« C'est le moment. »

Le terrible moment tant redouté, pour Saül comme pour Elise. Il ne porte plus son alliance, l'italien, pas plus qu'il ne porte la montre. Il est temps de parler de tout ce merdier à Cosimo, le seul qui ne mérite rien du tout et qui, pourtant, fera les frais des imbroglios dans lesquels trempent ses parents. Il n'habite plus ici, mais Saül s'est chargé de le faire venir. Elise est déjà au salon. Il doit s'attendre à ce que quelque chose de terrible ne se prépare, Cosimo, en voyant que ses parents se sont déjà réunis dans le salon. Lorsque Saül entend la porte d'entrée se refermer, il passe la tête jusque dans le hall. Les mains croisées dans le dos, Saül campe droit, planté devant la porte qui mène au salon. « Bonjour, mon garçon. » La rigidité et la froideur du ton de Saül a pris des teintes un peu moins formelles, aujourd'hui. Quelque chose a changé. Peut-être est-ce une lueur de fatigue qui fait briller ses yeux banquises.

Quand la porte est passée, Saül file du côté du placard qui renferme les boissons alcoolisées de la maison. « Installe toi, Cosimo. Comment vas-tu ? » Comme à son habitude, Saül n'écoute que d'une oreille. Il y a des choses qui ne changent pas. L'italien remplit deux verres de vin, fait un détour en cuisine pour remplir un verre d'eau afin que Cosimo puisse également s'hydrater le palais. Une poignée de secondes plus tard, l'homme d'affaires vient s'installer dans le siège qui est le sien.

Ce salon ne lui renvoie rien de plus que les piques amères échangées avec Elise au fil des ans. Cet endroit n'a été rien d'autre que le réceptacle des disputes des deux époux. Cosimo n'a jamais assisté à leurs disputes, aussi nombreuses ont-elles pu être. Quand Elise et Saül ont emménagé, leur couple battait déjà de l'aile - s'est-il un jour bien porté ? Peut-être les premiers temps étaient-ils les plus doux, bien qu'ils ne se soient pas éternisés. Ce petit paradis qui n'en a jamais été que l'illusion douce-amère est perdu depuis des lustres. Quand il pose son regard sur Cosimo, Saül ne peut désormais plus s'empêcher de voir Auden. Comment les gens ont-ils pu adhérer à la supercherie ?

Une gorgée de vin plus tard, l'italien s'éclaircit la voix. « Non, je ne vais pas te demander de venir vivre ici, ne t'en fais pas. » La tentative de lâcher un sourire est vaine, emportée par une autre gorgée de vin. Saül savoure les derniers instants de calme, avant que le reste ne vienne tout emporter. Déjà, l'égoïste pense au repos illusoire qu'il trouvera en allant dépenser son argent sur les tables sombres de la ville. Ce soir, il ne rentrera probablement pas auprès d'Ariane. Son besoin est ailleurs. Son besoin est avare en compassion, avare en partage. Avare en tout et surtout en explications.

C'est le moment. Et tu n'es pas prête du tout. Tu ne le sera jamais de toute façon. Il y a longtemps qu'elle est brisé cette famille. Mais de la brisé officiellement… non. Tu ne sera jamais prête à le faire. Tu ignores comment il va réagir. Tu t'es préparé mentalement à chaque réaction possible et tu détestes chacune d'entre elles. Ça te blesserait autant qu'il le prenne mal que bien. C'est Saül qui se lève pour aller accueillir Cosimo. Tu le vois tout de suite dans son visage qu'il sait qu'une mauvaise nouvelle s'en vient. Pourquoi est-ce que vous ne pouvez pas l'épargner de tout ça ? Saül part à la cuisine et tu viens tapoter la place à tes côtés sur le sofa pour Cosimo. Tu sais à quoi il pense. C'est qu'il risque d'être déçu Cosimo quand il verra que ça n'a aucun lien avec ton secret/le conflit avec Auden. Chaque mauvaises nouvelles en son temps. Saül revient avec deux coupes de vin et un verre d'eau. Tu déposes la tienne sur la table du salon. Oublie ça. Tu es incapable de rien avaler tant l'angoisse te tiraille.

« Non, je ne vais pas te demander de venir vivre ici, ne t'en fais pas. »
« Sauf si tu en as envie, bien sûr. Tu reviens quand tu veux. »

Ah bien sûr que tu ne peux pas t'en empêcher. Il voudra revenir quand il saura que son père est partie pour de bon ? Ce serait bien la seule bonne nouvelle de ce divorce imminent. Vous pourriez vous trouvez un endroit qui vous plairait à tous les deux. Oui. Ce serait bien. « On a quelque chose à te dire. » Il y a ton bras qui se glisse autour de ses épaules. Ta voix se veut la plus douce possible, la plus rassurante. C'est sûrement pour ces mêmes raisons qu'il ne l'est pas, rassuré. « Ton père et moi, on va- » Tu souffles un peu. Ton regard se tourne vers Saül avant de retrouver Cosimo la seconde suivante. « On va divorcer. » Et voilà. La bombe est tombé. L'une d'entre elles du moins.

Et il n'y a plus de retour en arrière possible maintenant.

Je ne suis pas rassuré. Pas du tout. Simplement parce que c'est plus que rare que ce soit Papa qui me demande de venir. En général, c'est Maman. Mais jamais lui. Alors, je ne suis pas rassuré. Je ne sais pas vraiment ce qui se passe et je dois dire que ça m'angoisse un peu.
Et quand j'arrive, ils sont déjà dans le salon à peine ais-je fermé la porte d'entrée.

- Bonjour.

Je ne sais même pas comment me conduire, c'est affreux. Je retire finalement ma veste pour pouvoir rejoindre le salon. Comment je vais ? Est-ce que c'est vraiment une question qui mérite une réponse ? Ou, comme d'habitude, il n'écoutera pas ce que je dis ? Je ne suis même pas sûr de savoir au final.

- Je vais bien, merci.

Il s'éclipse en cuisine et je repose les yeux sur Maman. Je viens m'installer à côté d'elle. Maman ne parle même pas et je me contente de regarder Papa s'installer. Est-ce que personne ne va parler ? J'ai l'impression d'entendre mon rythme cardiaque dans mes tempes et mes mains sont moites. Je frotte mes paumes sur mon jean pour essayer de les sécher un peu. Pas me demander de vivre ici. De toute façon, ce n'est pas comme si j'allais dire oui... Et ce n'est pas pour leurs faire du mal que je fais ça. C'est juste... comme ça.
Et Maman renchérie déjà. Si je veux, je peux. Oui, le nombre de fois où Maman m'a dit, montré que j'étais le bienvenue peu importe quand.

- D'accord... Je vous écoute..?

Je repose mes mains sur mes genoux alors que je sens le bras de maman autour de moi. Ils vont m'annoncer que l'un des deux est malade ou va mourir ? Ca ne me surprend même pas que Maman parle plus que Papa. Lui se contente de boire son verre. C'est assez... normal comme situation. Je baisse les yeux vers Maman. Ils vont ? Divorcer. Ah. J'aimerai avoir une réaction. Positive ou négative. Mais je n'ai rien qui s'affiche sur mon visage quoi que de la surprise, ce qui est logique. Comment expliquer simplement ce qui se passe dans ma tête ? Je ne suis pas bête, je savais que ça n'allait pas. Depuis longtemps maintenant.

- Je.. Hm.

Il faudrait que je parle. Je suis persuadé que la situation est bien plus compliqué pour eux que pour moi à ce moment précis. Je ne sais pas quoi dire, pas quoi faire de plus que de les regarder un à un. Je pense que l'honnêteté est de rigueur ?

- Hm.. Je vous avoue que.. ça reste un choc mais.. En toute honnêteté, je savais que.. ça n'allait pas vraiment entre vous.. Même avant que je ne sois en Australie..

Je ne les ai jamais vu ou entendu s'engueuler. Mais je ne suis pas bête et je vois bien qu'ils ne semblent pas aimer être dans la même pièce. Je repose les yeux sur Papa puis Maman. Je ne sais pas si mes mots sont difficiles ou non mais... Je veux juste être honnête.

- Vous êtes resté ensemble jusqu'à maintenant pour moi ?