Six mois. C’est le temps qu’il s’est écoulé depuis que le monde a officiellement été qualifié de terminé, renversé. Les humains ne sont plus au sommet de la pyramide depuis bien longtemps et on est désormais obligés de se terrer pour avoir une chance de survivre. Une chance, d’ailleurs, c’est assez ironique quand on sait la vie que chacun mène au jour le jour sans jamais pouvoir s’en défaire. Cela n’a rien de chance, pas alors que rien ne semble vouloir pousser et que les zombies se font toujours un peu plus nombreux sur cette immense île pour laquelle on m’a toujours appris que la population n’était pas bien grande. Conneries. Ça se voit qu’ils n’avaient pas prévu que chaque individu devienne un zombie et cherche à vous manger le cerveau ou le mollet - parce qu’au moins ils ne sont pas compliqués, par contre ils n’ont pas tellement d’air de ressemblance avec Nicholas Hoult.

Mais six mois après, on a forgé des habitudes et des rituels. Beaucoup ont cessé de croire en Dieu pour se tourner vers une nouvelle entité et ils essayent toutes les méthodes du monde pour tenter d’améliorer un peu leur quotidien. Sous couvert que c’est nouveau, ils ne se font pas prier pour l’essayer et ce peu importe les conséquences. Depuis quelques semaines déjà, la priorité a été donnée aux sacrifices en tout genre, humains comme animaux, pour palier au manque d’eau dans la région et espérer que les récoltes ne subissent aucun dommage.

D’abord, les animaux. Chaque famille amène ce qu’elle peut sur l’autel sacrificiel et un homme un peu bizarre se charge ensuite de proférer des paroles qui le sont tout autant alors que chacun rêve sûrement de manger la viande qu’il a apporté. En attendant ce long et ennuyant processus, je viens me poser sur notre banc habituel en attendant que Dylane ait terminé d’attendre dans la queue et posé ses victuailles sur l’autel avant de venir se poser près de moi. Ensuite, on parlera de la pluie et du beau temps comme si de rien n’était. Ça aussi, c’est rapidement devenu une habitude.

«  C'est la fin du monde «  Criait cet homme âgé et sénile en portant une pancarte autour de lui. Ce jour-là, la brune avait ri. Si elle avait su ... Il avait raison. Comme quoi il faut toujours croire ses aînés. Enfin la plupart car certains sont réellement gaga. Non pas Lady gaga, d'ailleurs, elle a été une des premières à se faire mordre. C'est dommage, Dylane l'aimait bien, sa musique, sa personnalité. Bref, une grande perte. Plus les jours avancent et plus le nombre d'humains diminuent ... Est ce que c'est pareil sur les autres continents ? Sûrement. Quand les télévisions et radios diffusaient encore, on pouvait voir que le monde entier subissait ce même chaos. Depuis, c'est la course pour survivre. Autant niveau bouffe que autres.

Avec Auden, ils ont pu rejoindre un petit groupe. Seule chose qu'ils demandent est une offrande par semaine. Prier les Dieux paiens. Voilà vers quoi ils s'étaient tournés. Pourquoi pas après tout ? Bien qu'à certains moments, cela fasse plus secte qu'autre chose. Des fois la brune se demande si le chef ou gourou soyons franc ne demande pas tout ça pour se faire une réserve personnelle. Tout le monde est amaigri sauf lui. Il aurait même grossi pour certains. Mais personne n'ose le défier. C'est aujourd'hui le jour des offrandes. Dylane est dans la file. Toutes sortes d'animaux sont présents bien qu'un homme est venu avec ... son fils. Est ce que c'est le père qui va offrir le fils ou le contraire ? Elle veut même pas savoir. De son côté, elle s'est contenté d'amener un coq. Sûrement pas la poule qui offre des beaux oeufs tout les matins et qu'il cache bien aux autres. Le coq déposé, elle se retourne pour ne pas voir la scène du massacre et vient se poser sur le banc où l'attend Auden. «  Et voilà une bonne chose de faite enfin si on peut dire ça comme ça » Elle hausse les épaules. «  Tu crois toi en leur truc des offrandes ? Car depuis le temps qu'on attend de la pluie et tout les animaux y étant passé, je commence à désespérer » Non, tout ceci n'était sûrement que foutaises mais cela donne un espoir à ces gens qui n'ont plus rien à perdre. Qui veulent juste survivre et ça peu importe le moyen employé. Bien que certains restent à revoir. S'entre tuer pour des conneries est devenu presque légal à l'heure actuelle. Le monde a bien changé et ce n'est que le début.

Je les observe avancer dans la file et juge chacun d’eux comme si j’en avais réellement le droit. Je juge les ressources de chacun, je juge leur générosité, je juge comment ils sont habillés et comment ils se tiennent, je jugent si oui ou non ils font le signe de croix et si oui ou non ils le font dans le bon sens, les instructions d’une vie plus tôt revenant en moi comme si elles ne m’avaient finalement jamais quittées.

Le tour de Dylane arrive et la seconde suivante elle se place à mes côtés telle une rpésence rassurante dans un monde qui n’a plus rien de rassurant, justement. « Et voilà une bonne chose de faite enfin si on peut dire ça comme ça. » Elle hausse les épaules, je hausse les miennes. « Tu crois toi en leur truc des offrandes ? Car depuis le temps qu'on attend de la pluie et tout les animaux y étant passé, je commence à désespérer. » Je souris à peine, me remémorant les souvenirs du cathéchisme et l’historie de leur arche de Noé à la con, l’histoire qu’on connait tous si ce n’est la fin. Personne n’ose dire que si les animaux ont été sauvés, ce n’est finalement que pour les sacrifier une fois sortis du bateau, à peine avaient-ils de nouveau pu fouler l’herbe verte de la plaine. J’imagine que si on fait des sacrifices c’est pour gagner un peu de temps. Des légumes du jardin, des animaux de la ferme, des enfants des femmes et ensuite ce sera nous. Quand il ne restera plus rien, quand tout le monde aura perdu espoir, ce sera au voisin le plus fort qui saura résister aux assauts de l’autre qui aura le droit d’emmener son corps jusqu’à l’autel pour le sacrifier. “J’y crois pas du tout. Ils gagnent juste du temps parce qu’ils savent pas quoi faire d’autre. Les gens gardent espoir parce qu’ils ont peur. Regarde, ils tremblent tous.” Mères et enfants, pères aussi. Il n’y a plus de distinction désormais, on est tous semblables. “Je pense que c’est la fin du monde et que personne n’y peut rien, tu crois pas ?” Ce n’est qu’une question de temps, comme la cérémonie qui s’apprête à débuter.

A chaque fois que Dylane doit se rendre dans cette file et offrir quelque chose en offrande, elle ne se sent pas à l'aise. Toujours cette peur au ventre que ce gourou dise que cela n'est pas suffisant. Tout le monde a peur à vrai dire. Mais la peur fait partie intégrante de leur monde actuel. Si seulement ces cons de laborantins n'avaient pas jouer avec le feu et avaient soigné le Covid 19 mais non il a fallu qu'il se transforme encore et encore jusqu'à en arriver là. Le monde humain est perdu quoiqu'ils fassent. Sa poule déposée dans le wagonnet, elle s'en va rejoindre Auden.

De suite à ses côtés, elle soupire se demandant si toute cette mascarade sert à quelque chose. Prier les Dieux paiens ne semblent pas mieux fonctionner que tout ce qu'ils ont essayé par avant.  “J’y crois pas du tout. Ils gagnent juste du temps parce qu’ils savent pas quoi faire d’autre. Les gens gardent espoir parce qu’ils ont peur. Regarde, ils tremblent tous.”  Son regard se porte sur sur les autres survivants et elle hausses les épaules. «  Tu n'as pas peur toi ? » Demande-t-elle alors que de son côté, elle doit admettre que si même si elle ne croit pas plus aux parole de cet homme que le brun. “Je pense que c’est la fin du monde et que personne n’y peut rien, tu crois pas ?” Elle soupire. « La fin du monde peut-être pas mais la fin de l'espèce humaine je pense qu'elle est bien présente oui » Tout le monde a rejoint les bancs et le gourou commence ses sacrifices tout en prononçant des paroles en une langue étrangère. Ce n'est pas du latin ou du grec en tout cas. Elle le regarde et secoue la tête. «  Tu sais je pense que tout les animaux, il les garde pour lui se nourrir. T'as vu comme il prend du poids alors qu'on en perd tous »

«  Tu n'as pas peur toi ? » De l’autel où les offrandes commencent peu à peu à s’amasser, mon regard se pose à son tour sur elle et ses grands yeux en amande. J’ajoute un sourire, certain de ce que je m’apprête à avancer sans n’y réfléchir une seule seconde de mon précieux temps. “Pourquoi j’aurais peur ?” Et puis, rayant mon sourire de mon visage et devenant soudainement plus sérieux, je me permets d’avance de nouveaux arguments : “Non, je n’ai pas peur.” A vrai dire j’aurais bien plus peur de vivre longtemps encore plutôt que de mourir demain. La vie qu’on a ici n’en a que le nom, la mort semble bien paisible en comparaison et même l’enfer avec.

« La fin du monde peut-être pas mais la fin de l'espèce humaine je pense qu'elle est bien présente oui. » J’acquiesce sans trop m’en préoccuper. Si fin du monde il y avait, on serait de toute façon morts aussi. L’un ou l’autre, le résultat reste le même pour nous. C’est juste fun de faire des prédictions foireuses parce qu’on est pas dans un films de Nicolas Cage. «  Tu sais je pense que tout les animaux, il les garde pour lui se nourrir. T'as vu comme il prend du poids alors qu'on en perd tous. » L’idée n’a rien d’incongrue mais elle me laisse quand même avec un rire amer qui contrebalance avec l’ambiance morbide de la salle. “Tu veux te la jouer Brigitte Bardot et tous les sauver ? Il s'adapte pour survivre quelques jours de plus là où, de toute façon, s’il ne meurt pas de faim alors ça sera d’une maladie ou d’une autre. “Je te propose qu’on s’enfuie. Ce soir. On prend des animaux pour survivre quelques jours et on se casse d’ici.” On a rien à craindre et tout à gagner. Ils sont tous en train de devenir fous.

La peur quelque chose de relatif en soi et surtout assez personnel. Certains ont peur de tout et d'autres de presque rien. Dans ce monde, c'est devenu monnaie courante. Dylane a peur, elle ose le dire mais peut-être pas au point de se faire avoir par ce gourou. Certes, elle joue le jeu mais plus car elle a pas envie de se faire sacrifier qu'autre chose. Auden lui, égal à lui-même n'éprouve pas ce sentiment. “Pourquoi j’aurais peur ?” Il y a plein de raisons qu'elle pourrait lui citer là de suite mais elle s'abstient et ne fait que hausser les épaules avec nonchalance. “Non, je n’ai pas peur.”  Elle l'envie en quelques sortes. Elle aimerait pouvoir s'en foutre. Mais non, malgré ce monde qui est devenu un néant, elle a toujours cette envie de vivre.

Elle émets l'idée que le mec se garde les animaux en tant que réserve personnelle. “Tu veux te la jouer Brigitte Bardot et tous les sauver ?  Elle pouffe de rire. «  Pas du tout, moi aussi je voudrais les bouffer » C'est pas du luxe d'avoir de la viande à sa table donc non la détresse animale n'est plus son objectif. Elle l'aurait été avant tout ça ... Mais le passé faut pas y penser, ça sert à rien de se morfondre sur ce qu'était la vie et les choses qu'on a plus. Non, là, le but est de survivre. “Je te propose qu’on s’enfuie. Ce soir. On prend des animaux pour survivre quelques jours et on se casse d’ici.” L'idée est bonne en soii mais faut pas qu'ils se fassent avoir non plus. « Je suis totalement pour « Le gourou termine enfin son cirque et ils peuvent se barrer de là. C'était pas trop tôt.

La journée passe et voilà l'heure de s'enfuir. Seulement les animaux font du bruit et sont pas des plus discrets ce qui fait soupirer la brune. «  Chuut » Souffle-t-elle comme s'ils allaient l'écouter. Elle se passe une main sur son visage. C'était peut-être pas une si bonne idée en fait. Mais rester ici et finir un jour égorgée sur l'autel non merci.

Je suis rassurée de savoir qu’elle ne souhaite pas se la jouer Brigitte Bardot et ça vous n’avez pas idée à quel point. « Pas du tout, moi aussi je voudrais les bouffer » J’aurais dû m’en douter pusiqu’après tout en contexte de fin du monde, les gens ont quand même pas mal tendance à oublier leurs idéaux et toutes leurs conneries dont ils se vantaient pourtant avant. Désormais c’est surtout chacun pour moi et tant pis s’il y a des dommages collatéraux, vous voyez. Les animaux sont bons à être mangés ou à nous tuer ; et bizarrement on préfère quand même quand ça oscille vers la première proposition, à part si on est con.

Je ne lâche pas notre leader spirituel des yeux après avoir prononcé mon idée de fuite, bien décidé à rester discret même si cela semble un but bien difficile à atteindre. « Je suis totalement pour « Intérieurement, je souris. Extérieurement aussi, en fait, puisqu’on va enfin pouvoir aspirer à découvrir le reste du monde et vivre par nos propres moyens sans avoir à toujours se référer à une seule et même personne sortie de nulle part un beau matin.

Finalement on en vient à tenter de faire taire les animaux sans que ce soit un véritable succès, entre les chèvres, les chiens et les poules cela ressemble bien plus à une ferme miniature qu’à quoi que ce soit d’autre et on sait tous que la ferme n’est pas le meilleur endroit pour méditer. Ils sont tous agités et moi, je perds patience. “On a qu’à les tuer comme ça au moins ils ne nous feront pas repérer.” Je lance à la volée en plein combat de regard contre le coq des lieux - littéralement, je veux dire. “Sinon on leur ouvre à tous et on en prend quelques uns chacun, ça va créer la panique et personne ne nous verra partir. Tu préfères quoi ?