Cette fois-ci j’ai tout fait comme il faut, je le jure. Il m’a appris la nouvelle comme un con mais ce n’est pas nouveau, ça, alors je ne m’en suis pas formalisé. Je suis allé dans une boutique de la ville pour lui acheter un cadeau pour son enfant. Un truc fait localement, écolo et bio, bref, tout le bordel qui me donne un peu meilleure conscience parce que je sais ne pas avoir été tendre avec lui et m’être attendu à ce qu’il me dise “mais non c’est une blague !” pendant des jours entiers. Il y a même une lettre avec écrit “Félicitations” sur le papier cadeau, un truc avec des alliances ET une tétine parce que mon frère comme moi ne savons apparemment pas faire les choses comme tout le monde c’est à dire prendre notre temps. Ceci dit, un mariage et un bébé en un an, il bat tous les records. J’ai eu besoin de quatorze ans pour en arriver à la même chose, je ne pense pas que ce soit comparable. Ce n’est de toute façon pas comme si nous pouvions être comparés d’aucune manière que ce soit.

C’est donc avec le papier cadeau en main, la boîte avec, que je me pose devant la sonnette de chez lui comme s’il n’y avait rien de plus normal à faire un beau dimanche après midi. Le soleil brille et le vent est absent, il ne fait ni chaud ni froid est tout est agréable ; assez pour que Ginny soit allée lire dans le hamac du jardin pour la première fois depuis longtemps. Elle avait bien sûr tout son stock de couvertures avec elle mais n’en reste pas moins que je suis heureux qu’elle ait sorti le bout de son nez, peu importe le temps que ça a duré, elle me rend fier. Mon frère beaucoup moins, ceci dit. Il s’est toujours vanté de sa parfaite petite vie de parfait petit PDG et le voilà qui remet tout en question du jour au lendemain (en un an) et je me moque de savoir s’il est heureux ou non, cet imbécile, quand tout ce que je vois c’est qu’il renie ses principes qui nous ont séparés pendant tant d’années. Tout aurait pu être évité et au delà de ça, tout aurait dû être évité.

De la phalange de mon index, j’appuie sur la sonnette. Impatient, la première sonnerie n’a pas finit de retentir que je recommence l’opération deux autres fois. Le haut parleur marche toujours, je le sais, alors je m’agace déjà en hurlant dedans. “Massimo ouvre c’est un cadeau pour le bébé. Y’a écrit félicitations tu vois que je fais des efforts, merde, allez, ouvre, c’est chiant d’attendre.” Et donc, oui, en effet, j’avais quelque peu oublié le simple détail faisant que sa femme rôde encore toujours dans les environs. La première, je veux dire, pas celle qu’il a épousée à Vegas sans me le dire.

Ça sonne à la porte. Tu n'as même pas besoin d'aller ouvrir pour savoir de qui il s'agit. La sonnette qui se fait aller avant même que la première sonnerie soit terminé; c'est Auden. Est-ce qu'il l'enlève seulement son doigt ou s'il la tient sans arrêt ? Sa voix s'élève et déjà la migraine te prend. « Massimo ouvre c’est un cadeau pour le bébé. » Qu'est-ce qu'il raconte encore ? Il a trop peur que Saül lui achète un truc nul qu'il achète son propre cadeau pour son propre enfant ? C'est sûrement ça. C'est débile, mais qu'est-ce que ça pourrait être d'autre ? « Y’a écrit félicitations tu vois que je fais des efforts, merde, allez, ouvre, c’est chiant d’attendre. » Tu as la main sur la poignée de porte lorsque les dernières paroles font le chemin jusqu'à ton cerveau. Et tu figes tout simplement. C'est une mauvaise blague, c'est ça ? Tu ne veux pas ouvrir, tu as pas le choix. Tu sais bien qu'il ne partira pas tant que personne ne lui aura ouvert la porte. Parce qu'il est chiant Auden et il lâche pas le morceau. La dernière fois que tu lui as ouvert cette porte, ça s'est mal terminé. Aujourd'hui n'augure rien de mieux.

« Tu peux pas appeler avant de débarquer comme ça tu saurais qu'il n'est pas là, hm ? » Pour la fausse politesse, on repassera. Tes yeux quittent ceux d'Auden simplement pour s'abaisser sur le dit cadeau qu'il tient entre ses mains. C'est un emballage de bébé, et c'est bien écrit félicitation sur la lettre qu'il y a dessus. Il y a ton petit coeur qui se serre. Tu penses d'abord à Cosimo. Toi qui craignait que Saül finisse par couper les ponts avec lui sans toi dans les parages. Voilà, c'est confirmé. Ça va le détruire. « Il est à Grenade et il ne vit plus ici. » Haha, oui, quelle bonne blague ce matin quand Janice mieux connu sous la voisine commère qui ne se mèle jamais de ses affaires t'a appelé pour savoir si c'était normal qu'un visage inconnue séjournait dans votre maison. Une charmante rousse apparemment. Un appel qui s'est terminé sous l'arrivée de Saül à cette maison. Le calcul s'est fait assez rapidement dans ta tête. « C'est tout ? » Qu'il retourne à sa vie paisible que tu puisses retourner à la tienne chaotique.

A moins que Saül soit devenu un eunuque dans la nuit et ayant par la même occasion gagné la voix de crécelle que je leur image, ce n’est définitivement pas lui que j’entends s’énerver de l’autre côté de la porte. Ce n’est pas lui non plus qui se trouve de l’autre côté de la porte, en fait. Mes yeux aussi ronds que quelque peu paniqués se posent sur sa femme (son ex femme ?) sans ne plus savoir quoi dire. Et c’est rare, pour un Auden, de devenir muet. « Tu peux pas appeler avant de débarquer comme ça tu saurais qu'il n'est pas là, hm ? » Mes doigts tentent de passer par dessus le cadeau et ladite lettre dans le but de cacher les preuves mais il est de toute façon trop tard, j’ai déjà vu les yeux d’Elise se poser dessus et mon coeur se serrer. Je n’avais pas prévu que Saül soit absent, je n’avais pas prévu qu’il joue au même jeu que moi consistant à passer plus de temps loin de sa main plutôt qu’à l’intérieur. Je n’avais rien prévu du tout, à vrai dire, et m’étais faufilé jusqu’ici comme si tout m’était dû. « Il est à Grenade et il ne vit plus ici. » C’est beau, Grenade. Il a de bons goûts, ce con, même s’il aurait quand même pu y préférer Budapest, Florence ou même Prague. Depuis quand il ne vit plus chez lui, le con ? Depuis quand il ne prend même plus la peine de me faire part de ses choses, même si je l’aurais sûrement envoyé boulé dans mon sms de réponse. On aurait pu éviter cette entrevue et on aurait pu éviter tout ce qui va en découler : des problèmes, des tas de problèmes.

Pourtant, son ton m’horripile et le peu de compassion que je pouvais avoir à son égard semble prendre le large. « C'est tout ? » Je serre la mâchoire, agacé qu’elle joue encore à ce jeu alors qu’elle n’a plus rien pour peser dans la balance. Sans Saül et sa fortune elle n’est personne et bientôt elle n’aura même plus Cosimo sur qui se rabattre. “T’étais au courant ou c’est vraiment le peu de réactions que tu comptes avoir à ce sujet ?” Ça y est, j’ai déjà utilisé tout mon quota de bons sentiments à son égard.

« T’étais au courant ou c’est vraiment le peu de réactions que tu comptes avoir à ce sujet ? » Non. Tu n'en savais rien et c'était très bien comme ça. À la seconde où la porte se refermera, où Auden quittera cette demeure, tes jambes vont te lâcher. C'est un saut vingt ans derrière qui va te prendre. C'est un deuil que tu n'as jamais fait que tu devras affronter. Et puis, les adieux entre Saül et toi s'était curieusement bien déroulé. Tu aurais du te douter que ça cachait quelque chose. Qu'importe, la période de répit était déjà terminé. Ça n'allait pas bien se terminer cette histoire. Le divorce sera probablement long et périlleux. Les disputes vont quintuplé. Et tu n'as aucune chance de sortir gagnante de tout ça. Même si tu réussi à empocher le fric -et la maison à Grenade- Saül, il empestera le bonheur avec sa copine et leur petit bébé parfait et biologique. « Je m'en doutais. » C'est faux de dire que tu te doutais que cette nouvelle allait atterrir là, maintenant. Mais tu le savais qu'un jour ou l'autre ça allait arriver. Mais pas tout de suite. Pas si rapidement. Pas alors que le divorce n'est même pas prononcé. C'est qu'un idiot Saül. Tu lui aurais tout céder ce qu'il voulait s'il n'aurait pas réconforté ton coeur pour mieux le piétiner. Maintenant ? Tu ne lui laissera rien. Rien. Du. Tout.

« Tu vas prendre soin de Cosimo ? Il va en avoir besoin » C'est presque un ordre, mais ça transparaît quand même légèrement l'amour que tu as pour lui. Parce que tu ne le laissera jamais te répondre non. Mais tu sais aussi qu'il ne le fera pas. Tu lui fais au moins confiance pour ça, à Auden. « C'est pas de moi qu'il aura besoin, c'est d'un père. » Vaut mieux mettre les points sur les i. Tu feras tout ton possible pour en prendre soin, pour atténuer le coup qu'il va avoir, mais tu sais parfaitement que ce ne sera pas suffisant. Il a besoin d'un père Cosimo. Ça fait dix-neuf ans qu'il en a besoin et vous lui avez arraché ça, cruellement. « Tu veux venir brûler ce tableau hideux qu'il a acheté ? » Celui qui ne vaut rien du tout et qu'il a payé une fortune. Si jamais il a envie d'y brûler son cadeau avec qu'il ne se gêne pas.

Je sais difficilement comment agir face à Elise désormais et c’est avec l’assurance inexistante d’un adolescent que je me balance d’un pied à l’autre, comme si cela allait suffire à faire le temps s’écouler plus vite pour que je puisse m’extraire du propre piège que je me suis créé et dans lequel j’ai sauté à pieds joints. « Je m'en doutais. » On s’en doutait tous, sûrement, au fond, mais personne ne voulait y croire. On observait les détails et les indices s’accumuler sans vouloir y croire non plus puisque justement ça semblait trop gros, trop énorme, trop tôt aussi. C’est Ariane et c’est Saül et si un jour on m’avait dit qu’ils allaient se rencontrer et qu’au delà ils ne se tueraient même pas à ce moment précis alors j’aurais rigolé haut et fort. Cela ne semble faire aucun sens et le pire dans tout ça c’est que plus j’y pense et plus cela semble être une évidence comme Ginny l’a été pour moi il y a bien longtemps.

« Tu vas prendre soin de Cosimo ? Il va en avoir besoin » Avant même qu’elle n’ait terminé de poser sa question, je hoche déjà vigoureusement de la positive, mes doigts un peu plus resserrés autour de la pochette cadeau. “Bien sûr.” Il est et reste ma priorité, peu importe ce qui peut changer dans notre vie à tous, cela ne modifiera jamais mes objectifs à son propos. Je sais qu’elle tient à lui et malgré tout ce que je lui reproche, une partie de moi la remercie pour toujours avoir pris soin de lui et avoir contrebalancé les idées préconçues de mon frère. Je ferai de même avec son enfant à mon tour, j’imagine, puisqu’elle ne sera sûrement plus dans les alentours. « C'est pas de moi qu'il aura besoin, c'est d'un père. » On sait tous les deux où elle veut en venir mais ce n’est pas parce que vingt années se sont presque écoulées que le sujet est moins douloureux pour autant. Au contraire, cela me pèse un peu plus chaque jour que d’évoluer à ses côtés sans pouvoir lui dire la vérité. “C’est Saül son père.” Je ne peux pas lui dire la vérité puisque cela ruinerait sa vie et elle le sait autant que moi. Cosimo est aujourd’hui un adulte, il sait faire les bons choix et il est en train de les faire entre deux révolutions.

Finalement, j’esquisse un sourire amusé. « Tu veux venir brûler ce tableau hideux qu'il a acheté ? » J’entame un pas dans la propriété puis un second, la boîte toujours fermement tenue entre mes doigts puisque je suis apparemment incapable de la laisser tomber. “Avec plaisir.” Il l’aura sûrement accroché à l’envers celui là aussi de toute façon puisqu’il aura seulement été choisi parce que c’est celui qui coûtait le plus cher. Mon frère, ce passionné. “Tu comptes faire quoi maintenant ?” Plus de condescendance, plus de moquerie, plus de quoi que ce soit qui pourrait être mal interprété. Je ne suis qu’un vieil ami venant prendre des nouvelles d’une figure du passé, voilà tout.

« C’est Saül son père. » « Saül n'est qu'un idiot qui croit qu'il peut prendre un enfant quand bon lui semble et s'en débarrasser quand il n'en veut plus. » Et c'est ça, la triste vérité. Il en a marre de tout Saül. Il en a marre de toi, marre de cette paternité qui n'a jamais été sienne, marre de cette vie que vous avez durement construite ensemble. Il sera trop tard quand il réalisera la connerie qu'il est en train de faire. En fait, il est déjà trop tard pour le retour en arrière. Il a tout brisé Saül. Il a brisé les promesses. Il a brisé la confiance.

« Avec plaisir » Il entre chez toi, tiens son paquet cadeau comme s'il avait peur que tu lui voles. Bon, peut-être qu'il fait bien. Qu'il le délaisse une seconde de trop et c'est dans les vidanges qu'il va finir son merveilleux cadeau. « Tu comptes faire quoi maintenant ? » C'est une vraie question posée sans aucune animosité. Une vraie question à laquelle tu n'as aucune réponse. Pas encore. « Je sais pas. » Parce que la pousser en bas des marches n'est pas une option. Ou c'est peut-être lui que tu devrais pousser ? C'est presque tentant. Survivre. Voilà ce que tu vas essayer de faire. Rester debout pour Cosimo. Encaisser les coups pour vous deux. La vérité sera autre chose. La vérité est qu'il faut parfois s'éteindre pour mieux se rallumer. « Il l'a mis là » que tu lui dis en arrivant dans le salon. Il l'a mis là, bien à la vue de tous. Il l'a sûrement déjà vue Auden au dernier charmant repas en famille.

« Il me cache quoi d'autre ? » À chaque nouvelles journées, les mensonges de Saül finissent par le rattraper. Et ils te surprennent en nombre ces fameux mensonges. À quel point tu t'étais trompé en pensant le connaître ? C'est probablement ta confiance aveugle en lui qui t'a empêché de voir le reste. Tu te demandes depuis combien de temps il dure, les mensonges. Ont-ils toujours fait partie de votre quotidien sans même que tu ne t'en aperçoive. Oh que ça pique. Oh que ça fait mal. Il avait raison Saül. Et demain, tu te souviendras du contraire. L'amour est loin. La rancune est à son apogée. La chute est imminente. Quand toute la rage aura brûlé, il ne restera plus rien.

« Saül n'est qu'un idiot qui croit qu'il peut prendre un enfant quand bon lui semble et s'en débarrasser quand il n'en veut plus. » “Mais Saül reste mon frère alors fais attention à ce que tu dis.” Je préviens pourtant doucement, tentant au mieux de ne pas apparaître trop dur avec elle alors que ce n’est nullement mon intention. Elle doit pourtant comprendre qu’entre elle et mon propre sang le choix est vite fait, peu importe combien de temps elle aura été mariée à mon frère ou continuera à le rester. Ses propos n’ont rien de faux mais la vérité n’a pas sa place dans nos discussions dès lors qu’il s’agit de descendre le sang de notre sang. Je suis incapable de contredire le moindre de ses propos mais les appuyer mais semble bien plus impossible encore.

Je tente au mieux de changer de sujet pour parler du futur bien plus que du présent, parce que égoïstement je n’ai pas envie de remuer le couteau dans la plaie - que ce soit la sienne ou la mienne. Cette situation ne m’enchante pas plus qu’elle, par contre je sais qu’elle en souffre bien plus. « Je sais pas. » Comme un adulte bien éduqué et bien rangé, je ne réponds rien à cela et me contente de hocher de la tête en continuant de la suivre dans les méandres de la villa. Elle ne l’aura sûrement plus d’ici peu, d’ailleurs, puisque ce n’est un secret pour personne que Saül était bien le seul à faire rentrer de l’argent dans le couple et qu’ils ont toujours vécu ainsi. Sans Saül, je me demande bien ce qu’il lui restera. « Il l'a mis là » J’esquisse un rire amusé devant la toile de renommée mondiale dont mon frère ne doit sûrement pas connaître ni le nom de l’artiste ni le titre même de l’oeuvre. Il doit encore moins savoir ce qu’elle peut bien représenter, si jamais vous voulez mon avis.

« Il me cache quoi d'autre ? » Mes doigts parcourent la toile de l’inconnu, j’en juge le style et l'habileté, j’en juge chaque choix de couleur et de procédé. “Je ne suis pas vraiment celui à qui il raconte ses secrets.” Et même si tel était le cas, encore une fois, je ne serais pas celui qui irait les dévoiler. Surtout pas alors que je devine qu’Elise n’en fera pas un bon usage, malheureusement. “C’est toi qui lui en veux. Pas moi. Brûle la en partant du centre.” Et elle pourra même lui envoyer une photo que je ne m’y opposerai pas, surtout pas maintenant que j’ai déposé le papier cadeau dans un coin sécurisé de l’immense salon aseptisé. “Et avec Jack ?” Je ne lui ai cassé la gueule que par principe. A partir de là, il peut fricoter avec qui il veut.

« Je ne suis pas vraiment celui à qui il raconte ses secrets. » Non. C'est sensé être toi la gardienne de tous ses secrets. Toi et personne d'autre. Faut croire que tu as perdu ce rôle quand même Auden sait des choses que tu ne sais pas. Bien sûr qu'il ne t'en dira pas plus. Il regrette déjà sûrement d'être celui qui a apporté la nouvelle de la grossesse. Il va le dire à Saül que tu sais ? Et Saül, il ferait quoi avec cette information ? Rien. Probablement. Cette fois-ci, il ne fera rien pour empêcher ta chute imminente. « C’est toi qui lui en veux. Pas moi. Brûle la en partant du centre. » Tiens. C'est nouveau ça. Il ne lui en veut pas. Serais-ce vraiment la fin des conflits entre les deux frères Williams ? Qu'importe, tu ne sera plus là pour le voir. Tu t'avances vers Auden, vers la toile, que tu décroches du mur en te hissant sur la pointe des pieds. Ça se pourrait que tu ramasses quelques portraits de famille au passage.

« Et avec Jack ? » Sérieusement ? Il est allé raconter ça à Auden ? Pour celui qui se disait non porteur des secrets de son frère, il en sait pas mal. « On est pas ensemble si c'est ça ta question. » Qu'il n'en pose pas plus, des questions. Parce que ça ne le regarde absolument pas, mais aussi parce que entre Jack et toi, c'est plutôt nébuleux. Probablement que ça va plus se clarifier dans les prochains jours/semaines maintenant que la séparation est officielle, que même Cosimo sait. Et puis, tu ne voudrais pas non plus perturber Cosimo avec tout ça. Saül, lui, il va lui parler de Ariane ? Il n'en a plus trop le choix si, vraiment, elle porte leur enfant.

Tu quittes finalement le salon la toile en main, te diriges vers la cours arrière, non sans oublier d'attraper un briquet au passage. Il ne faudrait quand même pas foutre le feu à la maison. Quoique, tu pourrais empocher l'argent des assurances… Ouais. Non. Vendre c'est sûrement plus rapide et moins compliqué. Tu suis les conseils de Auden, en allumant la flamme au milieu de la toile avant de la laisser retomber enflammé dans le foyer de la terrasse. Tu l'observe quelques secondes, alors que la toile noircit en même temps que ton coeur. « Quelques semaines avant la naissance de Cosimo, on a appris que je pourrais pas en avoir. » Des enfants. Ni là. Ni jamais. Ça ne pardonne en rien ce que vous avez fait. Mais si quelqu'un mérite de savoir la vérité, c'est bien lui. Tu t'asseoies à même le sol remontant tes genoux contre ta poitrine, le regard toujours fixé vers le feu. « Quand tu sentiras le besoin de lui dire la vérité, j'espère qu'on pourra le faire ensemble. Tous les trois. » Sans que personne n'insulte personne. Il mérite que ce soit bien fait Cosimo. Dans tout ce que vous avez fait de travers, il restera toujours le seul que vous avez toujours voulu épargner.

« On est pas ensemble si c'est ça ta question. » “On lui a cassé le nez. Des doigts aussi peut être. Et des côtes. Si jamais ça t’intéresse.” Si j’agis pourtant pour le compte de mon frère, je ne peux pas m’empêcher de tenir Elise au courant de nos agissements. Dans la mesure du possible, en tout cas, je tente d’oeuvrer au mieux pour leur bien commun à tous les deux, même si j’ai finalement l’air de ne faire que raviver une flamme déjà bien vivace. Je me moque de savoir s’ils sont ensemble ou non puisqu’avec cette simple réponse, elle vient seulement de me confirmer qu’il se trame bien quelque chose avec le canadien de merde et cela suffit à raviver de vieilles rancœurs.

Je suis Elise tel un invité docile, divaguant dans cette maison comme si elle était mienne alors que je n’y ai mis les pieds que quelques fois à peine. Je connais l’emplacement de ses toiles mais certainement pas l’agencement des pièces, cela prouve à quel point je ne me suis pas souvent rendu ici. Toile sous le bras, elle a tout l’air d’une femme d’affaires. C’est ironique quand on sait que justement elle n’en a que les airs, elle qui s’est contentée de vivre grâce aux autres toute sa vie sans ne jamais rien créer. On est les parfaits opposés, je me demande à quel point mon frère arrive à nous détester autant l’un que l’autre, finalement.

La fumée provoquée par la toile volant en fumée me donner l’envie d’une cigarette, idée que je chasse rapidement de mon cerveau comme si elle n’avait finalement jamais existée. Appuyée contre le mur blanc de leur maison, j’y pose ma semelle et mon dos pour observer le désastre en silence. « Quelques semaines avant la naissance de Cosimo, on a appris que je pourrais pas en avoir. » Ma gorge se noue, je rate ma respiration à un moment donné aussi. Elle en fait que confirmer à voix haute ce qu’on sait tous depuis toujours sans pour autant ne jamais en parler. Evidemment qu’elle ne peut pas avoir d’enfants, s’ils se sont arrêtés à un seul alors qu’ils rêvaient d’en élever des dizaines de ces marmots là.

Je l’observe glisser au sol sans un mot, sans ne rien en penser non plus. Elle n’est plus que l’ombre d’elle même, c’est évident, mais contre ça je ne peux rien y faire si ce n’est sûrement enfoncer le couteau dans la plaie une fois de plus. « Quand tu sentiras le besoin de lui dire la vérité, j'espère qu'on pourra le faire ensemble. Tous les trois. » Mes mains glissent de mes bras croisés sur mon torse à derrière le creux de mon dos, posé contre le mur. Mon regard s’est dérobé en direction du feu ravageur. « Quand tu sentiras le besoin de lui dire la vérité, j'espère qu'on pourra le faire ensemble. Tous les trois. » “J’ai pas l’intention de lui en parler. C’est un chouette gamin, je veux pas qu’il apprenne qu’on lui a menti toute sa vie.” Ce n’est même pas un problème de savoir sur qui rejeter la faute quand, finalement, je me moque bien des conséquences que l’annonce pourrait avoir sur nos vies. Je n’y ai jamais jamais pensé. J’ai toujours imaginé les scénarios en fonction de Cosimo et Cosimo seul, parce que dans tout ce désastre il est le seul qui compte. “Vous l’avez élevé comme vous auriez élevé votre propre enfant. C’est tout ce qui compte.” Maintenant, en tout cas, c’est tout ce qu’il nous reste. Je n’oublie pas le geste et pardonne encore plus difficilement mais ce n’est pas le sujet. Pour le bien être de Cosimo, je reste persuadé que le secret reste de mise. “J’ai pas envie de savoir comment vous vous arrangez avec Saül mais si tu veux continuer à voir Cosimo à la maison, t’es la bienvenue.” Et Ginny sera sûrement la dernière à refuser une telle offre.

« On lui a cassé le nez. Des doigts aussi peut être. Et des côtes. Si jamais ça t’intéresse. » C'est un regard noir que tu tournes vers lui. « Ça m'intéresse pas. » Tu savais, en partie. Saül, il t'avait déjà dit. Il n'avait pas spécifié qu'il était avec Auden. Il n'avait pas vraiment spécifié l'étendue des dégâts non plus. Tu n'avais pas posé de question ni à lui, ni à Jack d'ailleurs. À quoi bon ? Il ne méritait pas ça. Encore moins s'ils étaient deux contre lui.

C'est à l'extérieur que se termine le tout. Auden reste derrière, appuyé contre le mur de la maison. L'idée de lui reprocher la saleté potentielle qu'il pourrait faire sur le mur te prend pendant une fraction de seconde, mais elle se perd rapidement dans ton regard qui se perd dans la fumé, dans la vie qui ne fait désormais plus aucun sens. « J’ai pas l’intention de lui en parler. C’est un chouette gamin, je veux pas qu’il apprenne qu’on lui a menti toute sa vie. » Tu ne comprendra jamais pourquoi il ne lui dit pas la vérité à Cosimo, quand même toi, tu y as pensé à lui dire. Parce qu'il est malheureux. Parce qu'il a besoin de savoir. Ce sont ces mots. Pas les tiens. « Vous l’avez élevé comme vous auriez élevé votre propre enfant. C’est tout ce qui compte. » Ta tête se tourne finalement vers Auden. « Honnêtement, tu l'aurais gardé ? Tu n'étais pas prêt. » Et déjà, tu veux lui mettre les mots à la bouche. Personne ne saura jamais qu'elle aurait été la décision de Auden s'il aurait été confronté à la réalité. C'est facile de dire aujourd'hui qu'il aurait pris ses responsabilités. C'est autre chose de vraiment le faire du haut de ses dix-sept ans.

« J’ai pas envie de savoir comment vous vous arrangez avec Saül mais si tu veux continuer à voir Cosimo à la maison, t’es la bienvenue » Tu n'as pas particulièrement besoin de son aide pour garder contact avec ton fils. Ça ne va rien changé entre lui et toi, le divorce. Pour ce qui est de Saül et Cosimo, c'est surtout ça qui t'inquiète. Et avec ce bébé en route, ça ne fait qu'augmenter tes craintes. Il va abandonner sa famille des vingt dernières années pour s'en construire une nouvelle. Une vraie. Et ça te crève le coeur. « C'est gentil, mais ça devrait aller. » Il n'a probablement pas vraiment envie de te voir traîner chez lui de toute façon. « Saül doit rentrer à Brisbane la semaine prochaine. Si jamais tu veux lui donner ton cadeau. » Tu ne connais plus son horaire. Tu ne saia même pas où il vit quand il est en ville, mais ce ne sera pas ici. Tu sais qu'en ce moment il est à Grenade. Tout comme tu sais que tu as rendez-vous avec lui pour entamer les procédures de divorce. Voilà ce que tu sais. Et c'est déjà trop d'information.

Je fais des compliments à propos de l’enfant qu’Elise a élevé toute sa vie et la manière dont elle l’a fait alors qu’en retour je ne me prends que des reproches acerbes qui, à mon sens, n’avaient certainement pas lieu d’être. Pas de sa bouche et surtout pas maintenant. « Honnêtement, tu l'aurais gardé ? Tu n'étais pas prêt. » Mon regard désabusé devient furibond en une seule fraction de seconde. Elle n’a pas son mot à dire là dedans, elle n’a pas à penser quoi que ce soit de cette histoire qui ne la regarde pas et surtout, surtout, elle n’a pas le droit de s’avancer sur ce que j’aurais ou non pu faire puisqu’elle ne me connaît pas. Ce n’était pas le cas il y a vingt ans et ça ne l’est toujours pas aujourd’hui, j’en ai la certitude. “Oui.” La réponse est logique, elle vient du plus profond de mon coeur et ne fait l’objet d’aucune incertitude possible. “J’aurais appris.” Sur le tas, certes, mais j’aurais appris. J’aurais changé, j’aurais évolué, je me serais remis en question et j’aurais pu mettre toute ma vie et mon art en suspens pour lui, si jamais j’en avais eu la possibilité. Ils m’ont volé cette chance, lui comme elle, et derrière tous les compliments que je peux aujourd’hui leur faire, il m’est encore impossible d’oublier et passer l’éponge.

Elise refuse poliment ma proposition ce qui, je l’avoue, m’étonne quelque peu. « C'est gentil, mais ça devrait aller. » Je ne laisse pourtant rien paraître et me contente de hocher de la tête. Soit. Elle est assez grande pour savoir ce qu’elle désire et même si des années à se contente d’écouter Saül n’ont rien arrangé, elle doit savoir bien mieux que moi comment continuer à parler à Cosimo. Il est son fils bien plus que le mien, après tout. « Saül doit rentrer à Brisbane la semaine prochaine. Si jamais tu veux lui donner ton cadeau. » Je cligne des paupières comme simple signe de remerciement, justement parce qu’en prononcer les quelques mots serait bien trop me demander, surtout maintenant qu’elle a ramené le sujet de ma paternité sur le tapis avec autant de véhémence. “Je lui donnerai à ce moment là, alors.” Et ça sera aussi l’occasion pour moi d’avoir une véritable conversation avec Ariane - mais ça, ce n’est sûrement pas ce qu’Elise souhaite entendre. Je me demande quel sera son nom de famille une fois qu’elle aura divorcé. Je l’ai toujours connue sous l’habit de Williams, après tout, et rien ne m’avait jamais paru plus évident jusqu’à aujourd’hui. “Je vais te laisser. Fais attention à toi.” Mon pied se décolle du mur et, l’instant d’après, je précise avec maladresse. “A pas te brûler, je veux dire.” Quoi d’autre.