Elle savait qu’elle n’aurait pas dû lui faire confiance. Quand elle lui a dit que ça allait être pour demain, Birdie aurait dû se douter qu’y avait anguille sous roche. Ana semblait vraiment détester son frère, comme elle aurait pu obtenir son aval en si peu de temps pour une précieuse voiture ? Surtout pour une étrangère qui compte s’amuser avec – et sans scrupule – à travers la ville ? Cadburry aurait dû se douter qu’il y allait voir quelque chose qui allait tourner mal et pourtant, la voilà qui stationne son van qui fait véritablement tâche dans le décor. « Salut la vieille ! Alors, prête à faire ronfler le moteur ? » « A qui tu le dis, j’en fantasme, t’imagines pas. » La gamine ne manque pas de culot mais Birdie retient son majeur parce que ce n’est pas le moment. « Bah ça pue tellement l’fric, c’est indécent... » C’est clair que ce n’est pas le genre de quartier où Birdie a l’habitude d’aller. « Ca donnerait presque envie de bousculer un peu toute cette perfection. J’aime tellement pas quand c’est lisse. C’est morne. C’est triste. Comme si y a pas de vie. » Le jardin bien taillé. Les roses bien coupées. Les façades bien nettoyer. Même les boites aux lettres sont parfaites. Tout se ressemble et tout pue la démesure. Chose que Birdie n’a jamais eu le droit, ni même songer parce qu’elle trouve ça laid.

« Bon t’as suivi que mon frère et moi s’pas l’amour fou. Du coup, il est pas vraiment au courant qu’on lui « emprunte » sa caisse aujourd’hui. » Nous y voilà. « Donc en clair… On va la voler, c’est ça ? Non parce que je connais ce genre d’emprunt, hein, tu vas pas me la faire à moi, gamine. » On n’apprend pas à de vieux singes à faire des grimaces après tout. « Merde, les enfoirés… Ils ont changé la serrure… Y a plus qu’à espérer qu’ils aient pas changé le code de l’alarme. » Ana s’essaie avec une clé mais évidemment, ça ne passe pas. Cela serait sûrement trop simple. « Fais le guet, si quelqu’un débarque, ben t’as qu’à crier « cornichon. » Cornichon, soit, pourquoi pas. Birdie s’éloigne, fait mine de s’intéresser aux plantes – sérieusement, s’il y a un voisin qui regarde juste par la fenêtre, elles sont mortes toutes les deux – puis un vacarme se fait entendre. Une fenêtre brisée, la silhouette d’Ana qui saute à l’intérieur pour ressortir deux minutes à peine après, jetant les clés en direction de Birdie qui les attrape au vol. « Attrape ! A toi de jouer ! Et essaye de pas la rayer, il nous tuera toutes les deux. » « Encore faudrait–il que déjà, les voisins ne nous voient pas et qu’aussi, t’as pensé aux caméras de sécurité ? Ce genre de baraque, ça a forcément une surveillance 24/7 ? » Même si ça ne serait pas la première fois qu’elle se retrouve au poste, elle ne veut pas non plus qu’on réussisse à remonter jusqu’à elle. Même si Ana est plus intéressée par la réaction de son frère que celle des autorités – ça veut bien dire quelque chose. « Alors, heureuse ? T’as intérêt à me faire le lit avec des draps frais pour ma nuit dans ton van ! » Birdie lâche un sifflement impressionné – ça se voit la carrosserie a été refaite car elle est brillante, magnifique, parfaite. Elle s’approche, elle passe un doigt puis deux sur le capot avant de lever le visage vers Ana en souriant. « Une petite virée rapide, ça te dit ? A part si l’accident avec ton frère t’a traumatisé. » Birdie est presque ironique, n’attendant pas d’ouvrir le loquet et de se faufiler derrière le volant.

Y a pas à dire, ça en vaut totalement la peine.

« Ben tu vois qu’on peut-être d’accord sur quelque chose. Mais on foutra le merdier une autre fois. » Birdie eut un sourire de coin. Voilà une autre perspective qu’il l’enchante déjà. Que ce soit taguer les pelouses décidément bien trop vertes ou badigeonner les poignées avec du caramel fondu ou mieux (pire), de super glu, voilà qui serait assez palpitant comme expérience – et encore plus à voir. Peut–être faudrait retrouver les caméras de sécurité après, ne serait–ce que pour voir la tronche des gens qui habitent ici être victimes de ce genre de gamineries. C’est un quartier qui n’appelle pas à la délinquance et encore moins au chaos. Enfin, en extérieur. Car si elle en a compris les mots d’Ana, l’intérieur de la maison de son frère a l’air d’être une toute autre histoire. « S’tu la défonces pas, on la ramène ce soir et j’maintiens du coup : on fait qu’emprunter. » Mais comme Birdie est douée, elle ne la défoncera pas, la voiture. Elle abimera sûrement un peu les pneus, elle les fera trop grincés, trop dérapés. Ses doigts laisseront une empreinte sur le volant, le siège sera sûrement plus relevé parce que son frère a l’air d’être naturellement plus grande que Birdie – qui reste plus petit que quasiment les trois quarts de la population, y compris les gamins de plus de treize ans – et les rétros auront bougé de position. Il y a donc de fortes chances que même sans cabosser, fissurer, massacrer, rayer la jolie voiture rouge flamboyante, que le propriétaire s’en rendre compte dans tous les cas que quelqu’un d’autre que lui est venu la visiter.

Mais– « On s’en fout, j’te dis. Si on ramène la caisse ce soir, c’est à moi qu’il viendra casser les ovaires. Il appellera pas les flics. » Voilà, au moins ça, c’est dit. « Aie confiance en moi, okay. Je vais maitriser. On va finir ni chez les flics ni à l’hosto. » Si elle s’est déjà retrouvée chez les premiers un bon nombre de fois, elle préfère aller chez les deuxièmes tant qu’elle peut l’éviter au maximum. « Tu parles... Accident de merde on était quasi à l’arrêt. » Les mains qui apprécient le volant avec le regard brillant et un sourire de gamine, Birdie lâche un ricanement. « A l’arrêt, en plus, t’es sérieuse ? On peut dire que ça rend le truc vachement moins spectaculaire. » Même si la ‘pute rousse’ a sévèrement pris.

Mais ça, ce n’est pas ses histoires et elle s’en contrefout royalement. Tout comme elle s’en fiche si elle est prise, maintenant ou plus tard, elle est bien trop heureuse. « Allez démarre qu’on se barre d’ici avant que sa femme débarque ! » « Faut pas me le dire deux fois, ma grande. » Clé dans le contact, vrombissement du moteur, léger coup sur l’accélérateur et la voiture part aussi vite qu’elle l’aurait songé. Même si elle n’y connait rien en voiture, Birdie sait quand elle peut s’amuser avec. Et celle–là est le joujou parfait, à en juger par les slalomes qu’elle se permet de faire tout en se frayant un trajet dans le quartier pour rejoindre la ville. « Wow ! C’est clair que c’est pas mon van qui réagit comme ça ! » La Cadburn rit, elle s’amuse à ralentir avant de reprendre des accélérations et surtout les virages, où les pneus grincent et dérapent alors que le volant est braqué sur le côté. Birdie lâche une exclamation enfantine alors qu’elle s’engage dans la ville. Plus de monde, plus de piétons, plus de voiture. « Je suis la pro des auto tamponneuses. Accroche toi bien. » Déjà qu’avec son van, elle a le chic de défiler entre les autres conducteurs, avec cette merveille, ça va presque un jeu d’enfant.

En espérant qu’elles ne finissent pas sur le carreau à leur tour.

« Ouais dans un putain d’embouteillage, on redémarrait juste et y a un connard qui nous a foncé dedans, j’sais même pas comment... » Okay autrement dit, « un accident des plus stupides, quoi. » Elle aurait été la rousse, si elle avait crevé dans un tel moment, elle l’aurait eu mauvaise. Mais elle n’est pas rousse, elle est blonde. Et elle n’est pas la copine du frère d’Ana, mais celle qui conduit sa voiture avec bonne humeur. C’est grisant comme sensation, celle d’avoir la main sur un bolide pareil mais en même temps, de comprendre que la voiture reste maitresse d’elle–même et qu’elle peut s’écarter à tout moment. Il n’y a pas grand-chose qui puisse rivaliser avec cette sensation, pas même un grand huit. « Tu m’étonnes ! Ton van de pupute, ça fait juste un bon baisodrome ! » Birdie éclate de rire, ne pensant même plus ni à son van ni à leur deal. Elle est juste en train de prendre son pied – assez littéralement – en sillonnant rapidement la ville, ses yeux bleus naviguant avec une précision presque chirurgicale qui lui est rare pour analyser sa route. « Faut aller sur la nationale à quatre voies ! Là tu vas t’éclater ! Tourne la ! » Alors elle tourne là, Birdie.

A grand coups de volants, les pneus les engagent sur la grande nationale et elle regretterait presque l’absence du toit ouvrant. Mais ça n’entache pas sa bonne humeur, son excitation alors qu’elle accélère de nouveau. « Une ligne droite, c’est un appel au vice. » Et clairement, elle le démontre en poussant le compteur encore plus fort, si fort et si rapidement qu’elle ne voit pas la poubelle. « Putain mais qu’est–ce que ça fout là, ça ?! » Du papier partout, une dérive brutale sur le côté, une micro perte du véhicule et de l’attention avant que Birdie se reprenne.  La secousse a été violente, humain comme machin a bien tremblé sous le choc mais rien de grave à signaler. Peut–être un impact sur l’avant du véhicule – oopsie – mais c’est surtout les feuilles qui volent de partout qui n’engagent plus rien. « Aaaah bordel nan mais sérieux, une poubelle de papiers sur une quatre voies, quel est le con qu’a eu cette idée ? » Enervée, la Cadburn accélère brutalement et fonce, en espérant que le vent puisse faire déguerpir les feuilles du pare–brise. « J’crois qu’il va falloir s’arrêter, j’vois rien du tout. » Alors elle se fout sur le bas-côté et sort de l’habitacle en râlant. « Bon, y a peut–être un petit choc de rien du tout, il va s’en remettre, ton frère, hein ? »

Grenade attend, à l'autre bout du monde. Saül n'a qu'une envie : celle d'y retourner. Le maudit crochet qu'il est contraint de faire pour récupérer des papiers est plus qu'indésirable, mais c'est un mal pour un bien. Avec ces papiers, l'italien sera en mesure d'installer son bureau juste là où l'attend Ariane. Il a promis de ne pas trop traîner, c'est simplement l'affaire de quelques jours durant lesquels il crèche à la Serre. Personne ne sait trop qu'il est encore en ville, personne ne sait trop qu'il est à Grenade non plus. Le masque parfait est celui du "voyage d'affaires", le joker le plus extra de l'univers tout entier.

« Tu prendras à droite. » Evidemment qu'il n'est pas seul, l'aîné. Les déplacements sont aux frais de Auden, qui le conduit gentiment là où il doit aller - quel frère en or massif. Saül ne reste que quatre jours sur place, juste de quoi rendre visite à Poppy, juste de quoi mettre ses affaires en ordre aussi. C'est déjà deux jours de trop, pourtant. « Tu passeras le bonjour à Ginny de ma p- » L'instant d'après, ses yeux se posent sur une tête qu'il connaît bien. A côté d'une poubelle qui a visiblement connu de meilleurs jours se tient Anastasia, de presque deux décennies sa cadette - leur cadette, en fait. La voiture de laquelle elle descend, Saül n'y prend d'abord pas vraiment attention. Il n'a plus adressé la parole à Ana depuis l'accident, depuis qu'elle est partie après les menaces de mort proférées par Saül - la fragile, il en lance à quiconque veut bien les entendre, des menaces de mort. « Putain mais c'est- » Sa caisse. Anastasia n'est pas au volant, Dieu soit loué, mais la vision qui suit est pire encore. « Elles vont filer avec ma voiture. »

C'est Auden qui les conduit à côté des deux jeunes femmes, juste avant qu'elles ne s'engagent pour prendre la poudre d'escampette. Derrière les deux voitures, les conducteurs râlent, klaxonnent. Saül, lui, a déjà baissé sa vitre pour taper contre celle de sa voiture, côté conducteur. « Coupe le moteur et descends tout de suite de cette voiture. La fête est finie. » A-t-elle seulement eu le temps de commencer ?

coucou la zoooooone
@Auden Williams
@Birdie Cadburry
@Anastasia Williams

Kyoto n’attend pas. On ne part pas ce soir parce que j’ai insisté pour que Ginny fasse des examens supplémentaires pour s’assurer que tout va bien mais très bientôt l’Australie ne sera plus qu’un lointain souvenir et ce dans tous les sens du terme. En attendant, mon imbécile de frère continue de me prendre pour son taxi comme si on était dans un jeu vidéo alors que la seule chose que j’ai envie de faire c’est piler dès qu’il ouvre la bouche. Mise à part ça, notre relation s’est grandement améliorée ces derniers mois.

« Tu passeras le bonjour à Ginny de ma p- » “Tu as son numéro. Tu lui enverras toi même.”

Il n’a pas terminé sa phrase mais je n’ai pas besoin d’en entendre plus. Il ne fint plus ses phrases depuis longtemps, Massimo, c’est l’âge qui fait ça. Je ne m’en formalise pas, trop concentré sur la route à prendre, l’envie de tourner à gauche justement parce qu’il m’a sommer de faire le contraire.

« Putain mais c'est- » “Quoi encore ?”

Est ce qu’on est déjà arrivé à la phase d’hallucinations et il va me dire qu’il voit des trucs voler ou flotter dans le ciel ? Agacé qu’il n’aille pas au bout de ses pensées, je tourne à mon tour la tête dans la même direction que lui et oublie ensuite de tenir le cap sur la route. Bordel. Je ne sais pas quel sentiment grandit peu à peu dans mon corps mais en tout cas cela ne présage rien de bon pour Anastasia ni la sans doute droguée et/ou alcoolique qu’elle vient de nouveau de se trouver comme amie. « Elles vont filer avec ma voiture. »  Il en a d’autres et là n’est pas le soucis. Le soucis reste encore et toujours qu’Anastasia ne rentre pas dans le rang et se sent supérieure à tout le monde, la Cadette (qui se croyait) Invincible que les parents auraient dû l'appeler plutôt que de lui donner un nom de princesse morte à la con.

Je ne reprends que le fil de ma conduite au dernier moment, laissant notre voiture s’approche de la leur (la nôtre, en fait, là aussi) pour que Saül puisse jouer au grand méchant comme dans les films. « Coupe le moteur et descends tout de suite de cette voiture. La fête est finie. » Anticipant pourtant un refus d’obtempérer flagrant de la part d’au moins une si ce n’est des deux imbéciles, j’avance ma propre voiture pour venir me placer devant elles et leur barrer la route. Le fait est que contrairement à Saül, je n’en ai absolument rien à faire de ma bagnole et pourrais m’en racheter une autre demain si besoin est. Qu’elles tentent de forcer le passage, ça pourrait être amusant.

« Bon, tu fous quoi de ta vie ? Clairement pas pilote de F1... » La carcasse de la voiture va bien, rien à signaler même si franchement, elle doute, Birdie. Mais ce n’est pas elle qui récupérera les pots cassés si jamais y en a, alors à quoi bon s’inquiéter ? Pas le genre de Birdie qui s’apprête non seulement à répondre à l’ingénue à ses côtés mais aussi à redémarrer, peut–être plus tranquillement sur quelques mètres pour s’éloigner calmement et trouver un endroit plus sécure.

Enfin ça, c’était le plan prévu avant qu’on tape à la fenêtre.
Et qu’on leur barre la route.
« Coupe le moteur et descends tout de suite de cette voiture. La fête est finie. »  

Y a Ana qui lui attrape le bras, Birdie qui tourne la tête à 180° pour voir la mini blonde au visage paniqué. « C’est mon frère ! » Elles ne quittent pas la voiture, les mains de Cadburry ne décollent pas du volant, bien au contraire, ils s’y agrippent deux fois plus forts sous l’effet de l’annonce. « Pardon ? » Et Ana, cette foutue Ana, cette maudite Ana, elle en rajoute. « Merde. Mes frères. » Ah. Donc y a le ‘‘connard’’ et le ‘‘pire qu’un connard’’ en face et à droite. Fabuleux. « Ana… » « Démarre putain ! »

Pour une fois, Birdie aurait été partisane à se la jouer tranquille. Parce qu’elle vient de se foutre dans des belles emmerdes et tout ça pour une histoire de van. Est–ce qu’elle a envie d’étrangler Ana à cet instant même ? Des deux mains et de façon lente, très clairement. Mais la folie furieuse s’empare de sa camarade qui enclenche la marche arrière, Birdie regardant par derrière parce que « putain, y a du monde, meuf, tu te fous de ma gueule ? » Contrairement à ce qu’elle peut penser, elle n’est pas suicidaire, bien au contraire. L’arrière est aussi bloqué que le devant et, putain de merde, elle a déjà assez eu d’accidents de voiture pour le restant de ses jours. Visiblement sa réaction ne convient pas, son manque de décision est vite rétabli par Anastasia qui lui hurle dans les oreilles tout en lui appuyant la cuisse. « BIRDIE PUTAIN ! On se barre de là, je t’ai dit qu’il nous tuerait ! » « Tu m’as dit qu’il te tuerait toi, que j’aurai rien avoir dans ces conneries ! »

Mais la voilà impliquée malgré tout.
Et elle aurait maitrisé, Birdie, si Ana n’avait pas gueulé, si Ana n’avait pas forcé sa main – sa cuisse, si Ana avait repris un peu ses foutus esprits. Mais non. Birdie est prise de court, la précipitation et le manque d’habitude de conduire ce genre de voitures provoque une prise de panique générale dans ses courts–circuits. Elle remet la marche avant, elle accélère mais ses bras restent paralysés. Le volant ne tourne pas et au lieu de réussir à contourner l’autre bolide, c’est une explosion de taule contre taule qui déferle, l’avant contre l’arrière suivi d’un coup de frein puissant – et inutile à ce stade. La secousse est violente, les airbags se déclenchent et Birdie se prend le volant dans les côtes avant de repousser en arrière, sa tête cognant contre le haut du dossier. Tout ça rappelle de (très) mauvais souvenirs et ce n’est pas pour rien qu’elle se tourne vers Ana en la frappant au bras. Plusieurs fois. « T’es vraiment qu’une conne, tu pouvais pas me laisser faire au lieu de paniquer comme une imbécile ? Je te préviens, c’est tes frères, tu t’occupes d’eux et je m’en contrefous si connard te tue. Tu l’auras bien mérité. Mais hors de question d’être impliquée dans ton merdier, c’est clair ? Tout ça pour un putain de van ! » Qu’elle finit par dire tout en sortant du véhicule et claquant la porte brutalement. Birdie se tourne vers le ‘‘connard’’ de frère, « Le bureau des plaintes, c’est auprès de ta délicieuse sœur qu’il faut voir », avant de se poser contre l’arrière du véhicule et sortir une cigarette. Juste pour se détendre les nerfs. A supposer que les klaxons aussi s’arrêtent. L’intrépidité d’Ana lui a suffi. Et ses problèmes de famille aussi.

Descendra ? Descendra pas ? Faudra-t-il que Saül sorte de la voiture de son frère et tire sa petite soeur hors de sa voiture à lui par les cheveux pour qu'elle daigne l'écouter ? Auden a l'intelligence de venir barrer la route aux fuyardes quand Saül s'apprête à descendre. Le regard qu'il lance à Anastasia est de la même nature que celui qu'il lance avant d'envoyer les menaces de mort. Le sang de son sang n'en mérite pas de sérieuses - bien que celles de l'hôpital furent corsées, la dernière fois.

La course poursuite tournera court. Saül a bien fait de descendre de voiture, finalement, quand il voit que sa Tesla percute la voiture de son cadet. L'italien se plante devant la vitre côté conducteur, juste le temps d'apercevoir la conductrice en train de frapper sa petite sœur. Elle finit par sortir, l'inconnue. Anastasia est encore en voiture. Saül la dévisage, celle qui vient de planter l'avant de sa voiture. Celle qui va payer les réparations, assurément. « Le bureau des plaintes, c’est auprès de ta délicieuse sœur qu’il faut voir » « Vous étiez au volant. Vous réglerez la note des réparations de la carrosserie. » Et de tout le reste, s'il devait y en avoir d'autres. L'italien est resté planté devant l'inconnue, qui a visiblement pensé qu'il était acceptable de tutoyer les gens que l'on ne connaît pas. « Êtes-vous soûle ou simplement assez stupide pour conduire une voiture qui ne vous appartient pas ? » Aucun de ces deux arguments n'excuse la faute, dans tous les cas.

Il n'est pas vraiment nécessaire de s'attarder plus que de raison sur le cas de l'inconnue. Saül se détourne, file du côté de la porte passager. Elle est ouverte par l'italien qui, de rage, tire sa cadette hors de l'habitacle. « Folle ou stupide, pour toi je ne sais dire. Qu'est-ce qui t'as pris ? Ce n'est pas un jouet. Ta vie n'est pas un jouet. » Visiblement, elle prend un peu trop sa vie pour un amusement, la gamine. La main se Saül se serre encore sur son coude, broyant au passage toute la peau qu'il peut trouver entre sa main et l'os. « N'as-tu pas compris la dernière fois ? Est-ce la dope que tu prends qui te rend débile ? Ou alors est-ce elle qui t'a demandé de voler la voiture ? » L'index accusateur de l'homme d'affaires se pointe sur la conductrice, par dessus le toit de la voiture, sans qu'il ne décroche ses yeux glacés d'Anastasia. « Combien de fois faudra-t-il que tu te retrouves impliquée dans des accidents pour arrêter d'en être l'actrice ? Réponds moi, petite idiote. » Frère de l'année.

D’un côté, la poupée blonde n’arrange pas son cas en conduisant la voiture comme un pied ou en frappant leur soeur. De l’autre, la tornade brune ne fait pas de biens meilleurs choix. Au centre, notre aîné n’est qu’une boule de nerfs qui ne demande qu’à exploser et moi, je me demande bien pourquoi je suis revenue du Japon pour assister à un énième drame familial dont je me moque éhontément. Mon sang ne fait qu’un tour lorsque l’inconnue s’acharne sur Anastasia pourtant : c’est un privilège qui devrait être réservé à nous, sa famille proche. Personne d’autre n’a le droit de faire du mal aux frères et soeurs de la famille puisqu’on se débrouille très bien sans l’aide de personne. La famille est quelque chose de sacrée et quoi qu’on en dise, on tente de la préserver selon notre propre méthode. Approuvée ou non, c’est tout ce qu’on a.

J’ai envie de lui dire qu’elle est bien stupide de fumer sur les lieux d’un accident mais après tout elle n’est pas à ça près et de toute façon mon frère s’occupe bien rapidement de son cas. Toujours assis au volant de ma propre voiture, désormais cabossée, je roule des yeux sans discontinuer, agacé par tout ce remue ménage. Encore une fois, Saül ne peut pas s’empêcher de vouloir faire la morale à tout le monde et il y a fort à parier qu’aucune des deux enfants ne saura écouter. Moi même j’avoue ne plus vraiment écouter ses remontrances au fil des années et autres décennies. Ce qu’elles doivent en retenir, c’est qu’elles sont stupides et que leur idée de virée nocturne l’est tout autant. Tout ce qu’elles auraient pu foirer, elles l’ont fait. Voilà qui comporte bien moins de mots que les paroles acerbes de l’italien moralisateur. Je ne donne pas cher de la peau d'Anastasia et le fait qu’elle soit sans doute sa préférée n’y changera rien, pas cette fois. “Ana, tu montes avec Saül ou avec moi. Choisis. On s’en va.” La circulation est bloqué et les esprits s’échauffent, autant en profiter pour choisir un meilleur endroit pour une telle discussion familiale. Je pars aussi du principe que Saül retournera au volant de sa propre voiture et qu’il la poussera s’il le faut. Après tout, elle n’a eu qu’un simple choc, elle devrait encore pouvoir rouler quelques kilomètres. Pour ce qu’il en est de l’inconnue, son sort n’est d’aucun intérêt pour nous puisqu’elle n’est pas de notre sang. “La fête est finie pour ce soir.” Et sans doute pour un certain temps.