Il voudrait participer au repas de famille Bowie. Le petit bonhomme semblait s’ennuyer dans son berceau installé dans un coin du salon de Ginny et Auden. S’il s’est contenté de baver sur la peluche de l’écureuil caféiné au départ, il a fini par nous faire comprendre que ce serait bien plus sympa si quelqu’un venait le chercher. Ginny et Jill étaient occupées à comploter pour sortir de la maison, Auden a surveillé que sa femme enceinte ne file pas en douce. Alors je me lève pour venir prendre mon fils dans mes bras avant qu’il ne réveille sa sœur et que la crise de déclenche. Il me fait son petit sourire en coin, le garnement lorsqu’il atterrit dans mes bras. On ne sait rien lui refuser tant il a son petit charme bien à lui. La discussion semble animée entre les sœurs, je n’ai pas spécialement envie d’entendre Jill répéter pour la énième fois qu’elle va virer folle si elle reste une minute de plus enfermer dans la même pièce que les enfants. J’ai pris sur moi tout le long du repas tant elle s’est exprimée librement. Il est temps de prendre l’air un peu.

On embarque la peluche offerte par Matt tant Bowie semble ne plus vouloir vivre sans. L’air est frais dans le jardin, j’ouvre ma veste pour y glisser les petits pieds de mon fils. « On va voir les vagues ? » J’aimerais leur transmettre cet amour de la plage et de l’Océan. Quelque chose qu’ils hériteraient de leur mère. Tout se note dans un coin de ma tête depuis des semaines désormais. Les petits détails, les choses insignifiantes que je pourrais leur raconter plus tard, si leur mère s’en va. Tout semble comme suspendu à chaque fois qu’elle passe la porte de la maison. Je redoute le jour où un message de ma part ne suffira pas pour la faire revenir. Je tente de ne pas me laisser bouffer par mes pensées. Ma main qui caresse lentement le dos de mon petit garçon.

Des pas se font entendre dans mon dos et un petit ronchonnement que je reconnaîtrais les yeux fermés. « Bien sûr, elle voulait rejoindre son frère. » que je plaisante alors qu’Auden vient s’asseoir à mes côtés, Tracy caler dans ses bras. « Tu te fais la main ? »

@auden williams

Les soeurs sont occupées à bien des choses quand moi je suis justement occupé à rester le plus loin de Jillian que possible, bien décidé à ne faire aucun scène ni à commettre aucun meurtre alors que j’ai promis à Ginny avoir gardé mes couteaux à la maison. Ma relation avec elle ne s’est en rien améliorée et je me contrefous de savoir si elle peint ou si elle est maman quand c’est bien le cadet de mes soucis. Elle peut bien faire ce qu’elle veut, je sais qu’elle finira par retomber dans la drogue et toutes ces merdes quand elle seule le fait si bien depuis tant d’années. Ginny sait ce que j’en pense, Bailey n’a sûrement pas envie que j’exprime aussi clairement mes pensées à propos de sa femme alors, tel un adulte civilisé et courtois, je les garde pour moi et me contente de lui passer le sel à table.

Maintenant que j’ai le droit de sortir et de profiter de l’air libre, je me contente d’écouter d’une oreille attentive ce que Ginny a à dire à propos de ces escapades sur la plage que je lui refuse aussitôt en ma qualité de bad cop pour les semaines et les mois à venir. Elle a entendu comme moi les mots du médecin et je lui fais grâce de mimer Sage à la perfection puisque ni elle ni moi n’en avons envie, finalement. Ce n’est que lorsque j’entrevois une porte de sortie en venant prendre une Tracy sur le point de pleurer dans mes bras que je me faufile une bonne fois pour toutes à l’extérieur de la maison. “T’as raison, c’est nul de les entendre parler de toi à longueur de journée.” Je lui murmure dans un sourire, certain qu’elle ne peut pas comprendre la teneur de mes propos mais que l’intonation suffira à peut être la rendre un peu plus heureuse et chassera le cerise de ses joues bouffies.

« Bien sûr, elle voulait rejoindre son frère. » Je souris sincèrement à Bailey pour lui signifier un oui, le rejoignant sur la même longueur d’ondes, ce qui semble arriver de plus en plus fréquemment ces derniers temps. “Déjà inséparables, qu’est ce que ça sera plus tard.” Mes mains sous ses cuisses la font remonter un peu plus haut sur mon torse alors que mon regard passe de la petite tête blonde à son père. « Tu te fais la main ? » “La main et la malle, elles vont finir par aller sur la plage quoique j’en pense alors autant que je n’assiste pas à ça.” Elle est libre, Ginny, et jamais je ne voudrais qu’elle m’écoute lorsque je lui donne des ordres. C’est pour ça que je l’aime aussi et c’est aussi l’excuse parfaite pour moi pour enfin m’échapper de ce repas et cette maison. Je fais des efforts mais reste fort peu à l’aise en société, même si la société se résume actuellement à quatre personnes et deux bambins. Une personne et deux bambins, commençons par là. Ma vie y ressemblera beaucoup sous peu. “Elle a déjà son petit caractère, Tracy va vous en faire voir de toutes les couleurs.” J’aurais voulu rajouter qu’elle tient ça de sa mère mais ce serait sûrement hors de propos. “C’était cool de votre part, d’avoir nommée Ginny marraine. Elle n’avait pas été aussi heureuse depuis longtemps.” Je le pense et le confesse sincèrement, sans aucune amertume.

J'aurais parié sur Ginny lorsque j'entends des pas derrière moi. C'est Auden qui vient prendre place à mes côtés, ma fille confortablement installé entre ses bras. On s'adresse un sourire poli, mais sincère, ultime symbole de notre entente cordiale ces derniers temps. Elle semble si loin, désormais, l'époque où nous étions incapables de nous adresser la parole sans que cela ne parte en véritable pugilat. Rien n'est parfait, tout repose encore sur un équilibre instable. La vérité étant que nous avons probablement plus de points en commun qu'il n'y paraît. Je sais à quel point Jill l'insupporte et l'effort qu'il a dû faire ce soir pour ne pas envenimer les choses. Il est là pour cela aussi mon sourire. Un merci silencieux qui nous désencombre d'un discours probablement embarrassant. « Déjà inséparables, qu’est-ce que ça sera plus tard. » En rien je n'ai encore eu la folie de me projeter dans l'avenir. Comment seront-ils plus tard ? Inséparable, j'ose l'espérer. C'est tout ce qu'il m'a toujours manqué avec mon aîné. Je me prends à rêver que mes enfants soient toujours là l'un pour l'autre, que l'on soit une véritable famille aimante où les menaces n'auront pas leur place. Une famille normale, en sommes. « J'espère qu'ils seront soudés tous les deux. » Ils sont jumeaux, c'est déjà une force par nature. En quelques jours de vie, ils nous ont déjà prouvé qu'il existe ce lien indescriptible entre eux. Tracy est incapable de rester seule dans le berceau, elle ne s'apaise que lorsque Bowie la rejoint et ils sont toujours en train de se toucher la main tous les deux. Je ferais en sorte que ce lien persiste entre eux.

« La main et la malle, elles vont finir par aller sur la plage quoique j’en pense alors autant que je n’assiste pas à ça. » Je retiens un léger rire. Il est déterminé Auden. Je le vois, et je le comprends désormais, il sera toujours là pour protéger Ginny. Sans jamais s'imposer même si parfois (souvent) le fond de sa pensée semble mal formulé. « Tout ira bien. » que je lui promets alors que je me reconnais tant dans ses angoisses déguisés de futur père, mais surtout de mari aimant. Elle lui a fait une belle frayeur la brunette et désormais il veille au grain, qui pourrait lui reprocher cela ? Avant je l'aurais fait, aujourd'hui je comprends mieux. Aujourd'hui, ils ont l'air enfin heureux.

Mon regard se pose sur Tracy qui se tortille un peu afin de mieux s'installer contre le torse d'Auden. Elle baille longuement avant de fermer les yeux tout doucement. « Je crois que t'es foutu pour un moment, elle est calée là. » « Elle a déjà son petit caractère, Tracy va vous en faire voir de toutes les couleurs. » Cela n'a échappé à personne que la petite demoiselle savait déjà trop bien se faire entendre du haut de ses quelques semaines de vie. « Elle a tout pris de Jill. » En rien ce n'est un reproche tant ma fille me fait penser à sa mère autant physiquement que par le caractère. « Elle se laissera jamais faire. » que je souris, tentant de ne pas penser à la période d'adolescence qu'elle nous fera probablement vivre. « Il sera bien plus calme. » Bowie se fait oublier parfois lorsque sa sœur tape une crise. Une peluche, un câlin et il est tout heureux. Sa petite main est toujours serrée contre cette peluche écureuil que je garde en équilibre près de lui. Et peut-être que je couve un peu trop mes enfants du regard jusqu'à ce que mes yeux remontent vers ceux d'Auden. « Tu seras un bon père. » Il l'est déjà avec Noah. Cela ne fait aucun doute que leur enfant sera bien entouré et choyé précieusement. « C’était cool de votre part, d’avoir nommée Ginny marraine. Elle n'avait pas été aussi heureuse depuis longtemps. » « On ne pouvait pas le concevoir autrement. » On a eu nos différents tous les quatre. C'est souvent parti trop loin, on a parfois regretté trop rapidement, parfois non. Mais une chose est sûre Ginny se devait d'avoir un rôle majeur auprès des enfants.

Le silence s'allonge un peu alors que l'on oublie totalement les sœurs qui complotent encore dans la maison. Leur jardin est apaisant, je pourrais y passer des heures à juste entendre le bruit des vagues. « J'ai jamais eu l'occasion de te remercier. » que j'annonce lentement, le regard fixé sur l'horizon. « D'avoir accepté de m'aider avec mes artistes. »

Tracy est sagement endormie contre mon torse et je profite de l’instant autant que possible puisque tout le monde ici sait qu’elle n’est pas du genre à rester apaisée bien longtemps. Ses cheveux fins et courts s’enroulent autour de mon index alors que je lui caresse doucement l’arrière du crâne quand ce n’est pas son dos. « Elle a tout pris de Jill. » Il annonce ainsi ce qui, à mon sens, consiste en le plus grand défaut du bambin. J’espère qu’elle se contentera de prendre le minimum de sa génitrice et qu’elle trouvera son caractère ailleurs, bien plus loin dans l’arbre généalogique de sa famille dysfonctionnelle. La vie débute à peine pour elle et la voilà qui doit déjà se battre à chaque instant, c’est la raison pour laquelle de mon côté je tente de faire au mieux pour lui faciliter le quotidien. « Elle se laissera jamais faire. » Mon sourire, plus faible, tente au mieux de répondre au sien. "Tant mieux." Sur ce point là, j’espère sincèrement qu’il a raison. Je compte sur le lien des jumeaux pour veiller l’un sur l’autre dès qu’ils en auront besoin. « Il sera bien plus calme. » Pour seule réponse je me contente de sourire en certain du nourrisson alors que, pour la seconde fois de ma vie, ma préférence va au petit être qui ne fait pas de bruit et se contente d’évoluer dans sa bulle. Je suis bien heureux que Ginny soit son parrain puisqu’elle sera formidable dans ce rôle, bien plus que quiconque n’aurait jamais pu l’être à sa place. « Tu seras un bon père. » Il n’y a rien à répondre à cela. Il ne sait pas tout, bien loin de là, et lui annoncer que je suis déjà tout sauf un bon père ne serait sans doute pas la meilleure chose à faire. Je me contente de m’occuper de Tracy une fois de plus, elle qui me sert d’échappatoire pour lâche. Mon nez se loge près de son cou et je la sens sourire contre mon propre cou à son tour lorsque mes cils jouent de sa peau quand je bats des paupières.

Rester en compagnie de Bailey sans que personne n’attente à la vie de personne est tout ce qu’il y a de plus nouveau pour nous mais il faut croire qu’on s’habitue plutôt bien au changement, d’autant plus que je n’ai pas à forcer quoi que ce soit dans mon attitude pour lui plaire. Si la hache de guerre est loin d’être enterrée, n’en reste pas moins que nous sommes sur la bonne voie. « J'ai jamais eu l'occasion de te remercier. D'avoir accepté de m'aider avec mes artistes. » Je hoche de la tête en sa direction, un fin sourire sur le bout des lèvres. Les small talk sont loin, très loin d’être mon forts. Il en est de même pour les réunions en famille et j’imagine que ce n’est pas le temps de préciser que j’ai fait ça bien plus pour elle que pour lui ; cela risquerait d’être mal vu. “Si jamais vous avez besoin d’aide pour eux, un jour, n’hésite pas.” Retour au sujet principal qui, a mon sens, est infiniment plus important. “Les jumeaux, je veux dire. Les artistes peuvent se débrouiller seuls j’imagine.” Ils ont intérêt en tout cas puisqu’à eux la porte de chez moi restera à jamais fermer. Pour les deux poupons, l’histoire est différente. "Pourquoi est ce que ce projet te tient tant à coeur, d'ailleurs ?" J'aurai toujours du mal à comprendre comment on peut tant vouloir aider le monder entier.

C’est toujours étrange lorsque l’on se retrouve tous les deux. Outre une nuit perdue, il y a de cela une décennie – qui semble toujours rappeler un autre millénaire – nous n’avons jamais eu de discussion cordiale. Tout se réglait à coup de piques savamment envoyé ou de coup de poing. Toujours dans l’attaque, jamais autrement. Tant est si bien que même si je tente d’engager une conversation tout ce qu’il y a de plus civilisé, je sens qu’en rien cela est naturel pour l’un comme pour l’autre. Il reste à mes côtés pourtant Auden, à cajoler ma fille comme si elle l’être le plus précieux à cet instant précis. C’est en cela que je remarque mes erreurs à son sujet. Trop longtemps, je l’ai jugé par ses actions passées quand en réalité leur histoire n’a jamais été la mienne. Formuler des regrets ne servirait à rien tant il fera semblant de ne pas les avoir entendues. On tente simplement de s’accorder pour ne plus laisser les choses dégénérer. « Si jamais vous avez besoin d’aide pour eux, un jour, n’hésite pas. » Auden qui me propose son aide. Le temps semble s’arrêter tant, je me retrouve surpris et un peu stupide à ne pas savoir quoi lui dire. « Les jumeaux, je veux dire. Les artistes peuvent se débrouiller seuls j’imagine. » Sourire poli, hochement de tête dans le vide. « Merci. » que je marmonne sans réellement savoir s’il va enchaîner sur une blague où s’il est profondément sincère. C’est lorsque le silence s’allonge que je comprends qu’en rien tout cela n’es une plaisanterie et qu’il offre sincèrement une aide dans ce moment pas toujours évident. « Si jamais on peut faire quoique ce soit pour vous en retour. » Pour Ginny, pour lui ou pour eux en tant qu’ensemble. On n’a pas l’habitude de demander de l’aide l’un comme l’autre, mais c’est un signe supplémentaire, que la hache de guerre reste enterrer au fond du jardin. Pour le moment.

« Pourquoi est-ce que ce projet te tient tant à cœur, d'ailleurs ? » Les artistes que j’ai voulu protéger du joug de mon père. Cette ultime faveur que je leur ai demandée, le temps de pouvoir me retourner, juste le temps de trouver une solution. « Ils ont tellement bossé pour en arriver là. » Tout simplement. Amélia a tout donner pour devenir la chanteuse qu’elle est aujourd’hui, James a des textes bien trop poignant pour qu’on l’oblige à faire du mainstream. « Mon frère se fiche des textes élaborés, des mélodies qui veulent dire quelque chose. Tout ce qui l’intéresse, c’est la popularité et le profit. » Ils ne sont pas comme ça mes deux petits protégés. Il aurait cherché à les détruire avec le temps, il a déjà amorcé le travail avec James. « Ils ont le droit à leur chance. » C’est tout ce que je veux pour eux. « C’est mon travail de leur donner ça, maintenant, il faut juste que je trouve un moyen de me détacher du label. » Une bonne fois pour toute, prendre mon envol comme j’en rêve depuis des années. J’en ai sûrement trop dit lorsque Auden ne posait la question que par politesse probablement. Je souris un peu, continue à caresser lentement le dos de mon fils et laisse mon regard se perdre sur l’horizon. « Qu’est-ce que tu vas faire sans la galerie ? » J’ai du mal à comprendre pourquoi il a abandonné cet endroit qui ressemblait en tout point à un rêve.

C’est le plus naturellement du monde que la conversation dérive vers l’art en général et ses artistes en particulier. Bien que je ne porte finalement que peu de considération au monde dans lequel il évolue, je me dois pourtant d’avouer qu’il fait partie de la même branche que le mien. En ses mots, je reconnais un peu de ma vie sans pouvoir totalement m’y fier non plus. Pour ça aussi, on avance pas à pas. « Ils ont tellement bossé pour en arriver là. » Je hoche de la tête en silence, comprenant parfaitement tout ce qu’il sous entend par ces quelques mots. Percer dans le monde de l’Art en général n’a rien d’aisé, absolument pas, et beaucoup y entrent tête baissée pour mieux finir noyés ensuite. On s’y perd et on y dérive facilement, dedans, si on n’a pas soit un mental d’acier soit quelqu’un sur qui se reposer. Au moins, Bailey devient ce quelqu’un pour eux et si de notre côté on peut les aider à garder la tête hors de l’eau alors tant mieux, ça ne nous coûte rien.

Lorsqu’il enchaîne et continue, je souffle contre les cheveux de Tracy tout en retenant un rire pour ne pas la tirer de sa rêverie. « Mon frère se fiche des textes élaborés, des mélodies qui veulent dire quelque chose. Tout ce qui l’intéresse, c’est la popularité et le profit. » On a donc le même genre de frère et si jusque là je ne m’étais jamais assez intéressé à la chose pour m’en rendre compte, désormais cela semble plus qu’évident. Il est comme Saül qui se contente d’acheter les tableaux les plus chers simplement pour se montrer, comme Saül qui se moque de qui a peint l’oeuvre tant qu’il a un Nom. Il se moquerait lui aussi des textes et des mélodies quand, tout ce qu’il verrait, c’est combien de vues le clip pourrait générer sur YouTube et la vente de l’album avec. « Ils ont le droit à leur chance. » Et j’espère pour eux qu’ils sauront en faire bon usage puisque pour ma part ma patience a des limites et cette collaboration en aura aussi s’ils ne montrent pas patte blanche dès le départ. Je l’ai fait pour faire plaisir à Ginny avant toute chose mais dès que j’aurai l’impression qu’ils franchissent la ligne rouge, ça sera la fin. Pour ça, je me rendrai bien clair à leur égard alors que j’imagine que Bailey s’en doute déjà. « C’est mon travail de leur donner ça, maintenant, il faut juste que je trouve un moyen de me détacher du label. » J’avoue que je n’en suis pas au point où je m’intéresse réellement à chaque pans de sa vie mais je fais au moins l’effort d’écouter et d’être attentif à tout ce qu’il a à me dire. “T’auras juste besoin d’une étincelle. Et après tu seras libre.” Une étincelle, une idée, un coup de pouce. Tout débute avec rien et de là c’est à nous de construire le reste. Ca a été le cas pour moi un jour, ça sera le cas pour lui aujourd’hui ou demain. Il a la passion et les idées et je pense sincèrement qu’à partir de là il sera capable de grandes choses.

Vient finalement la question qu’il doit mariner depuis une vie si ce n’est deux. « Qu’est-ce que tu vas faire sans la galerie ? » Je replace doucement Tracy qui commençait à glisser et ne cherche même pas à cacher le sourire sur mon visage. S’il savait. Des projets, je n’ai que ça en tête. “On va en ouvrir une nouvelle à Spring Hill. Ginny va faire des ateliers dans sa maison en attendant.” On n’a pas eu besoin d’en parler tout comme on a jamais eu besoin de négocier quoi que ce soit. Nos yeux ont parlé à notre place, mon impulsivité a pris le dessus sur tout le reste et pourtant on finit toujours par retomber sur nos pattes et être bien mieux installés encore. “On doit la rénover avant, ça prendra quelques semaines. Je voudrais en acheter une autre à l’étranger, aussi.” Le où m’importe peu puisque je sais déjà que je fonctionnerai au coup de coeur et Ginny avec. Elle a acheté la galerie de Spring Hill, je veux profiter de mon argent pour agrandir notre terrain de jeu. “C’est pas les idées qui manquent à vrai dire. On rage simplement que les journées ne fassent que vingt quatre heures.” Il a posé la question pour moi, je lui réponds pour nous deux avec tout le naturel du monde. J’ai encore des dizaines d’autres projets en tête, artistiques ou non, et jamais je n’accepterai de me retrouver dans une impasse. C’est inconcevable. "Et Ginny, elle, elle veut adopter des lapins, deux chiens de plus, des poules et un poney. Je crois qu'elle a essayé de négocier pour qu'on prenne un bébé humain aussi, mais elle a été coupée dans son élan par un marchant de glaces." Relevant mes yeux en direction du Fitzgerald, je lui accorde un sourire complice et serein avant de continuer : "Elle sait, pour Londres." Il se devait lui aussi d'être au courant, j'imagine.

« T’auras juste besoin d’une étincelle. Et après tu seras libre. » Une étincelle. Un coup de pouce, celui qu’il me donne sans juger, pour lui faire plaisir à elle, mais pour m’aider moi. Je n’ai pas encore trouvé ce petit rien qui changera tout, mais ces quelques mots d’Auden réveillent une détermination certaine. Si même celui qui m’a si longtemps juger, pense que j’en suis capable, alors je me dois de le faire. Une bonne fois pour toutes. Faire le grand saut dans le vide, détacher les dernières chaînes. C’est probablement ce qui me terrorise le plus, mais rester sous la coupe de mon paternel ne pourra pas durer plus longtemps. Il est temps que je vive pour moi. Pleinement pour ma passion et rien d’autres. Les idées s’empilent déjà par centaines, cacher dans des carnets que je dissimule dans toute la maison et qui ont si souvent rendu Jill dingue. Bientôt, je ferais l’ultime pas qui permettra de créer tout cela. En attendant, j’apprends à devenir père. Chaque chose en son temps.

« On va en ouvrir une nouvelle à Spring Hill. Ginny va faire des ateliers dans sa maison en attendant. » Cela paraissait évident, elle aime trop cela, Ginny. Donner des cours, partager sa passion, voir les autres évoluer dans ce monde qu’elle chérit tant. « On doit la rénover avant, ça prendra quelques semaines. Je voudrais en acheter une autre à l’étranger, aussi. » Un hochement de tête alors que je les imagine voguer au travers du monde. S’il n’y avait pas Noah, son père ici, le reste de la famille dans cette ville, je suis persuadé que l’on ne les reverrais pas tous les deux. Amoureux du monde, ils seraient du genre à vivre dans un pays un temps avant de passer au suivant. « C’est quoi le prochain sur la liste ? » Parce qu’il y en a forcément un autre même si Ginny est enceinte, même si elle s’est fait une frayeur. « C’est pas les idées qui manquent à vrai dire. On rage simplement que les journées ne fassent que vingt quatre heures. » Un léger rire m’échappe. Je ne doute pas une seconde qu’il rage de ne pas pouvoir tout faire en une journée. Son esprit libre doit voguer d’une idée à l’autre sans cesse. « Et Ginny, elle, elle veut adopter des lapins, deux chiens de plus, des poules et un poney. Je crois qu'elle a essayé de négocier pour qu'on prenne un bébé humain aussi, mais elle a été coupée dans son élan par un marchand de glaces. » « Il est en bonne voie pourtant le bébé humain. » que je plaisante un peu alors que mon regard remonte vers la maison où les filles sont probablement toujours en train de comploter. « Fait gaffe si tu refuses les lapins, elle risque de vouloir un dauphin, des suricates et probablement tout un chenil au final pour compenser. » J’avais jamais vraiment cédé à l’idée du chien à Londres et j’ai été le premier à le faire après le divorce, fallait bien qu’elle craque à son tour. « Elle sait, pour Londres. » « Oh. » Elle ne m’en avait pas parlé la brunette, je me doute que ce fût une surprise pour elle. Avant, je m’en serais inquiété, aujourd’hui, je me contente de hausser des épaules. « C’était une autre vie tout ça. » Une vie qui me semble vieille d’un millénaire désormais. « Je crois que pour l’entente général il vaut mieux que Jill ne soit pas au courant. » Ça n’a jamais été l’amour fou entre eux et ce genre de nouvelle pourrait accentuer le conflit. Je la connais ma femme. Je tourne le regard vers Auden, lui accorde un léger sourire. « Si tu as besoin d’aide pour les rénovations. » que je propose doucement. « Au grand regret de mon père, j’adorais traîner avec les ouvriers quand ils ont fait refaire la maison. J’ai appris plein de trucs. » Comment monter une cloison, quelques travaux de plomberie, poser du carrelage. Je laisse la peinture dans les mains d’Auden clairement.

« C’est quoi le prochain sur la liste ? » “Elle a toujours rêvé d’aller au Japon.” J’annonce dans une confession, mon regard dérivant quelques secondes en direction de la maison, un sourire sur les lèvres. On est plutôt du genre à décider au dernier moment sur un coup de tête et absolument rien n’est prévu non plus, bébé oblige, mais je sais qu’elle a toujours rêvé de s’y rendre. Je sais aussi que là bas il n’y a pas de moustique dangereux pour sa santé ni même quoi que ce soit de dangereux tout court, si ce ne sont les boutiques de geek qui fleurissent à chaque coin de rue et ma patience que j’observe déjà s’envoler. Le Japon serait un pays aussi parfait pour elle qu’il le serait pour le bébé.

« Fait gaffe si tu refuses les lapins, elle risque de vouloir un dauphin, des suricates et probablement tout un chenil au final pour compenser. » Il la connaît finalement bien mieux que je n’ai jamais voulu le croire et je souris à mon tour de sa remarque avant de surenchérir, comme toujours. “Elle a tenté un narval, elle essaye même plus d’y aller étape par étape là je crois.” Le pire étant qu’elle ne semble pas comprendre pourquoi un tel animal ne peut ni loger dans la gamelle de Pizza ni même dans la piscine. Alors, elle en revient toujours aux lapins que moi je rêve plutôt de cuisiner avec une sauce moutarde - mais apparemment, ça n’est pas dans ses plans à elle.

Le sujet de Londres arrive tel un cheveux sur la soupe. Pour moi, il a rapidement été évident que je me devais de mettre Ginny dans la confiance de la chose et ce même si je sais qu’elle ne me l’aurait jamais demandé. J’ai érigé bien trop de barrières entre nous pendant toutes ces années pour oser en garder encore aujourd’hui, surtout alors qu’il n’y a pas à en avoir honte. « Je crois que pour l’entente général il vaut mieux que Jill ne soit pas au courant. » Je hoche de la tête sans ajouter quoi que ce soit, cette fois-ci. Après tout, son couple, son mariage. Il gère la chose comme il l’entend - et là, je parle autant des liens qui les unissent que de Jillian en elle même - cela ne me regarde ni ne m’intéresse absolument pas. Mon devoir était simplement de le mettre au courant à propos de ma femme, il s’arrête donc ici.

Finalement il en vient à me proposer son aide pour les rénovations et, après quelques secondes silencieuses, j’en viens à accepter son offre avec plaisir. Deux mains de plus ne seront sûrement pas de trop, d’autant que je refuse par avance que Ginny fasse trop d’efforts à cause du bébé. Elle va se plaindre, elle va râler, elle va tirer la langue et elle va tenter de négocier de toutes les façons possibles et inimaginables : j’aurai bien besoin de quelqu’un à mes côtés dans cette épreuve.

« Elle a toujours rêvé d’aller au Japon. » Je sais, mais je me retiens de lui notifier. On aurait dû y aller, quelques semaines après que Noah est eu sa première vraie crise. Les billets d’avions avaient été oubliés dans un tiroir alors que pour la première fois, on expérimentait un long séjour à l’hôpital. Je suis heureux de savoir qu’elle va désormais pouvoir réaliser son rêve de manière bien plus sereine. Ce sera parfait pour eux, il faut croire tant, ils semblent être sur la même longueur d’ondes tous les deux. Je vois bien qu’il est surpris que je sache encore déceler les envies de Ginny. Il ne l’a jamais accepté, mais moi aussi, je la connais bien. Peut-être pas autant que lui, mais dans une profondeur qu’il ne pourra jamais réellement soupçonner tant personne ne pouvait réaliser l’ampleur de ce que l’on aura vécu l’un à côté de l’autre. « Elle a tenté un narval, elle essaye même plus d’y aller étape par étape là, je crois. » Un rire m’échappe alors que j’imagine Auden devoir installer une licorne des mers au fond de leur piscine. Elle a toujours des idées saugrenues la McGrath. « Tu devrais céder aux lapins. » Ce serait probablement la plus sage des décisions qui pourra calmer ses envies les plus folles pendant quelques mois encore. Lorsque le bébé sera là, elle n’y pensera même plus à son narval, tant l’être entre ses bras nourrira toute la magie dont elle a soif.

On évoque Londres un instant. Ce moment de vie qui semble dater d’un millénaire et me semble si surréaliste désormais. Cette nuit que l’on aura partagée ensemble, qui n’es plus réellement un secret, mais qui restera à jamais dans le domaine du souvenir que je ne souhaite pas tant partager. La conversation reste calme et polie entre nous. Je lui propose mon aide pour ses rénovations, il accepte d’un hochement de tête et je me doute qu’il saura trouver mon numéro lorsqu’il aura besoin d’un coup de main. J’ose espérer que notre relation pourra rester comme ce soir, cordiale et dans un esprit bon enfant.

Lorsqu’un air frais fait frissonner Bowie entre mes bras, on décide de rentrer, rejoindre nos femmes qui ont probablement eu le temps de refaire le monde trois fois. Elles sont toujours là, les sœurs McGrath, tasse de thé à la main. Alors on s’échappe entre hommes à nouveau, prétextant d’aller coucher les enfants.