Une nuit est devenue deux, puis trois.
Puis toutes.

La nuit d'ailleurs, ça reste encore à discuter, quand les heures étaient elles aussi autant déréglées que notre rythme de sommeil l'était à côté. L'atelier est fermé durant les Fêtes et Dannie est retournée voir sa famille à Southport. C'est ce que les gens normaux font habituellement, d'aller voir leurs parents, de passer ces quelques jours avec les êtres chers qui ont marqués leur vie, de souligner la période de réjouissances aux côtés de ceux qui comptent véritablement. Il m'a demandé de le suivre sur la ferme familiale pour y rencontrer la ribambelle de gens constituant son entourage, plan que j'ai balayé du revers presqu'aussi naturellement que je balaie une mèche de cheveux collée au front d'un Auden qui a l'air endormi mais qui ne l'est probablement pas du tout. Mon téléphone est fermé depuis, ma conscience aussi.

Auden râlera que j'ai kidnappé un des plaids ramené de son atelier à la cabane quand je le dérobe du canapé-lit pour l'enrouler autour de ma silhouette. Il risque de râler pour tout, de toute façon, son humeur le jour de son anniversaire étant presque toujours exécrable. J'en ai fait un jeu, un bingo où chacune de ses réactions sont listées, réactions que je pointe du doigt lorsqu'elles prennent le pouls sur le reste. La récompense consiste à prendre une bouchée de biscuits de Noël aux milles vermicelles corail et jaune (oui, oui, je sais, les couleurs de Noël sont le vert et le rouge sue me) le sourire aux lèvres, pendant qu'il rage encore plus. J'ignore depuis combien d'années dure cette tradition-là, tradition si ancrée qu'au final elle semble avoir été inventée depuis toute ma vie. C'est qu'il est là depuis toute ma vie, lui aussi.

« Entre des nouilles instantanées et des sachets de sel et de poivre, t'as envie de quoi pour le petit-déjeuner? » l'état des placards dans la cuisinette de la galerie est pathétique, ni lui ni moi n'avons pensé une seule seconde à sortir faire les courses entre hier, avant-hier et maintenant.

Ni lui ni moi n'a d'ailleurs pensé à quoi que ce soit résultant du monde extérieur, entre hier, avant-hier et maintenant.

Si j’ai passé la nuit blottie contre elle, c’est simplement parce que la couverture était trop petite pour nous deux, qu’il faisait plus froid que prévu et que je n’étais pas décidé à me lever pour aller en chercher une. Si j’ai passé la nuit à garder ma tête blottie contre sa nuque, c’est simplement parce que je suis certain que ça n’a fait que l’énerver et si ma main était passée par dessus  sa hanche pour mieux se poser sur son torse, c’était simplement pour grappiller un peu de chaleur. Ça, et absolument rien d’autre, parce que je sais qu’une fois que je ne tiendrai plus cette place ce sera un autre qui jouera encore mieux de ce rôle. Je ne dois pas m’attacher et je ne dois pas me projeter ; cela ne servirait de toute façon à rien.

Il a fallu d’un rien pour qu’on retombe dans nos travers plus nocifs que jamais mais on sait que pendant la période des fêtes au moins, on en a le droit. Ce qu’il advient de la suite n’est pour le moment encore pas notre problème. Désormais, je râle quand elle est encore et toujours la première à se lever et je râle encore plus parce qu’avec elle s’envolent toutes mes excuses d’être grognon, pour une chose ou pour une autre. « Entre des nouilles instantanées et des sachets de sel et de poivre, t'as envie de quoi pour le petit-déjeuner? » Mon sourire est noyé sous la couverture que je remonte jusqu’à mon cou, elle a l’air d’aller mieux depuis hier soir et c’est égoïstement la seule chose à laquelle je me raccroche, tentant de ne pas trop m’attarder sur chaque indice pour ne pas en venir à la conclusion que tout est faux. Ici, tout va bien. Pour le moment encore, on est heureux. “On a plus de mort aux rats ? J’étais certain d’en avoir racheté.” Je me relève difficilement, la couverture nouée autour de mon corps que je n’ouvre finalement qu’au moment où je suis assez proche d’elle pour l’envelopper à mon tour. Il fait noir et le plaid sent le renfermé, on manque d’air et sous nos pieds le parquet est glacé. Pourtant, on s’y sent bien et moi, je l’aime. “Et on ne l’a pas utilisée vue que ni Matthew ni Jillian ne sont passés.” Elle ne verra pas mon sourire satisfait parce que déjà mes lèvres se posent contre son cou et inspectent sa température, s’assurent que tout soit à peu près normal dans une vie où justement plus rien ne l’est. “On peut mélanger ce qu’il reste dans les placards et prier pour ne pas mourir intoxiqué, t’en dis quoi ?” J’avance des plans qui ne m’intéressant pas, trop occupé à embrasser son cou et ses épaules comme si elle était partie pendant des années  - et d’un côté, il y a sans doute un peu de ça. En réalité, j’espère seulement qu’elle a aussi peu faim que moi et qu’on pourra retourner se reposer au milieu des couvertures qui piquent et des coussins pleins de poussière pour simplement profiter des quelques jours à notre disposition.

Le parquet grince sous mes pas, mes orteils se précipitent entre les rainures où les restes de peinture de la veille ont rejoint ceux des jours d'avant. Avant qu'on ferme la galerie pour les Fêtes, avant qu'on l'investisse pour y peindre, avant qu'on décide d'en faire notre terrain de jeu, avant qu'on - avant que ta peau soit tatouée de ses baisers Ginny, si tu l'assumes pas pour le reste du monde entier assume-le pour toi au moins.  

Sa voix me rappelle à l'ordre, lui qui est encore enfoui sous les couvertures mais son sourire que j'entendrais partout à travers l'atelier même les yeux fermés.

“On a plus de mort aux rats ? J’étais certain d’en avoir racheté.”
« C'est ma faute, je sais jamais doser entre vraiment trop et tellement que c'est abusé quand j'en mets dans ton café. » je pouffe dos à lui, sursautant la seconde d'après alors que je sens ses bras se resserrer de chaque côté de ma silhouette.
“Et on ne l’a pas utilisée vue que ni Matthew ni Jillian ne sont passés.”
« Qui et qui? » la voix d'ingénue qui pique, ignorant le monde entier le plus volontairement du monde. Mes yeux qui remontent, quand la couverture passe par-dessus ma tête, quand je finis par faire volteface rien que pour mes lèvres qui cherchent inévitablement les siennes même dans la pénombre.
“On peut mélanger ce qu’il reste dans les placards et prier pour ne pas mourir intoxiqué, t’en dis quoi ?”
« J'en dis que j'ai toujours rêvé que tu cuisines du popcorn à la confiture de fraises. » c'est à son oreille que je murmure, moqueuse, ses baisers chatouillant ma nuque et mes doigts cherchant leur vengeance de bac à sable en investissant ses côtes.

Le petit-déjeuner devient totalement obsolète lorsque mes paumes remontent le long de sa colonne vertébrale en comptant chaque centimètre de peau conquis. Les nouilles instantanées poivre et sel sont entièrement oubliées dès lors que l'embrasser devient bien plus qu'un moyen de torture duquel il se plaindra parce que mes cheveux sont partout et parce que mes cils sont pires et parce que blablabla j'ai oublié c'était quoi son excuse du moment. Le popcorn à la confiture de fraise n'est qu'un mirage de plus alors qu'à nouveau ma silhouette se confond avec la sienne, que le comptoir de la cuisinette se retrouve dépourvu d'assiettes et de verres, tous tombés - éclatés - au sol dans une entreprise qui ferait rougir qui que ce soit nous les premiers, tant tout dans la scène n'a rien de ce à quoi on est habitués depuis des mois, mêmes des années. Ma peau est encore tatouée de lui, de son parfum sur ma nuque et de ses doigts aux creux de mes reins, les couvertures du canapé converti en lit ont retrouvé leur place à travers les coussins et nous aussi.

Dans mon sac, mon portable vibre assez fort pour que je l'entende, assez fort pour que je passe brièvement par-dessus lui, ma main farfouillant dans mes affaires le temps de l'éteindre d'un mouvement aussi rapide que lâche. L'alibi des quelques jours isolés au centre de notre tradition ne m'ont jamais autant apparus si salvateurs qu'à l'instant où je reviens m'allonger à ses côtés, ma tête de nouveau calée contre son épaule comme si de rien n'était. Comme si tout ceci faisait autant de sens pour lui que ça en fait pour moi.  « On prendra ton téléphone à toi quand on abandonnera mes recettes nullissimes et qu'on voudra commander de la pizza. »

Sous la couverture trop chaude, trop étouffante et trop épaisse, mes lèvres retrouvent les siennes. « J'en dis que j'ai toujours rêvé que tu cuisines du popcorn à la confiture de fraises. » J’imagine déjà ses mains qui collent, je vois déjà ses lèvres peinturées de fruit des bois. Je la vois déjà adorer ce plat qui semblerait immonde aux papilles de qui que ce soit d’autre et finalement je me contente de soupirer d’aise lorsque ses doigts jouent de mes côtes et les miens contre sa mâchoire, comme avant, comme lorsque tout allait bien encore. Je n’ai pas le temps de répondre à ses demandes que déjà on divague ailleurs, les mains de chacun régnant sur un peu plus de portions de peau à chaque seconde. On reprend bien trop rapidement des habitudes pour lesquelles on a eu besoin d’une vie pour tenter de les faire taire quand bien même justement la pièce n’a plus rien de silencieuse depuis longtemps. Après les bruits des assiettes s’écrasant au sol, ce sont les nôtres qui prennent place, doucement, amoureusement. Notre respiration devient difficile et saccadée alors que j’ai finalement déposé la couverture sur ses épaules seules, la jeune femme éternellement tremblante qui oublie justement de trembler, là, quand on redécouvre une danse assurée vieille de dix ans. A défaut de pouvoir lui dire ce que je voudrais vraiment, ce sont mes doigts que je laisse s’enfoncer dans la chair de ses jambes, geste indolore qui ne laissera même aucune trace de son passage. Mes baisers non plus ne s’égarent pas, bien décidés à ne laisser aucune marque sur sa chair blanche. Ma bouche reste finalement scellée, gardant à jamais prisonniers des mots qui feraient bien plus de mal qu’ils ne pourraient faire de bien. Ils ont eu leur temps et un jour on se rendra compte que nous aussi, on a eu le nôtre.

Une fois de retour au milieu des coussins, pourtant, ma main ne trouve d’autre endroit où se loger que dans sa chevelure qu’elle ne cesse de caresser doucement. Là n’est pas sa place, sûrement pas. L’esprit ailleurs, les pensées perdues dans une infinité de projets, je ne m’en rends cependant pas compte. On est nous deux et c’est pour le moment tout ce qui compte, je tente au mieux de justement m’en contenter et être heureux avec ça. Un baiser s’égare sur ses lèvres alors qu’elle récupère son téléphone. On dira que c’est une mauvaise habitude, on dira que j’en profite encore un peu avant qu’elles n’aient le goût de fraise. « On prendra ton téléphone à toi quand on abandonnera mes recettes nullissimes et qu'on voudra commander de la pizza. » Je hoche de la positive comme si cela était suffisant, mes yeux de toute façon posés sur le plafond blanc et horrible de l’atelier. J’ai toujours dit qu’on aurait dû en faire quelque chose mais soit, on prendra mon téléphone pour commander des pizzas ou le parfait kit de Dexter pour faire disparaître un corps quand je me serai lassé de sa présence. Quelle ironie. « Tu réagirais comment si j’étais en couple ? » Je connais déjà la réponse à cette question et pourtant je veux l’entendre de sa bouche. Elle, elle est déjà en couple. Moi, j’ai toujours merdé ce genre de relations. Aujourd’hui pourtant, malgré la peur et l’appréhension, c’est quelque chose que je sais avoir envie de connaître. Je veux simplement peser le pour et le contre.

Ce ne sont que quelques minutes de plus, et des baisers qui s'y greffent. C'est n'est qu'une extension d'un avant qu'on retrouve aussi facilement que ses mains retrouvent mes hanches et les miennes investissent un corps que je connais par coeur autant pour l'avoir dessiné que pour l'avoir aimé pendant une vie en entier. Une vie qu'on a refusée de garder, y'a ce qui me semble être une éternité. Et je ne lui en voudrai pas, je ne lui en voudrai jamais. D'avoir décidé de se retirer avant que tout aille trop mal, avant que tout casse trop fort. On a tenté et on l'a fait au mieux de nos capacités, mais parfois aimer quelqu'un de toutes nos forces n'est pas assez. « Tu réagirais comment si j’étais en couple ? »

Je ne réagirais pas, d'abord et avant tout. Parce que je n'ai pas le droit de le faire. Parce qu'il est libre d'être avec qui il veut être, et que ce n'est pas parce que je n'ai jamais été suffisante pour prétendre au titre qu'il doit s'empêcher de vivre par ma faute. Ma salive fait mal, le long de ma tranchée. Je l'oublie en me détestant plus que jamais d'afficher un masque parmi une dizaine d'autres, celui serti d'un sourire rassuré, celui qui s'additionne à ma paume ramenant ses cheveux d'un côté, dérivant vers sa mâchoire la seconde d'après. « Je dirais qu'il faut absolument faire quelque chose avec ta barbe avant que tu rencontres ses parents. » sa barbe que j'aime plus que tout. Celle qui suggère qu'il a passé des heures à l'atelier à ne rien faire d'autre qu'à peindre, qu'à créer. Celle qui confirme qu'il a oublié le monde entier au point où je rêve de l'oublier moi aussi. D'en créer un, ici, le temps qu'il m'accordera, le temps que je pourrai avoir à ses côtés.

Il veut être en couple, donc. Il veut maintenant, comme il ne veut pas l'être avec moi. Et tout est paradoxe, dès lors que mes jambes s'enlacent aux siennes, que mes mots suffoquent à son oreille. « Tu réagirais comment si je t'embrassais ici? » je reprends ses mêmes paroles, posant mes lèvres contre sa nuque d'abord, un baiser chaste qui s'y égare une seconde à peine. Il veut être en couple, donc. Il veut, comme il ne voulait pas l'être avec moi, il y a deux ans. « Et là? » de son cou, je descends à la naissance de ses clavicules, laissant ma silhouette glisser par-dessus la sienne en anticipant déjà qu'il se plaigne de suffoquer sous mon poids plume, le fourbe. Il veut être en couple, donc. Il veut, comme il n'a jamais voulu l'être au final, avec moi. « Et comme ça? » refusant de l'entendre dire un mot de plus, ce sont sur ses lèvres que se posent finalement les miennes, plus investies et plus amoureuses encore que jamais je ne me l'avouerai. Du moins, pas sans savoir à quel point j'en sortirais brisée.

« Je dirais qu'il faut absolument faire quelque chose avec ta barbe avant que tu rencontres ses parents. » C’était pas la question. C’était pas ce que j’attendais. C’est encore moins ce que je veux entendre. Elle fuit et elle glisse, elle s’écarte du chemin initial. On a toujours été francs l’un envers l’autre mais désormais tout vole en éclats, même ça. Ma poitrine se soulève plus rapidement, ce qui sera toujours bien moins que la sienne. Elle qui bouge, elle qui décide de tout, elle qui ose alors que je me fais statue de cire pour la première fois. La tête contre l’oreille de fortune et les yeux levés vers le ciel, je ne m’autorise pas à réagir à ses sollicitations. Même mes doigts ont cessé de courir dans ses cheveux, eux qui se contenter d’y rester coincés à cause des nœuds. Et moi je répondrais que je ne couperai pas ma barbe pour faire plaisir à qui que ce soit. Et moi je répondrais que je ne rencontrerai pas les parents de qui que ce soit.

La brune fait son chemin, elle prend le lead et les initiatives, elle joue à un jeu qu’on aurait dû abandonner il y a longtemps déjà. « Tu réagirais comment si je t'embrassais ici? » Mon cou s’étend au moment où elle l’embrasse, je voudrais lui dire qu’elle joue à un jeu bien trop dangereux pour elle mais n’en ai pas la force. J’enrage de ne rien avoir à lui répondre, j’enrage encore plus d’être pris à mon propre jeu et de ne rien avoir à lui répondre. Elle aussi, elle me connaît et elle sait tout ce que je pourrais dire ou faire. Elle sait que c’est tout ce que je veux, qu’elle m’embrasse ici. « Et là? » Et là aussi, bien sûr que là aussi. Aucun mot ne s’échappe de ma bouche, ce n’est que mon souffle un peu plus court à chaque seconde qui se fait entendre au milieu de la pièce. Elle n’est pas la Ginny que je connais, elle n’est pas celle que j’aime non plus et pourtant cela ne change rien, absolument rien. Mon corps réagit de la même manière, mes sentiments sont toujours les mêmes. On sait que les jours sont comptés et que tout peut s’arrêter d’un instant à l’autre. Malgré toute ma haine contre elle et le reste du monde, c’est la seule raison pour laquelle je n’ai pas encore la force pour faire cesser cette mascarade. Au lieu de ça, je place une seconde main dans ses cheveux et la laisse s’y perdre intentionnellement. « Et comme ça? » Ses lèvres passent rapidement de mes clavicules à mon visage et mes mains suivent le rythme dicté par son corps. Mon regard avait jusque là tenté de ne pas la regarder et était resté dirigé en direction du plafond ; maintenant ne restent plus que mes paupières closes et ce baiser que je m’en veux de laisser perdurer et ne cesser de lui répondre.

“Arrête.”

En l’espace d’un claquement de doigts, tout s’arrête. Mes baisers cessent et mes yeux s’ouvrent à nouveau, ancrés dans les siens. Mes doigts ne massent plus ses cheveux, bien au contraire. Ils la tirent en arrière et la font basculer, elle qui occupait tout l’espace, elle qui agissait selon son bon désir. Une main immobilise ses deux poignets parce que je sais par avance que je n’aurai pas la force de rejouer la même scène une seconde fois. Je l’aime et c’est pour ça que j’agis ainsi, que je ne cesse de lui faire du mal sans pour autant être capable de la laisser partir comme elle aurait dû le faire depuis le premier jour. “Réponds à la question.” Je ne lui ferai pas l’affront de la lui répéter mais cette fois-ci tout est bien plus compliqué, de mon corps surplombant le sien à ses bras que j’immobilise en passant inévitablement par son regard que je n’autorise pas à se laisser dérober. Cela n’a plus rien d’un jeu et cela ne l’a même jamais été.

“Arrête.” toi arrête, tu me fais mal.
“Réponds à la question.” oh non.

Il lui faut une seconde pour m'agripper poignets et cheveux, il m'en faudra le double pour me dégager de sa poigne quand je sais très bien qu'il ne veut pas que je reste proche de toute façon. Il agit ainsi strictement pour mettre de la distance entre nous et il en aura donc, de la distance. Dès lors que ma silhouette quitte le lit de fortune, l'un des plaids que j'attrape pour me couvrir bien plus que pour jouer à la cachette entre deux placards remplis de popcorn et de céréales. Cette scène-là, je l'ai oubliée. Bien mieux que j'ai réussi à oublier sa question par contre, malgré les baisers encore éparpillés de sa chaleur brûlante sur ma peau et de mes lèvres glaciales sur la sienne qui n'ont servi à rien. Elle tape de tous les côtés de mes tempes, la question qu'il ne répètera pas, la question qui ne fait que souligner à quel point ce n'est pas moi, à quel point ça ne sera jamais moi.

« J'ai pas le droit de réagir Auden. » il veut une réponse, alors la voilà la seule réponse qui trouve le chemin entre ma gorgée nouée et mes lèvres bien trop loin pour être tentées, lâches, de s'égarer sur sa nuque une énième fois en guise de silence. « Et toi t'as le droit d'être en couple avec qui tu veux, que je réagisse ou pas. » il ne l'aurait jamais demandé le droit, on le sait tout les deux qu'il aurait fait à sa tête. Jamais il n'en aurait rien eu à faire, et jamais oh grand jamais j'aurais osé ne pas le lui donner, quand c'est moi qui l'est, en couple. Quand il m'a dit qu'il m'aime et que c'est tout ça qui a déclenché le reste.

N'est-ce pas, que c'est ça qui a causé la suite? Mes mains tremblent même si mes doigts se resserrent solidement un peu plus fort autour des draps. Le voir m'est difficile mais jamais mes prunelles ne se détournent des siennes. C'est parce que je suis avec un autre qu'Auden dit ça, c'est juste parce que je ne suis plus là à l'attendre, à attendre qu'il m'aime moi et à attendre qu'il veuille être en couple avec moi qu'il réagit ainsi. C'est juste à cause de ça.

Le silence fait mal, presque autant que ses mots. Mots qu'il a choisis parfaitement bien pour me pousser dans des retranchements que je creuse ironiquement encore et toujours, faisant des allers et des retours dans un atelier que je connais par coeur parce qu'il est le nôtre mais surtout parce qu'il est le sien. Un atelier dans lequel je suffoque, un atelier qui tourne désormais, alors que paradoxalement je reprends mes marques, totalement immobile. « J'aurais voulu que tu veuilles être avec moi. C'est ça que tu veux entendre? » j'ai fait volteface et la question est venue avec, lâchée libre contre ma langue qui claque. Qu'il me demande ça revient à vouloir entendre à quel point j'aurais été dévastée, démolie qu'il songe à construire quelque chose d'autre avec quelqu'un qui n'est pas moi. Il le sait, il le sait à un point où il n'a pas le droit d'en abuser à m'entendre l'affirmer lorsque ça ne fait que me casser un peu plus. « J'aurais voulu que tu veuilles être avec moi autant que moi je veux être avec toi. » je sens encore le fantôme de la pression de ses doigts contre mes poignets, de sa paume contre mes mèches, même si je me suis dégagée depuis de longues minutes déjà.

« Et devant toi je réagirais pas. » une personne normale serait déjà partie d'ici. « Mais à la seconde où tu quitterais la pièce, tu sais très bien ce qui arriverait. » les assiettes auraient été éclatées au sol, les unes après les autres. Les verres avec. C'est ça, ce qu'il veut entendre? Que j'aurais réagi à m'en lacérer la peau? Une personne normale ne serait pas juste allée voir si le verrou sur la porte était bien en place avant de revenir sur ses pas, de se poster à nouveau face à lui sans lâcher une seule fois ses iris. « J'ai pas le droit de réagir, mais toi t'as pas le droit de me demander ça. » une personne normale aurait compris tous les signaux qu'il lance à travers le reste. Les signaux qui ne font que hurler à quel point ce n'est pas moi.

À quel point ça ne sera jamais moi.

Je suis incapable de regretter les gestes que j’ai eu envers elle. Je ne suis pas fier de ces derniers, ça non, mais une part de moi ne peut s’empêcher de croire qu’ils étaient nécessaires, essentiels même. Tout ce que je sais c’est que je peux encore me rassurer en me disant que si je l’avais voulu, jamais elle ne se serait dégagée de mon emprise. Si je l’avais voulu, j’aurais coloré ses poignets de violet et de bleu et le manque de sang jusqu’à ses mains aurait fait ressortir ses veines déjà saillantes de son maigre poids. Si je l’avais voulu elle n’aurait pas pu mettre cette distance entre nous ni même attraper la couverture comme si les vitres venaient soudainement d’exploser et un courant d’air froid avait envahit la pièce. On ne fait qu’un pas de plus en arrière, comme à notre habitude. « J'ai pas le droit de réagir Auden. » Le coeur encore fou, je laisse finalement mon dos reposer contre le mur froid et sans vie alors que je devine déjà à quel point elle doit avoir les pieds gelés, elle qui veut tant mettre une distance inutile entre nous. Je pourrais l’annihiler une fois de plus mais n’en vois aucunement l’utilité alors je préfère paradoxalement l’écouter me raconter de la merde, elle qui a tous les droits du monde, elle qui pourrait changer bien des choses si jamais elle osait une fois, une simple fois. Elle a le droit de réagir et elle a le droit de tout quand, finalement, c’est la seule chose que je demande. Une réaction, une seule. Une preuve pour me conforter dans mon idée et me faire changer à mon tour. C’est tout ce que je demandais. « Et toi t'as le droit d'être en couple avec qui tu veux, que je réagisse ou pas. » Et c’est ce que je n’aurais pas. Auden à qui on ouvre toutes les portes du monde ; Auden qui n’en a jamais rien eu à faire d’avoir le champs libre pour tout et n’importe quoi. Je me moque de savoir ce que j’ai le droit ou non de faire, elle devrait le savoir depuis le temps. Je veux et j’exige, je fais et j’observe ensuite les conséquences sans m’en soucier. C’est ce que je fais et que je continuerai à faire, peu importe si elle me donne ou non son stupide accord pour quoi que ce soit. “C’était pas la question.” Je râle et je grogne encore, quand elle a volé les draps et que je n’en ai rien à faire, quand elle tremble et que ce n’est même plus mon problème alors que mes yeux assassins ne sont posés qu’en direction des siens.

« J'aurais voulu que tu veuilles être avec moi. C'est ça que tu veux entendre? » “T’as aucune idée de ce que je veux entendre Ginny.” Ce jeu là est usé et démodé mais il fera toujours autant de mal si on arrive à choisir les bons mots. J’aurais voulu que ce soit moi qu’elle aime, pas lui. J’aurais voulu que ce soit moi, le médecin bien rangé. J’aurais voulu être celui qui rentre parfaitement dans le moule simplement pour la rendre heureuse à son tour, parce qu’au moins comme ça tout aurait été simple et on ne serait toujours pas au même point dix ans plus tard. J’aurais voulu tellement de choses dont elle n’a pas idée, qu’elle ne pourrait même pas imaginer tellement cela n’a pas l’air de me ressembler. Une maison, une famille, une vie stable, des enfants et elle, juste elle. J’aurais voulu être avec elle aussi. J’aurais voulu l’entendre plus tôt et surtout le comprendre. « J'aurais voulu que tu veuilles être avec moi autant que moi je veux être avec toi. » “T’as aucune idée de ce dont tu parles.” C’est pas l’envie le problème, ça n’a jamais été ça. Au contraire, s’il y a bien un sentiment qi me ronge de l’intérieur, couplé à la culpabilité, c’est bien celui-ci.

« Et devant toi je réagirais pas. » Parce qu’elle n’en a rien à faire. Elle a sa vie rêvée, elle a tout. Qu’est ce que ça pourrait bien lui faire que je sois en couple avec un autre, quand, de toute façon, on a jamais réussi à l’être ensemble. « Mais à la seconde où tu quitterais la pièce, tu sais très bien ce qui arriverait. » Et là, juste là, elle ment. Elle ment parce que derrière ses airs de jouvencelle, elle ne sait faire que ça. La petite poupée de porcelaine à qui tout le monde pardonne toujours tout, moi le premier. Je n’oublie pas mais je passe l’éponge parce que j’ai trop peur de la voir s’éloigner et m’abandonner. Je suis inflexible avec le reste du monde mais pas avec elle, parce que l’amour est une merde qui rend faible et que je ne m’en rends compte que maintenant. A la seconde où je quitterais la pièce elle referait la même chorégraphie, avec ses quelques pas de côté consistant à venir refermer la porte à clé derrière moi. Elle pense pouvoir se protéger du reste du monde en faisant ça alors qu’elle est le seul danger, ici, tant contre moi que contre elle même. « J'ai pas le droit de réagir, mais toi t'as pas le droit de me demander ça. » Je n’avais pas expérimenté ce sentiment de seconde place et de choix de substitution depuis bien longtemps mais il ne me manquait pas, absolument pas. Elle est comme ma famille et elle est comme tous les autres. Cela lui aura pris plusieurs années pour en arriver au même point mais aujourd’hui c’est fait ; bravo. “Je peux avoir qui je veux.” Je précise bien plus par besoin que par envie, parce qu’elle ne m’est pas essentielle, parce qu’elle n’est pas un objectif, parce que je n’ai même pas besoin d’elle pour quoi que ce soit. Elle n’est qu’une gamine parmi de milliers d’autres, elle se perd dans la foule de part son aspect quelconque. “Je peux coucher avec qui je veux, je peux être en couple avec qui je veux.” Ce n’est pas parce que cela n’arrive pas que je n’en ai pas la possibilité. Un simple coup de téléphone et un peu de baratin et le tour est joué. J’ai qu’à dire ces trucs de merde qu’ils se disent tous sans jamais le penser et ça serait réglé. “Et je m’en moque de savoir comment tu réagirais.” Les mensonges s’alignent et s’enchaînent, on ne les compte plus et pourtant mon expression reste toujours aussi impassible. “T’es pas différente et t’es encore moins unique. Y’en a plein des comme toi et t’as vraiment cru un seul instant que je voudrais être avec toi ?”

Il est un animal sauvage, Auden, et une fois blessé la seule chose qu’il sait faire c’est attaquer sans même chercher à savoir s’il s’agit de la main qui l’a déjà soigné maintes fois.

“T’as aucune idée de ce que je veux entendre Ginny.”
“T’as aucune idée de ce dont tu parles.”
“Je peux avoir qui je veux.”
“Je peux coucher avec qui je veux, je peux être en couple avec qui je veux.”
“Et je m’en moque de savoir comment tu réagirais.”
“T’es pas différente et t’es encore moins unique. Y’en a plein des comme toi et t’as vraiment cru un seul instant que je voudrais être avec toi ?”

Va te faire foutre Auden.

Lui, il a réagi comment, quand j’étais en couple avec un autre? Il est parti, il s’est effacé, il n’a rien fait, rien dit. Il n’a pas insisté, il n’a pas questionné, il n’a rien demandé, il m’a juste laissée partir, laissée aller. Et c’est ça qui fait le plus mal dans toute cette histoire, c’est ça qui fait trembler mes jambes, mes doigts, qui diffuse un goût de fer, de sang sur ma langue tant mes dents mordent l’intérieur de ma joue. Il n’a jamais voulu être avec moi pour vrai, il n’en a jamais voulu peu importe à quel point j’ai tenté, peu importe à quel point j’ai ravalé. J’aurais tout pardonné à Auden, je lui pardonnerai tout aujourd’hui, et encore plus demain. J’aurais tout accepté et tout oublié, et je le ferai jusqu’à ne plus avoir de forces pour faire quoi que ce soit d’autre. Je l’aimerai pour deux et nous avec, ce qu’on aurait pu été, les bribes de miettes de souvenirs qui eux au moins sont restés. Mais pour chaque pas en avant que j’arrive à faire avec tout le courage du monde, il en précipite dix en arrière. Il me brise le coeur Auden, il le sait et il continue, parce que c’est ainsi qu’on croit tous les deux que je vais apprendre, qu’on est persuadé en duo qu’à un moment j’aurai eu assez mal que j’aurai enfin capté. Que tout ça n’aurait jamais dû commencer, qu'on était tout simplement voués à éternellement finir.

« De toute façon, c’était qu’un jeu, hm? » à tous ses mensonges j’ajoute le pire d’entre eux. Pire, parce que j’y crois encore. Pire, parce qu’il s’est attardé à ne jamais y revenir, à ne jamais plus rien en dire. Pire parce que j’arrive pas à ne pas espérer, à ne pas me dire que tout, tout le reste et tout ça encore plus veulent dire quelque chose. Mais non Ginny, stupide petite Ginny. J’ai cru encore et il n’a été qu’honnête, il n’a été que franc, direct. Il dit les choses et il les affirme assez fort pour que je n’entende plus rien d’autre, pour que les mots restent gravés presque autant que leur finalité. Alors non, ce n’est rien de plus que ce que ça a été, pour une nuit, pour quelques autres. Ce n’est rien de plus et ça ne le sera plus jamais. Autant profiter des secondes et des minutes et des heures qu’il nous laisse. Autant voir le tout comme des adieux auxquels on ne s’est jamais donnés le droit, des adieux pour toutes les autres fois.

« Reste. » ce soir, juste ce soir. Ils reviennent pantois, mes pas. Ils ne savent faire que ça. Quand ma silhouette se pose à ses côtés sur le matelas, quand la couverture quitte mes épaules pour finir sur ses jambes, le couvrir lui d’abord, moi ensuite. Quelle idiote qui niche sa tête sur son épaule glacée d’être restée dévoilée trop longtemps. Quelle imbécile qui y a cru et qui y croira probablement encore, tant qu’il n’aura pas tout cassé, tant qu’il ne s’y appliquera pas avec toute la rage et toute la dévotion qu’il met à détruire ce qui le lasse, ce dont qu’il ne veut pas, ce qu’il n’aimera jamais.

Il n’y a aucun élan amoureux quand mon bras s’élance vers elle pour appuyer à la jonction de ses dents pour qu’elle cesse de se les mordre autant. Il n’y a aucun élan amoureux ou peut être qu’il n’y a que ça, justement, quand j’enrage à l’idée qu’elle se fasse du mal pour quelque chose d’aussi futile que moi. Mes sourcils sont froncés et mes yeux sombres, parce qu’elle n’a pas le droit d’agir ainsi, parce que je n’ai pas le droit de voir du sang teinter ses dents quand bien même elle n’a plus aucune raison de sourire. Mon expression hurle arrête, mes lèvres restent closes.

« De toute façon, c’était qu’un jeu, hm? »

Elle n’aura pas de réponse, elle n’en aura aucun parce que je fulmine déjà bien trop qu’elle ose reprendre les codes de mensonges qui ne sont que les miens. Elle ne devrait pas s’aventurer là, elle devrait laisser faire les adultes, elle devrait apprendre à se taire quand il le faut et parler quand elle le devrait. Elle devrait tout changer pour être parfaite et pour moi pourtant ce n’est toujours pas suffisant pour que je cesse moindrement de l’aimer. Je la déteste et mes yeux lancent des éclairs, mon bras me brûle encore de s’être approché d’elle alors que justement je ne fais que lui ordonner de s’éloigner et s’enfuir. C’est pas un jeu, ça n’a rien d’un jeu, ça a justement toujours été bien trop sérieux, depuis le tout début. On n’aurait pas dû. On ne devrait toujours pas maintenant et alors que je fais tous les efforts du monde pour qu’elle s’en aille sans jamais se retourner, je me sens respirer un peu mieux lorsqu’elle fait un pas en ma direction. « Reste. » La seconde inspiration est bien plus difficile, j’ai à peser le pour et le contre pendant une infime seconde avant de me souvenir à quel point je reste cet être égoïste qui ne cherche qu’à profiter du présent sans jamais se soucier du futur. La couverture arrive sur mes jambes, son visage se place sur mon épaule. Je me laisse tomber en arrière au ralenti, m’assurant de sa présence constante en venant poser une main à l’arrière de sa nuque. Mon expression reste neutre et figée mais mes doigts s’excusent à la place, la caressant doucement là où je n’ai su être que violent, s’assurant qu’elle reviendra à mes côtés une fois de plus peu importe tout ce que j’aurai pu lui faire subir. La couverture remonte de nouveau jusqu’à ses épaules, parce que je me moque d’avoir froid et parce que je suis bien trop désolé pour me soucier de moi à nouveau. Mon corps tourné vers le sien, je garde sa tête lovée contre ma nuque et la mienne posée contre son front. Je veux être un cataplasme et un cocon, pas celui dont elle a à s’éloigner, encore moins celui à cause de qui elle devrait être tremblante et aussi peu assurée. “Je reste pas.” A contre courant de mes mots, ma main libre se déplace de son épaule à son dos, lui assurant une protection inutile, m’assurant sa présence vitale.