« Pop’s il est où doudou ? » qu’il me demande le gamin, les yeux déjà remplis de larmes. La chambre d’hôpital n’est pas immense, je jure qu’il l’avait hier quand on est arrivé. « Tu es sûr, il se repose pas dans le lit ? » Et voilà qu’il gambade jusqu’à son lit Noah, il fouille sous les couvertures, sous l’oreiller. Il se glisse à quatre pattes sous le sommier et cris le prénom de son doudou. Cela ne présage rien de bon lorsqu’il revient les mains vides. Je tente de retracer notre chemin depuis le début de la journée. Ginny était là ce matin, elle est partie en coup de vent lorsque je suis arrivé, comme souvent ses derniers temps. Elle a trouvé cette galerie, elle se lance à corps perdu dans ce projet. Pour oublier les heures infernales à l’hôpital, pour oublier que Noah va mal. Il est fort le petit bonhomme, il ne se plaint jamais. Sauf quand doudou est porter disparu et que la crise de larmes semble enclenchée. « Je vais le retrouver, Noah. » On est allé à la salle de jeu, on a pris un goûter. Mes pas me ramènent aux différents événements de l’après-midi, mais aucune trace du petit singe violet. Même les infirmières ne l’ont pas vu et pourtant elles connaissent tous Sam le petit singe, fidèle compagnon de Noah. Personne ne l’a vu. « Tu l’as vu quand la dernière fois Nono ? » Il réfléchi le petit bonhomme, pose son doigt sur son menton et fronce les sourcils. « Je l’ai donné à maman pour caresser le petit chat. » Bien sûr qu’il a voulu caresser le chaton amené pour l’animation du matin. « ET MAMAN ELLE LA MIS DANS SON SAC ! » qu’il hurle soudainement. « Oh. » Et il réalise, que sa mère est donc partie avec son doudou. « Si tu es okay pour rester avec l’infirmière et les autres enfants, je vais le chercher tout de suite. » Je crois qu’elle avait un rendez-vous Ginny, je peux juste faire un saut au local, cela sauvera la sieste au moins. « D’accord. Mais tu fais vite ! » qu’il ordonne avant de se jeter à mon cou. « Pis, tu lui mets la ceinture à Sam, dans la voiture. » « Promis et on te rejoint pour la sieste. » Il hoche la tête alors que j’ébouriffe ses cheveux.

Je me trompe de chemin, mais finis par trouver la galerie. Je ne remarque pas, que la voiture de Ginny n’est pas garé devant. J’entre dans le lieu, cherche du regard. Un homme se tient un peu à l’écart plus loin, entourer de chevalet, toile vierge et autre tube de couleur. Sa tête me dit quelque chose, mais c’est improbable, je ne connais personne ici. « Excusez-moi. » que je l’interpelle. « Ginny est ici ? »

Mes yeux toisent et analysent l’inconnu comme je le ferais avec une toile que je ne connais pas. Je pars sur des bases saines, solides, sans aucune préjugé ni idée préconçue. J’analyse son grain de peau et j’analyse les mots qu’il emploie, je m’attarde sur son accent et ses yeux qui brillent, ses habits de marque qui sont pourtant usés par le temps. Son parfum est recouvert par une autre odeur que je me refuse à assimiler à celle des hôpitaux et de la maladie, la même que Ginny ramène bien trop souvent dans son sillage depuis trop d’années. Je voudrais vraiment partir sur de nouvelles bases et pourtant une part de moi ne peut pas se dire autre chose que : je le connais. Je le connais, je sais que je le connais, je sais que je l’ai déjà vu et je connais les lignes définies de son visage et - … oh.

« Excusez-moi. Ginny est ici ? » “Bailey ?”

Un sourire s’affiche sur mon visage alors que j’ai déjà oublié sa question et tout ce qui pourrait y être lié. Je ne vois plus en lui que l’image d’un vieil ami et d’une vieille connaissance, une figure du passé qui fait sans doute autant de mal que de bien, au final. J’essuie rapidement mon pinceau et la peinture fraîche sur mes mains pour me rapprocher de lui et lui tendre une poignée de main amicale, bien conscient que Londres appartient à un passé révolu et que si beaucoup de choses ont changées pour moi depuis alors j’imagine qu’il en est de même pour lui. La conclusion est faite rapidement, sans amertume aucune. “Heureusement que je n’ai pas précisé que mon offre de meilleure vue sur la ville était limitée dans le temps.” J’annonce et me moque déjà en faisant référence à cette seule soirée et cette seule matinée qu’on a partagés. Je ne sais même pas si lui se souvient de quoi que ce soit ou si, même, il se souvient de moi. Qu’importe puisque déjà ses mots me reviennent en mémoire et je fronce enfin les sourcils, quelque peu intrigué par la tournure prise par la discussion. “Ginny ? Tu connais Ginny ?” Et si j’avais su, ô, si j’avais su. Je m’en serais déjà voulu de lui avoir tendu une main sans avoir vu ni même senti l’anneau à son annulaire. J’aurais dû savoir. J’aurais dû.

Ce regard profond, ce sourire en coin.

Tout chez le brun me rappelle un temps révolu sans que je ne sois capable de mettre le doigt dessus. On se toise du regard, le temps se suspend un instant alors que j’énonce tout de même la raison de ma venue. C’est lui qui tilt en premier quand il me lance un immense sourire. « Bailey ? » Je me mords la lèvre, cherche encore un instant dans ma mémoire et soudain… « Auden ?! » Et je me souviens maintenant. Londres. Une nuit pluvieuse de 2010. Un bar miteux empli de gens trop heureux. Et nous deux. Les âmes en peine, ceux qui voulaient jouer avec le feu en se foutant de tout. Ceux qui ont fini dans le même lit. C’était il y a une vie de cela et pourtant, il ne semble pas avoir tant changé physiquement quand je me doute que sa vie tout entière a dû prendre un sacré tournant. C’était il y a cinq ans et ma vie a moi n’a pas réellement évoluer. Un autre pays, le même mariage arrangé, la même amante. Elle est violente la claque que je me prends derrière la nuque. Cinq ans et rien n’a changé, ou presque. « Heureusement que je n’ai pas précisé que mon offre de meilleure vue sur la ville était limitée dans le temps. » Il m’arrache un rire nerveux alors qu’il se remémore une vieille promesse du passé. « J’avais promis que je n’oublierai pas. » Quand en réalité j’avais pratiquement tout oublié de lui avant de le croiser à nouveau dans cette galerie.

Elle est encore plus énorme la coïncidence lorsqu’il enchaîne innocemment. « Ginny ? Tu connais Ginny ? » La question me paraît presque futile lorsque j’ai tant l’habitude d’être associé à la jeune femme. Cinq ans que nous sommes Ginny et Bailey, couple parfait aux yeux de tous, couple qui souffre en secret. Instinctivement, je voudrais répondre qu’elle est mon amie. L’habitude me force à lui offrir une réponse bien différente. « Je connais plutôt bien ma femme, oui. » que je plaisante alors. Toujours sauver les apparences. Encore plus lorsque son regard se transforme en une demi-seconde. « Tu travailles avec elle sur le projet ? »

« Je connais plutôt bien ma femme, oui. »
Et le monde s’arrête de tourner.

J’ai envie de lui crier que c’est elle, Bailey, c’est elle que j’aime vraiment, c’est pour elle que j’ai fait tout ce voyage, c’est elle que j’étais venu chercher. C’est de toi que je voulais la préserver, de votre mariage que je voulais la libérer. C’est à cause de toi aussi, Bailey, que tout ça est arrivé. C’est toi qui l’a mariée, c’est toi qui lui a passé la bague au doigt et a brisé une promesse que je lui avais faite des années plus tôt : celle de l’épouser quand ce sera possible. J’ai tardé, j’ai voulu lui laisser du temps et finalement le temps nous a manqué. On ne sait plus jongler avec le temps, on ne fait que subir les jours qui passent et les années ensuite. J’ai vu Noa grandir, je suis fier de ce garçon qui ne sera jamais le mien, né d’un premier père et élevé par un second. C’est de pop’s qu’il parle et c’est de lui, de il dont Ginny parle sans jamais s’attarder sur les détails, sans jamais prononcer son prénom plus d’une fois par mois si bien que c’était facile pour moi de l’oublier. Bailey. Il rigole et ne sait pas ce qu’il se passe alors que mon sourire à moi meurt peu à peu pour ne devenir que peine courroucée de rage.

Je me souviens à peine de ce que j’ai pu lui dire à mon sujet et pourtant tous nos souvenirs partagés me rendent aujourd’hui malade. Je me suis ouvert à lui alors qu’il était la cause même de mes problèmes. J’ai partagé ma peine alors que c’est lui qui ne faisait que la drainer, finalement. C’est lui et seulement lui qui l’a emmenée au loin, qui nous l’a prise, qui me l’a volée tant à moi qu’à Ezra, et même s’il est stupide je sais qu’il l’a sincèrement aimée, lui aussi. « Tu travailles avec elle sur le projet ? » “T’es heureux avec elle, alors ?” Ce n’est pas le moment pour parler d’art, ce n’est pas le moment pour parler de quoi que ce soit d’autre que de Ginny non plus. J’essaye de garder les apparences intactes autant que je le peux mais tout devient difficile dès lors que ma vision se trouble et que j’en viens à cacher des mains tremblantes de rage dans les poches de mon pantalon. Mon visage n’a plus rien de joyeux mais je donne toutes mes forces pour que mon ton, lui le soit. “Félicitations, j’imagine que beaucoup de choses ont changées depuis le temps.” Parce qu’il était malheureux de ne pas l’avoir à ses côtés, avant, et que maintenant il peut se vanter d’être marié à la plus parfaite femme qui soit. Il a la vie dont je ne peux que me contenter de rêver, désormais, et ce serait avoir bien trop confiance en moi que de penser que je pourrai me contenter de félicitations avant de tourner les talons.

La coïncidence était folle de retrouver Auden. Notre rencontre remonte à ce qui me semble être un millénaire tant cette vie où j’étais encore libre de mes actions ne reste plus qu’un lointain souvenir dans un coin de mon esprit. On plaisante sur la proposition qu’il m’avait faite à l’époque dans cette petite chambre d’hôtel alors qu’en rien je ne m’en souvenais avant qu’il ne l’évoque. Cela devait s’arrêter à une belle circonstance. Des retrouvailles improvisées qui ne font que renforcer le souvenir passé.

En rien je n’aurais pu imaginer que son attitude change du tout au tout alors que j’évoque mon lien avec Ginny. Son regard devient sombre, son corps semble se tendre sans raison apparente. Il est bien différent le Auden qui se dresse face à moi. « T’es heureux avec elle, alors ? » La question me semble dépasser tant, il reste un inconnu du passé. Est-ce que Ginny lui aurait parler de quelque chose ? Jamais elle n’a évoqué ce prénom pas même lorsqu’elle a commencé à me parler ce projet qui la passionne. « Oui. » La réponse est bête et méchante. Je l’ai apprise par cœur depuis cinq ans maintenant. Toujours dire oui. Toujours affirmer que notre couple est en parfaite harmonie, que tout va bien dans le meilleur des mondes. Ne jamais laisser entrevoir l’autre versant c’était le deal tacite. « Félicitations, j’imagine que beaucoup de choses ont changé depuis le temps. » Son ton est dur et il m’agace. « Je ne vois pas en quoi, cela te regarde. » Qu’il reste loin de nous. Serait-il un ami de Matt venu espionner de l’intérieur que le contrat soit respecté ? il faut s’attendre à tout avec nos familles respectives. Il pourrait connaître Sebastian et là tout se verrait bien plus compliqué. « Ecoute, si tu vois Ginny, dis-lui juste qu’elle a le doudou de Noah et qu’il faudrait qu’elle lui ramène. » Sur ces quelques mots, je lui tourne le dos. Tout mon instinct me dit de fuir l’endroit avant que tout cela ne dégénère. Mais les souvenirs du passé me reviennent en mémoire. Lui qui était venu à Londres pour une femme. Ginny qui s’échappe si souvent pour ce projet de galerie. Lui qui est là et qui a ragé à la seconde où j’ai parlé de notre union. Lui et elle. « C’était elle ? » que je demande en me retournant le cœur battant.

Mon ton ne trompe personne, lui qui est blessé dans son ego et sa fierté, à vif. J’essaye de garder les apparences intactes mais elles volent bien trop rapidement en éclat sans que je n’arrive à en préserver aucune. J’ai menti toute ma vie et pourtant, là, je n’y arrive plus. Je n’en reviens pas d’avoir été naïf au point de me confier à une personne. Il est le seul en ce monde à avoir eu droit à des bribes d’explications à propos de ma relation avec Ginny et pourtant il est aussi la pire personne à qui j’aurais bien pu en parler. Je m’en veux d’avoir osé m’ouvrir et je m’en veux encore plus d’avoir partagé mon lit avec lui. Chaque parcelle de ma peau qui fût un temps était relié à la sienne ma brûle aujourd’hui. Je ressens encore le passage de ses doigts contre mes côtes, mes hanches et mon cou. Je ressens son souffle chaud, celui là même dont j’avais fini par oublier à quel point il pouvait sentir l’alcool autant que le mien. Les souvenirs me reviennent sans que je les ai demandés, douloureux.

« Oui. »

Et il est heureux. Les os de ma mâchoire craquent, ils se préparent à l’inévitable alors que je pense encore naïvement pouvoir me contrôler et les laisser être heureux comme ils semblent l’être. « Je ne vois pas en quoi, cela te regarde. » “En rien, justement.” Je ne suis qu’Auden, le plan d’un soir à Londres. Auden, celui qu’on retrouve comme par enchantement à Brisbane sans que cela ne mène nulle part. Auden, qui aurait dû être à sa place mais qui aujourd’hui doit se contenter de regarder l’histoire évoluer de loin sans avoir le droit d'interférer avec son cours. C’est un mauvais roman de voyage dans le temps de merde, voilà ce que c’est.

« Ecoute, si tu vois Ginny, dis-lui juste qu’elle a le doudou de Noah et qu’il faudrait qu’elle lui ramène. » “Bien sûr, je ferai votre secrétaire respectif.” Ou peut être que justement, dans un couple marié, il n’y a qu’un secrétaire pour les deux partis. Quoi qu’il en soit ma voix n’a rien de plus calme et là où j’aurais sûrement trouvé le temps pour lui asséner un sourire, je ne sais plus comment le faire maintenant. Mes yeux noirs ne lâchent plus les siens alors qu’aujourd’hui mon but est bien différent qu’il avait pu l’être à Londres.

Il tourne le dos et s’en va, le lâche. Il est lâche et il fuit, il ne répond à aucune question et le voilà déjà qui abandonne le jeu. Mes pas se mêlent aux siens, plus rapides, plus pressés, quand il prononce une dernière question qui me fait bien plus peur qu’autre chose. « C’était elle ? » Il sait. Je ne peux pas répondre à cela sans craindre d’aggraver encore un peu plus notre histoire à tous les deux, Ginny et moi, alors je fais la seule chose que je sais faire : frapper. Il a détourné la tête seulement pour poser une question et tout ce qu’il peut récolter, désormais, c’est mon poing du droit s’abattant contre sa mâchoire. J’aurais pu viser une côte, j’aurais pu tenter de lui vriller le genou ou le bras dans le mauvais sens. J’aurais pu faire bien pire et une partie de moi sait que je me réserve seulement pour plus tard, pour toutes ces fois où je le jugerai sur une pente descendante et le rappellerai à l’ordre à ma manière. Il a le choix entre partir ou répondre ; mais s’il compte répondre, je ne m’arrêterai plus ensuite. Pour le moment encore, mon poing serré reste suspendu dans le vide et mon souffle court se prépare à attaquer à chaque instant.

« En rien, justement. »
« Très bien. » que je concède tout aussi froidement que lui. Incapable, pour le moment, de déceler le pourquoi de ce revirement d’humeur si soudain.
« Bien sûr, je ferai votre secrétaire respectif. »
« Si ça t’arrache la gueule de faire pour moi, tu peux au moins le faire pour un petit garçon de cinq ans. »

Tout dans son attitude reflète une haine qui m’est incompréhensible. Nous ne sommes que de vague connaissance. Une nuit passée ensemble à Londres il y a cinq ans. Rien de plus. Rien qui ne justifie le virage a 360 que viens de prendre son humeur. C’est lorsque je lui tourne le dos que cela fait tilt dans un coin de ma tête. Ce n’est pas lorsque l’on a évoqué nos souvenirs communs qu’il est devenu dur et méchant. Le prénom de Ginny l’a fait tiquer en premier. Notre statut marital en deuxième. Je revois sa mâchoire se serrer comme jamais lorsque j’ai sous-entendu que nous étions heureux ensemble. Réponse basique à donner. En rien, je n’allais évoquer les coulisses de cette union auprès d’un homme que j’ai vaguement fréquenté avant tout cela.

C’était plus qu’un simple hasard que l’on se retrouve là. C’était bien plus que ça lorsque je réalise une tout autre chose. La peinture sur ses doigts que j’ai vus sur ses doigts qui me rappelle en tout point celle que Ginny avait sur les siens en rentrant hier soir. Cette odeur commune à l’endroit qui colle à sa peau à lui autant qu’à ses cheveux à elle. Ce ton qui ne trompe pas. Les indices qui s’additionnent jusqu’à la réalisation de l’inévitable.

C’est lui.
Celui qui va et vient dans sa vie à elle.

Ma mâchoire craque sous la force du coup qu’il m’assène. Je recule de quelques pas, prends le temps de réaliser et me jette sur lui. C’est lui qui ne cesse de lui briser le cœur en venant et en repartant. C’est à cause de lui que la lumière s’éteint toujours un peu plus dans les yeux de Ginny. Il est autant responsable de ses sourires que de ses pleurs. Ceux que j’ai trop souvent voulu effacer tant parfois elle rentrait brisé. Alors il prend pour toutes les fois où je n’ai rien pu faire pour elle. Mon poing s’abat sur sa mâchoire et l’instant d’après le long de ses côtes. Il prend pour tous les autres, pour chaque larme versé. Entre deux coups, on se danse autour. Je le pousse contre le chevalet, il en fait de même l’instant d’après. Jusqu’à ce que je perde l’équilibre et que le visage fumant de rage d’Auden vienne se coller au mien. Si différent de celui qui m’embrassait la dernière fois. Le souffle court, je viens serrer ma main sur son bras avant qu’un énième coup ne parte. « Tu devrais sortir de sa vie. » que je souffle tout aussi enrager que lui. « Une bonne fois pour toute. » Qu’on ne le revoit plus jamais, ce connard.

« Si ça t’arrache la gueule de faire pour moi, tu peux au moins le faire pour un petit garçon de cinq ans. » Mon rire est douloureux, faux, amer. Il ose mettre Noah au milieu de ce qui n’a justement rien à voir avec lui. Le gamin ne mérite pas d’être propulsé au milieu des problèmes d’adultes tout comme il ne mérite certainement pas la présence de cet homme à ses côtés, celui qu’il considère sûrement comme un père quand bien même il n’en a ni le titre et encore moins l’étoffe.

Et il attaque à son tour, donc. La douleur se situe dans ma mâchoire puis mes côtes ensuite. Ne viennent que plus tard mes autres côtes dans lesquelles les embouts du chevalet s’enfoncent sans un bruit. Je rends ce qu’il me donne et tente d’anticiper son prochain coup, bien plus pour lui faire mal à lui que pour me protéger moi. Il s’agit de lui faire mal pour enfin lui faire payer d’avoir détruit nos vies et de s’être immiscé au milieu comme si tout lui était dû alors que, justement, rien n’a jamais été à lui et rien ne le sera jamais. Noah n’est pas son enfant et sa femme ne l’aime pas. Il vit dans un monde de mensonge et pourtant je resterai encore et toujours l’ennemi à abattre sans que cela ne me pose aucun problème. Je ne veux pas appartenir à leur famille, je ne veux pas appartenir à leur groupe d’ami et je veux encore moins recevoir l’approval de qui que ce soit quand justement, on a jamais eu besoin de personne pour être nous.

Il chancelle, il vacille et il tangue, Bailey. Il s’est pris les pieds dans un tabouret et je n’ai aucune once de pitié à propos de l’ennemi, si bien que ma main n’attend pas avant de venir se blottir autour de son cou, lui même bloqué contre le mur. Ca n’a plus rien à voir avec Londres, maintenant, tout est plus différent que jamais et chaque geste a une signification diamétralement opposée. Si je pouvais le tuer, je l’aurais sûrement fait en cet instant, surtout qu’il ne fait absolument rien pour arranger son cas. La main qu’il apose sur mon avant bras a pour but de me calmer mais c’est tout l’inverse qui se passe quand je fulmine un peu plus de rage encore et serre un peu plus la pression de mes doigts autour de sa chair. « Tu devrais sortir de sa vie. » Et lui, là, il devrait vraiment fermer sa gueule s’il tient à la vie parce qu’il ne fera pas long feu en continuant de me donner des conseils de la sorte. « Une bonne fois pour toute. » Une bonne fois pour toutes, ouais, c’est exactement la période de temps pendant laquelle il devrait fermer sa gueule d’anglais de merde. “Laisse la en dehors de tout ça.” Elle a déjà bien assez à faire en étant marié à une telle personne, elle n’a pas non plus besoin d’être le centre de tous les sujets, encore plus alors qu’elle n’est même pas présente.

Je relâche la pression sans prévenir, profitant de le tenir près de moi pour paradoxalement l’envoyer plus loin, là où je ne sentirai pas son souffle chaud contre mon cou, là où ses yeux de chien battu pseudo-hargneux n’auront aucun impact sur moi. Pour sa vie, aussi, c’est sûrement bien mieux pour tout le monde. “Si tu tiens à la vie, je te conseille vraiment de te taire.” Si je ne peux rien faire contre leur mariage, je peux au moins tenter de limiter les dégâts que causeraient l’annonce de notre relation au grand jour.

Répondre aux coups par des coups.

Plus rien ne compte si ce n’est faire mal à l’autre. Nos gestes sont décousus, flous. Il sait se battre Auden, rarement il rate sa cible, quand je m’efforce à viser juste en tapant dans le vide. J’ai toujours détesté la violence, mais il a mis le premier coup et je n’ai pas su m’abstenir tant, je rêvais de lui en mettre une depuis des années. Enfin, je pose un visage sur celui qui trop souvent à laisser revenir vers moi une Ginny brisée de toute part. Bêtement, je juge par ses travers. Il n’a pas été à la hauteur. Il mérite chacun des coups que je lui assène. Aveuglé par nos propres raisons, personne ne réalise la bêtise de nos actions. On cogne pour cogner, pour se décharger, pour avoir l’impression que justice sera faite. Il a le dessus sur la situation le peintre, il sait manier son poing et en quelques minutes, il me fait basculer contre le mur. Pris au piège, je n’ai d’autre choix que d’utiliser la parole, tant qu’il me la donne encore avant que ses doigts ne se resserrent sur ma gorge. « Laisse-la en dehors de tout ça. » Il est sarcastique le semblant de rire qui s’échappe d’entre mes lèvres. La laisser en dehors quand depuis le début, c’est à cause d’elle que les coups pleuvent. Chacun pense la protéger à sa façon quand en réalité jamais Ginny n’a eu besoin que l’on sauve son honneur.

Il resserre encore son emprise, Auden. Il me fait comprendre qu’en rien, je ne pourrais m’en sortir, qu’importe la hargne qui me transporte. « Si tu tiens à la vie, je te conseille vraiment de te taire. » Je rêve de lui cracher à la figure quand tout ce que je fais, c’est rire et de pouffer dans un sarcasme insolent alors que je lui assène un coup de pied pour qu’il me lâche. Je profite de l’effet de surprise pour le repousser violemment. « Je suis au courant depuis des années. » Jamais je n’ai dit quelque chose. J’aurais pu, mais Ginny avait autant d’armes entre les mains pour m’achever. Je passe une main sur ma lèvre devenue douloureuse. « Elle mérite mieux que ça. » Mieux que moi, mieux que toi.  

Je rêve de voir sa trachée broyée sous la force de mes doigts mais rien de cela n’arrivera aujourd’hui, pas alors que son coup de pied me surprend assez pour que je desserre mon emprise pendant quelques secondes et qu’il en profite. L’enflure. Si je ne le tue pas aujourd’hui ça sera demain et maintenant que je suis au courant de tout et qu’absolument tout est relié, que tout fait sens, ses jours sont comptés. Il a lancé le chronomètre final, il a creusé sa propre tombe et j’espère sincèrement qu’il le sait parce qu’il devrait profiter de ses derniers instants de vie, vie que je m’efforcerai de gâcher et de briser dès que j’en aurai la moindre occasion. Il a connu le bon Auden, le gentil Auden, et jamais il ne pourrait deviner à quel point j’ai simplement envie de faire de son existence un enfer.

« Je suis au courant depuis des années. » Il ment, je sais qu’il ment. S’il avait su alors le reste du monde l’aurait su et notre microcosme aurait volé en éclats. S’il l’avait su il en aurait fait part à tout le monde, Matt le premier, la stupide Jillian ensuite. Ses parents auraient sû, nos amis auraient sû. Il ment, parce que s’il était au courant je sais qu’il n’aurait pas pu tenir sa langue sans menace de mort et si ce n’est pas moi qui les avaient proclamées alors personne ne l’aurait fait. Il ment parce qu’il ne sait faire que ça, de toute façon. « Elle mérite mieux que ça. » Elle mérite mieux que lui et ça c’est certain. Elle mérite tout l’or du monde et tout le bonheur, elle mérite tout ce qu’elle désire et bien plus encore. Elle ne mérite pas un mari qui va voir ailleurs, elle ne mérite pas de s’écrouler dans mes bras dès qu’elle en a l’occasion parce qu’elle n’a jamais demandé à ce qu’autant de choses pèsent sur ses épaules. Il est la cause de tous ses problèmes et des miens avec, il n’a pas le droit de parler pour elle alors qu’ils ne la connaît pas. Une bague au doigt ne signifie rien, une cérémonie de merde dans un pays de merde ne signifie rien de plus non plus. Il n’est que de passage et il sera lui aussi écrasé par le poids des mensonges autant que celui de la vérité. La seule différence, c’est qu’il n’en a pas encore conscience, stupide garçon. “Va-t-en. Ne reviens jamais ici. Si tu tiens à la vie, ne croise plus jamais mon chemin.” Il n’y a aucune blague, il n’y a aucune exagération d’aucune sorte. Si je pouvais le tuer, je le ferais. Il porte un secret bien trop important pour ses frêles épaules.

Je vois dans son regard qu’il ne croit pas ce que je raconte. Il semble comme déstabiliser par mon aveu. Je l’utilise à mon avantage afin de me dégager pleinement de l’emprise qu’il pouvait avoir sur moi. Je m’éloigne de quelques pas, profitant de sa réflexion, il pourrait réagir encore plus violemment lorsqu’il réalisera quand rien, je ne bluffe. Si j’ignorais son identité, je connaissais bel et bien son existence dans la vie de Ginny. Il était celui qui allait et venait dans sa vie. Celui qui ne restait jamais bien longtemps, mais qui creusait des cicatrices énormes dans la vie de la jeune femme. Il était responsable de ses larmes, de ses rechutes dans la dépression. Par conséquent, il était devenu l’ennemi public numéro 1. Si j’avais voulu lui laisser le bénéfice du doute, chaque nouvelle soirée agrémenter des larmes de ma femme, creusait un peu plus sa tombe. Jamais je n’avais envisagé le rencontrer. Je pensais qu’il s’était tiré pour de bons après sa dernière tentative à Londres. Je pensais que Ginny avait fini par dire stop à cette histoire qui ne cessait de la détruire. Il faut croire que je me trompais. Il est virulent Auden, il menace, il vocifère. « Va-t-en. Ne reviens jamais ici. Si tu tiens à la vie, ne croise plus jamais mon chemin. » « Va crever. » Je pourrais répliquer encore. Je pourrais lui asséner un coup de poing supplémentaire, mais je préfère récupérer mes clés de voiture qui était tomber sur le sol et filer en dehors de la galerie sans demander mon reste. Aucun d’entre nous n’aura remarqué que Ginny se tenait dans l’embrasure de la porte au fond de la pièce. Elle venait d’assister à cette scène de violence, témoin d’une rencontre qui n’aurait probablement jamais dû avoir lieu, pas sans sa présence entre nous deux.