Une certaine fraîcheur s’était abattue sur Brisbane, Victoria entendait beaucoup de monde dire qu’il faisait vraiment froid. Elle ne pouvait s’empêcher de les traiter de petits joueurs, cela se voyait qu’ils n’avaient pas connu les températures de la Norvège pour dire cela. La jeune femme ne s’en plaignait pas, à vrai dire elle avait elle-même oublié à quel point il pouvait faire chaud en Australie, elle était donc plutôt contente de ne plus être assommée par la chaleur. L’hiver était sa saison préférée, une préférence qui n’était pas courante, mais qui pouvait s’expliquer par le fait qu’elle avait toujours été plus inspirée par celle-ci que par l’été. Elle aimait photographier des arbres dénudés, zoomer sur les particularités des flocons de neige, capturer les décorations de Noël mais celui-ci était encore bien loin pour l’instant. Cela ne l’empêchait pas de sortir avec son appareil photo, bien au contraire elle était sortie en ville avec celui-ci en quête d’endroits déserts. Victoria avait jeté son dévolu sur le parc, les joggeurs semblaient avoir pris leurs retraites tandis que les familles sommeillaient encore. Elle pouvait y voir des animaux profitant de cette quiétude pour sortir des moindres recoins, elle profita qu’ils n’aient pas remarqué leurs présences pour les photographier en quelques clics. Alors qu’elle avait repéré un oiseau aux couleurs particulièrement belles, celui-ci pris la fuite, effrayé par les cris d’une petite fille. Elle se retourna et la dévisagea, elle ressemblait à s’y méprendre à l’enfant d’un client, mais il ne s’agissait pas d’elle. Cela lui rappela soudainement qu’elle devait boire un verre avec lui, justement mais elle l’avait totalement oublié. La blondinette ne s’attendait plus à cette entrevue, car la première fois c’était elle qui lui en avait proposé une, mais il avait refusé à cause de ses devoirs de père. Il était peu courant qu’elle s’intéresse à ce type d’homme, qui avait déjà une vie en quelque sorte, même si celui-ci n’était plus avec la mère, elle avait toujours été réticente à l’idée d’être mise au second plan à cause d’une famille. Il faisait donc office d’exception, il avait su éveiller suffisamment son intérêt pour qu’elle accepte un aussi gros défaut, mais il fallait qu’elle s’y attende, à force d’être attirée par les hommes plus âgés elle allait finir dans ce type de situations, c’était inéluctable. Elle rangea son appareil photo et fit demi-tour, elle n’allait quand même pas s’encombrer de celui-ci pour un rendez-vous. Une fois chez elle, elle aperçut rapidement son reflet, qui ne lui plaisait pas assez, elle passa sa main dans ses cheveux pour saisir une mèche qui rebiquait. Il était hors de question que Carlisle la voit ainsi, c’était un défaut qui paraissait minime, mais Victoria avait toujours voulu être impeccable, avoir l’air de sortir tout droit d’un papier glacé de magazine. Elle déposa son sac, retira ses chaussures et se rendit dans sa salle de bain. Alors qu’elle était en train de se saisir de son lisseur, elle se demanda si c’était une bonne idée de voir un père avait une enfant en bas âge, allait-il la bassiner avec celle-ci ? Ou serait-il suffisamment intelligent pour en faire abstraction ? Ils avaient suffisamment parlé d’elle pour qu’elle puisse s’occuper de sa chambre correctement, le travail étant terminé elle jugeait qu’il s’agissait d’une page tournée. Une fois sa mèche domptée, elle cessa de se prendre la tête, après tout elle avait tout à fait le droit de mettre fin à la rencontre si celle-ci lui déplaisait, ce n’était pas le genre de femme qui restait par gentillesse ou par peur de froisser. Elle regarda l’horloge trônant dans son salon, elle remarqua qu’elle allait finir par être en retard, fort heureusement il avait bien voulu qu’ils se rendent au bar huppé de son quartier, elle allait donc pouvoir s’y rendre à pieds. Victoria ne se pressait pas pour autant, car ses talons atteignaient quasiment les dix centimètres, un ralentissement qu’elle voyait de manière positive car elle s’arrangeait toujours pour arriver la dernière. Une fois devant le lieu de rendez-vous, elle regarda à travers les vitres, il n’avait pas l’air d’être là ou alors peut-être qu’il s’était placé dans un endroit qui n’était pas visible de l’extérieur, elle poussa donc la porte d’entrée et s’immobilisa, elle continua de le chercher du regard.
CODAGE PAR AMATIS
Dernière édition par Victoria Valtersen le Ven 6 Nov 2020 - 18:12, édité 1 fois
Depuis la naissance de Maya, Carlisle s’était presque entièrement dévoué à sa fille. Il avait passé de longues heures avec elle, l’avait regardée grandir, évoluer, changer. Les semaines, puis les mois avaient défilé à une cadence folle. Il avait l’impression que, hier encore, sa fille n’était qu’un bébé. Frêle et fragile, presque noyée dans ses bras. Aujourd’hui, l’espiègle Maya se redressait sans difficulté, et tentait — pour le moment encore vainement — de traverser le salon sur ses deux petites jambes, alors qu’un sourire radieux illuminait ses traits. L’ancien pilote de ligne était conquis, épaté par les prouesses de sa progéniture. Papa-gâteau, lui ? Très certainement. Et il n’en avait aucun honte. Pourtant, ce soir marquait un petit tournant dans ses habitudes : il avait confié Maya à Noa, sa tante. Afin d’éviter toute question ou situation gênante, il avait prétexté un dîner d’affaires auquel il se devait d’assister. Noa n’avait pas posé davantage de question, et cette dernière s’était réjouie de rendre ce service à Carlisle, arguant que ce serait l’occasion pour elle de passer un moment privilégié avec sa nièce. L’Australien avait été aussitôt rassuré par l’enthousiasme dont la première fille Farrell avait fait preuve, et avait entrepris de préparer les affaires de Maya. Il avait donc rangé des vêtements, un pyjama, quelques affaires et autres jouets dans un premier sac. Dans le second, plus petit, il avait mis le nécessaire de toilette. Il avait déposé sa fille en milieu d’après-midi chez sa tante, et avait ressenti un léger pincement au coeur — sans doute était-ce une réaction logique, puisqu’il s’agissait de la première nuit que sa fille passerait loin de lui. Il lista les recommandations d’usage à Noa, qui l’écouta poliment et patiemment, tout en le regardant avec un petit sourire espiègle. Ils se quittèrent sur un : « Tout se passera bien, ne t’en fais pas. » de la part de l’Australienne.
Avant de se rendre à son rendez-vous, il repassa par chez lui. Il resta un long moment devant ses affaires, se maudissant d’être incapable de choisir la tenue qui convenait en un minimum de temps. Une chemise ? Hors de question : il en portait déjà toute la journée. Il opta finalement pour un pantalon gris, et un polo blanc : chic et sobre. Sans pression. C’était en tout cas l’image qu’il souhaitait renvoyer. Il jeta un coup d’oeil à sa montre et, constatant que le temps s’égrainait à une vitesse folle, il fila sous la douche. Être en retard pour un premier rendez-vous, alors qu’il avait déjà dû le déplacer une fois ? Impossible à envisager.
Il fit un léger signe de la main à Victoria, qui venait d’entrer dans le bar. Il avait évité de s’installer devant les baies vitrées qui donnaient sur l’extérieur, préférant opter pour le charme de la discrétion. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire sincère, que Victoria lui rendit. Par pure politesse, il ne pouvait pas en être autrement, songea-t-il en voyant la blonde s’avancer vers lui. Une fois encore, il se demanda si tout ceci avait réellement du sens. Comment pouvait-elle s’intéresser à lui ? Il avait tellement de mal à le concevoir. Tout semblait lui sourire : sa jeunesse, son travail, ses projets. Alors, pourquoi lui ? Qu’avait-elle pu voir, repérer, qui était susceptible de lui plaire ? Il chassa momentanément ses multiples interrogations, choisissant plutôt de se focaliser sur les aspects positifs de cette rencontre : il était content de pouvoir passer un moment avec elle en tête à tête, heureux de cette parenthèse qui le changeait de son quotidien et, il fallait bien l’avouer, quelque peu charmé par la décoratrice d’intérieur. Il se redressa pour l’accueillir, renouant avec ses habitudes de gentleman. « Je suis content que tu aies accepté de venir aujourd’hui. » Admit-il en souriant, avant d’indiquer d’un signe de la main la banquette où elle pouvait prendre place. Il avait bien senti, la fois précédente, qu’elle n’avait pas été ravie qu’il décline sa proposition d’aller boire un verre. Mais il n’avait vraiment pas pu faire autrement — en tant que père célibataire, l’imprévu ne lui était pas permis. « J’ai eu un empêchement, la dernière fois. » Il évita soigneusement de reparler de sa fille, et de son rôle de père ; même si désormais, c’était une part essentielle de son quotidien, il avait aussi conscience qu’étaler cet aspect de sa vie lors d’un premier rendez-vous n’était pas l’idéal. Et puis, il y avait tellement d’autres choses dont ils pouvaient parler — les hobbys, les voyages, leurs projets futurs. Et tout ceci se ferait probablement plus naturellement autour d’un verre — il n’avait pour le moment rien commandé, préférant attendre l’arrivée de son invité pour ce faire. « Je vais aller commander. Qu’est-ce que je te prends ? » Demanda-t-il, faisant quelques pas en direction du bar pour faire part de leur commande au serveur.
Les secondes paraissaient être des minutes, Victoria commençait déjà à s’imaginer qu’il lui avait filé un lapin. Excessive ? Oui, cela pouvait s’expliquer par le fait qu’aucun de ses prétendants n’avait osé être en retard, même pas de cinq minutes. La blonde était une femme convoitée, ils le savaient encore mieux qu’elle puisqu’ils étaient ses premiers observateurs, ils pouvaient aisément deviner que le moindre pas pouvait être fatal avec elle puisqu’elle pouvait passer à quelqu’un d’autre en un rien de temps. L’architecte aimait dégager cette image, inspirer cette crainte, elle se sentait puissante grâce à elle, elle avait l’impression que rien ne pouvait lui résister. Avoir été invitée à boire un verre par Carlisle en était un peu une preuve, puisqu’il était revenu de lui-même après avoir refusé de sortir avec elle. Au bout d’une minute, elle vit une main s’agiter légèrement, il s’agissait de la sienne. Elle sourit, non seulement parce qu’il l’avait également fait, mais surtout parce qu’elle se sentait soulagée de ne pas avoir été de nouveau mise au second plan pour son enfant. Lorsqu’elle partit en sa direction, elle cru voir une mine songeuse sur son visage, était-il inquiet ? Ou déjà ailleurs ? Il se rattrapa rapidement en exclamant qu’il était heureux de la voir. « Le plaisir est partagé. » Il avait besoin d’entendre ces mots, elle le pressentait, heureusement qu’il ne savait qu’elle avait failli oublier de venir ici. Elle se posa sur la banquette et observa plus en détails sa tenue, alors qu’elle était intérieurement en train de la complimenter, celui-ci revenu sur la raison de son refus. Victoria n’aimait pas vraiment qu’il lui ravive ce souvenir, qui était déjà bien trop présent dans sa tête. Il n’avait pas besoin de se justifier puisqu’elle connaissait déjà bien sa situation, elle fit donc un simple geste avec sa main pour lui faire comprendre que c’était une histoire ancienne sur laquelle ils n’avaient pas besoin de revenir. Elle se montra plus enthousiaste lorsqu’il lui annonça qu’il allait commander pour eux. « Un mojito s’il te plaît. » L’architecte le regarda partir, non pas par impatience d’avoir son cocktail, mais pour le simple plaisir des yeux. Elle se demanda comment un tel homme avait pu finir père célibataire, était-il trop exigeant pour se trouver quelqu’un ou trop accaparé par sa vie de famille pour se caser ? Pour le moment elle penchait plutôt pour la seconde option, mais peut-être que ce rendez-vous allait lui faire changer d’avis. Ils furent servis assez rapidement, elle le remercia de lui avoir amené sa boisson, qu’elle laissa de côté pour le moment, plus avide de lui poser des questions que de boire. « Qu’est-ce que ça fait d’être de retour sur terre ? Ça doit être décevant non ? » Il lui semblait qu’il était un pilote qui devait se reconvertir, elle ne savait plus vraiment dans quelle activité. La demoiselle avait toujours eu de l’admiration pour les personnes qui savaient manier un avion, c’était grâce à elles qu’elle avait pu aller aux quatre coins de la planète après tout. Si elle en avait le temps et l’envie, elle aurait très certainement essayé d’apprendre à voler, mais il fallait avouer qu’il était bien trop confortable de n’être qu’une simple passagère, sur laquelle aucune responsabilité ne pesait. « Ça me manque parfois de prendre l’avion, ça me donnait un sentiment de liberté que je n’ai plus, enfin plus autant. » Elle l’avait échangé contre de la stabilité professionnelle, les voyages qu’elle faisait ne se comptaient désormais plus que sur les doigts d’une main. C’était le début de la sagesse, du moins c’est ce que lui dirait sa famille, une appréciation dont elle se passait bien.
CODAGE PAR AMATIS
Dernière édition par Victoria Valtersen le Ven 6 Nov 2020 - 18:12, édité 1 fois
Il avait soupiré de soulagement en voyant Victoria arriver, mais avait aussitôt senti son coeur s’emballer. Se retrouver seul, en tête à tête avec une femme, ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Trop longtemps, lui souffla une petite-voix intérieure. Il n’avait jamais été un grand séducteur dans l’âme, et collectionner les conquêtes ne l’intéressait pas. Et pourtant… Poli et respectueux avec la gent féminine, le fils Bishop n’avait jamais été très longtemps célibataire. « Je reviens. » Murmura-t-il en se levant, pour se diriger vers le bar. Il s’accouda sur le comptoir, et attendit patiemment que le serveur vienne prendre sa commande. Il eut tout le loisir de se poser des questions sur le bien-fondé de ce rendez-vous. Que cherchait Victoria ? Qu’attendait-elle de lui ? Y avait-il un quelconque enjeu dans cette soirée ? Carlisle tendit sa carte bancaire au serveur, et choisit d’oublier les questions qui le taraudait. Il savait au moins une chose : la vie était courte, et il fallait en profiter à fond. Le sourire aux lèvres, il retourna à sa table, reprit place face à Victoria, poussant du majeur et de l’index son mojito. Pour sa part, fidèle à ses habitudes, il avait opté pour un scotch — même s’il était un peu tôt pour cela, il avait impérativement besoin de se détendre pour pleinement profiter de ce moment, de cette parenthèse qu’il s’octroyait. Par chance, la fluidité de la conversation facilitait les choses. « C’était une autre vie. » Admit Carlisle en souriant. Il avait été pilote de ligne pendant quinze ans, et n’avait pas une seule fois regretté ce choix de carrière. Il avait craint, après avoir été pilote dans l’armée de l’air, que le retour à la vie civile soit compliqué. Après tout, n’avait-il pas vu et vécu des choses que la plupart des gens ignorait ? N’avait-il pas été confronté à des difficultés et des atrocités innommables ? « Mais il y a bien certains aspects qui me manquent, je reconnais. » Confia-t-il, avant de poursuivre : « J’adorais partir d’un pays, et me réveiller dans un autre. Profiter des escales pour découvrir une nouvelle ville, goûter aux spécialités locales… Changer d’air, tout simplement. » Mais s’il devait aujourd’hui faire un choix entre sa vie d’avant et sa nouvelle vie en tant que père, il n’hésiterait pas une seule seconde. Une page avait été tournée, et il écrivait désormais un nouveau chapitre. Nouveau décor, nouveaux personnages ; le temps de l’accalmie était venu, et il ne s’en plaignait pas forcément. « Je m’estime chanceux : j’ai eu l’occasion de découvrir de merveilleux endroits. » Carlisle était quelqu’un de sensé, de terre à terre : il mesurait la chance qu’il avait pu avoir. C’était un privilégié, il le savait : il était né dans un milieu aisé, il avait eu une belle carrière, et il était désormais un père comblé. Il avait eu des moments difficiles, c’était un fait ; mais qui n’en avait pas ? « Et puis, entre toi et moi, mon changement de carrière ne veut pas dire que je ne vole plus. » Désormais, il ne transportait plus des centaines de passagers ; il était le seul à bénéficier de ses compétences. Et quand il partait en voyage d’affaires avec ses collaborateurs de l’entreprise, son père lui autorisait à peine le droit de passer une tête dans le cockpit pour s’assurer que tout allait bien — sans doute craignait-il que son fils ne soit à nouveau happé par sa passion. « Tu prenais l’avion pour des raisons professionnelles, ou personnelles ? » Il ne savait pas grand-chose d’elle, hormis qu’elle était une architecte d’intérieur de qualité et qu’au vu de son nom de famille, elle avait vraisemblablement des origines étrangères. « Tu compenses par quoi ? » Demanda-t-il en arquant un sourcil, curieux d’en apprendre davantage sur son interlocutrice.
Victoria esquissa un petit sourire en coin quand il lui annonça qu’il revenait, c’était tout à fait logique, elle ne s’attendait pas à ce qu’il passe par la fenêtre des toilettes pour s’enfuir comme le dernier des goujats. C’était un homme bien avenant, sûrement du genre à être le gendre idéal, s’il n’avait pas déjà un enfant bien sûr, mais il était bien dur de le juger sur ce point, après tout elle ne connaissait pas son historique, elle ne savait pas pourquoi il s’était retrouvé père célibataire. La jeune femme n’abordera pas ce sujet fâcheux pour le moment, il était bien trop tôt pour cela, elle préférait l’interroger sur son passé professionnel qui avait l’air bien intéressant. Il lui dit que c’était une autre vie tout en souriant, mais elle perçu à travers ses mots il y avait une bonne partie de celle-ci qui ne lui convenait pas, impression qu’il lui confirma en admettant que certaines choses lui manquaient tout de même. Elle se retrouva tout à fait dans ses paroles, elle acquiesça de la tête et lui répondit : « Je vois ce que tu veux dire, j’adorais m’imprégner des pays étrangers que je visitais, je prenais généralement le temps de le faire en profondeur, il était rare que j’y reste moins d’un mois. » Le monde était tellement vaste et riche, qu’elle voulait en profiter au maximum, pendant qu’elle le pouvait. Elle se demanda combien de pays il avait pu visiter, mais surtout lesquels l’avaient le plus marqué. « Quels sont les endroits que tu as le plus apprécié ? » Victoria avait toujours eu l’impression que les goûts en matière de voyages pouvaient en dire long sur la personne, sa question n’était donc pas tout à fait innocente même si elle le demandait de la manière la plus spontanée possible. Il lui paraissait qu’il était plutôt satisfait de la vie qu’il avait menée jusqu’à présent, tout comme elle, qui en dehors d’une enfance chaotique avait mené une belle existence, celle d’une femme privilégiée. L’architecte s’apprêtait à boire son cocktail, mais s’arrêta net quand Carlisle lui précisa que sa reconversion ne l’empêchait pas de piloter pour autant. « Ah ! Cela veut dire que j’aurais peut-être le droit à une ballade aérienne ? » Dit-elle en battant ses interminables cils. Cela lui faisait penser qu’elle n’avait jamais eu à un avion à elle toute seule, elle avait pourtant les moyens de se permettre de ce genre de périple égoïste. Elle commença à siroter son mojito juste avant qu’il ne l’interroge. Il lui avait posé une bonne question, qui avait sûrement un lien avec son nom de famille qui ne sonnait pas vraiment australien. « C’était tout autant pour des raisons professionnelles que personnelles, mon agence m’envoyait accomplir des projets à l’étranger et cela m’a toujours donné beaucoup d’inspiration. Rien de tel que le dépaysement pour ça. » Victoria avait bien changé en vieillissant, elle n’avait plus rien à voir avec la fillette qui voulait s’agripper au pays des kangourous, plutôt que d’aller émigrer dans une monarchie nordique à la langue étrange. « Renouer avec ma terre natale m’a fait beaucoup de bien, plus que je ne n’aurais pu l’imaginer. Cependant c’est surtout une opportunité de travail en or qui m’a fait venir ici. » Le travail encore et toujours, le pilier de sa vie. « Je dois avouer qu’il est aussi agréable de retrouver certains membres de ma famille, que j’avais perdu de vue. » Ces paroles ne concernaient qu’une poignée de personnes, plus particulièrement sa cousine et le jumeau de celle-ci, Reese. C’était plutôt étonnant de se lier à nouveau à eux, qui étaient quasiment devenus des inconnus, mais la vie réservait bien des surprises et elle n’en était certainement pas venue à bout…
« Tu as de la chance. » Concéda l’Australien, qui écoutait Victoria lui dire qu’elle avait eu le temps nécessaire pour s’imprégner des pays étrangers dans lesquels elle était allée travailler. Pour sa part, ce n’était que de brefs arrêts, dans des villes bien précises. Les escales ne duraient jamais très longtemps, et ne permettaient pas réellement de voyager dans le pays pour en profiter. C’était d’ailleurs là le seul regret de Carlisle, qui parfois aurait aimé avoir plus de temps pour découvrir des lieu magnifiques. « Le Cambodge et les Philippines pour l’Asie, la Suède pour l’Europe, la Namibie et le Maroc pour l’Afrique, et le Mexique, la Colombie et les États-Unis pour l’Amérique. » Lista-t-il, s’interrompant de temps à autre pour réfléchir à ses choix, prenant en même temps conscience de l’éclectisme de ses goûts. Son poste de pilote de ligne lui avait permis de voyager dans de nombreuses villes, qu’il avait pu découvrir à l’occasion de ses jours de repos. Et quand il ne travaillait pas, il n’était pas contre l’idée de voyager, encore et toujours. Découvrir de nouvelles cultures, entendre parler de nouvelles langues, goûter à des nouvelles spécialités… C’était ça, qui le faisait vibrer. Il était curieux de tout, et jamais avare en matière de découverte. Il était un amoureux des grands espaces, des vastes étendues, des paysages colorés, des terres où les civilisations plus ou moins anciennes avaient laissé une empreinte indélébile. « Et toi ? » Demanda-t-il, curieux d’entendre l’avis de son interlocutrice. Cela pouvait parfois en dire beaucoup sur une personne. En cessant de travailler pour Cathay Pacific et en intégrant officiellement l’entreprise familiale, il avait imaginé qu’il couperait tout lien avec le pilotage. Après tout, il n’avait plus aucune bonne raison de s’approcher d’un avion — hormis pour voyager d’un point A à un point B, que ce soit pour des raisons personnelles ou professionnelles. La première fois où son rôle de bras droit l’avait obligé à prendre l’avion pour Hong-Kong, il avait fermé les yeux et s’était imaginé à la place du pilote, dans le cockpit. Il se souvenait de tout, dans les moindres détails. Des vérifications à faire, des boutons à pousser, des messages à envoyer, des discours à tenir aux passagers. Et la petite blessure qu’il s’imaginait naïvement avoir panser, au plus profond de son être, était devenue une plaie béante, qui saignait abondamment. Il avait machinalement jeté un oeil à son torse, craignant que ses émotions ne prennent réellement vie — mais il n’en avait rien été. Et il avait compris : jamais il ne pourrait faire le deuil de sa passion. Alors, plutôt que de se laisser submerger par les regrets, il pouvait agir. Voler, en tant que touriste. Ce ne serait pas aussi parfait que par le passé, mais au moins, ça compenserait peut-être un peu la perte de son travail de coeur. « Si tu veux. » Accepta-t-il en souriant légèrement. C’était une faveur qu’il lui faisait, même si elle ne s’en rendait pas compte : jusqu’à maintenant, il n’avait jamais embarqué personne avec lui. C’était son moment, son échappatoire. « Tu bosses depuis longtemps pour cette agence ? » Demanda Carlisle, en fronçant légèrement les sourcils. Victoria était jeune, et le fait qu’elle ait grimper les échelons aussi rapidement était, pour elle, une véritable chance. « Je comprends que l’étranger soit une source d’inspiration. » Admit-il en souriant, alors qu’il se souvenait avec nostalgie des couleurs orangées et rougeâtres du désert de Namib, des gigantesques buildings de New York, et des étendues enneigées de la Laponie Suédoise. C’était beau, c’était grandiose, c’était magique — et forcément, c’était inspirant. « Tu viens d’où, exactement ? Norvège ? Danemark ? Hollande ? » Lista-t-il, hésitant sur la dernière destination. Les intonations de son nom de famille orientaient l’ancien pilote sur les origines de Victoria, mais ne lui permettaient pas de définir clairement le lieu d’où elle venait. « Tu as de la famille en Australie, ou tu es seule ? » Demanda-t-il, avant de porter son verre à ses lèvres. « Une opportunité de travail, hein ? » Répéta-t-il malicieusement. Sur ce point, il la comprenait mieux que personne : avant l’arrivée de Maya, toutes ses préoccupations tournaient autour de sa carrière, et de l’évolution de celle-ci. « Sur quels projets travailles-tu en ce moment, d’ailleurs ? »
Est-ce qu'elle avait de la chance ? Elle ne le pensait pas vraiment, mais elle voyait où son interlocuteur voulait en venir, puisque avec son ancien métier il ne pouvait pas se balader autant qu'il le souhaitait dans un pays. Si elle avait pu le faire, c'était surtout parce qu'elle s'en était donnée les moyens, pas parce qu'elle avait une bonne étoile. Victoria n'aurait certainement pas choisi d’exercer un travail qui l'emprisonne de trop, surtout dans ses plus jeunes années, maintenant qu'elle avait la trentaine elle était moins dérangée par l'idée d'avoir une chaîne à la cheville. Néanmoins elle ne le contredira pas, n'ayant pas envie de paraître particulièrement arrogante, elle préféra l'interroger sur les lieux qu'il avait préféré. Il commença par citer des pays plutôt pauvres, avant de citer quelques destinations riches, il lui avait l'air d'avoir des goûts plus simples qu'elle. « Pour ma part j'ai beaucoup aimé le Japon, sa cuisine raffinée et ses temples. J'ai apprécié la convivialité du Portugal et ses belles plages, Benagil est vraiment à voir, sa grotte est superbe. Le Pérou, comment ne pas en parler, on y trouve tellement de perles. L'Égypte également, je trouve que c'est inégalable, le pays à visiter en priorité en Afrique. La polynésie, un petit bout de paradis sur terre. » Les yeux de la demoiselle pétillaient en se remémorant tous ces endroits qu'elle avait foulé, cela la rendait presque nostalgique. Elle ne pratiquait aucune religion, mais elle avait toujours adoré visiter des bâtisses religieuses, elles étaient souvent majestueuses et habitées. Victoria aimait tout autant les paysages naturels, surtout ceux où elle pouvait se prélasser, même si elle avait toujours vécu dans des grandes villes, été plus ou moins fêtarde, elle appréciait particulièrement les moments de quiétude. Le côté indépendant de l’architecte l'aidait grandement pour ça, cela lui faisait aimer la solitude à sa juste valeur, qui était bien trop décriée selon elle. D'ailleurs elle avait presque toujours voyagé en solo, son appareil photo se révélait être son unique véritable compagnon, celui qui lui permettait de capturer chaque détail et de pouvoir s'en souvenir, sans l'aide de personne d'autre. Si jamais elle en perdait les données, cela serait simplement une tragédie, même si elle les avait posé sur les réseaux sociaux, rien ne valait un bon vieil album. Lorsqu'elle évoqua la possibilité d'embarquer avec Carlisle, elle pensa immédiatement à photographier l'Australie vue du ciel, rien de tel pour compléter sa collection. « Je prends ces trois mots pour argent comptant, attention. » Dit-elle en rigolant, mais pas trop, elle n'allait certainement pas oublier une occasion pareille. « Cela fait presque deux ans que je travaille pour cette agence. » Il avait l'air intrigué qu'on lui ait proposé un travail si intéressant, il devait certainement la prendre pour plus jeune qu'elle ne l'était, elle faisait pourtant suffisamment femme pour qu'on ne la prenne plus pour une jeunette. Il n'était pas passé à côté de la consonance étrangère de son nom de famille, il essaya d'en deviner la provenance et la trouva du premier coup. « Bingo, la Norvège. » Elle se souvint qu'il avait choisi son voisin comme pays européen favori, elle reprit donc rapidement la parole. « Qui est mieux que la Suède, soit dit en passant. » Ajouta-t-elle avec un petit clin d’œil. Victoria se surprit à se montrer quelque peu chauvine, d'un pays dont elle ne voulait même pas à la base et dont elle trouvait la langue bizarre. Cependant elle le trouvait supérieur à l'Australie sur des points cruciaux. « À vrai dire j'ai la moitié de ma famille ici, je suis née à Brisbane. » Il était vrai que c'était un peu confus, il avait dû se dire qu'elle venait d'Europe. « C'est pour cela que mon anglais est si parfait. » Cette langue était généralement parlée et comprise en Norvège, mais elle ne l'aurait peut-être pas si bien maîtrisé si elle l'avait apprit là-bas, car les amis qu'elle avait durant sa scolarité n'avaient pas un niveau si élevé que cela, ce qui lui permettait de se la péter pas mal. Carlisle l'interrogea sur ses projets professionnels, choses qui n'intéressaient généralement pas les hommes, il marquait un bon point. « Récemment j'ai bossé pour l'association Beauregard, j'ai refait le bureau de sa directrice. Maintenant je suis sur un gros projet, la rénovation d'un hôtel de luxe, ça me prend pas mal de temps, je ne peux pas trop m'éparpiller sur plusieurs choses, mais c'est intéressant. » Elle qui avait séjourné dans de nombreux hôtels étoilés, ne pouvait qu'être contente d'en réaliser un à son tour, dans lequel elle fera certainement une réservation par la suite.
« Le Japon et l’Égypte sont d’excellents choix. » Admit Carlisle en hochant légèrement la tête. L’ancien pilote avait un goût tout particulier pour ces nations anciennes, qui avaient une histoire souvent aussi intéressante que palpitante. « Pour le Portugal et le Pérou, je n’ai malheureusement jamais eu l’occasion d’y mettre les pieds. » Avoua-t-il. À vrai dire, il méconnaissait beaucoup l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud. Il avait eu l’occasion de se rendre à de nombreuses reprises sur le territoire nord américain, et de largement le visiter. « Quant à la Polynésie française… » Il soupira, rêveur. Les plages de sable blanc, l’eau translucide, et une vie faite de plaisir simples et de détente : cette perspective le faisait frissonner d’envie. « Rien que d’en parler, ça me transporte directement là-bas. » Bon sang, il avait cruellement besoin de vacances. De se déconnecter de son travail, de ses tracas, de ses habitudes quotidiennes, de son père. Les derniers mois avaient été particulièrement denses et stressants, d’un point de vue professionnel. « Tu peux. » Dit-il en hochant la tête. Habituellement, il volait en solitaire : pour lui, c’était une véritable échappatoire. Mais si Victoria souhaitait vivre cette expérience en sa compagnie, il n’était pas contre la lui faire partager ; il aimait bien faire découvrir sa passion aux autres. « Avec nos emplois du temps, on risque d’avoir du mal à s’organiser ça. Mais quand on veut, on peut, n’est-ce pas ? » Leur rendez-vous de ce jour en était d’ailleurs la preuve ; après avoir dû le décaler en dernière minute parce que sa fille avait été malade, Carlisle avait promis de le reporter à une date ultérieure — et il avait tenu parole, reprenant contact avec Victoria lorsque les choses s’étaient améliorées. « Je suis trop fort. » Plaisanta-t-il, alors qu’elle lui confirmait qu’il avait vu juste en suggérant la Norvège. Le suffixe de son nom de famille était particulièrement évocateur, et c’était ce détail qui l’avait aiguillé. « Permets-moi de douter de ton objectivité. » Déclara-t-il en souriant. Ce chauvinisme l’amusait plus qu’autre chose. Lui-même avait beaucoup voyagé au cours des quinze dernières années, et s’il avait sincèrement apprécié ses multiples découvertes, il ne s’était jamais aussi bien senti qu’à Brisbane, chez lui. C’était là qu’il avait passé le plus de temps, là où il avait ses habitudes, là qu’il avait son socle d’amis. Si San Francisco avait représenté une partie non-négligeable de sa vie — il avait étudié à l’université de Berkeley pendant huit ans — il n’avait jamais envisagé de s’y installer auprès avoir obtenu son double diplôme. Au contraire : désireux de renouer avec ses racines, et incapable de s’engager dans un domaine professionnel qui le passionnait en raison de la désapprobation de son père, Carlisle s’était engagé dans l’armée. Quelques années, intenses, où il avait été formé au pilotage. Une révélation, pour l’Australien. « Je reconnais que je me suis rendu de nombreuses fois en Suède, mais plus rarement en Norvège. » Le hasard des vols, tout simplement. Ce n’était pas un choix de sa part, c’était les opportunités offertes par les compagnies aériennes pour lesquelles il avait travaillé. « Je comprends mieux… Et tu te rends souvent en Norvège, du coup ? » Aux États-Unis, lorsqu’il étudiait à Berkeley, il avait rencontré beaucoup de bi-nationaux. Il s’était souvent interrogé à leur sujet, se demandant s’ils s’identifiaient plus à un pays ou à un autre, et pour quelle raison. Les réponses de ses camarades avaient été variées, et il en était arrivé à la conclusion que chacun appréhendait les choses à sa façon, et souvent en fonction de son histoire personnelle. Il l’interrogea ensuite sur son travail, et fût surpris d’entendre un nom qu’il connaissait bien. L’association Beauregard… Décidément, il n’en avait jamais autant entendu parler que ces derniers temps. Et pour cause : la directrice de l’association, il la connaissait bien, et l’avait reçue chez lui quelques semaines plus tôt. Noa Jacobs n’était plus ni moins que la soeur de Carmina Farrell, et donc la tante de de Maya, sa fille. Il se garda bien d’en parler à Victoria, conscient que ce type d’informations n’avait rien à faire dans une discussion aussi badine que la leur. « Quel est le projet le plus intéressant et le plus… enrichissant que tu aies réalisé, à ce jour ? » Demanda l’ancien pilote, curieux d’entendre la réponse de son interlocutrice. Au vu de ce qu’elle sous-entendait, elle avait déjà une belle carrière à son actif. Et la détermination qu’elle affichait « Et pour quelle raison ? » Demanda-t-il, avant de boire une gorgée de son verre. Il essayait de cerner Victoria, et ce n'était pas si simple. « Et quel est le projet dont tu rêverais de t’occuper ? »
La validation de Carlisle lui semblait plus qu’évidente, elle s’était vite imaginée qu’il était une personne aux bons goûts, un ancien pilote ne pouvait pas cracher sur de telles destinations. L’architecte rebondit rapidement lorsqu’il lui dit qu’il n’avait pas pu visiter le Pérou ainsi que le Portugal. « Ce n’est que partie remise. » Lorsqu’il s’agissait de voyager, Victoria avait toujours été une grande optimiste, il y avait toujours un moyen de trouver le temps de faire ce qu’elle souhaitait faire. Après tout elle était jeune et avait un portefeuille conséquent, alors pourquoi cela n’aurait pas été le cas ? Elle se rendit soudainement compte que son interlocuteur n’était pas dans la même situation qu’elle, qu’il était plus âgé et surtout qu’il avait une enfant. Est-ce que cela lui avait valu de paraître stupide ? Elle ne le pensait pas, du moins elle allait bientôt le voir selon sa réaction. La jeune femme semblait l’avoir envoyé au 7ème ciel rien qu’en énonçant le mot Polynésie, ce qui lui dérocha un petit rictus. « Nous avons un beau pays, mais il n’est quand même pas comparable, le nôtre est tellement… dangereux. » Les deux pays possédaient des créatures dangereuses, mais celles-ci avaient toujours parues bien plus nombreuses en Australie, qui pouvait se targuer d’avoir une sacrée collection de bestioles effrayantes. L’architecte n’était pas le genre à être une demoiselle en détresse, qui fuit à la moindre vision d’une grosse araignée, mais elle aimait pouvoir se prélasser en toute tranquillité, sans avoir la crainte de se faire piquer par quoique ce soit. Elle croisa ses doigts et afficha un petit sourire une fois qu’elle comprit qu’il venait de lui faire la promesse de voler avec elle. « Tout à fait, tout n’est qu’une question de volonté. » Maintenant qu’ils avaient fait un peu plus ample connaissance, peut-être qu’il allait avoir plus de motivation à dégager du temps pour elle, s’il ne voulait pas la perdre de vue il vaudrait mieux pour lui. Elle n’allait pas lui dire du tac au tac qu’elle était du genre à se lasser facilement, paraître volatile n’était pas quelque chose positif, encore moins pour un homme comme lui. Il devait avoir une patience qu’elle n’avait pas, après tout n’est-ce pas la base à avoir lorsqu’on est parent ? Il avait tiré une certaine satisfaction d’avoir deviné son pays d’origine, même si c’était une devinette un peu facile, elle ne le cassera pas en le lui faisant remarquer, elle préféra souligner que son pays était le meilleur. « Tu ne connais pas assez la Norvège pour dire cela. » Il l’avait lui-même dit, il n’avait pas forcément le temps de visiter les pays où ses avions se déposaient, alors il y avait de fortes de chances que ses excursions furent très courtes. Il le lui confirma avant de lui demander si elle s’y rendait souvent. Elle fit la moue. « Non. » Une réponse qui pouvait paraître étrange après le chauvinisme dont elle avait pu faire preuve, mais elle ajouta : « Il y a quand même beaucoup d’heures de vols, c’est plutôt fatiguant. Le temps est précieux et je me plais assez bien dans mon agence actuelle, du coup je ne vois pas trop l’intérêt de m’amuser à faire des aller-retour. Ce que je ne faisais pas non plus lorsque j’étais là-bas. » Elle affichait clairement son manque d’affection pour sa famille en disant cela, mais elle s’en fichait car après tout personne n’avait l’obligation d’aimer les siens non ? « Tu n’as jamais vécu à l’étranger toi ? » Ce n’était pas si courant, d’avoir passer une partie de sa vie ailleurs, mais peut-être qu’il faisait parti de ce club fermé. Lorsqu’elle se mit à parler de l’une de ses dernières réalisations, elle crut voir une certaine lueur dans le regard de l’ancien pilote, il semblait surpris, mais n’avait visiblement pas envie de s’étaler là-dessus, préférant se lancer dans un interrogatoire. « Tu es en train de me faire un entretien d’embauche ou je rêve ? » Plaisanta-t-elle, en réalité c’était avec plaisir qu’elle allait répondre à chacune de ses questions. Elle se mit à plisser des yeux à force de réfléchir, il lui avait posé une sacrée interrogation. « J’ai eu un projet assez fou à Dubaï, celui de participer à l’élaboration d’un centre commercial. Ils n’avaient absolument aucunes limites et cela me plaisait bien, j’avais l’impression de pouvoir faire tout ce que je voulais, ce qui est assez rare dans mon métier. » Elle marqua une courte pause et reprit : « Et je tiens à préciser qu’il n’y avait pas d’esclaves pour cette réalisation, je m’en suis assurée. » En tant que militante, elle ne pouvait pas lui laisser croire qu’elle aurait pu travailler avec aussi peu de morale. Il lui avait demandé quel était son rêve, une question à laquelle il était tout aussi difficile de répondre. « Ça pourrait paraître bizarre mais… je pense que la plus belle opportunité qu’on pourrait me donner c’est de bosser sur un hôpital. »
Dernière édition par Victoria Valtersen le Dim 24 Jan 2021 - 10:10, édité 1 fois
« Mauvaise expérience avec les serpents et les araignées ? » Plaisanta Carlisle. Il ne se moquait aucunement ; Victoria n’avait pas tort en disant que l’Australie était un pays dangereux. La faune et la flore étaient riches, c’était indéniables. Mais à quel prix ? L’ancien pilote avait souvent été au contact de la nature, que ce soit lors de ses entraînements avec l’armée ou lorsqu’il partait en randonnée pendant plusieurs jours. Il avait toujours été très vigilant, conscient que la nature pouvait causer sa perte. « J’avoue que ce ne sont pas des arguments très vendeurs. » Concéda-t-il en faisant la moue. « Mais les koalas sont tellement mignons. » Ajouta-t-il en souriant. Il n’était d’ailleurs pas rare qu’il fasse un tour au Lone Pine Sanctuary avec Maya, qui s’extasiait devant les kangourous et les diables de Tasmanie. La discussion s’orienta ensuite naturellement vers les voyages et les différents pays qu’ils avaient eu l’occasion de voir, ou d’habiter. Par le biais d’une simple question, Victoria l’envoya quelques années en arrière, alors qu’il n’était qu’un adolescent. « Si. » Confia-t-il en inclinant légèrement la tête. À quinze ans à peine, il avait vécu en Californie pendant quelques années, après avoir été admis à l’université de Berkeley. La parenthèse avait été enchantée, et Carlisle ne conservait que de bons souvenirs de cette période. Pour la première fois de sa vie, il s’était libéré de l’emprise de son père — momentanément, en tout cas. Il avait eu des camarades intéressants, qui s’étaient royalement fichus de son jeune âge. Il s’était fait des amis, des vrais. Il avait pu étudier la physique nucléaire, un domaine qui l’avait passionné et le passionnait encore. En dépit d’études brillantes et réussies, Carlisle n’avait jamais exercé dans cette branche spécifique. Il était rentré en Australie, avait intégré l’armée (au grand désespoir de son géniteur, d’ailleurs), et s’était découvert une passion pour la haute altitude. Il secoua la tête, reprenant doucement contact avec la réalité. La période était loin, et semblait appartenir à un autre temps. « Pendant huit ans, à San Francisco. » Répondit-il, sans s’étendre davantage. Loin d’être à l’aise quand il s’agissait de parler de lui-même, l’ancien pilote de chez Cathay Pacific préféra remettre Victoria au centre de leur conversation. « Certainement pas. » Dit-il en riant légèrement, alors que son interlocutrice lui demandait s’il lui faisait passer un entretien d’embauche. Juger les gens en leur posant quelques malheureuses questions ? Ce n’était pas son genre. Il savait que les réponses données pouvaient être fausses, erronées, incomplètes. Il savait que des mensonges pouvaient être créés de toute pièce. « Je ne saurais pas à quel poste te coller, dans l’entreprise. » Admit-il en secouant la tête. Et son père n’avait jamais mentionné l’idée de moderniser les locaux de l’entreprise — sans doute devait-il considérer qu’il s’agissait d’une dépense superflue. Un positionnement que Carlisle, qui avait aussi fait des études dans le management, ne partageait pas forcément : il avait été sensibilisé au bien-être des salariés, et de la productivité qui pouvait en découler. « Dans la structuration actuelle, en tout cas. Mais si jamais on développe d’autres branches, je saurai à qui faire appel. » Puisqu’il buvait un verre avec miss challenge en personne, il ne se priverait pas de la contacter. Sans pour autant être convaincu que cela l’intéresserait, au vu des projets dont elle s’était déjà occupé. « C’est vrai que, dans ton univers, l’absence de limite doit être un véritable atout. Tu peux complètement laisser libre cours à ton imagination, c’est le rêve. » L’agencement et la décoration de l’espace pouvaient être pensés de toutes les façons possibles et imaginables, sans budget imposé. Le projet avait dû être aussi intéressant que stimulant. « Un bon point pour toi. » Déclara-t-il en hochant la tête, alors que son interlocutrice lui faisait savoir qu’aucun esclave n’avait travaillé sur le projet qu’elle avait mené à bien à Dubaï. Derrière les développements fulgurants se cachaient souvent des réalités humaines difficiles à supporter. « Choix surprenant. » Commenta-t-il en arquant un sourcil, surpris par le choix de son interlocutrice. Un hôpital ? L’ancien pilote se demandait bien pourquoi ce challenge intéressait tant son interlocutrice. Était-ce pour des raisons personnelles ? Par conviction ? Parce que ça n’avait rien de simple ? Parce que c’était original ? Il se garda bien d’en demander davantage, conscient que cette simple question pourrait éveiller des douleurs dont Victoria n’avait pas forcément envie de parler.
Les petites bêtes qui peuplaient le pays… c’était bien plus qu’une mauvaise expérience, mais ça Carlisle ne pourrait jamais le deviner. « Oui, mon père adorait me les montrer mais j’avais horreur de ça, c’est pour cela qu’il est venu en Australie d’ailleurs, à cause de cette drôle de… passion qui le faisait vivre, c’était son métier de les étudier. » La blonde n’avait jamais compris comment il pouvait s’extasier sur des insectes, presque tous aussi moches les uns que les autres, mais surtout comment il pouvait les observer pendant des heures. « Il avait d’ailleurs une pièce où il entreposait quelques espèces, mon cauchemar absolu. Un jour ma mère a eu le malheur de laisser ouvert un terrarium. Devine où a terminé une araignée verte se fondant parfaitement dans un des papiers peints… » Sa chambre était une véritable ode à la nature, elle était très jolie et l’avait souvent émerveillé, mais ce jour-là elle ne pu s’empêcher de la détester tant sa frayeur fut grande. « Les koalas sont mignons c’est sûr, ça m’aurait moins dérangé d’en héberger mais ça prenait trop de place malheureusement. » Elle se souvenait de toutes les fois où elle lui avait demandé d’en adopter un, tout en lui demandant d’embarquer un kangourou en prime. Quand elle y repensait, c’était l’un des rares moments où elle avait une réelle complicité avec lui, c’était sûrement pour cela qu’elle avait parlé de lui en tant que père et non en tant que géniteur, ce qu’elle faisait habituellement. L’architecte aurait peut-être choqué son ancien client si elle avait parlé de lui en ces termes, il avait tout l’air d’être un bon papa, qui n’avait jamais mentionné la mère, comme s’il n’avait pas besoin de celle-ci pour bien s’en occuper. Bien qu’elle ne soit pas charmée par cette situation, s’il se débrouillait effectivement tout seul cela ne pourrait qu’attiser son admiration. Cela devenait presque frustrant de ne pas évoquer ce sujet, qu’elle avait pourtant soigneusement évité d’elle-même, mais qui restait une facette importante de son interlocuteur, qui restera mystérieuse pour le moment. Creuser du côté des voyages était bien plus simple, elle réussie à obtenir une information assez intéressante puisqu’il lui dit qu’il avait vécu huit ans à San Francisco. « Quelle chance d’avoir vécu dans une telle ville, elle m’avait semblé être une terre de liberté, où on peut être qui on veut. » Victoria avait été particulièrement frappée par le bien-être de la communauté LGBT, qui semblait presque être la maîtresse des lieux, ce qu’elle n’avait vu nulle part ailleurs. « Si j’avais dû vivre aux USA, j’aurais certainement choisi d’y vivre, bien qu’elle soit l’antithèse de la ville américaine par excellence, en fait c’est ce qui la rend attractive. » Loin des affreux conservateurs qui avaient encore bien trop de pouvoir dans ce pays, qui avait encore beaucoup de progrès à faire dans beaucoup de domaines, malgré sa puissance et sa renommée. Elle voyait bien qu’il n’avait pas trop envie de s’épancher là-dessus, peut-être qu’il ne trouvait pas cette partie de sa vie assez intéressante pour en parler. Il se montra un peu plus bavard sur le côté professionnel, en lui disant qu’il ne sait pas où il la verrait dans son entreprise. « Quelle est son activité principale ? » Elle ne lui avait jamais posé cette question ou alors elle ne s’en souvenait pas, elle avait été tellement absorbée par son ancien métier qu’elle n’avait même pas dû prêter attention à son travail actuel. « C’est ça. Mon métier peut se révéler bien embêtant, quand les clients ne veulent pas trop entendre mon avis… même en devenant ma propre patronne, je ne pourrais pas changer cela, comme on le dit si bien ‘ le client est roi ’. » Une expression qui avait le don de l’irriter, mais qu’on avait dû lui rappeler plusieurs fois tout au long de sa carrière. Elle évoqua son rêve saugrenu à haute voix, ce qui n’avait pas manqué de stupéfier Carlisle. « J’ai toujours trouvé que les hôpitaux n’étaient pas très accueillants… Nous ne sommes pas censés aimer y aller, mais j’aimerais rendre cet endroit moins… angoissant ? C’est sûrement bizarre ce que je dis, comment ne pas être tourmentés quand la maladie nous frappe ou touche un proche. » Soudainement, l’image de son amie d’enfance brûlée lui apparue, se remémorer à quoi ressemblait toute cette peau morte lui donna des frissons et la fit grimacer. Il avait fait le bon choix de ne pas lui demander pourquoi elle avait fait ce choix, mais elle ne pu s’empêcher d’y penser et de lâcher quelques confidences, qu’elle avait certainement trop laissé somnolées en elle.
Carlisle sourit, alors que Victoria s’étendait sur la passion de son père — qu’elle ne partageait visiblement pas. Il ne pouvait pas la blâmer ; il comprenait facilement que les arachnides et autres bestioles farfelues d’Australie ne plaisent pas à tout le monde. « On se sent parfois seul, quand on est un véritable passionné. » Concéda l’héritier Bishop en souriant. « Il ne faut pas lui en vouloir ; il a juste voulu te transmettre quelque chose de lui. » Maladroitement, certes, mais il avait probablement voulu créer un lien avec sa fille. « Tu parles de lui au passé… » Nota Carlisle, sans pour autant poser la moindre question. Ils n’étaient pas suffisamment proches pour se montrer si familier ; il préféra donc lui laisser l’opportunité de s’étendre sur le sujet, si elle le désirait. Elle pourrait tout aussi bien l’envoyer paitre ; il ne trouverait rien à y redire, et n’en serait aucunement vexé. Ils dévièrent ensuite sur sa vie, et les années qu’il avait passé à l’étranger. Son installation aux États-Unis avait été motivée par son choix d’études, et son acceptation à la prestigieuse université de Berkeley. « C’était une super expérience. » Reconnut-il en hochant la tête. Il avait mis du temps à l’apprécier à sa juste valeur, sans doute partiellement freiné par son jeune âge. Et puis, il devait bien admettre une chose : il n’avait jamais eu beaucoup d’appétence pour les sorties et autres virées de débauche. Carlisle était quelqu’un de discret, de casanier, qui ne craignait pas la solitude. « Là-bas, les gens se fichent de savoir qui tu es, qui tu aimes, où tu travailles, qui tu fréquentes. » Il ne s’était jamais senti épié, scruté, jugé. Il avait pu vivre comme bon il l’entendait, sans jamais se soucier d’autrui. Et ça, par contre, ça lui avait énormément plu. « Quand tu es carriériste, les possibilités sont considérables. » Les entreprises de nouvelles technologies, entre autres, étaient perpétuellement en quête de nouveaux cerveaux. « Mais tu vois, malgré tout, je suis rentré en Australie. » Conclue-t-il en souriant. Il avait intégré l’armée, où il avait fait quelques années. Puis il avait été recruté par Cathay Pacific, avant de finalement d’intégrer l’entreprise familiale — où il évoluait actuellement. « Export de matières premières. Je suis en charge des marchés internationaux. » Vaste sujet, donc. Il laissa échapper un petit rire, alors que Victoria lui rappelait que le client était roi — en toute circonstance. Un adage qui dépassait souvent l’ancien pilote… dans la mesure où le client avait, impérativement, besoin du vendeur pour combler un besoin. « Chacun sa spécialité. Pour ma part, hormis quelques indications, je laisserai faire les professionnels. » C’est d’ailleurs ce qui s’était passé, quand Victoria avait été en charge de décorer la chambre de Maya. Il lui avait indiqué ses préférences et ses interdits, elle lui avait fait plusieurs propositions, et il avait choisi.
Il hocha la tête, confirmant les propos de son interlocutrice. Pendant une fraction de seconde, il se revit dans un couloir aussi blanc qu’aseptisé, alors que son père discutait avec deux blouses blanches à quelques mètres de là. Il esquissa quelques pas en direction de la fenêtre qui donnait sur une chambre, et son regard s’arrêta sur le corps fatigué et affaibli d’une personne qu’il connaissait bien — sa mère. Mary Bishop sortait d’une énième opération, et avait l’air de dormir. Il nota que, pour la première fois depuis bien longtemps, les traits de son visage semblaient détendus. Des années plus tard, il comprendrait que cette apparente quiétude n’avait été possible que parce que sa mère avait été placée dans un coma artificiel, et bourrée de cachets visant à apaiser ses souffrances. Il se vit poser une main sur la fenêtre qui le séparait de sa mère, serrer le poing, et frapper légèrement sur la vitrine. Espérant attirer l’attention de sa mère — naïf qu’il était. Le ton réprobateur de son père, qui lui ordonnait d’être calme, résonnait encore à ses oreilles. Il se souvint des odeurs nauséabondes des couloirs des hôpitaux, et des murmures qu’il entendait sur son passage. Il ne parvenait pas à comprendre comment, des années plus tard, ce souvenir pouvait toujours être aussi vivace. Lorsqu’il avait accompagné pour la première fois Carmina à la maternité pour un rendez-vous avec sa sage-femme, il avait été positivement surpris par les lieux. L’odeur caractéristique dont il se souvenait n’existait plus. Les chambres semblaient plus lumineuses, plus spacieuses, plus confortables. « Certains services sont pires que d’autres, je pense. » Déclara-t-il. S’il ne comptait pas s’appesantir sur ses souvenirs encore bien vivaces de l’unité d’oncologie, il se montra plus volubile concernant la maternité. « La salle d’accouchement de Carmina ressemblait à une chambre confortable. Lit deux places. Tu pouvais écouter de la musique, régler l’intensité de la lumière, et le personnel était vraiment aux petits soins pour nous. » Déclara-t-il. Toutes les conditions étaient réunies pour que le stress de l’accouchement soit le plus faible possible — tant pour la mère que pour la personne qui l’accompagnerait dans cet ultime effort. « J’étais épaté, je dois bien l’admettre. » Confia-t-il, avant de vider son verre.
Lorsqu’elle entendit Carlisle dire que son père avait voulu lui transmettre quelque chose, elle ne pu s’empêcher de lâcher un rire, à moitié nerveux et à moitié moqueur. Mis à part ses gênes et son nom de famille, elle n’avait rien de lui, du moins elle se persuadait de cela. Il remarqua particulièrement qu’elle parlait de lui au passer, c’était quelque chose qui avait dû le surprendre ou simplement éveiller sa curiosité. « Disons que nous avons une relation… compliquée. » Victoria était évasive, mais au moins il ne pouvait pas croire qu’il était décédé, même si c’était un peu tout comme à ses yeux. C’était aussi sa manière de clore le sujet, qui ne méritait pas qu’elle s’étale plus que cela, elle en avait déjà bien assez dit dessus à son goût. Parler de l’étranger par contre, cela ne la dérangeait jamais, au contraire elle pourrait en parler pendant un long moment, elle adorait entendre les expériences des autres, cela lui donnait souvent des idées pour ses prochains voyages. Cette fois-ci, c’était un peu différent car elle avait déjà visité la ville dont lui parlait son interlocuteur, mais elle avait tout de même envie de creuser un peu pour voir ce qu’il en avait tiré. Il la décrivait d’une manière assez idéale, qui faisait ressortir une certaine attirance pour la discrétion. C’était un point sur lequel elle n’avait pas l’air de lui ressembler, car elle aimait qu’on la regarde et qu’on parle d’elle, que cela soit en bien ou en mal, elle s’en fichait du moment que l’on remarque son existence. « C’est plus ou moins l’avantage d’une grande ville, on se fond dans la masse. » Elle n’avait jamais vécu dans une petite commune et pourtant, elle n’avait jamais été dans l’ombre, ce n’était pas toujours volontaire mais son nom ne restait jamais totalement inconnu bien longtemps. L’architecte hocha de la tête lorsqu’il lui dit qu’être carriériste ouvrait bien des portes, se donner corps et âme à son travail pouvait mener loin avec de la patience. « Si c’est ici que tu te sens le mieux, c’est normal. Tout le monde ne rêve pas forcément de faire sa vie ailleurs, on peut finir par se lasser de la nouveauté et revenir aux sources. » Rien ne prédestinait la blonde à suivre également ce chemin, mais la vie était faite de surprises et c’était ce qui la rendait intéressante, après tout. Avoir plus de détails sur l’activité qui le faisait vivre, ne la rendait pas très envieuse. Elle ne la trouvait pas inintéressante, mais elle s’imagina rapidement que cela devait représenter une sacrée pression, bien plus élevée que celle qu’elle avait. « Oui, il faut savoir faire confiance. C’est ce qui a fait de toi un client agréable. » Un élément qui l’avait bien aidé à accepter d’avoir un tête à tête avec lui, alors que normalement elle ne fréquentait plus sa clientèle masculine, parce que cela « n’était pas professionnel », une entrave à sa liberté qu’elle avait du mal à respecter. Néanmoins, elle avait trouvé un bon compromis avec Carlisle, qui ne figurait pas parmi la liste des gros clients qu’il ne fallait pas perdre.
Ils avaient dévié sur un sujet qui ne pouvait qu’assombrir leur conversation, le genre qu’elle ne mettait habituellement jamais sur la table pendant un rencard, déjà qu’elle ne le faisait pratiquement pas avec ses proches. C’était étrange, à croire que Carlisle lui inspirait une certaine confiance que beaucoup avaient du mal à lui insuffler. Il ne devait pas s’en rendre compte, car il ne devait pas connaître sa réputation de femme glaciale, une facette qu’elle montrait peu à ses clients parce qu’il fallait être « chaleureuse ». Elle n’allait pas pour autant aller plus en détails, ce qui était arrivé à son amie d’enfance resterait sûrement son plus gros tabou, qu’elle ne dévoilera pas avant un bon moment si ce n’est jamais. Victoria pressentit qu’il pensait également à quelque chose dont il ne voulait pas parler, il devait lui aussi avoir son lot de souvenirs douloureux. Il finit par se montrer un peu plus optimiste, en soulignant que certains services étaient pires que d’autres. Elle ne savait pas ce qu’il considérait comme mieux, parce qu’elle jugeait qu’ils étaient tous au même niveau, jusqu’à ce qu’il ne mentionne la salle d’accouchement. Il venait de mentionner sa no go zone, dont elle avait une image très négative, car les femmes fréquentant la même association qu’elle avaient raconté des violences obstétriques plutôt ignobles. « Je vois que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, mais ce n’est pas plus mal sinon les femmes ne feraient plus plusieurs enfants. » Elle repensa au prénom féminin qu’il avait prononcé, Carmina, elle l’avait déjà entendu une fois lorsqu’elle était chez lui. Victoria avait aperçu une fine silhouette, appartenant à une brune lui semblant bien jeune, qui devait avoir à peu près la moitié de l’âge de Carlisle. Un détail important, qui lui fit comprendre assez rapidement que ce bébé était un accident de parcours. L’architecte aurait pu le plaindre, si elle ne considérait que l’homme devait également faire attention à la contraception, mais puisque c’était le cas elle n’était pas sûre d’en avoir envie. Une vibration se fit ressentir dans son sac, l’alarme qu’elle avait programmée la veille pour ne pas rater son prochain rendez-vous s’était enclenchée. Sauvée par le gong, elle n’avait pas à discuter plus amplement de cette histoire d’enfantement. « Je dois me rendre chez un client dans pas très longtemps, mais ce fut un plaisir de partager ce verre après toi. Alors je te dis à bientôt, peut-être ? » Autrement dit, s’il voulait un second rendez-vous, il vaudrait mieux qu’il se montre plus entreprenant et disponible que la première fois.