Les jours écoulés pouvaient se compter sur les doigts d’une main et d’une seule. Même, cette dernière comportait trop de doigts pour être totalement juste. Trois jours, c’était tout, c’était si peu. Trois jours qu elle temps semblait s’écouler de façon différente, que la vie avait une saveur différente. Trois jours que Ezra errait et venait entre le garage et chez lui, le coeur vide d’émotions et de sentiments. Trois jours que son existence ne semblait plus à ce point la valoir la peine d’être vécue. Et pourtant, trois jours qu’il s’efforçait de la faire courir toujours comme avant. Le travail aidait énormément, les collègues aussi. L’ambiance à laquelle il pouvait se raccrocher, les heures supplémentaires qui défilent déjà toute concurrence. Le patron qui portait un regard bienveillant et sans limite sur son petit poulain. Et pourtant, tout ça, même avec ses meilleurs efforts, ce n’était pas suffisant.

Ginny lui avait brisé le coeur. Ginny lui manquait déjà. Ces deux émotions, ressentis, venaient se contredire en son sein alors que son coeur encaissait le tout comme il pouvait, le pauvre. D’un côté, il maudissait la vie de lui en vouloir autant et de l’amour fait tomber éperdument amoureux d’une personne qui, in fine, ne voulait pas de lui - car les mots de la demoiselle avaient été on ne peut plus claire. Mais de l’autre côté, il comprenait. Etrangement, certes, mais il pouvait comprendre. La pression de la famille était bien trop présente et elle ne désirait plus se retrouver au milieu. Préférait faire cavalier seule. Et cette raison là, il pouvait envisager de réussir à l’accepter. Même si ce n’était pas ce qu’elle lui avait dit, une partie de lui tentait de se convaincre que la solution pouvait exister.

Jusqu’à temps que ses prunelles ne viennent accrocher celles de Jillian.

Ce n’était pas prévu au programme, ça. Qu’il ne tombe sur celle qui aurait pu être sa belle-soeur pour les années à venir. Ce n’était pas dans la carte des astres qu’elle soit celle qui descende de la voiture venue pour être réparée au garage aujourd’hui. Tout, sauf ça. Car son coeur ne cessait de se serrer davantage, et de se serrer toujours plus, alors qu’elle venait claquer la portière du véhicule. Et s’il n’avait pas les bras chargés d’un moteur vraiment lourd et que la vie de l’un de ses collègue, la tête sous le capot, ne dépendait pas de la force de ses bras, il serait parti en courant surement.

Spoiler:

Elle déteste tout le monde. Elle déteste ses parents, sa soeur, Ezra, son frère, et toutes les personnes qui sont en lien de près ou de loin avec cette décision de partir à Londres. C’est quoi cette idée pourrie ? Pourquoi Londres ? Pourquoi aussi loin ? Ils ont une idée derrière la tête les parents McGrath, c’est certain. Mais Jill ne cherche pas à savoir quoi, elle est bien trop furieuse pour ça.

Elle a eu un accident de voiture il y a quelques jours, et sa voiture est abîmée. Jill se retrouve avec un poignet entouré d’une attelle et deux points de suture sur l’arcade sourcilière. Elle ne souffre pas, et elle continue de conduire alors qu’elle est bourrée, largement au dessus des limitations de vitesse. Si elle se blesse assez elle pourra sûrement rester à Brisbane. C’est certainement ça qu’elle cherche depuis quelques jours au lieu de préparer ses affaires. Elle ne peut pas les laisser partir seul, et elle n’a pas vraiment le choix. Elle va partir, elle le sait. Et les McGrath n’ont que quelques jours pour se préparer au départ. Se préparer à une nouvelle vie loin de chez eux.

Elle a décidé d’emmener sa voiture à réparer même si elle n’a pas le droit de conduire. Il fallait qu’elle sorte de cette maison remplie de tarés. Matt est déjà presque prêt à partir, Ginny semble être à moitié morte et les parents sont juste en train de choisir dans quelle maison ils vont aller vivre en Angleterre. Elle a préféré sortir et souffrir. Elle va au garage où travaille Ezra, toujours au même endroit. Elle ne réfléchit pas au fait qu’il est sûrement dans les parages et que cette rencontre risque d’être houleuse. Elle sort de sa voiture et croise le regard du jeune homme qui semble vouloir s’enfuir. Elle le déteste à ce moment là, la seule chose qu’elle a envie de faire c’est d’hurler qu’elle avait raison et qu’ils auraient dû l’écouter. “C’est con avec ça entre les mains tu peux pas t’échapper.”

Tout, vraiment. Il était prêt à accepter tout et n’importe quoi, présentement, Ezra. Si son patron venait lui demander de faire des heures supplémentaires pendant les quinze prochains jours, il dirait oui. Si son collègue voulait lui voler son déjeuner et se moquer de lui par la suite, il viendrait en rire avec lui. Il pouvait prendre toutes les demandes les plus embêtantes et farfelues des clients aujourd’hui, même ça il dirait oui sans ciller. Tout - mais surtout pas ça. Il était désormais loin le temps où un sourire venait se glisser aux commissures de ses lèvres lorsque la grande soeur McGrath venait mettre un pied au garage - il était loin le temps où la moindre évocation de ce nom de famille lui faisait du bien. Et pourtant, seulement quelques jours s’étaient écoulés depuis ce qu’il renommait l’incident. Ses pensées et son coeur en berne depuis cet instant là.

Cependant, il était bloqué là, Ezra, tenant un moteur dans ses mains, geste qui permettait de garder son collègue en vie. Le moindre faux mouvement, la moindre faiblesse, et la suite de la journée pouvait tourner vinaigre. « C’est con avec ça entre les mains tu peux pas t’échapper. » D’instinct, il vint grogner un brin. Le pire dans tout ça, c’était qu’elle avait raison et qu’elle avait fait un point si facilement sur la situation - car si son corps y était autorisé, Ezra serait déjà parti en courant. Les pas de la jeune femme finirent par lui permettre de rejoindre le Beauregard, assez proche en tous cas pour que son parfum puisse embaumer ses narines et lui faire revenir une vague de souvenirs par la même occasion. « Qu’est-ce que tu fous là, Jill. » Pour une amabilité et des formules de politesse, apparement, il faudra repasser. En même temps, dans sa version, il n’y avait aucune raison pour qu’elle en bénéficie, Jill. Parce-que dans sa version, elle représentait tout ce qu’il ne pourrait désormais plus avoir - et son coeur n’était pas prêt à encaisser cette nouvelle, loin de là. « Si c’est pour venir rire de moi, c’est pas la peine, tu peux repartir. » Oh, il la connaissait bien, la demoiselle. Et il savait ce dont elle était capable. Il n’osait pas demander, cependant, si elle était là pour elle mais ses dernières paroles venaient clairement combler à la place de cette question.

Spoiler:

Elle va partir. Tous les McGrath vont partir et Jill déteste cette idée. Elle voudrait rester à Brisbane, c’est sa ville après tout. C’est là qu’elle a grandi, là qu’il y a absolument toute sa vie. Et il a fallu que sa voiture tombe en panne aujourd’hui, comme si tout n’était pas déjà trop dur à supporter. Elle s’arrête au garage le plus proche, et il se trouve que c’est exactement celui dans lequel Ezra travaille. Elle n’y a pas réfléchi sur le moment, elle ne pensait même pas au jeune homme jusqu’à ce qu’elle tourne la tête et qu’elle croise son regard. Il ne peut pas s’enfuir, il porte un truc énorme et semble tenir la vie de son collègue entre ses mains. Jill fronce les sourcils, elle ne veut pas s’éloigner, parce qu’elle aurait bien besoin de lui hurler dessus. Tout est de sa faute, et de celle de Ginny. S’ils l’avaient écouté ils n’en seraient pas là. Elle les déteste autant l’un que l’autre, mais elle n’est pas hostile pour le moment.

“J’ai une voiture à faire réparer.” Non elle n’était pas là pour le voir, elle ne voulait plus vraiment le voir lui depuis qu’elle sait qu’elle s’en va. Il est comme son meilleur ami, et elle ne peut pas s’empêcher de prendre tout ça comme une trahison. “Rire de toi ?” Comme si elle avait envie de rire ces derniers jours. “T’assomer avec une clef de douze, te rouler dessus avec ma voiture, porter ce truc pour te le faire tomber sur le visage, ça oui pourquoi pas, mais rire, certainement pas.” C’est à ce moment là où la pression commence à monter, elle n’a pas de pitié Jill, elle n’est pas là pour le consoler, il avait qu’à faire plus attention. Elle soupire, un soupir aussi triste qu’énervé. “T’as l’air d’aller bien.” Et c’est qu’elle joue l’ironique en plus de tout ça.

« J’ai une voiture à faire réparer. » Comme si le hasard faisait aussi bien les choses, comme s’il était le seul acteur de cette scène dont il s’écharperait bien à la moindre occasion qui lui serait donnée. Son cœur était pris dans des désarticulés, ses jambes se faisaient flageolantes. Il avait l’impression que l’air qu’il respirait devenait de plus en plus aride et sec - et ironiquement, pourtant, il aurait préféré se retrouver en plein désert présentement si ça lui permettait d’échapper à Jillian.

« Rire de toi ? » Elle s’était à peine exprimée qu’il entendait déjà le ton accusateur et le jugement dans ce dernier. Elle avait à peine explicité son avis sur la situation que déjà, il ne se sentait plus à sa place. Parce-qu’il connaissait la jeune femme mais surtout, il connaissait son point de vue sur les derniers mois écoulés - elle avait été on ne peut plus claire avec eux à ce sujet; ils avaient préféré ignorer des dires pour profiter de leur bonheur et in fine, c’était lui qui se prenait le revers de la médaille dans les dents là où il avait toujours fait en sorte que tout soit pour le mieux en tout temps. « T’assomer avec une clef de douze, te rouler dessus avec ma voiture, porter ce truc pour te le faire tomber sur le visage, ça oui pourquoi pas, mais rire, certainement pas. »

Ce fut à ce moment là que le collègue - dont Ezra avait la vie entre ses mains et en dessous du moteur - vint sortir de sa cachette, regarder Ezra avec des gros yeux, toussant légèrement pour exprimer le malaise qu’il ressentait présentement. « Je vous laisse hein. » Et le regarde implorant de Ezra n’y changea rien quand à sa décision. Il pouvait donc enfin poser le moteur mais ce signal signifiait aussi qu’il pouvait s’échapper d’entre les griffes de Jill s’il le souhaitait. Ses jambes semblaient ne plus correctement fonctionner cependant car il ne put bouger une fois le moteur remis en place sous le capot. « T’as l’air d’aller bien. » Il vint serrer les mâchoires, détourner son regard, rassembler des pensées en des choses plus joyeuses. « Dans le jeu des apparences t’es la meilleure alors tu dois savoir que c’est pas vrai. » Si elle voulait tirer à balles réelles, il pourrait le faire aussi. Si c’était le jeu qu’elle désirait jouer entre eux à partir de maintenant, il aurait du répondant.

Mais pas si longtemps car déjà, ses jambes comprenanient que la situation était à deux doigts de dévier et se remirent à vouloir fonctionner. Ezra vint alors faire le tour de la voiture pour récupérer chiffons, outils et tout ce qui s’en suivait pour finalement prendre de la distance entre la ex-future scène de crime et la demoiselle qui s’était pointée sous ses yeux surtout. « Rentre chez toi, Jill, s’il te plaît. » Il n’avait fait aucun commentaire sur ses envies de meurtre envers sa personne, Ezra, car il pouvait comprendre qu’elle soit en colère. Il n’arrivait juste pas à mettre des mots à haute voix sur la situation - et encore moins face à la sœur McGrath.

Spoiler:

Elle est de mauvaise humeur la McGrath, et elle est complètement perdue. Elle se retrouve à emmener faire réparer sa voiture comme si de rien n’était, comme si elle n’allait pas disparaître de cette ville dans les jours à venir pour suivre sa famille à l’autre bout du monde. Elle déteste chacun des membres de sa famille, tous ceux qui l’ont obligé à changer sa vie. Elle déteste Ezra aussi, parce qu’ils n’en seraient pas là si Ginny et Ezra l’avait écouté. Elle avait raison, c’était voué à l’échec et à la destruction, mais ils n’en ont fait qu’à leurs têtes. Elle serre les dents quand elle croise le regard du jeune homme, en train de porter un moteur à bout de bras.

Elle parle, elle le menace plus ou moins, mais il sait qu’elle ne pourra rien faire tant qu’ils seront tous les deux au milieu de ce garage rempli de monde. Il y a bien trop de témoins pour qu’elle puisse l’assassiner de sang froid en utilisant tous les outils qu’elle peut avoir à sa disposition. Elle ne crie pas, elle garde son calme et c’est certainement le plus terrifiant dans toute cette histoire. Le collègue d’Ezra s’en va lorsque Jill lui envoie un regard noir et ils se retrouvent tous les deux, presque seuls si on oublie d’autres collègues et clients qui sont un peu plus éloignés du duo. « Dans le jeu des apparences t’es la meilleure alors tu dois savoir que c’est pas vrai. » “Je suis bien meilleure actrice que toi. C’est indéniable, elle a l’air d’aller bien quand Ezra a l’air d’être à moitié mort et de ne pas avoir dormi pendant des jours. Jill est dans le même état intérieurement, mais les McGrath ont toujours été bon dans le port de masques qui cachent leurs émotions les plus fortes et les plus profondes.  « Rentre chez toi, Jill, s’il te plaît. » Jill vrille, elle suit Ezra et ne compte pas vraiment le laisser seul. Elle a besoin de s’en prendre à quelqu’un pendant quelques minutes, et c’est tombé sur lui. “Ouais chez moi, l’endroit où j’ai grandi, qui sera bientôt plus chez moi à cause de toi et de tes putains de conneries !”

« Je suis bien meilleure actrice que toi. C’est indéniable. » La précision n’était pas nécessaire, il venait justement de lui faire comprendre qu’il la avait meilleure que lui à ce jeu. Ezra pouvait prétendre de temps à autres que ça allait, quand la situation l’arrangeait dans ce sens. Il pouvait prétendre bien des choses aussi lorsque cela pouvait l’aider à avoir la main sur un contexte, dans une conversation. En revanche, il ne saurait agir de la sorte présentement. Ses émotions étaient bien trop chamboulées, son coeur était bien trop meurtri. Jillian le savait parfaitement et pour autant, elle continuait de venir enfoncer le couteau dans la plaie.

Alors, Ezra préféra venir prendre ses affaires et demander à la demoiselle de partir. Il ne voulait pas avoir ce type de discussion aujourd’hui, alors que tout ce qu’il avait de plus cher au monde lui avait été retiré. Il ne voulait pas avoir ce type de discussion et surtout pas avec elle alors qu’elle faisait remonter à la surface bien trop de souvenirs. Il ne doutait pas qu’elle en jouait, elle était forte pour jouer la gamine. « Ouais chez moi, l’endroit où j’ai grandi, qui sera bientôt plus chez moi à cause de toi et de tes putains de conneries ! » Les mots de Jill lui firent mal, vraiment mal. Pas la peine de jouer la comédie ou autre idiotie présentement, ils lui faisaient vraiment mal. Parce-qu’il s’en voulait plus que tout, Ezra, que la situation en vienne à être catastrophique à ce point là. Ils l’avaient vu venir mais avaient préféré ignorer les risques - Jill avait été l’une des personnes à prévenir que cette situation pouvait arriver.

Le Beauregard vint détourner le regard, s’occuper les mains avec les quelques clefs qu’il tenait, tenta de réfréner cette nouvelle vague d’émotions qui menaçait de le submerger. Ses jambes n’étaient que coton, il ne savait pas vraiment s’il réussirait à aller au bout de cette discussion et à tenir debout par la même occasion. « Je suis désolé, Jill. » Parce-qu’il l’était vraiment, dans toute cette histoire. Il était désolé de voir que les événements tournaient de la sorte là où tout aurait pu être rose, tout aurait pu être beau. « Mais c’est pas à moi que tu devrais en vouloir comme ça. » Parce-que dans cette histoire, il n’était pas l’élément déclencheur des mauvaises décisions - pas des plus récentes en date tout du moins. Certes, l’enfant que portait Ginny était de lui - son coeur manqua de nouveau un battement à y repenser -, mais ce n’était pas lui des deux qui avait décidé de s’exiler à l’annonce de cette nouvelle. « Elle a fait son choix, je suis pas responsable des conséquences après. »

Spoiler:

Ils sont tous les deux dans un état pitoyable. Ezra est malheureux comme les pierres et Jill n’a jamais été aussi en colère de toute son existence. Elle en veut au monde entier, et Ezra faisait encore partie de son monde et des personnes importantes de sa vie il y a quelques semaines. Elle l’avait prévu des centaines de fois, et il n’a jamais écouté. Il aurait dû, il aurait dû se taper l’autre McGrath et tout aurait été bien plus simple. Parce que Jill n’aurait jamais été assez conne pour tomber enceinte.

Ezra essaie de s’échapper et c’était terriblement prévisible. Mais Jill ne compte pas le laisser s’enfuir aussi facilement. Il mérite qu’elle lui cri dessus, qu’elle lui fasse comprendre qu’ils vont tous se perdre par ses erreurs de gamins et à cause de son con de meilleur ami qui a eu la merveilleuse idée d’appuyer l’idée de partir face à leurs parents. Elle déteste Matt, et elle se demande même si elle arrivera à lui pardonner ses actes un jour. Il les a trahi, il les a tous trahi et lui aussi il mériterait qu’on lui hurle dessus à plein poumon. Mais dommage pour Ezra, parce que ce n’est pas Matt qui se trouve sous les yeux de Jill à ce moment là. « Je suis désolé, Jill. » “Encore heureux.” Elle répond du tac au tac, il doit savoir que c’est de sa faute s’ils doivent partir, que les parents McGrath n’auraient jamais pris cette décision s’ils avaient été plus discret, et s’ils avaient été moins bêtes. « Mais c’est pas à moi que tu devrais en vouloir comme ça. » “Je devrais pas t’en vouloir à toi ? Alors que je t’ai prévenu des centaines de fois ? Il s’est passé exactement ce que je t’avais dit Ez ! Vous êtes tous trop cons putain.” Elle hausse un peu le ton, se fiche que qui que ce soit puisse l’entendre. Elle veut juste passer ses nerfs sur toutes les personnes qui ont décidé de la blesser. « Elle a fait son choix, je suis pas responsable des conséquences après. » “Comme si qui que ce soit avait le choix dans cette famille de merde.” Même elle, elle allait partir, parce qu’ils sont tous bien trop attachés à leur famille les McGrath.

Il était désolé, réellement. « Encore heureux. » Qu’elle vint oser lui répondre, le défi dans la voix, la rage dans le regard. Il pouvait la comprendre, Jill. Il pouvait se mettre à sa place et imaginer la situation - seulement, pour le moment, il était trop occupé à se faire rouler dessus par ses émotions plutôt qu’à imaginer comment la jeune femme pouvait se sentir, de son côté, présentement.

« Je devrais pas t’en vouloir à toi ? Alors que je t’ai prévenu des centaines de fois ? Il s’est passé exactement ce que je t’avais dit Ez ! Vous êtes tous trop cons putain. » Son ton vint s’élever de quelques étages, sa voix se faisait plus oppressante. De son côté, Ezra devenait de plus en plus mal à l’aise dans cette conversation - et il pouvait voir les regards de certains de ses collègues se tourner vers eux, alors que Jillian devenait audible depuis presque l’autre bout du garage. « Ca aurait pu… Ca aurait pas du… » Sa gorge se resserrait au fur et à mesure qu’il tentait de venir répondre aux paroles de la jeune femme. Ezra sentait l’émotion monter et si fut un temps, ça ne l’aurait pas - trop - dérangé que Jill le voit dans un état plutôt risible, il était hors de question désormais que ce soit le cas. Alors, il tentait de ravaler ses émotions, de reprendre une certaine contenance, s’appuyant contre la carrosserie de la voiture sur laquelle il travaillait avant qu’elle en débarque pour se donner un peu de courage.

Parce-qu’il avait beau lui supplier de partir, elle ne semblait réellement pas être de cet avis. « Comme si qui que ce soit avait le choix dans cette famille de merde. » Ses mâchoires à lui vinrent se serrer un brin davantage. Les mots qu’elle prononçait, et par extension la signification qu’ils venaient porter, étaient simultanément vrais et faux. Les choix étaient limités dans la famille McGrath, il le savait et avait suivi les aventures des membres de cet assemblage plutôt atypique depuis des années désormais. Mais cette condition s’appliquait surtout à Jill, les deux autres étant un brin plus libres de faire ce que bon leur semblait contrairement à elle. La preuve en était encore aujourd’hui: Jillian se devait de suivre sa famille à l’autre bout du monde, alors que c’était Ginny qui avait choisi d’échapper à la vie quotidienne en Australie. L’une avait décidé et l’autre subissait.

« Donc on est d’accord que c’est pas à moi que tu dois en vouloir. » Se sauver de cette situation à tout prix. Réussir à fuir avant de s’écrouler sous ses yeux - la seule mission d’Ezra présentement. Soufflant aussi calmement que possible, il vint faire quelques pas à reculons, s’échappant à l’emprise de la jeune femme. « Va demander à mes collègues pour ta caisse, Jill. Ils t’aideront. » Parce-qu’il était hors de question qu’il ne prenne un instant de plus pour venir servir un McGrath. Il avait donné, Ezra, dans ce domaine, et à voir l’état dans lequel il se trouvait aujourd’hui, il n’avait pas envie de jouer bien plus longtemps à ce petit jeu.

Spoiler:

Jill déverse sa rage, elle déteste le voir comme ça mais elle n’est pas en capacité de le consoler alors qu’elle-même ne sait pas comment surmonter cette épreuve. Elle a juste envie de hurler sur le monde entier, et vous pouvez être sûr qu’elle hurlera sur celui ou celle qui sera en charge de réparer sa voiture dans les prochaines minutes. « Ca aurait pu… Ca aurait pas du… » Elle grogne, il n’a aucun argument, aucune excuse et elle espérait au moins qu’il ait pu réfléchir à des centaines de manières différentes de s’excuser auprès d’elle. Elle doit se répéter des dizaines de fois dans sa tête qu’elle le déteste et qu’elle aimerait lui rouler dessus avec sa voiture. Mais, pour le moment, elle continue de serrer les dents, hausser le ton sans se préoccuper du fait qu’ils sont entourés. C’est certainement la dernière fois qu’elle vient dans ce garage, elle peut donc faire ce qu’elle veut ça n’aura aucune conséquence. “Ca aurait… ca aurait… t’aurais seulement dû m’écouter et arrêter de jouer au plus con.” Jill avait eu une aventure avec un ami de Matt elle aussi, mais elle avait réussi à être discrète, elle est sûre que même Ezra ne se doute de rien. C’est finalement elle la plus intelligente de toute la fratrie, qui l’aurait cru ?

Leur famille est trop importante pour eux, ils n’ont pas d’autre choix que de faire ce que les parents veulent. Ils ont trop de pouvoir les parents McGrath, trop de connaissances pour qu’ils puissent s’échapper et changer de vie. Quoi qu’ils puissent faire, ils finiraient par les retrouver et les détruire encore un peu plus que ce qu’il ne le sont déjà. « Donc on est d’accord que c’est pas à moi que tu dois en vouloir. » Elle est à côté de lui, posée contre cette voiture et elle ne peut s’empêcher de lever la main pour lui donner une gifle derrière la tête. Il est con, vraiment trop con. “On t’a pas appris à mettre une capote en cours de bio peut-être ? Tu mets toutes les filles avec qui tu couches enceinte ou tu t’es juste dit que Ginny s’occuperait d’aller prendre une pilule comme une grande alors qu’elle a déjà du mal à enfiler une paire de chaussures sans se casser la gueule ou rester concentrer sur quelque chose d’important plus de dix secondes.” Elle est méchante, elle est mauvaise, elle est Jill tout simplement et elle ne regrette même pas ses paroles. Ezra fuit, il s’éloigne et elle soupire. Cherchant déjà un objet à lui jeter à la figure. « Va demander à mes collègue pour ta caisse, Jill. Ils t’aideront. » “Fuir c’est ce que tu fais de mieux à ce que je vois.” Elle a parlé fort, trop fort, assez pour que tout le monde se retourne vers eux. Elle ne réfléchit pas à cette phrase, mais on pourrait dire que c’est réellement l’hôpital qui se fout de la charité. Parce que s’il y a bien une professionnelle de la fuite, c’est Jillian McGrath.

« Ca aurait… ca aurait… t’aurais seulement dû m’écouter et arrêter de jouer au plus con. » Aucune des paroles prononcées par Jillian en vint à être plus douce que la précédente. Aucun de ses mots ne fait en sorte de venir rattraper celui d’avant. Son unique et seul but était de venir réduire à néant le peu d’éléments positifs qui composait, celui qui avait été pendant plusieurs années, son ami. Elle était furieuse, et elle ne lui cachait pas. Elle n’avait jamais été de ceux qui cachaient leur ressenti de toutes façons, Jillian. Ezra n’aurait pas pu attendre une réaction contraire à celle qu’elle lui avançait en ce jour. Même si ses paroles étaient de plus en plus méchantes, qu’elle cherchait de plus en plus à lui faire de la peine, à la briser, là où il était déjà à terre. « On t’a pas appris à mettre une capote en cours de bio peut-être ? Tu mets toutes les filles avec qui tu couches enceinte ou tu t’es juste dit que Ginny s’occuperait d’aller prendre une pilule comme une grande alors qu’elle a déjà du mal à enfiler une paire de chaussures sans se casser la gueule ou rester concentrer sur quelque chose d’important plus de dix secondes. » Les larmes menaçaient de glisser, de s’échapper, là où toute la force avait depuis longtemps fui le corps du jeune homme. Quelques pas en arrière, il tentait de se dérober à cette scène semblable à une d’horreur. Ses pas qui le menaient vers une autre pièce, un bureau caché, un endroit plus calme. Mais surtout pas auprès de la jeune femme qu’il ne reconnaissait désormais plus. « Fuir c’est ce que tu fais de mieux à ce que je vois. »

Et elle n’était pas la première McGrath à lui dire ça. Elle n’avait pas réussi à gagner la course aux insultes et à la dérision. Car son propre frère à elle avait déjà employé des mots similaires pour s’adresser à Ezra, pas plus tard que la veille. A croire qu’ils s’étaient concertés pour venir assener, comme l’aurait fait un marteau, leurs coups sur le Beauregard. A croire que leur seul et unique but, avant de venir se dérober à cette terre qui les avait vu grandir, c’était de l’y enterrer une bonne fois pour toutes. « Désolé… Vraiment désolé Jill… » Parce-qu’il ne saurait dire grand chose de plus, Ezra. Il ne saurait trouver les mots justes qui pourraient venir réassurer la demoiselle, l’apaiser alors qu’elle était clairement dans une mauvaise passe. Il ne pouvait faire grand chose de tout ça Ezra car de son côté, il ne savait comment gérer ses propres émotions. Il avait chaud, il avait froid, il avait les deux ressentis en même temps. Il lui semblait que la terre voulait se dérober sous ses pieds alors que des étoiles venaient illuminer son champ de vision. Quelques gouttes de sueur avaient réussi à perler le long de son visage, et il tenta de se dérober à la vision de Jillian avant que ce soit le cas. Ses pas réussir à le porter jusqu’aux toilettes les plus proches, où la lumière vint agresser sa rétine. Des voix en arrière lui parvenaient, comme un écho lointain, alors que le contenu de son estomac ne réussit pas à rester plus longtemps en place et vint se déverser dans le lavabo. C’était Ginny qui était tombée enceinte mais c’était lui qui en venait à avoir les nausées - d’’horreur, de tristesse, d’amertume. Et s’il espérait réellement que Jillian ne l’ait pas suivi jusque là, qu’elle ait enfin compris que son moment de spectacle était terminé et qu’elle pouvait s’en aller, présentement son plus gros soucis était de rester debout devant le lavabo.

Spoiler:

Elle parle, elle ne s’arrête pas. Elle lui reproche tous les malheurs du monde, parce qu’il faut bien que quelqu’un prenne tout le blâme aujourd’hui. Si elle se retrouve face à Matt dans la soirée c’est lui qui prendra pour les autres. Jill est en colère, et elle le fait savoir. Ezra est brisé, elle l’est aussi. Et elle tente de se réparer en le brisant un peu plus. Bien évidemment c’est la mauvaise technique, elle ne devrait pas faire ça. Elle ne le fera pas si elle avait un sens moral. Mais elle n’en a plus depuis qu’on lui a annoncé qu’elle devait partir à Londres parce que sa soeur avait préféré profiter de son idylle plutôt que de réfléchir quelques secondes.

Ezra s’éloigne, il fuit, alors qu’elle aurait aimé que lui aussi il hurle. Il ne se bat pour personne, ni pour sa soeur ni pour l’amitié qu’ils pouvaient partager. Peut-être que rien n’était réel au fond, peut-être que Jill ne devrait plus jamais s’attacher à personne puisqu’ils finissent tous par l’abandonner un jour ou l’autre. Même son grand-frère a décidé de les trahir. Elle ne peut plus faire confiance à personne et c’est terriblement triste. « Désolé… Vraiment désolé Jill… » Comme si les excuses servaient à quelque chose, comme si ça allait changer ce qui était en train de se passer. “Et alors ?” Parce qu’elle s’en fiche qu’il soit désolé, et ça l’énerve de le voir s’enfuir de la sorte. Elle reste dans le garage à faire les cents pas, mais ses yeux s’arrêtent sur la porte que Ezra a poussé quelques minutes auparavant. Elle ne peut pas le laisser comme ça, pas alors qu’il n’a absolument rien dit. Elle s’approche tel une furie et claque la porte derrière elle. Elle remarque qu’il est au dessus du lavabo mais ne fait pas vraiment attention à ce qu’il est en train de faire. “Tu dis rien ? Tu réagis même pas ? Tu t’en fouts à ce point ?” Et au fond, ça la blesse d’avoir l’impression de ne compter pour absolument personne.

Un peu de silence. Ce n’était pas grand chose, en réalité. Juste un peu de silence et un brin de paix - c’était tout ce auquel Ezra aspirait présentement. De pouvoir se retrouver seul avec lui-même et de ne plus avoir ce flot continuel de voix qui venait l’empêcher de se concentrer parfaitement sur la situation actuelle. Même si cette dernière n’était pas des plus glamours ni réjouissantes, il ne pouvait même pas prétendre la comprendre. L’instant d’avant, il tentait de se défaire de la toile qu’était en train de tisser Jillian autour de lui, à autant lui parler et à lui accaparer une attention qu’il n’avait guère envie de lui donner. L’instant qui s’en vint juste après, en revanche, il se trouvait à laisser ressortir dans le lavabo blanc le contenu de son petit déjeuner - et encore, il aurait fallu que son corps lui laisse le loisir de manger correctement ces derniers jours pour que cela arrive pleinement.

Le repos et le relâchement furent, cependant donc, de courte durée car déjà la jeune McGrath revenait au galop et réapparaissait dans le champ auditif d’Ezra. Bordel, qu’il pensait tellement haut qu’il espérait fortement qu’elle puisse l’entendre, alors que sa voisin était floue et qu’il devait se cramponner au bord du lavabo pour ne pas vaciller. « Tu dis rien ? Tu réagis même pas ? Tu t’en fouts à ce point ? » Il vint grogner, dans sa barbe quelque peu, alors qu’il avait une nouvel haut-le-coeur - mais sans dégât à signaler pour le moment.

Non, Jill, je m’en fous pas du tout mais tu me les brises à un point que ça m’en retourne l’estomac alors j’ai pas que ça à foutre de te répondre - de nouveau des mots qui ne passaient malheureusement pas la barrière de ses lèvres. La force lui manquait, le sommeil lui manquait, la rage lui manquait - elle lui manquait déjà et de voir sa soeur à ses côtés, à s’acharner sur son sort, quand il n’était en rien responsable de la situation continuait juste de l’enterrer comme il le fallait. « Vas t’en… Jill… » Les mots peinaient à sortir et sa respiration était quelque peu saccadée. Utilisant le petit miroir au dessus du lavabo, Ezra vint relever légèrement le regard pour pouvoir venir ancrer ses pupilles dans celles de la demoiselle. D’un bleu pourtant perçant d’ordinaire, celles d’Ezra avaient viré noir. « Fous moi la paix. » Il en était malade de la situation et ne supportait plus de la voir ici. Elle lui coupait les dernières forces qu’il avait en lui et il n’avait pas besoin de ça, vraiment pas besoin de ça.

Spoiler:

Elle aurait pu le laisser tranquille, ne pas courir s’acharner sur le jeune homme qui avait fuit dans les toilettes. Mais elle voit rouge la McGrath, elle ne veut pas abandonner alors qu’elle a encore envie de hurler. Elle pourrait le secouer, lui hurler dessus et lui mettre tous les malheurs du monde sur les épaules juste parce qu’il est là et qu’elle contient trop ses émotions depuis des jours. Elle pince les lèvres, tourne comme un lion en cage pendant une minute ou deux avant de se ruer sur la porte. Ce qu’il ne comprend pas Ezra, c’est qu’elle est furieuse parce qu’elle est déçue, et parce qu’il va lui manquer. Tout ce qu’il y a dans cette ville va lui manquer, et étonnement, elle a l’impression que ce sentiment n’est pas réciproque. C’était peut-être ça depuis le début, elle n’était pas aussi importante que Ginny, elle n’est jamais aussi importante que Ginny, pour personne.

Elle arrive vers lui sans le regarder, elle continue de faire les cent pas en crachant son venin. Elle ne réalise pas l’importance et la violence de ses mots, alors elle continue, comme si elle s’était retenue de parler pendant des semaines. Il ne répond pas, et elle le regarde une dernière fois. Ca ne sert à rien qu’elle reste là, qu’elle attende une quelconque réaction qui n’arrivera jamais. Elle soupire, secoue la tête et fait quelques pas en arrière. Il s’en fiche d’elle, de leur relation qui est réduite à néant et elle aurait dû s’en douter bien avant. “Je m’en vais.” Puisqu’il le demande, elle va arrêter de lui courir après. Elle attendra que sa voiture soit réparée pour partir d’ici et ne plus jamais revenir. “C’était la dernière fois qu’on se voyait.” Et ça a été affreux, vraiment pas concluant. Elle aurait aimé voir qu’il s’en voulait, le voir chercher à tout faire pour tous les garder près de lui. Mais il n’en est rien. “Adieu.”