à venir s’est effondré à ce moment précis. Les beaux parents. On les connaît tous les deux, sans doute trop bien, et ils sont la seule et unique raison pour laquelle chaque fibre de notre corps change du tout au tout et pourquoi nos mâchoires deviennent aussi serrées et nos déglutissements douloureux. Les beaux parents. Je les pensais enfin sortis de leurs vies, aux McGrath, à Ginny surtout. J’avais tort, si tort.

Et il n’est pas suffisant, le bras de Bailey, pour m’empêcher d’aller coller un coup de poing dans le visage de cette femme qui ose gifler Ginny. Que ce soit sa mère ou non, que, justement, elle soit une femme ou non ; ça ne change absolument rien. J’enrage déjà pour mille raisons différentes et les mots qui suivent cette gifle n’arrangent rien, l’incarnat qui s’affiche peu à peu sur la joue de ma femme non plus. Le regard que j’échange avec Bailey l’instant d’après n’a jamais été aussi entendu et à son « SORTEZ DE CHEZ MOI. » répondent paradoxalement des gestes bien plus doux de ma part, quand ma seule et unique priorité est avant tout de m’assurer que Ginny et Tracy aillent bien avant de m’occuper du reste.

Bailey a attrapé son père par la chemise et on l’entend se débattre, on l’entend rager aussi et une de mes mains se posent doucement dans le dos de Tracy et l’autre dans celui de ma femme, juste après avoir pris le temps de sécher ses larmes et lentement glissé le long de sa joue désormais cerise. J’y dépose un baiser, m’assure qu’elle ne lui a pas fait plus de mal que ce qui est visible (la réponse est si, bien sûr que si elle lui a fait encore plus de mal que ça). Je respire difficilement, tiraillé entre toute la douceur dont je voudrais faire preuve auprès des deux filles et de ma rage intérieure qui ne cesse de croître. “Amène la ailleurs.” Que je demande pourtant ultimement à Ginny, désireux de sortir l’enfant du carnage qui va suivre. « C’est pathétique. » Mes dents se resserrent un peu plus encore et je cherche les yeux de Ginny des miens, pour lui assurer que tout ira bien et l’intimer à me faire confiance et m’écouter.

Une fois Ginny loin, je ne prends plus la peine d’ajouter des menaces avant de parler par mes poings. Marianne en a déjà eu bien assez et elle les a toutes balayées du coup elle l’a fait avec les souhaits et les désirs d’une Ginny qu’elle a gardé sous camisole pendant toute une vie. Ce sont les raisons pour laquelle mes poings partent sans crier garde, ils s’attaquent à sa mâchoire ciselée, ils font vriller son cou rapidement. Ils font mal. Elle titube et elle se reprend, mon poing accusateur reste levé, prêt à lui partager une seconde salve d’attaque et de coups que plus jamais je ne retiendrai à son encontre. “Si je vous revois, tous les deux, je vous tue.” Mes yeux ne mentent pas. Moi non plus.

Marianne parle d’abandon, et Jill frissonne une nouvelle fois. Elle ne s’en sortira pas si Bailey s’en va et la laisse là. Il vaut mieux que ce soit elle qui parte en première. Ca fera mal, mais bien moins mal que si c’était lui qui prenait la décision de la laisser seule avec les jumeaux. Il ne le ferait jamais, et elle devrait le savoir Jill. Mais aujourd’hui, la seule chose qu’elle croit, c’est les paroles de ses parents qui ne cessent de résonner. La main de Ginny claque sur le visage de Marianne, et il y a le retour qui laisse une marque sur la joue de Ginny. Elle ne suit plus Jill, elle est complètement perdue et la scène semble bien trop irréelle. Tracy est toujours calée contre l’épaule de Ginny et Jill est incapable de se rapprocher de ses propres enfants. Ca parait encore pire qu’avant. Rien ne s’arrange, les médecins ont menti, tout le monde lui a menti.

Auden entre et Bailey aussi. Et elle soupire de soulagement de les voir là tous les deux. La terreur et le chaos sont terminés, ils vont les aider, ils vont les faire sortir de là. Jill n’a que rarement vu Bailey aussi énervé. Elle n’essaie pas de l’empêcher de frapper son père, elle ne l’empêcherait même pas de le tuer sous ses yeux s’il le faisait. Bailey dit ne plus avoir peur d’Isaïah, et il devrait pourtant. Parce qu’il est le seul à avoir un tel impact sur la réflexion et les questionnements de Jill. Quelques larmes ont roulé sur ses joues et elle est épuisée. Bailey est hors de lui et il ne sait même pas ce qu’on pu dire les parents McGrath. S’il savait, il aurait sûrement déjà commencé à creuser un trou dans le jardin avec Auden.

Le poing d’Auden se retrouve sur le visage de Marianne et ça doit soulager tout le monde. Jill s’autorise un coup d’oeil à Ginny qui est aussi détruite qu’elle. Ils ont une trop grosse emprise sur elles, sur eux tous. Qu’il les tue tous les deux, le monde ne s’en porterait que mieux. Le poing de Bailey s’écrase lui sur le visage du père McGrath et c’est à ce moment là que Jill regarde vraiment Bailey quand il se rapproche d’elle et qu’il prend Bowie dans ses bras. “Je veux plus jamais les voir.” Mais le pire dans tout ça, c’est qu’elle les reverra. Parce qu’ils ne partent jamais très loin ou très longtemps.

Ma joue brûle et élance, mon coeur a arrêté de battre à un rythme normal. Ne reste que le regard noir que je relance à celle qui, jadis, s'est considérée comme ayant l'étoffe d'être une mère. Elle n'est rien Marianne, comme l'est Isaïah, ils ne sont qu'un ensemble suffocant duquel je croyais avoir pu me dégager il y a des mois déjà. Si seulement.

« SORTEZ DE CHEZ MOI. » Bailey apparaît, Logan file à sa hauteur et Auden est juste derrière lui. Rien ne fait de sens mais tout est sa place, quand il s'approche, quand il rage, quand il frappe, mais quand ultimement il arrive à ma hauteur. Ma silhouette s'ancre à la sienne le temps de reprendre des forces, mon souffle se perds contre sa peau dès lors que j'ancre mon front au sien.

“Amène la ailleurs.”
« Fais-les partir. »

Ma confiance en lui est complète, la pression du monde qui arque ma silhouette et affaisse mes épaules n'en est qu'une de plus. Ils jugent et ils trouvent la scène pathétique, mes parents qui n'en ont que le nom et qui jamais n'ont réussi à nous mouler à ce qu'ils voulaient tant nous n'avons été que suites de déceptions pour eux.

« J’hésiterai pas à vous tuer si vous revenez. » Bailey s'insurge et Auden s'y ajoute, au portrait se soustrait autant Jill que moi, Tracy dans mes bras et Bowie dans les siens. Je guide nos pas à la cuisine, ferme toutes les portes sur notre passage non sans souffler à chaque fois. Ma respiration n'arrive à aucun rythme normal, les cris et les coups dans la pièce d'à-côté ne font que plus mal encore et toujours. « Il faut avertir Matt et Swann. » accord tacite entre nous tous de se dire lorsque nos parents sont dans les parages, de se prévenir avant la guerre. Mon téléphone entre mes doigts tremblants a du mal, j'arrive pourtant à envoyer un message à mes frères en leur signalant l'alerte en tentant le plus possible de garder mon sang froid.

Ma tête se redresse vers celle de ma soeur, une ultime fois. J'entends le pas d'Auden derrière moi, je sais qu'il est de retour dans la pièce et qu'en l'occurence mon coeur a tous les droits de reprendre un rythme qui est bien plus naturel. « Oublie tout ce qu'ils ont pu dire. Ils ne nous connaissent plus depuis des années. » elle n'oubliera jamais. Elle ressassera toujours. Je n'oublierai jamais, je ressasserai toujours. Ils nous ont cassées et ils l'ont fait d'une main d'expert.

Mes mains elles, lui rendent sa fille, quand mes gestes hésitants sont si épuisés que j'ignore si je suis en mesure de rester debout. Mon bras se faufile sous celui d'Auden, ma tête cherche avec égoïsme sa nuque. Leurs mots restent, si présents et si marquants, que je m'accroche à tout ce que je peux, de la maison de Bailey jusqu'à la nôtre. La fuite n'aura jamais été aussi nécessaire.

Elle est aveugle ma rage lorsque je découvre mes beaux-parents au milieu du salon. Elle se décuple lorsque la main de Marianne s’abat sur la joue de Ginny. Elle déborde par vagues lorsque mon regard croise celui de Jill, vide de toutes expressions. Je ne réponds plus de rien, en oublie presque mes enfants qui pleurent, ma femme qui vacille. Elle prend le dessus la colère, bouffe tout sur son passage, ordonne le moindre de mes gestes. Isaïah que j’attrape par le col, que je plaque au mur, que je menace. Tout dans le son de ma voix, dans l’intensité de mon regard lui fait comprendre que je ne mens pas. Je tiens fermement par la gorge alors qu’Auden se défoule sur Marianne. Qu’il voie un peu, ce que cela fait de voir la femme que l’on aime se faire détruire. Logan lui attaque les chevilles à l’instant où je serre un peu plus fort. Mon coup de poing part la seconde d’après, en synchronisation parfaite avec celui d’Auden qui vient faire craquer le nez de la femme embourgeoisé. « Ne revenez plus jamais ici. » que j’ordonne avant de jeter le paternel par la porte en premier. Il s’étale sur le gravier à l’instant où je fais claquer la porte d’entrée.

On se précipite à la cuisine. Elles sont chacune recroqueviller dans un coin, un bébé dans les bras, le regard dans le vide. La scène est violente, elle brise en morceaux tant le travail de mois acharner viens de s’envoler en fumée. « Je veux plus jamais les voir. » « Ils ne reviendront pas. » Je peux lui assurer. La menace sera mise à exécution sans même sourciller avant qu’il n’ait le temps de franchir cette porte une fois encore. Instinctivement, ma main vient se glisser dans son dos alors qu’elle tient Bowie contre elle. Mes lèvres se posent sur son front avant que je ne me tourne vers Ginny et Auden. La benjamine semble sur le point d’exploser en mille morceaux sur le carrelage de la cuisine. Je récupère Tracy et garde la main de Ginny dans la mienne, le temps d’une seconde. Le temps de serrer lentement ses doigts, de lui insuffler la force qu’il faudra. La seconde d’après mon regard croise celui d’Auden. « Je serai là. » Pour les tuer s’il le faut. Pour leur venir en aide si c’est nécessaire. Ils vivent dans leur bulle autant que nous tous les deux. Il n’appellera probablement jamais à l’aide Auden, mais l’offre est là, elle est sincère. Je serai là pour tout si cela s’avère nécessaire.

Et ils s’en vont, laissant derrière eux quelques morceaux d’âmes. Et je rejoins Jill et Bowie. Mon bras libre qui les attire contre moi. Le temps d’une seconde, avant que Jill ne m’échappe.